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Marie, jeune niçoise de 31 ans, prend le large et quitte sa ville natale pour s’installer à Paris. Femme active et toujours enjouée, elle cache des failles qu’elle refuse de s’avouer. Bien qu’essayant de maintenir la tête hors de l’eau, une douloureuse décision l’amène à rentrer à Nice pour quelques jours. Dans l'espoir d'y trouver une issue de secours, elle finit par se découvrir grâce à des retrouvailles impromptues. Que lui réserve ce séjour ?
À PROPOS DE L'AUTEURE
Spécialiste des ressources humaines,
Maxime Sandrès publie régulièrement sur son blog de maman. Dans
La promesse d’un possible, elle nous propose un voyage rempli de passion, d’humour et de suspens.
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Seitenzahl: 378
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Maxime Sandrès
La promesse d’un possible
Roman
© Lys Bleu Éditions – Maxime Sandrès
ISBN : 979-10-377-2989-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mes fils
À mon mari
À ma famille
Puissiez-vous toujours puiser en vous la force de croire en la possibilité d’accomplir vos rêves…
Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait.
Mark Twain
Je m’appelle Marie.
Oui, comme la vierge, mais je n’ai d’elle que le prénom…
Cela fait trente-et-un ans que l’on me charrie souvent avec celui-ci. Avec le temps, j’ai appris à déjouer les rigolos qui aiment me nommer La Sainte ou encore l’Immaculée Conception.
Je vis à Paris depuis six ans. Un petit appartement dans le 15e. Il est minuscule, mais je m’y sens si bien.
Mes voisins, Marcel et Josiane, sont devenus mes grands-parents de substitution. Ils s’aiment depuis plus de quarante ans. N’ayant pas les moyens d’acheter ailleurs et plus grand, ils vivent entre deux étages. Au premier se situe le studio qui abrite leur salon et cuisine. Et au deuxième, sur le même palier que moi, c’est leur grande chambre.
J’ai mis du temps à comprendre leur drôle d’aménagement. Quand je suis arrivée dans l’immeuble, je me suis vite rendu compte que leurs portes étaient constamment entrouvertes. Je les entendais monter et descendre. Je me suis même demandé s’il n’y avait pas un trafic de déambulateurs là-dessous…
Et puis un jour, j’ai osé leur parler. Ils m’ont accueillie à bras ouverts, autour d’un canapé datant certainement du début du XXe siècle, mais si moelleux que j’ai toujours du mal à m’en extraire. Dès le premier thé, j’ai eu droit à un service digne d’une reine : tasses et assiettes en porcelaine qu’ils avaient eues en cadeau de mariage, petits fours tout chauds et faits maison. Nous avons discuté pendant des heures, dans ce petit studio aménagé au gré de leurs trouvailles dans des brocantes et dans lequel, avec le temps, nous pouvions à peine nous déplacer. Et pourtant, l’ensemble est si douillet et agréable que je ne m’en lasse jamais.
Leur appartement sur deux étages, c’est leur petit luxe : le luxe de pouvoir monter et descendre tous les jours un escalier lustré par un gardien ; le luxe de les dévaler en pyjama tandis qu’ils croisent le voisin du 4e en costume trois-pièces ; le luxe de ne pas faire attention aux avis des autres.
Et puis ils n’ont rien d’autre que lui. Pas d’enfants. Pas de famille. Seulement eux et leur passion pour les brocantes et les vieilles pièces.
Avec les années, ils sont devenus mes amis. Des amis d’un certain âge certes, mais sur qui je peux toujours compter.
Quand j’avais eu la grippe, ils m’avaient veillée nuit et jour, me soignant à base des mêmes produits qu’utilisait ma mère quand j’étais enfant.
Quand j’avais eu un chagrin d’amour, ils m’avaient laissée dormir sur leur canapé si douillet.
Et chaque dimanche midi, j’avais droit au poulet/pommes de terre que l’on mangeait chez eux, en discutant de notre semaine.
Et bien évidemment, si j’avais le malheur de ne pas les prévenir d’un de mes déplacements ou d’un week-end hors de Paris, j’avais droit à un texto courroucé.
Ils avaient pris une telle place dans ma vie que celle-ci me serait apparue bien fade sans eux.
Je vis donc à Paris depuis maintenant six ans. J’aime Paris pour la liberté que la ville procure, pour sa beauté, pour sa magie et ses points de vue à couper le souffle. Pour ce Montmartre au son du piano, ce Trocadéro aux tours Eiffel miniatures admirant fièrement la plus belle, ses musées, son Quartier latin et ses restaurants grecs, ses bistrots si typiques, sa cathédrale qui surplombe fièrement la Seine et tellement d’autres belles qualités.
Mais est-ce nécessaire de vous faire une thèse sur Paris ?
Et pourtant, ce n’est pas la ville dans laquelle j’ai grandi. Ma ville de cœur, c’est Nice.
Je suis venue à la capitale comme disait mon Papé, pour connaître le grand frisson. Je ne suis pas sûre qu’en ayant été vendeuse lingerie puis responsable de boutique chez Lacoste, nous puissions dire que je l’ai connu. Mais je me suis laissé guider par la vie et par les opportunités qu’elle proposait.
Je travaille depuis maintenant plus de deux ans, aux 4 temps de La Défense, le quartier d’affaires de Paris.
Tous les matins, quand j’y arrive, j’ai l’impression d’être dans un film américain. Toutes ces personnes si bien habillées, leur café à la main et leur journal sous le bras. Tous ces Parisiens qui foncent, si sûrs d’eux et qui en oublient parfois de regarder encore la beauté des lieux.
