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Retour à la Bisquine - Le fabuleux héritage d’Hortense est un roman d’amour fascinant, teinté de présences fantomatiques et d’anges protecteurs, centré sur l’histoire unique de Valentine et de son voyage initiatique. Au cœur du récit, un lien fort et résilient relie cette jeune femme à sa grand-mère Hortense, figure énigmatique dotée d’intuitions et de perceptions profondes. Ce lien spécial subsistera même au-delà de la vie terrestre…
À PROPOS DE L'AUTRICE
Figure d’anticonformisme,
Karine Delobre s’engage à ne plus accepter de rôles professionnels qui contredisent ses valeurs. Éveillée à la nature et aux mondes invisibles depuis son enfance, elle abandonne tout pour explorer cet univers fascinant, ce qui la mène à écrire dans sa quête spirituelle.
Retour à la Bisquine - Le fabuleux héritage d’Hortense est son premier roman.
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Seitenzahl: 532
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Karine Delobre
Retour à la Bisquine
Le fabuleux héritage d’Hortense
Roman
© Lys Bleu Éditions – Karine Delobre
ISBN : 979-10-377-9873-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce qui est beau est rare, ce qui est rare est souvent exceptionnel.
Peut-être que quelqu’un se reconnaîtra…
Chers lectrices et lecteurs, permettez-moi de me présenter : je m’appelle Valentine et je voudrais vous raconter une histoire, mon histoire.
Oui, vous allez sans doute me dire « tout le monde a une histoire à raconter », mais la mienne n’est pas comme les autres.
La mienne est une histoire d’amour incommensurable qui vous transporte bien au-delà de ce que l’on peut imaginer. Un amour sans limites qui vous permet d’avancer dans la vie, même si celle-ci prend parfois des chemins bien étranges.
C’est aussi une histoire bouleversante, de secrets de famille en tourbillons de sorcellerie, de cachotteries, de souffrances et de morts avant que la vérité n’éclate. Sans répit, l’histoire angoissante de cette demeure ressurgit sans faiblir.
Il y a des lieux où l’on se sent infiniment petit et minuscule, presque inexistant.
De nos jours encore, il y a des choses que l’on n’explique pas, des mystères que même la rationalité scientifique n’a pu décrypter.
Je suis Aveyronnaise et d’ailleurs très fière de ma région, mais le jour où j’ai découvert la Bretagne, je ne l’ai quasiment plus quittée.
C’est une joie immense et indescriptible de vivre entre ciel et mer, quand je regarde ces paysages, jamais je ne me lasse de cette sensation infinie d’espace, de cette nature ouverte.
Je suis déjà loin, j’ai largué les amarres pour ce pays de lumières, de couleurs rares et intimes, de vasières.
Les embruns ramènent ce parfum essentiel pour mon bien-être, cette consonance pure, ce bonheur simple, mais perpétuel. Ce plaisir à portée de tous et que beaucoup répudient négligemment.
La beauté presque charnelle de ce lieu me procure la meilleure thérapie du monde.
Ces odeurs enivrantes me transportent loin de toute vie, l’harmonie ressentie ici et cette plénitude sont inqualifiables, au-delà de tout ce que l’on peut croire.
Quand je m’éloigne, une partie de moi observe toujours de ce côté-ci ; en pensant à la magie de ce lieu.
Je ne peux partir très longtemps, car cet endroit me manque trop.
Je n’ai jamais trouvé pareille sérénité et paix de l’esprit, c’est indéfinissable, ordinaire pourtant, mais tellement féerique à la fois.
Il y a en moi cette délicieuse atmosphère, tel un monde à part, et sans doute un peu bizarre.
Mes yeux sont la mer et ses tumultes. Heureuse de me noyer en permanence dans cet univers magique, comme un voyage intérieur.
Hortense, ma grand-mère, venait de disparaître quelques mois plus tôt, c’est ainsi que je rentrai en possession de la Bisquine, une ancienne bâtisse de caractère lui appartenant.
Planté sur un pic rocheux, ce petit bout de terre, c’est un monde à part, mon rocher céleste à tout jamais. Ici il n’y a rien de réel, en demeurant là on fuit la réalité, c’est un paradis de sable et de granit, au bout du monde.
L’évasion est totale, une sorte de jardin d’éden marin où l’on pénètre dans l’inconnu et la découverte en permanence ; c’est fascinant comme un monde intermédiaire.
La mer est juste là, il faut une force certaine pour rester, mais c’est à la fois si protecteur et rassurant, si paisible. L’esprit d’ici est assis dans son silence ; pour les étrangers, c’est une prison très confinée, mais pour moi au contraire c’est un délice et un bonheur rare de me trouver là.
Coureuse de grèves, ayant de grandes valeurs du respect de la nature, et une sagesse de l’âme, je me retrouve dans mon élément. Quoi de plus merveilleux que d’écouter le bruit des vagues et de contempler les remous d’une mer hachée à certains moments, ou sa respiration de plus en plus lente à d’autres heures, c’est un spectacle sincère, mais pour apprécier, il faut avoir l’âme vagabonde.
Tout ceci me vient d’Hortense ; c’était un livre d’histoire à elle seule.
Elle possédait ce que peu de gens ont : une capacité et une soif de savoir.
Elle me contait des histoires de phares et leur évolution, des brasiers primitifs aux technologies les plus récentes. Elle regrettait, comme moi d’ailleurs, la disparition des gardiens de phare.
Elle connaissait tout de la mer, des ports et de ses marins, des conserveries qui prirent un essor spectaculaire à une certaine époque pour retomber ensuite ; elle commentait tout ceci avec application et passion.
Se baladant sans cesse, elle m’apprit les plantes, le respect et la quiétude de ce lieu si insaisissable.
Elle me fit voyager au cœur de sa chère Bretagne, elle appréciait tout particulièrement l’archipel des Glénans, ces îles où elle m’emmenait souvent et là elle m’épatait en me contant des histoires de marins.
Très observatrice, elle avait étudié le comportement des insulaires, elle savait tout et moi je ne pouvais que rester émerveillée devant tant de révélations.
Elle tuait le temps par ses paroles, et avait toujours tellement de choses à raconter, de précisions à apporter.
C’est elle qui m’initia à l’histoire d’ici et me transmit également son savoir aux joies de la pêche à pied, comment faire pour débusquer tous ces trésors rapportés de la mer, et surtout comment les cuire et les accommoder avec subtilité et créer une cuisine marine originale et raffinée à moindres frais.
Elle me surprenait, m’inquiétait même quand elle me racontait la légende des naufrageurs.
***
Qui, de simples paysans dans la journée, profitaient de la nuit et coiffaient les cornes de leurs vaches de lanternes ; ensuite, ils les baladaient sur la lande en haut de la falaise. Trompant ainsi les bateaux, ceux-ci s’approchaient bien trop près des côtes et finissaient par s’échouer. Les paysans ensuite descendaient pour piller les bateaux et massacrer l’équipage survivant.
Ses histoires sont à vous glacer le sang. Nous ignorons encore à ce jour s’il s’agissait d’une simple rumeur, mais la côte a le triste nom de « Côte des légendes » et ce qui est sûr, ces histoires-là ont attiré beaucoup de personnes et semé le doute dans les esprits.
Mythe ou réalité, môme ou adulte, on y croit encore tous.
De plus, ceux qui pratiquent la plongée relatent qu’un nombre important de bateaux se sont en effet fracassés le long de nos côtes.
Certains remontent aujourd’hui encore des objets qui avaient, semble-t-il, été épargnés du pillage ; alors il y a de quoi entretenir ce mystère.
Seuls les souvenirs de flibustiers avec des trésors cachés et repères de corsaires me laissaient rêveuse.
Hortense s’appliquait tellement dans ses descriptions, dans ses argumentations que je restais des heures à l’écouter, bouche bée.
