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Holly pensait tout contrôler : sa vie, son image et son empire. Elle avait oublié que l’amour, lui, ne peut être maitrisé.
Au bord du divorce, son futur ex-mari, Cesare, amène le scandale dans sa vie.
Où est passé le désir ? L’attirance ? Qu’est devenu ce jeu de séduction où chaque décision devient une tentation, chaque regard une invitation à abandonner ses barrières? Quand est-ce que tout a basculé ?
Les réponses se trouveront peut-être dans leur passé quand elle n’était qu’une escorte de luxe et lui un séduisant italien sur son chemin.
L’amour a toujours eu un prix et il est devenu sa seule faiblesse.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Émilie Bordeaux est une auteure passionnée dont l'imagination débordante la pousse à écrire depuis son adolescence. Grande lectrice, elle considère que l'écriture est un art qui s'affine avec la persévérance. Après un baccalauréat Littéraire, c'est par la lecture et la pratique qu'elle a affûté sa plume. Depuis cinq ans, elle évolue également dans le monde du cinéma, un univers qui nourrit sa créativité. Elle a déjà écrit trois manuscrits. "The Price of Us" est le premier publié.
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Seitenzahl: 518
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Couverture par Scarlett Ecoffet
Maquette intérieure par Scarlett Ecoffet et Emilie Diaz
Correction par Emilie Diaz
© 2025 Imaginary Edge Éditions
19 chemin des cigalons 83400 Hyères
© 2025 Emilie Bordeaux
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.
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ISBN : 9782385721398
Aujourd’hui devait être une journée comme les autres. Celle d’une femme d’affaires respectée de 33 ans, co-PDG d’une des plus grandes et influentes entreprises de publicités des États-Unis. Je marchais à travers le long couloir de ce qui était devenu mon Empire. Six heures, la moquette étouffait le son de mes talons. Ma première réunion était à sept heures avec toute l’équipe de cadres supérieurs. Quelques personnes déjà à leurs postes se retournèrent sur mon passage. On me connaissait pour mon style… Osé. Grande et mince, j’en profitais depuis toujours. Il fut un temps où ce physique avait été mis à profit et avait eu un prix. Mon plaisir de me sentir belle n’est jamais passé après mon confort, même au travail. Ce matin ne dérogeait pas à la règle, habillée d’une robe courte style smoking bleu marine avec une paire d’escarpins découpés jaune citron, mes cheveux coiffés dans un chignon bas strict contrastaient avec ma tenue. Mes yeux étaient maquillés d’un joli smoky eyes1 doré avec une touche de kaki. Une fois le long couloir vitré passé, je tournais à la dernière porte à droite. Une plaque en métal ornait son encadrement :
Holly Kent - Co PDG
Un dernier coup d’œil au bureau à côté du mien me fit pousser un long soupir :
Cesare Kent — Fondateur et Co-PDG
Et sur celui en face :
Erika Svensson — Assistante personnelle
Je m’asseyais à mon bureau où des papiers m’attendaient. Voilà déjà trois mois que je repoussais la signature d’un de ces documents. Inévitable impasse. Je le tenais entre mes doigts, prenant une grande inspiration devant cette vulgaire enveloppe marron, la rupture de notre engagement était aussi simple qu’une griffe. Je ne pouvais pas faire ça, pas tout de suite. Lui n’avait pas hésité. Hélas, je n’avais pas son détachement… Ma main caressait lascivement le kraft avant que mon attention soit attirée par la porte. Ma propre assistante frappa quelques coups et me sortit de mes rêveries.
—Bonjour, Holly, je vous ai mis un récapitulatif des sujets que vous devez aborder ce matin sur votre bureau. Ah oui, votre nouvelle plaque est arrivée, un mot de votre part et en 5 minutes, c’est fini. En parlant de ça, avez-vous signé les papiers ? Dois-je appeler le coursier ?
Je laissais choir ma tête contre le dossier de mon siège. Ma secrétaire n’y était évidemment pour rien dans mon agacement.
—Merci, Juliette. Un jour, j’aurais le courage de tourner la page.
Juliette était mon assistante dévouée depuis mes débuts en tant que Co-PDG. Elle était, à l’époque de mon arrivée ici, l’Hôtesse d’Accueil du bâtiment. La première personne que les gens découvraient et la dernière. On pourrait en déduire que son statut était donc avantageux, c’était tout le contraire. Personne ne la remarquait jamais vraiment, pourtant moi, je l’ai vue. Je l’ai vue se démener sur chaque dossier qu’on lui demandait, fournissant toujours des résultats satisfaisants. Pour certains, exceller à son poste est une bonne raison de vous garder où vous êtes telle une perle rare dans son écrin. Alors quand je suis passée Co-PDG, je l’ai convoquée dans mon bureau. C’était la première fois qu’elle montait au dernier étage du building. En entrant, elle était apeurée ; à la fin de l’entretien, comblée. Depuis, elle en est reconnaissante en fournissant un travail exemplaire, il lui arrive même de faire le mien. Je n’ai jamais rien eu à lui reprocher. Du fait de notre proximité, elle est au courant de toute ma vie, c’est elle qui la programme et pourtant elle ne s’est jamais permis un seul commentaire déplacé, un seul mot de travers. C’est une vraie perle. Je lui dois beaucoup, plus qu’elle ne le pense.
—Absolument, je peux faire autre chose pour vous ? me demanda-t-elle.
Elle connaît la moindre de mes habitudes. Chaque matin, sa première visite est toujours ponctuée d’un café chaud pour moi. En temps normal, j’aurais tué pour cette tasse, mais je la congédiais gentiment sans boire mon nectar. J’attendais un appel qui m’arracha à mes pensées.
—Madame Kent ? Bonjour, Docteur Richard à l’appareil.
Je l’écoutais bouche bée, je ne savais pas quoi lui répondre. En raccrochant, je mis mes mains sur mon visage, tout en pinçant l’arrête de mon nez. Je n’arrivais pas à y croire et en même temps, je m’en doutais. Une larme coula le long de mes doigts. Sa question me hantait :
—Qu’est-ce que vous comptez faire ? C’est encore autorisé dans cet État, pour le moment…
Mes joues s’humidifiaient sans que j’aie mon mot à dire. Pour calmer ce torrent qui menaçait, je renversais ma tête en arrière sur ma chaise, une fois de plus. Il fallait que je me reprenne, la réunion était dans moins d’une heure et je ne voulais absolument pas que qui que ce soit voie ma détresse. Je me relevai donc d’un bond et me noyai dans le travail. Puis, je rassemblai mes dossiers et me dirigeais vers l’ascenseur. Un rapide coup d’œil vers sa porte qui ne révéla aucune lueur ni aucun bruit. Pareil pour le bureau en face du mien. Elle, je m’en fichais royalement, mais lui aurait déjà dû être arrivé. D’habitude, il descendait avec moi et nous y allions tous les deux. Remarque ce ne serait pas la première fois qu’il se la joue grasse matinée avec cette pintade. Elle le rendait complètement irresponsable. Au cas où, je toquais à la porte de Juliette, le bureau à côté du mien.
—Juliette, vous pouvez m’accompagner à la réunion d’avant-poste, j’ai le pressentiment que Monsieur Kent aura besoin d’un compte rendu détaillé.