Je l’avoue : j’adore les admirer ces hommes et femmes, si pressés et si bien habillés. J’aime faire défiler la musique dans ma tête, celle de la série Suits ou Sex and the city et ainsi les observer, noter leurs mimiques et parfois même les dessiner.
Pour ma part, je travaille au 2e étage du grand centre commercial. Je gère une équipe de quatre vendeurs, tous un peu loufoques, mais très soudés. J’aime ce rôle d’encadrement, ce métier qui m’oblige à avoir un œil partout et qui fait passer mes journées bien vite. Bien sûr, je finis tard. Je travaille souvent le samedi et parfois même le dimanche.
Ce qui pose un problème à Guillaume.
Non, Guillaume n’est pas mon chat. Guillaume est mon amoureux…
Oui, j’utilise ce mot pour parler de lui. C’est surtout parce que j’aime la poésie de ce terme. Il n’y a rien de plus palpitant pour moi que l’Amour, avec un grand A, cela va sans dire.
Il est expert-comptable dans une structure qu’il appelle un BIG. Je l’avoue : je n’ai toujours pas bien saisi ce que cela signifiait vraiment, mais j’admire tous les jours ses beaux costumes, son air classe et si sûr de lui. Et moi personnellement, ça me suffit pour être fière de lui et en parler à mes amies comme s’il avait le rôle d’un ministre.
Cela fait trois ans que nous nous sommes rencontrés chez des amis communs. Son air distingué, précieux et hautain m’avait, je dois l’avouer, beaucoup attiré. Et pourtant, c’est le genre de personne que l’on déteste à première vue. Il sait tout ! Il a tout fait et il veut tout faire.
Quand on parle d’une escapade au Népal par -40 degrés : fait. Quand il parle d’une vie en Thaïlande parmi les tatoueurs historiques : fait. Quand il parle d’une découverte de la forêt amazonienne : fait.
Bref, il bouffe la vie comme si elle était bientôt finie. Et étrangement, j’ai plutôt tendance à admirer cela. Moi pour qui l’expérience la plus folle, avant de le connaître, fut de prendre l’avion pour venir justement à Paris.
Il a trente-six projets en même temps, il m’embarque toujours dans des week-ends plus bizarres les uns que les autres. Nous avons testé les cabanes dans les arbres, la nuit dans un igloo et enfin la semaine à bord d’un van. Mais je me laisse porter car je l’aime. C’est aussi bête que cela.
Après cette fameuse soirée de rencontre, où il m’a d’ailleurs snobé pendant quatre heures, j’ai dû supplier ma copine Juliette d’organiser un autre apéro une semaine après et qu’elle l’invite. C’est ce qu’elle a fait et comme par hasard, nous n’étions que quatre autour d’un verre de vin, Paris qui s’éveillait au printemps et l’humeur qui sentait déjà les vacances d’été.
Il a été encore plus hautain qu’une semaine auparavant. Et je ne sais pas pourquoi je suis tombée encore plus sous son charme. Il m’a à peine parlé et je sentais que j’étais invisible à ses yeux.
Et puis à la fin de la soirée, il m’a enfin regardée en disant :
— On partage un taxi ?
— Avec plaisir. Tu habites où ?
— Dans le 15e près de la porte de Versailles et toi ?
— Et bien pareil, lui avais-je donc répondu avec un sourire qui frôlait certainement l’indécence.
C’est ainsi que nous nous sommes rendu compte que nous habitions à deux pas et que nous avions certainement déjà dû nous croiser.
Finalement, ce soir-là, nous avons passé deux heures à discuter sur un banc devant un Hippopotamus alors fermé. Mais je n’oublierai jamais cet hippopotame dessiné sur la devanture et qui nous fixait, alors que j’apprenais à le connaître. Et derrière ses airs si sûrs de lui, je découvrais en lui une personne douce et à mon écoute.
Et à ma plus grande surprise, le lundi suivant, il me proposa de déjeuner avec lui.
Quand j’en parlais alors à Juliette, elle me le dépeint comme un coureur de jupons, peu fiable et qui détestait le mot couple.
Mais j’ai appris à le connaître et à voir au-delà de ces premiers préjugés. Et je suis tombée amoureuse de lui avant même qu’il ne m’embrasse, deux semaines plus tard.
Il a mis un peu de temps à se projeter. Il a voulu qu’on aille doucement, ne me présentant ses amis qu’au bout de six mois et sa sœur au bout d’un an.
Très vite, cependant, il m’a fait connaître sa folie. Sa passion pour la moto et la boxe.
Son envie de parcourir les quatre continents avant d’avoir quarante ans.
Nous sommes très vite partis en week-end à gauche et à droite.
J’étais patiente, alors que mes copines me disaient de fuir. « Jamais il ne s’engagera », me disaient-elles. Moi, je voulais juste qu’il m’aime avant de penser à un quelconque mariage, voire plus.
Et puis un peu plus d’un an après notre rencontre, nous sommes partis en vacances en Corse. Il avait loué un bateau et nous dormions depuis deux nuits, bercés par les étoiles.
Je l’ai regardé pour lui dire merci. Merci de me faire connaître ses folies qui rythmaient désormais ma vie. Son regard était perçant à cet instant.
Et il m’a juste répondu : « Moi aussi, je t’aime ». Il m’a souri et ce soir-là, alors qu’il me faisait l’amour, j’ai senti que son regard avait changé.
Deux ans plus tard, nous sommes très heureux ensemble. Nous vivons toujours à deux rues l’un de l’autre. Nous aimons nos appartements respectifs et nous menons tous les deux des vies assez rythmées. Il finit rarement avant 21 heures et travaille souvent de chez lui. Mais il y a une chose qu’il déteste : travailler le week-end.
