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Le jour de la fête des Mères, la journaliste Jeanne Blanchard, surnommée Papillon, disparaît. "Pas normal !" répète sans cesse sa mère, qui s'attend à sa visite annuelle et à qui elle tient à rendre hommage chaque année ce jour-là. Sa meilleure amie, la célèbre romancière Anna Pristi, est également inquiète. "Où es-tu, ma Jeanne ? Quelqu'un t'a sûrement enlevée, mais qui... Qui t'a volée, Papillon ?" Ce récit captivant entraîne le lecteur des gorges du Verdon aux gorges d'Ollioules, dans un mélange de suspense, d'humour et d'émotions diverses, le tout ponctué de légendes au charme provençal.
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Seitenzahl: 198
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Je dédie ce roman à ma maman, à ma belle-maman et à toutes les mamans de l’univers.
Qu’elles vivent, puis reposent en paix !
Que leur amour nous préserve de la guerre !
1 JOUR AVANT LE JOUR J
PRÉAMBULE
5 ANS ET QUELQUES MOIS AVANT LE JOUR J
CHAPITRE 1 DES PRISTI AU SALON
3 ANS ET QUELQUES MOIS AVANT LE JOUR J
CHAPITRE 2 PRÉPARATIFS CONTRARIÉS
1 AN ET 2 MOIS AVANT LE JOUR J
CHAPITRE 3 VICTOIRE SUR VERDON
1 AN, 1 MOIS ET 2 SEMAINES AVANT LE JOUR J
CHAPITRE 4 DÉPART D'UN PROCHE
QUELQUES JOURS AVANT LE JOUR J
CHAPITRE 5 ON S'APPRÊTE AU LOGIS
4 JOURS AVANT LE JOUR J
CHAPITRE 6 DÉFAITE AVANT LA FÊTE
2 JOURS AVANT LE JOUR J
CHAPITRE 7 OÙ ES-TU, PAPILLON ?
1 JOUR AVANT LE JOUR J
CHAPITRE 8 LES COMÉDIENS AMATEURS
1 JOUR AVANT LE JOUR J
CHAPITRE 9 LES NOUVEAUX ENQUÊTEURS
1 JOUR AVANT LE JOUR J
CHAPITRE 10 AVANT-PREMIÈRE
1 JOUR AVANT LE JOUR J
CHAPITRE 11 LE DISCOURS DU LOGIS
JOUR J
CHAPITRE 12 ON A RETROUVÉ PAPILLON
CHAPITRE 13 DES FAITS ÉTRANGES
CHAPITRE 14 RENDEZ-VOUS AVEC GUY
CHAPITRE 15 ENQUÊTE MATINALE
CHAPITRE 16 LA CAVALERIE
CHAPITRE 17 EN ROUTE POUR LE VERDON
CHAPITRE 18 L’EMPOISONNEUSE
CHAPITRE 19 LA POURSUITE INFERNALE
CHAPITRE 20 UN MEURTRIER DÉMASQUÉ
CHAPITRE 21 NOUNOURS
CHAPITRE 22 LE NAIN HORRIBLE
CHAPITRE 23 COMBAT SUPER-LOURD
CHAPITRE 24 LE TRÉSOR DES TEMPLIERS
CHAPITRE 25 LA DISPARITION D’EDMOND
CHAPITRE 26 CONVERSATION ET PLAGE PRIVÉES
CHAPITRE 27 MICHEL ET SON OLIVIER
CHAPITRE 28 MERLIN ET LA SORCIÈRE
CHAPITRE 29 L’INTERPRÉTATION DES MESSAGES
CHAPITRE 30 ATTERRISSAGE À GONFARON
CHAPITRE 31 LE PIÈGE
CHAPITRE 32 LES PETITS SECRETS
CHAPITRE 33 LA GRANDE RÉVÉLATION
CHAPITRE 34 L’ARRIVÉE DES ENQUÊTEURS
CHAPITRE 35 ET LE SPECTACLE CONTINUE…
Un couple de vacanciers flâne près de Rougon, au cœur des gorges du Verdon.