—Bien sûr, Holly.
Elle prit un crayon ainsi qu’un bloc-notes et m’emboîta le pas jusque dans l’ascenseur.
—Pouvez-vous m’indiquer les meetings que j’ai aujourd’hui, s’il vous plaît ? lui demandais-je tout en marchant.
—Alors, vous avez un entretien téléphonique à 8 h 10 avec le comité d’entreprise, à 10 heures avec Monsieur Pirelli et son équipe pour le résultat final de la campagne Miss Vior. À midi, vous déjeunez avec une nouvelle agence de mannequins pour négocier un contrat afin d’avoir de nouvelles têtes à proposer. À 14 heures, Madame Gyllian a posé un rendez-vous pour prendre un café avec vous. À 15 heures, vous avez le meeting avec toute l’équipe de la campagne Miss Vior. À 18 heures, le patron de Pear veut vous voir en privé. Pour finir, à 20 heures, vous dînez avec Monsieur Miasaki pour son appel d’offres sur les sacs plastiques.
—Une journée comme les autres, lui répondais-je.
Elle me rendit un sourire désolé, mais c’était ma vie. Celle que j’avais choisie et que je m’étais faite, alors je ne regrettais rien. J’adore mon boulot.
Nous arrivions enfin au troisième étage, réservé aux réunions. Toute mon équipe était déjà installée dans la salle principale. Mes collègues discutaient ensemble devant des viennoiseries et des cafés brûlants. Avant, la communication était aussi mauvaise que chaotique. Si jamais vous souhaitiez avoir une information, il ne fallait pas avoir le malheur de mal tomber. Sans compter tout ce temps perdu à chercher une réponse à droite ou à gauche. Donc cette assemblée journalière servait à rétablir un lien entre les équipes et éviter un travail bâclé. Désormais, les cadres supérieurs étaient briefés quotidiennement afin qu’on appréhende la journée sereinement et le ventre plein. Quelques regards lubriques se tournaient vers moi, sans grand étonnement alors que le Directeur artistique me fit un clin d’œil, histoire d’approuver ma tenue. J’étais entourée d’hommes. Après moi, il n’y avait que Juliette de haut gradée, aucune autre femme ne se trouvait dans les rangs suivants. J’en étais peinée.
—Bonjour, Messieurs, j’espère que vous avez passé une bonne nuit et que vous avez bien réfléchi au dossier Miasaki que je dois présenter. Il nous faut cette campagne, elle nous offrira une renommée internationale. Je vous laisse donc émettre vos idées, parce que je dîne avec lui ce soir, commençais-je avant d’entendre quelques sifflements suivis de regards en biais.
—Les gars on est en maternelle ! Vous êtes bien mignons, mais vous connaissez Monsieur Miasaki, il est très difficile en affaires, repris-je.
Je ne me sentais plus ni vexée ni humiliée par leurs remarques. Ces gars étaient pères de famille, célibataires endurcis ou mariés. Quelques suggestions fusèrent pour la campagne, hélas, trop banale. Je les observais un à un, debout devant un tableau blanc. Dans leurs propositions, je ne trouvais rien de transcendant, rien qui pourrait me faire penser que nous avions le concept du siècle, pas même un waouh jusqu’à ce qu’une petite voix s’élève. Je me tournais vers Juliette assise sur un fauteuil contre le mur. Tout le monde se tût soudain, sauf un qui ouvrit sa bouche.
—Toi une idée ? C’est la meilleure. Vous entendez les gars, la prête-plume de la patronne a une idée !
J’en restais une seconde scotchée avant de croiser le regard en détresse et déçu de Juliette.
—Monsieur Smith, je vous recommande chaudement de boire votre café et d’en profiter pour écouter les mouches voler, lui proposais-je d’un ton sec.
—Je suis un des Directeurs artistiques, et je refuse que mon travail soit dicté par votre toutou.
—Monsieur Smith, je suis intransigeante sur le respect d’autrui et de vos collègues. J’estime que nous passons tous assez de temps ici pour avoir de la considération les uns envers les autres. Alors si vous ne pouvez pas laisser votre égocentrisme chez vous, je vais vous y renvoyer avec un blâme. De plus, vous êtes viré de tous vos projets jusqu’à nouvel ordre. Dans votre cabinet, j’y ai découvert un désordre monstre. Demain, inutile de vous présenter à la réunion, vous rangerez votre bureau et vos archives qui doivent être dans le même état. Si j’entends encore une seule remarque déplacée, blessante ou un tant soit peu sèche de votre part, vous prendrez la porte. Mais voyez le bon côté des choses, votre remplaçant trouvera un bureau impeccable, lui débitais-je d’un ton intraitable.
Il attrapa ses affaires dans le calme et sortit de la pièce, en claquant la porte.
—J’espère que c’est clair pour chacun d’entre vous, je ne supporte pas de me répéter. Chaque idée est bonne, qu’elle vienne de vous, de Juliette, de votre sœur, peu importe, j’ai besoin d’idées. On vous écoute Juliette.
—Monsieur Miasaki a comme vous le savez…
Je la coupais dans son élan pour lui faire signe de parler un peu plus fort.
—Monsieur Miasaki, comme vous le savez, dirige une entreprise japonaise qui commercialise des sacs plastiques, mais il s’inquiète pour l’environnement. J’ai appris dans une de ses interviews qu’en allant se promener sur une plage, il a trouvé avec sa femme une tortue morte étouffée par un sac plastique. À côté, un oiseau en pleine décomposition avec dans son estomac, désormais apparent, des déchets. Cet évènement a changé leur vision du jetable. Sa femme et lui, ont pendant deux ans, été contraints de continuer à travailler le plastique puis de se mettre au biodégradable avec une campagne-choc sur chaque cabas. De toute évidence, ils ont un faible pour la faune. J’ai donc pensé à des sacs transparents avec une anse et le visuel serait un animal qui semble être étranglé quand on porte le sac. Pas de sang, pas de décomposition, mais bien des photos d’animaux vivants, dauphins, oiseaux, tortues, etcétéra, avec inscrit en noir ou rouge gras, un message comme quoi le plastique tue.
J’en étais bluffée, c’était une excellente idée. Je jetai un coup d’œil à mon auditoire et les pupilles du second Directeur artistique s’illuminèrent.
—C’est terrible et à la fois un gain de temps pour nous parce que toutes les espèces marines sont touchées. Cette pub pourrait se décliner avec des milliers d’animaux différents ! s’exclame-t-il.
—Je vais demander à mes équipes de se baser sur cette idée pour une campagne télévisée, je suis sûr qu’il y a moyen de faire quelque chose ! ajoute un autre chargé de communication.
Cette réunion commençait à devenir un vrai brouhaha alors j’arrêtais tout le monde, ce n’était pas le seul point que je devais aborder et nous avions assez perdu de temps pour ce matin.
—Merci, Juliette, c’est une proposition en or. Vous gérerez donc ce projet à ma place, c’est votre bébé, il n’y a pas de raison que je m’en occupe. Vous me ferez un rapport tous les soirs avant de partir, pour que j’aie une idée de comment tout se met en forme.