Pour lui, cela doit être LE moment de détente. Le moment où il enfile son Levis et ses Vans. L’instant où il s’évade. Donc quand je travaille le samedi, forcément, il râle.
Mais à part ça, je dois dire qu’il est super.
J’ai justement rendez-vous avec lui ce soir. C’est étonnant, car nous sommes lundi et que généralement, il aime rester chez lui.
Oui, du haut de ses trente-huit ans, monsieur a des habitudes, et je dois m’y conformer.
Et puis je l’avoue : j’adore rester chez moi en solo ce soir-là ! Je peux regarder Mimi Matty tranquillement dans mon lit avec ma bouillotte et mes Oreo.
Bref, ce soir, nous avons donc « un date », comme disent les jeunes. Il veut tester un nouveau restaurant japonais dans le 13e, donc rendez-vous fixé à 20 heures là-bas.
Pour être tout à fait honnête, je déteste manger japonais. Je n’ai d’ailleurs jamais compris cet attrait pour les sushis. Bien sûr, j’ai toujours fait semblant pour me noyer dans la masse. Et je m’extasie moi aussi sur les belles photos Instagram des box sushis que mangent mes amis.
— Ouaaaahhhh, trop de chance, ils ont l’air si bons. Si on commandait des sushis nous aussi, chéri ? réponds-je à chaque fois que Guillaume me montre ces fameuses photos.
Et je finis inévitablement par commander des brochettes et du riz gluant.
Il ne l’a finalement jamais remarqué. Et tandis qu’il s’enthousiasme chaque fois un peu plus sur les dernières créations, je le regarde amoureusement, tout en dégustant mes brochettes de poulet que je pourrais cuisiner moi-même…
Ce soir-là, je ne suis donc pas plus emballée que ça. En plus, ils rediffusent Sissi sur TMC et je dois avouer que le programme couette, TV et brioche Nutella était plus que tentant.
Mais d’un autre côté, je n’ai pas vu mon cher et tendre depuis une semaine. Il me manque et j’espère secrètement qu’il me proposera de passer la nuit à ses côtés.
Quand j’arrive devant le restaurant, première surprise : il est déjà là. Il a en effet cette fâcheuse habitude d’être toujours en retard.
Je l’aperçois, attablé, au fond de la salle, ses yeux rivés sur son téléphone, et armé de son énigmatique sourire. Et puis à son tour, il me voit enfin et il me regarde l’approcher. Ses yeux sont profonds et brillants. Un regard que je ne lui connais pas et bizarrement un malaise m’envahit.
Il boit une bière. Je ne l’ai jamais vu boire de bière. Et puis je finis par m’asseoir face à lui. Le malaise grandit quand je me rends compte qu’il ne m’a même pas embrassée ni même dit bonjour.
Il ne me regarde plus à cet instant. Il ne me parle pas non plus. Il se contente de jouer négligemment avec son verre posé devant lui.
Mes mains sont moites. Ma bouche est sèche et je frissonne.
Je ne sais pas s’il se passe trente secondes ou trente minutes quand, enfin il lève les yeux sur moi.
Je crois y déceler des larmes, mais peut-être que ce sont les miennes qui m’aveuglent.
« Je te quitte » sont les seuls mots que j’entends.
Et puis plus rien…
Pourquoi ne suis-je finalement pas si surprise que ça ?
Il me sonde du regard. Je décide de l’affronter alors que je rêve de partir en courant.
— Et puis-je en connaître au moins la ou les raisons ?
— C’est simple, Marie. Ma vie n’est pas ici. J’ai accepté un poste dans ma succursale en Espagne. Je quitte Paris très vite et je souhaite partir seul, me répond-il en baissant le regard.
— Et c’est donc maintenant que tu m’informes de tes plans de carrière et de vie ?
Je lui réponds en hurlant. Je vais certainement passer pour l’hystérique de service, mais je m’en moque à cet instant précis. La tête me tourne. Je sais que cette discussion ne mène à rien.
Je me souviens alors de tous nos moments, de son détachement aussi, de ses habitudes, de ses choix imposés sur nos nuits ensemble, sur nos week-ends, sur tout finalement.
Je réalise que cela fait deux ans qu’il mène le jeu et que je me contente de le suivre, heureuse que quelqu’un m’aime et me fasse me sentir moins seule.
Comme s’il réalisait mes pensées, il se penche vers moi, saisit ma main et continue son douloureux monologue.
— Mais Marie, je ne t’ai jamais rien promis. Je t’ai juste proposé de la fête, des bons moments et des rires à n’en plus finir. Tu le savais, non, que je ne voulais pas me marier et avoir des enfants ?
Oui, peut-être que je le savais au fond de moi. Peut-être que si le discours de mes amies maintes fois répété me faisait si mal, c’est parce que je savais qu’elles avaient raison.
Je n’arrive pas à parler. Je m’en veux, enfin à lui surtout.
Je devrais partir, mais je suis comme scotchée à ma chaise. Et puis, il se lève et vient m’entourer de ses bras forts et puissants. Et je l’entends alors ajouter :
— Je pars dans une semaine. Je n’ai pas voulu t’en parler avant, car je n’avais pas encore reçu la décision finale. Elle n’est tombée qu’il y a quelques jours. Marie, regarde-moi s’il te plaît. Tu mérites mieux qu’un type comme moi et je suis sûr qu’au fond de toi, tu sais que j’ai raison. Et je te souhaite sincèrement de le trouver.
Il dépose un baiser léger sur mes lèvres, et tel un ange, il s’en va, me laissant seule dans ce restaurant aux odeurs que je détestais déjà, mais que je vais haïr désormais…
Il est deux heures du matin. Je suis sur le canapé de Josiane et Marcel. Je les entends derrière leur porte (sur leur palier donc). Ils chuchotent, inquiets. Il faut dire que lorsque je suis rentrée, j’ai tapé à la porte de leur salon, pour aller m’écrouler directement sur leur canapé sans aucune parole échangée. Ils finissaient de manger devant le journal de TF1.
