Quand le passé s’en mêle… - Maxime Sandrès - E-Book

Quand le passé s’en mêle… E-Book

Maxime Sandrès

0,0

Beschreibung

"Quand le passé s’en mêle…" est le récit d’une rencontre inattendue entre une libraire niçoise et une vieille demeure de l’arrière-pays. Emilie pensait répondre à une simple demande d’expertise de livres anciens. Mais derrière les murs du domaine, une découverte vient troubler l’équilibre. Lettres oubliées, pièces fermées, silences épais : ce qu’elle croyait connaître va peu à peu lui échapper. Et ce qu’elle va découvrir pourrait bien changer plus qu’une histoire de famille.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Spécialiste des ressources humaines, Maxime Sandrès est l’auteure de "La promesse d’un possible", paru en 2022 aux éditions Le Lys Bleu. Les liens familiaux, l’histoire de son pays et les élans du cœur sont autant de thèmes qui la touchent profondément et nourrissent son inspiration. C’est de cette sensibilité qu’est né le présent ouvrage.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 328

Veröffentlichungsjahr: 2025

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Maxime Sandrès

Quand le passé s’en mêle…

Roman

© Lys Bleu Éditions – Maxime Sandrès

ISBN : 979-10-422-7215-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Nounou qui savait, à Pilou qui me soutenait

À mes fils que j’aime tant

Puissiez-vous, toute votre vie,

conserver ce lien familial, plus fort que tout

Seuls, nous ne sommes rien

Ensemble, on est tout

La famille est un lien précieux qui nous rappelle que nous ne sommes jamais seuls dans ce monde.

Victor Hugo

Chapitre 1

Pâtes Carbo

Mardi. 14 heures. Température extérieure : trente-cinq degrés. Ressenti à l’intérieur : moins dix !

Quand je pense que j’ai insisté pour faire installer la climatisation dans toutes les pièces y compris le petit bureau du fond !

J’ai une fâcheuse tendance à être un peu têtue, et ce, même si le technicien m’a bien prévenu que nous risquions d’avoir froid. Me voilà désormais frigorifiée avec ma fierté…

C’est donc le nez gelé, les pieds ornés de chaussettes de Noël (oui celles en poils de moumoute, toutes douces et si réconfortantes), que j’observe inlassablement la rue.

Parfois les journées sont longues. Comme aujourd’hui, en plein mois de juillet, où la chaleur est donc au rendez-vous. Je m’imagine avec allégresse, à la plage, un bon coca glacé dans une main et l’autre occupée à tenir celle de mon amoureux.

Bon présentement, il y a deux soucis : D’un, je n’ai pas de vacances cette année et, de deux, pas d’amoureux non plus ! Cela simplifie donc déjà l’équation.

J’ai déjà passé trois fois l’aspirateur, relancé quelques fournisseurs, mis à jour nos réceptions du jour et j’en suis à mon quatrième thé à la cannelle.

J’ai en effet développé une adoration pour cette boisson depuis l’ouverture. Il faut dire qu’il a bien fallu que j’en sois la testeuse attitrée, vu que mon associée en a le dégoût.

Bref il est désormais 14 h 10, il n’y a personne dans les rues, et je suis seule dans ma librairie. Enfin je précise : notre café librairie.

Cela fait maintenant un an que nous l’avons ouvert. Ce rêve inespéré que je cachais au fond de moi et dont je n’avais parlé qu’à mon amoureux de l’époque.

Et puis, la vie nous réserve parfois de belles surprises : il aura en effet suffi d’une rencontre inopinée avec celle qui m’a redonné espoir sans le savoir, un retour aux sources pour cette dernière, des mois de recherches et d’études approfondies, des travaux et enfin l’ouverture en juillet 2022.

Le concept a toujours été simple et à notre image : un endroit cosy, fait de belles bibliothèques décorées avec goût et ornées de livres anciens comme nouveaux ; des fauteuils disséminés un peu partout et qui incitent à une pause et une contemplation desdits livres. Et puis, juste à côté, un café avec de jolies tables en rotin, embellies par une simple rose blanche sur chacune d’entre elles, et laissant la place à la lecture ou juste à la contemplation du lieu.

Depuis un an maintenant, nous avons trouvé un beau rythme de croisière. Nous avons développé notre café en proposant en plus des confiseries habituelles, des formules salades ou sandwich pour nos passionnés des pauses midi lecture. Il est agréable de voir que certains sont désormais coutumiers du fait et que ces moments suspendus sont réellement pour eux, des instants de pause et de délectation littéraire. Nous essayons, par ailleurs, de satisfaire au mieux nos habitués et de développer une nouvelle clientèle.

En véritable passionnée des réseaux sociaux, je mets un point d’honneur à animer avec attention, émotion et vivacité notre Instagram et notre Facebook.

Mais même aujourd’hui cela est déjà fait. Je regarde la météo de mon iPhone et je constate qu’ils ont prévu trente-cinq degrés pour toute la semaine. Il n’est donc pas étonnant que la librairie soit vide. Peut-être devrais-je préciser sur notre Instagram que notre climatisation fonctionne si bien que je mets parfois une polaire ?

