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Jonas est un quarantenaire qui mène une existence paisible, entre sa passion des plantes et les moments passés avec son amie Évelyne.
George est un monsieur simple et rustre, très fier de son emploi d’homme touche-à-tout au camping de Volonne. Il y croise Baptiste et Adèle qui y séjournent pour retenter la soudure de leur couple et découvrir les environs.
Un beau matin, un cadavre est trouvé dans la Durance et perturbera la tranquillité des habitants de ce petit village des Alpes-de-Haute-Provence.
Le lieutenant de gendarmerie Calam et ses coéquipiers sont chargés de cette affaire, peu habituelle dans leur campagne et qui se révélera plus complexe que prévu.
Tandem, roman d’enquêtes criminelles mélangé à la science est remplie de suspens, de quiproquo, de drame et d’infidélité.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Lors de ses nombreuses promenades,
Jean-Yves Beaujois s’est imaginé des scènes, des énigmes, des histoires tout en détaillant des paysages qui lui sont chers. C'est de cette passion que naitra
Tandem.
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Seitenzahl: 266
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Jean-Yves Beaujois
Tandem
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jean-Yves Beaujois
ISBN : 979-10-377-5033-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Lundi, 6 h
Jonas n’arrivait pas à dormir. Il décida de se lever plutôt que de se recoucher pour une heure. Il se versa un café. Celui de la veille. Il préparait toujours un bon litre pour deux ou trois jours. Pendant que celui-ci chauffait au micro-ondes, il s’étala une confiture d’abricot sur une tartine aux céréales. Il ouvrit sa boîte mail avec son smartphone, espérant un message d’Enzo, son pote qu’il n’avait pas vu depuis le mois de juillet, mais rien. Il voulut lui écrire pour prendre de ses nouvelles mais se ravisa. Il n’avait reçu que de la pub, toujours de la pub. « M. Bauvyseje, profitez de 60 % de remise sur votre prochain achat, porte ouverte ce samedi pour venir essayer la nouvelle Mégane. »
« C’est bientôt la saison de planter les bulbes, M. Jonas, profitez de nos promotions exceptionnelles. »
C’était une belle aurore étoilée, se dit-il en regardant le ciel. Il prit sa boisson chaude, avala son petit déjeuner et se posa sur la terrasse pour observer cette magnifique constellation d’Orion, toujours bien visible en cette saison. Il envisageait de se racheter un nouveau télescope, il était bien orienté sans trop de lumière polluante du village. Il écouta discrètement le chant des oiseaux, à se demander quand ils dormaient.
Programme d’aujourd’hui. Il prit son feutre effaçable et commença à noter sur son véléda ce qu’il lui semblait possible de faire ce matin ou ce soir. Footing, jardin sur son balcon, au moins deux lessives, entre les fringues du week-end et les draps de la semaine dernière. C’était l’avantage d’être levé tôt, croire que le monde vous appartenait et surtout de bien enrichir sa journée.
Le jour se leva enfin. Les voisins aussi d’ailleurs. Le ballet des volets s’ouvrant les uns après les autres faisait apparaître les lumières des appartements. Il décida de reporter sa lessive. Pas motivé. Il regarda son appli sport pour se rendre compte qu’il n’avait fait aucune sortie depuis plusieurs mois. Il était temps d’y remédier.
Jonas était un homme au visage plutôt fin, des cheveux bruns parsemés de gris, coupés courts. Les yeux marron, les joues un peu creusées et souvent mal rasées, ça lui donnait l’air viril. C’était un quadra à la silhouette équilibrée. Il avait su entretenir son physique au corps plaisant pour attirer les femmes comme des abeilles sur la lavande.
Ces dernières semaines, il s’était un peu laissé aller. Debout sur sa balance, le poids n’était pas toujours celui qu’il espérait. Il oscillait entre quatre-vingts et quatre-vingt-cinq kilos. Dès qu’il refaisait une activité physique, son corps retrouvait une structure athlétique. En hiver, il en reprenait toujours un peu, ce qui faisait davantage développer ses poignées d’amour plutôt que ses biceps. Il avait lu que les femmes aimaient ça.