Depuis, je n’ai pas ouvert la bouche, me contentant de regarder la TV, puis d’observer le plafond depuis qu’ils l’ont éteinte pour aller au lit.
J’apprécie leur silence. J’ai envie de faire pipi. J’ai soif. Mais je n’ai plus la force de bouger.
Comment en suis-je arrivée là ?
Il y a six ans quand j’ai débarqué sur Paris, je venais de vivre le pire chagrin de ma vie. Enfin, c’est ce que je croyais bien sûr.
Histoire classique : on était jeunes. Je ne voyais que lui et apparemment, ce n’était pas son cas. En effet, il y a eu Claire. Puis Élise. Et c’est après Mégane que j’ai dit stop.
À chaque fois, je pardonnais. À chaque fois, je le croyais quand il disait qu’il arrêterait.
Et donc c’est à vingt-cinq ans, après avoir travaillé trois ans chez Benetton que j’ai décidé de tout plaquer, de voir du pays et de partir loin de tous ces éléments polluants de ma vie.
J’ai beaucoup pleuré en arrivant ici. Mais la capitale m’a accueillie à bras ouverts, je me suis fait de nouveaux amis très rapidement. Ma famille même à distance restait présente et essayait de comprendre mon brusque éloignement.
Je repense à tout ça, échouée sur ce canapé. Finalement, je me retrouve au même point : écœurée par l’espèce masculine et pourtant persuadée que je ne pourrais pas vivre sans homme à mes côtés. Je dois finir par m’endormir, car je suis réveillée quelques heures plus tard par une douce odeur de café.
Josiane me fait face dans cet adorable fauteuil fleuri qui devait appartenir à Louis XVI. Elle boit son habituel thé au jasmin et elle me sourit. Nous n’échangeons aucune parole. Sa bienveillance suffit à m’attendrir et les vannes s’ouvrent alors.
C’est ainsi que je pleure pour la première fois depuis hier soir. Je sanglote, je crie, je ris aussi quand elle me fait remarquer que je ressemble aux enfants de trois ans qu’elle croise au parc en pleine colère.
Et puis comme il est soudainement arrivé, mon gros chagrin finit par passer. Je me lève, je la serre fort dans mes bras tout en la remerciant et je rejoins mon antre.
Nous sommes mardi. Il est 7 heures et dans trois heures, j’ouvre la boutique.
Je prends une douche bouillante, j’enfile mon jean fétiche, mes Ugg dorées et un pull bleu. Aujourd’hui, c’est décidé : je resterai dans l’arrière-boutique et personne ne me verra. Je me coiffe vite fait, me fait couler un 2e café et je pars. Vincent est déjà là quand j’arrive devant le magasin.
Il me regarde bizarrement. Et plus je m’approche, plus son regard se fait insistant.
C’est alors qu’il ose enfin me parler.
— Marie, tu es sortie sans manteau et coiffée de ton bonnet de nuit ? me demande-t-il avec un air mi-ironique, mi-inquiet.
En effet, j’ai oublié mon manteau à la maison et ce que j’ai sur la tête, est le bonnet tricoté par ma grand-mère bien-aimée. Accessoire hideux certes, mais tellement chaud et réconfortant en ce jour déprimant. Je passe devant lui sans un mot et c’est sans aucune autre parole que se déroule la journée. Je reste à l’écart, gérant l’administratif et ne passant en caisse qu’en cas d’urgence absolue.
Tout le monde a dû comprendre qu’il était inutile de me parler ou même de tenter de me déranger. Je me traîne dans mon minuscule bureau et j’attends désespérément que la journée se termine.
Arrive le soir et je suis dans un brouillard total. Je n’ai parlé à personne. Je n’ai même pas de nouvelles de Guillaume.
C’est lorsque je sors du métro, que mon portable sonne pour la première fois de la journée. Ma mère. Je ne l’ai pas appelée depuis hier midi et elle doit s’inquiéter. Oui, du haut de mes trente-et-un ans, je donne des nouvelles à ma mère tous les jours.
Je m’efforce donc de répondre, de lui faire croire que j’ai une grosse migraine, que oui tout va bien maman, je te promets, que non, maman, je n’ai pas perdu mon boulot, que oui maman, je mange bien.
Et je rentre m’écrouler sur mon lit, sans enlever ni mon bonnet de nuit ni mes UGG.
Une semaine passe avant que je ne me décide à parler. Finalement, Guillaume m’envoie un seul et unique message :
Merci pour ces belles années. Prends soin de toi.
Ce sera ça mon catalyseur et ce qui me fera éclater. Une semaine que je suis en pilote automatique. Que mes collègues me regardent tous les jours un peu plus bizarrement. Une semaine que je ne mange presque plus (mais je rentre à nouveau dans mes jeans en taille trente-huit) et une semaine que je dors non-stop dès que j’arrive chez moi.
Nous sommes samedi soir quand je reçois son message. Je sais qu’il part demain matin. Je suis seule chez moi et j’appelle alors Juliette.
Juliette, je l’ai rencontrée à mon arrivée ici. C’est elle qui m’a fait visiter mon appartement. Je l’ai trouvée drôle avec ses dreads et son look BCBG. Et j’ai surtout beaucoup aimé son honnêteté à coup de :
— C’est cher pour ce que c’est.
Ou encore par des recommandations telles que :
— Je vous le dis même si je ne devrais pas vous le dire, mais le proprio est grave relou.