Marie est en vacances. Pour la première fois depuis un an, elle s’est autorisée des congés.

Elle est partie avec Mathieu faire un périple dans les îles grecques. Je les envie, mais sans jalousie aucune. Bien qu’il soit mon ex !

Non, je rêve juste de ce bonheur d’être à deux, dans une eau turquoise, amoureux et libres de ne penser à rien.

Mais je m’égare encore dans mes pensées. J’hésite à ouvrir TikTok. Quand je commence, je ne sais plus m’arrêter. J’ai une passion : j’adore regarder les vidéos de cuisine. Et toute sorte de cuisine, je précise. De la Mama italienne qui hurle en faisant à manger, à ces cuisiniers amateurs qui testent de drôles de mélanges, mais aussi à ces femmes d’un autre temps qui cuisinent dans des abris de fortune ou au bord de l’eau… Essayer, c’est l’adopter ! Bref, une nouvelle addiction dans ma vie.

En fait, je réalise que je m’ennuie. Dans mon boulot, dans ma vie, dans mes amitiés, dans mes amours.

J’entends déjà la voix de Marie : « Dis donc tu ne nous couverais pas un petit work blues ? »

Cela nous est, en effet, déjà arrivé de ressentir cette lassitude après des mois à tout penser, organiser, anticiper, à tenter de trouver la bonne solution.

Depuis l’ouverture, nous essayons de nous astreindre à un rythme de vie plus calme, bien que nous aimions toutes les deux nos sorties apéros de fin de semaine.

Je suis de ces personnes qui aiment sans cesse la nouveauté, les défis, les renouveaux. En gros, il faut que cela bouge : au travail, mais aussi dans ma vie personnelle.

Mais je suis célibataire, cela n’aide donc pas à tromper ma solitude. J’ai rompu avec mon dernier copain en date : j’aimais plus sa voiture que sa présence. Donc j’ai fini par me résoudre à ne plus monter dans sa MG.

Notre relation avait pourtant bien commencé : une déclaration lors de mon anniversaire organisé par surprise par Mathieu, puis quelques rendez-vous plus tard, nous officialisions.

Le premier mois, il avait envoyé du lourd niveau sorties et surprises : restaurants à Monaco, nuits dans le var au sein d’une bulle à ciel ouvert, petit déjeuner sur la plage pour voir le lever du soleil…

Et puis, sitôt la phase de séduction passée, il s’était transformé en Papy du dimanche, sans envies, sauf celle de rester avachi dans le canapé en mangeant des pâtes carbonara !

Je ne pouvais plus voir en peinture ce plat. Mais, j’avais quand même persisté, il possédait tout de même de belles qualités : il était gentil, il était propriétaire d’une belle voiture, il était aussi très doux, il possédait une belle voiture (oui je l’ai déjà dit !) et puis cela nous faisait de belles soirées à quatre avec Marie et Mathieu.

Mais il fallait se rendre à l’évidence : je m’ennuyais.

Et me voilà donc en ce mardi du mois de juillet, gelée comme un jour de neige, avec ma polaire et mes idées noires…

Je pense à me faire encore un thé, quand le téléphone sonne pour la première fois depuis des heures…

Chapitre 2

La Comtesse

Je me précipite telle une furie, ce qui me vaudra certainement un bleu sur la hanche gauche en raison d’une table non évitée et un autre sur l’épaule droite, causé, lui, par la bibliothèque des romans étrangers.

Mais, cet appel est pour moi le Graal et j’en deviens déraisonnable. C’est en effet le premier depuis quelques jours et surtout, c’est la possibilité d’un événement inattendu qui va peut-être bouleverser ma quiétude ambiante. Je suis dans un état proche de l’hystérie et cela s’entend à la voix que je prends alors en décrochant : le ton empreint d’une politesse extrême à la limite de l’absurdité, le tout, essoufflée et criant dans le combiné.

Mais mon excès de zèle ne m’apporte rien, car c’est le silence qui me répond.

J’insiste. Une première fois gentiment. Ce n’est qu’à mon troisième : « Allo, il y a quelqu’un » que je réalise que je hurle dans le vide et que finalement je suis encore plus agacée que l’instant d’avant.

Je retourne à mon poste d’observation. Je checke un mail. Encore de ceux qui vous feraient acheter n’importe quoi sur ces plateformes chinoises.

Et puis de nouveau : le téléphone qui m’appelle !

Cette fois je ne suis plus polie. En effet, je suis de la team impatiente et il en faut peu pour me faire monter la boufaisse comme on dit chez nous.

À la place du Bonjour poli, voilà que je me retrouve à agresser directement mon interlocuteur par un « Allo » légèrement colérique.

Et pourtant, toujours, ce silence déchirant.

C’est alors qu’une petite voix raisonnable dans ma tête me dit que, peut-être, éventuellement, sur un malentendu, il s’agit d’une personne qui capte mal.

Alors je m’adresse à nouveau à mon interlocuteur mystérieux, en essayant d’être gentille :

« Bonjour, est-ce que vous m’entendez ? »

Le suspense est à son comble.

