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"Recueil de nouvelles d’un haltérophile" transporte le lecteur de Toulouse aux sombres forêts d’Afrique, du sud de l’Italie aux plaines de Russie, et même dans des lieux familiers comme une fête foraine, un stade de football ou un hôpital. Les protagonistes, qu’ils soient simples, humains ou divinités, ne manqueront pas de vous captiver.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après une pause de plusieurs années,
Silvio Catanoso, ancien champion d’haltérophilie, fait un retour fulgurant dans le monde du sport en remportant plusieurs titres. Ses productions littéraires s’inspirent des légendes et cultures des nombreux pays qu’il a visités.
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Seitenzahl: 283
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Silvio Catanoso
Recueil de nouvelles
d’un haltérophile
© Lys Bleu Éditions – Silvio Catanoso
ISBN : 979-10-422-3208-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Assis sur un fauteuil de pierre, un coude sur une cuisse, le poing sous le menton, il méditait. Plus exactement, il réfléchissait, en maugréant. Il était le dernier dieu antique. Dans sa demeure, à mille cinq cents mètres sous l’Etna, il broyait du noir. Le monde avait tellement changé. Il se rappelait les temps anciens, quand les dieux de l’Olympe étaient adorés de la plupart des hommes en méditerranée et même au-delà. Enfin, presque tous les dieux. Son père, Zeus, sa mère Héra, ses frères, demi-frères et demi-sœurs, Apollon, Artémis, Arès, ses oncles et tantes, Déméter, Poséidon, Hadès, etc. Tous sauf lui. Il avait été le mal aimé, dès sa naissance. Lorsque sa mère l’avait enfanté, elle poussa un cri de colère. Son fils était d’une laideur épouvantable. De rage, elle le précipita du haut de l’Olympe. Le choc fut rude, même pour un dieu. Il en garda toujours les stigmates. On l’appelait le boiteux. Après une telle chute, c’était un moindre mal. Quand il fut admis à séjourner avec les autres dieux, on ne lui réserva jamais une bonne place à la table des convives. Sa conversation étant limitée, les déesses s’en détournaient et les autres dieux l’ignoraient. Cependant, ils lui reconnaissaient un talent certain : la fabrication des armes et des objets en métal. Son exil sur terre lui avait permis d’apprendre le métier de forgeron. Sur les conseils de son père adoptif, un mortel, il devint un excellent artisan. Il dépassa, en peu de temps, les meilleurs. Son géniteur, qui le suivait depuis de nombreuses années, fut enchanté de ses progrès. Zeus était ce qu’il était, mais on ne pouvait pas lui reprocher de ne pas aimer ses enfants.
Le problème c’était son épouse. Elle était colérique et rancunière. Il fallut toute la ruse du souverain des dieux pour lui faire accepter leur enfant. Ce ne fut pas facile. Zeus avait beau être le patron, il n’en menait pas large quand sa femme faisait une scène. Ces jours-là, l’ensemble des divinités était occupé ailleurs. Le ciel s’assombrissait et ça tonnait dur. Il faut dire que la pauvre femme avait de quoi se mettre en colère. C’est que son mari n’était pas un modèle de fidélité.
Zeus aimait l’amour, sous toutes ses formes. Les déesses comme les mortelles, les nymphes comme les magiciennes. Il aimait aussi les hommes, jeunes et beaux de préférence. Ses expériences sexuelles étaient multiples et parfois inattendues. Il ne dédaignait pas se métamorphoser en animal pour séduire l’objet de son désir. Un jour, il se changea même en pluie pour en venir à ses fins. En résumé, Zeus était volage et ses mœurs étaient douteuses. Elles allaient de la normalité à la pédophilie en passant par la zoophilie ! C’était une autre époque, se disait Héphaïstos. Il y avait eu de bons moments et puis de moins bons. Il se remémora le jour où il avait remis à son père les premières foudres. Zeus avait lancé celles-ci toute une journée sans s’en lasser. Il avait chaudement félicité son fils. Tous les dieux de l’Olympe s’étaient extasiés. Peu après, les commandes affluaient. Son oncle, Poséidon, lui demanda de lui fabriquer un trident, sa demi-sœur Athéna voulut une armure ainsi qu’Arès, le dieu de la guerre. Les commandes étaient si nombreuses qu’il ne pouvait y arriver seul. Il alla trouver son père pour obtenir une forge digne d’un dieu et des aides. Zeus lui offrit l’Etna et lui adjoint les Cyclopes et les Titans. Il lui fallut s’organiser.