Au printemps, il s’était motivé pour être plus assidu. Enzo s’entraînait bien plus régulièrement que lui et par tous les temps, été comme hiver. Ce qui empêchait mentalement Jonas d’aller courir avec lui. Un tour de vélo occasionnellement, sans compétition, pour le plaisir d’être ensemble.
Depuis le mois de juillet, son pote avait mis le holà sur leur relation. Ils s’entendaient merveilleusement bien. Ils rigolaient toujours ensemble, ils picolaient pas mal aussi, mais Enzo n’aimait pas la façon dont Jonas traitait les femmes qu’il fréquentait, des relations toujours brèves et sans avenir, souvent plus jeunes que lui. Enzo lui avait donné rendez-vous un soir de juin dans un bar du village. Ils avaient eu une discussion plutôt animée. Jonas était furieux de constater que certaines personnes se permettaient de le juger et de lui dicter sa conduite à tenir, surtout venant de la copine de son pote. Alors Jonas lui avait donné le choix : « Tu restes avec ta pouffe ou tu préfères me voir ? » lui avait-il déclaré cash. Enzo avait choisi de prendre de la distance, le temps qu’il change, en mieux, en plus responsable et plus correct avec ses relations. Et si cela n’arrivait pas, ils ne se reverraient plus.
Jonas avait un caractère fier et prétentieux. Il n’avait pas apprécié la décision d’Enzo, mais il n’en avait rien fait paraître et s’était contenté d’acquiescer. Il n’avait jamais vraiment eu d’ami et vivre sans ne lui posait aucun problème. Ses journées étaient plutôt bien chargées et, quand il voulait se détendre, il trouvait toujours un pilier de comptoir pour l’accompagner à vider quelques bières. Aujourd’hui, c’était différent. Après l’été, il avait pris ses résolutions de stopper l’alcool et les apéros. Une petite cure de désintox, disait-il.
7 h 25
La route était sèche. L’humidité rafraîchissait Jonas, même si l’hiver était encore loin. C’était juste une matinée d’automne comme il les aimait, dès que le soleil sortirait ses premiers rayons, il allait sentir la peau de son visage se réchauffer.
Aujourd’hui, il se fixa six kilomètres, tranquille, pour décrasser les jambes et retrouver le goût du sport. Il décida de sortir trois fois par semaine, entre course à pied et vélo. Il s’était aussi lancé le défi d’un régime légumes et fruits, bien que, tous les ans à la même époque, son petit jeu ne durait que trois à quatre semaines… Mais, cette fois, il allait s’y tenir, il en était convaincu.
À peine le premier kilomètre achevé, il eut l’impression d’avoir déjà fait un semi-marathon. La route ne faisait que descendre. « Ça allait être compliqué », pensa-t-il.
Mais, il le savait, il fallait que le corps s’adapte et que ses jambes trouvent leur rythme. Pas âme qui vive, aucun chien dérangé dans sa surveillance matinale. Plus un chat qui rôdait. Pour eux, c’était l’heure de retrouver l’accoudoir d’un fauteuil pour le reste de la journée, après avoir passé la nuit à dévaliser les poubelles du quartier, en se chamaillant le bout de gras. Seulement le chant du merle qui babillait mélodieusement, les premières mésanges colorées qui titinaient au gré de l’air… Pour lui souhaiter un bon courage ou le narguer de ne pas aller plus vite. Jonas se sentait vraiment bien. Il savait qu’après ce petit tour il irait encore mieux, bien oxygéné. Une balade pour humer la rosée et respirer les fleurs sauvages. Quelques parfums de roses dépassant des jardins, de premières jacinthes sur les balcons qui vous enivraient. Une vraie source de dopamine, avait-il lu, en absorbant de la vitamine D grâce aux rayons du soleil. Rien de tel pour commencer la journée.
Deux kilomètres. Ça allait mieux, mais Jonas se reprit brusquement, le souffle coupé par un relent nauséabond.
— Wouah, c’est quoi c’t’odeur ?
Il n’avait pas encore dépassé la station d’épuration du village, ça ne devait pas être ça.
« Un animal crevé ? » pensa-t-il.
