Suora Scolastica - Henri Beyle Stendhal - E-Book

Suora Scolastica E-Book

Henri Beyle Stendhal

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Cette reine, Elisabeth Farnèse, passa quinze ans de sa vie sans perdre de vue plus de dix minutes par jour son fou de mari. Cette cour, si misérable au milieu de ses fausses grandeurs, a trouvé un peintre homme de génie, digne de toutes les profondeurs de ses critiques et porté par le génie sombre du caractère espagnol, le duc de Saint-Simon, le seul historien qu'ait produit jusqu'ici le génie français. Il donne le détail curieux de tous les soins que se donna la reine Elisabeth Farnèse afin de pouvoir un jour lancer une armée espagnole et conquérir pour un de ses deux fils puînés qu'elle avait donnés à Philippe V, quelqu'une des principautés de ce pays-là. Elle pouvait par ce moyen éviter la triste vie qui attend une reine douairière d'Espagne et trouver un refuge à la mort de Philippe V.

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Suora Scolastica

Suora Scolastica-SUORA SCOLASTICA…Page de copyright

Suora Scolastica

Henri Beyle Stendhal

-SUORA SCOLASTICA…

… HISTOIRE QUI ÉMUT TOUT NAPLES EN 1740

À Naples, où je me trouvais en 1824, j’entendis parler dans le monde de l’histoire de Suora Scolastica et du chanoine Cybo. Curieux comme je l’étais, on peut penser si je fis des questions. Mais personne ne voulut me répondre un peu clairement : on avait peur de se compromettre.

À Naples, jamais on ne parle un peu clairement de politique. En voici la raison : une famille napolitaine, composée par exemple de trois fils, d’une fille, du père et de la mère, appartient à trois partis différents qui, à Naples, prennent le nom de conspirations. Ainsi, la fille est du parti de son amant ; chacun des fils appartient à une conspiration différente ; le père et la mère parlent, en soupirant, de la cour qui régnait lorsqu’ils avaient vingt ans. Il suit de cet isolement des individus que jamais on ne parle sérieusement politique. À la moindre assertion un peu tranchée et sortant du lieu commun, vous voyez autour de vous deux ou trois figures pâlir.

Mes questions sur ce conte au nom baroque n’ayant aucun succès dans le monde, je crus que l’histoire de Suora Scolastica rappelait quelque histoire horrible de l’an 1820, par exemple.

Une veuve de quarante ans, rien moins que belle, mais fort bonne femme, me louait la moitié de sa petite maison, située dans une ruelle, à cent pas du charmant jardin de Chiaja, au pied de la montagne qui couronne, en cet endroit-là, la villa de la princesse Florida, femme du vieux roi. C’est peut-être le seul quartier de Naples un peu tranquille.

Ma veuve avait un vieux galant, auquel je fis la cour toute une semaine. Un jour que nous courions la ville ensemble et qu’il me montrait les endroits où les lazzaroni s’étaient battus contre les troupes du général Championnet et le carrefour où ils avaient brûlé vif le duc de ***, je lui demandai brusquement, et d’un air simple, pourquoi on faisait un tel mystère de la Suora Scolastica et du chanoine Cybo.

Il me répondit tranquillement :

— Les titres de duc et de prince que portaient les personnages de cette histoire sont portés, de nos jours, par leurs descendants, qui, peut-être, se fâcheraient de voir leurs noms mêlés à une histoire aussi tragique et aussi triste pour tout le monde.

— L’affaire ne s’est donc pas passée en 1820 ?

— Que dites-vous ? 1820 ? me dit mon Napolitain, riant aux éclats de cette date récente. Que dites-vous ? 1820 ? répéta-t-il avec cette vivacité peu polie de l’Italie, qui choque si fort le Français de Paris.

« Si vous voulez avoir le sens commun, continua-t-il, dites : 1745, l’année qui suivit la bataille de Velletri et confirma à notre grand don Carlos la possession de Naples. Dans ce pays-ci, on l’appelait Charles VII, et plus tard, en Espagne, où il a fait de si grandes choses, on l’a appelé Charles III. C’est lui qui a apporté le grand nez des Farnèse dans notre famille royale.

On n’aimerait pas, aujourd’hui, à nommer de son vrai nom l’archevêque qui faisait trembler tout le monde à Naples, lorsqu’il fut consterné, à son tour, par le nom fatal de Velletri. Les Allemands, campés sur la montagne autour de Velletri, tentèrent de surprendre dans le palais Ginetti, qu’il habitait, notre grand don Carlos.