Tout était à faire et les géants n’étaient pas dociles. Un jour qu’il s’absenta pour une courte période, ils en avaient profité pour se révolter. Ils avaient bien failli atteindre la demeure des dieux, eux-mêmes. Le combat fut terrible. Il fallut toutes les forces divines pour remporter la victoire. Les éclairs zébrèrent le ciel comme jamais auparavant. Zeus entra dans une colère folle. Une fois les Titans vaincus, il leur imposa des chaînes pour leur interdire éternellement la sortie des entrailles du volcan. Héphaïstos fut sermonné sans ménagement. Il n’avait pas beaucoup d’amis avant… alors, après ce jour, n’en parlons pas. Sa mère fit en sorte qu’il soit le moins possible invité sur l’Olympe.
Le temps comme toujours arrangea les choses. Quelques demi-dieux firent appel à lui. Persée lui commanda un bouclier, Hermès, un casque à ailes, Achille, une épée, etc. Bien sûr, on ne parla que de leurs exploits, pas de ce qui les avait rendus possibles : les armes.
Et puis il y eut l’affaire de son mariage. Ce fut un désastre, mais il ne pouvait s’en prendre qu’à lui seul. Héphaïstos, le plus laid des dieux, fut marié à la plus belle des déesses : Aphrodite. On ne pouvait trouver plus incongru. La déesse était d’une beauté exceptionnelle. Tous les dieux la désiraient, lui le premier. Certains avaient eu ses faveurs, comme Apollon. Qui pouvait bien résister à Apollon ? Héphaïstos le trouvait obséquieux et fat. Avec ses habits qui laissaient tout voir de son corps parfait et sa lyre ridicule qui ne le quittait jamais. Avec ses poésies et ses chants, il charmait toute la gent féminine. Il y avait eu aussi le beau ténébreux, Arès. Elle en était folle. Probablement le prestige de l’uniforme, se disait le forgeron. Sexuellement, Aphrodite était à la femme, ce que Zeus était à l’homme : insatiable. Les chiens ne font pas des chats, les membres d’une même famille se ressemblent !
Héphaïstos était une exception, parmi les dieux ; on ne lui connaissait pas de liaison, classique, incestueuse ou diverse comme ses semblables. Il était donc souvent l’objet de nombreuses railleries qui, il en était certain, avait pour origine sa propre mère.
Un jour, il en eut assez. Il n’était pas seulement un artisan de génie, il était aussi un créateur doublé d’un inventeur. Il imagina, en cachette, un fauteuil merveilleusement ouvragé. Imposant, magnifique et très confortable. Il l’installa en secret dans la chambre de sa mère. Quand celle-ci le vit, elle crut à un cadeau de son époux pour se faire excuser d’un de ses écarts. Elle s’y assit et ne put se relever. Impossible de se retirer du siège. Elle se mit à hurler si fort que les murs en tremblent encore. Tout l’Olympe accourut pour lui venir en aide. Personne n’arrivait à l’en sortir. Héraclès lui-même ne put y arriver. Il adorait Héra, et pour cause son nom ne signifiait-il pas qu’il était le fils d’Héra ? Il eut beau s’arc-bouter, rien n’y fit. Quand Zeus apparut, on pensa que le calvaire de la déesse prendrait fin. Tous se trompaient. Héra jura comme un charretier et tout roi des dieux qu’il était, il en prit plein son grade. Finalement, Dionysos, ivre, comme à son habitude, fit remarquer qu’Héphaïstos était absent. On lui confia la mission de ramener le dieu des forges au plus vite. Il revint presque aussitôt et dit que le charme ne serait rompu que si l’on donnait satisfaction à sa demande qui était de lui donner Aphrodite comme épouse. Arès et Apollon se portèrent immédiatement volontaires pour faire rendre gorge à ce grossier personnage. Héra, qui abhorrait la belle déesse, y consentit dans l’instant. Même un dieu ne peut se parjurer. Le fauteuil ensorcelé laissa libre sa victime, dès le dernier mot divin prononcé. La belle déesse ne pouvait que se soumettre. Les cérémonies du mariage eurent lieu peu de temps après. Le dîner qui s’en suivit fut triste et la nuit de noces encore plus en fait, personne ne sut jamais si le mariage fut consommé. Toujours est-il que la mariée se comporta comme si elle était célibataire et libre, et le marié, à cocufier à loisir.
