Tant que John Lennon sera mort - Christian Lemarcis - E-Book

Tant que John Lennon sera mort E-Book

Christian Lemarcis

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Beschreibung

Je m'appelle Jules, mais on m'appelle Cooper, parce qu'au foot quand on compose les équipes, y veulent pas de moi. Toi, qui disent, tu seras coupeur de citrons à la mi-temps. Coupeur est devenu Cooper, comme Gary. Mais j'suis pas fâché, vu qu tout le monde aurait aimé être Gary Cooper, lui-même aussi sans doute, il aurait aimé être Gary Cooper. Pas vous?

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Seitenzahl: 101

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Ne soyez pas comme ceux qui disent

nous avons entendu

alors qu’ils n’entendent pas.

Le coran - sourate huit

Pour autant que je sache,

les Beatles ne se reformeront pas

tant que John Lennon sera mort.

George Harrison

Sommaire

Prélude en fa d’aise : A day in the life

Première partie : Mother nature son

Golden Slumbers : Prière pour les gueux

Strophe I

Antistrophe I

Strophe II : Le coryphée, ma pomme

Antistrophe II

Deuxième partie : Everybody's got something to hide except me and my monkey

Complainte

Postlude en sol miné : Across the Universe

Prélude en fa d’aise

A day in the life

La petite vieille s’éveilla dans un déchirement de l’âme. Elle avait si peu dormi que son sommeil lui paraissait une parenthèse dans la nuit profonde et muette. Elle observa l’obscurité autour d’elle et soupira. Dehors, la cité sommeillait encore, mais on percevait de temps à autre des bruissements étranges et malfaisants. C’étaient encore les jeunes guetteurs qui s’échangeaient des cris d’animaux pour se tenir éveillés. Avec le temps, tous les gens de la cité s’étaient accoutumés à ces bruits, mais la petite vieille, elle qui avait vécu son enfance au bled et avait connu les cris réels des animaux noctambules, les chouettes, les loups, les renards, et tous ces rats qui pullulent dans nos poubelles nauséabondes, ne les supportait pas. Elle leur aurait préféré le silence de la mort qu’elle appelait souvent de ses vœux dans ses prières depuis qu’elle était veuve. Veuve de guerre. Elle se leva. Elle se dirigea au fond de l’étroite pièce où se tenait la cuisine. Elle mit de l’eau à bouillir pour faire le kawa. Elle le préparait à l’ancienne, selon la tradition qu’elle tenait de sa grand-mère. Son café était célèbre dans la cité et lui valait de nombreuses visites d’anciens qui rompaient ainsi la monotonie de ses journées. Quelques jeunes filles aussi venaient lui tenir compagnie, une ou deux fois par mois, principalement les filles de Malika, sa voisine de palier, une malienne originaire d’Ouinerden, un village perdu dans la brousse, les petites, elle les avait souvent gardées alors que leur mère - veuve aussi (c’est fou ce qu’il y a de veuves dans ces quartiers perdus de la République!), veuve à trente ans d’un accident de chantier où feu son mari travaillait au noir, donc sans pension de réversion, mais avec une vraie pension d’aversion pour la société - travaillait jour et nuit pour subvenir aux besoins de son foyer. Pour sa patience et sa générosité - elle partageait volontiers le peu qu’elle possédait -, la petite vieille était respectée et aimée dans la cité. Or depuis que ses trois arrièrepetits fils étaient partis avec leur voisin - un français converti à l’Islam radical, les plus dangereux selon elle - faire le jihad en Syrie, elle ne recevait plus guère de visite des voisins. Seul le jeune Abdel lui faisait ses courses. Un bon petit gars, cet Abdel. Ses journées étaient devenues les couloirs blêmes d’un hôpital où elle ressassait ses malheurs comme les vieux marins mâchouillent la même feuille de tabac pendant des heures pour se tenir éveillés. Elle mâchouillait ses souvenirs et ne comprenait pas pourquoi sa vie avait été si dure alors qu’elle avait toujours respecté les lois divines, l’instruction des imâms et choyé la mémoire de ses aïeux. Elle avait toutes ses pensées lourdes sur le cœur. Elle s’assit à sa table de cuisine et but son Kawa. Ses vieilles mains décharnées et bleuies tremblaient comme des feuilles d’un palmier caressées par le vent tiède des oasis dorées. Tout un océan d’odeurs et de couleurs envahit ses yeux, ses narines, sa bouche, mer, sel, âcreté de l’air, embruns nacrés, oranges amères, pollens sucrés, jaune mêlé de blanc des plages océanes… Un filet de salive coula de sa lèvre inférieure et c’était le goût de l’enfance qu’elle essuya d’un geste nostalgique. Elle ouvrit la radio, toujours la même fréquence radionostalgie qui égrenait avec mélancolie les succès de sa jeunesse quand, jeune fille émigrée, elle arriva à Paris. Ses premières sorties, ses premières amours, ses premières désillusions… C’est à ce moment précis, dans un fracas de fumées métalliques et de hurlements simiesques, alors qu’elle sirotait tranquillement son kawa, qu’un commando du RAID foudroya sa porte et envahit le seuil de sa maison comme si le ciel lui était soudain tombé sur la tête, là dans sa cuisine, en faisant vaciller la cafetière dont la vapeur chantonnait la triste mélopée des collines berbères de l’Aurès. Avant qu’elle n’ait pu s’écrier Allahu akbar, elle fut immobilisée par un gaillard de cent-vingt kilos de muscles et de conneries orgueilleuses qui la plaqua au sol, comme une semelle de rangers écrase une fourmi. Du goulot de la cafetière ébranlée, des gouttes de kawa maculaient sa gandoura en satin bleu brodé de fils d’or tandis qu’à la radio on entendait John Lennon chanter Imagine.

