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La période appelée Révolution française, qui se situe entre 1789 et 1799, constitue une rupture considérable, abolissant la monarchie, inventant de nouveaux rapports sociaux et créant une langue politique inédite. Ce bouleversement ne représente pas seulement la pointe des mouvements révolutionnaires qui se produisent en Europe et en Amérique du ...
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Seitenzahl: 134
Veröffentlichungsjahr: 2015
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ISBN : 9782852299313
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La période appelée Révolution française, qui se situe entre 1789 et 1799, constitue une rupture considérable, abolissant la monarchie, inventant de nouveaux rapports sociaux et créant une langue politique inédite. Ce bouleversement ne représente pas seulement la pointe des mouvements révolutionnaires qui se produisent en Europe et en Amérique du Nord à la même époque, attirant à lui des réformateurs de ces contrées ; il en radicalise aussi les termes et jette les bases d’une nouvelle culture politique. La violence dont il est porteur et qui s’exprime de façon particulièrement forte accentue la novation. La Révolution française incarne ainsi à elle seule une époque de l’histoire de l’Europe et du monde, rompant la chaîne des temps, comme les contemporains n’ont pas manqué de l’observer, qu’ils s’appellent Saint-Just, Goethe ou Joseph de Maistre.
Aussi ses causes, ses modalités et ses conséquences ont été régulièrement l’objet d’analyses passionnées. La brutalité des affrontements et l’ampleur des guerres civiles et extérieures, les retournements de situations accompagnés souvent de l’élimination des acteurs politiques déchus, les remaniements institutionnels et linguistiques ont tellement marqué les consciences et les mémoires qu’il est aisé de comprendre l’âpreté des débats que suscite l’évocation de ces événements. Leurs échos et leurs résonances ont en outre été à la base d’engagements collectifs ou individuels, aussi bien dans la France agitée par la série des révolutions du XIXe siècle jusqu’à l’établissement définitif de la République qu’en Europe (puisque les révolutionnaires français servent de modèles aux révolutionnaires italiens, allemands, russes) ou en Amérique latine, marquée par plus d’un siècle de révolutions.
L’étude de la Révolution française peut d’autant moins se faire seulement pour elle-même que, par un revirement de l’histoire mondiale, la lutte contre les États totalitaires et l’effondrement des systèmes politiques se réclamant du communisme ont entraîné une relecture déchirante de celle-ci ; elle a même été accusée d’avoir contenu les germes de la culture totalitaire qui a ravagé le XXe siècle. La Révolution française possède ainsi une densité de significations et d’implications dont tout récit doit tenir compte.
L’établissement du cadre chronologique précis de la Révolution française illustre les difficultés propres à la compréhension de la période, aussi bien pour en marquer le début que la fin. La Révolution, en effet, n’a pas commencé à la suite d’actions violentes délibérées, comme la révolution bolchevique d’octobre 1917. Le règne de Louis XVI ne prend fin officiellement que le 10 août 1792, lorsque le roi, qui avait accepté la Constitution établissant une monarchie constitutionnelle le 13 septembre 1791 et prêté serment le 14, est déposé par l’Assemblée législative. Reste que les contemporains ont eu conscience d’entrer en révolution dès 1789 : peut-être lorsque les États généraux, réunis à la demande du roi en mai, se sont constitués en organe autonome sous le nom d’Assemblée nationale le 17 juin 1789, davantage lorsque la violence de la prise de la Bastille du 14 juillet est acceptée par le roi, assurément lorsqu’en octobre 1789, sous la pression de manifestants, lui-même, sa famille et l’Assemblée s’installent à Paris, reconnaissant de fait que le peuple parisien représente une force politique. À cette date, les Français et les observateurs étrangers, qu’ils y soient favorables ou opposés, savent qu’ils vivent en révolution. Les changements institutionnels ont suivi les mutations de la vie politique et des sensibilités.