Et c’est là que j’entends un léger souffle. Je repose alors ma question et cette fois, c’est un petit bonjour qui résonne enfin à mes oreilles.

Pensant parler à un enfant, j’opte pour le même ton de voix :

— Bonjour, comment puis-je t’aider mon enfant ? (Certes, cela fait très grand-mère du petit chaperon rouge, mais que voulez-vous, chacun ses classiques !)

Et ce n’est pas un enfant qui me répond, mais bien la voix assurée d’une vieille dame.

— Ah, non chère madame, vous vous adressez à la Comtesse de Lapiloutière.

Je marque néanmoins un temps d’arrêt : la Comtesse de quoi ?

Pensant toujours à une blague, j’opte pour une réponse simple et directe :

— Très bien et c’est pour quoi ?

— Chère madame, cela fait près d’une heure que je suis à côté de mon téléphone à essayer d’oser vous appeler, alors s’il vous plaît soyez indulgente.

La voix semble tremblante. L’émotion est palpable. Je commence à comprendre que, finalement, ce n’est peut-être pas une mauvaise blague.

Je m’installe alors plus confortablement, curieuse de cette façon de parler et ne sachant même pas que le titre de Comtesse existe encore en 2023.

— Je vous écoute Madame ou devrais-je dire Madame la Comtesse ? (À ce moment-là, j’ai l’impression de me retrouver dans le film Angélique Marquise des Anges.)

— Merci chère madame. Je suis en effet Comtesse, mais ce n’est qu’un titre que je dois à mon défunt père. Mais nous ne sommes pas là pour parler de cela.

J’ai surtout hérité d’un domaine il y a quinze ans, d’une parente que je ne connaissais pas hélas. Celui-ci se trouve dans l’arrière-pays niçois vers Tourette-Levens si vous connaissez.

Bref, je n’ai pas eu le courage d’aller y habiter jusqu’à il y a quelques années. Nous résidions avec mon époux, vers Lille depuis toujours. Et puis j’ai réalisé que j’approche des quatre-vingts ans et l’idée d’une retraite dans la fraîcheur de l’arrière-pays du sud de la France me tentait. Enfin ce fut surtout mon mari qui a insisté, lui qui possédait alors un argument de taille : le soleil que nous verrions bien plus souvent que dans notre petit bourg.

Nous avons donc effectué quelques travaux et nous y habitons depuis trois ans.

Le domaine est grand et je n’ai fait rénover que le rez-de-chaussée facilement accessible pour nous deux.

Ma petite fille est en vacances chez nous depuis une semaine. Elle a vingt ans et elle se passionne pour les vieilles bâtisses. Je l’ai donc autorisée à explorer les étages supérieurs.

À ce moment-là de l’histoire, je me suis installée dans mon fauteuil préféré près de l’étagère des romans de Danielle Steel. C’est un vieux fauteuil en cuir noir qui appartenait aux parents de Marie. Nous l’avions découvert le jour de leur crémaillère un mois plus tôt. Ils l’avaient laissé ostensiblement près des poubelles. J’avais vu là une mine d’or et surtout un fauteuil comme on en faisait plus.

Depuis je l’avais nourri, épousseté et j’avais l’occasion d’y déposer mes honorables fesses un nombre incalculable de fois dans la journée.

Bref, j’étais donc dans mon trône, mais assez désarçonnée par le monologue dynamique et rapide de cette vieille dame.

Je ne la connaissais pas et voilà qu’elle me racontait sa vie. Pour le moment, je ne voyais pas où elle voulait en venir. Peut-être me prenait-elle pour sa psychologue ?

Mais comme je m’ennuyais alors, et que ce titre de Comtesse m’intriguait, je restais silencieuse et j’attendais la suite :

— Elle est revenue il y a deux jours avec un sourire magnifique sur son petit visage cabossé. Il est nécessaire que vous sachiez que ma petite fille a eu un accident de voiture avec ses parents plus jeune et elle en a malheureusement gardé une grosse cicatrice sur sa joue droite.

Tout cela pour vous dire que je ne l’avais pas vue si souriante depuis longtemps.

À sa main, un livre. Et puis cette phrase : Mamou, j’ai trouvé un trésor.

Et, en effet, deux étages plus hauts, derrière ce que l’on pensait être une armoire, elle avait trouvé une porte magique : l’accès à une bibliothèque majestueuse.

À cet instant, je ne suis plus vraiment assise, mais plutôt debout sur le fauteuil. J’écoute avec avidité cette histoire passionnante. J’attends donc la suite, mais elle ne vient pas. Seul le silence assourdissant résonne tout à coup à mes oreilles. La communication a été coupée… et ma curiosité n’a jamais été aussi forte !

Chapitre 3

Prenons le thé

Comment décrire alors l’état dans lequel je me trouve ? Elle vient de m’annoncer ce que je rêve de découvrir depuis des années. Et puis le néant !

Mais je veux la suite, là maintenant tout de suite. Je trépigne, je râle après le téléphone de la boutique, que j’ai voulu rétro et qui donc n’affiche pas les numéros.