Rien que d’évoquer ces souvenirs, Héphaïstos fulminait. Se redressant sur son siège, il tapa du poing sur les accoudoirs. La terre se mit à trembler. Un nuage s’échappa du cratère. Dans toute la Sicile, on se prépara à une éruption, mais il n’en fut rien. Le dieu se calmait aussi vite qu’il s’enflammait. De toute façon, il n’avait jamais aimé les honneurs et les mondanités l’ennuyaient. Il rendait rarement visite à ses semblables. Exception faite de son oncle Hadès, le dieu des enfers qui vivait sous terre. Il était le gardien des âmes. Celles-ci, en fonction de leur statut, se rejoignaient en différents endroits. Les champs Élysées étaient des plus prisés. Il y avait croisé, les grands guerriers hellènes : Ulysse, Ajax, Achille et Hector, maintenant amis. Il trouvait l’endroit reposant. Son oncle le recevait, sans cérémonie. Tout comme lui, il était un peu un paria. Lors du partage du monde, il n’avait pas hérité de la meilleure part. Zeus, son frère aîné s’était accaparé les cieux, Poséidon, la mer et pour, lui, les enfers. La terre n’appartenait à personne. Tous pouvaient l’utiliser comme il leur plaisait.
C’était un grand champ d’expérimentation. Souvent un champ de bataille. Lorsque les dieux étaient seuls dans l’univers, au tout début de l’histoire du monde, il n’y avait qu’eux. Un jour Zeus voulut créer un être mortel. Il a dû s’y reprendre à plusieurs fois. On frôla même la catastrophe. Il imagina un être moitié mâle, moitié femelle. Constitués de deux paires de pattes et d’autant de bras, ils avaient deux têtes. Les enfants qui naissaient étaient semblables à leurs parents qui n’en faisaient qu’un. Ils se multiplièrent. De temps en temps, les dieux les regardaient vivre et mourir. Ils étaient paisibles. Pourtant, sans savoir pourquoi, ils décidèrent de chasser leurs créateurs. Avec leurs quatre jambes et leurs quatre bras, ils étaient rapides et redoutables au combat. Zeus qui avait déjà eu maille à partir avec les Titans ne voulut prendre aucun risque. Dès le début de l’insurrection, il prit les devants. Du haut de l’Olympe, il lança ses foudres. Chaque projectile atteignit sa cible. Chaque être se vit coupé en deux. Les deux entités nouvellement créées se retrouvèrent séparées. Tous les humains, c’est ainsi qu’on les appela plus tard, se disséminèrent sur tous les continents. Les hommes et les femmes se mélangèrent sur toute la surface de la Terre. Ils n’étaient pas près de recommencer. Zeus avait bien vu les choses : le temps qu’une moitié retrouve l’autre moitié, il s’en passerait du temps. Les dieux pouvaient dormir tranquilles. Il est vrai que cela arrivait de temps à autre. C’était exceptionnel et suffisamment spectaculaire pour être remarqué. Lorsque deux personnes se rencontraient, et sans doute parce qu’il restait encore de l’électricité divine, il se produisait comme un coup de foudre. Les deux jeunes gens se sentaient attirés l’un vers l’autre et ils ne faisaient alors plus qu’un… comme avant.
— Ah, les hommes ! dit tout fort Héphaïstos. Zeus aurait mieux fait de rester un peu plus longtemps avec une de ses nombreuses maîtresses. C’est bien simple, depuis leur apparition, tout allait à vau-l’eau. Le pouvoir de destruction des dieux est manifeste, mais celui des hommes lui est bien supérieur. Pour en avoir discuté avec des divinités d’autres panthéons, tout le monde était d’accord : c’est la pire création de l’univers. On a beau leur infliger les pires catastrophes, ils trouvent le moyen d’en inventer de plus grandes encore. Leurs guerres sont bien plus dévastatrices que celles auxquelles nous avons participé. Leur cupidité, leur tendance à vouloir tout conquérir et leur avidité sont sans limite.
De toutes les façons, tout avait mal commencé, dès le premier homme et ne parlons pas de la première femme. Héphaïstos connaissait l’histoire d’Adam et Eve. Saint-Michel qui traquait un dragon près de ses forges la lui avait racontée. L’archange l’avait pris en pitié. Tous les deux ne faisaient pas partie du même monde, mais ils avaient quelques points en communs, alors ils se respectaient. Saint-Michel lui avait parlé du péché originel, Héphaïstos lui avait parlé de Pandore.