Elle me sourit avec gratitude, me remercia et je continuai sans Cesare. Aux abonnés absents. Tant que l’un de nous deux était présent, ce n’était pas si grave, mais il était quand même le PDG. La moitié m’appartenait, certes, cependant il n’en restait pas moins actionnaire majoritaire… J’abordais sans grande joie, les chiffres et les résultats de nos dernières campagnes. Même si les retours étaient excellents et que nous réussissions chaque contrat avec brio, les graphiques ne m’ont jamais intéressée plus que ça. Tant que ça va bien, je suppose. Et puis nous avons terminé par la campagne Miss Vior, le dossier était finalisé pour tout le monde, aucun retard, pas beaucoup d’imprévus et nous avons regardé le spot ensemble. Parfait. Je conclus à 8 h 50 la fin de la réunion, Juliette sur mes talons.
—Votre idée est brillante, la félicitais-je en appuyant sur le bouton de l’ascenseur.
—Je vous remercie, j’aime bien examiner les interviews des personnes avec qui on va collaborer. Pour mieux les cerner, eux et leurs attentes.
—Et ça fonctionne !
Je retournais dans mon bureau en ayant exactement trois minutes devant moi. Et je n’aurais jamais imaginé tout ce qui allait se passer pendant ces cent quatre-vingts secondes. Je m’asseyais sur ma chaise et rangeais les dossiers. Alors que je faisais le bilan dans ma tête, je décrochais le téléphone pour appeler les Ressources humaines au sujet de Smith. À peine, attrapais-je le combiné que j’entendis Juliette hausser le ton derrière la porte qui s’ouvrit brusquement sur Cesare.
—Holly, j’ai besoin de toi, supplia-t-il.
J’ai tellement rêvé qu’il me dise cette phrase que la scène me parut surréaliste. Jusqu’à ce que l’horloge se remette à tourner et que je me rende compte de la gravité de la situation. Il semblait avoir vécu une vraie descente aux enfers. Il portait les vêtements de la veille, tachés et sales, ses cheveux n’étaient pas coiffés, sa barbe pas rasée, sa cravate pendait de chaque côté de son col. Il était là, face à moi, en détresse. Je compris en un instant qu’il faudrait gérer les évènements à venir avec sang-froid, comme toujours. Je me levai de mon siège alors qu’il avançait jusqu’à moi et déposait un magazine sur mon bureau. En voyant la couverture, mon sang ne fit qu’un tour.
—Juliette, annulez tous mes rendez-vous pour la journée, trouvez d’autres créneaux dans la semaine. Vous allez m’acheter tous les torchons qui portent le nom Kent et vous les envoyez par coursier à notre avocat, s’il vous plaît.
Elle acquiesça et s’apprêta à fermer la porte quand je l’interpellai en me massant les tempes.
—N’annulez pas le dîner avec Monsieur Miasaki. Il ne nous donnera pas d’autres chances et pour le comité d’entreprise ne leur parlez surtout pas de ces torchons, dites leurs que je ne me sens pas bien, ajoutai-je.
Elle opina puis se mit au travail sans tarder tandis que je fis signe à Cesare de s’asseoir en face de moi.
—Je suis…
—Je veux que tu m’expliques tout, du début à la fin sans omettre aucun détail, le coupai-je.
Surpris par mon intonation, il me racontait que Miss Svensson lui avait fait découvrir Las Vegas à l’occasion de son anniversaire. Ils y avaient passé le week-end avec quelques-uns de ses amis, mais ne se souvenaient plus de grand-chose, après leurs innombrables beuveries. Ils avaient fait la tournée des Casino, des bars à « danseuses » et Miss Svensson lui avaient même fait une danse privée. Mémoire sélective, ça arrive à beaucoup d’hommes. Je connaissais ces endroits et un homme de son envergure n’avait clairement rien à y faire, à part s’il désirait s’attirer des problèmes. Au fur et à mesure de son récit, j’eus une bouffée de chaleur, la tête me tourna et je me fis rattraper par mon état. J’en vomis dans la poubelle avant de lui demander juste une seconde pour me rincer la bouche.
—Je suis désolé… articula-t-il en me suivant dans la petite salle de bain à côté de mon bureau.
Je lui fis un signe de main pour qu’il n’approche pas puis l’incitai à poursuivre :
—Continue.
Les journalistes l’attendaient à la sortie de l’hôtel et l’ont pris en photo bourré et drogué. En soi, ce n’était pas si grave pour n’importe qui d’autre, mais venant du PDG d’une agence de publicité, c’était très mauvais. Nous vivons en vendant notre image. Si les gérants ne savent pas se tenir, je ne vois pas comment nous pourrions être crédibles. Je feuilletais le magazine qu’il avait mis sous mes yeux et c’était une catastrophe, de pire en pire. Quatre pages lui étaient consacrées, sur sa nouvelle compagne de débauche et qu’est-ce qu’il devenait depuis que sa femme l’a quitté alors qu’elle l’a surpris avec son assistante personnelle. Je composai le numéro que j’aurais dû faire depuis trois mois.
—Maitre Crawford ? Madame Kent à l’appareil. Non, non ce n’est pas au sujet de l’enveloppe, un paquet de magazines va vous être livré par coursier aujourd’hui. Je veux que le nom de Monsieur Kent disparaisse de tous ces torchons. Allez jusqu’au bout, je ne souhaite plus voir un seul de ces chiffons traîner. Absolument ! Menacez de procès s’il le faut. Merci.
Je raccrochai le téléphone et le repris dans la foulée.
—Docteur Richard, c’est encore Madame Kent, j’ai réussi à me libérer, puis-je venir pour onze heures ?
Elle accepta.
—Tout va bien ? me demanda Cesare inquiet.
—Pour l’instant, on va s’occuper de toi. À présent, tu vas me suivre comme mon ombre. Il faut qu’on fasse front tous les deux, l’autre, tu l’oublies et tu penses à ton entreprise deux secondes.
—Pourquoi fais-tu tout ça pour moi ?
—Parce qu’un jour, tu m’as sauvée. Aujourd’hui c’est à moi de te rendre la pareille et nous serons quittes. Qui t’a ramené, d’ailleurs ?
—Carmen. Elle m’a trouvé près d’une fontaine, complètement défoncée et au bord de la surdose. Du coup elle m’a mis dans le premier avion et me voilà. En sortant de l’aéroport, quand j’ai vu tous les magazines, je suis venu tout de suite.
Soudain, mes yeux se posèrent sur ces mains et en particulier sur ses doigts. Je me frottai la bouche avec une serviette tout en restant fixée dessus.
—Cesare, qu’est-ce que tu as au doigt ?
—Notre bague.
—Regarde-la, attentivement.
Tout a commencé un soir étouffant de printemps en plein milieu d’un mois de mai très chaud pour la saison. Il était vingt heures et je me préparais pour une nouvelle nuit de travail.
—Holly, t’es là ?
Gyllian était ma colocataire, nous habitions à New York et malgré des revenus confortables, j’avais accepté qu’elle vive avec moi. Gy avait une peur panique d’être seule. Nous nous connaissions depuis l’enfance. Je connaissais tout d’elle et voulais la protéger, cette colocation a été une évidence.