Arrivés en fin de matinée dans cet authentique village médiéval en nid d'aigle, ils ont déposé leurs bagages dans la chambre qu'ils occuperont pour quelques jours en ce début de mois de juin. Ils rangeraient leurs affaires plus tard. Ils avaient faim et leur table réservée était prête à les accueillir dans la salle à manger.
Ils ont choisi de séjourner dans cette auberge située en face du belvédère, non seulement pour sa vue, mais également pour sa carte. À table, donc ! Leur choix commun : le menu végétarien... Une fois à l'étage, ils s'étaient couchés. Sagement allongé, bien rassasié, Lui savourait encore de mémoire sa soupe au pistou ; quant à Elle, elle garderait une bonne place, la prochaine fois, pour l'excellente assiette de fromages de nos montagnes. Sur ces images, ils somnolaient chacun de leur côté avant leur départ pour le pays des rêves.
Dans ce cadre grandiose des Alpes-de-Haute-Provence et d'après Internet, plusieurs activités sont proposées. La semaine dernière, ils dormaient dans un bungalow au bord du lac de Sainte-Croix, dans les basses gorges. Ils avaient notamment navigué tantôt en bateau électrique, tantôt en pédalo. Que choisir, pour ce deuxième séjour ? Aux canyoning, escalade, équitation, marche, kayak ou autre VTT, ils ont préféré se cantonner à la randonnée pédestre, plus dans leurs cordes que la varappe. Ils partiront demain matin sur le sentier Blanc-Martel longer le lit du Verdon. C'est une excursion incontournable, leur a-t-on assuré. Eh bien, nous ne la contournerons pas, avaitelle répliqué le sourire aux lèvres, mais seulement après une bonne nuit de sommeil !
La sieste avait été réparatrice plutôt que crapuleuse (reportée à cause des fatigues cumulées du voyage et des pédalages nautiques). Les anciens tourtereaux se promènent tranquillement main dans la main aux alentours du village. S'emplissant les poumons d'air pur et les narines des parfums de la nature, ils admirent le magnifique panorama coloré par l'image mouvante d'un vautour fauve.
Se séparant provisoirement de son époux, Elle vise le volatile de son appareil photo au zoom impressionnant. Mitraillage terminé, ils contemplent en duo les images, pendant que le rapace s'éloigne, peut-être déçu de ne plus être le centre d'intérêt.
Bien que sympathique, Lui a régulièrement tendance à vouloir étaler son savoir pour épater son monde. Sa tendre épouse, actuellement, et son entourage les autres jours. Encore un monsieur Je-sais-tout ! Elle l'aime tant qu'elle l'écoute aussi maternellement. Dans ces moments-là, il se prend pour un savant alors qu'elle le considère comme son enfant. C'est pratiquement son seul gros défaut, songe-t-elle magnanime. Il récite donc sa leçon, apprise récemment.
— Rougon est la porte d'entrée du couloir Samson ?... Et la légende à propos de Samson...
— Ça s'est passé avant ou après son passage chez sa coiffeuse Dalila ?
— Tu ne peux pas être sérieuse ?
— Désolée, mon amour, ne boude pas : je ne te coupe plus. Alors, cette légende...
— La voici : "Samson aurait pourfendu la montagne en deux, créant ainsi les gorges du Verdon, afin de sauver Dalila qui était au village de Rougon".
Gentille, et comédienne par intermittence, Elle semble épatée par tant de connaissances. Feignant la modestie, mais bombant tout de même légèrement le torse, Lui se montre satisfait de son effet. Elle le questionne alors :
— Mais qui détenait la maîtresse de Samson ? Et pourquoi ?
— Je n'en sais rien : ce n'est pas précisé sur la notice.
