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Le transfert de George Rivielot de la prison des Baumettes à celle de Digne-les-Bains ne devait être qu’une simple formalité, tout comme la recherche botanique de Jonas dans la montagne de Lure. Seulement, les choses ne se passent pas comme prévu : cette mission de routine vire au carnage, il n’y a pas que les coquelicots qui se colorent de rouge au printemps… À qui la faute ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Lors de ses nombreuses promenades,
Jean-Yves Beaujois s’est imaginé des scènes, des énigmes et des histoires tout en détaillant des paysages qui lui sont chers. C’est de cette passion que naîtra
Traque et règlements de comptes dans les sous-bois de la montagne de Lure, la suite de
Tandem, son premier roman policier.
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Seitenzahl: 260
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Jean-Yves Beaujois
Traque et règlements de comptes dans les sous-bois
de la montagne de Lure
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jean-Yves Beaujois
ISBN : 979-10-377-9227-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
1
Chérine se leva sous les rayons du soleil traversant la fente du volet persienne, brûlant son visage. Elle fit un rapide passage dans la salle de bain pour se regarder dans la glace. Elle portait sa plus belle culotte Aubade, les seins nus. Elle voulait aguicher Jonas de bon matin. Elle aurait toute son attention pour lui proposer cette sortie à vélo qu’elle réclamait depuis plusieurs semaines, alors que Jonas évitait le sujet. Elle ne comprenait pas pourquoi. Elle savait qu’il aimait en faire. Chérine voulait partager sa passion pour qu’il l’emmène dans les coins reculés en pleine nature dont il parlait souvent.
Elle finit de se brosser les dents, se passa une crème sur le visage pour lui redonner le teint hâlé, sortit discrètement, pieds nus, pour s’approcher de Jonas sans faire de bruit. Elle déposa un léger baiser dans son cou en l’enlaçant de ses bras pour qu’il sente sa fine poitrine lui caresser le dos. Jonas réagit aussitôt par un doux frisson.
Bonjour Chouchou, souffla-t-elle dans son oreille. Comment va mon homme adoré ce matin ?
Bonjour ma chérie. Très bien et toi ? Tu sembles avoir une envie douce et coquine ?
Humm, oui, je commencerai bien ma journée par un petit câlin, osa-t-elle en lui passant la main sur son torse légèrement velu.
L’invitation est tentante, mais tu vas devoir patienter jusqu’à ce soir. Là, je dois vite partir bosser. J’ai une recherche à faire du côté de Châteauneuf-Val-Saint-Donat, à la demande d’Yvan. Il veut une plante invasive qu’il souhaiterait remettre au goût du jour dans les jardins de Salagon. Je suis désolé de ne pas répondre à ta motivation matinale…
OK, dommage, je vais m’habiller alors, dit-elle déçue en se redressant, vexée de s’être fait remballer.
Elle saurait s’en souvenir ce soir pour le faire mariner à son tour, il allait forcément lui proposer de reprendre ce qu’elle avait espéré. Elle aimait avoir le dernier mot et aboutir à ses fins, d’autant plus qu’elle s’était préparée et qu’elle connaissait Jonas, incapable de résister normalement à ses avances.
La sonnette de l’appartement retentit.
Chérine va ouvrir, je prends mon p’tit déj.
Tu m’as bien regardé ? Vas-y toi, lança Chérine, je te rappelle que je ne suis pas présentable.
OK, j’y vais, répondit-il sans prêter attention à sa remarque.
Il s’approcha de l’entrée, regarda par le judas, mais ne vit personne. En ouvrant la porte, il découvrit Dorian, l’ex d’Eveline à l’époque où Jonas la fréquentait. « Il a sacrément vieilli », pensa-t-il en le détaillant de la tête aux pieds. Les cheveux mi-longs, gris et sales, un bermuda, le t-shirt mité des années 80 à l’effigie du dernier album de Led Zeppelin, qui devrait davantage servir de torchon que d’une tenue présentable. Jonas aimait vraiment bien ce groupe de rock, mais voir cette image sur les épaules de ce type, c’était une véritable calomnie pour leur œuvre et leur talent.