Je savais que j’allais avoir le droit à ses anecdotes croustillantes sur son abruti de patron alors je souris et attendis avec impatience mon feuilleton du jour. Elle travaillait auprès d’un riche milliardaire au caractère pour le moins tyrannique. Parfois je l’entendais répondre à son téléphone en pleine nuit et revenir en larmes…
Elle s’accouda à l’encadrement de la porte, j’en profitais donc pour la détailler. J’étais vraiment peinée, à vingt-cinq ans, elle n’acceptait toujours pas son corps, ce qui lui donnait un style éteint. Des ballerines, un pantalon sombre accompagné d’un col roulé noir qui ne mettaient pas du tout en valeur ses formes généreuses. Elle avait même abandonné une partie de ses longs cheveux pour un carré qu’elle n’entretenait pas, tout ça sans aucun maquillage. C’était une personne en or que je ne savais plus comment convaincre de ses atouts et de ses qualités. Enfant, j’étais sous le charme de Gy, ses racines amérindiennes la rendaient magnifique. Je l’appelai Pocahontas, car sa mère la coiffait de deux tresses, la ressemblance était évidente.
Étrangement silencieuse, elle observait ma façon de me maquiller. Je me fis un regard émeraude charbonneux pour mettre en valeur mes yeux verts perçants puis j’allongeais mes cils avec un mascara noir. Mon teint était juste unifié, car il était naturellement halé, peu commun pour une peau de rousse, mais il faut dire que j’avais du temps à y consacrer. Je ne m’attelais pas à cacher ou camoufler ma multitude de taches de rousseur qui parsemaient mes pommettes.
—Rien à raconter ce soir ? m’étonnais-je en me tortillant pour m’habiller.
J’avais jeté mon dévolu sur une robe bustier qui mettait en valeur ma poitrine, pas forcément petite pas spécialement grosse, un entre-deux honnête dont je n’avais jamais eu à me plaindre.
Gyllian m’aida pour la fermer à l’arrière sans prononcer un mot, son visage restant paisible. Lorsqu’elle eut fini de boutonner chaque minuscule attache, ses mains enserrèrent mes épaules et elle observa mon reflet dans le miroir.
—Tu es magnifique.
—Merci beaucoup !
Elle enleva une mèche de cheveux de mon chignon flou qui me donnait un air sauvage. Je la remerciais et enfilais des boucles d’oreilles en forme de fleur. Des diamants blancs et des émeraudes se mêlaient avec beauté.
—Ouh, les boucles d’oreilles de Mister Generoso, s’extasie-t-elle avec un faux accent italien.
—Il s’avère qu’elles vont avec tout !
Je les caressais du bout des doigts, l’esprit ailleurs.
—À tes yeux surtout, petite maligne. Bon, je suppose que c’est le moment où je dois te dire que tu vas me voir un peu plus souvent parce que j’ai démissionné, ce soir. C’était trop épuisant et ce n’est pas une assistante qu’il faut à ce con, c’est un chien !
—Tu as bien fait. Il était trop envahissant et tu mérites mieux ! Tu as les qualifications pour être à des postes plus influents. Sans patron pour te dicter ce que tu as à faire.
—J’aimerais simplement être aussi libre que toi. Je veux dire, tu es belle, tu es demandée continuellement par des hommes, tu pratiques des sports géniaux dans lesquels tu excelles, tu as un dressing digne des plus grandes actrices, tu n’as jamais à t’inquiéter de l’argent. Il y a de quoi être jalouse… m’avoue-t-elle.
—Parce que tu crois que j’effectuerai ce travail toute ma vie ? La beauté, tout ça, c’est superficiel et fugace. Ensuite, je ne peux pas avoir un mec normal, c’est évident, car il arrive qu’avec certains clients ça aille plus loin, ça fait partie du job. Troisièmement, non des moindres, tu penses que ma mère serait fière de ce que je fais si elle l’apprenait ? Et je peux la comprendre. On attend de sa fille qu’elle soit avocate, styliste, sportive professionnelle, mais pas escorte-girl. Tu sais, je suis souvent accompagnée et aussi souvent seule, lui confessai-je.
Les larmes commencèrent à monter alors je forçais un sourire nerveux en tapotant mes paupières inférieures pour ne pas laisser couler mon maquillage. Je voulais lui dire que je devais y aller sinon je serais en retard, mais rien ne sortit. Je montrais donc du doigt la porte et enfilais une paire d’escarpins de marque française. Je m’enfuyais en vitesse de l’appartement telle Cendrillon, attrapais un taxi qui passait en bas de l’immeuble puis rejoignis ma soirée.
Une fois assise à l’intérieur du véhicule, je tendis le carton d’invitation au chauffeur en silence et il se dirigea vers l’adresse indiquée en lettre d’or. J’observais le paysage new-yorkais défiler sous mes yeux, j’allais retrouver toutes les semaines le fameux Mister Generoso. Gy l’appelait ainsi parce qu’en plus de mon enveloppe, j’avais toujours le droit à un cadeau. Son vrai nom était Robert Thiebault, un riche homme d’affaires de cinquante ans. Quand il a fait fortune, les invitations à des soirées de charités, comme celles où je suis conviée, des galas, des brunchs se sont multipliées… Or sa femme ne voulait rien avoir à faire avec cet univers. Elle préférait rester à la maison pour s’occuper de leurs deux filles et dépenser leur argent en alcool, fringues et autres meubles. Son épouse, il l’aimait, c’est pour cela que nous n’avions jamais eu de rapport sexuel. Il m’avait prévenu dès le début et n’était jamais revenu sur sa parole. Je servais de potiche en quelque sorte. Je le suivais à chaque nouvelle réception mondaine et faisais bonne figure à ses côtés. Il avait toujours été respectueux avec moi et ne manquait jamais de me présenter en tant que collaboratrice, ce qui n’était pas faux dans la théorie. Du coup, Robert réservait tous mes samedis soir. Deux de ses quatre rendez-vous, nous étions à des cocktails. Sinon, il voulait simplement profiter de ma compagnie. Parfois, je me préparais comme toujours et ne faisais que le regarder travailler. Ce sont des choses qui arrivent quand on désire tout gérer seul. Cependant, ça ne m’empêchait pas de passer un excellent moment en sa présence. Je me pavanais tranquillement dans son bureau avec un verre à la main, nous débattions, rigolions et je l’aidais pour certains dossiers. Malgré cette carrière discutable, j’avais fait des études de commerce brillantes dans une faculté prestigieuse.
Ce choix de métier avait bourgeonné dans mon esprit à la soirée d’anniversaire de mes vingt-deux ans. À partir de là, ce qui devait être seulement une année sabbatique s’était transformé en boulot à plein temps… C’était il y a trois ans. J’avais cherché un travail lambda pendant des mois, mais je n’intéressais personne, je n’avais pas le physique pour des responsabilités. On me l’avait dit : trouvez-vous un homme riche tant que vous êtes encore jeune et belle. J’ai également entendu : j’ai peut-être une place pour vous, si vous acceptez certaines conditions. Ces conditions étaient écrites dans mon contrat noir sur blanc, être payée moins cher et être prête à écarter les cuisses. Ce monde m’écœurait. Mon père m’avait bien proposé un poste dans son entreprise, que j’ai refusé pour me débrouiller toute seule. Usée par tous ces entretiens, j’avais fini par me dire que si personne ne voulait de mon intelligence, si leur unique convoitise était mon apparence alors je lui mettrais un prix.