— C’est la première femme née sur terre, avait dit le forgeron. L’archange ne l’avait pas contredit… Eve était née au paradis. Zeus, dans son infinie bonté, lui avait remis une boîte dans laquelle il avait enfermé tous les maux de la terre et plus encore. Les hommes auraient pu vivre sans jamais souffrir. Il a fallu qu’elle l’ouvre. Ces êtres sont étonnants de curiosité et de bêtise, tu ne trouves pas mon collègue ?
Saint-Michel répondit :
— C’en est affligeant.
Il semblait blasé.
— Elle tenta bien de refermer la boîte, mais il était trop tard. En fait, il ne resta qu’une seule chose : l’espoir.
— Même si on peut prétendre à retourner quelques fâcheuses situations, tu avoueras que c’est bien peu.
Sur ce, Saint-Michel continua sa route et Héphaïstos ne le revit jamais.
Quelques siècles plus tard, il eut la visite d’un autre dieu. Alors que les divinités de l’Olympe étaient tombées en désuétude et que la chrétienté se propageait un peu partout, il y eut une courte période pendant laquelle un autre panthéon s’installa sur l’île.
Au début, Héphaïstos n’avait rien remarqué. C’est en entendant des hommes invoquer leurs dieux dans une langue qui lui était complètement inconnue qu’il y fit attention. Il était occupé à forger, quand il entendit des coups de tonnerre. Il crut au retour de Zeus, son père. Il s’apprêtait à le recevoir dignement. Il sortit du volcan, et se tenant sur les pentes de l’Etna quelle ne fut pas sa surprise de voir, amarrés au port le plus proche, de drôles de bateaux. Il en sortait des hommes, grands, lourdement armés, blonds pour la plupart et ceints d’un casque surmonté de cornes. Des hommes rudes, simples et dénués de vices. Le dieu antique les observa quelque temps. D’emblée, il les aima. Leurs invocations ne restèrent pas vaines. Un dieu, aussi grand qu’Héphaïstos apparut.
Il sentit immédiatement le charisme particulier d’une autre divinité. Dès les premiers instants, le courant passa entre eux. Quand il le vit s’approcher, son marteau à la main, Héphaïstos ne pouvait se tromper. Tout comme lui, ce dieu était forgeron. Il lui tendit la main.
— Je suis Thor, fils d’Odin !
— Je suis Héphaïstos, fils de Zeus !
— Entre, Thor, tu es le bienvenu.
Les deux personnages divins entrèrent dans les entrailles du volcan. Leurs pas résonnèrent dans toute l’île. Le dieu scandinave renifla à plein poumon. Il y retrouvait tous les éléments : le feu, la lave en fusion, les fumerolles. Héphaïstos lui fit faire le tour du propriétaire. Il apprécia les outils, les armes, les cuirasses, les boucliers, les bijoux, etc. C’était de la belle ouvrage. Il le lui dit. Il questionna son hôte sur la technique employée pour arriver à un tel rendu. En bon artisan, il apprécia les explications données. Il s’émerveilla dans la chambre d’exposition. Il y avait là un trône qui avait appartenu à Zeus, les armes d’Achille, le char et la coupe d’or du soleil, le géant de bronze, Talos qui fut le gardien de la Crête, et tant d’autres trésors.
— Mon ami, tu es un véritable artiste, dit Thor.
— Cela me va droit au cœur de la part d’un vrai connaisseur, dit le dieu grec.
Ils passèrent de longues journées ensemble. Héphaïstos lui fit visiter d’autres ateliers. Entre chaque visite, le Fils de Zeus lui fit goûter les spécialités du pays. Le vin coula à flots, les fruits, les légumes et les viandes n’étaient jamais assez nombreux pour rassasier les déités. Ils travaillèrent les métaux ensemble sur une œuvre commune. Ils n’avaient pas besoin de se parler pour se comprendre. Ils officiaient en une parfaite harmonie. On entendait les coups de marteau à des kilomètres à la ronde. Aussi fort l’un que l’autre, un observateur privilégié n’aurait pu les différencier dans l’atmosphère poussiéreuse. Leur stature était identique, leurs muscles et la puissance qu’ils développaient se valaient. Le seul grand contraste résidait dans la couleur de leurs yeux et de leurs cheveux. Brun aux yeux noirs et blond aux yeux bleus.
Un soir qu’ils étaient attablés et quelque peu avinés, Héphaïstos s’épancha :
— Mon ami, mon frère, je suis un dieu du passé. Je suis le dernier de mon panthéon. Toute ma famille s’en est allée. Je suis seul.
