Quelques Nouvelles terrifiantes - Gaston Leroux - E-Book

Quelques Nouvelles terrifiantes E-Book

Gastón Leroux

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Beschreibung

Un homme est convié au dîner d'un groupe d'anciens naufragés qui ont de curieuses habitudes alimentaires... Une jeune femme découvre avec effroi la profession de son mari... Une auberge sinistre où ont lieu d'horribles crimes... Des parents ruinés simulent leur cambriolage et leur assassinat pour assurer un avenir meilleur à leur fils... Une jeune femme aux nombreux prétendants - 12 - est tenue pour responsable de la mort de plusieurs d'entre eux... Un mari trompé, un collier de velours qui empêche une tête coupée de tomber... (Voir également sur le même thème et avec le même titre, la nouvelle de Dumas publiée sur ce site.) Vous ne vous ennuierez pas avec ces terrifiantes histoires...

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Veröffentlichungsjahr: 2017

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Quelques Nouvelles terrifiantes

Gaston Leroux

Publication: 1924Catégorie(s): Fiction, Fantastique, Nouvelles
A Propos Leroux:

Gaston Louis Alfred Leroux (6 May 1868, Paris, France – 15 April 1927) was a French journalist and author of detective fiction. In the English-speaking world, he is best known for writing the novel The Phantom of the Opera (Le Fantôme de l'Opéra, 1910), which has been made into several film and stage productions of the same name, such as the 1925 film starring Lon Chaney; and Andrew Lloyd Webber's 1986 musical. It was also the basis of the 1990 novel Phantom by Susan Kay. Leroux went to school in Normandy and studied law in Paris, graduating in 1889. He inherited millions of francs and lived wildly until he nearly reached bankruptcy. Then in 1890, he began working as a court reporter and theater critic for L'Écho de Paris. His most important journalism came when he began working as an international correspondent for the Paris newspaper Le Matin. In 1905 he was present at and covered the Russian Revolution. Another case he was present at involved the investigation and deep coverage of an opera house in Paris, later to become a ballet house. The basement consisted of a cell that held prisoners in the Paris Commune, which were the rulers of Paris through much of the Franco-Prussian war. He suddenly left journalism in 1907, and began writing fiction. In 1909, he and Arthur Bernède formed their own film company, Société des Cinéromans to simultaneously publish novels and turn them into films. He first wrote a mystery novel entitled Le mystère de la chambre jaune (1908; The Mystery of the Yellow Room), starring the amateur detective Joseph Rouletabille. Leroux's contribution to French detective fiction is considered a parallel to Sir Arthur Conan Doyle's in the United Kingdom and Edgar Allan Poe's in America. Leroux died in Nice on April 15, 1927, of a urinary tract infection.

Chapitre1 LE DÎNER DES BUSTES

Le Chinois, le Malgache et le Soudanais, explique Dorée, confidentielle, je ne sais pas leurs vrais noms, ni leurs âges, ni rien et personne ne le sait à Toulon. C’est prodigieux de les voir ici… En voilà qui sont du Mourillon, du vrai Mourillon… Ce sont des capitaines de la coloniale. Sur quatre années, ils en passent trois dans leur pays de là-bas, en Chine, à Madagascar, au Soudan, et, la quatrième, ils refont leur foie au bord de la mer, en se chauffant au soleil, dans le jardinet d’une villa… On dit des choses d’eux : « Ils vivent ici, pareils que chez les sauvages… Ils mangent à la sauvage… enfin, tout !… »

Claude FARRÈRE

Les Petites Alliées

Le capitaine Michel n’avait plus qu’un bras, qui lui servait à fumer sa pipe. C’était un vieux loup de mer dont j’avais fait la connaissance en même temps que celle de quatre autres loups de mer, un soir, à l’apéritif, sur la terrasse d’un café de la vieille Darse, à Toulon. Et nous avions ainsi pris l’habitude de nous réunir autour des soucoupes, à deux pas de l’eau clapotante et des petites barques dansantes, à l’heure où le soleil descend du côté de Tamaris.

Les quatre vieux loups de mer s’appelaient Zinzin, Dorat (le capitaine Dorat), Bagatelle et Chanlieu (ce bougre de Chanlieu).

Ils avaient naturellement navigué sur toutes les mers, avaient connu mille aventures et, maintenant qu’ils étaient à la retraite, passaient leur temps à se raconter des histoires épouvantables !