C’est un moine qui passe pour avoir écrit l’anecdote dont vous parlez. La jeune religieuse que l’on désigne par le nom de Suora Scolastica appartenait à la famille du duc de Bissignano. Le même écrivain fait preuve d’une haine passionnée pour l’archevêque d’alors, grand politique qui fit agir dans toute cette affaire le chanoine Cybo. Peut-être le moine était-il un protégé du jeune don Gennarino, des marquis de Las Flores, qui passe pour avoir disputé le cœur de Rosalinde à don Carlos lui-même, roi fort galant, et au vieux duc Vargas del Pardo, qui passe pour avoir été le seigneur le plus riche de son temps. Il y avait sans doute, dans l’histoire de cette catastrophe, des choses qui pouvaient profondément offenser quelque personnage encore puissant en 1750, époque où l’on croit que le moine écrivit, car il se garde bien de conter net.

Son verbiage est étonnant ; il s’exprime toujours par des maximes générales, sans doute d’une moralité parfaite, mais qui n’apprennent rien.

Souvent il faut fermer le manuscrit pour réfléchir à ce que le bon père a voulu dire. Par exemple, lorsqu’il arrive à la mort de don Gennarino, à peine comprend-on ce qu’il a voulu faire entendre.

Je pourrai peut-être, d’ici à quelques jours, vous faire prêter ce manuscrit, car il est si impatientant que je ne vous conseillerais pas de l’acheter. Il y a deux ans que, dans l’étude du notaire B… on ne le vendait pas moins de quatre ducats. »

Huit jours après, je possédais ce manuscrit, qui est peut-être le plus impatientant du monde. À chaque instant, l’auteur recommence en d’autres termes le récit qu’il vient d’achever ; d’abord, le malheureux lecteur s’imagine qu’il s’agit d’un nouveau fait. La confusion finit par être si grande que l’on se figure plus de quoi il est question.

Il faut savoir qu’en 1842, un Milanais, un Napolitain, qui, dans toute leur vie, n’ont peut-être pas prononcé cent paroles de suite en langue florentine, trouvent beau, quand ils impriment, de se servir de cette langue étrangère. L’excellent général Coletta, le plus grand historien de ce siècle, avait un peu cette manie, qui souvent arrête son lecteur.

Le terrible manuscrit intitulé Suora Scolastica n’avait pas moins de trois cent dix pages.

Je me souviens que j’en récrivis certaines pages, pour être sûr du sens que j’adoptais.

Une fois que je sus bien cette anecdote, je me gardai de faire des questions directes.

Après avoir prouvé, par un long bavardage, que j’avais pleine connaissance d’un fait, je demandai quelques éclaircissements, de l’air le plus indifférent.

À quelques temps de là, l’un des grands personnages qui, deux mois auparavant, avait refusé de répondre à mes questions, me procura un petit manuscrit, de soixante pages, qui n’entre pas dans le fil de la narration, mais donne des détails pittoresques sur certains faits. Ce manuscrit fournit des détails vrais sur la jalousie forcenée.

Par les paroles de son aumônier, qu’avait séduit l’archevêque, la princesse dona Ferdinanda de Bissignano apprit, à la fois, que ce n’était pas d’elle qu’était amoureux le jeune don Gennarino, que c’était sa belle-fille Rosalinde qu’il aimait.

Elle se vengea de sa rivale, qu’elle croyait aimée du roi don Carlos, en inspirant une jalousie atroce à don Gennarino de Las Flores.

21 mars 1842.

Vous savez qu’en 1711 Louis XIV, privés des grands hommes qui étaient nés en même temps que lui, et rapetissé par Mme de Maintenon, eut le fol orgueil d’envoyer régner en Espagne un enfant, le duc d’Anjou, qui plus tard fut Philippe V, fou, brave et dévot.

Il valait bien mieux, comme le proposaient les étrangers, réunir à la France la Belgique et le Milanais.

La France eut des malheurs, mais son roi qui, jusque-là, n’avait trouvé que des succès faciles et une gloire de comédie, montra une vraie grandeur dans les infortunes. La victoire de Demain et le fameux verre d’eau tombé sur la robe de la duchesse de Marlborough donnèrent à la France une paix assez glorieuse.

Vers ce temps, Philippe V, qui régnait toujours en Espagne, perdit la reine son épouse. Cet événement et sa vertu monacale le rendirent presque fou. Dans cet état, il sut chercher dans un grenier, à Parme, faire arriver en Espagne, et enfin épouser la célèbre Élisabeth Farnèse. Cette grande reine montra du génie au milieu des puérilités orgueilleuses de l’Espagne, qui depuis sont devenues si célèbres en Europe, et, sous le nom vénéré d’étiquette espagnole, ont été imitées par tous les trônes d’Europe.