Salut, Jonas, tu te souviens de moi ? dit Dorian.
Bonjour, évidemment. Qu’est-ce qui t’amène chez moi ? demanda Jonas d’un air sévère pour lui faire comprendre qu’il n’était pas le bienvenu.
T’es pas au courant visiblement. J’ai été contacté par la gendarmerie de Digne, on a retrouvé un corps vers Entrepierre et, d’après l’autopsie, ce serait celui d’Eveline.
Jonas eut un haut-le-cœur. Après toutes ces années, son passé lui revenait en pleine face. Eveline, découverte. Sans l’avoir effacée de sa mémoire, il n’aurait jamais imaginé qu’un jour ce soit son ex qui vienne frapper à sa porte pour lui annoncer ça. Il ne put cacher son étonnement. Sa relation avec Eveline remontait à cinq ans. Elle était beaucoup plus jeune que lui. Jonas était alors instable, papillonnant au gré des filles qu’il croisait. Ils ne se voyaient que pour les bons moments, jamais plus, surtout pas s’investir. Et puis elle était arrivée un matin lui annoncer qu’elle était enceinte de lui, mais qu’elle le quittait aussi, pour son ex, Dorian. Jonas lui avait alors proposé cette sortie en tandem pour en parler, pour réfléchir, pour qu’elle lui donne une chance. Mais la promenade ne s’était pas déroulée comme prévu. La vitesse excessive, les graviers sur la route, Jonas avait perdu le contrôle de l’engin. Eveline avait été projetée contre un rocher, morte sur le coup. Il s’était senti lâche de la dissimuler et de se sauver. Il avait eu peur. Il était déjà soupçonné d’un autre meurtre alors qu’il était innocent, il s’était juste trouvé là où il ne fallait pas. Il avait poursuivi son chemin et tenté de reprendre le cours de sa vie, avec Chérine qu’il avait rencontrée la veille. Les années s’étaient écoulées sans ombre, jusqu’à aujourd’hui. Dorian allait le soupçonner, Chérine ne devait rien savoir.
La peur au ventre, Jonas décida d’amener Dorian ailleurs pour connaître les éléments découverts par la gendarmerie.
Chérie, je sors cinq minutes, annonça Jonas, soucieux qu’elle entende leur conversation.
C’est qui ? cria-t-elle de la chambre.
Un ancien pote. On va boire un café au bar. J’en ai pas pour longtemps.
Chérine fut énervée par son annonce. « Il vient de me refuser un câlin prétextant qu’il devait partir bosser tôt, et maintenant il se casse boire un café avec un vieux pote. Il va désespérer, obtenir quoi que ce soit ce soir », se dit-elle très contrariée.
Jonas ferma la porte et invita Dorian à descendre. Il ne savait pas comment engager la conversation. Jonas comptait rester devant l’entrée du rez-de-chaussée pour écouter ce qu’il avait à lui dire.
Alors ? Raconte ! finit-il par demander sans pouvoir le regarder en face.
Tu ne m’invites pas à boire un café ?
Non, on est très bien là, et je ne compte pas m’éterniser avec toi. Alors, vas-y, je t’écoute.
Ben, en fait, j’ai cherché à joindre Eveline pour lui rapporter des affaires, il y a six mois. Et je ne l’ai trouvé nulle part dans l’annuaire ni sur les réseaux sociaux. J’ai cru qu’elle était encore avec toi, mais en regardant ton profil Facebook, j’ai remarqué que tu fréquentais une autre femme. Dès cet instant, j’ai contacté la gendarmerie de Laragne pour connaître la procédure à suivre si je voulais rechercher quelqu’un. Elle m’a clairement déclaré qu’elle ne pouvait rien pour moi. Eveline était une adulte, je ne vivais pas avec elle et, après toutes ces années, si je n’avais pas eu de nouvelles, c’est qu’elle ne voulait pas m’en donner. Alors j’ai dû rester sur ça et j’ai laissé tomber. L’officier avait gardé mon numéro de téléphone portable. Après tu connais la suite.
