Sauter la mer - Sylvie Yeung - E-Book

Sauter la mer E-Book

Sylvie Yeung

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Beschreibung

Sauter la mer est un recueil de seize nouvelles où chaque histoire devient une exploration de moments inédits et émouvants. Entre fantaisie, humour et poésie, les récits se croisent autour de personnages attachants, nous transportant dans des univers aussi divers que lumineux : un Noël tropical, une saison bleue, des promenades à Paris ou à New York. À travers ces vies entrelacées, l’auteure nous fait vivre un tourbillon d’émotions et d’instants suspendus, avant de tous nous réunir mystérieusement sous un délicat carré en dentelle. Un voyage intime et coloré à ne pas manquer !

 À PROPOS DE L'AUTEUR

Photographe et réalisatrice de documentaires, Sylvie Yeung a exploré des destinations fascinantes telles que les îles Rodrigues, l’Opéra de Paris et le Bhoutan à travers ses reportages. Ces expériences lui ont permis d’élargir sa vision du monde et de créer des récits qu'elle partage avec ses lecteurs.

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Seitenzahl: 153

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Sauter la mer

Nouvelles

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Sylvie Yeung

ISBN : 979-10-422-7041-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

Noël sous les Flamboyants

 

 

 

Je suis née sang-mêlé. Tellement mélangée qu’il m’a fallu bien du courage pour éclaircir le mystère de mes origines tout en désordre.

 

Naître en terre mêlée. Sur mon île, le noir se métisse au blanc et au jaune d’œuf facilement. La nuit du jour de l’an chinois, le fracas des pétards chassait le malheur de l’année écoulée. Tout le monde pouvait en profiter. Et le reste de l’année, à l’école, j’avais des ancêtres gaulois casqués, assis autour d’une hutte. De plus, décembre est chez nous le plein été ; nos hivers sont vos étés.

 

Ma grand-mère nous parlait d’un pays au-delà des mers. Loin. Et sous l’œil bienveillant d’un bouddha en porcelaine, nous priions à genoux, les apôtres et tous les saints. Je parlais à des anges en bougie, pendant que tout ce petit monde me livrait le secret du langage des fleurs en plastique et des choses muettes.

 

Dans le fond, je n’attendais que Noël. Je courais avec d’autres enfants autour d’un sapin factice, sous lequel des dizaines de paquets attendaient un père Noël descendu du ciel en plein été. Nos parents avaient acheté de la neige en bombe et aspergé le faux roi des forêts pour faire plus vrai. C’est la belle nuit de Noël, la neige étend son manteau blanc… Mon Noël tropical commençait par 30 degrés sur une plage. Les grands me faisaient peur. Ils me racontaient des histoires d’enfants perdus sur une île aux requins. Les mêmes enfants finissaient affamés et affaiblis sur une plage en plein été. Sans le moindre cadeau. C’était ma plus grande frayeur. Qu’il ne vienne pas. Je n’avais pas été particulièrement sage. Il commençait à faire nuit, alors je suis allée m’asseoir toute seule sur la plage. Heureusement que le jardin et la maison étaient tout illuminés. J’ai commencé à faire voler du sable avec mon pied. J’aurais voulu l’apercevoir avant les autres. J’allais lui faire la bise ? Lui tendre la main ? Je n’avais pas encore décidé.

 

Grand-mère me cherchait partout. Elle savait me trouver là. Elle est arrivée et s’est assise près de moi. Enfant unique. Maman m’avait confiée à elle pour ce soir de Noël. Je devais être sage. « Je t’aime ». Je savais bien que cela voulait dire que mon père ne serait plus à la maison après les vacances de Noël. J’avais deviné en l’écoutant parler au téléphone. Personne ne s’en doutait. Sauf moi. Et peut-être grand-mère. Elle voulait me consoler. Je crois. Elle a pris ma main, me parlait tout bas :

— Nous allons voyager au creux de ton oreille. Écoute la mer. Ferme les yeux. Que vois-tu ?
— Je vois une grande plaine toute bleue. J’entends des rouleaux d’eau. De grands oiseaux volent au-dessus des rouleaux. Il y a du vent !

