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Chacun sait à quel aspect de son expérience répond le mot de temps ; mais aucune définition de la notion correspondante n'a reçu jusqu'ici, chez les savants comme chez les philosophes, une approbation unanime. Sensible à cette difficulté qu'il jugeait caractéristique de toutes les notions premières...
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Seitenzahl: 72
Veröffentlichungsjahr: 2016
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ISBN : 9782341004824
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Chacun sait à quel aspect de son expérience répond le mot de temps ; mais aucune définition de la notion correspondante n’a reçu jusqu’ici, chez les savants comme chez les philosophes, une approbation unanime. Sensible à cette difficulté qu’il jugeait caractéristique de toutes les notions premières, Pascal estimait que le temps est de ces choses qu’il est impossible et même inutile de définir ; il s’accommodait d’ailleurs assez bien des désaccords existant à son sujet, puisque ceux-ci ne pouvaient porter préjudice, pensait-il, à l’identité objective qui est désignée par le même terme : « Le temps est de cette sorte. Qui le pourra définir ? Et pourquoi l’entreprendre, puisque tous les hommes conçoivent ce qu’on veut dire en parlant de temps, sans qu’on le désigne davantage ? » (De l’esprit géométrique).
Replacée dans son contexte, cette remarque témoigne d’une science mathématique encore peu avancée. Elle peut encore être soutenue si l’on suit les développements de la psycho-linguistique qui sont favorables à un certain innéisme des notions premières. Toutefois, s’il s’agit précisément du temps, on ne peut pas dire que le langage ordinaire désigne en toute certitude l’expérience à laquelle il renvoie. Il faut d’abord écarter, comme une équivoque particulière de la langue française, la signification météorologique qui est un sens dérivé aisément explicable : la température et le climat d’un lieu varient, en effet, en fonction du temps, entendu au sens propre. Mais ce sens premier lui-même est loin d’être fixé d’une façon univoque : est-il synonyme de simultanéité, comme dans l’expression « en même temps », de succession, comme dans l’expression « le temps passe vite », de durée, comme dans l’expression « il a manqué de temps pour accomplir son œuvre » ? En vérité, il semble que la notion de temps englobe les trois concepts de simultanéité, de succession et de durée ; il faut même ajouter à ces trois concepts, qui semblent plus fondamentaux que celui de temps, ceux de présent, de passé et d’avenir, qui apparaissent, à leur tour, comme constitutifs à l’égard du temps, puisqu’ils en désignent des parties ou des phases bien déterminées, quand on se place à un instant précis, notamment à celui du discours. Comme ces deux triades se recoupent constamment, il faut reconnaître que le même mot « temps » se prête à au moins neuf usages, dont il n’est pas difficile de faire ressortir les contradictions. Il importe cependant d’être attentif à l’emploi spécifique qui se trouve attaché à chaque triade, laquelle se trouve ainsi relever d’une logique particulière.
Le premier emploi a trait aux trois concepts dits fondamentaux. Il permet de ranger dans ce qu’on appelle l’ordre temporel n’importe quel événement dont on connaît l’une ou l’autre des trois relations temporelles qu’il possède vis-à-vis des autres événements. Comme la simultanéité est la négation de la succession, il est possible de réduire l’ordre temporel à une suite unilinéaire. Comme les chevauchements des durées particulières peuvent aller à l’infini, et comme l’expérience du mouvement nous permet d’assigner à chaque position spatiale une position temporelle, il est possible de considérer la suite unilinéaire comme continue et de lui appliquer les procédés de mesure. Il en résulte que le temps physique est doté de la même structure qu’une dimension de l’espace physique euclidien. Le problème se pose de savoir si la suite des instants ou positions temporelles est limitée ou non, dans un sens ou dans l’autre. Cela dépend de la connaissance qu’on a ou croit avoir de l’Univers dans son ensemble.
