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Tout n'est pas faux. Tout n'est pas vrai. Il appartiendra à chaque oeil bienveillant de monter à bord de cette histoire comme bon lui semble. J'ignore encore aujourd'hui, quinquagénaire berné par son propre ego, ce que j'ai réellement vécu au cours de ma vie. J'ai pensé que c'était une raison valable de s'adonner à l'écriture. J'ai pris énormément de plaisir à construire une leçon de vie. Au fil des pages, je n'ai rien laissé au hasard. Je connaissais parfaitement la commune de Dunkerque, omniprésente dans ce livre. Dunkerque m'a adopté sans rien me demander en retour. Il me paraissait normal de lui rendre hommage.
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Seitenzahl: 230
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Je dédie mon roman à celui qui m’apprend à sourire, mon petit-fils Kaïs
En me relisant, je me suis aperçu qu’au fil des pages, j’ai enfin compris que ce n’est ni l’argent, ni le prestige, ni le pouvoir, qui font le bonheur, je souhaite juste être un bon père pour mes trois enfants… Ma malicieuse et vive Elora. Mon discret et remarquable Rïan et mon sensible et bouillant Mathéo.
Aussi, j’invoque le droit à l’indulgence à mes charmants parents ainsi qu’à mon frère et ma soeur que j’aime infiniment. Qu’ils se rassurent, ce n’est qu’une fiction. Enfin, concernant ma Nadège, il serait inapproprié et paresseux de lui dire un simple « je t’aime ».
Je suis, irrésistiblement, attiré par toi, je m’inquiète pour toi, j’ai besoin de toi, tu me rends heureux, tu me fais rire et tu m’instruis.
Le simple fait de te regarder a un sens, le simple fait d’être avec toi me fait réaliser pourquoi nous vivons. Merci d’avoir pris le temps de m’accompagner dans cette passionnante écriture qui n’a aucune prétention autre que de partager une leçon de vie.
Qui suis-je ?
Comme chaque matin depuis plusieurs printemps, Norro se réveille péniblement par le poids de son âge en posant cette énigmatique question.
Un silence. Une voix murmure :
- Tu n’as cessé de m’invoquer en posant la même question et je ne peux que me réjouir de ta ténacité !
En ce mois d’octobre, les nuages gris s’entassent au-dessus d’une fine couche de brouillard laissant apparaître les petites maisons de la charmante commune d’Anhiers.
Une bourgade, à mi-chemin entre Douai et Orchies. Un havre de paix. Un refuge à l’abri des peines d’un monde oppressant. Il s’apprête à déjeuner, la voix revient. Moins de murmures. Une voix contrôlée au rythme agréable à entendre.
- Vieux fou, tu te caches ?
Un frisson ? Un émerveillement ? Un soulagement ? Oui, un soulagement. Un sourire et le vieux fou réplique :
- Je n’ai pas voulu cette vie ! Toute mon existence n’est qu’une illusion ! Pourquoi ?
Le percolateur laisse diffuser les premiers arômes de fèves de caféier. Une biscotte et une couche de confiture à la fraise. Deux gorgées de caoua et un souffle chaud glisse sur la nuque de Norro.
Une sensation accommodante. Le dialogue aura bien lieu entre les murs de la modeste cuisine, repeinte en rouge bourgogne depuis peu, apportant une sensation de chaleur. Idées délirantes ou manifestations réelles ? Peu importe.
L’exploration de l’invisible est si ancrée en son for intérieur qu’il se moque éperdument de son état psychique à ce moment précis.
- Norro, je ne suis pas le possesseur de ce monde ni le gardien de la forêt de cèdres ! Je ne peux pas te répondre.
- Comment dois-je t’appeler ?
La voix (un chuchotement agréable à entendre) :
- Shmi Abrazal, nishkedi bagan eden !
Norro (érudit, amusé et fasciné) :
- Tu te nommes Abrazal et tu as été oublié dans le ciel ? Bien que je possède quelques notions en hébreu, je souhaiterais communiquer en français ou en arabe, si cela te convient ?
