Rêveries d'un misanthrope - Dandy Carduelis - E-Book

Rêveries d'un misanthrope E-Book

Dandy Carduelis

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Beschreibung

Nous réjouirait-il que Blanche-Neige mourût enfin ? Que la Barbe-bleue eût un penchant pour les hommes ? Que Peter Pan fût enfin puni ? Le jeune poète bourguignon, agacé et blessé par l'humanité, saigne les fameux « gentils » et fait le portrait de la société. Après tant d'années à versifier, il fait appel à la prose pour reprendre de célèbres contes, à sa façon, créer ses propres histoires et soulager sa misanthropie dans une délicate cruauté, en compagnie de créatures mythologies.

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Seitenzahl: 276

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Ähnliche


Table

Prologue

Contes

Le Petit chaperon rouge

Blanche-neige

La Belle au bois dormant

Barba Rubeus

La Banshee sans voix

La Sirène noire

Le Collier de perles

Les Infirmes des bois

Cendrillon

Nouvelles

Le Chat montré

Un Bouquet pour Maman

La Salle d'attente

C'est bon...bon

Dans le bus

L'Echarde

Possessions

Postface

Prologue

Si j'ai passé la majorité de ma jeunesse à écrire des recueils de poèmes, je me sens paré à goûter à la prose et à l'invention d'histoires cruelles. Un grand travail d’observation des alentours, sans jamais être magnétisé par quelque idéologie de nos temps – ni d’autres d’ailleurs ! Faisant fatalement partie de ces générations que je ne résiste à nommer Homo Informaticus, voire Homo Twitterus, je ne dois point faire exception, ni me montrer supérieur à cette espèce meurtrière que nous sommes.

L'un de mes recueils de poèmes avait pour but non pas de ressentir la nature et d'ignorer l'humanité, mais, au contraire, de me concentrer sur cette dernière et d'exprimer mon mépris, ma honte de vivre à ses côtés ; une pointe d'humour et d'exagération, apolitique, athée, presque amoral ; toujours sur un large fond de sincérité.

Sur les mêmes règles, j’écris ces modestes proses, parmi lesquelles s’incrustent quelques vers tous aussi humbles et un tantinet amusants. Si je change brutalement – mais passionnément – de forme, de rythme et d’inspiration, je me dois de garder la première plume m’ayant fait voler. Néanmoins je suis curieux de savoir si cette prose me fera danser autant que les noirs vers de mes fleurs humaines.

Je remercie Sade et Perrault – telle est ma passion du silence – car c’est bien eux qui m’ont fait céder, qui ont provoqué ma tentation d’exprimer à nouveau mon désespoir d’être parmi tous ces cerveaux et ces sangs. Malgré les défauts que l’on peut trouver à l’écriture du Marquis, il m’a secoué plus fort que l’ennui d’un Musset m’eût endormi. Au moment où Justine m’a retourné l’estomac, j’ai compris que je pouvais être à nouveau dans la cruauté tout en dénonçant celle-ci ; que je pouvais faire couler le sang qu'en réalité je n’ai point la nature de rider à peine.

Perrault m’a facilité la tâche – mes maîtres seraient-ils tous morts ? – avec ses , car c’est bien grâce à lui que l’idée de commencer par ce genre littéraire m’est venue. Comment puis-je faire tomber tant de sang ?!

Mais bien-sûr un égoïsme justifié d’artiste me force à créer mes propres histoires dans leur entier. Alors je me concentre à inventer quelques et nouvelles, et c’est un pur plaisir. Mais merci, par-dessus tout, à mon maître Maupassant qui me guide, quels que soient la longueur de mes phrases, l’usage des temps, la lourdeur des descriptions et la maîtrise des psychologies. Et même si selon Verlaine – un autre et dernier maître, sans compter mes philosophes – pour ne pas être dupe il faut plus de bonté que de méchanceté, un misanthrope loin d’être dupe vous offre ces quelques méchancetés humaines ; si vous les acceptez, vengeance sera sienne !

Dandy Carduelis

Contes

Le Petit chaperon rouge

« Changer de figure, à cause de notre faiblesse. » Pascal

Il était cette fois une pauvre famille de fermiers vivant au bord de la forêt ; ils ne possédaient qu’un seul enfant : une petite fille, à la fois la plus belle et la plus sotte de son village. Mais ses parents n’avaient guère réalisé sa beauté ; ils avaient été tellement déçus de son sexe, à sa naissance, qu’ils lui accordaient bien peu d’attention, et encore moins d’affection.