En plein milieu d’un chemin de randonnée, il hésita. Il pensa que plus il allait s’en approcher, plus l’atmosphère deviendrait insupportable. Pourquoi cette appétence, cette volonté de voir ce qui nous dérange. Après tout, s’il s’en éloignait, dans trois cents mètres il n’y penserait même plus.
Il s’arrêta deux minutes pour boire quelques gorgées d’eau. L’odeur était particulièrement forte, presque effrayante, parfumant l’eau dans sa gorge. Il décida d’y aller, poussé par sa curiosité. Cette fois, la charogne devait être là, quelque part. Il chercha en écartant quelques branches, fouilla dans les herbes sur le bas-côté avec ses pieds. Il ne trouva rien dans son champ de vision. Elle devait être plus loin. Il vit un petit portillon à dix ou quinze mètres devant lui. Il s’avança pour s’en approcher, pensant que l’émanation pouvait venir du bord de l’eau.
« vrrrrr ! »
Un SMS. Qui pouvait bien lui écrire aussi tôt ? Il vit qu’il était huit heures quinze. D’après sa montre, les deux bornes en trente minutes. « Ah oui ! Quand même ! » se dit-il surpris du temps déjà écoulé.
— Sérieux ! La charrette, s’exclama-t-il à voix haute.
Il était parti depuis quarante-cinq minutes et cela faisait dix bonnes minutes qu’il traînait pour trouver la raison de cet effluve insupportable. Il regarda son téléphone, retira l’appli sport pour ouvrir ses messages.
— Il dit quoi ce SMS ?
Lundi, 10 h
— Gendarmerie nationale, j’écoute.
— Bonjour, monsieur l’agent, dépêchez-vous, il y a une personne inconsciente près de la rivière. Il est allongé la tête dans l’eau. Je ne peux pas le bouger, monsieur l’agent, je suis trop âgée, il a l’air mort. Venez vite, demanda l’interlocutrice d’une voix effrayée.
— Calmez-vous, madame, dites-moi où vous êtes ! répondit Calam, l’officier de gendarmerie de Château-Arnoux.
— Oui, pardon, je suis à Volonne près du pont. Au bord de la Durance, sur le parcours de santé. Il y a un petit portillon, d’ordinaire il est fermé pour que les enfants n’aillent pas au bord de l’eau. Et comme il était ouvert, je me suis approchée pour interdire l’accès et cet homme m’est apparu allongé sur le ventre. Venez vite s’il vous plaît ! répéta la vieille dame.
— Très bien madame, ne touchez à rien, on est là dans cinq minutes. Et vous êtes ?
— Madame Joult, monsieur l’agent. Corine Joult. J’habite au village, je promenai mon chien comme tous les matins au bord du lac et j’ai senti cette odeur très forte. Le chien a aboyé, alors que d’ordinaire il ne dit jamais rien. Je me suis avancée et c’est là que je l’ai vu. L’homme est caché dans les bambous et les roseaux. C’est pour ça qu’on ne le voit pas du chemin. Venez vite s’il vous plaît ! insista la femme.
— Le temps que vous me parliez, madame Joult, nous sommes en chemin. Nous allons arriver très vite. Une chance que nous sommes juste à côté.
La femme eut à peine le temps de raccrocher qu’elle aperçut le fourgon de gendarmerie, sirène hurlante. Elle leur fit signe pour donner sa position, mais ils connaissaient bien le coin et n’eurent aucun mal à s’approcher du lieu de l’accident.
L’officier Calam et son agent Bastien s’approchèrent en courant de Corine Joult. Elle était en état de choc, elle n’osait plus regarder en direction de la Durance. Quand elle vit les gendarmes arriver vers elle, elle se contenta de leur donner avec la main la direction qu’il fallait suivre pour découvrir le corps.
Arrivés près de l’homme, les gendarmes se regardèrent dans les yeux, puis Calam, le chef de la brigade, appela les pompiers.
— Salut les gars, intervention en cours à Volonne près du pont. Un type la tête dans l’eau. Pas la peine d’arriver en fanfare, il n’est pas prêt de se relever.
Puis Calam se retourna vers la femme.
— Bonjour, madame Joult ? Officier Viximin, se présenta Calam. Il y a longtemps que vous l’avez découvert ?