À quel moment peut-on situer la fin de la Révolution ? La question a été politique avant d’être historiographique. Dès 1791, certains assurent que la « révolution est terminée », estimant – et espérant – qu’il n’y a plus de réformes à réclamer et que, les principaux opposants étant exclus de la nation, la communauté française peut être soudée autour des nouveaux principes. Cependant les radicaux, promoteurs d’une révolution sociale et d’un autre contrat social, repoussent l’arrêt du processus révolutionnaire au moins jusqu’en 1794, relançant les exclusions pour fonder une communauté régénérée. Au milieu de l’été 1794, une coalition (les « Thermidoriens ») rappelle les principes initiaux de 1789 et entend fixer la fin du processus révolutionnaire en rassemblant les opinions au centre de l’échiquier politique. Le Directoire naît sur ces bases. Faute d’unité et parce que les opposants prolongent les luttes, la tentative de stabilisation échoue, conduisant au coup de force perpétré par le général Bonaparte en 1799, qui soude, sous la contrainte, la nation autour de nouveaux principes. La révolution la plus radicale a été close en juillet 1794 ; le Consulat et l’Empire appartiennent sans doute à la Révolution lancée en 1789 (puisque est maintenue l’égalité de tous, devant la justice et l’impôt par exemple), mais les innovations apportées par ces régimes sont telles qu’il est préférable de donner la date de 1799 comme fin politique de la Révolution.
Le choix de ces limites chronologiques illustre l’orientation du présent article : le récit que nous proposons s’attache à mettre en évidence l’enchevêtrement et les interactions des multiples dimensions de la Révolution, qu’elles soient sociales, politiques et idéologiques, sans adopter le point de vue particulier d’un groupe d’acteurs ou d’observateurs ; ce sont les mutations des configurations dans lesquelles les Français du XVIIIe siècle ont vécu qui sont ici privilégiées pour expliquer l’importance accordée à cette période.
La Révolution française a été à l’origine d’un nombre considérable d’œuvres historiques, littéraires et artistiques, en France comme dans de nombreux pays. Il n’est pas question d’en dresser ici un panorama complet, mais de proposer quelques pistes, prises uniquement dans le domaine français. Chaque pays a composé en effet un ensemble d’images de la Révolution qui a participé de sa propre histoire, au point de rendre indissociables l’histoire érudite et critique de la création intellectuelle et artistique. Cette réalité témoigne de la force de ces longues traditions dans lesquelles les cultures historiques nationales s’inscrivent, influençant toute approche scientifique. Plus que beaucoup d’autres champs de connaissances, le travail historique est lié aux passions idéologiques ; en tenir compte n’est pas affaiblir la « discipline » historique, c’est au contraire l’amener à s’interroger sur ses propres fondements.
Ainsi, la Grande-Bretagne, réticente à l’absolutisme de la monarchie française autant qu’aux violences révolutionnaires, s’est forgé une légende de la Révolution qui, de Burke aux romans de la baronne Orczy, en passant par le Conte de deux cités, de Dickens, a identifié la Révolution à la guillotine, jusqu’à faire resurgir cette perception dans les manifestations organisées à l’occasion du bicentenaire de la Révolution. L’école historique britannique, quant à elle, a prôné un pragmatisme systématique envers la Révolution française, mettant en doute régulièrement les catégories explicatives françaises. À l’inverse, mais dans un rapport tenant tout autant du fantasme, l’historiographie de l’Union soviétique lut l’histoire de France selon ses propres luttes politiques internes. Les exemples de ces interprétations nationales de l’histoire de France pourraient être multipliés ; leur simple existence oblige à comprendre la tradition française dans son originalité.
La complexité de la Révolution exclut que l’on puisse trouver des causes à son déroulement, mais incite plutôt à relever les enchaînements et les conjonctions qui ont été les occasions de rupture. La précaution n’est pas de pure forme : elle permet de penser la suite des événements révolutionnaires, puisque le royaume ne compte pas d’individus ou de groupes engagés dans des pratiques politiques réellement révolutionnaires et que la Révolution naît de l’enclenchement de contradictions et de luttes aux buts imprécis.