Un soir, l’idée commençait à faire sa place dans mon esprit. Je détestais attirer les regards à tel point que j’en étais devenue inapprochable. Cependant, si c’était le seul moyen de rentrer au cœur de la fourmilière, je tenais à garder le contrôle.
Dans le métro, cette fois-là, une femme m’observait avec amusement. Dans la rame déserte, elle me lâcha :
—C’est dommage.
—Pardon ? répondis-je pensant avoir mal entendu.
Son expression devint plus sérieuse, les bras croisés, elle arborait un air renfrogné.
—Je peux m’asseoir à côté de toi ?
Je lui tapotais la place à mes côtés en guise d’invitation ne comprenant pas bien ce qu’elle voulait. Elle ne me faisait pas peur, car je ne craignais personne et c’était bien là tout le problème de ma vie.
—Tu peux m’appeler Noah.
—Et moi Holly.
À l’entente de mon prénom, un sourire en coin se dessina sur ses lèvres. Elle me proposa d’aller boire un verre, ce que j’acceptais. Pourquoi aurais-je refusé ?
Je me rendis vite compte qu’elle connaissait beaucoup de monde. Énormément de personnes la saluaient et elle ne m’avait pas menti, on l’appelait bien Noah. Une fois dans le bar, elle m’offrit à boire et je restais classique avec une bière. Je la laissais choisir où elle souhaitait s’asseoir et la suivit jusqu’à un coin reculé. J’étais bien loin des beaux quartiers, mais une chose en elle m’avait attiré. Et surtout une question qui était remontée à la surface. Peut-être que si j’étais aussi sauvage, c’est que je ne me tournais pas vers le bon sexe ? J’avais très bien compris qu’elle ne m’emmenait pas ici pour être mon amie.
—Si tu veux qu’on soit camarades, ne perds pas ton temps. J’ai assez d’amies.
Et sur ces mots, elle avait fondu sur ma bouche. Ça m’avait plu alors je ne l’ai pas arrêtée. Pour une fois dans ma vie, j’avais apprécié qu’on me touche, qu’on me caresse. Portée par l’envie et la curiosité, notre étreinte se poursuivit. Ce fut ma première fois et je m’en souvenais encore avec des papillons dans le ventre. La sensation de sa bouche contre la mienne, de ses mains qui semblaient soudain trop chaudes comparées à la température de mon corps. Il se trouve qu’elle avait tout prévu, car elle habitait au-dessus du bar où nous étions.
Elle me fit découvrir, ce que le partage charnel avait de plus beau à offrir. Grâce à elle, je compris que je n’avais pas besoin de ressentir des sentiments pour apprécier les mécanismes simples du désir, de l’excitation et de la luxure. Après l’orgasme, nous sommes tombées côte à côte, essoufflées, mais toutes les deux dans un autre monde.
—Tu n’es pas lesbienne, n’est-ce pas ?
—Est-ce que ça a une quelconque importance ? Je me sens… satisfaite et je suis contente d’avoir eu cette première fois avec toi. Tu as quelque chose qui m’intrigue dans le regard, une espèce de force et d’indépendance qui m’a immédiatement séduite.
Un petit rire s’échappa de ses lèvres tandis qu’elle m’embrassait comme pour me remercier.
—La prostitution a été libératrice pour moi.
Je me relevais sur le lit en lui demandant naïvement si je lui devais quelque chose. Elle rigola à nouveau puis sa main s’attarda sur mon buste.
—Je ne couche jamais par plaisir quand je travaille. Aucun client n’est là pour me distraire donc sur mon temps libre, je me trouve des partenaires féminines avec qui partager plus qu’une caresse à moitié bien faite, à moitié au bon endroit…
La décision d’avoir ma revanche fut prise à ce moment-là, au creux de ses bras. Ces hommes me veulent ? Alors ils n’auront qu’à se mettre à genoux et sortir un maximum d’argent. Pendant que moi, je connaîtrais toutes leurs failles et maintiendrais leurs ficelles entre mes doigts. Je n’ai jamais revu Noah, ni l’intérieur d’un métro et ne venais plus dans ce coin de la ville, mais elle avait été un de ces évènements importants de l’existence. Ceux qu’on ne peut pas louper et qui tissent la toile de notre destin.
Lucide sur le fait que je ne ferais pas ça toute ma vie, mon quotidien tel qu’il était désormais me plaisait. Aidée par une clientèle fidèle, mon salaire était devenu un poids dans la balance et un bandeau couvrant la réalité. En effet, les meilleurs mois, je me dégageais jusqu’à trente mille dollars à raison de mille dollars la soirée et deux cents dollars de l’heure. Aucun de ses blaireaux que j’avais rencontrés en entretien d’embauche ne pouvait rivaliser.
—On est arrivé Mademoiselle, m’informa le jeune conducteur de taxi en me reluquant.
—Gardez la monnaie.
Robert s’approcha du taxi et ouvrit la porte galamment en me tendant son autre main.
—Bonjour Mérida, comment vas-tu ?
Il avait un sourire jusqu’aux oreilles et la fierté que je voyais dans ses yeux était la raison même pour laquelle j’adorais mon travail. Il m’offrit son bras que je pris avec plaisir et lui déposais un baiser sur la joue.
—C’est encore un gala de charité, je suis désolé de t’imposer des soirées si ennuyeuses, m’avoua-t-il au creux de l’oreille.
Nous franchîmes la porte d’entrée d’un hôtel somptueux, tout le hall avait été réquisitionné pour l’occasion. Comme souvent, on faisait beaucoup trop attention à moi, j’avais le droit à des regards furtifs avant qu’ils se retournent tous avec insistance sur Robert qui gardait la tête haute. Avoir recours à une escorte de luxe était une pratique assez courante dans le milieu, mais c’était un secret bien préservé. Un serveur passa pour nous donner une coupe alors j’en tendis une à Robert et en pris une pour moi. Les femmes ce soir étaient toutes plus âgées que moi, botoxées, avec le cou rabougri qui les trahissait. Dommage, j’aimais bien retrouver des filles comme moi pour bavarder, car Robert me laissait souvent seule pour aller régler des contrats avec des invités présents. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il était très demandé. Il me présenta à un autre homme d’affaires et s’excusa pour aller s’entretenir en privé dans la foulée.
—Je sais ce que vous êtes, m’interpella une des convives.
—Vous m’en direz tant, cela dit je ne suis pas sûre d’avoir les qualités intellectuelles requises pour avoir une discussion à votre hauteur.
Elle sourit comme une pimbêche et partit en murmurant un mot que j’avais l’habitude d’entendre :
—Pute.
—Je crois qu’elle ne s’attendait pas à se faire envoyer gentiment sur les roses ainsi, rigola un inconnu derrière moi.
Il vint se placer face à moi puis s’accouda à la table haute avec nonchalance. Il était beau et ne devait pas avoir plus de trente ans ce qui était singulier dans ce genre de soirée. Je le détaillais sans vergogne avec curiosité, ses cheveux bruns étaient savamment coiffés sur le côté, malgré leurs longueurs, ils tenaient impeccablement bien la pose. Le reste de son visage était harmonieux, ses mâchoires carrées mettaient parfaitement en valeur ses lèvres charnues et ses arcades avancées lui conféraient un regard à la fois ténébreux et perçant. Il portait à merveille un costume trois-pièces en tweed gris avec une chemise blanche et une cravate rouge vif.