— Je sais, mon frère. Moi-même et les miens n’en avons plus pour longtemps. Mon père Odin me l’a souvent dit : immortel ne veux pas dire éternel !
— Que dirais-tu de venir visiter mon monde ?
— Je n’ai rien d’autre à faire ! Je te suis avec grand plaisir. Thor leva son marteau vers le ciel et Héphaïstos le sien. Ils montèrent vers les nuages et se dirigèrent vers le nord.
À leur arrivée, le dieu du tonnerre présenta son nouvel ami à son père, Odin. Celui-ci, assis sur un trône à haut dossier, tenait la main de son épouse Frigg.
— Sois la bienvenue en Asgard, dieu étranger et ami de mon fils. Qui es-tu ?
— Je suis Héphaïstos, fils de Zeus.
— J’ai bien connu ton père, c’était un grand dieu. Mon égal pour tout dire. Je regrette sincèrement ce qui vous est arrivé. La reine Frigg qui connaissait l’avenir, mais qui ne le révélait jamais ajouta :
— Je me joins à mon mari pour les regrets… mais qui nous regrettera, nous ?
— Il n’est point besoin de connaître le futur pour savoir que la fin des dieux scandinaves est programmée, dit le père de tout. Que cela ne nous afflige pas et surtout ne nous empêche pas de recevoir dignement un visiteur divin. Mon fils présente donc notre hôte aux autres divinités et montre lui notre beau pays !
— Tout de suite père, et les deux amis se retirèrent. Au sortir du palais, ils croisèrent le frère de Thor.
— Je te présente Loki.
Sans même les saluer, le dieu fourbe passa devant eux et continua son chemin.
— Il est souvent grognon, mais n’en prend pas ombrage, mon ami, il ne te connaît pas, dit Thor, un peu gêné.
— Il y a bien longtemps que je ne me formalise plus, dit Héphaïstos.
En s’éloignant un peu plus, le dieu du tonnerre voulut présenter au dieu grec Freyja, la déesse de la beauté, mais Héphaïstos dit qu’il préférait visiter le pays plutôt que de rencontrer tous les dieux et déesses de son panthéon. Thor n’insista pas et ils se dirigèrent vers l’Islande : l’île de glace. Le dieu grec qui avait toujours vécu en bordure de la méditerranée allait de surprises en étonnements. Tout n’était que contraste. Des montagnes enneigées, des volcans qui se jetaient dans la mer, des plaines parsemées de lacs, des geysers, des forêts de pins. Toute une palette de couleurs enjolivait cette terre.
— Mon pays n’est-il pas aussi beau que sauvage mon ami ?
— Il est tel que tu me l’as décrit, répondit l’invité.
— Et maintenant, je vais te montrer les forges divines. Thor prit la tête et guida son ami jusqu’à une grotte, plus sombre que l’entrée des enfers. Ils n’avaient pas fait deux pas, à l’intérieur qu’un loup gigantesque se dirigea vers eux.
— Fenrir ! dit Thor en lui prenant la tête à deux mains.
Le loup lui lécha le dos de la main et lui fit fête. Ne voyant que le museau de l’animal, Héphaïstos dit :
— Cerbère, le chien des enfers, est impressionnant… mais ce loup l’est encore bien plus. Je ne le vois pas en entier, il est grand comment ?
— Je ne saurais le dire, dit le dieu scandinave, mais d’après mon père il serait aussi grand que cette île. Odin pense qu’il est dangereux, même pour les dieux, alors il l’a enchaîné à l’entrée de cette caverne. Moi, je l’aime bien et il semblerait qu’il t’apprécie aussi.
Le loup s’approcha d’Héphaïstos et posa sa tête sur l’un de ses pieds.
— Laisse-nous maintenant, Fenrir. Viens, mon ami, suis-moi.
Pour Héphaïstos, ce fut un enchantement. Les salles étaient spacieuses. Chaque volcan était une forge. Il y en avait des dizaines, peut-être une centaine. Comparées aux siennes, elles étaient ultramodernes. Des milliers de drôles de petits êtres s’affairaient sans jamais s’arrêter. Les nains, c’est ainsi qu’on les appelait, passaient leurs vies sous terre à fabriquer des armes pour les dieux. Héphaïstos prit une épée et l’examina. Elle était certes moins sophistiquée que celles qu’il fabriquait, mais elle était bien équilibrée et surtout, elle semblait d’une solidité bien supérieure. Il questionna son ami :
— Thor, quel est ce métal ? Je n’ai jamais rien vu de tel…
— Lorsque j’ai visité tes forges, dit Thor, j’ai été étonné que tu travailles encore le bronze que tu appelles airain. Ceci est de l’acier.