Ainsi, alors que la France est la nation la plus prospère et la plus peuplée d’Europe (Russie exceptée), avec presque 29 millions d’habitants, les graves crises qui avaient marqué les siècles précédents ont disparu, si bien qu’un puissant capitalisme marchand anime les ports et permet une politique expansionniste, aidée par une « proto-industrialisation » dynamique. Mais cet essor profite surtout à certaines régions (le Bassin parisien, le Nord et les grands ports), à certaines catégories de Français (négociants, premiers industriels, grands propriétaires, gros fermiers...), aggravant la diversification sociale et les rivalités entre les groupes.
La hiérarchie sociale est toujours fondée sur une division par ordres (clergé, noblesse et tiers état), répartissant inégalement le poids des impôts, l’accès à la justice et aux grades militaires... Et si la notion de privilège est générale dans le pays (des villes ou des provinces possèdent des avantages importants), le haut clergé et la noblesse sont nettement « privilégiés » par rapport au reste de la nation. Tout cela ne rend pas bien compte de l’essor des catégories « moyennes » dans les villes et dans les gros bourgs, où l’enrichissement collectif a affaibli les frontières entre bourgeois du tiers, anoblis et nobles. Les ambitions des uns se heurtent aux prétentions des autres (les anoblis récents qui ne peuvent plus obtenir un grade d’officier dans l’armée royale illustrent ce genre de frictions), si bien que les voies de la mobilité sociale se grippent, provoquant une « castification » de la noblesse. Tandis que les exigences des propriétaires envers les tenanciers s’accroissent, les crises frumentaires réapparaissent après 1780, faisant grossir le nombre de mendiants, de vagabonds et de pauvres, toujours très important et qui peut être augmenté par les journaliers des campagnes. Les villes les plus importantes possèdent une population misérable, exclue du tiers état « bourgeois ». Ces nouvelles données sociales rencontrent la volonté de l’État, engagé dans l’unification du pays et dans la libéralisation des échanges, pour remettre en cause les structures anciennes du royaume et ses traditions politiques : le découpage provincial, les privilèges fiscaux et le rôle des parlements.
Enfin et surtout, le climat intellectuel s’est modifié radicalement avec l’émergence d’une « opinion publique » qui examine librement les questions sociales et politiques. Ce sont moins les idées des philosophes du XVIIIe siècle qui comptent que de nouvelles habitudes de discussion collective qui ont été introduites, critiquant de fait les principes d’autorité traditionnels et réclamant des réformes. Une nouvelle culture laïcisée s’est ainsi mise en place, et elle rencontre les aspirations de jeunes générations de lettrés, mal intégrés à la société. Les dénonciations du « féodalisme », de « l’absolutisme » et des « privilèges » trouvent des échos d’autant plus importants dans l’opinion, qu’elles sont renforcées par le courant de réformes passé par la Hollande, par Genève et par la Belgique, dont la société a été laïcisée par son souverain autrichien. Ce courant a été expérimenté en Amérique, où la révolte des colonies de l’Angleterre a abouti à la création d’un nouvel État, fondé sur une Constitution librement débattue, inventant de nouvelles relations sociales, à commencer par l’usage du papier-monnaie et la séparation de l’Église et de l’État. Ce qui se produit en France bénéficie de ces différentes expériences qui ont été l’objet d’attentions et de discussions.
Cependant, la France est incontestablement le pays où le débat d’idées est le plus ouvert, bouleversant la société, où le sentiment des contradictions est le plus vif, où l’urgence des réformes est le plus fortement ressenti, mais aussi et surtout où la crise de l’État est la plus profonde. Alors qu’une série de mauvaises récoltes frappe le pays et que le rôle de la France s’affaiblit dans les relations diplomatiques, les caisses sont vides, ce qui oblige à trouver de nouvelles solutions fiscales. Les personnalités du roi et de la reine, les relations entre la cour et les principaux personnages de l’État font que toutes ces fragilités se conjuguent et créent une situation instable, d’où naîtra la Révolution.