— En même temps que je vous ai appelé, monsieur l’agent, répondit madame Joult.
Les pompiers arrivèrent rapidement.
— Venez, on va s’écarter de cet endroit pour les laisser effectuer leur travail au bord du lac.
Il y avait un banc près du saule pleureur surplombant la scène. Calam invita madame Joult à venir s’y asseoir. L’herbe était rase, humide de la rosée du matin, l’odeur du cadavre était insupportable. Ils prirent deux masques pour se protéger des relents et l’officier tenta de la calmer.
Lundi, 8 h 20
Jonas lut le SMS qu’il venait de recevoir.
« Slt, je passe chez toi ds 30 min. Tu veux. En fait c pas 1 question sois là STP ».
Tout de suite, il n’en avait pas envie. En réfléchissant, Éveline allait débarquer, forcément, ce n’était pas pour que Jonas lui fasse visiter le balcon. Si elle venait pour neuf heures, il avait le temps de rentrer, de prendre une douche. Il avait du mal à se motiver mais, quand elle arriverait, l’excitation lui donnerait raison d’avoir accepté.
Éveline était une jeune femme charmante, quelques rondeurs bien équilibrées, le ventre plat. Des yeux verts amandes, petit nez, des doigts longs et fins, avec les ongles toujours manucurés. Elle était douce à la peau sucrée. Entre eux, c’était toujours extra. Elle adorait quand il se surpassait lors des préliminaires. Il ne devait pas être trop mauvais pour ça, pensa-t-il. Et après, c’était la fusion des corps, l’un dans l’autre, c’était un moment de pur bonheur. Ça ne durait jamais très longtemps, il avait un peu de mal à contenir son plaisir, mais elle en faisait autant. À la fin, chacun y trouvait son compte.
Il s’égarait.
« Salut Éveline OK 9 h, je serais là et en forme. »
Puis il ajouta un second SMS plus explicite.
« Tu viens comme d’hab, vêtements légers, faciles à retirer. Quand t’arrives, tu te gares sur le parking de la mairie, y a jamais de place devant l’appart, tu montes, je t’attendrai ! » Jonas envoya le SMS et rangea son téléphone.
Premier footing, aller-retour quatre bornes, c’était pas mal pour une reprise. Il avait complètement zappé l’odeur qui le travaillait depuis dix minutes. Comme quoi, le cerveau pouvait vite s’emballer et changer de priorité en un quart de seconde.
Pour rentrer, Jonas alla un peu plus vite qu’à l’aller. Il fila directement à la salle de bain. Il était toujours émerveillé par la sensation de bien-être que procurait le flot bouillant ruisselant sur sa peau, ses jambes. Les douleurs de l’effort disparaissaient au contact de l’eau. Il resta cinq bonnes minutes les yeux fermés, pour mieux sentir son corps s’apaiser. Avec le peu qu’il avait couru, il était déjà beaucoup plus léger, purifié, c’était de bon augure pour le reste de la semaine. S’il n’avait pas trop mal aux mollets le reste de la journée, il serait motivé pour y retourner demain ou mercredi. Cette fois, six kilomètres.
« Je viens juste pour un café, il faut que je te parle, alors t’emballe pas », précisa Éveline.
En lisant le SMS, Jonas fut contrarié. « Sérieux ? Elle m’a cassé mon footing pour venir boire un café ! Elle était indisposée ou il y avait un problème avec son ex. »
Jonas n’avait jamais pu apprécier ce dernier. Dorian avait toujours voulu retourner avec elle quand il s’était aperçu qu’ils vivaient séparément. Il devait la harceler pour la revoir.
« OK, c’est toi qui vois. Dommage j’avais un peu de tps », répondit Jonas.