Malgré tout, Aurélie usait souvent de son charme afin d'être gâtée et d'obtenir de belles chaussures scintillantes, un téléphone portable, de doux vêtements satinés ; l’un d’eux était une robe rouge-sang qui couvrait tout son corps et brillait même lorsque la lune se contentait d’un sourire tordu.

Elle n’aidait jamais ses parents pour les travaux ménagers, et encore moins pour traire les chèvres ; si elle se faisait gronder, elle n’en tirait aucun compte. Mais elle aimait sa mère, c’était plus fort qu’elle.

Un jour, la fermière s’approcha d’Aurélie et lui confia un panier, lui disant :

« Traverse la forêt et apporte ce panier à ta grand-mère qui est très malade. J’ai trop de travail alors je te confie cette tâche. »

En effet la grand-mère d’Aurélie était très âgée et devenait, naturellement, de plus en plus fragile ; mais il s’agissait surtout d’une méchante femme qui, dans la peine financière de sa famille, ne tenait absolument pas à les aider.

« Je lui ai préparé une tarte aux pommes – tu sais combien elle adore ça ! – et il y a un litre de lait de chèvre avec du miel – elle l’aime encore plus ! Tu pourras en manger avec elle, si tu veux, ajouta-t-elle en se penchant et clignant de l’oeil, ça lui fera plaisir. »

Dans la tarte se trouvaient en réalité des morceaux de champignons vénéneux, et, dans le lait, la fermière avait ajouté des somnifères, si jamais la grand-mère avait refusé de manger la tarte, en attendant que le fermier arrivât…

« Ton papa te rejoindra dans environ deux heures. D’ailleurs j’ai mis un saucisson qu’il voulait partager avec elle. Et en traversant la forêt surtout ne parle à personne, pas même aux chasseurs ou à ces stupides bûcherons ! Marche droit devant, sans regarder autour et profite de ta grand-mère. Compris ? »

La petite fille acquiesça en soupirant, prit le panier et tourna les talons en direction de sa chambre. Elle prit un voile rouge que lui avait offert sa grand-mère : il couvrait sa chevelure et tremblait soigneusement au moindre courant d’air.

Après un long baiser de sa mère, Aurélie partit en veillant sans cesse à ne pas faire tomber son téléphone, à la moindre pierre qui l’eût faite sursauter, ou la moindre branche qui l’eût effleurée.

Le Loup, caché dans les hautes-herbes, l'aperçut et grogna d’allèchement – n’ayant rien mangé depuis cinq jours.

Il fit en sorte qu’ils se croisassent en sortant lentement de sa cachette, ainsi la fillette ne fut point effrayée. Si elle ne porta point attention au regard des bûcherons et des chasseurs, elle fut intriguée par les yeux bleus et charmeurs du canidé. Ralentissant le pas à son tour, elle tomba aussitôt dans son piège.

- Bonjour, jolie petite fille, tenta de flatter le Loup, que fais-tu donc au beau milieu de ces sombres bois ?

- En fait je dois apporter une tarte aux pommes et une bouteille de lait au miel à ma grand-mère qui est très malade en fait, répondit-elle, charmée par la silhouette du « chien » qui s’était assis et inclinait la tête.

- Oh ! Je suis bien triste pour ta grand-mère ! Il est aussi bien dommage que tu couvres ta chevelure par ce voile ; je suis sûr que tu as de délicieux cheveux. Une belle fillette comme toi ne devrait pas cacher un tel atout.

- Oui j’aime beaucoup mes cheveux, mais en fait ce chaperon est l’un des rares cadeaux que m’ait fait ma grand-mère ; alors quand je vais la voir, je tente de lui faire plaisir en portant ce vêtement qui va très bien d’ailleurs avec ma robe, hein ?

- Parfaitement, approuva le Loup en retenant ses babines de s’exprimer.

Très joueur, il aurait bien continué cette comédie mais il commençait à avoir vraiment très faim ; il aurait bien mangé Aurélie immédiatement mais il préférait prendre garde aux chasseurs qui avaient l’oreille fine. Alors il lui proposa un autre jeu.

- Cela te dirait-il de t’amuser avec moi ? J’ai très envie de rencontrer ta pauvre grand-mère ; alors courrons tous les deux chez elle : je prends ce chemin-ci ; tu prends ce chemin-là ; nous verrons qui arrivera le premier.

- Pourquoi pas en fait, mais je te préviens, elle habite assez loin : c’est tout au bout de la forêt, dans une petite et très vieille maison en bois.

- Ne t’en fait pas, je connais la forêt par coeur, conclut-il en filant comment l’éclair.