Après ce bref moment de culture, parti finalement en déconfiture, il tente de se rattraper. Désirant attirer de nouveau l'attention de son unique public, il s'apprête à enchaîner... Elle lui cloue habilement le bec en lui faisant remarquer "comme l'endroit est calme". Ils continuent alors leur marche en silence. Soufflant discrètement, elle pense : " - merci, Seigneur ! ". Puis leurs mains se rejoignent, suivies par leurs yeux et enfin par leurs lèvres.
Quel endroit merveilleux ! Si paisible... et pourtant...
Les amoureux s'éloignent à présent... Mais s'ils s'étaient approchés du bord de cette montagne, l'auraient-ils aperçu ? L'auraient-ils aperçu quelques mètres plus bas, ce superbe papillon bleu-turquoise, brillant au soleil, posé sur un buisson vivant entre deux roches ?
Que fait donc ce morpho américain loin de son continent ? pourrait-on remarquer. Même si sa belle couleur se marie à ravir avec ce décor extraordinaire. Embelli dans son contrebas de son plus beau joyau : la rivière émeraude... Mais, à y regarder de plus près, on s'en rend compte. C'est un morpho, mais faux ! Il s'agit en fait d'un pic à cheveux papillon, garni d'une mèche rousse. Puis, en déplaçant son regard sur la gauche, et en le projetant jusqu'au pied de la falaise, la balade de nos touristes eût été gâchée par cette vision : celle du corps sans vie d'une femme aux cheveux défaits.
On pourrait croire, à première vue, à une chute accidentelle. Et pourtant...
Un chapiteau gigantesque s'est posé sur la place d'Armes de Toulon, en face de l'arsenal. À l'intérieur de cette immense tente, campent trois jours durant des autrices et des auteurs, des éditrices et des éditeurs, ainsi que des libraires de tous sexes. Cette année, deux cent cinquante-huit gens de lettres sont attendus à cette Fête du livre du Var. Fête qui réunit, une fois par an, des créatrices et créateurs de romans, de polars, de poésie, de livres d'art, de livres pour la jeunesse, de BD, d'essais...
De grands noms de l'Écriture se succèdent dans cet évènement littéraire majeur varois, qui attire bon nombre de lecteurs. Parmi ces vedettes, en ce samedi 19 novembre, la célèbre romancière Anna Pristi est programmée à 15h00 au stand du libraire "Ô plaisir de lire !" pour une séance de dédicace. Son dernier policier "Par ta porte close...", sorti en septembre, a déjà remporté un vif succès, tant du côté de la critique que de celui des lecteurs.
Assis. Seul. Désœuvré derrière ses ouvrages vierges de toute trace de doigt, Roland Pristi grimace à la vue de la file de personnes qui s'est constituée petit à petit... depuis presque deux heures... presque devant lui.
Même si tous ces passionnés de lecture ne sont attirés que par les meurtres, les enquêtes criminelles... Certains d'entre eux tourneront peut-être la tête vers mon recueil de poésie et viendront à ma rencontre. Enfin on peut toujours rêver ! Merci, l'ami libraire, de m'avoir placé près de l'autrice à succès ! pense ironiquement le poète.
Soudain, il sent une présence. Son regard se tourne alors vers son visiteur qui - ô déplaisir du moment ! - n'est que son frère, malheureusement.
Vrais jumeaux de 48 ans, Roland et Edmond sont nés un 10 janvier à Paris, du temps où leurs parents résidaient dans la capitale pour leurs affaires. Ils avaient passé la plus grande partie de leur enfance à Toulon. Dans la somptueuse villa familiale située dans le quartier tranquille et huppé du Cap Brun. Leurs yeux sont bleus, et leurs cheveux inexistants : ils sont chauves et imberbes. Ces deux géants de presque deux mètres, 1m95 plus exactement, sont dotés d'une même force herculéenne. Roland est l'aîné en tant que "premier sorti". En effet, malgré la pensée intuitive que le bébé placé le plus au fond de l'utérus était le premier "installé", né donc en second puisque logé le plus loin de la "sortie", en France on applique le droit hérité des textes romains : le premier-né est l'aîné.