OK, franchement non, je ne connais pas la suite, à part ce que tu viens de m’annoncer, qu’elle a été retrouvée morte. Moi, je suis avec Chérine depuis qu’elle m’a quitté pour toi il y a cinq ans. Tu te souviens ? Tu voulais qu’elle me dégage de sa vie et qu’elle garde le bébé qu’elle portait pour repartir avec toi et que tu sois son père.
Ah, t’étais au courant qu’elle était enceinte de toi, comprit Dorian, les yeux embués de colère, pensant que Jonas le prenait pour responsable de sa séparation.
Elle me l’avait annoncé, oui, mais je n’y ai pas cru. J’ai supposé que c’était une nouvelle provocation de sa part pour me mettre la pression.
T’es sérieux ? Moi j’étais sûr qu’elle l’était. Et l’autopsie l’a confirmé. Supposant que j’étais le père quand ils m’ont appelé, ils m’ont annoncé la présence des os d’un fœtus.
Et tu leur as dit quoi ? demanda Jonas, les oreilles rougissantes.
T’inquiète pas, petit merdeux, je n’ai pas parlé de toi, le rassura Dorian.
Jonas n’avait pas entendu l’insulte gratuite de Dorian. Il le relança :
Et par curiosité, comment est-elle décédée ?
Ils ne savent pas encore. Elle a été retrouvée dans un fourré d’arbres et de rochers en contrebas de la route entre Entrepierre et Mézien. Tu dois connaître ? De ce qu’elle m’avait raconté, tu aimais bien te balader là-bas avec elle.
Oui, je vois où c’est, répondit Jonas sans entrer dans les détails.
Il connaissait la vraie raison de sa mort. Ça l’avait sacrément secoué à l’époque. Il avait eu du mal à digérer et à vivre avec sa conscience. Aujourd’hui, il avait réussi à ne plus y songer, mais maintenant, ce type lui faisait repenser à cette histoire. Rien ni personne ne pouvait relier le décès d’Eveline à lui. Si Dorian n’avait vraiment pas parlé de lui, Jonas savait que personne n’irait chercher à faire un test d’ADN pour connaître le père du bébé. Et quand bien même, ça ne le rendrait pas meurtrier.
Écoute, Dorian, cette histoire ne me concerne plus. Je suis navré d’apprendre sa disparition, mais le passé est le passé. Ma vie est avec Chérine depuis cinq ans et je n’ai plus rien à voir avec Eveline. Alors t’avais pas besoin de venir m’en parler ni de me prévenir de quoi que ce soit la concernant. OK ? Je ne te raccompagne pas, je dois partir bosser. Salut. Et dorénavant, laisse-moi en dehors de tes histoires.
Jonas n’attendit pas la réponse de Dorian. Il se retourna et remonta dans son appartement, l’esprit plus que contrarié. Il devait absolument paraître normal aux yeux de Chérine pour ne pas montrer son inquiétude ni l’inciter à poser des questions sur les raisons de son mal-être. Il décida de ne pas s’attarder. Il entra rapidement, prit son sac à dos, alla dans la chambre pour l’embrasser furtivement sans la regarder ni attendre un retour, puis il repartit aussi prestement pour rejoindre sa voiture. Il s’arrêta à la boulangerie où Lauren-Jade lui servit deux sandwichs au jambon-chèvre pour le déjeuner. Elle s’était résignée de ne plus voir Jonas la draguer à la fois ouvertement et timidement, comme il en avait coutume à l’époque où il était célibataire. Elle se contenta d’un sourire amical et de courtoisie.
Une fois dans son véhicule, Jonas prit le chemin de Châteauneuf-Val-Saint Donat. Il avait déposé son VTT la veille dans le coffre de sa Peugeot. Il espérait faire ses recherches sans voiture une fois sur place.