Il repensa à sa première rencontre avec Éveline. Ils s’étaient croisés lors d’une foire aux plantes rares. Pas ordinaire comme lieu de rencontre. « Chlérodendron Ugandens », lui avait-il chuchoté à l’oreille en observant la plante aux fleurs bleu papillon. Il n’en avait plus chez lui et il voulait la retrouver. Il savait qu’ici elle y était. Chaque année, elle apparaissait comme la reine du salon, insolite. Il n’y en avait qu’une. Il avait espéré que cette femme, devant lui, ne la prenne pas. Il pouvait toujours lui dire qu’elle était ultra fragile, que c’était une plante qui demandait beaucoup d’entretien, de patience. Même si c’était tout l’inverse. Il s’était réjoui en pensant rencontrer une femme partageant cette passion commune. Avec le temps, elle lui avait avoué qu’elle accompagnait sa grand-mère et qu’en réalité elle s’était pas mal ennuyée avant qu’elle le croise, puis qu’il l’accapare le reste de la journée. Ils avaient bavardé, rit, plaisanté, ils se taquinaient, ne se connaissaient que depuis une petite heure et le feeling passait vraiment bien. En fin de visite, ils retournèrent chacun à leur véhicule. Ils s’échangèrent leurs numéros en se promettant de s’écrire. Ils n’avaient pas arrêté de s’envoyer des SMS tout en conduisant. Ils avaient remarqué qu’ils n’étaient qu’à quinze kilomètres l’un de l’autre quand elle allait voir Itlaine, sa grand-mère à Sisteron.
Ils s’étaient revus quelques jours plus tard. Ils avaient discuté à peine une minute trente. Pas eu le temps de faire réchauffer le café. Ils s’étaient embrassés langoureusement, caressés, déshabillés plutôt maladroitement. Jonas avait découvert son corps, la douceur de sa peau claire. Ils s’étaient emmitouflés sous la couette pour se réchauffer. Sans attendre très longtemps, leurs corps s’étaient embrasés au contact l’un de l’autre. La couette avait volé par-dessus le lit assez rapidement. Ils avaient fait l’amour une fois, deux fois, trois fois… Non deux fois. La troisième, Jonas avait capitulé, prétextant qu’il devait se préparer pour aller travailler, ce qui était vrai. Mais il n’en avait pas vraiment besoin… Enfin, c’était une façon de lui dire « reviens vite. »
9 h 10
La Clio blanche d’Éveline entra sur le parking. Il fallait bien admettre que sa voiture était totalement hors d’âge, au moteur asthmatique et à la carrosserie qui se souvenait encore de ses nombreux créneaux ratés. On l’entendait vite arriver de loin. Elle se gara, Jonas s’inquiéta pour la sienne. Pourvu qu’il n’y ait pas de place à côté de sa Peugeot. Il la vit s’approcher d’un pas vif. Elle entra sans frapper. Il se retourna pour l’accueillir, l’étreindre de ses bras et l’embrasser tendrement pour annoncer les hostilités, mais elle lui sourit à peine, avec un regard froid. Elle lui effleura la joue d’une bise furtive et s’empressa de prendre un mug pour se servir un café froid qu’elle alla faire réchauffer.
— Ça va toi ? demanda-t-elle en regardant sa tasse tourner lentement à travers la vitre du micro-ondes.
— Oui plutôt bien. Tu sembles contrariée ?
— On peut voir ça comme ça. Prends-toi un café et on se cale dans le canapé. J’ai une chose importante à te dire.
— OK.
Jonas n’avait plus trop envie d’en boire mais, puisqu’elle semblait sur la défensive, il allait la suivre et l’écouter sans refuser.
« DING ! »
Elle sortit sa boisson chaude, y déposa deux sucres, s’installa dans le canapé et croisa les jambes. Silencieuse, elle tourna sa cuillère pour faire fondre le sucre le temps que Jonas prépare son café. Il n’avait pas l’habitude de la recevoir dans cet état. Ce qui le mit mal à l’aise. Il réfléchit à la connerie qu’il avait pu faire ses derniers jours mais ne se rappela rien. Non, pas de bêtises, juste un peu absent côté messages, mais rien d’inhabituel. La dernière fois qu’ils avaient fait l’amour, ça s’était même plutôt bien passé, plus romantique, plus doux que les fois précédentes. Il chercha à se rassurer et se dit qu’elle devait avoir une histoire importante à lui raconter, qui ne le concernait pas. Elle voulait juste le voir pour parler. Dans ce sens, Jonas apprécia l’attention qu’elle lui portait. Le besoin de se confier à lui et peut-être même de lui demander conseil. Leur relation était basée sur le sexe, des amants discrets mais sincères et respectueux. Ils ne s’étaient rien promis, pas de projet, pas envie de former un couple « standard », ne pas vouloir s’afficher ensemble dans la rue, juste chez lui, rapidement, selon leurs envies. Enfin plutôt les désirs d’Éveline parce que la soif de Jonas était permanente.