En revanche, bizarrement et contrairement à la plupart des jumeaux, ils ont des goûts complètement différents.
Roland s'habille en style décontracté, voire sans style et négligé. Il fume toutes sortes de cigarettes, de cigares et d'autres produits plus ou moins licites. Insomniaque, il taquine aussi chaque nuit la bouteille. Il ingurgite des boissons dont certaines sont encore plus dangereuses pour sa santé que ses fumettes interdites. Marié à la Poésie depuis sa dernière déception sentimentale, il s'est déclaré célibataire pour le meilleur et pour le pire jusqu'à ce que la mort le sépare de sa plume. Rentier, il peut se permettre de publier à compte d'auteur ses recueils de poèmes et d'en faire une bonne publicité. Mais, hélas, ses vers restent solitaires comme lui et n'intéressent personne jusqu'ici.
De ses pyjamas à ses tenues de soirée, Edmond ne porte que des vêtements chics. Il ne fume pas et ne boit jamais d'alcool. Soigné pour un trouble bipolaire depuis l'âge de 19 ans, il prend du lithium comme traitement à vie, évitant ainsi les humeurs changeantes que cause généralement cet état. La thérapie par le cheval, en complément de ses soins, a eu un double effet dans sa vie. Il est mieux dans sa peau d'une part, et d'autre part il s'est découvert une passion pour les chevaux. Passion non partagée par son frère. Rentier comme son jumeau, il s'intéresse aux affaires immobilières de la famille, source de leur fortune. Il participe donc aux conseils d'administration, en qualité d'actionnaire principal.
Malgré leurs vies divergentes, tels les deux rochers émergeant à la pointe du Cap Sicié, "les Deux Frères" demeurent très proches l'un de l'autre. Ils partagent même deux passions.
L'une d'entre elles, la moins avouable, est le jeu. Roland joue de fortes sommes dans les casinos, tandis qu'Edmond mise plus modérément de l'argent sur les courses de chevaux.
L'autre passion : c'est la voile. Ancrée en eux, elle reste leur seule activité commune. Celle qu'ils pratiquent ensemble. Qui les unit encore un peu plus. À l'âge de huit ans, les Pristi prenaient leurs premiers cours sur des Optimists. Des petits dériveurs en solitaire destinés aux enfants. Aux corsaires et pirates en herbe. Pour fêter leurs vingt ans, tout en égayant la vie d'Edmond dont l'affection incurable fut diagnostiquée un an plus tôt, Roland l'embarquait sur un voilier. Il avait loué un monocoque pour une semaine de croisière à deux en Martinique. Et depuis cette escapade maritime réussie, ils partent tous les ans sur la mer, pendant une dizaine de jours, au moment de leur anniversaire. Suivant les conditions météorologiques du mois de janvier sur la côte varoise, ils n'utilisent pas toujours le bateau de Roland, amarré sur le port de Toulon. Ils réservent plus souvent un catamaran dans l'une des destinations idéales pour naviguer en hiver : Portugal, Îles Vierges britanniques, Martinique, Ténérife ou Croatie.
Mais revenons sur la terre ferme, et sur le livre versifié intitulé "Peindre le monde en vers" - écrit et sponsorisé par Roland Pristi - recueil autopublié qu'Edmond tient dans une main. Il commence la lecture d'un poème à voix haute.
— À LA DISPOSITION DES RIMES
Afin d’atteindre l’Art au bleu de l’encrier,
Baladin de l’amour, il plonge en écriture.
Bougonnant, l’air pensif, Adam cherche et rature
Attiré vers l’effort des mots à marier.
Axé sur ce travail tel un bon ouvrier,
Balayant l’hiatus, d’un coup sec il capture
Beaucoup de sons qui font des pieds à sa pointure,
Au bord de quelques vers, pour les colorier.