Sans regarder sa montre, Jonas sut qu’il était déjà midi. Le soleil au zénith, en plein mois de mai. Il était à la recherche d’une plante locale invasive. Yvan lui avait demandé de la récupérer pour l’intégrer aux jardins de Salagon dans le cadre d’un espace particulier, réservé aux plantes sauvages de basse montagne et plus concentré sur les prairies rases en terrain calcaire et pentu, lessivées par la pluie. Jonas scrutait donc les bas-côtés de la route entre Châteauneuf-val-Saint-Donat et Malfougasse. Il s’était garé sur le parking de la mairie pour, ensuite, prendre son vélo et parcourir la route tranquillement, espérant tomber sur le rhinanthe crête-de-coq. Yvan préférait dire Rhinanthus angustifolius. Elle devait être en pleine floraison en cette saison, avec ses fleurs en trois parties. Un casque jaune protégeant deux pétales violets et deux lèvres inférieures orangées, le tout sortant d’un calice renflé d’un blanc-citron. Jonas se disait qu’elle n’avait rien d’une crête de coq. À se demander comment les botanistes de l’époque avaient pu proposer ce nom totalement irréaliste. Si encore elle avait été appelée bec de coq, Jonas était convaincu que la fleur ressemblait plus au bec du coq de bruyère plutôt qu’à sa crête. « D’où l’importance d’utiliser les noms latins », se dit-il en pensant encore à Yvan.
À la sortie d’un virage, il découvrit sur sa droite une grande plaine surmontant la route. Il décida de laisser son vélo sur le bord et de la parcourir à pied. En s’approchant d’un bosquet de chênes verts, il vit quelques taches jaunes. Pressant le pas d’impatience, il déchanta en s’apercevant que la plante s’avérait être un banal Taraxacum officinalis, plus communément appelé pissenlit. C’est en scrutant l’horizon du bois qu’il vit celle ressemblant à ce qu’il cherchait. Il s’approcha d’un pas vif pour enfin découvrir la consécration, après trois heures de quête sur son vélo à faire plusieurs allers-retours entre les deux villages.
C’était bien elle. « Pas si invasive que ça », pensa-t-il. Mais il se rappela ce qu’Yvan lui avait expliqué. De toutes les plantes envahissantes vingt ans auparavant, la majorité devenait rare et en voie d’extinction à cause de l’intervention de l’homme, du travail de la terre, de l’enrichissement excessif des sols, du labourage, de la tonte des friches… Jonas en avait déjà fait l’expérience avec le Linum perene, ce merveilleux lin bleu étincelant que l’on observait autrefois pendant les trois mois d’avril à juin sur les abords des champs cultivés. À force de fauchage par les collectivités, pour rendre les routes plus propres à la vue des touristes, la plante avait complètement disparu du département. Yvan avait mis un point d’honneur à la réhabiliter dans son espace naturel en la cultivant dans ses serres.
Rassuré d’avoir enfin trouvé ce qu’il cherchait, Jonas décida de faire une pause déjeuner sous les arbres. Il entamerait la récolte de quelques-unes des plantes avec délicatesse en début d’après-midi, après avoir récupéré sa voiture.
En marchant le long du bois pour trouver un rocher où s’asseoir, il observa le sol labouré, sans doute par des sangliers en quête de mets raffinés tels que la truffe, très prolifique dans ces coins un peu sauvages. Il tomba sur un bout de tissu violet à moitié enfoui. « Ce n’est pas possible d’être si irrespectueux de la nature », pensa Jonas. Il tirait dessus pour le ramasser quand il fit brusquement un saut en arrière en découvrant une main à moitié dévorée. Les souvenirs ressurgirent quand, cinq années auparavant, il avait senti cette même odeur nauséeuse, qui l’avait passablement dérangé lors d’un footing, et c’était celle d’un corps. Ça lui avait valu quelques tracas durant la semaine d’enquête de la gendarmerie l’ayant soupçonnée d’être l’auteur du meurtre.