—A-t-elle raison ?
Je soupirais, but une gorgée de ce délicieux champagne avant de lui répondre.
—Vous essayez d’avoir le discours paternel moralisateur ? Parce que personne ne me force à être ici, je suis heureuse, peu importe l’appellation que vous me donnez. Je fais absolument ce que je veux de mon corps. Je me contente de louer ma jeunesse à ceux qui lui mettent un prix.
Il avait un sourire en coin qu’il ne lâchait jamais rendant son visage à la fois sarcastique et irrésistible. J’avais autant envie de lui clouer le bec que de l’embrasser ce qui n’était pas commun chez moi.
—Votre air condescendant me dit que vous faites partie de ceux qui considèrent. Ne soyez pas vexé, vous n’êtes pas le seul. C’est une entaille à la fierté de ne pas se sentir unique, je comprends. En réalité, il y a trois catégories de personnes, les juges comme vous, les opportunistes qui se demandent de quelle agence je viens et les orgueilleux qui pensent être capables de me séduire gratuitement. Alors, laissez-moi vous dire qu’avec un simple coup d’œil, j’en sais aussi suffisamment sur vous.
—Vous piquez ma curiosité, m’avoua-t-il à demi-mot avec cet air hautain.
—Je vais vous piquer tout court, à la fin de l’envoi, je touche. Vous n’avez vraisemblablement ni petite amie ni femme étant donné que, ça n’aura échappé à personne, vous êtes seul ce soir, mal rasé et votre cravate est légèrement défaite. Si vous aviez eu une femme, elle ne vous aurait jamais laissé sortir… ainsi. De plus, vous ne faites pas votre shopping. Ce costume en tweed vous va à merveille, mais le style anglais contemporain n’est pas dans vos habitudes. Une secrétaire avec de très bons goûts a certainement su que vous lui feriez magnifiquement honneur dans une griffe singulière., lui débitais-je sans sourciller.
Je jetai un coup d’œil sur la porte vers laquelle s’était engouffré Robert et j’eus le sentiment qu’il ne mettrait pas longtemps à arriver.
—De plus, vous m’avez démontré votre confiance en vous dès mon entrée. Quand j’ai remarqué votre regard appuyé, vous avez ouvert un bouton de votre veste comme pour me faire passer un message très clair. Vous avez ensuite fait mine de ne pas vous intéresser plus à moi jusqu’à ce que l’occasion se présente. Pour ne pas être trop présent, je suppose, et laisser un mystère, un attrait de votre part. Vous trouvez donc cette occasion puis vous faites semblant de me comprendre, de m’écouter et me faites volontairement parler telle une imbécile égocentrique. Sans se départir de cette posture nonchalante avec ce bras qui permet de croire à une proximité entre nous. Mais finalement vous êtes gauche, peu assuré et froid, après tout personne n’a daigné vous accompagner ce soir, même pas votre assistante dévouée.
Il ne dit pas un mot. Son sourire s’estompa une seconde avant qu’il ne reprenne contenance. Mes yeux roulèrent encore vers la porte d’où Robert apparut, bien plus près que je ne pensais.
—Vous êtes seul, lui assénais-je tout bas.
Robert arriva à ma hauteur, salua la personne qu’il connaissait mieux que moi et j’aperçus une carte s’échanger lors de leur poignée de main. Par déduction, je supposais que c’était celle de l’agence.
—Ne le sommes-nous pas tous ? me rétorqua-t-il, ébranlé, mais toujours aussi sûr de lui.
Nous étions en train de nous éloigner lorsque ses mots me parvinrent. Je me retournais, un peu déstabilisée avant de remettre à mon tour mon masque d’apparat et lui sourire. Cet échange resta figé dans mon esprit et me laissa sur ma faim. Il ne m’avait rien répondu après tout. D’habitude, on m’insultait, on partait, mais jamais personne ne m’avait affronté tout en encaissant chacun de mes coups. Pourtant, je n’y étais pas allée de main morte et il était rentré dans mon jeu tout de suite. Ce qu’il m’avait dit me perturbait plus que je ne l’aurais voulu. Mais qui pouvait-il être ? Peu importe, de toute manière, je n’étais pas là pour lui, mais pour l’homme qui tenait mon bras.
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Nous étions maintenant dans sa limousine et Robert me faisait des chatouilles en riant avec moi. Je me tortillais comme un saumon sur la rive quand il s’arrêta net. Son regard intense s’ancra au mien un long moment puis sa bouche s’approcha de la mienne. Toujours plus près, à tel point que je vis trouble puis mon cœur rata un battement. La seule chose que je pouvais voir, à présent, était ses lèvres à quelques centimètres des miennes. Mes paupières se faisaient de plus en plus lourdes, il aspirait toute ma force vitale. Je ne pouvais plus bouger, son corps surplombant le mien, une de ses mains remonta du bas de mes cuisses jusqu’en haut de mes flancs. Son pouce s’amusait à pratiquer un hors-piste qui laissait des frissons le long de mon épine dorsale. Il ne m’avait jamais touché comme ça… Et je ne parvenais pas à aligner une pensée cohérente.
—Nous sommes arrivés, Monsieur.
Je lus dans ses yeux la raison que lui avait rappelée le chauffeur et sa main désormais tout près de mes seins se posa sur ma bouche puis il embrassa ma joue avec délicatesse.
—Vous la raccompagnerez chez elle, Jerry, lui ordonna-t-il d’un ton qui se voulait autoritaire, mais fort essoufflé.
Peu de clients avaient le privilège de savoir où j’habitais, lui avait insisté pour ne pas me laisser seule et je lui avais fait confiance. Je le gratifiais d’un sourire reprenant peu à peu mes esprits. Je me recoiffais rapidement et me rassis décemment dans la voiture.
—À la… commença Robert.
Surprise qu’il s’arrête au début de sa phrase, je me retournais machinalement dans sa direction, Robert était figé au milieu de sa descente du véhicule. Il se rassit comme assommé et mon regard suivit le sien jusqu’à la fenêtre de sa maison. Sa femme, le visage écrasé contre la vitre du salon, nue, était en train de se faire, je crois qu’on peut le dire, en tout cas, je l’ai pensé… plaisir en heureuse compagnie. J’étais encore bouche bée quand je vis ses épaules trembler, il était secoué de violents spasmes.
—Je n’ai pas les mots à part que tu ne mérites pas ça. Maintenant si je peux te prodiguer un conseil ou deux. Ne fais rien de stupide et prends des photos, un divorce au tort exclusif avec des… preuves aussi flagrantes sera vite réglé et sans perte pour toi…
—Merci… Pour tout… Ton enveloppe est dans la poche du siège en face de toi…
Et sur ces mots, il descendit de la voiture sans se retourner.
Malgré l’heure tardive, nous étions, Gy et moi, sur le canapé du salon à discuter de ce qui venait de se passer.
—Je n’en reviens pas quand même, c’est lunaire… Au fait, j’ai commandé une pizza on partage ?