Seul, le capitaine Michel ne racontait jamais rien. Et comme il ne paraissait nullement étonné de ce qu’il entendait, cette attitude finit par exaspérer les autres, qui lui dirent :

– Ah ! çà ! capitaine Michel, il ne vous est donc jamais arrivé d’histoires épouvantables ?

– Si, répondit le capitaine, en ôtant sa pipe de la bouche. Si, il m’en est arrivé une… une seule !

– Eh bien ! racontez-la.

– Non !

– Pourquoi ?

– Parce qu’elle est trop épouvantable. Vous ne pourriez pas l’entendre. J’ai essayé plusieurs fois de la raconter, mais tout le monde s’en allait avant la fin.

Les quatre autres vieux loups de mer s’esclaffèrent à qui mieux mieux et déclarèrent que le capitaine Michel cherchait un prétexte pour ne rien leur raconter parce qu’au fond il ne lui était rien arrivé du tout.

L’autre les regarda un instant, puis, se décidant tout à coup, posa sa pipe sur la table. Ce geste rare était déjà, par lui-même, effrayant.

– Messieurs, commença-t-il, je vais vous raconter comment j’ai perdu mon bras.

« À cette époque – il y a de cela une vingtaine d’années – je possédais au Mourillon une petite villa qui m’était venue par héritage, car ma famille a habité longtemps ce pays et moi-même y suis né. Je me plaisais à prendre quelque repos, entre deux voyages au long cours, dans cette bicoque. J’aimais, du reste, ce quartier où je vivais en paix dans le voisinage peu encombrant de gens de mer et de coloniaux qu’on apercevait rarement, occupés qu’ils étaient le plus souvent à fumer bien tranquillement l’opium avec leurs petites amies, ou bien encore à d’autres besognes qui ne me regardaient pas… Mais, n’est-ce pas, chacun a ses habitudes et, pourvu qu’on ne dérange point les miennes, c’est tout ce que je demande, moi…

« Justement, une nuit on dérangea l’habitude que j’avais de dormir. Un tumulte singulier de la nature duquel il m’était impossible de me rendre compte me réveilla en sursaut. Ma fenêtre, comme toujours, était restée ouverte ; j’écoutais, tout hébété, une espèce de prodigieux bruit qui tenait le milieu entre le roulement de tonnerre et le roulement du tambour, mais de quel tambour ! On eût dit que deux cents enragées baguettes frappaient non point la peau d’âne mais un tambour de bois…

« Et cela venait de la villa d’en face qui était inhabitée depuis cinq ans, et sur laquelle, la veille encore, j’avais remarqué l’écriteau : “À vendre” !

« De la fenêtre de ma chambre placée au premier étage, mon regard, passant par-dessus le mur du jardinet qui entourait cette villa, en découvrait toutes les portes et fenêtres, même celles du rez-de-chaussée. Elles étaient encore closes comme je les avais vues dans la journée. Seulement, par les interstices des volets du rez-de-chaussée, j’apercevais de la lumière. Qui donc, quels gens s’étaient introduits dans cette demeure isolée à l’extrémité du Mourillon, quelle société avait pénétré dans cette propriété abandonnée et pour y mener quel sabbat ?

« Le singulier bruit de tonnerre de tambour de bois ne cessait pas. Il dura bien une heure encore et puis, comme l’aurore allait venir, la porte de la villa s’ouvrit et, debout, sur le seuil, apparut la plus gracieuse créature que j’aie jamais rencontrée de ma vie. Elle était en toilette de soirée et, avec une grâce parfaite, tenait une lampe dont l’éclat faisait rayonner des épaules de déesse. Elle avait un bon et tranquille sourire pendant qu’elle disait ces mots, que j’entendis parfaitement, dans la nuit sonore : “Au revoir, cher ami, à l’année prochaine !…”

« Mais à qui disait-elle cela ? Il me fut impossible de le savoir, car je ne vis personne auprès d’elle. Elle resta sur le seuil avec sa lampe, quelques instants encore, jusqu’au moment où la porte du jardin s’ouvrit toute seule et se referma toute seule. Puis la porte de la villa fut fermée à son tour et je ne vis plus rien.

« Je crus que je devenais fou ou que je rêvais, car je me rendais parfaitement compte qu’il était impossible que quelqu’un traversât le jardin sans que je pusse l’apercevoir ! J’étais encore là, planté devant ma fenêtre, incapable d’un mouvement ou d’une pensée, quand la porte de la villa s’ouvrit une seconde fois et la même radieuse créature apparut, toujours avec sa lampe, et toujours seule. “Chut ! dit-elle, taisez-vous tous !… Il ne faut pas réveiller le voisin d’en face… Je vais vous accompagner.”