Malgré ses doigts tremblants, Jonas prit son téléphone en espérant retrouver le numéro du lieutenant de gendarmerie qui l’avait auditionné quelques années plus tôt. Il se rappela qu’il avait été de bon conseil en lui suggérant d’éviter de courir plusieurs lièvres à la fois. En y repensant, Jonas se souvint qu’à ce moment-là, il fréquentait Eveline, en même temps, il avait rencontré Chérine et il n’aurait pas été contre une soirée avec Lauren-Jade, la boulangère du village, qu’il aimait aguicher tous les soirs. Aujourd’hui, il était un homme respectueux, il avait décidé de fonder une famille avec Chérine, il avait retrouvé son pote Enzo, son travail le passionnait toujours autant et tout allait merveilleusement bien dans sa vie, jusqu’à ce que Dorian resurgisse du passé ce matin avec l’annonce de la découverte du corps d’Eveline. Et maintenant ce nouveau cadavre qu’il venait de découvrir.
2
Calam, en mode short, torse nu et tongs, sortit préparer le barbecue dans le jardin. Le printemps leur offrait souvent de magnifiques journées. Zora le charria en lui faisant remarquer qu’il en avait prévu pour un régiment, comme d’habitude, croyant toujours que la moitié du quartier était invité. Il rigola et lui proposa de prévenir Bastien, leur collègue et ami, pour participer à leur petit festin du samedi midi.
Allez, Jack, on sort, dit Calam à son berger allemand de six ans.
Il l’avait récupéré dans un chenil, deux ans et demi auparavant.
Chérie, tu peux appeler Bastien, s’te plaît ? Demande-lui s’il vient seul ou s’il sera accompagné de son p’tit bonhomme.
OK, mon beau gladiateur, répondit Zora en dévorant des yeux Calam et son torse défiant Spartacus.
Elle était tombée amoureuse de lui depuis l’affaire Riviélot. Il lui avait offert un petit restaurant à la fin de l’enquête, ça les avait rapprochés, puis une grande complicité s’était forgée entre eux et ils ne s’étaient plus quittés depuis près de deux ans. Ils vivaient ensemble, dans un petit pavillon de quartier calme, sur les hauteurs de Château-Arnoux. Zora avait pris un peu de recul dans son travail, parce qu’elle voulait offrir une stabilité à Calam, et peut-être un enfant. Pour cela, elle devait s’alléger des contraintes professionnelles qu’imposait la gendarmerie. Dorénavant, elle ne s’occupait que des recherches informatiques. Elle allait moins sur le terrain, d’un commun accord avec Calam et le centre de commandement du département.
Calam sortit toute la panoplie du parfait grilladier,the king of the grill, avec ses pics, sa pince, ses grilles, ses allumettes et son soufflet. Casquette à l’effigie de l’équipe de basket de Château-Arnoux, Zora ne le quittait pas des yeux. Elle aurait voulu qu’il entre pour lui faire l’amour fougueusement sous sa tenue de guerrier romain. Mais, elle devait préparer la salade composée pour accompagner toute la viande qui les attendait.
Dix minutes après s’être perdue dans ses pensées érotiques, elle prit son téléphone et appela Bastien. Après trois sonneries, la voix derrière le combiné ne ressemblait pas à celle de son ami :
Allô ? T’es qui ? demanda Jules.
Coucou toi ! C’est Zora, ta tatie.
Coucou tati Zaza ! répondit Jules, excité d’entendre sa voix.
Ton papa est là ? Tu me le passes ?
Tu viens quand ?
Ahahah, c’est toi qui viens ce midi avec papa pour faire un barbecue à la maison. Tu pourras jouer avec Jack, si tu veux.
Super tatie, je te passe papou.
Merci p’tit bonhomme à tout à l’heure.
Salut ma Belle, intervint Bastien. Quoi de neuf pour le week-end ?
Salut Bast ! Calam et moi on t’invite avec Jules à venir prendre l’apéro, barbeuc et rester l’aprèm avec nous. On t’attend pour onze heures trente ?
Wouah, direct ! Sympa l’invitation. Bien sûr qu’on vient. C’est cool. On te rapporte quoi ?