Aurélie partit à son tour, en trottinant, mais craignant de fendre sa robe, et ses chaussures n’étant point commodes sur un tel chemin, elle se mit à marcher. Tandis que son adversaire était presque au sortir de la forêt, elle portait toute son attention sur son téléphone qui n’avait plus de réseau ; elle tournoyait comme une girouette et élançait son bras dans toutes les directions.

Le Loup arriva à la porte de la maison, tout aussi essoufflé qu’affamé. Il toqua.

- Qui est là ? Je ne veux voir personne ! s’exclama la grand-mère, presque grognante.

- C’est moi, grand-mère, ta petite fille, répondit le Loup en affinant sa voix tremblante tant qu'il le put.

- Tire la chevillette et la bobinette chutera.

Aussi le Loup ouvrit la porte et aperçut la vieille bonne femme dans son lit. Il se lança sur elle avant même qu’elle ne l'eût remarqué et la dévora. Il se glissa dans le lit en se revêtant des effets de la grand-mère, n’ayant plus qu’à attendre la petite fille.

Sa proie avait laissé une place chaude à en brûler sa fourrure. Tout autour de lui brillaient des assiettes en porcelaine et des couverts en argent, ainsi qu’un vase en verre dans lequel trônait un magnifique bouquet de pivoines rouges – offert par un chasseur. Un lustre aux mille gouttes de pluie veillait sur une immense table en bois d'orme drapée de dentelles qui traversait presque toute la maison. Sur la table de chevet reposait Les Fleurs du mal ; il les eût bien lues un peu, quand il aperçut par la fenêtre Aurélie qui courait, une main soulevant sa robe, l’autre main tenant le panier et son téléphone.

Elle regarda autour d’elle afin d’apercevoir son chien, en vain ; elle frappa à la porte et entendit bizarrement la voix rauque et grasse du loup digérant son repas.

- Qui est là ?

- C’est Aurélie, mamie, maman m’envoie en fait te donner une tarte aux pommes et du lait.

- Oh entre vite ! Tire la chevillette et la bobinette chutera.

Le Loup, tout excité, tenta néanmoins de prendre un air las et faible, caché par les draps.

« Pose le panier sur la table et viens près de moi, mon exquise petite fille. »

Étonnée par ce compliment, Aurélie obéit et vint près du Loup.

- Comment tu te sens, mamie ?

- Oh ! Je suis très fatiguée.

- Il faut que tu prennes des forces, sursauta la fillette en allant vers la table. Je vais te donner une part de tarte aux pommes.

- Non ! s’exclama le Loup avec sa voix grave et puissante, mais il toussa pour cacher les apparences. Je n’ai pas faim.

- Tu veux un verre de lait ? Il y a du miel dedans en fait, c’est très bon pour la toux.

- Non, merci, dit-il gentiment mais agacé.

- En fait maman m’a donné un saucisson aussi ; elle m’a dit que tu voulais le manger avec papa. Tu en veux ?

- Du saucisson ?! Fit l’animal avec un haut-le-corps. Oui j’en veux bien un morceau, merci mon trésor. Tu peux en prendre aussi, si tu veux.

- Non, merci, refusa l’autre en donnant une petite tranche de saucisson au Loup. Mais en fait je veux bien un verre de lait.

- Je t’en prie, sers-toi. Et s’il-te-plaît enlève ce chaperon, j’aime voir tes cheveux. Oui voilà, tu as l’air tellement plus savoureux ainsi. Viens donc près de moi.

Aurélie but son verre de lait et resta debout contre le lit, à jouer du pouce sur son ami électronique, ce qui agaçait le Loup depuis son arrivée ; il s’agissait d’un prédateur mais qui aimait certaines politesses. Elle n’avait pas porté grande attention à sa « mamie » jusque-là, elle leva le regard et commença à trouver quelques indices curieux. Le Loup la fixait mais se cachait suffisamment afin que la fillette ne le reconnût pas. Un silence s’installa.

Aurélie se sentit peu à peu dans un trouble visuel et faible.

- Tu m’as l’air bien fatigué, fit le Loup. Viens donc te coucher près de moi.

- Oui j’ai un coup de fatigue. Je vais faire une petite sieste en attendant papa.

Elle tenta de regarder son téléphone mais il glissa entre ses doigts. Elle leva la couette et constata quelques étrangetés.

- Mamie, tu as de grandes jambes !

- C’est pour mieux courir, mon enfant, répondit le Loup, souriant.

- Mamie, tu as de grands bras !