Abrazal :
- J’ai grande peine à chaque fois que je te vois.
Norro (serein) :
- Tu es gentil et c’est réconfortant de me rendre visite !
Abrazal (d’une voix chaude et apaisante ayant repéré un ouvrage sur la table)
- Qu’est-ce donc que cette oeuvre ?
Norro
- Il ne s’agit là que d’un manuscrit quelconque. Pourtant, son histoire arrache les larmes, cet auteur ne figurera jamais parmi les écrivains étudiés au lycée. Ce n’est nullement un Charles Dickens.
Abrazal
- L’essence même d’un bon livre peut transformer une vie. Tu deviens évangélisateur universel sachant faire évoluer le monde des Hommes. Sauver le monde, qui sait ? Une fois le livre fermé, chaque créateur de papier doit continuer à vivre en Toi, comme des amis ou les membres de ta famille. Chaque livre est un cadeau. Une déclaration d’amour aux lecteurs. Peu importe la notoriété de l’auteur.
Norro (admiratif)
- Je cherche précisément ce précieux livre.
Cette baie du Bhoutan.
Abrazal (voix enjouée) :
- Il est entre tes mains. Cent fois, tu l’as lu. Cent fois, tu es passé à côté du génie de ce grand homme que tu décris comme étant quelconque. Peux-tu m’en dire plus sur ce livre ?
Norro (réjoui en se raclant la gorge) :
- Avec plaisir ! Il s’agit de l’histoire du prince K. Il aurait eu cent femmes dans sa vie.
AVANT-PROPOS
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII
Chapitre IX
Chapitre X
L’ÉPILOGUE SELON L’ÉNIGMATIQUE
Tout commence à l’île Jeanty entre Saint-Pol-sur-Mer et Dunkerque en 1966 ; un terrain découvert, aménagé en pente douce à partir des éléments extérieurs d’un ouvrage fortifié. C’était une plaine sableuse, un peu ondulée (anciennes dunes) faisant face à la gare, à l’est par le boulevard Guynemer et au sud par l’actuelle rue du 11 novembre. Les habitants des baraquements étaient autrefois appelés les baraquins.Le voisinage était difficile car les logements étaient beaucoup trop proches les uns des autres, d’où parfois des conflits à l’arme blanche… Tel qu’il était, ce quartier, parti de rien, a suscité bien des drames et une vie de misères.
Après quelques années, la construction d’immeubles de quatre étages, au Carré de la Vieille, permit le relogement des baraquins, provoquant la disparition des chalets et baraquements.
Une famille d’immigrés algériens portait ce nom atypique : Benchetouf. Bloc E au quatrième étage sans ascenseur.
Le patriarche était de corpulence plutôt impressionnante et manoeuvre non qualifié. Son épouse, de petite taille, arborait des tatouages primitifs sur le visage et le front, signe du mari soldat algérien en combat durant l’époque coloniale. Après l’arrivée de leur premier fils en 1967, Hamid de son prénom, ils mirent au monde Kaïs, à deux ans d’intervalle.
Ce fut un grand baluchon de joie, uniquement pour Tata Fatima. Une amie du couple vivant en face : l’immeuble E. Les roucoulements et l’odeur particulière de Kaïs rendaient folle d’extase Tata Fatima. Elle l’appela dès sa naissance :
« Mon fils. »
Voici donc le nouveau-né à l’orée d’un monde en ébullition.
Il ouvrit les yeux entre les pierres froides de la maternité, sur le ventre de la mère nourricière ; heure bénie. Le passage de l’air dans la glotte du nouveau-né produisit un son. Le hoquet amusa la mère en prononçant le début de la sourate Al-Fatiha. Encore un petit coup sec du diaphragme. Hic !