Depuis elle a monté son agence, a enlevé ses dreads et elle vit avec Louis dans le 16e. Oui, il y a eu du changement !
Elle fait partie de mon petit réseau amical ici. Je la vois souvent d’autant plus que c’est elle qui m’a présenté Guillaume. Je suis donc surprise qu’elle ne soit au courant de rien.
Et encore plus ahurie que cette situation ne l’étonne même pas !
— Mais enfin Marie, tu le savais non qu’il voulait partir ? me répond-elle alors que je viens de lui annoncer notre rupture.
Première nouvelle. Je suis donc la seule imbécile qui ne savait pas que son mec ne souhaitait pas rester travailler à Paris.
— Non Juliette, je n’avais pas saisi son envie d’ailleurs. Et quand bien même, là n’est pas le sujet. Nous aurions pu faire des plans ensemble. Mais il m’a clairement exclue de sa vie et de ses projets en même pas deux minutes. Pourquoi rester en couple avec moi alors depuis trois ans ?
Et la voilà qui me répond :
— Ben pour le sexe pardi.
Je m’attends à ce qu’elle rigole et qu’elle feigne une blague, mais ladite plaisanterie ne vient pas.
Je préfère donc raccrocher sentant bien que ce ne sera pas auprès d’elle que je trouverai mon réconfort.
C’est à ce moment-là que Marcel sonne à ma porte. Il s’inquiète et il veut entrer.
Ils sont rares les moments où ce sont eux qui viennent chez moi.
Il a l’air gêné et tourne en rond. Je lui désigne alors mon beau canapé et lui demande gentiment de s’y asseoir. Il est en train de me donner le tournis à ce stade.
Je lui propose un martini (sa passion secrète) qu’il accepte. Avant de me rendre compte que je n’en ai pas.
Je descends donc chez lui, lui en servir un et quand je remonte, il m’a préparé un verre de vin et sorti des cacahuètes.
— Viens là ma Marie. On va un peu parler toi et moi, me dit-il alors.
Tu sais, j’ai peut-être bientôt quatre-vingts ans, mais j’ai vécu moi aussi. Je t’observe depuis toutes ces années. Je te regarde feindre d’être heureuse. Je t’ai vu avec Guillaume, croire en votre amour alors que lui restait distant. Mais tu as fait fausse route parce que comme beaucoup, tu as peur d’être seule.
C’est le moment où je me mets à pleurer, parce qu’il vient de toucher une corde sensible. Mais il continue, tout en me prenant doucement la main.
— Tu crains d’être seule parce que tu ne te crois pas assez forte pour affronter le monde et pour aller au bout de tes rêves. Tu penses que tu n’es qu’une gamine de trente-et-un ans parmi tant d’autres gamines. Mais moi, je te connais. Je sais ce que tu vaux. Et tu mérites bien plus que ces 22 m2, ce sale type et ce boulot de vendeuse, payé à peine plus que ma retraite.
Bon, bien sûr, il abuse un peu (sauf peut-être pour ma paye). Mais l’entendre dire tout haut ce que je ressens tout bas m’apaise bizarrement.
C’est le moment que choisit Josiane pour nous rejoindre, petite souris tapie derrière ma porte depuis au moins dix minutes.
Nous passons la soirée à parler de moi. De mon enfance. De ce besoin constant que j’ai d’être aimée et appréciée. De cet amour que je porte à l’amour. De ce besoin de croire que j’existe à travers les yeux d’un autre, alors qu’il est possible de vivre sans, justement.
Je leur propose de commander une pizza et je m’aperçois avec effarement qu’il est déjà 22 heures.
— Ma petite à cette heure-ci, les restaurants sont fermés, me dit alors Josiane.
Je réalise donc avec surprise qu’ils ne connaissent pas l’un de mes meilleurs amis : le bien nommé Uber eat bien sûr. Quinze minutes plus tard, c’est avec stupéfaction que Marcel ouvre à Terrence mon livreur Uber du soir.
Il veut lui donner un pourboire. Je lui explique que c’est déjà compris dans la course. Mais Terrence me fait les gros yeux et accepte donc généreusement les cinq euros.
Nous dégustons la pizza dans un silence religieux, ponctué des pointes d’étonnement de Josiane qui n’en revient toujours pas de manger une pizza un samedi soir à presque 23 heures.
Je suis contente de pouvoir leur apporter à mon tour une découverte, une jolie nouveauté qui égaye un peu leur quotidien. Et tandis que nous débarrassons les restes de notre repas et que je me sers une nouvelle fois généreusement du rosé, Marcel lâche soudainement une bombe :
— Et pourquoi tu ne retournes pas chez toi ma petite ?
— Mais je suis chez moi enfin, Marcel, je lui réponds aussitôt, feignant l’incompréhension, alors que je sais où il veut en venir.
— Marie, tu m’as très bien compris. Pourquoi est-ce que tu ne rentres pas à Nice ?
Un peu sonnée, et étonnée surtout par sa réplique, je lui demande alors :
— Mais pour quoi faire ? J’ai tout ici.
— Ah oui ? Et tu as quoi ? Des amis si extraordinaires que personne ne t’a appelé pour te sortir un peu en ce samedi soir ? Un boulot si magnifique et si reconnaissant ? Un appartement si majestueux ?
Bon, clairement, s’il voulait me faire réagir, il a trouvé les bons mots. Et pourtant, je continue à lui tenir tête.
— Mais enfin Marcel, je vis ici depuis six ans. J’ai un CDI. J’aime Paris. Et puis je vous ai, vous…
— Oui, ma petite, mais cela ne suffit pas. Il est temps que tu construises un peu ta vie.