Nous allions ensuite nous promener sur la lande, j’étais toujours enthousiaste par ses promenades vivifiantes, pensant trouver une cavité remplie de trésors ; mais hélas nous rentrions à chaque fois bredouilles, mais revigorées.
Nous passions devant les mégalithes du jardin, Hortense en était si fière.
Ces rochers étranges m’attiraient autant qu’ils me repoussaient et quand grand-mère ajoutait que c’étaient les portes vers l’ailleurs, ce n’était pas fait pour me rassurer.
Néanmoins, je l’accompagnais à chaque équinoxe et solstice où elle dansait autour des menhirs pour chasser soi-disant les mauvais esprits.
L’un d’entre eux d’ailleurs avait un trou à offrandes creusé sans doute depuis bien longtemps par l’érosion ; elle y introduisait des pièces, des petits mots, de la nourriture, servant, paraît-il, à protéger la famille.
Ce sont de vieilles croyances païennes et Hortense y était très sensible ; quant à moi, ses petits rituels me faisaient sourire, mais je respectais ses coutumes.
Je passais du temps à regarder avec attention ces menhirs, dolmens et tumulus dressés là depuis sans doute le néolithique, toujours intriguée, perplexe.
Ont-ils une signification précise, renferment-ils des sépultures, servaient-ils d’autels, de repères pour le reste de l’univers, était-ce un lieu de rituels, de sacrifices ? Personne ne peut percer ce mystère qui reste entier à ce jour.
Je comprends pourquoi je me plais tant ici, secrètement je perpétue ce qu’Hortense a semé.
Elle affectionnait particulièrement cet endroit et elle était si fière que j’en fasse mon refuge, mon phare, mon île à moi.
Perdue au milieu de nulle part, la Bisquine est terriblement romantique, même si elle a une apparence d’austérité au premier regard, très vite elle se dévoile, magnifique, insaisissable, et je m’aperçois de la chance que j’ai à être là, au milieu de ce grand théâtre à ciel ouvert.
Pour y arriver, on doit s’engager sur des routes semblables à celles des Highlands, puis doucement on glisse dans ses brumes ; seules quelques pierres dressées de part et d’autre de la route permettent de se guider.
***
Puis enfin, surgissant de ce brouillard fantomatique, un chemin de sable et de galets apparaît avec au bout l’imposant portail de fer entouré de murs.
C’est chez moi, c’est le bout du bout du monde, ici on se doit d’être un peu moins terrien et un peu plus merrien.
Il s’agit en fait d’une très ancienne malouinière, j’aime son atmosphère si particulière et si inquiétante pour certains.
Cet endroit crée à la fois un climat angoissant et un charme bouleversant.
Elle inspire l’âme des vieilles demeures bruissantes de secrets, hantées par le souvenir de sombres histoires ; mais elle est et restera toute ma vie, je lui appartiens par ce pacte qui nous unit à jamais.
J’y ai vécu avec Hortense, après la disparition de mes parents, et aucune question ne se posait, c’était ici et nulle part ailleurs que je souhaitais m’installer après sa disparition.
Cette vieille demeure, j’y tiens par-dessus tout, car elle me rappelle des souvenirs inoubliables. Je passe beaucoup de temps à l’admirer, l’a contemplé, elle est magnifique et féerique. Située en plein Finistère, c’est mon refuge et elle suffit à mon bonheur ; c’est même indispensable et idéal pour se remettre en question. Ici on n’éprouve pas l’envie de fuir soudainement, car on est serein et libre. Nous pénétrons dans un monde de calme et de liberté, de solitude aussi, mais c’est sans doute ce qui attire et fascine ; il faut apprendre à être seule, mais face à tant de bonheur ce n’est pas compliqué au contraire on en redemande.
Et puis tout n’est que rêve, la maison est robuste et rassurante, un peu froide et mystérieuse, c’est un grand manoir de pierres, au toit d’ardoise très abrupt, des gargouilles veillent sur elle à chaque coin.
Des jacobines et du balcon au premier étage, on aperçoit l’océan juste à nos pieds, offrant un spectacle fabuleux.
Elle est meublée dans le pur style breton et très bien entretenue malgré les années. La nuit, rien de tel que le clapotis de l’eau sur une coque pour s’endormir paisiblement et dès le saut du lit de pouvoir admirer la mer si belle et parfois si déchaînée, avec ses couleurs changeantes, rêver éveillée à la beauté de ce paysage où aux terribles malheurs que nous offre parfois la vie.
J’aime humer cet air marin, écouter le ressac et laisser ce joyeux bien être m’envahir. Je peux rester des heures sur la lande à me faire venter, à me dire et répéter sans cesse que je suis pleinement à ma place. Le silence s’est installé, loin de toute agitation, je savoure ma tranquillité, j’ai conscience de la chance que j’ai et paradoxalement je ne me sens pourtant jamais seule.
Cet isolement m’est indispensable et me permet de ne pas étouffer, de pouvoir ainsi vivre entre deux mondes. La vie du dehors et celle du domaine.
La malouinière1 est ouverte à tous les vents, malgré les murs qui l’entourent. L’hiver, le climat y est tempéré, on ressent une fraîcheur certaine, c’est à ce moment que j’apprécie l’énorme cheminée en pierres qui occupe une place importante dans la maison ; je peux rester des heures à regarder le feu crépiter, c’est ressourçant et apaisant de rester ainsi enfermé dans son silence, profiter de ce havre de paix.
***
Ensuite, quand je sors, je supporte mieux la tension des gens, les mesquineries en tout genre et le soir venu, je n’ai qu’une hâte : rentrer dans mon cocon.
C’est ainsi chez moi, de recoins secrets, en pénombres apaisantes, tous ces détails me procurent un bien être que je ne retrouve à nulle part, c’est peut-être pour certains un rêve d’enfant de posséder un endroit pareil, j’avoue que moi-même je ne pourrai pas m’en séparer.
Les murs sont couverts de portraits d’ancêtres, de tableaux anciens et d’estampes, ainsi que d’animaux naturalisés que j’ai pris soin de conserver malgré leur grand âge.
Avec énergie et ténacité, j’ai rénové la Bisquine entièrement dans la plus pure tradition, j’ai su lui redonner son âme et son cachet en réhabilitant harmonieusement les espaces et les volumes.
J’ai décoré toutes les pièces, en prenant soin de garder toutefois les meubles anciens de ma famille qui me semblaient indispensables et qui évoquent le rustique confort de la campagne bretonne d’autrefois.
Je souhaite garder ce précieux et fort lien avec le passé, toucher ses murs, ses pierres comme une présence discrète.
L’ancien côtoie avec un certain modernisme, au rez-de-chaussée, le jacuzzi installé dans la cave, voûté, permet après une dure journée de venir s’y relaxer. Mon bureau aussi est sous la voûte, je l’ai voulu en pierres apparentes comme auparavant, il est orné d’un immense tapis aux motifs arabesques, d’un bureau et d’une bibliothèque Louis Philippe, ainsi que d’une méridienne couleur ficelle. La lumière artificielle donne à cet espace feutré, un certain charme, et une quiétude totale.
Au même étage se trouve la salle à manger qui reste très rustique avec une table immense, démesurée, des bancs ; bien sûr l’ancien vaisselier de grand-mère et son chiffonnier et l’énorme cheminée ; en renfoncement et séparé par une bibliothèque ouverte, c’est le coin détente, le salon avec canapés, fauteuils, tables basses et guéridons ainsi qu’un confiturier d’une autre époque, mais dont je n’ai pu me séparer.
La cuisine reste simple et fonctionnelle, elle s’ouvre à présent sur une véranda de style, qui nous apporte luminosité et chaleur quand le temps ne permet pas de rester dehors.
On emprunte un escalier de pierres démesuré pour grimper à l’étage supérieur. Là, le large couloir est orné de bois précieux de l’époque, simplement rafraîchi.