Rien, t’inquiète, on a tout ce qu’il faut. Si tu veux, ramène tes boules de pétanque.
OK. Je passe à la boulangerie, prendre du pain et quatre petits gâteaux.
Parfait, c’est génial. Ce sera super sympa de passer la journée tous les quatre.
Calam s’approcha derrière Zora. Quand elle eut raccroché, elle sentit les bras musclés de son homme l’enlacer, accompagnés d’un doux baiser dans le cou.
Ça va ma chérie, tout est OK pour Bastien ?
Oui, il vient dans une grosse heure avec Jules, il apporte le dessert, répondit Zora.
Super. Je suis content qu’il ressorte un peu. Depuis sa séparation l’année dernière, je le trouve plutôt renfermé. Il a du mal à refaire surface. Je sais qu’il espérait tellement de son couple. Il n’avait pas mérité ça. Mais bon, c’est comme ça et la vie continue. Il faut qu’on le fasse bouger un peu plus les week-ends. T’as pas une copine ou deux à lui présenter ?
T’es sérieux ? Il n’est pas comme toi ! dit-elle avec un grand sourire.
Ils se mirent à rigoler ensemble. L’ambiance était bon-enfant. Une belle journée s’annonçait pour les trois collègues de la gendarmerie de Château-Arnoux. Il était loin le temps où chacun vivait au rythme de ses envies et de son travail. Aujourd’hui, un couple s’était formé entre Zora et Calam. Bastien avait rencontré Justine à une soirée de célibataires proposée par Calam. Ça aurait pu être une rencontre sans lendemain, mais Justine était rapidement tombée enceinte. Ils avaient essayé de vivre ensemble pendant trois ans, apprenant à se connaître sur le tas tout en découvrant la joie d’être parent. Bastien était tombé fou amoureux, mais pas Justine, qui lui reprochait de l’avoir mise enceinte. La rupture avait été douloureuse, Justine était repartie chez ses parents vers Montpellier, emmenant Jules, et Bastien ne voyait son fils que la moitié des vacances. Calam et Zora avaient soutenu Bastien, ils étaient tous les trois devenus de grands amis, tout comme Jack et Jules qui étaient inséparables.
Le berger allemand se mit à aboyer. Pas agressivement, il était content de voir son ami Jules arriver, les bras ouverts, pour le serrer contre lui. La fête pouvait commencer. Il allait probablement jouer à la balle toute l’après-midi et lui faire un gros câlin pendant sa sieste. Bastien suivait, une bouteille dans une main, la boîte de gâteaux dans l’autre. Bob, t-shirt hawaïen, short et mocassin. Zora l’accueillit avec un grand sourire, les mains en avant pour le débarrasser de ses présents. Ils s’embrassèrent chaleureusement, Zora était contente de voir son collègue en pleine forme avec son fils, et Bastien ravi de cette invitation qui lui faisait changer d’air.
Calam t’attend derrière, il t’a déjà préparé un verre de rosé pendant qu’il s’occupe de la braise pour le barbecue.
C’est le meilleur des chefs, dit-il en rigolant avec Zora. Je suis vraiment content d’être parmi vous.
Le plaisir est partagé, mon cher. Profite de ta journée. T’inquiète pas pour Jules, je le surveille pendant qu’il joue avec Jack.
T’es au top. Vous êtes une vraie famille, finit-il par dire, très ému par l’attention qu’ils lui apportaient en ce beau week-end ensoleillé.
Allez, file, t’es pas venu pour chialer. Dégage de ma vue, et va boire un verre, conclut Zora en enlaçant Jules pour l’embrasser partout, ce que le garçon refusa énergiquement, pressé de jouer avec Jack.
L’équipe était réunie autour du barbecue, un verre chacun, la discussion allait bon train, entre se balancer des vannes, parler de l’avenir, ressasser le passé, les enquêtes. Une harmonie joyeuse régnait dans le jardin, avec un œil toujours attentif sur le petit Jules qui essayait de récupérer le ballon crevé dans la gueule du chien, dont la queue fouettait énergiquement l’air.