« Et, silencieuse et solitaire, elle traversa le jardin, s’arrêta à la porte sur laquelle donnait la pleine lumière de la lampe et si bien, que je vis distinctement le bouton de cette porte tourner de lui-même sans qu’aucune main se fût posée dessus. Enfin, la porte s’ouvrit une fois encore toute seule devant cette femme qui n’en marqua, du reste, aucun étonnement. Ai-je besoin d’expliquer que j’étais placé de telle sorte que je voyais à la fois devant et derrière cette porte ! C’est-à-dire que je l’apercevais de biais.

« La magnifique apparition eut un charmant signe de tête à l’adresse du vide de la nuit qu’illuminait la clarté éblouissante de la lampe ; puis elle sourit et dit encore : “Allons ! au revoir ! À l’année prochaine… Mon mari est bien content. Pas un de vous ne manquait à l’appel… Adieu, messieurs !”

« Aussitôt, j’entendis plusieurs voix qui répondaient : “Adieu, madame !… Adieu, chère madame !… À l’année prochaine…”

« Et comme la mystérieuse hôtesse se disposait à fermer la porte elle-même, j’entendis encore : “Je vous prie, ne vous dérangez pas !”

« Et la porte se referma encore toute seule. L’air s’emplit un instant d’un bruit singulier ; on eût dit le pépiement d’une volée d’oiseaux… cui !… cui !… cui !… et ce fut comme si cette jolie femme venait d’ouvrir leur cage à toute une nichée de moineaux francs.

« Tranquillement, elle revenait chez elle. Les lumières du rez-de-chaussée s’étaient alors éteintes, mais j’apercevais maintenant une lueur aux fenêtres du premier étage. En arrivant à la villa, la dame dit : “Tu es déjà monté, Gérard ?”

« Je n’entendis point la réponse, mais la porte de la villa fut à nouveau refermée… Et, quelques instants plus tard, la lueur elle-même du premier étage s’éteignait. J’étais encore là, à huit heures du matin, à ma fenêtre, regardant stupidement ce jardin, cette villa qui m’avaient fait voir des choses si étranges dans les ténèbres et qui, maintenant, dans le jour éblouissant, se présentaient à moi sous leur aspect accoutumé. Le jardin était désert et la villa paraissait tout aussi abandonnée que la veille. Si bien que lorsque je fis part à ma vieille femme de ménage, qui arrivait sur ces entrefaites, des bizarres événements auxquels j’avais assisté, elle se frappa le front de son index malpropre et déclara que j’avais fumé une pipe de trop. Or, jamais je ne fume d’opium, et cette réponse fut la raison définitive pour laquelle je jetai à la porte cette vieille souillon dont je voulais me débarrasser depuis longtemps et qui venait salir mon ménage deux heures par jour. Du reste, je n’avais plus besoin de personne puisque j’allais reprendre la mer dès le lendemain.

« Je n’avais que le temps de faire mon paquet, mes courses, dire adieu à mes amis et prendre le train pour Le Havre où un nouvel engagement avec la Transatlantique allait me tenir absent de Toulon onze ou douze mois durant.

« Quand je revins au Mourillon, je n’avais parlé de mon aventure à personne, mais je n’avais pas cessé, un instant, d’y penser. La vision de la dame à la lampe m’avait poursuivi partout et les dernières paroles qu’elle avait adressées à ses amis invisibles n’avaient cessé de résonner à mes oreilles.

« – Allons ! Au revoir ! À l’année prochaine !

« Et je ne songeais qu’à ce rendez-vous-là. J’avais résolu, moi aussi, de m’y trouver et de découvrir coûte que coûte la clef d’un mystère qui devait intriguer, jusqu’à la folie, une honnête cervelle comme la mienne, laquelle ne croyait ni aux revenants, ni aux histoires des vaisseaux fantômes.

« Hélas ! Je devais bientôt découvrir que le ciel ni l’enfer n’étaient pour rien dans cette histoire épouvantable.

« Il était six heures du soir quand je pénétrai dans ma villa du Mourillon. C’était l’avant-veille de l’anniversaire de la fameuse nuit.