Il déserte la salle de bain et les toilettes décorés comme il se doit de la célèbre faïence de Quimper, un dressing, quatre chambres toutes très différentes, mais conjuguant charme et confort et deux autres pièces servant à s’isoler.
Les chambres de mes enfants sont peintes à la chaux, bleu pour Jullian et jaune safran pour Léopoldine. La chambre des invités et la mienne offrent des couleurs se déclinant en camaïeu d’écru, avec de grosses tentures.
Pour ma chambre, j’ai opté pour un lit à baldaquin, j’en rêvais depuis toute petite, ça reste féerique et romantique à souhait et en plus dans un lieu comme celui-ci ça s’harmonisait parfaitement. Toutefois, j’ai conservé l’imposante lingère de grand-mère et son petit bureau assorti, tout s’accorde parfaitement et quand nous avons de la visite, tous me complimentent sur mes choix de décoration. Je suis moi-même très fière des travaux de rénovation et du résultat final, même si je n’en voyais pas la fin.
Au-dessus, un grenier traverse toute la maison, il y a un escalier pour y accéder, mais pour le moment il reste inoccupé. Seules quelques chouettes viennent y trouver refuge et entament en pleine nuit des marches cadencées.
Dehors c’est vaste, il y a le jardin où l’on peut faire une pause, un petit parc jonché de cailloux, d’arbres centenaires où courent les écureuils. À gauche, un petit bassin où évoluent des poissons rouges depuis des lustres, d’une gloriette restaurée depuis peu en atelier de peinture, d’un puits au milieu de la cour, d’hortensias et de figuiers, mes préférés.
Les roses de grand-mère aussi offrent mille senteurs à la belle saison.
J’ai conservé le potager et le verger, c’est Jacques qui depuis des années s’occupait des chevaux et du jardin d’Hortense et qui continue à entretenir et effectuer des petits travaux nécessaires, car je suis incapable de le faire seule.
Et puis de l’autre côté se trouve l’allée couverte et tous ces cailloux plantés çà et là et complètement à gauche le haras avec les écuries pavées à l’ancienne, les box et les dépendances sur lesquelles sont apposées les médailles qu’Hortense et Louis ont gagnées.
Mais avant toute chose, je dois vous parler de ce que fut ma famille.
Ma grand-mère veuve a refait sa vie avec Louis, en effet mon père n’était pas né quand mon grand-père a disparu en mer.
Mon père resta fils unique et fut élevé avec amour entre sa mère et son beau-père qui possédait une célèbre maison d’édition. Malgré de bonnes relations, mon père n’avait aucune envie de travailler au journal et c’est ainsi qu’il quitta la Bretagne pour de longues études de commerce à Paris. Il y rencontra maman et c’est ainsi qu’à la fin de leurs études ils partirent dans la région de ma mère en Aveyron. Entre mon père et ma grand-mère, rien n’était simple, elle espérait tellement son retour au pays, ma mère compliqua encore un peu plus leur relation. Elle n’était pas du style à venir en vacances dans un endroit pareil, sans boutiques, sans tralala ; si bien que j’ignorais enfant que j’avais une grand-mère en Bretagne.
Plus tard, on me parla d’elle comme d’une femme dérangée et possessive et sans intérêts. Moi je voulais la connaître et elle aussi soi-disant manifestait le besoin de me rencontrer, de se rapprocher de moi, mais mes parents ne cédèrent pas si facilement, il fallut attendre, attendre.
À la mort de Louis, nous sommes venus assister aux funérailles et j’aperçus alors ma grand-mère, sans me tromper pour la première fois, je venais d’avoir treize ans.
C’était un hiver glacial, rempli de souvenirs marquants à l’époque et pour commencer face à moi cette forteresse perdue dans ses brumes et torturée par un vent déchaîné et cet océan impitoyable qui venait lécher jusqu’au bord des murailles, mais pourtant je fusse conquise immédiatement.
Le spectacle se révélait sublime, sauvage et grandiose.
Et puis au domaine, il avait planté çà et là toutes ces pierres, ces bornes menant à de mystérieux chemins, ces allées couvertes, ces passages lugubres. Ces surprenants blocs de pierre m’inquiétaient autant que le mystère qui les entoure. Je fus ensorcelée par leur beauté, ces constructions monumentales recelaient-elles des trésors ? Je me gardais bien de m’y aventurer de trop près, c’était Carnac en beaucoup plus sombre et sinistre, insaisissable.
***
Mais attention, rien de comparable avec l’intérieur ; car mes amis dès que la porte s’ouvre, il faut imaginer ma grimace, l’imaginaire prend le dessus, avec une étrange et effrayante sensation que l’on change de monde, que le sol se dérobe sous nos pieds. Déjà, l’ouverture grinçante et vermoulue vous chatouille jusqu’aux molaires du fond et vous êtes conduit tout droit sur le seuil de l’immense entrée. Face à nous, un escalier illimité de pierres qui est sans doute la seule échappatoire possible face à la peur, car on est tétanisé par cette entrée froide et austère, une atmosphère pesante y règne et me fige littéralement, sans compter ces bêtes !
En effet, sur un très beau parquet croisé dansent des chevaux de manège qu’une autre époque, ils sont terrifiants, tellement réalistes, on les croit vrais ; ils ont un regard perçant, presque même méchant. Néanmoins, je me dis qu’ils sont en bois, mais je me tiens à bonne distance, ils en jettent ; je ne peux m’empêcher toutefois de les observer. Au nombre de trois, placés en ronde sur des reposoirs en métal vieilli, leur regard est si intense que soudainement on a comme une boule au fond de la gorge, on avale… si, si, si… on est encore bien vivant. Ils accueillent ainsi les invités et impossible pour nous d’y échapper. Tous imperturbables, luisant et toisant les gens, les écrasant de leur hauteur ; les rennes, les selles et les sangles en cuir me paraissaient comme neufs, à moins que grand-mère ne les ait volontairement frottés à la démesure ; les étriers quant à eux semblaient usés et peser lourd. N’empêche que ces chevaux, tous plantés sur leurs postérieurs et d’allure si gracieuse avec les sabots quelque peu rognés, tous gueule ouverte écumant presque, prêts à mordre, levant les antérieurs comme pour charger, l’œil vif et malicieux presque cruel.
Je jouais la carte de la prudence, finalement je préférais regarder tout sauf ma mère, car elle s’était tellement bien appliquée à me faire un schéma d’ensemble que pour une fois elle n’avait pas exagéré, il fallait bien avouer que ce fût un spectacle époustouflant. Je restais sur mes gardes, je trouvais l’endroit tellement inattendu, ou est-ce moi qui regardais les choses si différemment, leur trouvant des pouvoirs cachés.
Il fallait que j’arrête mon cinéma, pourtant le reste de la visite valait également le coup d’œil.
De l’entrée où nous étions, un large couloir desservait la salle à manger et la cuisine ; lui aussi méritait le détour, vitré sur côté salon, l’autre mur offrait une série d’autoportraits d’ancêtres, dont certaines images m’intriguent encore et c’est sans parler de ses fameuses têtes d’animaux naturalisés.
Sans doute des retours de chasse triomphants avaient-ils permis cette décoration pour le moins originale.
Cerfs, sangliers, écureuils, fouines, mais aussi grands-ducs et hiboux, chauve-souris et j’en passe, que de beau monde qui trônaient gracieusement. Cela rendant l’endroit bouleversant et oppressant, tous ses yeux qui vous regarde, vous suive du regard, semble même vous juger et sans parler non plus de toutes ses armes dont un placard sur mesure fût réalisé. C’est un arsenal impressionnant, elles sont toutes entreposées dans un meuble pour être admirées par des connaisseurs.
Pour ma part, je ne suis pas du tout capable de faire la différence entre un fusil de chasse où une carabine, mais je pense qu’il devait y en avoir pour de l’argent, car il y avait des modèles rares et chaque arme était assurée.