Josiane ne parle pas. Elle essuie discrètement une larme qui roule doucement sur sa joue ridée. Marcel la regarde avec tendresse puis il se tourne vers moi avec le même regard :
— Je vais te parler un peu de moi. Non pas que je sois un modèle, mais j’ai quand même des fiertés dans ma vie.
En 1965, j’avais alors vingt-deux ans. J’habitais en Bourgogne dans une ferme. Mon père était agriculteur, mon grand-père l’était aussi et ainsi de suite. Ils attendaient donc de moi que je prenne la relève.
Mais moi, je rêvais d’autres choses, de plus grand, de voir du monde, de parler, d’échanger, de voyager et de partir loin de ma campagne natale. Mais je n’osais pas alors encore en parler.
J’avais arrêté mes études après le bac pour travailler avec mon père. C’était comme ça dans la famille et dans ma région. Passés 18 ans, les hommes de la famille travaillaient au côté du paternel.
Je ne savais rien du monde au-delà de ma Bourgogne natale. J’avais vécu entouré de vaches, de poules et de canards. Mes amis étaient agriculteurs. Mes soirées se résumaient au bar le samedi soir en face de l’Église et toujours avec les mêmes personnes. Mais, plus le temps passait et plus je m’impatientais de découvrir autre chose.
Alors un matin, j’ai pris ma décision : venir ici à Paris sans rien, sans savoir quoi faire et comment. Mais j’avais une chose que d’autres n’avaient peut-être pas : l’envie et le courage. Je suis arrivé ici deux mois plus tard. Non sans avoir failli me fâcher avec ma famille.
Heureusement pour moi, j’ai un frère plus jeune qui lui rêvait d’être le digne héritier de l’exploitation. Et puis surtout, mon père, sans pourtant comprendre mon choix, ne m’a pas tourné le dos et il a continué à être présent : il a glissé un peu d’argent dans ma valise ainsi que l’adresse d’un oncle. J’ai tapé à sa porte un soir de novembre 1965 et il m’a accueilli, parce que la famille a toujours été sacrée chez nous.
Le lendemain, je parcourais les petites annonces et en fin de semaine, je décrochais un boulot de vendeur en épicerie.
Nous habitions dans le 9e arrondissement. Je voyais enfin du monde. Je marchais des heures le dimanche à la recherche de lieux de plus en plus beaux. J’étais seul, mais qu’est-ce que j’étais heureux. Et puis quelques mois plus tard, Josiane a poussé la porte de l’épicerie. Et je ne l’ai plus laissée repartir.
À la mort de Gérard, le patron, j’ai racheté l’épicerie à ses enfants et c’est ainsi que nous avons grandi là-bas ensemble. À l’âge de cinquante ans, j’étais usé par le travail et j’avais envie d’arrêter. Josiane l’a senti et elle m’a dit de foncer. Encore une fois, j’ai laissé parler mon cœur et j’ai vendu.
Pas une seule fois, je n’ai regretté. J’ai vendu à un bon prix et cela m’a permis d’acheter ici dans le 15e.
J’ai accepté de-ci de-là quelques CDD. Josiane a trouvé un emploi aux Galeries Lafayette à mi-temps et nous avons passé les dix ans qu’il nous restait avant la retraite, dans ce petit rythme agréable et joyeux.
Nous ne sommes pas riches. Nous vivons dans un appartement très bizarrement aménagé. Mais il est à nous.
Et je n’ai jamais regretté quoi que ce soit. Je suis toujours allé au bout de mes envies et de mes idées et crois-moi c’est ce qui représente ma plus grande fierté.
Après de telles paroles, nous avons tous les trois les larmes aux yeux. Je reste sans voix après un tel discours. Et puis d’un commun accord, ils se lèvent, m’embrassent tendrement et rentrent chez eux.
Je me précipite immédiatement dans mon lit, avec l’envie de vite m’endormir pour éviter de penser.
Et pourtant, les mots de ce grand-père, que j’ai fini par adopter, résonnent fort en moi et m’empêcheront de trouver le sommeil avant une heure avancée de la nuit.
Le lendemain matin, je me réveille dans un sale état. Le discours de Marcel m’a tellement marqué que je n’ai finalement pas réussi à trouver le sommeil avant 4 heures du matin. Jamais on ne m’avait parlé ainsi. À aucun moment, j’avais eu si foi en l’être humain et cela faisait longtemps qu’une telle émotion ne s’était pas emparée de moi.
Je décide qu’il est peut-être temps d’être honnête avec ma mère. Alors, je prends mon courage à deux mains et l’appelle.
— Bonjour, ma chérie. Je pensais justement à toi. Vu l’heure, je me suis dit que vous deviez être en plein brunch comme vous dites, laisse-t-elle échapper au son d’un petit rire joyeux.
Je m’en veux de devoir lui dire la vérité, mais elle me connaît mieux que quiconque et je ne peux pas continuer cette mascarade plus longtemps.
— Euh non, maman, je suis au fond de mon lit, seule et triste.
— Comment ça ma chérie ? Où est Guillaume ?
— À l’heure où nous parlons certainement dans son avion pour Madrid afin de prendre ses nouvelles fonctions.
— Quelles nouvelles fonctions ? Mais c’est quoi cette histoire ?
Je passe donc la demi-heure qui suit à tout lui expliquer. J’avais oublié comme ma mère pouvait être si compatissante et si bienveillante. À aucun moment, elle ne critique Guillaume ou ne l’accable.
Elle m’écoute, me rassure et elle finit alors par cette phrase :
— Descends nous voir un peu. Cela te fera du bien.
C’est la deuxième personne qui évoque le fait d’aller à Nice en même pas vingt-quatre heures. J’ai toujours cru dans les signes de la vie. Beaucoup se sont d’ailleurs souvent moqués de moi.