- C’est pour mieux t’embrasser, mon enfant.

- Mamie, tu as de grandes oreilles !

- C’est pour mieux t’écouter, mon enfant.

- Mamie, tu as de grands yeux ! Remarqua-t-elle en reconnaissant les yeux du Loup.

- C’est pour mieux te voir, mon enfant ! Rit fort le Loup en voyant les tremblements d’Aurélie.

- Mamie, tu as de grandes dents !

- C’est pour mieux te manger, mon enfant !

Retrouvant peu à peu sa voix, le Loup profita de ce qui lui semblait être un évanouissement pour sauter sur la petite fille et la dévorer avec une joie extrême.

Il entendit soudain des pas à l’extérieur et la porte commença à s’ouvrir. Il courut sous la table, caché par les dentelles.

« Claudette ? Ma chérie ? Tu es là ? » demanda l’homme qui était entré.

Le Loup, gavé, aperçut le fusil qui tapait le sol, disparaissait, puis revenait.

L’homme vit le saucisson sur la table et ne résista pas d’y goûter. Il ne se retint pas non plus d’entamer la tarte ; il la trouva délicieuse sur l’instant, puis toussa, trembla, gémit et s’effondra sur le parquet, devant le Loup qui tremblait davantage.

Ce dernier allait se dévoiler quand d’autres pas se firent entendre ; il retourna alors sous la table. C’était le père fermier venant voir sa mère – mais dans quel état ? Il découvrit le corps de chasseur et la part de tarte tout juste goûtée.

« Maman, tu es là ? » cria-t-il.

La bouteille de lait était à peine entamée ; deux corps manquaient avec une seule part de tarte en moins. Où étaient la grand-mère et la fillette ?

Le Loup était aussi inquiet que le fermier car il voyait ce dernier errer partout dans la maison, comme cherchant quelque chose ; il s’apprêta alors à se défendre. Les pas du fermier s’arrêtèrent soudain, sa main commençait à se glisser sous la nappe en dentelles, prêt à la soulever. La bête s’élança sur l’homme trapu qui eut le bras écorché à la première morsure ; un homme vigoureux mais mis à mal en cinq secondes grâce à des crocs s’incrustant et déformant sa gorge.

Le Loup repu ne parvint pas à l'avaler après son régal. Il engloutit néanmoins le reste du saucisson, griffa le fermier sur les cuisses, sur la nuque afin de s’assurer de son inconscience, et le traîna laborieusement jusqu’à sa tanière, comptant bien partager ce butin avec sa famille : ses louveteaux affamés, et sa louve qui n’osaient s’aventurer bien loin, jamais à l’abri de tous ces humains assassins.

Octobre 2018

Blanche-Neige

« La mort n’a aucun rapport avec nous ; car ce qui est dissous est insensible, et ce qui est insensible n’a aucun rapport avec nous. » Epicure.

Il était encore une fois, dans un royaume des plus égarés mais des plus charmants, un roi et une reine peinant depuis des années à avoir un enfant. Tous les ans, lorsque les arbres commençaient à se vêtir de lumières, le couple convoquait autant de devins que de fées, autant de prophétesses que de médecins afin d’obtenir un peu d’espoir ; en vain.

Ils avaient même fait appel à un grand sorcier qui devançait toutes les fées et tous les êtres magiques du royaume ; il leur lança un sort de fertilité. Mais cette magie ne fit que multiplier les rêves dans lesquels apparaissait un petit garçon jouant entre les Majestés, ainsi que les cauchemars où des jumelles périssaient, leur corps découvrant à peine le jour.

Le roi Théophile peu à peu devint fou de tristesse et de désespoir ; la reine Charlotte tenta à maintes reprises de se suicider, mais c’était sans compter sur l’héroïsme de son époux. Il commença d’avoir un penchant pour la chasse, lui qui respectait pourtant les animaux – dans un royaume de plus en plus végan, – il décida d’exprimer son sentiment en s’acharnant sur les renards, les loups, les bécasses et les cerfs. Il rapportait la tête des plus grosses victimes et les accrochait fièrement sur tous les murs de son château.

Un soir, alors que les Majestés se réchauffaient près du foyer, l’une contre l’autre à se lamenter, une grande et superbe femme apparut dans un nuage de brume et leur dit :

« Moi je peux vous aider. »

Sursautant violemment, la reine se cacha derrière le roi qui empoigna son épée.

- Qui es-tu donc, odieuse intruse ? Demanda-t-il la menaçant de son arme.