Ce besoin d’idéal est une maladie.
Certains voudraient parfois qu’un sort la répudie :
Désirant leur bonheur plutôt que son savoir.
En fait, cela lui plaît de régler l’hémistiche,
De disposer enfin les rimes du devoir,
Et, pour s’en souvenir, d’aligner l’acrostiche.
Relevant la tête, l'acteur occasionnel observe la réaction du public forcé d'entendre ses paroles. Deux personnes ont semblé apprécier, ou font semblant pour ne pas froisser le colosse. Les autres : la plupart n'ont rien entendu ou rien écouté, hormis trois paires d'yeux glaciales paraissant lui reprocher "vous auriez pu bouquiner mentalement au lieu de nous casser les pieds et les oreilles !".
Imperturbable, Edmond insiste.
— À la disposition des rimes ! Ah, oui ! En lisant dans le sens vertical la première lettre de chaque vers, on trouve l'acrostiche. La disposition des rimes du sonnet classique : ABBA, ABBA, CCD, EDE. C'est...
Reconnaissant envers son double, Roland vient à sa rescousse en lui coupant la parole.
— C'est bon, laisse tomber : ça sonne faux. Ces braves gens ne t'écoutent pas et c'est mieux comme ça. Et puis, vu que nous n'avons aucun air de famille, tu n'es pas du tout crédible dans le rôle de l'inconnu qui découvre mes écrits. Mais, je te remercie tout de même : je suis très touché que tu aies voulu m'aider.
— À propos d'aide, tu n'as besoin de rien ?
— Je n'avais pas faim à midi, mais maintenant je grignoterais bien quelque chose. Deux pains au chocolat ou deux croissants feront l'affaire.
— Je te rapporte ça tout de suite.
Edmond n'est sorti du chapiteau que depuis deux minutes quand une grande blonde aux yeux verts prend place majestueusement devant sa table. Par sa présence et son aura, Anna Pristi éclaire instantanément, comme par magie, tous les visages de sa file d'attente d'un grand sourire. Elle en adresse également un à son voisin, avant de saisir avec délicatesse son stylo à dédicaces, et Roland lui rend son amabilité en pensant :
Elle n'a encore prononcé aucun mot, et malgré ça tous les membres de ce rang d'oignon sont déjà suspendus à ses lèvres.
La romancière aime rencontrer son public. Certains de ses fans suscitent quelquefois des idées d'esquisses de personnages pour un prochain roman. Mais ces idées lui viennent généralement bien après l'entrevue, fréquemment le soir en y repensant. Pour le moment, elle apprécie les critiques majoritairement élogieuses qu'elle reçoit de ses lecteurs. Très humaine, elle est gênée de constater que son voisin ne vend aucun livre. Quand elle aura fini ses dédicaces, elle feuillettera tout d'abord une œuvre de cet auteur. Elle lira deux ou trois vers bien ficelés, puis lui achètera un exemplaire dédicacé par solidarité. Si le poète ne l'intéresse pas, l'homme aurait pu l'attirer s'il savait se vêtir correctement.
Quel dommage d'enlaidir un physique aussi beau par un accoutrement aussi laid ! estime silencieusement Anna. Mais concentre-toi sur cette gentille dame ! C'est très incorrect de s'évader d'une prison dorée dont la geôlière vous abreuve de tant de compliments.
Forte de cette résolution, l'autrice-reine se focalise sur sa cour. Elle ne peut donc apercevoir Edmond retournant auprès de son frère, un premier sachet de viennoiseries dans une main, un second rempli de boissons fraîches dans l'autre. Roland sort, le temps de grignoter une chocolatine ou un pain au chocolat (au choix du lecteur, pour ne vexer personne). Il cède sa place à celui qu'il nomme affectueusement son frérot. Il tait l'autre raison de sa récréation. Profitons-en pour se désaltérer avec deux ou trois bières au bar le plus proche et se fumer quelques cigarettes ! Son "frérot" insistant pour ne l'approvisionner qu'en liquides non alcoolisés.