Et puis enfin la sonnerie se fait entendre à nouveau. Je décroche tout de suite.

— Je vous avais perdu… Est alors la seule phrase que je trouve à dire, le ton si triste.

— Oui désolée chère madame, une fausse manipulation de ma part.

Je ne la laisse même pas terminer ses explications. J’embraye déjà sur ce qui m’intéresse le plus d’une voix légèrement vive :

— Donc vous avez trouvé une bibliothèque. Mais c’est-à-dire ? Elle est comment ? Une seule colonne ? Quelques livres rangés dans un meuble ?

— Non, Madame, vous ne m’avez pas bien compris. Nous avons là des pans entiers de murs remplis de livres. Et des vieux ouvrages, si je puis dire. De vieilles éditions de Zola, ou encore de Maupassant par exemple.

C’en est trop pour moi. Je suis au bord de l’évanouissement (non il n’y a jamais d’exagération de ma part !) La passionnée des livres, que dis-je la folle des vieux ouvrages, se met à parler plus fort et avec une exaltation certainement abusive.

— Mais c’est fabuleux. J’adore les vieux livres, leurs odeurs, leurs histoires, leurs majestuosités, leurs…

Mais elle ose me couper la parole :

— Je me dois de calmer vos idées chère madame. La majorité a pris l’humidité et je ne sais pas s’ils sont lisibles.

Mais j’aimerais les faire expertiser. J’ai vu votre publicité dans le Nice-Matin il y a quelques jours. J’ai mis deux jours à me décider à vous appeler. Parce que vous comprenez, je ne suis pas sûre d’être prête à recevoir des inconnus chez moi, à ce que l’on fouille et que l’on dérange notre belle tranquillité campagnarde.

À mon tour, je l’interromps :

— Madame, je ne suis pas une experte. Juste une passionnée des livres. Et sachez que ce n’est pas une foule de personnes qui risque de débarquer, mais juste moi (et ma folie devrais-je ajouter).

Je l’entends rire gentiment avant de répliquer :

— J’apprécie votre enthousiasme Chère Madame. Mais ce que j’aimerais, c’est que l’on me dise si ces livres peuvent être exploitables, si certains peuvent encore être utilisés ou s’il faut que je les jette. Ma petite fille tenait à ce que je vous appelle avant d’embêter les encombrants. Alors je me suis laissé tenter.

Mais je me dois d’être honnête : je cherche juste à faire plaisir à ma petite Fanny. Je ne compte pas payer pour que l’on vienne me dire que finalement tous les livres sont bons à jeter. Je cherche une bonne âme charitable qui veuille bien nous aider, nous conseiller et éventuellement nous en débarrasser.

Cela a au moins le mérite d’être clair. Même si je ne suis pas Mère Teresa, je comprends le fond de sa pensée et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons rédigé notre publicité en ce sens :

« Nouvelle librairie à Nice. Récupère gratuitement tous les vieux livres qu’ils soient abîmés, déchirés ou très mal en point. À la place nous en prendrons soin, les réparerons peut-être et leur donnerons une nouvelle vie ».

C’est une idée que j’avais eue quand Marie était allée récupérer tous ses livres d’adolescentes et de jeune adulte, disposés alors dans l’entrepôt que ses parents avaient loué le temps que leur maison soit terminée.

J’avais alors réalisé que tout le monde ou presque dispose de vieux livres. Certains les donnent à des œuvres caritatives. D’autres les jettent. Et beaucoup ne savent finalement pas quoi en faire.

Nous, nous venions gratuitement les chercher, curieuses de voir les pépites que nous y trouverions et bien sûr dans l’espoir de pouvoir en revendre certains. Je n’avais pour le moment que récupéré des livres de connaissances. C’était la première fois que l’on me conviait à un vrai déplacement. Mais quelle aventure pour moi, la folle d’Indiana Jones et des secrets perdus.

C’est la raison pour laquelle, je lui réponds aussitôt d’un ton plus qu’enjoué :

— Chère Comtesse, je suis votre bonne âme charitable. Quand puis-je venir vous voir ?

Certes, elle vient de me dire qu’elle a mis deux jours à m’appeler et voilà que je la presse. Mais mon impatience est grandissante. Je sens que je viens de recevoir aujourd’hui l’appel que j’espérais sans trop y croire.

Je l’entends de l’autre côté du téléphone chuchoter :

— Elle veut venir. Je fais quoi ?

C’est finalement la voix d’une jeune fille qui me répond :

— Vous venez quand vous voulez. Je vous assure, Madame, j’ai découvert là un trésor.

Il ne m’en fallait pas plus.

— Écoutez je n’ai personne aujourd’hui à la librairie. Je ferme et le temps d’arriver je peux être chez vous pour 16 heures.

— Parfait, nous vous attendons pour le thé.

Je prends le temps d’écrire leur adresse et je raccroche, le moral au paroxysme du bonheur.

C’est en rangeant au mieux mes affaires que je repense à cette fin de discussion : non seulement le titre de Comtesse existe toujours, mais le mythe est vrai : les gens de la noblesse aiment prendre le thé à 16 heures.