De retour au sein de ce misérable quartier, quelques convives s’empressaient de rendre visite au nouveau citadin. L’odeur des cornes de gazelles se répandait partout dans la cage d’escalier. Les chansons de Rabah Driassa, un chanteur algérien, tournaient en boucle. Bien plus bruyants qu’une charrette vide, les incessants youyous finirent par faire pleurer Kaïs.
Au milieu des cris de la foule, un chuchotement au creux de l’oreille du bébé :
- Lishon at hektane shley, all besder !
Dors petit, tout va bien !
Hic ! En guise de réponse à ce doux message venu du monde invisible.
Ange gardien, ange d’esprit ou ange de coeur ?
Quelques semaines plus tard, les premiers babillages et rires de Kaïs laisseront indifférents ses parents. Seule Tata Fatima est sous le charme et lui offre un hochet. Le bambin maintient bien la tête et se muscle peu à peu. Les nuits sont agitées.
Rêverie ou magie ? Les capacités cognitives du nourrisson sont aussi mystérieuses que la vie foetale.
Abrazal :
- L’aspect de la claire vision et du clair ressenti est primordial pour découvrir le monde subtil.
Norro :
- Est-ce à dire que le bébé est capable de se connecter au monde invisible ?
Cette énigmatique réflexion de son hôte resta en l’état.
Il reprit le cours de l’histoire.
Trois hivers défilèrent. Le patriarche connut le syndrome français de cette époque : le salaire de la peur. Stimulé par la famine, Père Kaïs faisait preuve de courage et de ténacité. Il posait le squelette des bâtiments. Yves Montant était un immense acteur de cinéma.
Père Kaïs était un acteur majeur de chaque chantier. Il était sans affection envers son petit.
Aucun témoignage d’amour dans ce foyer ; le vide. Un environnement familial malsain.
Kaïs, malgré son jeune âge, utilisait tous les moyens pour supporter ces carences affectives.
C’est au cours d’une nouvelle nuit turbide que vint l’espoir.
D’apparence, il s’agissait d’un jouet. Un jouet dépourvu d’impesanteur. Brillant et agréable à regarder. En réalité, c’était un singe d’or. De petite taille. Charmant et attirant. Un sourire, puis deux. Il tendit la main comme pour l’attraper.
Le singe d’or :
- Salam Koochak man der daheh panjah man doost shama hastam !
Magnifique langue et incompréhensible pour ce pauvre petit.
Persan, arabe ou hébreu ? Un court silence. - Bonjour petit, je suis Cinquain ton ami.
En quelques mots, Kaïs recevait enfin de l’attention et un peu d’amour. Toutes les nuits, Cinquain revenait auprès du mouflet. Une nuit. Un conte de sagesse de tous les continents.
Une leçon de vie.
Kaïs s’émerveillait avec Socrate et les trois tamis de la communication, les rois chinois qui faisaient l’éloge de l’honnêteté, la sagesse des grands-mères africaines, la coutume du Sahara d’écrire ses colères sur le sable où le vent viendra les effacer ou encore les leçons de bonheur d’une babouchka russe. Kaïs portait en lui un petit peu de Dieu. Et Dieu prenait soin de Lui. Le petit Kaïs adorait une histoire en particulier, Le prince déchu.
Au-delà de l’histoire rapportée par le singe d’or, la moralité était bien plus précieuse.
Certes, la punition est nécessaire. Toutefois, elle reste insuffisante pour transformer une personne méchante. La méchanceté prend sa source dans la souffrance (invisible de l’extérieur). Il est impératif de guérir cette souffrance en faisant preuve de compréhension et en atteignant le coeur de la personne.
Chaque être humain porte en lui un petit peu de Dieu.
Le conteur se fit interrompre un court instant. L’esprit lança une mélodie : « Agnus Dei » de Samuel Barber. L’effet neuropsychologique fut instantané. Un sentiment de joie s’empara de Norro. Le temps se figea. Tout fut paisible dans sa modeste cuisine. Quelques larmes s’échappèrent.
Abrazal
- Le ruisseau du bonheur !