Lorsque le regard d'Anna se tourne vers la table attenante à la sienne, il s'illumine à l'apparition de son voisin soudain métamorphosé. Il a visiblement changé de tenue. Stupéfaite, elle se pose des questions intérieurement.
Ai-je dit ce que je croyais n'avoir que pensé ou mon attitude m’aurait-elle trahie ? Quel changement ! Super classe, le beau gosse !
Edmond est subjugué par la beauté de la superbe quadragénaire. Il la contemple sans cesse et boit toujours ses paroles lorsque Roland, parfumé au tabacbières, le rejoint. Le revenant marche lentement. Il s'est conditionné pour faire face aux remontrances habituelles de son cadet. Cependant, cette fois-ci, pas de "tu es encore allé au bar"... Le bien habillé a rendu son siège au mal fringué, après lui avoir dit " — tu m'excuses. Je reviens dans deux minutes...". Sur ces bonnes paroles, il s'est positionné au bout de la file qui se tient devant la table de la célèbre romancière, mais qui ne compte plus que trois personnes.
Ravi d'avoir pu se détendre à sa manière, pour une fois impunément, l'aîné s'étonne de cette situation.
Quelle mouche l'a piqué ? Je picole et il s'excuse. C'est le monde à l'envers !
Malgré les signes négatifs du vigile - plus personne ne devant se joindre à la queue - le bel homme reste de marbre et montre une pièce d'identité. Ayant le même nom que l'écrivaine, il n'a aucun mal à se faire passer pour un cousin venant simplement la saluer.
Pour finir cette séance de dédicace, Anna est à la fois radieuse et complètement déboussolée. Elle a tout de suite aperçu le visage du poète beau gosse. Il dépasse d'une tête les trois personnes se tenant devant lui. En se tournant vers son voisin, elle marque un temps d'arrêt - tel un chien de chasse - en découvrant le même "visage du poète beau gosse". Le même que celui qui se trouve un peu plus loin, devant elle. Elle comprend alors : il ne s'est pas changé. Ils sont deux et de la même famille. Reprenant ses esprits, elle se rend compte que son interlocutrice a été interloquée par son attitude. La romancière lui demande alors de bien vouloir lui pardonner son absence momentanée, due sans aucun doute à la fatigue. Tout en se délectant à l'avance de l'entrevue, qu'elle devine déjà romantique, elle se met à l'écoute de chacune de ces personnes. Ces personnes qui ont eu la patience et la gentillesse d'attendre sans se plaindre pendant plus de deux heures cette entrevue. Cela mérite, lui semble-t-il, toute sa considération.
Le tour d'Edmond arrive enfin.
Anna constate que ce Salon du Livre de Toulon se finit en apothéose, pour elle, et devance la réflexion qui ne tarderait pas à venir.
— Je sais : il ne s'agit pas du Salon... mais de la Fête du Livre du Var. Je continue malgré tout à les appeler ainsi depuis le temps où le Salon du Livre de Paris se déroulait porte de Versailles. Je sais. Lui aussi, on l'a rebaptisé. Depuis quelques années, c'est le "Festival..." Mais de mon côté, même dans ma maison, j'ai toujours eu un faible pour le salon.
— Quand vous viendrez chez moi, vous serez séduite par le mien.
— Je viendrai, mais je n'ai pas attendu votre invitation pour être séduite.
Six mois plus tard, Edmond somme tendrement sa fiancée de prendre une décision. Alors qu'elle a pour nom de famille "Garnier", elle s'est permis de choisir le pseudonyme de "Pristi" pour signer ses romans. Sans demander la permission aux détenteurs officiels dudit nom. Non, mais !
À la grande surprise de leurs proches, certains allant jusqu'à soupçonner les amoureux d'avoir perdu la raison, la situation est régularisée sur-le-champ, ou plutôt à la mairie de Toulon.