Cette reine, Élisabeth Farnèse, passa quinze ans de sa vie sans perdre de vue plus de dix minutes par jour son fou de mari. Cette cour, si misérable au milieu de ses fausses grandeurs, a trouvé un peintre homme de génie, digne de toutes les profondeurs de ses critiques et porté par le génie sombre du caractère espagnol, le duc de Saint-Simon, le seul historien qu’ait produit jusqu’ici le génie français. Il donne le détail curieux de tous les soins que se donna la reine Élisabeth Farnèse afin de pouvoir un jour lancer une armée espagnole et conquérir pour un de ses deux fils puînés qu’elle avait donnés à Philippe V, quelqu’une des principautés de ce pays-là.

Elle pouvait par ce moyen éviter la triste vie qui attend une reine douairière d’Espagne et trouver un refuge à la mort de Philippe V.

Les fils que le roi avait eus de sa première femme étaient complètement imbéciles, comme il convient à des princes légitimes élevés par la Sainte Inquisition. Un des favoris qui régnerait sur celui des deux qui serait roi pouvait très bien lui faire trouver nécessaire et politique de jeter en prison la reine Farnèse, dont le bon sens sévère et l’activité choquaient l’indolence espagnole.

Don Carlos, le fils aîné de la reine Élisabeth, passa en Italie en 1734. La bataille de Bitonto, facilement gagnée, le mit sur le trône de Naples. Mais en 1743 l’Autriche l’attaque sérieusement ; le 10 août 1744, il se trouvait dans la petite ville de Velletri, à douze lieues de Rome, avec sa petite armée espagnole. Il était au pied du mont Artemisio, à deux lieues à peine d’une petite armée autrichienne mieux placée que la sienne.

Le 14 du mois d’août, au petit jour, don Carlos fut surpris dans sa chambre par une compagnie d’Autrichiens. Le duc de Vargas del Pardo, que la reine, en dépit des efforts du grand aumônier, avait placé auprès de son fils, le saisit par les jambes et le hissa jusqu’à la fenêtre, qui était à dix pieds du plancher, pendant que les grenadiers autrichiens enfonçaient la porte à coups de crosse, en criant au prince, avec tout le respect possible, qu’ils le suppliaient de se rendre.

Vargas sauta par la fenêtre après son prince, trouva deux chevaux, le fit monter à cheval, courut à l’infanterie, campée à un quart de lieue.

— Votre prince est perdu, dit-il aux Espagnols, si vous ne vous souvenez que vous êtes Espagnols. Il s’agit de tuer deux mille de ces hérétiques d’Autrichiens qui veulent faire prisonnier le fils de votre bonne reine.

Toute la valeur espagnole fut réveillée par ce peu de mots. Ils commencèrent par passer au fil de l’épée les quatre compagnies qui revenaient de Velletri, où elles avaient essayé de surprendre le prince. Par bonheur, Vargas trouva un vieux général qui, en se souvenant de la façon absurde dont on faisait la guerre en 1744, n’eut pas l’idée baroque d’éteindre la colère des braves Espagnols en leur commandant des manœuvres savantes. Enfin, l’on tua, à la bataille de Velletri, trois mille cinq cents hommes à l’armée autrichienne.

Dès lors, don Carlos fut vraiment roi de Naples.

La reine Farnèse envoya un de ses favoris dire à don Carlos, qui n’était connu que par son amour pour la chasse, que les Autrichiens étaient surtout insupportables aux gens de Naples à cause de leur mesquinerie et de leur avarice :

— Prenez-leur quelques millions de plus qu’il n’est nécessaire, à ces négociants toujours défiants, et occupés de la sensation du moment ; amusez-vous avec leur argent, mais ne soyez pas un roi soliveau.

Don Carlos, quoique élevé par des prêtres et dans toutes les rigueurs de l’étiquette, se trouva ne pas manquer d’intelligence. Il réunit une cour brillante, il chercha à s’attacher par des faveurs singulières les jeunes seigneurs qui sortaient du collège lors de sa première venue à Naples et qui n’avaient pas plus de vingt ans à l’époque de la bataille de Velletri. Plusieurs de ces jeunes gens s’étaient fait tuer dans les rues de Velletri, lors de la surprise, pour que leur roi, aussi jeune qu’eux, ne fût pas fait prisonnier.