Je souris tout en sentant l’état d’agitation de mon cœur, qui comme il ne l’a pas fait depuis bien longtemps, bat à nouveau d’une cadence infernale.

À moi le trésor…

Chapitre 4

La folle, la stylée et la Ingalls

Cela fait bien longtemps que je n’ai plus emprunté ces routes sinueuses de l’arrière-pays niçois. Je refoule mes souvenirs et je suis consciencieusement l’itinéraire de mon cher Waze, qui vient de m’annoncer que l’adresse désirée était inaccessible en voiture…

Me voilà donc partie à l’aventure comme je l’aime. Vers la promesse d’un possible ?

Ou peut-être plus d’une nouvelle folie ?

Je pense alors à Marie qui m’aurait certainement conseillé d’y aller accompagnée. Je l’imagine très bien me dire les mots suivants :

— On ne sait jamais Emilie. Imagine, c’est un tueur en série qui t’attire chez lui.

Je souris, mais finalement je me fais peur en même temps.

Et puis je pense à nouveau à la voix fatiguée de la fameuse Comtesse, à celle de sa petite fille qui m’a donné envie à moi aussi de trouver le trésor.

Il va falloir que j’arrête de trop fréquenter Marie, elle est en train de déteindre sur ma positivité ambiante (même si j’admets que parfois [souvent] elle a raison).

Mais je préfère observer le paysage qui défile, cette luxuriante végétation propre aux Alpes-Maritimes. Des petites maisons apparaissent ici et là. Certaines portent une frise caractéristique du sud de la France sur leur façade. Beaucoup sont parées de volets bleus. Mais ce que je remarque surtout, c’est la présence de fleurs à profusion aux terrasses, éclatantes de santé malgré l’état de sécheresse.

La chaleur est toujours au rendez-vous, mais plus j’avance et plus j’ai l’impression de mieux respirer. J’aperçois des chevaux et même une vache et je réalise que j’ai quitté Nice et ses immeubles il y a à peine dix minutes. Le bonheur de vivre sur la Côte d’Azur et de pouvoir passer de la mer à la campagne en si peu de temps…

J’arrive enfin dans le village de Tourette-Levens. Tout est joli, bien entretenu et si calme.

Il n’y a personne sur la route et c’est alors que mon cher Waze m’indique que je dois me garer pour accéder à la maison. Celle-ci semble en effet être accessible par un joli sentier composé de petits gravillons.

Je sens mon cœur s’accélérer, mes mains tremblent et je ressens ce petit coup de pression excitant, comme lorsque l’on se rend à un premier rendez-vous amoureux. Mais ce n’est pas mon prince charmant qui m’attend, mais vraisemblablement une Comtesse d’un âge mûr et sa petite fille qui pense avoir trouvé un bien précieux.

Et là je réalise : je viens de fermer la librairie à la suite de l’appel d’une inconnue, sans vérifier mes sources. J’ai roulé pendant trente minutes pour atterrir face à des maisons qui doivent avoir plus de cent ans.

Oui parce que même si je réalise mon hérésie, j’avance sur le fameux sentier.

Plus je m’approche sensiblement du point d’arrivée et plus les maisons se ressemblent.

J’arrive enfin devant le numéro 27. Un portail en fer forgé se dresse majestueusement.

J’aperçois une longue allée qui semble mener à la demeure. Oui, moi aussi je sais employer des termes de la noblesse.

Mais le souci c’est que ce beau portail est fermé et que je n’aperçois pas de sonnette ou de clochette. Et je me rends compte une fois encore de mon erreur due à mon empressement : si j’ai bien noté leur adresse, à aucun moment je n’ai demandé leur numéro de téléphone.

C’est alors qu’apparaît de nulle part une jeune femme à vélo.

Elle semble sortie tout droit d’un magazine de mode que Rose, la sœur de Marie, adore parcourir. Généreusement, elle nous les prête une fois qu’elle les a lus, même si je me sens souvent en décalage total avec les modèles présentés.

J’ai donc face à moi une charmante dame, vêtue d’une salopette rose fuchsia, sabots au pied et chapeau assorti. L’ensemble est joli certes, mais quelque peu décousu par rapport à l’ambiance campagnarde que l’on ressent alors.

Elle s’arrête gentiment et je me permets de lui demander si elle connaît la Comtesse.

Sa réponse ne se fait pas attendre :

— Oh, ma pauvre, vous avez rendez-vous avec cette folle ?

Me voilà donc bien rassurée et sereine !

Je ne peux alors m’empêcher de penser à Marie me sermonnant avec un de ses célèbres : je t’avais prévenue et je décide de comprendre pourquoi elle la nomme ainsi.

— Vous la connaissez donc bien ?

— C’est peu dire. C’est une de mes voisines, j’habite un peu plus bas. Je ne la vois jamais, sauf quand elle vient râler. Elle ne supporte rien : du bruit de mes poules qui pondent, aux aboiements de mes chiens et au coassement des grenouilles qu’elle accuse d’être uniquement sur ma propriété, car j’ai une mare.