À compter de ce jour, celui de leur mariage, "Pristi" (le nom du pseudonyme d'Anna) devient également son nom d'épouse.
Pourquoi ?... Quelle est la raison de cette angoisse ?
Alors que chaque instant devrait la combler de joie : tous ses projets sont couronnés de succès. Son histoire d'amour se déroule presque comme un conte de fées - ils vécurent heureux et n'eurent pas d'enfants. Ses romans se vendent comme des petits pains et son livre en cours se présente bien. La soirée à venir s'annonce inoubliable. Elle éprouverait éventuellement un brin de trac, ce serait compréhensible. Mais juste un petit brin de trac positif précédent à coup sûr de grands moments de plaisirs partagés. Pensez-vous ! Sans savoir la provenance de cette sensation, Anna Pristi ressent comme un malaise. Comme un mauvais pressentiment.
— Du calme, ma belle ! déclame-t-elle dans un souffle enfumé, une énième cigarette coincée entre deux doigts. Puis elle enchaîne par cette pensée : voilà que je soliloque comme une vieille gâteuse, maintenant.
Suivant l'ordre qu'elle s'est elle-même imposé, elle se reprend. Enfin, elle essaie. En effet, rien ne justifie des transes pareilles. Un heureux évènement se prépare... Non pas pour une naissance, mais pour des anniversaires.
50 ans. 50 ans, ça se fête. Et ça se fête doublement pour des jumeaux.
En ce moment, la grande blonde aux yeux verts chasse avec minutie le moindre détail qui aurait pu lui échapper dans sa préparation. Elle n'en décèle aucun. Au lieu de s'en réjouir, l'autrice s'en inquiète et son trouble refait surface. Elle se compare alors à une personne malade dont les résultats d'analyses sont excellents. C'est pas normal. Je sens bien que quelque chose ne tourne pas rond. L'écrivaine concocte cette cérémonie pour son amour de mari et son énigmatique beau-frère, qui franchiront après ce dix janvier, en bons navigateurs qu'ils sont, le cap du demi-siècle. En l'honneur des jumeaux, elle a opté pour une soirée festive organisée dans une salle somptueuse du Casino de Bandol, avec vue imprenable sur la baie.
Pourquoi Bandol ? Pourquoi le casino ?
Bandol : c'est pour Edmond. Quel meilleur choix pour son bien-aimé ? Quel meilleur lieu que cette commune incomparable de Bandol ? Parmi les maisons de cette ville, il en existe une, datant du XIXe siècle, qui avait pour nom "villa Clémentine". Elle fut rebaptisée "Ker Mocotte" par leurs nouveaux propriétaires, en 1933 ; "ker" signifiant maison en breton, et "mocotte" en référence au moco (personne originaire de Toulon). D'origine bretonne, la dame avait pour époux le Toulonnais Jules Muraire, plus connu sous le nom de Raimu. Edmond est fier d'habiter la même ville que celle où son acteur préféré séjournait en vacances. Papet, son grand-père maternel, lui avait transmis sa passion pour l'immense acteur. Bandol est donc parfait pour mon chéri, se rassure l'organisatrice.
Le casino : c'est pour Roland. Quel meilleur lieu que ces salles propres aux divertissements pour cet amateur de tapis verts ? La Grande Classe ! Comme au Festival de Cannes, le rouge est mis sur l'escalier où les joueurs-acteurs grandissent temporairement par petites enjambées successives. Ces stars d’un soir se gonflent d'espoir en s'élevant de marche en marche jusqu'à ses portes... puis elles ressortent le plus souvent d'un pas moins assuré, un portefeuille plus léger, quelques heures plus tard. La même couleur orne le sol de ses pièces, sous forme de moquettes. Ici, c'est un peu la deuxième maison de Roland. Je ne pouvais trouver mieux pour mon beau-frère ! espère la romancière.