Première partie

Mother nature son

P’tit gars… Hé ! Ho ! P’tit gars, viens ici, ici ! Je ne me retourne pas. J'avance. J’ai la trouille au cul. Une trouille d’enfer. L’urine dégouline dans mes godasses. Je sais qu'on m’appelle. Je ne m'arrête pas. Si on s'arrête, on est foutu. Si on s’arrête, tout s’arrête. Y’a pas d’issue de secours. C’est la loi des quartiers. Alors moi, je trace. C'est mon truc. La tête basse, je trace. Hey, p’tit gars, tu te fous de ma gueule ou t’es sourd ? C'est une voix de mec, grave, lourde, sonore. Sans doute un gros costaud qui veut épater sa gonzesse en jouant à monsieur Propre devant un mioche comme moi. Les gros costaud, gros muscles et petite cervelle, sont toujours intransigeants avec les petits. Moi, je suis du genre petit, rachitique, et tout. Gégé, mon pote, il m'appelle le squelette ambulant, rapport que je suis toujours en train de marcher, de long en large. Une prémonition. Ho ! p’tit gars, sale juif, t’as les pétoches, ou quoi ? La voix s'étant éloignée, vous comprendrez que j'ai accéléré le pas. Question de mettre les distances, je suis champion des distances, dans mon genre, quand j’ai la trouille qui chavire mes viscères, Carl Lewis n’est pas mon maître. C’est que j’ai les fois, oui je suis pas du genre héroïque. Bruce Willis et moi, ça fait deux, vous voyez le topo. Sûr que j'aurais pas eu le rôle de requin au cinoche. Soudain, j'entends la grosse voix qui gueule à mes oreilles : Hey ! P'tit gars, faut pas fuir comme ça. Une main lourde, rugueuse, une main d'étrangleur, s'abat sur mon épaule droite comme pour la fracturer. C'est pas poli de pas répondre aux gens, sale petit juif ! J’suis pas juif, que je dis. Brusquement, la main me fait pivoter. Je vois alors la gueule du mec. Un vrai doberman. J'ai vraiment les pétoches. Je suis à deux doigts de faire dans mon futal. Si je dis que t’es juif, t’es juif.

Compris, demi-portion ? Au loin, derrière lui, assise sur la rampe d'escalier, il y a sa gonzesse avec une de ses copines, une rouquine genre Julia Roberts. Elles se marrent, les gueuses ! Pliées en deux ! De belles pétasses excitées comme des chattes sur un toit brûlant ! Quelles garces ! Elles se foutent ouvertement de ma gueule. Moi j’ai pas envie de fredonner Pretty Woman, non pas vraiment. Alors, comme je pressens que cela va tourner au vinaigre, j'esquive une pirouette et je prends mes jambes à mon cou. Vrai : il en a pas deux comme moi pour l'esquive ! Un vrai délit de fuite ! Ce jour-là, oui vraiment Karl Lewis n'était pas mon frère ! Sans me retourner, j'ai couru jusqu'à l'épuisement, jusqu'à la syncope. Les rires des gonzesses ont accompagné durant plusieurs longues secondes, puis ce fut le silence. Je l'avais échappé belle ! Vous aurez compris que je ne suis pas du genre héros de cinoche. La bravitude et moi, ça fait deux ! Vous ne me verrez jamais sur un ring, ou dans des trucs comme ça. La baston, la rixe, c'est pas mon job. Moi, je suis plutôt du joueur filou, un vrai rat musqué ! Y'a pas plus fourbe que moi, à part Scapin ! Vous marrez pas, les mecs. Aux petits poids de mon espèce, poitrine et cervelle de renard, y arien que la ruse dans la vie si tu veux pas que les gros connards de son espèce, ces sales connards de machos, t’écrabouillent la gueule pour épater leurs gonzesses.