Je crois que ton téléphone sonne mon chéri, annonça soudain Zora à Calam.
J’y vais. Qui peut bien m’appeler un samedi midi pendant mon repos ?
La brigade d’astreinte, suggéra Bastien. Ils ont besoin de renfort. Fini le barbecue.
Hors de question. J’ai un week-end sur trois de libre, ils vont devoir m’oublier, déclara Calam en se levant avec son verre à la main pour rejoindre la cuisine.
Allô ? Calam Viximin.
Bonjour monsieur l’agent. C’est Jonas Beauvisèje. Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi. Vous m’aviez auditionné pour un meurtre à Volonne, il y a cinq ans.
Oui, bonjour monsieur Beauvisèje. Je vous resitue, le jardinier coureur de jupon. Vous allez bien ? Comment avez-vous eu mon numéro personnel ?
Vous me l’aviez donné à l’époque, si j’avais besoin de conseils. Je suis désolé de vous déranger. Il m’arrive encore une drôle d’histoire et je ne savais pas vers qui me tourner.
Je n’ai pas trop de temps, là. Vous ne pouvez pas me rappeler en soirée ?
Excusez-moi, je ne peux pas. Je suis en balade botanique vers Chateauneuf-Val-Saint-Donat et, en prenant ma pause déjeuner, j’ai découvert une main déchiquetée enfouie dans la terre.
Ah, en effet. Bon, vous avez bien fait. Mais le mieux serait d’appeler la brigade d’astreinte. Je crois que c’est la gendarmerie de Sisteron. Là, je suis en week-end et en famille. Si vous faites le dix-sept, vous serez directement dirigé vers eux.
OK, très bien. Je le fais tout de suite alors. Merci et excusez-moi encore de vous avoir dérangé.
Il n’y a pas de soucis, monsieur Beauvisèje. Si j’ai un peu de temps, je vous rappellerai ce soir pour m’assurer que mes collègues ont pris le relais. Ça va aller ?
Oui, oui. Il n’y a pas grand-chose à voir. Je l’ai découvert en tirant sur un bout de tissu. Je voulais le jeter et la main est apparue. Je vous laisse. Bonne journée, monsieur.
À vous également. Rappelez-moi si vous n’arrivez pas à les joindre, conclut Calam en raccrochant son smartphone.
Il retourna auprès des convives après avoir appelé la gendarmerie de Sisteron pour leur donner le numéro de Jonas et leur expliquer l’appel qu’il venait de recevoir sur la découverte d’un probable cadavre enfoui.
C’était qui ? demanda Bastien dès que Calam se rassit, en se resservant un verre de rosé.
Ah, je te laisse deviner. Pense à Riviélot… le premier coupable idéal. Tu t’en souviens ? lança Calam à Bastien.
Euh, laisse-moi réfléchir deux minutes.
Jonas Beau quelque chose. Beau-parleur, je crois, coupa Zora en rigolant.
Mais non c’est Beauvisage ou quelque chose comme ça, reprit Bastien.
T’as rien compris, Bastien. Elle a balancé beau-parleur pour se moquer de lui, il était apparu comme un homme à femmes pendant son audition. Mais, vous avez, tous les deux, raison, c’était bien Jonas Beauvisèje.
Il t’a appelé pour un problème de cœur ? C’est vrai que t’es le psychologue idéal pour lui expliquer comment marche la gent féminine, s’esclaffa Zora, accompagnée par Bastien.
Ah ah ah, très drôles les jeunes. Il a voulu me joindre à la suite de la découverte d’un corps. Enfin, plutôt d’une main sortie de terre. Mais je l’ai renvoyé vers les collègues de Sisteron. Y en a marre des week-ends raccourcis. Je le rappellerai lundi.