« La première chose que je fis, en entrant chez moi, fut de courir à ma fenêtre du premier étage et de l’ouvrir. J’aperçus aussitôt (car nous étions en été et il faisait grand jour) une femme d’une grande beauté qui se promenait tranquillement dans le jardin de la villa d’en face, en cueillant des fleurs. Au bruit que je fis, elle leva les yeux. C’était la dame à la lampe ! Je la reconnaissais ; elle était aussi belle le jour que la nuit. Elle avait la peau aussi blanche que les dents d’un nègre du Congo, des yeux plus bleus que la rade de Tamaris et une chevelure blonde, douce comme la plus fine étoupe ! Pourquoi ne l’avouerais-je pas ? En apercevant cette femme à laquelle je n’avais fait que rêver depuis un an, j’eus le cœur comme chaviré. Ah ! Ce n’était pas une illusion de mon imagination malade ! Elle était bien là, devant moi, en chair et en os ! Derrière elle, toutes les fenêtres de la petite villa étaient ouvertes, fleuries par ses soins. Il n’y avait dans tout cela rien de fantastique.

« Elle m’avait donc aperçu et elle en marqua aussitôt du désagrément. Elle avait continué de faire quelques pas dans l’allée du milieu de son jardinet, et puis, haussant les épaules, comme si elle était désappointée, elle dit : “Rentrons, Gérard !… La fraîcheur du soir commence à faire sentir…”

« Je regardai partout dans le jardin. Personne ! À qui parlait-elle ? À personne !… Alors, elle était folle ? Elle ne le paraissait guère. Je la vis s’acheminer vers sa maison. Elle en franchit le seuil, la porte se referma et toutes les fenêtres furent fermées, par elle, aussitôt. Je ne vis ou n’entendis rien de particulier cette nuit-là. Le lendemain matin à dix heures, j’aperçus ma voisine qui, en toilette de ville, traversait son jardin. Elle ferma la porte à clef et elle prit aussitôt le chemin de Toulon. Je descendis à mon tour. Au premier fournisseur que je rencontrai, je lui montrai cette silhouette élégante et lui demandai s’il connaissait le nom de cette femme. Il me répondit : “Mais parfaitement, c’est votre voisine ; elle habite avec son mari la villa Makoko. Ils sont venus s’y installer il y a un an, au moment de votre départ. Ce sont des ours ; ils n’adressent jamais la parole à personne en dehors du nécessaire ; mais vous savez, au Mourillon, chacun vit à sa guise et l’on ne s’étonne de rien. Ainsi le capitaine…

« – Quel capitaine ?

« – Le capitaine Gérard, oui, paraît que le mari est un ancien capitaine d’infanterie de marine, eh bien ! on ne le voit jamais… Quelquefois, quand on a des provisions à déposer chez eux et que la dame n’est pas là, on l’entend qui vous crie derrière la porte de les laisser sur le seuil, et il attend que vous soyez loin pour les prendre.”

« Vous pensez bien que j’étais de plus en plus intrigué. Je descendis à Toulon pour interroger l’architecte gérant qui avait loué la villa à ces gens-là. Lui non plus n’avait jamais vu le mari, mais il m’apprit qu’il s’appelait Gérard Beauvisage. À ce nom, je poussai un cri. Gérard Beauvisage ! Mais je le connaissais ! J’avais un vieil ami de ce nom-là que je n’avais pas revu depuis plus de vingt-cinq ans et qui, officier de l’infanterie coloniale, avait quitté Toulon à cette époque, pour le Tonkin ! Comment douter que ce fût lui ? En tout cas, j’avais toutes les raisons naturelles possibles pour aller frapper à sa porte et, pas plus tard que ce soir même, qui était le fameux soir anniversaire où il attendait ses amis, j’étais décidé à aller lui serrer la main.

« En rentrant au Mourillon j’aperçus devant moi, dans le chemin creux qui conduisait à la villa Makoko, la silhouette de ma voisine. Je n’hésitai pas, je hâtai le pas et la saluai : “Madame, lui dis-je, ai-je l’honneur de parler à Madame la capitaine Gérard Beauvisage ?” Elle rougit et voulut passer son chemin sans répondre.

« – Madame, insistai-je, je suis votre voisin, le capitaine Michel Alban…

« – Ah ! fit-elle aussitôt, excusez-moi, monsieur… Le capitaine Michel Alban… Mon mari m’a beaucoup parlé de vous.