Mais voir une coccinelle venir se poser sur moi en pleine journée m’a toujours profondément réconforté par exemple. Je me disais que quelque part, quelqu’un veillait sur moi et que ma journée ne pourrait pas mal se finir.
Et c’est sur ces pensées que je termine mon dimanche, affalée sur mon canapé, mes Oreo à droite et le coca à ma gauche.
Le moment d’aller au lit arrive et je ne sais toujours pas où j’en suis. J’ai regardé cinq épisodes d’affilée de Grey’s Anatomy et j’ai le ventre en vrac d’avoir mal mangé.
Je me couche encore très pensive et préférant repousser à demain la moindre décision.
Mais c’est sans compter le karma, ou la destinée ou que sais-je encore.
À 7 heures du matin, je reçois un texto de mon père :
Avion réservé pour demain soir à 18 heures. Arrange-toi comme tu veux, mais tu n’as plus le choix. Tu nous manques et ta mère est très inquiète. Tu as besoin de nous et nous aussi.
OK, donc mon père utilise les smileys, première nouvelle.
Deuxième nouvelle : il n’avait plus employé ce ton vindicatif depuis… et bien très longtemps.
Finalement, plus besoin de réfléchir. Et je dois avouer qu’il est bon aussi de se laisser porter.
Dans la journée, j’appelle mon responsable, lui parle de problèmes de famille à résoudre à Nice, joue sur le côté triste, insiste quand il ne m’octroie que trois jours, lui rappelle mes bons chiffres et la belle solidarité qui règne dans la boutique.
Je dois finalement être convaincante, car il m’accorde une semaine, mais me demande (m’ordonne !) d’être à Paris, le jeudi suivant.
Finalement, à cet instant précis, je ressens un renouveau ; mon cœur est moins lourd et je me réjouis de voir mes parents et ma sœur. Sœur que je n’ai pas appelée depuis un moment et qui va encore me faire la tête.
Nous avons huit ans d’écart. Elle est la sœur que je n’attendais plus et qui est arrivée telle une fleur dans ma vie. (C’est bien pour cela qu’elle s’appelle Rose.)
J’ai été sa deuxième maman. Je me suis toujours beaucoup occupée d’elle, non pas que ma mère fut absente. J’aimais juste ça : l’habiller, la coiffer, lui offrir des jouets.
Nous étions très proches. Aussi n’a-t-elle pas vraiment compris mon départ si soudain à Paris.
Et depuis nos relations ont changé. Elle a grandi. Elle a terminé ses études et elle vient d’obtenir son CAPA (diplôme d’avocat).
Je suis très fière d’elle, mais j’ai l’impression qu’un énorme fossé s’est creusé entre nous. Enfin, avouons-le ce n’est plus un fossé à ce stade. Nous nous appelons peu et nous profitons de nos parents comme intermédiaires.
J’appelle donc mon père, pour lui annoncer la bonne nouvelle. Il est ravi et il en profite pour m’annoncer qu’il me réserve une belle surprise.
Quand le soir arrive, je passe faire deux courses avant de rentrer. J’achète une bouteille de champagne et des escargots (en vrai bourguignon qui se respecte, Marcel les adore) et je me dirige directement chez eux.
Bien sûr, il est plus que ravi et il est surtout fier quand je lui explique que son discours m’a aussi beaucoup aidé dans mon cheminement.
Je rentre chez moi à 22 heures et je m’écroule dans mon lit, plus heureuse que la veille et confiante en demain.
Le lendemain passe très vite. J’ai à peine le temps de faire ma valise. Les appels du magasin sont finalement plus nombreux que je ne le pensais. Mes deux vendeurs, Vincent et Julia, galèrent avec le stock et ils ont décidé de me le faire partager. Je sens bien que c’est leur façon à eux de me soutenir et j’apprécie, car entre deux culottes rangées dans la valise et trois sanglots, je souris quand même.
Je prends même le temps pour une manucure, j’achète les macarons dont ma mère raffole et me voilà prête à embarquer.
1 h 20 précisément plus tard, je survole les immeubles de la Marina Baie des Anges et c’est comme si enfin je respirais mieux. Il fait nuit et c’est encore plus beau. J’aperçois la piste d’atterrissage au loin, toujours impressionnante, se mélangeant presque avec la mer.
Comment puis-je à chaque fois oublier la beauté de ces lieux ?
Au pied de l’escalator, je les vois enfin. Ils sont tendrement enlacés et leurs visages si joyeux sont levés vers moi. La dernière fois que je les ai vus, c’était il y a trois mois. À Noël dernier. En coup de vent, comme on dit. J’ai l’impression qu’ils ont changé et surtout qu’ils sont plus bronzés et reposés.
Mes parents ne travaillent plus depuis cinq ans. Mon père était professeur de français. Ma mère comptable. Je les ai toujours vus travailler avec acharnement et passion et ils ont finalement stoppé peu de temps après mon départ à Paris.
Mais ils n’ont jamais arrêté d’avoir des vies remplies, des emplois du temps de ministres comme j’aime à le dire, bouffant la vie à pleine dent.
Ma mère a repris des études d’histoire à la fac. Mon père s’est pris de passion tardive pour le tarot.
Ils sont toujours invités par des amis respectifs ; mon père participe à des tournois, ma mère a des conférences parfois même à l’étranger. Ils voyagent dès qu’ils le peuvent, découvrant des contrées lointaines et d’autres un peu moins lointaines.
Ils sont aussi venus un peu me voir. Mais je crois qu’ils n’ont jamais vraiment aimé Paris, pensant que cette ville m’avait volée à eux.