***
Hortense semblait si fière de nous montrer tout ça ; elle possédait un intérieur d’une beauté rare, même s’il s’agissait de mobilier d’une autre époque, tout s’harmonisait parfaitement et créait un ensemble harmonieux. Elle n’avait pas de ménagère et c’est seule qu’elle entretenait la maison ; celle-ci d’ailleurs respirait le propre, rien ne traînait, tout était rangé parfaitement et d’une façon très méthodique, presque militaire. Ma mère pourrait en prendre de la graine, elle qui foutait le bordel partout où elle passait. Rose, ma nounou passait le plus clair de son temps, à remettre en place ce que mère dérangeait. Mais dès le jour suivant, la besogne était à recommencer sans fin.
À cet instant précis, nous franchissions le seuil d’une pièce immense faisant office de salle de réception et salon, je ne pouvais qu’être subjuguée en apercevant la cheminée qui tenait à elle seule un pan de mur presque entier. Taillée dans la pierre, elle imposait sa force et sa robustesse, on ne pouvait que s’incliner devant un chef-d’œuvre pareil. De part et d’autre, toutes sortes d’ustensiles indispensables servaient à surveiller ou activer le feu.
Malgré la grandeur de la pièce, et les nombreuses choses à observer, je restai près de l’âtre d’une beauté inouïe ; je m’imprégnais de ce lieu, je dévisageai déjà un personnage taillé dans la pierre au centre, cette tête devait sans doute être un de nos ancêtres. Je savais bien que ce n’était pas le moment de poser des questions aussi bêtes. Néanmoins, j’avais du mal à m’extirper de ce coin, c’est frappant de voir à quel point certaines choses peuvent être chargées de significations. Cette colossale cheminée m’intimidait comme tout ici d’ailleurs ; ces imposants meubles, ces plafonds de bois cossus plusieurs fois centenaires, ces lustres démesurés qui tremblent et tintent sans avoir besoin de courants d’airs, ce n’est pas de la magie ça ? C’est magique et ensorcelant à la fois.
Il était temps pour moi de suivre le cortège qui s’avançait déjà en direction de la cuisine. Hortense y empilait des quantités astronomiques de boîtes métalliques en tout genre, elles contenaient, paraît-il, toutes sortes de potions et herbes séchées ou lyophilisées. Grand-mère nous offrit un petit rafraîchissement et nous invita à prendre nos bagages restés dans la voiture afin de les monter à l’étage.
Nous n’avons pas visité tout le rez-de-chaussée, car on y trouve une porte menant aux caves et un immense débarras où l’on ne peut pas mettre un pied.
Chargés par les nombreux bagages de maman, nous empruntions l’escalier démesuré de l’entrée afin d’accéder à l’étage.
Aux pieds des marches de chaque côté se trouvaient des boules de marbre grosses comme des pastèques, je n’avais jamais vu pareil spectacle.
À cet instant, je revoyais Tintin et le Capitaine Haddock au Château de Moulinsart ; je me demandais bien quelles surprises nous allions encore découvrir en grimpant là-haut. Pas très rassurée, j’avançais en levant la tête afin de ne rien rater, sculptures, enluminures et j’en passe.
Là aussi un couloir assez sombre, orné de miroirs, de guéridons avec des chandeliers et toiles anciennes représentant des figures hors du commun, impossible pour moi de savoir si ces personnages sont réels ou imaginaires.
Hortense ouvrit rapidement une chambre et invita mes parents à s’y installer, elle était vieillotte et sentait le renfermé et la naphtaline ce qui mit maman de bonne humeur, a voir sa tronche déconfite des mauvais jours.
***
Quant à moi, je fus installée en face d’eux dans une autre chambre tout aussi ancienne, mais avec un petit lit placard très original et une petite coiffeuse.
La chambre de grand-mère se trouvait juste à côté de la mienne et en face à côté de celle de mes parents se trouvait la chambre où pépé reposait. D’ailleurs, je restai volontairement dans la chambre qui m’avait été attribuée pendant qu’ils allèrent se recueillir autour du mort.
Couchée sur le couvre-lit réalisé en patchwork fait main, je scrutais la pièce qui me charmait, un seul détail cependant : le lustre qui jouait avec mes nerfs, il se balançait inexorablement. J’essayai de comprendre pourquoi il se dandinait ainsi sans raison puis Hortense frappa à la porte en me proposant d’aller rejoindre si je le souhaitais le palefrenier afin de faire une balade sur la lande.
Visiblement elle avait tout prévu pour que je me sente bien, j’accourais près de Jacques qui ne semblait pas étonné de mon arrivée précipitée.
Alors c’est toi, Valentine, j’ai beaucoup entendu parler de toi et je suis ravi de faire enfin ta connaissance, moi c’est Jacques.
Merci de me consacrer un peu de temps, j’aimerais tellement faire le tour des box, c’est possible ?
Aucun problème, on y va.
Il me présenta « petit tonnerre », le dernier-né, il était arrivé la nuit d’avant, mais il me demanda de garder mes distances, car la mère ne me connaissait pas et semblait méfiante, elle protégeait si bien ce petit poulichoux, et elle-même était si belle ; un peu normal quand on s’appelle Élégance.
Avec Jacques, je passai l’après-midi la plus formidable depuis bien longtemps, à découvrir de somptueux paysages à galoper dans les sous-bois, à regarder cette nature si belle et si préservée par ici, c’est fou comme certains lieux forcent à l’humilité, on s’y sent bien sans avoir besoin de grand-chose.
Un peu plus tard, Hortense me fit un rapide cours sur la malouinière dont ses origines remontent au Dix-Huitième Siècle, où les ancêtres d’Hortense furent de riches armateurs. Ils firent construire cette demeure exceptionnelle grâce au commerce qui était très florissant à cette époque.
Elle ajouta qu’à cette période, les gens n’avaient guère de scrupules et arraisonnaient les bateaux anglais et rapportaient ainsi de nombreuses pièces au domaine, ce qui augmentait le trésor. Malins, ces anciens ; elle n’en dit pas plus.
Elle ne s’éternisa pas non plus en disant qu’après il y eut une période sombre et que bien plus tard sa famille est revenue.
Toutes ces choses me permirent de ressentir une profonde attirance pour cet endroit et pour grand-mère. Aujourd’hui encore je n’arrive pas à exprimer ma première expérience à la Bisquine tellement ce fût intense, sensationnel, irréel.
Et puis, ce soir-là, il y eut ce phénomène étrange qui me bouleversa, mais je n’osai en parler à personne. Les adultes veillaient Louis et moi j’avais regagné ma chambre après avoir effectué un détour par l’immense bibliothèque et je m’apprêtais à entamer un bouquin que je venais d’emprunter quand tout à coup, je perçus un tintement lugubre, mon regard se brouilla, j’étouffais.
Je fonçai à la fenêtre pour y prendre l’air et je vis une ombre verdâtre et brillante, telle une silhouette se tortillant à l’extérieur, survolant le jardin, passant au travers des montants du puits, courant d’un box à l’autre.
Les chevaux à ce moment se mirent à hennir et un frisson me parcourut l’échine, puis plus rien, tout redevint normal.
Cette manifestation me fascinait et aiguisait ma curiosité. De plus, grand-mère semblait si secrète et troublante, qu’à cet instant je sus que je reviendrai ici, pour mieux apprendre à la connaître et percer le mystère de ce lieu qui avait quelque chose d’envoûtant, d’attirant et presque magique que je ne pouvais expliquer.
Malgré mes doutes et mes angoisses, j’aurai fait n’importe quoi pour rester encore, mais malheureusement mes parents en avaient décidé autrement.
Dès que la cérémonie fut achevée le jour suivant, nous reprîmes la route, préférant un hôtel loin d’ici. Toutefois, avant notre départ, Hortense fit remarquer à mon cher père que j’avais le droit de venir, si je le désirais ; qu’elle se ferait un plaisir de me recevoir. Une phrase aussi me marqua juste avant de partir. Elle se mit à me caresser les cheveux, tout en me tendant le livre que je n’avais malheureusement pas eu le temps de lire et me murmura : « je sais que ta place est parmi nous, ici, ne l’oublie jamais, je ne me fais aucun souci pour ce livre. Il reviendra très vite et tu as fait un excellent choix en prenant celui-ci ».