 

J’étais assise, là, face à un océan que je ne voyais même pas. Une enfant et la mer. Tranquille, remuante, de glace, plissée. Bleue. Bleue. Bleue.

 

Je l’entendais dessiner des milliers de vagues sur le dos de toutes les mers du monde. J’avais vraiment l’impression que la mer prenait beaucoup de place… Dans le monde. Grand-mère a pris ma main :

— La mer t’apprend tout. Elle te montre ses chuchotements et ses bouleversements. Elle te fait entendre l’horizon. Garde les yeux fermés… Je vois un jardin illuminé, des arbres qui perdent toutes leurs feuilles vertes pour ne laisser que des milliers de pétales rouges. Les Flamboyants devant la maison fêtent l’été cette nuit !
— C’est beau ce que tu dis !
— Avant l’arrivée du père Noël, on finit le voyage dans un livre. C’est l’histoire d’un grand poète. Il est venu sur cette plage. « Sans doute, là, où tu es… »

 

Grand-mère s’occupe beaucoup de moi parce que je suis une enfant unique et que maman n’est pas là. Un soir de Noël. Elle m’a oubliée ? Où est-elle ? Papa ne l’aime plus ? Grand-mère m’a prise par la main et elle m’a raconté la belle histoire d’un poète. Très connu. Grand-mère me l’a dit. Le poète avait pris un navire. Sur la route des Indes. Et il s’est arrêté sur une île, a marché sur une plage. « Peut-être bien, sur celle où je suis assise maintenant ». Et il a écrit de beaux poèmes. Avant de repartir en sens inverse. Il aimait les oiseaux ; les albatros, m’a dit grand-mère.

— À quoi servent les poètes ?
— À faire voyager sans bouger, grâce aux choses qu’ils écrivent.
— Comme ??
— Comme : Au pays parfumé que le soleil caresse, j’ai connu une dame créole aux charmes ignorés.
— Encore !
— Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse ;

Ainsi qu’une beauté, sur de nombreux coussins.1

 

Je voyais les étoiles scintiller dans la nuit ; de petites bougies plantées au ciel. Des fées les avaient posées là, auprès d’une lune nacrée. Je ne bougeais plus.

 

Et grand-mère est repartie s’occuper de la fête. Moi, je préfère rester toute seule. Je me demandais où était maman. Elle allait revenir me chercher ? Et au bout d’un moment, je me suis levée pour rejoindre les autres enfants dans la maison illuminée.

 

Les grands ont mangé des entrées compliquées, du poisson grillé et des letchis roses à éplucher. J’avais pas faim, mais j’ai mangé deux crevettes pour faire plaisir à grand-mère. Par contre à côté de moi, Lucas s’était resservi plusieurs fois du punch aux fruits de la passion. Lui, il a 23 ans. Moi, je ne bois pas. J’ai 7 ans.

 

Unique, mais peureuse. Je savais que le passage obligé pour mériter les cadeaux était d’aller faire un baiser au père Noël. J’étais effrayée à l’idée d’embrasser ce vieillard à la peau toute dure. Mais c’était le prix à payer avant la distribution de cadeaux. Je pinçais les lèvres pour ne pas le toucher vraiment. Je l’embrassais comme ça. Ce soir, j’étais prête comme à Noël dernier.

 

Minuit. Nous étions maintenant tous assis sur la plage. Des reflets brillants sur l’eau transformaient la mer en miroir. Nous savions tous que la fin de la nuit serait heureuse. Noël. J’étais curieuse. Tous les ans.

— Il va arriver comment ?
— Par avion !
— Non ! Par nuage.
— Tu verras !