Norro s’adonna de nouveau à son récit. Le chérubin, disciple favori de Cinquain, était un bon élève en maternelle et en primaire.
Les deux écoles étaient situées au coeur même de son quartier. Il apprenait le langage dans toutes ses dimensions, s’épanouissait à travers l’activité physique et artistique, structurait sa pensée ou encore explorait le monde. Solitaire, songe-creux et contemplateur, Kaïs aspirait à la quête du savoir.
Vers l’âge de neuf ans, alors qu’il se réjouissait d’entendre le singe d’or, un étranger était présent aux côtés de ses parents. Il entendit la conversation : « Al Khitân ! »
Présage d’une nuit noire.
Fiévreux et sous le choc, le poulbot s’apprêtait à dormir. Le lit était froid et presque humide.
Le patriarche refusa de mettre le chauffage et interdit l’eau chaude. Cinquain apparaissait enfin. C’était l’heure des explications. Le fiévreux Kaïs prit la parole :
- Tu m’avais dit que le prophète Ibrahim s’était circoncis alors qu’il avait quatre-vingts ans avec une pioche, c’est bien ça ?
D’une voix rassurante, le singe d’or répliqua :
- Une sagesse se trouve derrière la circoncision, Kaïs. Il s’agit de ta santé et d’éducation. Il est une règle d’or en éducation, c’est l’exemple et le modèle. Une règle qui, sous différentes formes, a été énoncée par les prophètes de tous les temps et de toutes les confessions ainsi que par les maîtres de toutes les philosophies éthiques de la vie.
Kaïs se demanda avec stupeur si son père allait utiliser la hache soigneusement rangée dans la buanderie. Cinquain remplaça la sinistre tapisserie de la chambre en un magnifique écran bleu foncé et des paysages de la mer avec une pleine lune. Encore un beau rêve.
Au réveil, l’exhortation divine était actée.
Ablation du prépuce à la clinique sous anesthésie générale. Sur le chemin du retour vers le foyer familial, la mère de Kaïs s’adressa à son mari en ces termes :
- Mais où est donc passée ta hache ?
Le chauffeur de taxi, regardant dans le rétroviseur intérieur, put lire sur les lèvres du jeune pubère : « Cheh ! » (Bien fait !) Il partagea un sourire complice, suivi d’un clin d’oeil. Une fête majeure fut organisée chez les Benchetouf, en l’honneur du pubescent. Des mets, du gazouz cola (boisson aux arômes naturels) et des sucreries de toutes sortes, attirèrent le voisinage. Les chants de Nass El Ghiwane, un groupe musical marocain, s’accompagnaient de cris à la limite de l’hystérie. L’adorable Kaïs s’ennuyait.
Bâillements et chagrin.
La vie faisant son oeuvre, il était encore possible de rêver dans la plénitude d’une joie certaine.
Entre les déviants et les asociaux de son quartier, au surplus des graves négligences de ses parents, (parents violents un jour, dégâts pour toujours), Kaïs devait faire face à un nouvel univers.
Le collège Michel De Swaen.
Situé dans le pire quartier de Dunkerque.
Comble d’ironie pour une école qui porte le nom d’un chirurgien bourgeois du temps du royaume de France. Le rectorat aurait été bien plus crédible en nommant cette enceinte « collège Antoine Cossu ». Tony l’Anguille, qui glissait hors des mains policières dans les années quatre-vingt. Ainsi, le foetus in utero devenait adolescent. Le passage vers l’inconnu. Kaïs se sentait seul face à ses interrogations sur l’amitié, les filles, l’avenir… la vie. Peu importe la matière, excepté le sport, les professeurs et la conseillère principale « Zora la Rousse » tombèrent sous le charme.