Il s’installa à ses côtés, café en main, prêt à l’écouter. Plutôt anxieux. Subitement, elle le regarda. Ses yeux étaient sévères, ses mains crispées à son mug, ses jambes décroisées, les pieds bien ancrés au sol, prête à bondir si la réaction de Jonas n’était pas à la hauteur de ce qu’elle attendait.
— On arrête tout, dit-elle d’un ton sec.
Puis elle ajouta :
— Je vais me remettre avec Dorian.
Plus un bruit. Elle le regarda, essayant de trouver de la colère en lui, de l’étonnement, de la jalousie, espérait-elle.
— Ah !
C’était tout ce qu’il avait trouvé comme réponse. Choqué par la violence de la phrase. Après une minute de réflexion, Jonas ajouta enfin :
— Et qu’est-ce qui te fait prendre cette décision si radicale ? Notre relation te convenait bien jusqu’à maintenant ?
— Oui, jusqu’à maintenant, c’est exactement ça, mot pour mot. Mais plus aujourd’hui.
Éveline se leva rapidement pour ne plus le fixer. Elle tourna autour de la table de la cuisine en observant de temps en temps par la fenêtre pour regarder les nuages avancer dans le ciel, se mélanger, se regrouper pour en former de plus gros et les oiseaux virevolter, pensant qu’eux n’avaient pas ses problèmes existentiels. Elle s’arrêta et le fixa à nouveau, prenant un ton plus doux, plus sensible pour lui annoncer la suite.
— J’ai envie de plus, mais pas avec toi, lui dit-elle.
Pour enfoncer un peu plus le couteau, elle lui balança :
— J’ai revu Dorian le week-end dernier, on a beaucoup discuté.
Et connaissant Jonas elle avait vite rajouté :
— Que parler, je précise, avant que tu t’imagines quoi que ce soit d’autre. Mais la situation a beaucoup changé depuis notre dernière fois.
— Je ne m’imagine rien. Tu fais bien ce que tu veux de ta vie, avait-il sorti un peu brusquement, piqué au vif.
Jonas regretta cette phrase. Elle voulait sûrement qu’il essaie de la comprendre et non qu’il l’agresse. Après tout, il fallait s’y attendre. Ce n’était pas une relation très saine. Elle était beaucoup plus jeune que lui, vingt bonnes années d’écart, et elle aspirait forcément à une vraie vie de couple avec des enfants, un mari, une maison.
La réalité ne se fit pas attendre quand elle ajouta :
— Je suis enceinte.
— De qui ? demanda-t-il, curieux.
Soucieux plutôt. Il la dévisagea en essayant d’être le plus neutre possible, autant dans son regard que dans sa gestuelle.
— De toi, connard ! De qui veux-tu que ce soit ? lança-t-elle choquée par sa question. Je n’avais pas envie de te le dire parce que je savais que tu n’en voulais pas. Alors j’en ai parlé à Dorian, je ne savais plus vers qui me tourner. Je l’ai appelé quand j’ai eu le test positif pour avoir son conseil. J’ai eu peur, inquiète de ta réaction, je ne pouvais pas le croire tout en sachant qu’un jour ça devait arriver. Mais je n’étais pas prête pour ça. Il m’a proposé de reprendre à zéro notre histoire, avec ce bébé qui allait arriver, même si ce n’était pas le sien.
Puis elle ajouta :
— Il s’est excusé des milliers de fois de son comportement envers moi. Il regrettait tant de choses, il m’a dit qu’il ne pensait qu’à moi, qu’il n’arrivait plus à dormir. Qu’il voulait un enfant de moi, mais qu’il avait craint d’être père et de ne pas être prêt. Et qu’aujourd’hui il l’était, que c’était un signe pour lui et qu’il apprendrait à l’aimer comme son propre enfant.