- Je suis la sorcière d’un royaume dont je me suis échappée, répondit-elle, sans peur, s’approchant au contraire. Je suis la plus puissante des sorcières et de tous les êtres magiques qui puissent exister en notre temps ; bien davantage que vos misérables fées et que vos minables devins. Moi, je peux exaucer votre souhait d’avoir un enfant.

- Comment savez-vous que nous n’avons pas d’enfant et que nous avons convoqué des fées ?

- J’aime savoir où je voyage, charmant Seigneur, ricana la sorcière qui se baladait dans la pièce ombragée. Et je possède un miroir magique qui répond, sans jamais mentir, à toutes mes questions. Je l’ai construit à partir de morceaux de miroirs appartenant à d’autres sorcières.

- Vous êtes une méchante créature dans ce cas, s’exclama la reine, partez de notre royaume !

- Vous n’êtes donc pas plus curieuse que cela, votre Majesté ? Après tant de patience, tant de recherches et tant de douleurs, vous ne désirez pas saisir une autre chance ? Il me suffirait pourtant de poser une question à mon miroir, et il vous dirait si vous êtes destinés à avoir un enfant. Et…

- Je ne veux rien savoir ! Cria derechef la reine en prenant le tisonnier. Allez-vous en ! Sortez de chez nous, démon vicieux ! Et croyez bien que c’est moi qui vous vaincrai si je vous aperçois de nouveau.

- As-tu entendu la reine, sorcière ? Souffla le roi. Ôte-toi de notre flamme !

N’exprimant, bizarrement, aucune vexation, la touriste partit dans le même brouillard que celui qui avait refroidit la salle lors de sa venue. Elle avait bien remarqué l’attention particulière que lui portait le roi Théophile : il l’arpentait d’un regard séduit, son ample robe noire rayée de vert tendre, ses bras se mouvant toujours délicatement comme une danse de zéphyr, et un visage d’une beauté qu’il n’eût jamais pue imaginer… il était charmé.

La reine demanda aussitôt qu’on renforçât la surveillance autour du château ; elle ordonna à des kobolds de passer la nuit dans les couloirs, un fléau à la main ; et des fées çà et là, parées à jeter je ne sais quel sort.

Un jour d’hiver, le roi Théophile partit en chasse, solitairement, entendant la neige craquer sous ses bottes de cuir noir et voyant les arbres dépouillés de leur chevelure.

Il renifla une odeur qui lui était inconnue : elle ressemblait à un mélange de lys et de chat ronronnant. Absorbé, il la suivit, les yeux presque clos, n’oyant plus cette neige grinçante, et ne portant plus aucune attention aux arbres et arbustes qui grelottaient en accord.

Traversant la forêt, le parfum mena le roi à une grotte, contre une cascade gelée. Il entra, et, une fois dans l’obscurité, reprit ses esprits.

- Que fais-je donc en ce lieu ? Murmura-t-il.

- N’aies crainte, dit une voix qu’il n’osa reconnaître. Je savais que tu me rejoindrais, que ta curiosité serait plus puissante que la peur de ton épouse.

- Est-ce vous, sorcière ? s’exclama le roi, armant son arc. Vous m’avez ensorcelé !

- Non, je t’ai guidé jusqu’ici afin de répondre à ta question : es-tu destiné à avoir un enfant ? Tu n’as osé contredire ton épouse l’autre soir car tu ne voulais point la contrarier davantage ; mais tu es tenté de faire appel à mon pouvoir. Suis-moi, ajouta-t-elle après un silence, je vais te mener jusqu’à mon miroir magique.

La couronne suivit la sorcière, mais surtout un parfum d’aubépine et de chat dormant d’un œil prudent.

Ils avancèrent dans le noir qui s’éclaircissait à chaque pas ; il ne s’agissait pas de la même fraîcheur que celle de l’extérieur, il y avait comme un air de chat percutant un verre condamné alors à se répandre sur un sol résonnant ; une fraîcheur sans glace ni neige, remplie de fragilité provocante, telle une épée se retirant de notre ventre en un glissement aigu alors que notre conscience est encore pleine.

Ne voyant point le sol, le roi craignait de glisser ou de tomber dans une crevasse ; mais la sorcière finit par lui tenir la main, souriant magnifiquement.

Ils s’arrêtèrent tout au fond de la grotte après dix minutes de marche ; la sorcière recula et prit un air sérieux. D’un geste du bras elle éclaira le mur et apparut le miroir : avec un cadre ovale et doré, un verre rayé tel un puzzle.