Le godelureau dégageait une rare puissance émotionnelle avec sa manière de parler. Un vrai séducteur sans artifice. Et en même temps, il avait cette rage de vivre tout comme cette envie de mourir. Dès les premières semaines, l’ensorcelant candide était aux côtés de Batchéva, une jeune fille plus âgée de confession juive, brillante élève en fin de cycle. Par le truchement de son excellente élocution et doté d’une surefficience mentale, Kaïs rafraîchissait le coeur de la frêle brune entre les murs du collège. Pour autant, cette vénusté aux yeux couleur miel portait en elle une douleur. Batchéva voyait son amoureux triste et sans cesse habité par le doute. La rupture demeurait inévitable. Kaïs se montra odieux et méconnaissable peu avant les vacances d’hiver.
Un désastre. Il s’affligea tant de douleur.
Tristesse et irritabilité au sortir d’une si belle passion. Passion simple et dévorante. La pauvre éprise bien-aimée éclata en sanglots.
Inconsolable et perdue, elle changea de collège en ne cessant de penser à son premier et unique amour. Chagrin d’amour ou accident, elle décéda quelques jours après leur désunion.
Pris d’une inhabituelle violence, Kaïs porta de nombreux coups à l’endroit de son professeur d’histoire. Conseil de discipline et exclusion définitive. Cinquain ne put le consoler.
Durant cinq nuits, l’insignifiante petite chambre devint le théâtre de la désolation.
D’un trait de fusain, Kaïs dessinait les yeux de sa « victime ». Des sublimes dessins d’une grande profondeur digne d’un Verrocchio ou De Vinci. Il portait le poids de la culpabilité. Noël apportait son lot d’espoir dans le quartier.
Festivités pour les uns, deuils pour les autres. Pas tout à fait un homme, plus tout à fait un enfant, l’amertume couvrait son coeur. Les sages et douces paroles du singe d’or n’avaient aucun effet. Bien au contraire, il fut congédié en usant de grossièreté bien involontaire. La coprolalie du béjaune mit fin aux visites nocturnes de son fidèle ami. Ami imaginaire ou réel ?
Kaïs murmurait de temps à autre :
- Tu n’existes pas, je te déteste, je hais ce monde, tu n’apparaissais que parce que je te craignais, ne reviens plus !
Hic ! Le hoquet revenait soudainement. Il lui prit l’envie de se confier à Tata Fatima.
Excellente idée. Pas de Noël chez Tata Fatima. De la chaleur et de l’amour sans sapin ni guirlande. Installé sur le sedari marocain, entouré de la grande tribu composée de six filles et quatre garçons, Kaïs proposa de réinventer les règles du scrabble.
S’amuser avec la phonétique arabe au lieu de se torturer l’esprit à déchiffrer la complexité des anagrammes. Une idée de génie. La frairie provoqua un raz-de-marée de bonheur sous les yeux de cette épatante tata. Une famille heureuse, tous enveloppés l’un dans l’autre.
Noël n’est pas une fête, c’est une émotion.
Toc ! Toc ! Dring ! La porte s’ouvrit en grand.
Ali, le cadet, cria à s’époumoner :
- C’est le père Noël !
En apparence, c’était bien la flamme géniale du ciel. En réalité, derrière le déguisement, il s’agissait de Thierry Boidin dit « Canard ».
Un malfrat du quartier ayant construit sa réputation sur le crime. Un criminel, tantôt sauvage et tantôt doux, venant en paix répandre la joie une fois par an. Un tantinet gênée, Tata Fatima finit par l’accueillir arborant même un délicat sourire. Complicité d’un soir. Un soir pas comme les autres.
Canard prit soin d’aller vers Kaïs en premier et d’une voix ténébreuse chuchota à son oreille :
- Tu sais K, dis-toi une chose, ta p’tite copine n’est pas vraiment morte, elle fait juste une halte là-haut et elle va revenir un jour avec le p’tit Jésus !
Il lui donna son cadeau et versa même une larme. Une larme chez un gangster, c’est ressembler au père Noël. Un beau cadeau avant de s’endormir. Un circuit de voiture électrique avec un garage à plusieurs niveaux.