Elle conclut :
— Alors j’ai beaucoup réfléchi à sa proposition, j’ai beaucoup pleuré aussi. Mais ça, tu dois bien t’en moquer. J’en suis arrivé à la conclusion que ce n’était peut-être pas le bon choix, mais je ne voulais pas rester seule et il m’a déconseillé de t’en parler. Il disait que t’allais te mettre en colère. Et au final, j’ai accepté.
Elle finit par lui demander :
— Je présume que tu n’as rien à dire ?
Jonas restait bouche bée, sans voix, une boule au ventre de s’imaginer ce type lui balancer une telle proposition sous son nez. Furieux de se dire qu’elle n’avait même pas osé lui écrire après son test. Qu’elle avait même refusé de lui en parler. Elle avait forcément eu des symptômes, des vomissements, des nausées avant de faire ce test. Que ressentait-elle pour lui ? De la crainte ? Il se sentait nul. Il finit par lui répondre, sans la regarder :
— Non, je ne sais pas quoi te dire.
Puis il ajouta :
— Peut-être que j’aurai aimé le savoir avant ton ex. Peut-être que j’aurai voulu qu’on en parle ensemble avant que tu prennes tes décisions sur un coup de tête, comme tu le fais souvent.
« Quelle conne », pensa-t-il.
— Bref, tu as raison, je ne reviendrais pas sur ton choix, sur votre décision. Je te souhaite tout le bonheur du monde avec ton ex-futur mec et père de ton enfant.
Il ne voulait pas paraître énervé, il ne savait plus quoi penser. Il voulait crier qu’il l’aimait vraiment mais rien ne voulut sortir. « De la lâcheté », pensa-t-il.
À cet instant, il sentit un véritable malaise parce qu’il allait se ronger la vie en pensant à ce petit être tous les jours restants, mais que l’enfant n’en saurait rien, qu’il aurait un autre père, qu’il ne pourrait probablement jamais le voir, le toucher, l’embrasser, lui faire découvrir sa passion, lui apprendre à faire du vélo, l’emmener en balade…
— Je pense que la discussion se termine là. T’es pas obligée de finir, ajouta-t-il en regardant sa tasse.
Il rajouta calmement :
— Tu connais le chemin du retour.
Éveline posa son mug sur la table basse, se leva sans le regarder, récupéra sa veste, fit basculer son café par terre avec le revers de sa manche qui s’éclata en millions de petits bouts et elle quitta l’appartement sans un mot.
— Fait chier, hurla Jonas en regardant les morceaux de céramique éparpillés sur le sol de la cuisine.
Elle lui avait pourri sa journée.
— Et maintenant, elle me file une demi-heure d’aspi pour nettoyer ses conneries.
Trois jours plus tôt
En cette après-midi d’octobre, beaucoup de feuilles étaient tombées à la suite d’une nuit très agitée par le mistral. George Rivielot, employé au camping de Volonne, avait eu pour mission de passer la souffleuse et de les ramasser avec le petit tracteur et la remorque, pour aller les brûler près de la Durance. George aimait bien ce travail, surtout de conduire le tracteur, qui malheureusement ne dépassait pas les dix kilomètres à l’heure. Il faisait souvent beaucoup plus que le parcours nécessaire, pour montrer à tous les occupants du camping que c’était lui le responsable des espaces verts, avec son allure perchée. Ce qui lui faisait prendre un temps considérable pour aller du hangar aux feuilles à ramasser, en circulant dans toutes les allées du camping, sans penser au bruit du moteur, ressemblant davantage à celui d’une tondeuse à gazon et réveillant tous les campeurs désireux de profiter du calme pour prolonger leur nuit.