Depuis notre retour, je posai des tas de questions, je voyais très bien d’ailleurs que j’agaçais mes parents, et j’avais une tout autre opinion qu’eux depuis cette rencontre avec Hortense. Le peu de temps que nous avions passé ensemble ne me permettait pas de la juger tel que le faisaient mes parents.
Au contraire, je gardais le souvenir d’une personne réservée et courageuse malgré la douleur. Une nature joviale, une personne très attendrissante, attachante et généreuse et qui sans se plaindre devait cruellement souffrir de l’égoïsme et de l’indifférence de me parents.
Je ne pouvais pas supporter un tel mépris vis-à-vis d’une femme si extraordinaire, qui ne leur demandait jamais rien, menant tout de front.
Quand je m’aventurais à aborder le sujet, mon père haussait les épaules, détournant brièvement la conversation en évoquant l’éloignement, le travail et je ne sais quoi encore, quant à ma mère elle lançait avec ironie grinçante : « c’est une tordue, une folle, une sorcière, elle fabrique je ne sais quoi dans son château hanté et impossible de l’en déloger. Elle a qu’à y rester si elle ne veut pas vendre c’est de l’inconscience, elle le regrettera, elle a qu’à crever avec ses sous, on n’a rien à lui demander. Alors, qu’elle ne vienne pas nous faire chier cette peau de vache, qu’elle aille au diable si elle veut ».
Voilà, ce fut à peu près les seules explications qu’on était capable de me fournir, à moi de conclure qu’il devait y avoir un problème sérieux pour que mes parents aient cette haine terrible dont j’ignorai les raisons, si ce n’est une histoire de gros sous comme toujours.
La dessus s’ajoutait la grande différence entre ses deux femmes dotées d’un caractère de battante, mais chacune possédant tellement de traits opposés.
Ma mère toujours stricte, froide et commandante, ne faisant rien comme les autres, ne supportant rien et critiquant sans cesse les autres sur tout. Une femme pénible et insatisfaite, orgueilleuse et prête à tout pour arriver à ses fins. À l’inverse, grand-mère est partie de rien, elle a gravi peu à peu les échelons, rencontrée des difficultés, parfois chutant lourdement. Déterminée, jamais elle n’a abandonné, a gardé la tête froide, et fait passer les intérêts des autres avant les siens et c’est pour cela qu’elle est si estimée.
Elle a su rester abordable même en ayant repris le journal, elle a continué d’inviter ses amis qui depuis son accession sont devenus ses employés, mais encore une fois elle n’a rien laissé transparaître.
Simple, assumant tout et en plus débordante de cette joie de vivre et de mord dents, elle était exceptionnelle, mais incomprise.
Il faut dire qu’en Bretagne on trouve des gens solides, des vrais, des paysans, des marins, des aventuriers et tous avec un caractère bien trempé et elle était un peu des trois à la fois. Endossant tout, sans rien dire, sans se plaindre au contraire avec toujours l’impression de n’en faire jamais assez.
Depuis leur retraite avec Louis, ils ne manquaient pas une journée sans aller faire un tour au journal ; d’ailleurs ils faisaient partie du conseil d’administration et ils s’obligeaient à aller régulièrement voir les employés et les saluer, ils faisaient preuve d’une grande générosité et d’une grande intégrité.
Depuis mon retour en Occitanie, je n’avais pas eu de visions de fantômes et je me demandais si le manoir de mémé était réellement hanté, je souhaitais tellement y retourner, car cette escapade m’avait troublée profondément et je n’avais qu’une hâte y repartir le plus tôt possible afin de retrouver cette atmosphère si particulière.
Je savais combien la chose serait compliquée, rien que pour convaincre mes parents, mais je devais à tout prix trouver une solution.
Cet été, Rose, ma nounou, s’absentait pour deux mois au Portugal pour régler des histoires de successions ; en perpétuel conflit avec mes parents, je venais de crier haut et fort que la colonie, je n’y mettrai pas les pieds.
Je demandai prudemment si finalement ils ne m’autoriseraient pas à aller en Bretagne.
« Absurde, sûrement pas, hors de question, du n’importe quoi », rétorqua ma mère, rouge de colère.
J’insistai, je ne démordais pas, menaçant même de m’enfuir du camp s’ils m’y mettaient. Ils finirent par accepter à contrecœur, mais comme ils ne trouvèrent pas de compromis et que je rouspétais sans arrêt, ça leur ferait sans doute des vacances et à moi aussi.
Je fus si heureuse et impatiente de retrouver cette grand-mère et cet endroit merveilleux que je n’avais pas eu le temps d’explorer réellement.
Je m’empressai d’annoncer la bonne nouvelle à Hortense qui se demandait quelle mouche les avaient piqués pour accepter ça.
Les mois de mai et juin furent interminables, je bossai comme une malade, car ils m’avaient tout de même posé un ultimatum, si les résultats sont médiocres c’est la colo, alors je me suis donnée à fond pour qu’ils me laissent partir en paix. Finalement, le jour J arriva enfin et je quittai mes parents sans éprouver la moindre tristesse de les abandonner pour tout l’été, au contraire.
Dans le train, les questions se bousculaient dans ma tête et les idées ne me manquaient pas.
J’avais emprunté des tas de bouquins dans notre bibliothèque de quartier et je visualisais à présent un peu mieux la région où j’allais séjourner ; je pourrai ainsi proposer peut-être quelques balades à grand-mère qui sera sans doute fière de voir que je suis bien renseignée sur la Bretagne avant mon arrivée.
D’ailleurs, cette région devrait bien me plaire, car remplie d’histoires, de légendes et riche en monuments divers.
Tout à coup, le nom de la gare résonna, il fallait se préparer, j’espère secrètement qu’elle ne m’aura pas oublié, qu’elle sera bien là. La rencontre allait être imminente.
Le train ralentit, puis s’immobilisa.
Je sortis rapidement de mon compartiment, empruntai le couloir pour regagner la porte de sortie et dévalai les marches, pressée.
Elle était là, plantée face à moi, elle ouvrit grands les bras, je courrai à présent vers elle, je sus à cet instant que l’on ne se quitterait plus jamais.
Je me gardai bien de dire quoi que ce soit, j’avais peur d’une forme d’aversion si je lui en avais parlé. Mes parents profitaient de mon séjour en Bretagne pour négocier de nouveaux marchés à l’étranger. Il faut savoir que mes parents travaillent ensemble dans la même entreprise et réalisent à eux seuls toute la partie commerciale des produits vendus à l’exportation. Ils se rendaient très souvent au bout du monde et moi je restais avec ma baby-sitter parfois des semaines entières sans les voir ni avoir de nouvelles.