Au dernier gâteau pris, une corne de gazelle imbibée de fleur d’oranger, avec un thé à la menthe, le père Noël fixa longuement Tata Fatima et juste avant de s’en aller prononça quelques mots :
- Fat ! La mauvaise faute peut me coûter la vie, je suis sur un gros coup et je ne suis pas sûr de revenir ! Prends soin de K, j’aime beaucoup ce gamin et il mérite d’être heureux, c’est pas un mauvais, allez j’y vais, ça me gratte cette barbe, bisous les p’tites canailles et sages, sinon je ne reviens pas l’année prochaine !
Quelques semaines plus tard, Thierry Boidin braqua une bijouterie à Anvers en Belgique.
Il tomba pour braquage avec arme et fut condamné à sept ans de prison. Destin tragique pour ce saint Canard.
Le reste des vacances fut sans joie portant ce même regard chargé de tristesse pour Kaïs.
Nouveau collège. Fénelon à Malo-les-Bains.
Un naufrage annoncé à la bonne fortune d’une mer agitée. D’emblée, le potache cogneur de professeurs n’était pas le bienvenu.
L’allure pataude annonciatrice de dysmorphies passagères et l’éloignement de son terrain propre, Kaïs n’arrivait plus à suivre les cours.
Absences et défiances envers le corps enseignant rythmaient ses journées. Un gâchis pour ce prodige dont les capacités intellectuelles étaient très largement supérieures à la moyenne. Il passa en cinquième de justesse. Ce fut la noyade après le naufrage. Réorientation sans consentement : CAP chaudronnerie navale au lycée Fernand-Léger à Coudekerque-Branche. Bien que passionné de bateau, l’apprenti candide n’était pas manuel. Il fallait se ressourcer avant la rentrée scolaire.
La mère nourricière ordonna à Kaïs de partir pour l’Algérie.
Charles Quint s’y est cassé les dents, des milliers d’Irlandais de Charles III y ont été mis en déroute et un revers terrible attendait de pied ferme le juvénile Dunkerquois sur la terre de ses ancêtres.
Alger, ville blanche, partir au bled, c’est traverser un miroir. Vous changez d’âme en un claquement de doigts. En plein coeur de la Casbah, les deux touristes sont inondés de baisers et reçus avec le plus grand soin. Une cousine, surnommée « la qahba blonde » (la pute blonde), avoisinant la trentaine, entreprit de servir de guide au beau gosse français. Elle était répugnante et vulgaire, agressant ses cheveux d’une teinte jaune. Le ramadan, neuvième mois du calendrier hégirien, approchait à grand pas. Période qui vise à purifier l’âme d’après les musulmans. Au troisième jour de jeûne sous un soleil accablant, Kaïs dormait paisiblement dans la chambre de la qahba blonde. La catin prétexta à sa proie de se doucher et l’emmena dans la salle de bains. Kaïs n’était plus qu’un moucheron de petite taille face à cette gigantesque araignée. Elle voyagea sur le cou avec sa langue et glissa peu à peu sa main sur le ventre.
Une sensation de souffrance et d’embarras s’emparait du petit être. Puis le drame.
L’inévitable fatum. De rasades profondes accompagnées d’ignobles caresses sur le corps du martyr dunkerquois, ce fut le coup de grâce.
Elle retira lentement le slip de sa proie, prit la verge et les deux testicules à pleine bouche.
Résolue à accomplir son crime jusqu’au bout, la qahba blonde pénétra l’anus de Kaïs avec l’auriculaire. Affamée et excitée, la bourrelle s’adonna sans compter.
Un deuil en France. Un viol en Algérie.
Il n’était plus qu’un être de souffrances entre les deux rives de la Méditerranée. Émotion violente. Blessures physiques et psychologiques pour seul bagage d’un affreux voyage. Apathie et sidération. Kaïs s’enfermait peu à peu et était dans une profonde anesthésie affective. L’adolescent plongeait dans la solitude de sa propre douleur. Une souffrance pesante qui broyait toutes les fibres de son être. Perdait-il la tête ?