 

C’est tout ce que ma grand-mère pouvait dire. Des promeneurs aux pieds nus nous posaient des questions auxquelles nous ne pouvions répondre. Trop peur.

 

Nous étions tous sages comme des grains de sable sur une plage en plein été austral. Pas de neige. Pas de cheminée. Pas de sapin. Mais le père Noël allait venir. Ensemble, nous avons tous entendu :

— Il arrive les enfants !

 

Je regardais le ciel, les étoiles. La plage toute noire.

— Il ne viendra pas ce soir !
— Taisez-vous les grands ! C’est sérieux maintenant.
— Tu verras !

Heureusement que ma grand-mère était là. Elle me montrait la mer. Je venais de le voir aussi. J’avais les mains froides. Ma voix ne sortait plus. Il était là.

 

Le père Noël en personne débarquait des nuées dans une pirogue en plastique orange, sur une plage en plein été. Il arrivait sans se presser. Les rames un peu désordonnées. Des fois, la pirogue piquait du nez.

 

Je me suis précipitée. Le père Noël arrivait par la plage. Le barbu aux joues roses et rebondies nous ignorait. Sa longue robe rouge emberlificotée entre les rames en plastique bleu, le bonnet pour pas avoir froid et une grosse lampe électrique. Il faisait très chaud. Nous nous sommes approchés à reculons :

— On dirait la lampe de grand-mère !
— Il a pas chaud, le père Noël ?

 

Devant moi, le vrai père Noël descendait de sa pirogue d’aventurier des mers. Avec beaucoup de difficultés. J’ai bien vu que celui qui allait nous distribuer nos cadeaux ne marchait pas droit. Il ne soulevait pas ses pieds assez haut. Il s’approchait. Je pouvais le toucher. Il était recourbé et voulait s’accrocher à moi. Je l’ai tout de suite prévenu :

— Ne soyez pas malade ce soir, père Noël ! Ou alors, après la distribution de cadeaux ! Mais… Il crève de chaud ! Il sent le punch !

 

Il m’a prise par le bras. Le père Noël était en train de s’étouffer. Sa peau était devenue toute dure. Il ne respirait plus. Grand-mère est vite arrivée. Elle s’est penchée vers le père Noël. Assis sur le sable.

— Faut lui enlever le masque ! Qu’il respire ! Lucas ?

 

Pourquoi elle appelait le Père Noël Lucas ? Lucas, lui, était arrivé ce matin sous les tropiques. Du froid. En vacances. Grand-mère a tout enlevé : sa barbe, ses cheveux, son chapeau pointu à pompon et son masque. Parce que c’était un masque ! J’ai tout de suite reconnu Lucas.

— Il faut changer de père Noël. C’est un faux !

 

Et les grands sont allés faire un feu de camp. Le père Noël s’est mis en maillot pour se baigner dans la mer. Tout le monde rigolait. Sauf moi, près de grand-mère. Tout à coup, j’ai vu maman. Elle m’a prise dans ses bras, pendant que tout le monde chantait.

 

♪ Ça sent la banane, la vanille et le cumin. Le sucre de canne, la mangue et le tamarin. ♪

 

 

 

 

 

L’hiver n’existe pas

 

 

 

Mes saisons sont de courte durée. Ma préférée n’a pas de nom. N’existe sous aucune latitude. On croit toujours qu’elle viendra. Un jour. Peut-être. Ma saison privilégiée, je ne la connais pas. M’apportera-t-elle bise, douceur de l’air, relent de froid ou feuilles qui jaunissent ? Non, rien de tout cela. Je ne sais rien de l’atmosphère qu’elle mettra dans mon être. J’ignore ce que j’aurai envie de boire ou de manger sous les cieux de ma saison préférée. Celle où ça sent le miel, la guimauve et le poulet rôti.