La nécessité des réformes est ressentie par tous, à commencer par le roi et son entourage. Depuis les années 1760, sous Louis XV, les hommes au pouvoir ont entrepris de réformer le royaume, rationalisant l’économie, introduisant des impôts plus égalitaires, unifiant le pays en limitant les prérogatives des corps intermédiaires. Cette politique volontariste a ses limites, puisqu’elle dépend de la personnalité du monarque ; or Louis XVI, né en 1754, petit-fils de Louis XV mort dans la réprobation générale, marié à la princesse autrichienne Marie-Antoinette, accomplit certes avec sérieux son métier de roi, mais est mal connu de ses sujets et ne possède pas une vision politique claire. Il connaît rapidement une succession d’échecs : il ne réussit pas à réformer l’administration du royaume, et passe pour un roi absolutiste ; il hésite entre libre-échange et contrôle de la circulation des grains, mécontentant les négociants et effrayant les couches populaires ainsi qu’une partie de la cour ; il soutient l’indépendance des États-Unis, au prix d’une campagne militaire très coûteuse et sans aucune compensation ; enfin, il ne maîtrise pas l’opinion publique, abreuvée de pamphlets et de libelles qui déshonorent l’image du couple royal, notamment par des accusations pornographiques. La reine est particulièrement visée par des campagnes qui lui enlèvent toute respectabilité.
L’opposition à la politique royale naît chez les parlementaires et les nobles. Ils n’acceptent pas de voir leurs droits « immémoriaux » rognés par des partisans du renforcement du pouvoir royal ou par des assemblées provinciales qu’ils ne contrôlent pas, et ils refusent la rationalité économique, qui privilégie la classe des propriétaires au détriment des hiérarchies fondées sur la naissance. Leur opposition est d’autant plus importante qu’elle peut immobiliser tous les rouages de l’État dont dépend le roi pour lever des impôts et faire appliquer les lois, et qu’elle peut faire accuser le roi et son entourage de « despotisme » ; par cette accusation, ces opposants captent à leur profit les discussions menées par les philosophes depuis le début du siècle, autour de la nature des régimes politiques. Le courant janséniste, puissant chez les parlementaires, est habitué depuis des décennies à défendre la nation contre les empiétements royaux et à se poser en protecteur du peuple. Il rejoint dans sa critique la fronde des nobles, surtout provinciaux, qui ne voit le salut du pays que dans le retour à l’état supposé natif de la royauté, où le roi était primus inter pares dans la noblesse authentique. Cette conjonction d’opposants se renforce des demandes venues des lettrés du tiers et des officiers anoblis ou roturiers qui critiquent, pour des raisons différentes, dans l’attente de réformes rationnelles et égalisatrices, l’incomplétude des mutations proposées par le roi, dans lesquelles ils voient également, mais dans une autre perspective, la marque du despotisme.
Alors que le déficit des caisses royales est connu – et est l’objet de discussions publiques – depuis 1781, le roi se voit interdire toute levée d’impôts exceptionnelle par les parlements et par les notables, qui le contraignent à réunir des États généraux, pour revenir aux origines supposées de la nation française, redonner un pouvoir au peuple, enfin combattre « l’absolutisme » et le « despotisme des bureaux ». La tactique adoptée par le roi dans un premier temps est catastrophique : lorsqu’il s’oppose aux parlements par la force, fait exiler des meneurs et dénonce brutalement la « barbarie féodale », ceux-ci font figure de martyrs et reçoivent le soutien de l’opinion publique, au point que des émeutes éclatent pour les défendre, dont la plus connue se déroule à Grenoble le 7 juin 1788 (la « journée des Tuiles »). Dans un second temps, alors que les États généraux deviennent la seule issue possible pour sortir de cette crise financière devenue crise politique, le roi et son entourage laissent se développer une discussion sur la composition de la future assemblée ; le débat permet de faire apparaître la volonté des principaux représentants des deux premiers ordres de garantir leur prééminence, avant que le roi ne propose le doublement des députés du tiers et n’impose des élections totalement ouvertes parmi les membres du clergé et de la noblesse, ce qui lui redonne l’avantage aux yeux de l’opinion.