Aucun membre de sa famille ne se préoccupait de son état. Aucun.
Quelques jours plus tard à Dunkerque… Le centre social du quartier organisait une sortie au cinéma : Le père Noël est une ordure de Jean-Marie Poiré. Kaïs avait apprécié de se faire une toile avec ses amis d’enfance. Un regain de forme avant le nouveau drame.
De retour sur les terres rudes du trafic en tout genre, une partie de foot était organisée par les « grands frères ». Une ombre et le désordre : un chien en liberté et des braillements.
Sax, le berger malinois fauve charbonné débordant de vitalité habituellement en compagnie de son maître, le dénommé « Phil d’O le mac », était comme perdu. Le bouillonnant Rachid, élément perturbateur dans les écoles et ingérable pour le juge des enfants, hurla :
- Sax, attaque !
Tandis que le ballon cessait d’être violenté par la rudesse des grands frères, Kaïs voulait en profiter pour faire des jonglages comme le Soulier d’or Paolo Rossi et se précipita vers la balle solitaire.
Initiative défavorable par excès en présence du clebs dans la lumière du jour.
Abrazal lança soudainement « Struggle for Pleasure » de Wim Mertens comme pour intensifier la sublime narration de Norro.
D’un rictus pâle et froid comme un diplomate, le récit se poursuivit en reprenant le mot « balle ».
La balle n’était plus aussi attractive que le petit gibier laissant entrevoir ses jambes avec le port d’un bermuda. Un aboiement, puis deux et le grognement du chien.
Signal d’alarme, synonyme d’agressivité. Le compte à rebours était enclenché.
Kaïs entendit : « Cours K, dépêche-toi ! »
Il fixa Sax d’une âme en peine. Pris au piège, la mâchoire du monstre broya le long chef du muscle biceps crural. Le sang de l’adolescent excita davantage le canidé. Kaïs sentait une atroce douleur et entendit une voix :
- Kaïs, c’est Cinquain, protège ton visage et reste sur le ventre !
Chimère ou présence réelle ? « Vérité en deçà, erreur au-delà. »
En guise de réponse et en désespoir de cause, il riposta d’un énigmatique :
- « Papa ! »
Un père désargenté, joueur invétéré aux courses hippiques et au poker, atrabilaire, distant, impétueux… Préjudice d’affection jusqu’au bout d’une enfance sans racine. Le procréateur était en route pour la maternité pour accueillir l’arrivée de la benjamine :
Kaïna.
Dévoré à la cuisse sous les yeux incrédules des gentilés, le Canis lupus familiaris tentait de mordre à la gorge. Il mit un coup de griffe au niveau de la sclérotique. L’oeil gauche saigna légèrement. Au même moment, Ali, le fils aîné de Tata Fatima, planta une énorme lame d’acier pour atteindre le ménisque médial du monstre. Fin du combat. Ni vainqueur, ni vaincu. Kaïs fut hélitreuillé et dirigé aux urgences à l’hôpital Calmette sur Lille. Pris en charge par le professeur Woilez. Il resta deux semaines. Lors de ce long séjour en neuro-ophtalmologie, une infirmière, dévouée et d’une éthique irréprochable, prodigua bien plus que des soins. Elle avait une manière d’être qui exprimait la sincérité avec un accent du Bosphore et ce doux parfum à l’essence de sauge sclarée. La dévouée Stambouliote entendit un beuglement du côté de la chambre 11. Un déchirement.
Kaïs n’était plus qu’un petit être brisé.
En quelques minutes, ce fut l’entente parfaite entre la soignante et le mutilé. L’adolescent ne faisait pas mystère de sa géhenne. Les tiroirs de l’ombre s’ouvraient pour la première fois.