Le repas se termina tout en douceur, le chien, épuisé de ses nombreux allers-retours, était affalé devant sa gamelle vide. Jules enlaçait son père pour entamer sa sieste dans ses bras. Ils s’apprêtaient à prendre un bon café, accompagné d’une petite gnôle pour la digestion, quand Bastien dit :
N’empêche, ton coup de fil m’a fait rappeler l’affaire Riviélot. Le pauvre type quand même. Quelqu’un a des nouvelles de lui ?
Alors oui, répondit Calam. Il s’était plutôt bien intégré à la prison des Beaumettes jusqu’à la semaine dernière. J’ai appris par un collègue de Marseille qu’il s’était fait sacrément chahuter pendant une sortie détente. Il semblerait même qu’il se soit fait violer. Du coup, son avocat a demandé un transfert à la maison d’arrêt de Digne, je crois qu’il veut se rapprocher de son assistante sociale. Comment s’appelait-elle déjà ?
Léonie Jurcot, glissa Zora.
Bien joué miss, t’es une vraie encyclopédie des prénoms et des noms ! balança Bastien.
Je suis bien l’experte en informatique ? répondit Zora.
Tous les trois finirent l’après-midi affalés dans les transats au soleil. Ce fut une belle journée entre amis. Tout le monde était heureux d’avoir passé ce samedi ensemble.
3
La vieille bâtisse était immense. De nombreuses dépendances, hangars, pigeonnier, clapiers… C’était une ferme halte de garde. Elle servait de poste de relais pour les calèches dans l’ancien temps. Pierre l’avait choisie parce qu’elle était abandonnée depuis plusieurs années. Les vitres étaient pulvérisées sur le bâtiment servant d’habitation et la nature reprenait doucement ses droits en s’agrippant aux murs en pierre. Seuls les garages intéressaient Pierre et son équipe : Kateline, sa compagne, Rob, Renald et Harry, ses trois potes de prison de la maison d’arrêt de Digne, où ils avaient été incarcérés à la même époque pour trafic de drogue dans une banlieue de Marseille.
Pierre était le fils d’Albert et Bernadette Charackrutt, les parents adoptifs de George Rivielot. Il n’avait jamais connu George, enfant, bien qu’ils eussent presque le même âge. En effet, Albert et Bernadette avaient tiré un trait sur leur enfant naturel après l’adoption de George. Pierre, dès l’âge de neuf ans, avait été placé dans une école spécialisée puis très vite dans une maison de redressement pour enfants indisciplinés, violents ou dangereux, après avoir racketté et agressé plusieurs de ses camarades à l’école primaire. Adolescent, il avait été dirigé vers le centre de Carmejane pour apprendre le métier d’éleveur d’ovins. À cette époque, George vivait avec les parents de Pierre, où il était maltraité, battu gratuitement pour le plaisir d’Albert, qui trouvait des prétextes à l’enfermer dans sa chambre.
Ce n’était que des années plus tard que Pierre et George, dépassant la quarantaine, s’étaient rencontrés. Pierre, qui possédait une ferme à Chateauneuf-Val-Saint-Donat, avait proposé à George de l’aider à garder ses chèvres le week-end, sous-entendant qu’il voulait s’amuser un peu lors de soirées marseillaises. George, habitant le village et découvrant que Pierre était son demi-frère, accepta sans hésiter. En réalité, Pierre achetait de la drogue dans les quartiers nord de la capitale phocéenne, pour ensuite la revendre localement entre Peyruis et Sisteron. Considéré comme un loser plutôt qu’un dealer, il gardait néanmoins la réputation de son enfance d’un homme violent et dangereux, ce qui lui octroyait certains privilèges. Il avait été arrêté par la BAC quelques années après, lors d’une rafle près de la gare Saint-Charles à Marseille, qui l’avait conduit tout droit à la maison d’arrêt de Digne-les-Bains pour trafic de stupéfiants, asservi d’une peine de sûreté au bout de trois ans pour bonne conduite. Il avait été considéré comme un maillon intermédiaire de la chaîne, sans envergure ni potentiel pour remonter jusqu’à la tête de cartel par la brigade anticriminalité. Pierre avait été vexé par ce chef d’inculpation. Il se savait taulier de son département.