« Elle paraissait horriblement gênée et, dans ce désarroi, elle était plus belle encore, si possible. Je continuai, malgré le désir certain qu’elle avait de s’évader : “Madame, comment se fait-il que le capitaine Beauvisage soit revenu en France, à Toulon, sans le faire savoir à plus vieil ami ? Madame, je vous serais particulièrement obligé de faire savoir à Gérard que j’irai l’embrasser, pas plus tard que ce soir.”

« Et, voyant qu’elle hâtait le pas, je la saluai. Mais, à mes derniers mots, elle se retourna dans une agitation de plus en plus inexplicable. “Impossible ! fit-elle, impossible, ce soir… Je… vous promets de parler de notre rencontre à Gérard… c’est tout ce que je peux faire… Gérard ne veut plus voir personne… personne… il s’isole… nous vivons isolés… Nous avions loué cette villa parce qu’on nous avait dit que la villa d’à côté n’était habitée qu’une ou deux fois l’an, pendant quelques jours, par quelqu’un qu’on ne voyait jamais…” Et elle ajouta, sur un ton tout à coup très triste : “Il faut excuser Gérard, monsieur… nous ne voyons personne… personne… Adieu, monsieur.

« – Madame, fis-je, très énervé, le capitaine Gérard et Madame Gérard reçoivent quelquefois des amis… Ainsi, ce soir, ils attendent ceux à qui ils ont donné rendez-vous l’année dernière…”

« Elle devint écarlate.

« “Ah ! fit-elle, ça c’est exceptionnel !… C’est tout à fait exceptionnel !… Ce sont des amis exceptionnels !…” Là-dessus, elle s’enfuit, mais elle s’arrêta aussitôt dans sa fuite, et se retourna vers moi : “Surtout ! supplia-t-elle… Surtout ne venez pas ce soir !” Et elle disparut derrière le mur.

« Je rentrai chez moi et me mis à surveiller mes voisins. Ils ne se montrèrent point, et, bien avant la nuit, j’apercevais les volets fermés et, dans leurs interstices, des lumières, des lueurs, comme j’en avais vues lors de la très singulière nuit, un an auparavant. Seulement je n’entendais pas encore le prodigieux bruit de tonnerre de tambour de bois. À sept heures, me rappelant la toilette de soirée de la dame à la lampe, je m’habillai. Les dernières paroles de Mme Gérard n’avaient fait que m’ancrer dans ma résolution. Beauvisage recevait ce soir des amis ; il n’oserait pas me mettre à la porte. Ayant passé mon habit, j’eus un instant l’idée, avant de descendre, d’emporter avec moi mon revolver, et puis, finalement, le laissai à sa place, me trouvant stupide.

« Stupide, j’étais, de ne l’avoir point pris.

« Sur le seuil de la villa Makoko, je tournai, à tout hasard, le bouton de la porte, ce bouton que j’avais vu, l’an dernier, tourner tout seul. Et, à mon grand étonnement, devant moi, la porte céda. On attendait donc quelqu’un. Arrivé à la porte de la villa, je frappai. “Entrez !” cria une voix. Je reconnus la voix de Gérard. Joyeusement, j’entrai dans la maison. Ce fut d’abord le vestibule ; et puis, comme la porte d’un petit salon se trouvait ouverte, et que ce salon était éclairé, j’y pénétrai en appelant : “Gérard ! C’est moi !… C’est moi, Michel Alban, ton vieux camarade !…

« – Ah ! Ah ! Ah !… Tu t’es donc décidé à venir ! Mon vieux, mon bon Michel !… Je le disais justement tantôt à ma femme… Celui-là, ça me fera plaisir de le revoir !… Mais c’est le seul avec nos amis exceptionnels !… Sais-tu que tu n’as pas beaucoup changé, mon vieux Michel !… »

« Il me serait impossible de vous dire ma stupéfaction. J’entendais Gérard, mais je ne le voyais pas ! Sa voix résonnait à mes côtés, et il n’y avait personne près de moi, personne dans le salon !… La voix reprit : “Assieds-toi ! Ma femme va venir, car elle va se rappeler qu’elle m’a oublié sur la cheminée…”

« Je levai la tête… Et alors je découvris, tout en haut… tout en haut d’une haute cheminée, un buste. C’était ce buste qui parlait. Il ressemblait à Gérard. C’était le buste de Gérard. Il était placé là comme on a accoutumé de placer des bustes sur des cheminées… C’était un buste comme en font les sculpteurs, c’est-à-dire sans bras.