Bien, bien, bien. C’est donc une légère hystérique qui m’a conviée à venir chez elle.

Enfin convier est un grand mot. Ne me suis-je pas invitée et imposée ?

Je n’ai pas envie de raconter mon histoire à cette jeune femme stylée.

Je lui demande simplement si elle sait comment leur portail s’ouvre.

C’est alors que je la vois passer sa main derrière une colonne du portail et appuyer sur une sonnette… qui émet le cri désespéré du coucou.

— J’ai passé ici toute ma jeunesse. C’était alors un autre univers et surtout le portail était lui toujours ouvert, accueillant, comme pour signifier que nous étions toujours les bienvenus. C’est un petit village ici. Nous nous connaissons tous, mais les liens du voisinage deviennent compliqués. Bref, c’est un autre sujet, tout cela. Je file avant que quiconque n’apparaisse. Et bon courage surtout !

Elle me regarde avec compassion et je la vois repartir bien plus vite qu’elle n’est arrivée.

Me voilà donc derrière cet imposant portail à attendre la Comtesse au caractère bien trempé, la peur au ventre et comme l’impression de faire une grosse bêtise.

Mais finalement au bout de cinq minutes, c’est une jeune fille en jupe à fleurs qui vient m’ouvrir avec un grand sourire.

— Vous voilà enfin, Mamou s’impatientait.

Dois-je entendre à cette première phrase que la fameuse Mamou est déjà en colère ?

Je souris d’un air contrit, ce qu’elle remarque immédiatement et elle tente alors de me rassurer :

— Ne vous fiez pas à son ton vindicatif ni à son visage fermé. C’est une dame formidable, qui a vécu de grandes et belles choses dans sa vie, dont certaines ne l’ont pas laissé indemne. Elle peut faire peur, mais promis, elle ne mord pas.

Et alors qu’elle se met à rire, j’hésite à partir comme une folle en courant. Et si finalement, la Mamou était une tueuse en série et que la jeune fille qui ressemble à Laura Ingalls était un leurre pour mieux m’appâter ? (Note à moi-même : arrêter de regarder les reportages de tueurs en série à des heures impossibles la nuit !)

Mais à cet instant, elle me regarde gentiment et je la vois me montrer la maison plus loin.

— Elle vous attend. Suivez-moi.

Alors je prends mon courage avec moi, je me souviens de la raison de ma présence et tandis que nous marchons le long de cette large allée, j’observe la verdure autour de moi.

Le jardin est magnifique. Plus j’avance et plus je découvre des rangées de lauriers plus roses les uns que les autres. Il y a aussi des oliviers, des ficus et des pittosporums.

Les odeurs sont sucrées et mielleuses. Cela me rassure un peu et surtout cela me ramène à des souvenirs d’enfance alors oubliés.

Laura Ingalls m’observe elle aussi. Je réalise que je ne lui ai pas vraiment dit bonjour et que je n’ai pas été des plus agréables.

Pourtant elle se tourne vers moi et elle me sourit. Et c’est alors que je l’aperçois : la fameuse cicatrice dont m’a parlé sa grand-mère. Je sais que je ne devrais pas la fixer ainsi, mais c’est plus fort que moi. Je ressens de la peine pour elle, en même temps qu’un certain étonnement : comment peut-on laisser une telle marque avec toutes les techniques esthétiques modernes ?

Bien sûr, elle s’aperçoit de mon regard insistant et son sourire laisse place à une inquiétude sur son visage si juvénile.

Je ne voulais pas la blesser, mais il est difficile de ne pas remarquer cette affreuse trace qui a certainement rougi du fait de la chaleur et du soleil si chaud.

Je réalise que je suis la pire des invités et je m’apprête à m’en excuser, quand j’entends alors une voix terrible :

— Vous souhaitez peut-être vous installer au soleil pour bronzer ? Ou vous allez enfin vous décider à venir me saluer ?

À cet instant, je ne pense plus à ma maladresse d’il y a quelques minutes. J’ai surtout l’impression d’avoir été convoquée par la proviseure du collège. Et j’ai peur…

Chapitre 5

Une citronnade s’il vous plaît

Elle se tient debout, bien droite et fière, tout en haut d’un immense escalier, qui ressemble fort à celui du Titanic, mais composé de vieilles pierres. J’ai toujours rêvé d’avoir un escalier ainsi dans ma maison. Pour le descendre, avec ma plus belle robe tandis que mon chevalier servant m’attendrait en bas des marches, d’un air contemplatif, les yeux obnubilés par ma beauté, bien évidemment.

Oui tout à fait, comme dans les films à l’américaine quand les jeunes adolescentes vont à leur bal de promo. Bon bien sûr il y a certains inconvénients : j’ai dépassé l’âge des bals de promos et je vis en France. Or, ce concept de boom de fin d’année n’existait pas hélas à mon époque.

Toutes ces rêveries pour dire, que grâce à mon imagination débordante, je suis déjà emportée vers un monde merveilleux, fait de princes charmants et de robes enchantées.