- Ce miroir a pour devoir de dire la vérité, quelle que soit la question. Et il m’a toujours dit la vérité ! Votre Majesté, voulez-vous donc savoir si vous êtes destinés à avoir des enfants ?

- Oui, répondit le roi avec rigidité. Mais prends garde à toi, sorcière, je ne serai point ton esclave.

- Je ne t’impose rien, tu es libre. Miroir, mon beau miroir, ajouta-t-elle en se retournant, dis-moi si le roi Théophile deviendra père.

Une voix se fit entendre, ni masculine, ni féminine, une voix qu’on eût accordée à la fois de vent et de rebec ; ni effrayante, ni séduisante, elle intrigua seulement le roi.

- Oui, le roi Théophile sera père.

- Ah ! s’exclama la sorcière s’élançant gracieusement vers le roi, es-tu rassuré ?

- Euh, oui mais… je ne sais pas si…

- Si tu le désires, interrompit le miroir, je peux prédire ton avenir. Tu es un gentil seigneur, tu aimes ton épouse d’un amour sincère et exemplaire, tu mérites une information de plus. Tu deviendras père et tu en seras le plus heureux de tous, mais cela se produira après un grand malheur, et dans peu de temps.

Et la lumière au-dessus du miroir s’éteint d’elle-même.

- Alors, es-tu soulagé ? Demanda la sorcière, tournant autour du roi.

- Oui mais quel grand malheur m’arrivera ? Il n’a point mentionné mon épouse dans cet avenir ! Que deviendra-telle ?

- Je l’ignore.

- Rappelle-le, sorcière !

- Je ne le peux pas, je ne peux le questionner qu’une fois par jour. Néanmoins tu pourras revenir demain si tu le désires, tu pourras revenir tous les jours ! Cette grotte est sur ton territoire, cette grotte est à toi. Et puisque je loge à l'intérieur, d’une certaine façon, cher Théophile, je suis à toi.

Radieuse, cette femme était radieuse, hypnotisante. Le roi sentait s’éveiller en lui sa faiblesse d’homme.

« Ce sera notre secret, n’est-ce pas ? Fit la sorcière. Car je me doute que tu n’oseras pas dire à la reine tout ce que tu viens d’observer, elle ne te croirait pas ou bien te réprimanderait de m’avoir suivie. Notre petit secret, à nous deux, rien qu’à toi, et à moi. »

La sorcière s’approcha suffisamment près de lui pour qu’il ne résistât point au parfum enivrant qui l’excitait ; un baiser les lia dans le noir.

Dès son retour le roi trouva la reine nerveuse et grognonne ; elle cria lorsqu’il entra dans le salon ; elle passa la soirée à lui exprimer sa contrariété qu’une sorcière eût pu s’introduire aisément dans le château. Le roi, encore étourdi de son expérience dans la forêt, lui sembla indifférent et niais ; elle le gronda pendant des heures jusqu’à s’en effondrer chacun sur un fauteuil.

La sorcière voyait tout depuis son miroir et souriait sournoisement.

Le lendemain, le roi partit à la chasse, chaudement vêtu, bien armé de son arc et d’une dizaine de flèches. Dès son arrivée dans un pré il aperçut un ours immense au loin qui aiguisait ses griffes sur un chêne centenaire. Oh ! Quelle belle fourrure il pourrait se faire avec cette bête ; et quel bel emblème au-dessus de son lit !

Le roi s’agenouilla en douceur et il arma son arc ; il visa soigneusement et égorgea l’animal qui, après un grognement ahurissant, s’effondra à en faire trembler le sol jusqu’au bout de la vallée.

Le sourire aux lèvres, Théophile s’approcha en courant. À dix pas de la carcasse s’écoulait un fleuve de sang et ses rivières sur la neige, cette dernière fondant sous la chaleur du liquide. L’ours avait gardé les yeux ouverts, tout droit vers le ciel gris, gueule béante, la langue proposant une cascade de sang glacé.

Une fois à ses côtés, la bête se mit à trembler, rétrécit, et le corps de la reine prit sa place, tout aussi glacé, tout aussi sanglant, tout aussi mort. Le roi se mit à hurler, tombant sous la lourdeur de ses larmes.

Quand il fut presque mort à son tour, la sorcière apparut et releva le roi.

- Quel maléfice as-tu jeté sur ma reine bien-aimée ? Cria le roi.

- Aucun. Je suis tellement triste pour toi, si tu le savais ! Un amour si véritable et si puissant, brisé de cette façon, c’est horrible ! Viens dans mes bras, laisse-moi te consoler.