Elle s’appelait Rose, ma nounou, c’était pour moi comme une mamie, enfin, je crois. Mes parents l’avaient embauchée avant même ma venue au monde, elle avait dû s’adapter aux folies constantes de ma mère, elle m’aimait comme son enfant. Seule depuis longtemps, elle a fini par venir habiter chez nous quand ma mère a voulu acquérir un morceau de terre situé au-delà de l’eau, une île, quoi. Nous habitions donc aux pieds des gorges de la Dourbie en plein Causse Noir et comme mes parents ne font pas les choses à moitié, ils avaient fait retaper un hameau entier. Le seul problème fut que pour s’y rendre il fallait traverser au moyen d’une barque et les vivres quant à eux étaient acheminés via un treuil qui enjambait la rivière. Je connais plus commode comme habitation, mais ce n’était en fait que le énième caprice de plus de la part de ma mère qui, insatisfaite par nature, ne faisait jamais comme tout le monde bien au contraire. Rose avait ainsi sa propre petite maison indépendante, juste à côté de la nôtre, mais que de tracas pour aller seulement attraper un bout de pain ! Rien que pour me rendre à l’école c’était tout une expédition, il ne fallait pas attendre la dernière minute, observer le temps, si besoin écoper l’eau de la barque et se couvrir chaudement, car la traversée en hiver c’était périlleux. Quand les parents de ma mère eurent disparu, ma mère investit la totalité de son héritage dans ce hameau en ruine ; les travaux ont duré presque cinq ans. Rien ne fût simple pour reconstruire, difficile pour les entrepreneurs d’accéder au chantier avec le matériel. À peine achevé, elle prit contact avec un agent immobilier, car elle s’aperçut très vite des difficultés de vivre sur une île. Bien entendu l’estimation à nouveau du hameau, l’a réjoui, il avait pris une valeur considérable, mais ce fût mon père pour une fois qui s’opposa et perdit patience en insistant pour que nous profitions au moins quelque temps de notre nouveau statut d’îliens.
Ma mère était comme ça, instable, insatisfaite, voulant toujours plus, tout posséder quant à mon père, il s’exécutait sans rien dire. Il la laissait ainsi tout diriger, pour se mettre à l’abri des disputes, qui malgré tout éclataient souvent.
Ayant toujours eu une vie facile, rien n’arrivait à lui faire plaisir.
Ils possédaient peu d’amis, car je pense que ma mère dégoûtait beaucoup de monde autour d’elle avec son égo démesuré, son style de vie et sa façon de penser étaient spéciaux.
Mon arrivée fût un accident, et puis cela lui permis de faire comme tout le monde, au passage contenté mon père, mais en réalité elle ne supportait pas les enfants, les animaux, les fleurs, rien. D’ailleurs elle ne s’est jamais occupée de moi, elle a repris son travail cinq jours seulement après ma naissance et ravie, semble-t-il, de déserter la maison et mes cris incessants.
Rose prit la relève sans problème, elle m’éleva comme son propre enfant, laissant mes parents à leur carrière fantastique, où il n’y avait vraisemblablement pas de place pour moi. Je les gênais et j’en ai eu conscience très rapidement, bien sûr, ils ne le disaient pas ouvertement, mais je le ressentais au plus profond de moi et pour une gamine c’est douloureux de se sentir évincée et encombrante.
C’est à Rose que je dois tout, elle m’a tout appris, des tables de multiplication au recyclage des déchets, de la cuisine, au repassage et le plus important à mes yeux, à observer, aimer et respecter la nature qui nous entoure.
Elle m’emmenait souvent en promenade, j’ai ainsi parcouru tout l’Aveyron, elle seule savait si bien parler de son pays et me faire aimer cette région si singulière. Il faut dire que ces grands plateaux de calcaire forment un parc naturel d’une richesse exceptionnelle ; les vues y sont inqualifiables.
Elle disait souvent que les Causses se méritent, c’est vrai qu’il faut prendre son temps, tournicoter des heures sur des routes impossibles pour les atteindre.
Nous allions régulièrement toutes les deux en balade à Montpellier le Vieux, l’endroit est magique. Toutes ces stalagmites de pierres qui se dressent vers le ciel, la vue sur les gorges est particulièrement impressionnante.
De part et d’autre on aperçoit des cavités plus ou moins importantes dans la roche, certaines nous font penser à des yeux de chouettes, d’ailleurs offrant des abris princiers aux oiseaux nombreux par ici. C’est fabuleux, car la nature est reine, tout à coup surgit un vautour, sa tête se balance comme pour nous demander ce que nous venons faire sur son territoire, on se sent petit, on s’observe curieusement. Lui, son corps frémit, il se pose face à nous, nous toise, fait deux pas sur la roche, puis, d’un coup se lance dans ce vide abyssal et redevient le roi du ciel, le maître du monde. Il tournoie, c’est beau, cette liberté, cette grâce ; merci.
Le paysage est illimité, la présence humaine parcimonieuse, au sommet on domine le monde et on se sent à l’abri. Ici, on trouve aussi les derniers chevaux sauvages du monde, les Przewalski, je me rends compte que pour vivre ici, il faut une certaine motivation, un brin de folie, mais des endroits comme ceux-ci sont réservés à des passionnés de nature comme nous uniquement.
Je prenais plaisir à découvrir les grottes de la région avec chacune des particularités, mais toutes splendides. Nous allions déguster du roquefort, on visitait les caves chaque été, je crois que je les connais toutes par cœur, je suis imbattable sur la fabrication de ce fromage et sur le pénicillium roquefortis.
Ces douces balades m’emplissaient de bonheur, humant ces parfums délicats d’évasion. Au crépuscule, dans l’air du soir, assise sur ces pierres chauffées au soleil, je rêvassais à des roches mystérieuses, à des grottes encore inexplorées ; je me prenais à percer de nouveaux secrets dans les profondeurs du temps, là d’où s’échappent par endroits quelques filets d’eau fraîche, ici aussi tout n’est que rêve et mystère.
Parenthèse faite, pour l’instant, je découvrais la Bisquine et ses alentours et très franchement c’était sublime, néanmoins je sentis Hortense très tourmentée depuis mon arrivée sans comprendre son mal-être. Trois jours plus tard, on nous annonça la mort de mes parents dans le crash de leur charter. Cette révélation a résonné en moi comme un signe de la providence, je ne peux pas dire qu’à l’époque ma peine fût grande ; aucune larme ne s’échappa.
Je me savais protégée par cette mamy que je découvrais à peine.
Ma mère n’ayant plus de famille, la question ne se posa même pas, je vivrai à présent avec ma grand-mère à la Bisquine : j’en fus réjouie et soulagée.
Hortense avait été profondément troublée par leur disparition et par les nouvelles responsabilités qu’elle s’apprêtait à prendre à bras le corps.
Malgré ses quatre-vingts ans, elle se débrouillait encore très bien, valide, elle conduisait pour se rendre au journal, faisait du bricolage, du jardinage, elle me surprenait de jour en jour.
Une fois le choc passé, et lorsque je cernai un peu plus grand-mère, je lui demandai un jour prudemment si elle avait déjà vu des fantômes dans le jardin, ou bien courant dans les couloirs ; elle souriait et riait si fort que je préférai quitter la pièce tellement j’avais honte.
Il faut dire que depuis mon arrivée, voilà maintenant deux semaines, je voyais régulièrement de nouvelles manifestations, même le soir dans le couloir, quelqu’un flottait et passait d’un miroir à l’autre.
Malgré tout ce beau monde que je côtoyais sans trop comprendre, je ne peux pas dire que ces apparitions me dérangeaient tellement, mais Hortense finit par se calmer et me rassura à sa façon.
— Ma chérie, je t’expliquerai.
Mais…
Comment dire, c’est fort possible, ce n’était qu’un revenant. C’est une très vieille demeure, et parfois il se passe des choses un peu bizarres, mais surtout ne t’inquiète pas, personne ne te fera de mal, je t’en fais la promesse. Sois tranquille, observe en silence l’autre monde qui t’entoure. Plus tard, je te donnerai quelques détails, pour l’instant contente-toi d’observer. Moi, je vis avec depuis toujours et c’est rassurant, on se sent moins seule pour traverser la vie en cas de tempête et par beau temps aussi ; tu ne peux pas t’imaginer comme c’est intéressant. Les vieilles comme moi qui parlent toutes seules et radotent et bien au moins je sais qu’il y en a qui m’écoutent et ça me rassure je ne parle pas dans le vide, pour des prunes, vois-tu.
On se mit à rire de bon cœur, nous partagions de délicieux moments, même si j’avoue que je ne savais que répondre face à son discours. Elle m’épatait, elle était un recueil de sagesse, elle savait marier les réflexions, citations et aphorismes comme personne. Ce fut un réel privilège de rester à ses côtés.