 

Un jour, ma saison m’aménage un grand parasol. Un autre, elle me fait progresser sur une neige qui dégringole d’un col. Là-haut sur la montagne : bourgeons rares, feuillages épais. Avalanches parfois. Voilà ma saison. Celle qui agite mon cœur. Celle qui secoue mes tripes. Peu importe le beau temps. Peu importe la saison. Peu importent les rayons nourriciers et guérisseurs du soleil. Soi-disant.

 

Ce matin, j’ai les pieds dans la neige et le cerveau vide. Quel charmant climat pourrait saluer ma peine ? La rendre moins oppressante. Plus accueillante ? Existe-t-il une saison spéciale pour cela ? Ma lassitude ne supporte ni vent ni combat. Seul un gros nuage électrique me ramène dans ses filets, me secoue. Me voilà malmenée par un orage tout à fait courant pour la saison.

 

Un trou dans le ventre, je vomis sur l’herbe mouillée. Je me tords de douleur au fil du printemps. La vie éclot. Chanteuse, rieuse, sans brouillard. Soi-disant. Je n’ai jamais su quelle était ma saison préférée.

 

Le printemps où tout commence ? Trop de responsabilités !

 

L’été où les fleurs sont joyeuses ? On ne m’a jamais offert de bouquet.

 

Tout normalement, l’automne suit, la saison durant laquelle on dort le plus souvent, le plus paisiblement. Des papillons de nuit y sont pour quelque chose. Tranquillement, deux se posent sur mes yeux. Je m’endors. Cette saison dore toutes mes nuits.

 

Dans mon pays, l’hiver n’existe pas.

 

Les saisons ne changent pas. Quelle était, déjà, ma saison favorite ? Sa couleur, son odeur, sa sueur ? Je l’invente. D’abord, je choisis du bleu. Pur. Pas assez. J’en rajoute. Finalement, elle sera toute bleue. Pour moi toute seule. Je flotte. Bleu ciel. Bleu nuit. C’est la couleur de ma cinquième saison. À la faveur de l’automne.

 

Une vie entière à approcher les cloches d’un campanile posé en pleine moisson. L’été. De longs champs blonds et plats. Blé. Toute ma vie, je l’ai cherchée. Elle est là devant moi. Ma saison n’a pas de nom. Elle s’en moque ! Elle est bleue.

C’est elle que je préfère.

 

Sous son tropique, le soleil passe plusieurs fois par an à son zénith. Me voilà trimballée par sa musique tribale. Elle ne dévaste rien, ne fait rien pousser. Ne dessèche rien. Sa pluie ne lave rien.

 

Elle ne fait que chanter.

 

Il me faudra toute une vie à inventer les saisons de mes saisons. Pour finir par l’eau limpide qui coule d’un tuyau d’arrosage. Et le brun noisette des yeux de mon amoureux dans notre cabane. Au fond du jardin.

 

Le reste de ma saison est bleu. Tout le reste.

 

Depuis que je dors dans notre cabane perchée en haut d’un arbre, j’entends les bruits de l’arbre. Tous. Une brindille se casse, une première feuille morte et un bout d’écorce se détachent. Prudente, une chenille se tortille à petits pas. Loin devant, une coccinelle vient me dire bonsoir. S’envole.

 

Une vie à écouter un arbre. Une vie à faire pousser du blé, sans eau ni poussière. Une vie à dessiner des arabesques avec les nuages.

Une vie entière à faire voler tous les oiseaux dans ma saison.

 

Je l’ai longtemps cherchée : mon amie, ma fidèle compagne. Ma saison. En vrai, l’ai-je seulement vue ou entendue ? Pourtant, elle est là. Ma moitié, ma maison. Elle met le feu à ma saison. Pigments. Piments bleus.