Je m'appelle Jules, mais on m'appelle Cooper parce qu’au foot quand on compose les équipes les capitaines y veulent pas de moi dans la leur. Toi, qui disent, tu seras coupeur de citrons à la mi-temps. C’est comme ça que coupeur est devenu Cooper, comme Gary. De toute façon, j’suis pas fâché, tout le monde voudrait être Gary Cooper, même Gary Cooper lui-même aurait sans doute aimé être Gary Cooper. Pas vous ?

À l'école, on m’appelle double-zéros, sans doute parce que, tout en n’étant pas un cancre, je n'ai que rarement de bonnes notes ou alors double-mots, parce que je zézaye un peu parfois, surtout quand j’ai la trouille au bide, à chier dans ma culotte. Vous voulez savoir comment je suis né ? Et bien, c'est simple : je suis né comme tout le monde, ou presque, ma mère m'a pondu entre deux orgies, parce qu'elle avait sa cure de me porter dans ses viscères et que je l'empêchais de sortir en boîte. Bien sûr, direz-vous, elle avait qu'un pas me faire ; que c'était sa faute si elle n'avait pas pris ses précautions. Mais enfin, puisqu'elle était tombée sur un clou rouillé, elle avait tenu à porter son enflure jusqu'aux cris et au sang. Un point d'honneur ! Puis, son devoir accompli, elle était retournée à ses hommes, ces alcools, ses danses ou plutôt ses contorsions dans les caves obscures de Saint-Germain des fesses. Une mère la page quoi ! Comme John, j’aurais pu chanter :

Mother, you had me, but I never had you

Quant à moi, le fruit de son entaille, elle m'avait refilé à sa mère à elle, à ma douce et chère mémé. Pourquoi pas à mon père, objecterez-vous, votre honneur ? Simplement parce que je n'avais pas de père. Incapable qu'elle a été, ma génitrice, de me dire qui s'était mon papa. Un salaud, probablement, une espèce d’arabe, vue ma gueule, c'est du moins comme ça qu'elle évoquait… J’avais pour père un salaud et pour mère une putain. Jolie ascendance ! Début de schizophrénie comme dirait l'autre ! Vous voyez le topo ! Enfin, ça m'a suffi, j’ai fait avec ça. La plus belle fille du monde, etc. Quand on part en voyage, on se contente des bagages qu'on peut porter. Les autres, les plus encombrants, on les laisse à la consigne.

Souvent, mes copains me demandaient quelle était la profession mon père. Alors j'inventais. Architectedécorateur. Liftier au Ritz. Ambassadeur au Vatican. J'ai toujours été fortiche pour mentir. C'est un truc vachement utile dans la vie, le mensonge, surtout pour les gosses pauvres. Le mensonge, c'est leur façon à eux de rêver, peut-être. J'ai vécu chez mémé, à la Défense, durant sept ou huit piges. Cool ! Les plus belles années de ma vie. La Défense, à cette époque, c’était comme un village provincial. Y avait même une ferme où on allait chercher du lait dans un pot en laiton, comme Perrette. C’était bien avant toutes ce saloperies de tours gigantesques où s’entasse une peuplade de costumes-cravates et de tailleurs Chanel qui avalent leur rail de de cocaïne devant leurs écrans où ils dirigent le monde. La Défense est devenue la Défonce ! De la fenêtre de sa cuisine, on voyait passer les coureurs du Tour de France, Anquetil, Pingeon, Poulidor… Un jour, au prix de l’Amitié, on a vu déboulé un petit jeune qui laissé tous ces champions sur le cul, il s’appelait Eddy Merckx… Ouais, le cannibale en personne, ça vous la coupe, hein ? Je me souviens