—Avec plaisir ! Mais tu ne vas pas te coucher il est presque trois heures ?
—Hors de question ! C’est ma première soirée de libre en deux ans alors j’en profite ! s’exclama-t-elle.
—Deux ans déjà… Waouh, je ne sais pas comment tu as fait sérieusement… D’ailleurs, tu veux venir avec moi demain ? J’ai un cours de yoga à dix heures et demie, ça dure deux heures, c’est tranquille.
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Le lendemain, après ce qui se rapprochait plus d’une longue sieste que d’une nuit reposante, je m’éveillais. Habituée à un mode de vie d’oiseau nocturne, mon corps s’était accoutumé : au sommeil entrecoupé, aux hôtels, à la sensation de partager son lit. On s’y fait.
Gy, elle, était mon opposé. Il lui fallait douze heures d’un sommeil paisible et sobre pour fonctionner. Je ne fus donc pas surprise de ne pas la voir dans le salon à mon retour de la salle de bain.
—Je prends mon petit-déj et j’y vais La Belle au bois dormant ! criai-je à travers sa porte.
Je me dirigeai ensuite vers la cuisine pour faire mon petit déjeuner en vitesse. Je mis dans un bol du fromage blanc, un kiwi coupé, des flocons d’avoine et un peu de sirop d’érable, mon péché mignon. Malgré avoir pris mon temps tant dans la préparation que la dégustation, j’allais partir quand des bruits venant de sa chambre me firent soupirer de soulagement. Amen. Devant la porte de l’entrée, prête, je ne pouvais plus que l’attendre.
Mon agenda changeait souvent, mais des choses restaient immuables. Les lundis, jeudis et dimanches, c’était yoga à dix heures et demie. Les mardis et samedis à quinze heures, je me consacrais à mes leçons de danse classique. Et enfin, les mercredis et vendredis à quelque chose d’un peu plus spécial...
—J’espère qu’il est tranquille ton cours parce que je suis crevée, grogna-t-elle le visage blafard et les yeux à demi ouverts.
—Gy, ton teint est digne des plus belles statues de marbre, c’est sincère. La même approximation au niveau des expressions.
—Va chier ! rétorqua-t-elle en attrapant une paire de lunettes de soleil.
La taquiner était de loin ma façon préférée de lui montrer mon affection.
—Loin de moi l’idée de vouloir t’empêcher de ressembler à Lindsay Lohan2 dans sa période peace and drogue, mais tes lunettes ne vont pas te servir à grand-chose au yoga, darling !
—Tu parles ce n’est pas la posture de l’arbre qui va me les faire enlever ! répliqua-t-elle.
—Ah parce que tu crois qu’on fait que ça ?
—Bah ouais, non ?
—Mais ouais ! lui assurais-je pour ne pas la voir fuir.
—Non, putain tu m’emmènes où au juste ?
Je l’intimais de me suivre et elle ne fit que se plaindre de toute la route parce que : je ne l’ai prévenu de rien et c’est un kidnapping c’est scandaleux blablabla, et je vais mourir, si c’est possible de mourir d’effort sportif !
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Comme je m’en doutais, elle survécut, non sans râler, ce qui fit de nous les élèves les plus dissipés de la matinée. Dans les vestiaires, désormais bien réveillée et à même d’avoir une conversation, elle hurla à travers la paroi des douches :
— Je pense que je vais reprendre mon boulot de journaliste !
L’entendre crier me faisait rire, alors je répondis en gueulant aussi :
— C’est vrai que tu étais journaliste, pourquoi as-tu arrêté pour devenir la secrétaire de ce tocard ?
—La thune. Il payait deux fois mieux, plus régulièrement, et j’avais une putain de mutuelle. Ce qui n’était pas marqué sur le contrat, c’est que je serais en fait une dogsitter3 et encore je suis sûre qu’un chien réclame moins d’attention.
Je ris sous l’eau en m’étouffant presque puis sortis et me rhabillais.
—On va manger ? Il est midi, j’ai faim ! lui criai-je devant sa cabine.
Gy approuva, se dépêcha de me rejoindre et se préparer à son tour. Nous jetâmes notre dévolu sur un restaurant de sushi à volonté pas loin. Gy se plaignant d’avoir mal partout, au moins là, la nourriture venait directement à elle.
—Demain, on bouge ! Va falloir t’y faire, tu ne peux plus me le refuser maintenant, lui assurai-je avec un sourire.
—Un peu qu’on sort, c’est ton anniversaire ! Je n’ai pas oublié si tu crois y échapper, tu te trompes !
—Ce n’est vraiment pas la peine. On les célèbre trop les anniversaires. Je t’assure l’an dernier c’était cool ça suffit, il compte pour cette année aussi !
—Ahah ! Compte dessus et bois de l’eau, ma vieille ! On ne dit pas ton âge, si tu veux, mais on fête la naissance de ma meilleure amie. J’ai l’habitude maintenant de ta démotivation complète à fêter tes anniversaires.
Mon expression dégoutée la fit rire aux éclats. C’un fait, je n’ai jamais aimé célébrer mes anniversaires. Aussi loin que je me souvienne, ils n’étaient que des jours quelconques. Personne n’est à blâmer ni mes parents ni mes frères jumeaux. Ni moi.
Je ne sais pas, je n’ai jamais compris pourquoi c’était une joie de souffler sur un gâteau pour espérer qu’un rêve se réalise alors qu’on pige tous que cela n’arrivera pas. Et attention la première règle et de loin la plus monstrueuse, ça ne fonctionne qu’une fois par an à une date précise chaque année. Ou du moins c’est censé marcher.
—Tu peux souhaiter tout ce que tu veux ! me disait ma mère.
Je vous assure que le chat ne s’est jamais transformé en panthère rose, le chien en Stitch et je n’ai jamais pu entendre ne serait-ce qu’une chanson d’Elvis sortir de sa bouche. Triste vie.
—On va au Bar ? me proposa Gy.
—Non on va plutôt au Wallaby’s !
—Toi, t’as une idée derrière la tête, je me trompe… ?
—Oui un gentil garçon… Pour toi ! lui répondis-je un grand sourire aux lèvres.
Elle referma la bouche immédiatement et s’enfourna deux sushis en même temps, en bafouillant des mots incompréhensibles.
Le Bar était notre safe place à Gy et moi. L’entrée, réservée à une clientèle féminine était farouchement gardée. Nous avions besoin d’un endroit où les tentations et les déceptions n’existaient pas.
—Et pourquoi pas pour toi ?
Je me mis à rire, Gy resta de marbre à côté de moi.
—Tu sais pourquoi.
—Mais pourquoi c’est ça que je ne comprends pas !
—Gy sérieusement ! Et je lui dis quoi à ce gentil garçon ? Ah désolée ce soir je t’abandonne, je suis avec un client en plus il a payé pour la nuit donc m’attends pas !
—Non ça j’entends, ce que je ne conçois pas, c’est que tu ne le fasses que dans le cadre de ton travail. Depuis que tu as commencé, tu ne couches que pour l’argent, tu as le droit de te faire plaisir aussi ! Tu te choisis un mec dans un bar ce qui ne va pas être difficile, un mignon et sympa, je te conseille les Portoricains ce sont des amours avec les femmes et tu fonces, laisse-toi aller un peu !