D’un clignement des yeux, elle mit le cadavre dans un cercueil de verre, bien enveloppée dans une couverture de velours.

Un autre cri résonna soudain dans le pré, un cri d’enfant. Ils se mirent à chercher d’où il venait et finirent par tomber sur un nourrisson au pied d’un frêne, dans un panier d’osier. La sorcière s’élança sur lui, montrant un trouble qui étonna le roi, encore dans son deuil.

« Il faut vite emmener cet enfant dans ton château sinon il mourra de froid, s’écria-t-elle. »

Une fois au chaud et les pleurs évanouis, le roi examina cette petite fille à la peau noir-charbon ; elle souriait à leur apparition. La sorcière lui conseilla alors de l’adopter et d’ainsi réaliser la triste prophétie du miroir ; mais elle demanda également s’il accepterait qu’elle en fût la mère.

- Vois comme elle nous sourit à tous les deux, argumenta-t-elle, à son aise dans tes bras comme dans les miens ; elle semble curieuse de découvrir tout ce domaine, son regard se tournant partout sans peur. J’ai très envie de m’occuper d’elle, c’est le premier enfant qui ne me rejette pas en hurlant ; et j’avoue que je serais ravie de rester à tes côtés, après cet affreux malheur qui vient de se produire. Tu ne peux pas rester seul, avec pour seule consolation de décapiter des loups ou de te faire bercer par tes petites fées vicieuses ou tes kobolds grognons ; tu as besoin d’une femme, et tu en as deux sous la main, deux femmes qui t’aiment et veulent t’aimer de plus en plus, dit-elle tendrement en caressant le joue du roi. Qu’en penses-tu ?

- Ma pauvre Charlotte ! j’ai tué ma petite Charlotte – et de manière ô combien cruelle ! Elle qui rêvait d’être mère, meurt quelques secondes avant que cette enfant ne tombe du ciel ; c’est de la pure injustice. Je ne serai jamais consolé.

- En es-tu sûr ?

La sorcière releva la tête du roi et l’embrassa tendrement.

- Après tout, dit-il, le regard fixe sur les lèvres de sa séductrice, il faut bien que je passe à autre chose.

- Oui, et je suis là pour t’aider : je serai une mère attentive et soigneuse ; je serai une reine merveilleuse !

Une fois le roi sorti des bras de la sorcière, celle-ci disparut afin d’aller chercher quelques affaires dans sa grotte et les amener au château.

Souriante plus que jamais, elle fit apparaître son miroir et prit un ton solennel.

- Miroir, mon beau miroir, qui est la plus belle en ce royaume ?

- Ma chère maîtresse, répondit le miroir, tu es en effet la plus belle – elle soupira de soulagement. Je sens que ton petit tour de magie a réussi. Dois-je t’appeler « Ma reine » désormais ?

- Dès demain ! Je t’emporte dans le château qui sera mien ! Chacun sera à mes ordres, on m’aimera autant qu’on me craindra ! Ah ! Ah ! Et le roi ne cessera de me dire « Oh ma reine que tu es belle ! Tu es la plus belle ! ».

- Mais aura-t-il raison ?

- Que veux-tu dire ? s'exclama la sorcière en se retournant, surprise dans sa rêverie. Réponds-moi ! Je t’ordonne de me répondre !

Mais aucune voix ne lui répondit. Elle partit, relevant le front, secouant ses longs cheveux blonds.

Les années passèrent paisiblement dans le royaume et surtout dans le château où régnaient l’amour et la beauté. Tous les jours la nouvelle reine questionnait son miroir, qu’elle avait placé dans « le donjon interdit », et tous les jours il lui répondait la même chose : elle était la plus belle femme du royaume. Mais à mesure des années, le miroir achevait sa réponse sur un ton de plus en plus hésitant ; et un jour :

- Miroir, mon beau miroir, qui est la plus belle en ce royaume ?

- Ô ma reine, tu es, en effet, la plus belle de toutes les femmes – elle soupira comme toujours, – mais plus pour très longtemps.

- Comment cela ? Je n’ai pas pris une ride, mes lèvres sont toujours aussi reluisantes, je n’ai jamais de cernes, je n’ai pas perdu ma ligne de jeune fille et mes mains sont plus douces qu’un pétale de rose, ma voix ne tremble jamais et mes dents sont plus blanches que la neige ! Tout cela le roi me le répète chaque jour.

- Mais je te l’ai dit juste avant ton arrivée dans ce domaine, rétorqua le miroir, aura-t-il toujours raison ?

- Qui tenterait donc de me doubler ? Réponds-moi !