Et comme un bonheur ne vient jamais seul, dit-on, un drôle de personnage est entré par la fenêtre de ma saison. Il a sauté. Sans faire attention, je l’ai ramassé par terre. Ses jambes de pantin et son nœud papillon jaune à pois rouges donnent bonne mine à ma saison. J’ai envie d’aller jouer dehors. Un pantin me guide. Un clown tout sourire qui ne sait dire que Oui. Un bonnet bleu enfoncé jusqu’aux oreilles. Bien sûr !

 

D’abord, faire connaissance. Dîner de fête : un grand verre d’eau bu « goutte à goutte », trois grains de blé. Entre chaque grain : une pause pour apprécier. Le pantin et moi finissons de boire et de manger en même temps. Bon tempo. Toute une nuit de fête, pour boire un grand verre d’eau.

Comme après un très long jeûne, nous avions bien mangé. Notre amitié pouvait commencer.

 

Avec le pantin tout sourire, on avait escaladé des sommets dangereux. Oui, dangereux. À mes côtés, une gentillesse en tissu végétal. Du bois. Je laissais ainsi ma saison bleue. Une semaine. Un pantin en guise de guide.

Main dans la main, il m’emmena au pays des jouets de mon enfance ; Mini ville. Grâce à notre amitié, cela devint possible. Mais, je ne voulus en rien gâcher l’ambiance au pays des jouets. Avec mon questionnement sans fin. Pendant ce temps, Oui-Oui et son mini-arrosoir faisaient pousser des fleurs géantes. Belle saison !

 

J’avais depuis toujours espéré un miracle et, depuis toujours, j’avais été comblée. Cette fois, par des jouets. Les dents irisées de mon pantin privilégié illuminent mon sourire. Plus.

 

Un dieu partout invisible, partout comblé, pourtant cassé, venait d’être balayé par un jouet. Un troubadour. Au bonnet bleu.

 

Suivi par un petit bonhomme ; yeux de chien battu et larges lunettes à monture noire : Si Dieu existe, il faut qu’il ait une bonne excuse ! Et en crevette sur son tapis bleu nuit, elle bâille, s’étire, fait quelques abdos. Réveiller son corps. Gratter l’azur de sa saison avec son ongle. En dessous ; du bleu cobalt !

 

Chaque matin, commence ma saison réinventée. Quand elle n’est pas bleue, elle est rouge : bonne ou mauvaise humeur ! Direction cuisine ouverte et bol de café noir. Le pantin n’est plus là. Pourtant, elle avait avec lui retrouvé l’éclat consolateur des toutes petites choses. Une semaine. Et de mauvaise humeur dans sa cuisine, elle recommence à dire NonNon Non Non Non Non Non Non Non Non Non Non Non Non Non Non Non Non.

Ensuite, elle allait traîner à pied de rue en rue. De vitrines : Meubles malins en rayons : Nature Surgelée. Elle allait de bac en bac avec son sac à congélation.

 

Elle avait froid. Ne pouvait même plus faire de dîner avec le pantin qui dit Oui. Comment pouvait-elle avoir une si courte mémoire ? Elle avait été radicalement coupée du monde. Avec lui, elle avait inventé sa saison sur un tapis bleu nuit, où des pots de géraniums rouges se penchent aux balustrades des maisons. Sous une tonnelle fleurie, les femmes lancent des saphirs sur l’eau d’un fleuve découpé dans du papier bleu. Oisiveté forcée. Une petite semaine.

 

Ce matin, au-dessus de son bol de café, un mauvais génie plane. Petite mine. « Le pays des jouets n’existe pas ! ». Sa voix métallique picote. Elle, mal réveillée. Lui, sur son tapis volant :

— Le pire, c’est de mettre des paroles vraies à côté de fausses paroles. Ah ! Ah !

 

 

 

 

 

Sauter la mer

 

 

 

En une nuit d’avion, je suis passée de l’enfant à l’adulte. Un 747. Je m’envolais de l’île où j’étais née pour « faire mes études » à 10 000 kilomètres des fleurs de jacarandas et de mes Noëls tropicaux. C’est-à-dire sauter la mer.