— De l’acier ? Où trouve-t-on un métal aussi dur ?
— On le fabrique, mon frère… avec du minerai de fer et du carbone. Du charbon si tu préfères. Héphaïstos voulut absolument savoir comment on s’y prenait pour obtenir un tel résultat. Thor ne fit aucune objection. Les dieux travaillèrent de concert. Les nains stoppèrent leur travail pour admirer la dextérité du nouveau venu. À la fin, les applaudissements fusèrent. C’est qu’en dehors du fils du grand Odin, ils n’avaient jamais vu un autre dieu aussi doué.
Après la visite des installations industrielles et des hauts fourneaux, Héphaïstos fut convié à un banquet, en son honneur. Cela se passa au Walhalla. On lui présenta des guerriers morts au combat et aussi des dieux mineurs. Ils furent servis par les walkyries. Belles, mais dangereuses. Le dieu grec habitué à des repas guindés se trouva parfaitement à son aise en compagnie de convives, bruyants, gais, natures. Ici, sa laideur n’était pas une tare. Les femmes appréciaient ses cicatrices, ses traits rudes et sa claudication ne les rebutait pas. À la fin du repas, ses jambes avaient du mal à le soutenir pour rejoindre sa couche. C’est avec le cœur lourd qu’il les quitta pour rejoindre son univers. Thor le serra dans ses bras à l’en étouffer. Jurant sur son honneur qu’ils se reverraient.
Quand il revint sur les bords de l’Etna, les Normands n’étaient plus là. Ils avaient été remplacés par les Byzantins qui eux même furent chassés par les chrétiens d’occident. Il apprit qu’en Scandinavie, les dieux qui n’étaient pas immortels étaient tous morts. Son ami Thor avec eux.
Des siècles étaient passés.
Repenser à tout cela lui fit mal. Héphaïstos se leva et sortit de son domaine. Il faisait nuit. Une nuit sans nuage. Il leva la tête vers le ciel. Les étoiles scintillaient. Il se tourna vers la plus brillante. L’étoile du berger.
— Bonsoir, ma femme. Les hommes ont beau t’appeler Vénus, je sais, moi, que tu es Aphrodite.
Il s’adressa à toutes les planètes : Jupiter, Mercure, Mars, Pluton, Uranus, etc.
— Bonsoir père, bonsoir mes frères, bonsoir mon oncle, bonsoir grand-père…
Il salua de la main, Orion, Andromède, Centaure, Pégase et tant d’autres. Tous, ils étaient tous au ciel, maintenant.
Il n’y avait eu aucune place pour lui…
Il resterait seul…
À tout jamais…
C’était sa dernière chance. La toute dernière. Désormais, plus aucun éditeur ne lui ferait confiance. Il n’avait jamais terminé son dernier livre. Celui d’avant n’avait pas trouvé son public. Les précédents non plus. Il avait eu un certain succès avec le premier. Sa maison d’édition ne tarissait pas d’éloge sur lui. Il avait du talent, mais il avait déçu tout le monde.
C’était de sa faute. Il s’était enflammé. Au lieu de travailler comme il aurait dû, comme il l’avait fait pour son premier roman, il l’avait bâclé. Expédiés en un rien de temps, ses textes manquaient de consistance. Le lecteur ne s’y retrouvait plus. Mal écrit, des phrases trop longues, des personnages sans saveur, des descriptions à n’en plus finir. Son éditeur avait perdu de l’argent, il ne croyait plus du tout en lui.
Il s’était discrètement tourné vers d’autres maisons d’édition, mais celles-ci l’avaient rejeté. Il avait pris rendez-vous avec son agent pour qu’elle intercède une dernière fois auprès du nouveau dirigeant. Oui, les années étaient passées. Il avait pu vivre quelque temps de sa plume. Il en avait profité, mais ces jours étaient révolus. Il était couvert de dettes. Il ne devait pas se louper. Il n’en avait plus les moyens. Il s’approcha de sa table de travail. Il était prêt et cette fois on allait voir ce que l’on allait voir !
Il s’assit sur sa chaise fétiche. Son bureau était bien rangé. Il plaça une feuille dans sa machine à écrire et respira à fond.