Le deuxième emploi a trait à l’expérience humaine, effective ou possible, de ces mêmes événements. Ceux-ci ne sont directement accessibles que s’ils sont présents ; s’ils ne peuvent être que retenus, remémorés, reconstruits, il faut les dire passés ; s’ils doivent être anticipés, attendus ou prévus, il faut les dire futurs. On ne peut pas reconnaître la même modalité d’existence à ces trois espèces d’événements. Ils peuvent pourtant être envisagés ensemble, puisque c’est dans le présent, une partie du temps qu’il ne faut pas réduire à la pure limite qu’est l’instant, qu’apparaissent les perspectives organisées du passé et de l’avenir. Le rôle constitutif du présent de conscience a été, pour la première fois, signalé dans toute son ampleur par saint Augustin (Confessions, livre XI). Le même auteur a signalé que c’est dans l’âme que le temps passe, puisque l’objet de l’attente devient celui de l’attention, puis celui de la mémoire.
La science, qui tend à l’objectivité, privilégie, de façon constante, le premier emploi de la notion de temps en ce qu’il fait abstraction de la situation de l’observateur dans le temps. Une première analyse du temps entendu dans ce sens a été fournie par Aristote (Physique, IV, 10-14) qui définit le temps « le nombre du mouvement, selon l’avant et l’après ». D’autres analyses, enrichies de nouvelles distinctions et d’alternatives, sont proposées dans les constructions axiomatiques contemporaines. Toutefois, la science physique elle-même ne peut pas toujours considérer d’égale façon, par exemple en thermodynamique, le passé et l’avenir. Dans l’étude des processus concrets, qui embrassent une foule d’évolutions particulières, on ne remonte pas dans le passé de la même façon que l’on avance vers l’avenir (cf. chap. 2). Il y aurait donc une flèche ou direction du temps qui ne serait pas seulement caractéristique du temps vécu et qui distinguerait l’anisotropie du temps de l’isotropie de l’espace. Dès l’Antiquité, certains philosophes avaient signalé ce privilège du temps par rapport à l’espace ; leur doctrine a inspiré nombre de penseurs modernes ; on peut citer dans cette tradition Plotin, Hegel, Bergson.
Dans ces conditions, il est aisé de retrouver les marques de deux philosophies antagonistes du temps. Si l’on insiste sur l’irréversibilité des processus temporels, par opposition à la réversibilité des opérations spatiales, on aura tendance à identifier le temps au devenir. Si l’on remarque, au contraire, qu’il n’y a pas lieu de mettre en mouvement les relations de succession et de simultanéité, qui, une fois établies, restent toujours les mêmes, on aura tendance à faire du temps le milieu immobile de tous les changements. Aucune des deux conceptions ne peut prétendre être plus objective ou subjective que l’autre. C’est la première, par exemple, qui inspire la théorie, à la fois mythique et mathématique, de Newton : du temps absolu, qui coule uniformément, sans relation à rien d’extérieur. Newton a pu faire, jusqu’à la théorie de la relativité, le temps de la physique moderne ; ce temps permettait, en effet, d’inclure tout ordre temporel relevé empiriquement. C’est la seconde conception, au contraire, qui inspire la théorie, à la fois subjective et métaphysique, de Kant : de la forme du sens interne Kant a voulu faire la condition transcendantale de la mécanique newtonienne, et la plupart des physiciens ont longtemps préféré la conception kantienne à l’absolutisme newtonien. Aujourd’hui encore l’espace-temps de Minkowski semble favoriser la conception statique du temps par rapport à la conception dynamique ; mais Einstein n’a pas craint de réintroduire un temps cosmique, muni d’une direction, et l’on a vu que certains secteurs de la physique témoignent, eux aussi, de l’existence d’une flèche du temps.
Il ne faut peut-être pas exagérer l’opposition des deux images que nous nous formons du temps : devenir universel ou milieu de tous les changements. Cette dualité tient sans doute à l’imperfection de notre connaissance. Il sera intéressant de se demander si la construction même de la notion de temps ne met pas en évidence l’entrelacs des facteurs externes et internes, des contenus fluents et des relations stables.
En faisant du temps la forme du sens interne, la conception kantienne s’élevait, en quelque sorte, au-dessus de l’opposition des notions statique et dynamique du temps. Elle n’ignorait pas, en effet, que le temps concerne la sensibilité, qui reçoit des impressions successives, plus encore que l’entendement, qui conçoit l’ordre général d’apparition des phénomènes,