Elle donnait un sens aux mots que ce soit d’amour, de chagrin, du temps qui passe, de l’absurde ou des paradoxes. Avec une certaine vision de la condition humaine aussi juste qu’irrésistible, se moquant gentiment de son parler si savoureux, elle était touchante et frappait les esprits ce qui n’est pas donné à tous. Quand elle s’exprimait, je pouvais rester des heures à l’écouter.
Sa façon de vivre et son élocution révèlent parfois une personnalité très forte et ambiguë, mais il émane d’elle quelque chose de captivant, de passionnant et enrichissant.
Je l’aime, je la trouve si charmante, émouvante, charismatique et pleine de sagesse et de bon sens. Je voudrais lui ressembler, être cette femme extraordinaire, mais en même temps incomprise et si différente.
J’appris à la connaître et ce fût passionnant, elle qui vivait à présent sans montre, disant qu’elle a trop souffert du temps et aujourd’hui elle profitait sans se poser de questions. Elle se levait néanmoins aux aurores, mais pouvait déjeuner à trois ou quatre heures de l’après-midi et à souper à onze heures du soir. Consciente qu’un juste milieu serait le bienvenu, mais elle avait grand peine à changer ses habitudes ancrées depuis longtemps maintenant. En somme, elle vivait à son propre rythme.
En hâte, tout de même, il fallut trouver une école pour la rentrée, c’est ainsi qu’en septembre je pris le chemin d’un lycée Breton. Je demeurais à l’internat durant la semaine, car la Bisquine est vraiment le bout du bout du monde, et je n’avais pas de commodités pour pouvoir rentrer chaque soir. Tout se passait bien, très organisé, je me languissais néanmoins et attendais avec impatience le retour du week-end. Nous étions si proches toutes les deux, je pouvais lui confier tous mes doutes, mes inquiétudes, mes soucis, elle savait prendre le temps de m’écouter, me conseiller au mieux. La fin de semaine, elle me récupérait au train, nous allions manger des crêpes, voir des concerts de musique celtique, visiter les musées, nous promener sur la lande, ramasser des herbes si précieuses à ses yeux. Elle me fit connaître la fenouillette sauvage et bien d’autres choses comme des algues savoureuses dont je n’aurai jamais prêté attention. Elle m’apprit à aimer la nature et le silence, à me faire écouter le bruit des vagues et d’y interpréter toutes sortes de prémonitions. Elle connaissait les colères des vents, les délires de la nature, disait-elle. Je raffolais de nos moments ensemble si riches et si précieux. Elle m’initia à tirer les cartes de tarot, à faire avancer le pendule, et tant d’autres choses comme la calligraphie, l’iconographie et l’enluminure qu’elle pratiquait avec brio. Elle était géniale, intéressante, intelligente et presque surhumaine à mes yeux, sachant tout réaliser même une vidange de voiture. Quel courage, je l’enviais, car finalement après la mort de Louis, le deuil aurait pu l’induire dans l’isolement et la solitude ; au contraire. Sans cesse, elle répétait ô combien le temps passe vite et ô combien il est primordial de vivre pleinement chaque moment. À mon âge, je ne comprenais pas trop le sens de ses phrases, mais aujourd’hui je sais à quel point chaque instant de notre vie est précieux.
Après la disparition de mes parents, les responsabilités de m’élever furent comme un moteur pour elle, se forçant sans doute un peu. Elle était ravie que je sois ici, elle reprit goût à la vie, naturellement elle avait parfois ses moments de tristesse, mais la douleur semblait plus diffuse, elle devait veiller à présent sur moi et ce fût sa principale préoccupation.
Elle me comblait de bonheur, et faisait de n’importe quelle occasion, une fête et un moment unique ; ainsi notre premier Noël ensemble fut royal.
Passant un temps inouï à décorer la maison, à fabriquer des lumignons, des couronnes ; la transformation fut impressionnante. Fabriquant du pain d’épices, des truffes et autres friandises en chocolat, je ne me suis jamais autant amusée et régalée. J’avais reçu une chaîne hi-fi et du matériel, un bureau pour faire mes devoirs, je crois que pour la première fois, je savais ce que Noël voulait dire ; j’étais entourée, et aimée tout simplement.
Elle me donnait l’amour que je n’avais jamais eu avec mes parents et ceci sans retenue, sans attendre le moindre retour. À Pâques, nous descendions voir Rose, ces petits rituels semblaient indispensables pour rythmer notre vie.
Pendant les grandes vacances de l’été, nous allions nous baigner, nous sortions au cinéma, jamais je ne m’ennuyais. Elle savait à merveille me combler de bonheur, je n’ai jamais manqué de rien.
Elle était très coquette et ça me plaisait beaucoup, elle ne serait jamais sortie de la maison sans se maquiller, même pour faire le tour du jardin.
Nous dépensions parfois une véritable fortune en une seule après-midi pour l’achat de produits de beauté en parfumeries ou bien pour des vêtements.
Son dicton était l’argent c’est comme le train, c’est fait pour rouler ; et je me rends compte aujourd’hui que ce n’est pas faux, il faut savoir se faire plaisir, car la vie est parfois si cruelle. Les années se succédèrent sans grands changements, pour mes dix-huit ans, elle me fit une belle surprise. Nous partîmes pour un séjour en Écosse et en Irlande ; elle savait mon désir de voir ses terres de légendes, m’approcher du lac du loch Ness. Je fus comblée par ces vacances de rêve. Entre terre des mille et une légendes, ses paysages grandioses, ses mégalithes et ses vieilles abbayes. Toutes ses étendues sauvages, ses routes typiques, ses ruines perdues elles aussi au milieu des brumes. Il y a aussi tous ses ports colorés, ses pubs bruyants et si joyeux, ses falaises de pierres et cette mer magnifique, ça ressemblait tellement à chez nous, mais en taille démesurée. De pertes de vue, en routes sans fin, partout cette même beauté indescriptible et une luminosité différente à chaque instant. Rose se décida également à venir nous voir aux vacances de la Toussaint et nous en étions ravies ; de plus, grand-mère et Rose s’entendaient à merveille, et moi j’avais l’impression que, ainsi réunies toutes les trois nous étions au complet en famille.
Ces années de lycées et ensuite mes études à la faculté de droit passèrent avec une rapidité incroyable. Hortense vieillissait, elle avait de plus en plus de difficultés pour ses tâches ménagères, je l’aidais du mieux que je pouvais, notre entente était parfaite, malgré son âge, elle avait gardé une certaine jeunesse d’esprit, elle comprenait tout.
Depuis l’obtention de mon permis de conduire, elle s’était empressée de m’offrir une voiture pour faciliter mes déplacements et pouvoir ainsi rentrer plus facilement à la maison. Elle ne se sentait plus capable de prendre elle-même le volant, mais je voulus jamais vendre sa trottinette.
Nous étions encore plus inséparables qu’auparavant, nous n’avions pas tellement besoin de communiquer, nous savions tout, rien qu’en nous regardant. Cette osmose si particulière, si étonnante, naturelle même, une relation fusionnelle comme si nous ne formions qu’une seule personne. L’âge finalement n’a rien à voir, nous en étions la preuve, nous avions réussi à créer quelque chose de fascinant, on partageait des moments rares et intenses, on se comprenait d’un simple regard. C’était précieux pour moi ce lien si particulier, il en dégageait une vibration étonnante, une richesse formidable que je protégeais comme un joyau. Plus le temps passait, plus elle déclinait ; voulant même renoncer à mes études supérieures à Paris, c’est elle qui insista lourdement.