Il écrivit le début de la première phrase : Le soleil se lève… Le soleil se lève, mais sur quoi ? Il n’en savait rien. Il devait écrire, ça, c’était une certitude, mais il n’y avait pas vraiment réfléchi.
— Il faut que je trouve quelque chose de vraiment original. Quelque chose qui n’aurait jamais été abordé. Quelque chose de complètement nouveau. L’histoire d’un homme solitaire, qui n’a peur de rien et que tout le monde craint. Oui, c’est ça, un dur, un… cow-boy. Un cow-boy solitaire. OK, je me lance.
Le soleil se lève sur le désert du Sonora.
— Ouais ! Ça démarre fort !
Il se leva et fit quelques pas dans la pièce. Un cri lui parvint au loin. Les parois de son appartement étaient minces. On entendait tous les voisins.
— Il faut que je me dépêche, je suis en retard !
Une autre voix se fit entendre :
— Laissez-moi tranquille ! Allez-vous faire pendre.
Tous les matins, c’était la même rengaine. Dès qu’il aurait un peu plus d’argent, il quitterait ces lieux et irait s’installer dans un endroit plus calme. Il se pencha sur sa machine à écrire et se concentra. En quelques secondes, tous les bruits parasites disparurent. Comme son héros, il était maintenant seul au monde.
— Bon, là je tiens quelque chose. Maintenant, il faut que j’accroche mon public. Il faut que je l’impressionne. Avant d’en écrire plus, il se mit à penser tout haut.
Alors c’est un cow-boy solitaire qui, tout le long du livre, ne rencontrerait personne. Un vrai solitaire. Les premières pages seraient consacrées à sa traversée du désert. Pendant des jours, il avancerait sous un soleil brûlant. Sa monture le mènerait en se traînant. Tous les deux ne faisant qu’un dans ce monde inhospitalier. Comme c’est un vrai solitaire, même les animaux le fuiraient. Il verrait bien de temps en temps un coyote, un aigle ou une gerboise, mais de trop loin pour rompre sa solitude.
Depuis deux jours, lui et sa monture n’ont pas bu. Ils n’en souffrent même pas. De vrais durs, l’un comme l’autre. Oui, le cheval d’un cow-boy solitaire est aussi un dur. La nuit, ils s’arrêtent, parce que dans le désert il n’y a aucune lumière. Le cow-boy solitaire fait un feu, avec des brindilles. Il mange des haricots en conserve. Il ouvre la boîte avec son couteau. Les cow-boys font toujours ça. Son cheval, attaché à une vieille souche, se contente d’herbes sèches. Après le repas, qui se termine toujours par un café, le cow-boy joue de l’harmonica. Tous les cow-boys savent jouer de cet instrument. Tous. Ensuite, il s’allonge sur le dos, rabat son chapeau et s’endort dans l’instant, sans même une couverture pour se protéger du froid.
— Ouais, c’est un bon début, un très bon début. La tête de mon éditeur quand il va lire ces premières lignes. Il va décrocher le téléphone et il va m’appeler pour me demander comment j’ai eu une telle inspiration. Moi, je ferai le modeste : « Oh, tu sais… il me suffit de m’enfermer dans mon bureau quelques jours et quelques nuits d’affilée et le tour est joué. Il n’y a rien de bien sorcier ». Bon, maintenant que mon public est accroché, il faut du suspens. Voyons… oui, je l’ai.
Au matin, le cow-boy solitaire se rase avec le même couteau qui lui a servi à ouvrir ses flageolets. Après quoi, il pose sa cafetière sur le feu moribond. Quand il l’a bu, il jette le reste de la cafetière sur le feu. Tous les cow-boys font ça. Il remonte à cheval et s’en va sans se retourner. Au-dessus de lui, loin dans le ciel, tournoient les vautours. Le coyote hurle depuis une mesa et le vent se lève. Le cow-boy solitaire s’en moque bien, il est équipé. Il remonte son foulard et voilà. Rien, absolument rien, ne peut prendre par surprise un vrai cow-boy solitaire. Rien.