Et quant à moi, je l’avoue, depuis cinq ans, je ne reviens pas souvent. Au début un peu plus, par culpabilité surtout. Et puis après ma rencontre avec Guillaume, dès que j’avais quelques jours de libres, nous partions nous aussi découvrir le monde. Noël a cependant toujours été une date importante et j’ai toujours fait en sorte de le fêter en famille.
Nous n’avons jamais parlé réellement des raisons de mon départ ni de ce besoin que j’ai eu de couper avec ma ville natale.
Mais je crois qu’ils l’ont compris, car je n’ai jamais eu de reproches de leur part. Et puis mes appels quotidiens, nos facetime du samedi soir en mode apéro nous permettent de combler un manque.
J’arrive enfin près d’eux et je me précipite dans les bras grands ouverts de mon père. Incroyable que même à trente-et-un ans, seuls ses bras forts, larges et si chauds savent m’apaiser. Je me laisse aller alors que je m’étais promis de ne pas craquer. Ma mère prend le relais. Et sentir sa douceur et ce même parfum qu’elle porte depuis que je suis toute petite finit de m’achever.
C’est entourée et maintenue fermement par mes parents que nous sortons du terminal pour nous retrouver quelques minutes plus tard face à un énorme 4x4.
Ce brusque retour aux sources après ma rupture me fragilise finalement plus que cela. Je ne parviens en effet toujours pas à m’arrêter de pleurnicher. Et puis je réalise que mon père est en train de déposer ma valise dans cette grosse voiture. J’en reste médusée, surprise ou plutôt choquée, disons-le, ce qui a le mérite de stopper net mon chagrin.
Il faut tout de même savoir que mes parents, malgré leur vie trépidante, sont toujours restés très classiques : la même voiture que l’on changeait tous les cinq ans et une Renault, aucune autre marque n’était imaginable. Je crois qu’ils les ont toutes eues, ma mère ayant une nette préférence pour sa petite Twingo. Aussi, là, face à une énorme Jeep en mode commando américain, je manque de partir en fou rire.
Ma mère le sent bien et en profite pour me glisser avec toute la douceur qui la caractérise :
— Ma chérie, il y a eu beaucoup de changement en trois mois.
Je la regarde alors. Pour le moment, je me suis juste contentée de pleurer dans ses bras. Et je réalise qu’il n’y a pas que la voiture qui a changé. Il y a trois mois, elle s’habillait encore avec ses tenues elles aussi très classiques, à base de jeans Levis et de hauts Petits Bateaux. Et aujourd’hui, elle a revêtu une jupe aux étranges couleurs que je n’oserai même pas porter et qui doit certainement dater de sa période bohème. Mais finalement, je dois avouer que cela lui va bien.
Je monte donc dans leur étrange voiture et je découvre le confort quelque peu arrangé. Il n’y a plus de banquette arrière. Seul un énorme coffre. Et pour me transporter, ils y ont posé des coussins. Je remercie leur sens pratique et mes fesses sont ravies d’être si bien accueillies. Mais question sécurité, on repassera. La voiture fait un bruit de vache qui meugle, mais mon père a l’air heureux comme un enfant le jour de Noël.
Il est tard, je suis crevée par toutes ses émotions et je finis par m’endormir sur mon petit coussin.
Je me réveille une heure plus tard. Il fait noir et je distingue comme une forêt.
Ma mère se retourne et me dit encore une fois d’un ton empathique :
— Ma chérie, il y a eu beaucoup de changements en peu de temps.
Je crois que je commence à bien saisir pour le coup.
Je descends de leur tank pour me retrouver en pleine cambrousse. Il n’y a pas d’autres mots. Partout de hautes herbes et au loin, je crois apercevoir une maison. Mes parents sont derrière moi. Mon père a revêtu une frontale ! Je ris nerveusement et je les suis, sans mot. Au passage, des herbes folles viennent me fouetter le visage et les jambes. Je manque de défaillir en entendant ce que je crois être une bête se faufiler à mes pieds et nous arrivons devant une vieille bâtisse, genre ferme du Moyen Âge.
Je ne parle toujours pas. Je crois que ma voix est restée dans la voiture. Mon père ouvre la porte et la lumière s’éclaire. Face à moi une énorme pièce blanche, des pots de peinture posés partout, des outils, des bâches et une poussière horrible. Ma mère est derrière moi et me pousse gentiment vers l’escalier. À l’étage, il y a deux pièces plus habillées et plus commodes : un salon aménagé de façon vieillotte et une chambre avec un grand lit.
— Alors ma chérie, que penses-tu de notre maison ? me demande aussitôt ma mère.
Encore une fois depuis mon arrivée il y a une heure, je suis en état de choc, mais bizarrement, je retrouve ma voix à l’évocation du mot maison.
— Votre maison ? Mais depuis quand ?
— Et bien cela fait plus d’un an que nous avons envie d’accomplir un rêve secret : retaper une vieille bâtisse dans l’arrière-pays niçois. Nous avons visité beaucoup de bicoques en ruine et voilà maintenant quatre mois que nous avons trouvé celle-là.
— Mais nous sommes où exactement ? Dans quel pays ? demandé-je alors de plus en plus sidérée.
Ma mère me répond en souriant tandis que mon père s’active dans la cuisine.
— Nous sommes au-dessus de Nice, à Bendejun.
Je connais bien sur ce village de nom, mais j’avoue que là tout de suite en pleine nuit, je ne visualise pas du tout. J’ai l’impression de ne pas être chez moi, à Nice, mais dans un autre pays.
Et plutôt que de les encourager, au lieu de vanter leur démarche très courageuse, je demande dans un excès colérique :
— Et notre maison ? Vous l’avez aussi reléguée aux oubliettes ?