Cependant, la Comtesse qui m’attend tout en haut, ressemble plus à la méchante sorcière de Blanche Neige et arbore un air quelque peu agacé, ce qui a le don de me ramener à la réalité de l’instant.

Mais je décide de ne pas me laisser impressionner. Je souris malgré moi, tout en me souvenant des paroles de mon père lorsque j’étais enfant : souris et le monde te sourira en retour.

Apparemment le monde, ce n’est pas la Comtesse.

Tandis que je m’approche, elle me dévisage des pieds à la tête. J’ai l’impression d’être soumise à un examen de passage et bien évidemment je me sens minable alors que ma robe Bash est neuve et mes sandales toutes brillantes.

Sa moue agacée n’évolue pas d’un iota et je l’entends soupirer un petit :

— Ça fera l’affaire.

Puis elle me tourne le dos, sans m’adresser alors la parole. Je pense donc que c’est une invitation à la suivre… Quelle erreur de débutante !

En effet, dès qu’elle sent ma présence derrière elle, la voilà qui s’écrit :

— Qui vous a autorisé à entrer chez moi ?

Je sens que cette visite va être bien plus compliquée que prévu. Et je la laisse s’éloigner et entrer ainsi seule dans la maison.

Je regarde en direction du jardin où sa petite fille m’observe. Son visage quelque peu déformé esquisse un sourire moqueur, mais gentil. Cependant, je la vois se diriger vers la verdure en contrebas et elle me laisse seule ici. Je vais donc devoir me débrouiller par moi-même. Bon après tout je suis une grande fille, mais je suis surtout en plein questionnement :

Que dois-je faire alors ? Rester ? Partir ? Attendre ?

Heureusement pour moi, très vite, j’aperçois une jeune femme venir vers moi. Elle est si bien habillée que j’ai l’impression qu’elle sort d’un dîner d’affaires. Elle se présente alors :

— Bonjour, je suis Clémence la gouvernante. Hortense m’a demandé de vous faire entrer au petit salon.

Et là c’est comme si j’étais transportée dans Dowton Abbey, série que j’ai dévorée et adorée.

Au passage, j’ai également appris le prénom de mon hôtesse.

Je la suis donc, dans ce qu’elle appelle le petit salon, qui n’est autre qu’une pièce qui doit mesurer au moins cent mètres carrés. J’ai la sensation d’être dans une autre dimension. Tout est exactement comme dans les livres d’époque que je dévore, mais la pièce face à moi est désormais quasiment vide.

La gouvernante me demande d’attendre ici et je me perds alors dans l’admiration de chaque recoin de cette pièce. J’aperçois une grande cheminée tout au fond, ainsi qu’un tableau posé juste au-dessus et qui semble représenter une scène de chasse.

Sur le côté droit, j’identifie ce qui a dû être un canapé en satin, mais il est bâché.

L’ensemble est triste et pourtant je me surprends à imaginer cet endroit lors de ses années fastes.

Tout devait être dans des tons chaleureux : des tables magnifiques pour poser des verres et des mets délicieux ; des canapés tous plus confortables les uns que les autres, disposés partout afin d’accueillir les dames fatiguées d’être debout et de sourire pour la bienséance.

J’imagine une bibliothèque de l’autre côté de la pièce, des bougies disposées avec délicatesse, et un piano à queue qui prend toute sa place et sa splendeur dans un si bel espace.

Alors que je suis encore en pleine contemplation, j’aperçois la jeune Laura Ingalls, toute souriante, revenant du jardin, et dans ses bras, un bouquet de roses. Elle m’explique alors :

— Mamou ne supporte pas que je les cueille et pourtant elles embellissent tant ces lieux laissés à l’abandon. Je vais chercher un vase et je reviens.

Je me retrouve à nouveau seule dans cette grande pièce qui me fascine. Mais à peine ai-je le temps de lever les yeux afin de voir les belles moulures du plafond, qu’une nouvelle voix se fait entendre :

— Vous souhaitez boire un thé ? Une citronnade faite maison ? Un soda ?

C’est Clémence la gouvernante qui revient désormais.

Même les propositions de boissons datent d’un autre temps. Mais j’aime cela, je me laisse porter et j’opte pour la citronnade.

Au même moment, Fanny revient, ravie de son bouquet qu’elle pose sur la cheminée.

Elle s’avance vers moi, toujours si souriante.

— Mamou arrive. Elle est allée s’habiller pour votre future visite, se sent-elle apparemment obligée de me préciser.

Ma patience légendaire est mise à rude épreuve.

Pourquoi se changer précisément maintenant, alors que ma venue était prévue et qu’à la suite de son accueil des plus stricte, j’ai l’impression d’avoir été attendue avec ferveur et impatience ?

Et puis pourquoi désire-t-elle changer d’accoutrement spécialement pour moi ?

Finalement, elle apparaît dix minutes plus tard alors que je suis en train de boire ma citronnade fraîche, tout en discutant avec sa petite fille.