À la mi-journée, il aperçoit une ville. Une ville fantôme. Tout le monde le sait, dans une ville fantôme, il n’y a personne. Rien ne peut troubler la solitude d’un cow-boy solitaire. Il entre. Des boules d’herbes sèches roulent dans la rue principale. Il s’avance doucement. Une ville fantôme c’est plein de danger. On pourrait l’observer depuis les rideaux d’une fenêtre. Il se tient sur ses gardes, car même dans une ville fantôme les gens vous épient. Tout le monde sait ça. Il se dirige vers le saloon. Quel autre établissement pourrait bien l’intéresser ? La prison ? Oui, bien sûr pour aller prendre une affiche d’un homme recherché pour meurtre. Oui, un cow-boy solitaire est parfois un chasseur de prime. Il verra plus tard. Pour l’instant, il a soif. Il attache son cheval à l’entrée de l’établissement. Personne n’osera attacher sa monture au côté de son appaloosa. C’est trop dangereux. L’homme pousse les portes du saloon. Aussitôt un grand silence se fait. Il se dirige vers le comptoir.
— Un whisky !
On ne fait jamais attendre un cow-boy solitaire qui a soif. Jamais.
— Un autre !
Le barman ne l’a pas quitté des yeux, il s’attendait à ce qu’il le lui réclame. Il lui verse aussitôt, sans l’interroger.
En jetant une pièce d’un dollar sur le comptoir, il arrive que le cow-boy solitaire dise :
— Sers-toi un verre !
Le barman ne peut pas refuser. Il pose le verre qu’il était en train d’essuyer, car tous les barmen sont toujours en train d’essuyer des verres. Toujours. Il sort une bouteille de lait et le remplit. Tout le monde sait que dans les saloons, les barmen n’ont pas le droit de boire d’alcool. Comme on ne trinque pas avec un verre de lait, le barman le boit sans remercier son client, cul sec. Tout de suite après, la salle, jusque-là silencieuse, se remet à vivre. Le pianiste se remet à jouer, les hommes à parler et les filles se remettent à rire. L’une d’elles s’approche du nouveau venu. Elle lui sourit, elle se frotte contre lui. Lui, comme tous les durs, touche du pouce et de l’index le rebord de son stetson et dit :
— M’dame.
Tous les cow-boys solitaires sont respectueux, tous. Les girls sont folles des cow-boys solitaires mal rasés. Oui, car même si les cow-boys solitaires se sont rasés le matin, dès midi ils ont une barbe de trois jours. Les cow-boys solitaires sont totalement différents des autres hommes.
— Ça te dirait de monter à l’étage pour que je te montre mes nouveaux rideaux, cow-boy ?
— Plus tard, ma jolie, il y a là-bas une table de poker qui m’attend.
— Tu n’auras qu’à appeler Cindy.
— Bien, M’dame.
Sans même qu’il lui ait demandé, le barman dépose à son intention une bouteille de whisky. On ne vient jamais les mains vides à une table de poker. Il se dirige droit vers les joueurs. Une chaise est libre, il s’assied. Aussitôt, il sort ses billets. On distribue les cartes. Chacun pose sa mise. Les enchères montent, le cow-boy solitaire suit. Tous s’observent. La sueur coule le long des tempes. L’un des joueurs est fébrile. Finalement, il se couche. Une dernière distribution de cartes et un autre joueur s’efface. Des hommes et des femmes se rapprochent de la table de jeu. La tension est à son comble. Il ne reste plus, maintenant que le cow-boy solitaire et Johnny Metcalf, le fils du plus gros éleveur des environs. Leurs visages sont impassibles. Ils ont du jeu. Tout peut arriver. Le cow-boy solitaire pousse tous ses billets au centre de la table. Johnny transpire de plus en plus. Il regarde ses cartes, relève la tête, et d’un air triomphant, il dit :
— Je suis !
Il étale ses cartes sur la table. Un carré de reines et un roi. Déjà, il ramasse le pot. Les autres joueurs l’envient, ils n’en reviennent pas de toute cette chance. Alors, le cow-boy solitaire montre son jeu : un carré d’as et une dame. Tous s’arrêtent de respirer. Oui, quand un cow-boy gagne c’est toujours avec un carré d’as. Toujours. Après tout, va très vite. Le joueur d’en face crie :
— Tricheur !
Il prend son arme. Pas assez vite et il s’effondre. Un cow-boy solitaire est toujours plus rapide que n’importe qui.
— J’ai comme un doute. Et si le public trouvait que le personnage est trop complexe ? Ah ! je ne sais pas, mes lecteurs vont-ils me suivre ? C’est vrai qu’il ne faut pas trop intellectualiser ses héros. J’ai peur que le cow-boy solitaire ne soit pas le bon choix. J’ai un bon départ, je dois donc continuer sur la même veine.
Voyons… Le soleil se lève sur…. la cité des tilleuls.