- Nous verrons cela un autre jour peut-être…

Et le miroir fila, laissant la reine contrariée, fronçant les sourcils, cernée.

Elle descendit et se retrouva dans le magnifique jardin du château. C’était un jardin garni de jeunes hostas blancs encadrés de lupins bleus, et s’éparpillaient de radieuses hélénies. Autour de fontaines où posaient Aphrodite et Héraclès, se trouvaient des renoncules blanches et des pervenches. Elle aperçut le roi jouant avec sa fille, Blanche-Neige, qui avait alors douze ans. Ils avaient décidé de la nommer ainsi non seulement parce qu'ils l'avaient trouvée dans un pré de neige mais parce qu’il s’agissait d’une fille qui, depuis son plus jeune âge, avait un sourire d’un blanc éclatant, sans cesse, tellement elle les aimait, surtout son père. Ce dernier adorait également la reine, si douce et belle plus que tout ! Toutes les deux étaient aimées de tous – fors bien-sûr des kobolds qui traînaient toujours dans les coins – et recevaient des louanges en toutes heures. Les fées se méfiaient un peu de la reine, étant les seules à connaître sa nature de sorcière, et sa tendance à ne pas suivre la mode des vêtements clairs.

Alors que Blanche-Neige frôlait ses dix-sept ans, la reine retourna à sa tour interdite afin de questionner son miroir.

- Miroir, mon beau miroir, qui est la plus belle en ce royaume ?

- Ô ma reine, malgré ta beauté qui ferait plier le front d’une nymphe, il existe une femme qui est devenue plus belle que toi ; elle est plus belle que toutes les fleurs des temps, plus belle que toutes les peintures, plus belle que toutes les mosaïques…

- Fi ! s’exclama la reine, agacée par toutes ces comparaisons. Dévoile-moi son nom, palsambleu !

- Tu le sais très bien, Blanche-Neige te condamne à être moins belle qu’elle.

Enragée, la reine courut dans le château afin de jeter un œil sur la fillette. Elle était entourée de fées, des bouquets de fleurs arrivaient continuellement, des poèmes romantiques – si ce n’est des mots d’amour. Le roi portait de moins en moins d’attention à la reine ; elle se sentit alors triste et seule. Elle se souvint des raisons pour lesquelles elle s’était retrouvée dans ce royaume : c’était une sorcière, et qui plus est une cruelle sorcière.

Elle saisit un menu valet et l’emporta dans sa tour.

« Je t’ai vu l’autre jour faire un bras de fer avec quelque valet du château, dit calmement la reine, puis jouer aux échecs, une autre fois au jeu de paume ; et à chaque fois tu as perdu ; je voyais sur ton visage un sentiment d’infériorité, de désespoir. Je vais te donner l’occasion de te rattraper de toutes tes humiliations. Tu es un gringalet, un petit valet maigrichon qui ne doit pas avoir beaucoup de succès avec les femmes, n’est-ce pas ? Eh bien je vais changer tout cela, surtout si tu réussis l’épreuve que je te propose. Il ne t’a pas échappé que Blanche-Neige adore les couleurs, les fleurs et la beauté ; je te propose d’accompagner demain la princesse dans la forêt afin de vous promener et faire des bouquets de fleurs. Puis, lorsque tu auras suffisamment de courage en toi, tu boiras cette potion et tu deviendras un puissant chasseur, richement armé, et tu tueras Blanche-Neige ! Si tu réussis tu seras craint de l’autre valet et les femmes seront charmées par ton élégance et ta puissance. Qu’en dis-tu ? »

Le valet, déjà troublé en voyant toutes ces potions de couleurs flamboyantes, tous ces manuscrits et ces objets aussi douteux qu’intrigants, se trouva face à un dilemme dangereux. Il était en effet faible et laid, perdant en tout point et toute occasion ; mais s’en présentait une qui peut-être le vengerait.

- Ma foi, j’veux ben tenter, car j’commence à avoir du mépris pou' c'te Blanchette que tout l'monde adore pou' sa beauté.

- Parfait, alors prends ce flacon, bois-le quand tu te sentiras prêt, et rapporte-moi la tête de ta Blanchette en guise de preuve de ta réussite, et tu resteras avec ton allure de dieu jusqu’à ta mort.

Le lendemain, le petit valet partit avec la princesse, qui avait volontiers accepté son invitation de balade dans le pré derrière le château ; ils passèrent une bonne heure à cueillir des colchiques, sous un soleil profitant de ces deux silhouettes qu’il ne reverra plus.