J’ai appris de cette dernière qu’elle passe les meilleures vacances de sa vie et qu’elle voue une profonde admiration pour cette vieille dame. Je laisse de côté mes interrogations à la suite de ces révélations bien étranges, compte tenu de la fameuse dame, car je suis hébétée face à son accoutrement.

La Comtesse a en effet revêtu un habit qui ressemble à un pyjama. Je la trouve ridicule, mais à ce stade je n’ose plus rien dire.

Finalement c’est elle qui s’explique :

— Les salles ici sont pleines de poussières. J’ai préféré revêtir mon jogging.

Donc cet accoutrement est un jogging. J’ai soudain envie de rire. Je pense qu’à ce stade ce sont mes nerfs qui lâchent.

Et puis enfin, j’entends les mots divins :

— Nous y allons chère Madame ?

Je la suis alors, les jambes tremblantes, la bouche sèche. Toute envie de rire a disparu.

Je me réjouis tout en restant sur la retenue.

Et si finalement il n’en était rien ? Si derrière cette porte cachée, ce n’était que quelques livres égarés au fil du temps et pas vraiment une bibliothèque telle que je la rêve et l’espère ?

Nous montons doucement le petit escalier étroit. Un vieux tapis rouge rend nos pas moelleux et silencieux. La Comtesse me précède, elle va à son rythme et je dois avouer que cela me convient parfaitement.

J’ai le temps d’observer cet endroit qui a dû être, lui aussi, si féerique et royal.

Enfin arrivées au deuxième étage, elle s’arrête essoufflée. Je la laisse se remettre de notre ascension, car je suis moi-même épuisée.

Entre le sport du mois que je viens de faire et l’empressement que je ressens, mes émotions me jouent des tours.

Fanny est derrière moi. Elle sourit toujours, mais je ressens également son impatience.

La Comtesse se tourne enfin vers moi. Est-ce moi ou vient-elle d’esquisser un semblant de sourire ?

— Vous êtes prête ?

C’est qu’elle a l’art du suspense, cette Hortense… Et le pire : j’adhère totalement !

Chapitre 6

Histoire éternelle

Fanny me pousse alors, afin d’être la première à entrer. Elle s’approche de sa grand-mère, lui murmure quelques mots au creux de l’oreille et celle que j’avais cru si psychorigide jusqu’alors, s’efface et la laisse devant la porte.

— Je me permets d’entrer la première. Après tout il s’agit de ma découverte, me glisse-t-elle alors, les yeux malicieux et le sourire espiègle.

À ce stade, je ne sais plus quelle attitude opter. Je ne suis que la spectatrice d’une pièce de théâtre qui semble se jouer devant moi. Je suis prise dans l’intrigue et j’ai hâte qu’elle avance.

Fanny ouvre enfin la porte, mais je ne distingue rien d’autre que l’obscurité. Une vieille odeur de renfermé s’invite également à mes narines.

La Comtesse se tient toujours en retrait, les lèvres pincées et le regard quelque peu désabusé.

— Venez, me dit enfin Fanny.

Et j’entre alors vers ce fameux trésor qu’elle a débusqué et qui m’a fait quelque peu perdre le contrôle de moi-même !

Comment pourrais-je décrire précisément ce que j’aperçois à ce moment-là ?

Je pense alors à la si belle bibliothèque que l’on distingue dans le dessin animé et même le film « la belle et la bête ».

Or, dans cette pièce humide, c’est exactement tout le contraire !

Je me retrouve certes face à des tonnes de livres, mais ceux-ci sont étalés de partout dans une pièce immense, sans ordre, sans rangement précis.

Il y a en effet une énorme bibliothèque comme de celles que j’aime à imaginer dans des demeures similaires, et même des étagères sur lesquelles certains ouvrages paraissent encore bien rangés. Mais la majorité s’étale par terre. Beaucoup sont tachés, éventrés, certainement rongés par des locataires à dents longues.

Fanny est au centre. Elle étincelle tant par son sourire que par la brillance de ses yeux.

Elle me regarde intensément et je sais qu’elle attend mon avis, qu’elle souhaite que moi aussi je brille par mon enthousiaste. Mais à cet instant, j’ai l’impression d’avoir perdu ma voix.

Pourtant, les œuvres promises sont bien présentes. Mais le désordre est tel, que la magie du lieu a disparu, laissant place à un capharnaüm bien visible, une odeur désagréable et une poussière qui nous fait éternuer à tour de rôle.

La Comtesse se matérialise enfin. Elle me regarde sincèrement, et elle réalise ma déception.

Fanny est enjouée, marche dans tous les sens, me ramène un vieil exemplaire de Bel Ami, un autre des Semailles et des moissons.

Mais l’état des livres me donne littéralement envie de pleurer.

La Comtesse me touche délicatement le bras, elle a certainement compris mon état vu mon mutisme et elle m’invite à redescendre.

Je la suis bêtement, déçue et totalement perdue. Mais pourquoi ai-je accepté ce déplacement sans m’être renseignée avant ?

Il y a cinq minutes à peine, j’étais dans l’état d’un enfant la veille de Noël et désormais je ressens la déception de celle qui a reçu un jouet à la place de celui tant désiré.