L’écho de son calvaire s’entendait jusqu’au long couloir du vieux bâtiment de soins. Tout semblait s’accélérer en Kaïs adoptant une diction très nette empreinte de sincérité. Il ponctuait sa narration de « il » ou de « elle » pour désigner ses parents en dénonçant les châtiments corporels ou les réprimandes douloureuses. Il évoqua cette pauvreté et cette insécurité dans ce maudit quartier à Dunkerque.
Une douce senteur embaumait l’air de la chambre 11, lorsqu’il décrivait la défunte Batchéva. L’infirmière, amie d’une nuit de garde, entendit le ciel gronder de colère et au même moment Kaïs se mit à chanter en hébreu, un peu approximatif. Un chant sur le deuil.
Abrazal prit l’initiative de mettre One more night de Phil Collins : « Je t’en prie accorde-moi une nuit de plus, accorde-moi une nuit de plus. Une nuit de plus car je ne peux attendre éternellement… »
Demet, la soignante, aperçut une trace sur le pansement oculaire. Elle appela l’interne de garde pour lui mettre du collyre. Kaïs tint la main de cette brave infirmière sous les yeux amusés de l’interne. Le sigisbée, bien que souffrant et mi-enfant mi-adulte, avait réussi à enflammer le coeur de Demet. Elle ne cessa de parler de son noble patient à son époux au point de le rendre jaloux. Kaïs, doté d’un attrait singulier et mystérieux, détenait un pouvoir magique : ravir par sa grandeur d’âme au surplus d’une promptitude à manier les mots.
Le lendemain à l’heure du déjeuner, une visite inattendue.
Toc ! Toc ! L’amblyope Kaïs ne pouvait percevoir cette immense silhouette pénétrant dans la chambre 11.
- Bonjour mon fils, c’est Jean-Louis, tu vas mieux ?
Alon Benaziza dit « Jean-Louis », père de Batchéva, commerçant juif séfarade et réputé à Dunkerque comme étant le meilleur vendeur dans le nord de la France. Pris de sanglots et les mains tremblantes, il donna un tendre baiser sur le front de son « éternel fils ».
Entravé par des sangles aux poignets, Kaïs leva le doigt vers le ciel en prononçant quelques paroles déchirantes :
- Bat… Bat est l’arc-en-ciel de ma vie… Je la vois me colorier mes rêves… Batch… J’ai mal, Jean-Louis…
Le camelot prit soin de mettre ses doigts sur la bouche de l’adolescent avec des modulations émotionnelles dans sa voix. Il parla de Martine, son épouse et mère de Batchéva :
- Fils, je te demande pardon, j’étais aveuglé par mes vieux principes et sans doute ma crainte des Arabes, c’est Martine qui avait raison et je comprends mieux pourquoi elle t’aime autant, tu es un brave garçon et tu peux me considérer comme un père !
Il embrassa son « fils » en posant des cadeaux sur le lit, dont un album : Love Over Gold de Dire Straits. Le groupe préféré des deux céladons. L’hospitalisation dura deux semaines. Retour au bercail en présence du bébé Kaïna dormant paisiblement les poings fermés.
Il prenait désormais la place de petit two au sein de la fratrie.
Légèrement en retard, après la rentrée scolaire, le miraculé Kaïs découvrait l’immense édifice médiéval faisant foi de lycée professionnel : le lycée Fernand-Léger – section chaudronnerie navale. Derechef, ce fut à l’identique la même atmosphère tout aussi étouffante qu’au collège ou dans son quartier. Les lascars des zones urbaines sensibles étaient tous présents et aussi certains caïds de Grande-Synthe. Deux défis attendaient Kaïs ; vivre une liberté nouvelle et travailler seul avec rigueur dans un milieu hostile. Sa bravoure fut mise à l’épreuve sur un tout autre sujet ; sa première véritable bagarre. Le nouvel élève Benchetouf junior, car son frère était aussi dans le même bahut, n’avait pas encore deux semaines de scolarité lorsqu’il se rendit en cours de dessin industriel.