J’étais consciente que son état de santé se détériorait de jour en jour et qu’elle avait davantage besoin de moi, mais elle ne voulait en aucun cas être une charge et un obstacle à mon avenir. Je partis pour Paris avec une angoisse constante et chaque jour je passais des heures au téléphone pour prendre de ses nouvelles. Au son de sa voix, je savais si sa douleur était acceptable ou non ; elle se gardait pourtant bien de me parler de quoi que ce soit, elle ne voulait pas m’ennuyer, me demandant simplement de bien prendre soin de moi et de travailler dur pour qu’elle soit fière. Je ne devais pas la décevoir, pourtant parfois j’aurai tout planté pour aller l’a retrouver, car je savais qu’elle souffrait terriblement. Elle ne laissait rien transparaître. Lorsque je rentrais, je la retrouvais toujours aussi coquette. Néanmoins elle se mit à se confia en me racontant certaines choses, comme si elle savait qu’elle ne serait plus là très longtemps, elle avait besoin de parler, de se livrer. Elle possédait cette faculté de rendre tout plus facile et pouvait compter sur moi. Elle prit soin de mettre à jour ses papiers chez le notaire et dans ses banques, elle se préparait à partir, je le ressentais bien, mais elle ne voulait pas l’admettre réellement, et ne souhaitait pas m’inquiéter, mais son comportement la trahissait.
Je l’observais attentivement, repoussant même mes rendez-vous pour profiter de tout mon temps libre pour rester près d’elle.
Hortense s’affaiblissait, mais elle ne montrait rien et surtout n’admettait pas sa maladie qui la rongeait. Par bonheur, je venais de terminer mes études et venais de décrocher un emploi tout près de la Bisquine ; je serai à présent à ses côtés et prête à faire tous les sacrifices pour qu’elle soit entourée d’amour.
Peu de temps s’écoula quand un soir, au coucher, elle se mit à parler comme jamais elle ne l’avait fait auparavant.
— Ma petite, tu as réussi, je n’aurais jamais voulu te quitter sans savourer ce bonheur, je suis si fière de toi. Tu m’as apporté tout ce dont je pouvais espérer, ensemble nous avons traversé ces années, sans se rendre compte que l’horloge du temps courrait inexorablement. J’aurai tant de choses à te raconter, j’ai eu peur de t’en parler et aujourd’hui je n’ai guère le choix, le temps presse. Mais parfois ce n’est pas évident d’avouer certaines choses, et quand en plus on a fait promettre de se taire, c’est encore plus délicat.
Une chose est certaine, un jour viendra, tu comprendras et tu te souviendras de toute cette conversation. Comment dire… nous sommes différentes, voilà. Dans le temps, on nous aurait traitées de folles, de sorcières, on nous aurait comparées au diable. Je sais au plus profond de moi que tu me ressembles, ta vie est ici et nulle part ailleurs, ne l’oublie jamais. Ici ce sera ton refuge, tu approuveras.
Elle parlait avec pertinence et lucidité ; pourtant j’avais un mal fou à comprendre ce qu’elle s’efforçait à m’expliquer à ce moment précis.
Une seule chose, ce devait être pénible à évoquer, car elle ne savait pas trop comment s’y prendre pour annoncer la suite.
Il y eut d’ailleurs un long silence, attendait-elle des questions de ma part, mais je préférai attendre poliment qu’elle eut envie de poursuivre son dialogue.
— La malouinière fait table rase sur toutes les ondes négatives, ces gens qui empoisonnent notre existence, qui ont même parfois des comportements sournois, des mots blessants ; toutes ces personnes nuisibles pour nous, toxiques parfois, seront mises de côté définitivement, ne resta que le merveilleux. La demeure écarte les gens malsains, manipulateurs ayant de l’emprise sur nous. Crois-moi, ton bonheur, tu le trouveras là, dans ses murs. Tes chagrins, tu ne les surmonteras que grâce à elle. Elle a ce fluide si précieux, seules nous sommes capables de capter ses émanations, c’est ce qui fait notre force intérieure. Au moment venu, quand tu trouveras la clef, tout alors deviendra clair et tu te souviendras. Ici tout se fait dans le silence. Il est important de l’écouter et de sentir sa chaleur t’envahir, d’écouter quand il n’y a rien à écouter et surtout de laisser parler ces imbéciles qui voudraient te raconter des histoires qu’ils ne connaissent pas. Ils ne pourront jamais comprendre et ne doivent pas savoir que tu es de cette lignée. Quand je serai parti pour de bon, installe-toi ici, tu trouveras par toi-même ce que tu cherches depuis tout ce temps et que je n’ai pas osé t’avouer par peur de te perdre, tu comprendras.
— Je ne vois pas exactement où tu veux en venir, je t’en prie, parle-moi encore, je sens que c’est sans doute très important.
Chaque chose en son temps. D’abord, n’écoute pas les autres. Ils croient tout savoir, mais au fond la Bisquine n’a cessé de susciter légendes, suppositions et calomnies, sans réel fondement, ou simplement en se contentant de relater des faits en les amplifiant et les déformant.
Moi, je connais tout de cet endroit, je connais la vérité. À ton tour, un jour tu découvriras toi aussi notre secret.
Continue.
Cet endroit, cette maison, c’est une histoire d’âmes et de tragédies en tout genre mêlant des femmes. Ces femmes qui vécurent ici il y a bien longtemps, ont toutes connues des destins cruels, pour certaines la vie s’arrêta trop brusquement pour d’autres l’amour triomphait malgré de longues années d’errance moroses et malheureuses. Toutes traversèrent de terribles épreuves, mais celles qui en réchappèrent en ressortirent plus fortes, plus courageuses. Secrètement, elles étanchaient leur soif d’un philtre, d’un breuvage les épargnant du désespoir, et ça fonctionne très bien. Bien sûr, les gens aux alentours ont vite fait de transformer leur bonheur retrouvé en histoires dégradantes pour elles. On les traitait au pays de catins, même moi j’ai subi des affronts, dans les villages, chacun racontait la sienne, disant qu’il se passait des drôles de choses ; que le manoir était un bordel où les aventures les plus libertines frôlaient avec les esprits. Des absurdités, car la vie ici est paisible.
Mais, tu veux dire qu’ici il ne m’arrivera rien et que je serai en sécurité ?
Ici et nulle part ailleurs, sans aucun doute. N’oublie jamais une chose, ce n’est pas tout le monde qui peut faire partie du jeu ; il y aura les indésirables de la maison. Tu comprendras vite et crois-moi il faudra t’y plier, car nous sommes intransigeantes avec certains.
Je ne comprends pas vraiment pourquoi tant de mystères, je sais que ce n’est pas donné à tout le monde de parler avec aisance de choses parfois graves. J’espère me tromper, mais je commençais à penser au pire en entendant Hortense marmonner des trucs très étranges sur la maison, avec comme à son habitude ce mélange de vanité et d’autodérision. Un peu horrifiée pour l’avenir proche, car au vu de son comportement soudain, je pressentais que sa façon d’agir en disait long sur son état de santé.
— Un jour tu rencontreras des amis, grâce à ce fluide, lorsqu’ils franchiront le seuil de cette demeure, tu sauras, c’est cruel, mais c’est comme ça. Bien sûr, un peu de pratique, pour te permettre d’interpréter les choses avec tact, mais tu te débrouilleras sans doute et tu auras une pensée pour ta vieille grand-mère, tu me remercieras, je ne serais pas loin et je veillerai toujours sur toi.
Tu percevras tout ceci, tu auras le même destin que moi, tu vivras heureuse tant que tu prendras les bonnes décisions et que tu seras là parmi les tiens au manoir, ma petite sorcière.
Ta paix intérieure se trouve là, tout prêt.
Que voulait-elle dire par ta paix intérieure se trouve là, tout près.
Cette phrase je la remuai toute la nuit suivante et quant au petit matin, je vis qu’elle n’était pas descendue, je me dirigeais vers sa chambre.
Assisse sur son lit, sa respiration semblait plus accentuée que d’habitude voir saccadée, elle souffrait, la fin approchait. Elle s’était endimanchée de la tête aux pieds, un signe grave.
J’appelle le médecin ?
Non, je suis épuisée, mais je dois terminer la conversation entamée hier, il faut que tu saches.
Mamy, mais quoi ?