C’était une belle après-midi, un beau soleil. C’était toujours comme ça après une nuit de mistral. Il y avait une lueur rasante très colorée, typiquement provençale, le soleil ne s’élevait pas aussi haut qu’en plein été. Les feuilles allaient du jaune au rouge, en passant par l’orange, les parterres d’aster offraient leur bleu intense, quelques gazanias survivaient ainsi que des rudbeckias, à la belle couleur noire et feu. George s’était dit que l’année prochaine, il voudrait bosser avec Éloïse, la responsable jardinage. Ses parterres étaient magnifiques et restaient colorés tout l’été jusqu’à la fin de l’automne. Il arriva près des terrains de tennis. Il se rendit compte qu’il y avait un sacré travail de nettoyage. On ne voyait quasiment plus le macadam des terrains, juste un filet flottant au milieu d’une mer de feuilles mortes. Il descendit de son tracteur, prit la souffleuse, le râteau et commença par rabattre toutes les feuilles dans un coin entouré d’un haut grillage, les empêchant de s’échapper, puis il les ramasserait pour les charger dans la remorque à l’arrière de son tracteur. Il aurait tant aimé faire le tour du lac avec. Il avait même demandé s’il pouvait l’utiliser pour rentrer chez lui. Mais Larenzo Sigec, le gérant du camping, lui avait interdit de sortir avec. C’était bien trop dangereux avec les promeneurs, leurs enfants et les animaux de compagnie. George n’avait jamais passé son permis de conduire. Il craignait la vitesse et puis il fallait savoir bien lire pour apprendre le Code de la route. De toute façon, il n’avait pas besoin de voiture, il avait sa mobylette, mais il aurait bien aimé en conduire une pour faire la route sous la pluie. Quand le temps était mauvais, il trouvait toujours quelqu’un pour l’amener où il souhaitait. Parfois, il attendait une demi-heure au bord de la route qu’une personne daigne s’arrêter et le prenne en stop. Mais il y arrivait toujours. Alors, quand le patron du camping lui proposait de prendre le tracteur, il était dans un état d’excitation surdimensionné. Il tenait un volant entre ses mains, comme une voiture. Assis sur son siège, avec un manche pour passer la marche avant ou arrière. Il ne comprenait vraiment pas pourquoi il pouvait l’utiliser mais qu’il devait passer un permis pour conduire une voiture. La seule différence, pour lui, était qu’une automobile avait un toit et qu’en tracteur il avançait à l’air libre. Il espérait qu’un jour il allait en trouver une avec la clef sur le contact pour l’essayer et il était sûr qu’il pourrait se promener partout, comme il le faisait déjà avec son tracteur dans l’enceinte du camping.
George Riviélot était une force de la nature, robuste, massif, tout aussi grand que large, en muscles. Un visage d’homme mur, ridé, les yeux bleus, cheveux châtains virant au gris avec les années, une peau mate sur le visage, les avant-bras et le bas des jambes reflétant de longues journées à travailler sous le soleil brûlant des Alpes du sud. Il avait quarante-sept ans, c’était un homme assez simple. Sans histoire, très solitaire, il parlait peu, il n’avait que très peu d’amis, juste les quelques personnes du village, qui avaient plus d’empathie pour lui qu’autre chose. Il travaillait comme homme à tout faire dans le camping de Volonne. Un conseiller municipal de son village, à Chateauneuf-Val Saint Donat, connaissait une employée de la mairie de Volonne. Il avait pu faire jouer cette relation pour donner un petit coup de pouce à George et lui trouver ce job d’été.
Il n’était pas très futé mais toujours volontaire, au chômage bien malgré lui depuis plusieurs années, en dehors des chèvres dont il s’occupait certains week-ends, il traînait, rodait dans le village, écumait les bars pour se faire payer des bières, encore et encore, jusque tard le soir, pour finir titubant dans les rues jusqu’à son petit appartement de location dans une ruelle étroite du village. Un simple studio meublé, dans toute sa simplicité. Avec peu de lumière. Une vue surprenante de sa fenêtre au-dessus du lit sur le mur du bâtiment d’en face à une longueur de bras. La seule lumière extérieure était diffusée par le lampadaire donnant directement sur la fenêtre de la cuisine. Il n’avait aucune vue du ciel ni du soleil. Il n’était pas vraiment intéressé. La majorité du temps, il dormait pour récupérer de ses cuites la veille au soir.
Il s’était dit que c’était une belle occasion d’occuper ses journées à une vraie activité. Il aimait bien travailler, il ne lésinait jamais sur les heures. Il voulait toujours finir ce qu’il avait commencé. Que ce fût de la peinture de rénovation, nettoyer les sanitaires, faire un peu de désherbage des parterres de fleurs, aider les employés du camping à monter les chapiteaux, les tentes, les estrades pour les festivités saisonnières.