—Non.
—Franchement t’es grave. Si c’est l’appart qui te gêne, tu t’incrustes chez lui et basta ! Parce que ce n’est pas moi que ça va déranger, m’affirma -t-elle.
—Je ne vois pas pourquoi tu insistes Gy, ça ne m’intéresse pas, c’est tout.
—Je vous ressers un peu de vin ? proposa la serveuse interrompant Gy dans sa réplique.
Elle est infatigable, c’est dingue. Si je dois avoir cette conversation, je pense qu’un verre ne me suffira pas.
—Oui, je vous remercie. Ne vous embêtez pas, laissez la bouteille.
La serveuse me regarda en biais avant de hausser les épaules et partit sans emporter le vin.
—Un peu plus et je pourrais croire que tu es asexuée, s’exclama-t-elle.
—C’est vrai ça, Gy et j’aurais effectivement choisis le métier idéal, dis-moi !
—Arrête de te cacher derrière tes sarcasmes et réponds-moi, Holly. Sois honnête !
Je soufflais, la tête entre mes mains. J’avais envie de m’enfuir, de partir en courant, pour ne pas avoir à subir cette conversation à nouveau. Mais j’étais bloquée dans ce restaurant. Si je choisissais de battre en retraite, elle me suivrait et continuerait de m’en parler. Gy a toujours détesté que j’aie des mystères pour elle sans comprendre qu’elle piétine mon espace vital, mon jardin secret et que je suis impuissante. Je terminais mon verre d’une traite puis un autre.
—Écoute je… Il y a des choses dont je n’ai pas envie de discuter dans un restaurant et ce sujet en fait partie, finis-je par lâcher.
Un échange houleux s’ensuivit et à bout, elle quitta la table et rejoindre la caisse comme toujours.
Bon sang ! Je restais un moment autour de mon verre, pensive. Ce n’était pas la première fois que nous avions cette conversation et qu’elle se clôturait de cette façon. Gyllian avait besoin de communiquer, tout savoir pour comprendre et régler n’importe quel problème. Tandis que poussée dans mes retranchements, je me murais dans le silence.
Après la bouteille finie, triste et seule, j’attrapais un taxi pour rejoindre la maison. Il m’était nécessaire de réfléchir à la réponse dérangeante que notre dispute faisait remonter. La sonnerie de mon portable interrompit cette introspection surprise.
—Yo, crevette ! C’est Dex, nan je déconne, c’est Clay ! Maman et Papa t’invitent pour ton anniversaire mardi midi à la maison.
—Je te remercie Dexter, je sais encore reconnaître la voix de mon frère au téléphone, jumeau ou pas.
—Rho avec Papa ça marche toujours ! m’avoua-t-il avec déception.
—À mardi, Dex.
—Attends ! Tu fais quoi demain, tu soooors ?
—Je t’en pose des questions… ? Oui je sors.
—Alors elle soooooort ? entendit-je dans le fond.
—Tu peux mettre en haut-parleur si Clay est si curieux ! m’exclamai-je.
—Tu comprends, on sait comment on se comporte avec les filles et on ne veut pas que tu tombes sur des connards comme nous.
—Ne vous inquiétez pas pour moi les gars, je ne sors pas pour ça, mais pour faire plaisir à Gyllian.
—Ah ouais, bon ça va alors. Mais du coup, on se passera de venir, s’excusa-t-il.
—C’est sûr que si Clay n’avait pas couché avec elle pour le lendemain prétendre que c’était toi Dex comme un gros lâche, on ne serait pas dans cette situation délicate, l’accusai-je.
—Oui bah ça va aussi ! J’ai un faible pour les gros seins ce n’est pas ma faute. En plus comme c’était ta copine, c’était presque tout cuit.
—Tu es vraiment un sale con, Clay, l’insultai-je.
—Méchant Clay, l’inculpa Dexter, ce qui les fit éclater de rire, évidemment.
J’avais l’impression que le fait qu’ils soient jumeaux ralentissait leur développement mental.
—Bon on se voit mardi, les nazes !
—Ouais, salut crevette ! Et on se retrouve frais et futé !
Et leur hilarité résonna à nouveau tandis que je raccrochais. Ce n’est pas possible d’être aussi idiot.
Lorsque je passais la porte de l’appartement, il devait être aux alentours de quinze heures. Après avoir cherché Gy dans toutes les pièces, je me laissais tomber dans le canapé. Le bras lascivement posé sur mon visage, notre dispute tournant en boucle dans mon esprit. J’avais les réponses à toutes ses questions, mais je ne me sentais pas capable de les partager avec quiconque.
Ma rencontre avec Noah, il y a quatre ans, a été déterminante pour les décisions que j’ai ensuite prises.
Déjà, je ne voulais pas tomber amoureuse ni m’attacher à qui que ce soit, ce serait trop dur et je ne m’estimais pas encore prête à arrêter mon métier. Il n’était pas non plus question de me laisser aller à nouveau et de partager un bout de mon être avec quelqu’un. Parce qu’il ne faut pas se leurrer quand un client paye pour mes services, il ne paye pas pour mon plaisir, mais le sien. Noah avait raison. Alors je craignais de prendre disons, l’habitude de mettre mon âme à nu et ça, je savais que ça me tuerait. Parce que ça réveillerait des émotions que je refoulais en grande partie derrière ce masque froid, comme le dégout, l’impression de se sentir sale et souillée, de n’être qu’un objet utilisé et abandonné.
En toute honnêteté, j’apprenais à connaître mes clients, mais je les désirais rarement pour autant. En toute logique, comme ma vie professionnelle était régie par tout un tas de règles, ma vie privée n’y échappait pas. Aucun prétendant ne foulait le seuil de mon appartement, je ne me permettais aucune distraction à part celle de jeter les mecs à la manière du beau millionnaire d’hier. C’était plus facile d’être payée pour ça, que d’accepter de se faire briser le cœur gratuitement par un lâche.
Si je m’autorisais l’amour, pourrais-je m’en relever ? Il me demanderait probablement de faire un choix, que je n’étais pas prête à faire aujourd’hui, car j’en connaissais l’issue. Ce serait mon travail, c’était une évidence. Aussi fou que cela puisse paraître, j’avais mes habitudes, mon agenda, mes clients, mon salaire plus que confortable, du temps pour faire tout ce que je voulais ! Et surtout à travers certains rendez-vous, c’était mon égo que je nourrissais. Comme on me sélectionnait, qu’on me désirait, je n’avais plus qu’à me délecter de les voir se consumer. J’y prenais un plaisir superficiel et égoïste. Au final, peu importait comment se déroulait notre tête-à-tête, c’était généralement eux les perdants. Une manière de regagner le pouvoir, ainsi il me semblait avoir un contrôle sur ma vie et mon agenda. Toujours était-il que je ne voulais pas en parler à voix haute et choisissais de continuer mon existence normalement. Quatre ans bientôt que je faisais ça dans le secret le plus total. Seule Gy était au courant. Nos amis, nos familles, n’en savaient rien et c’était bien mieux comme ça.
Heureusement l’heure de mon rendez-vous approcha et je partis me préparer. Ce soir, j’allais rencontrer un hindou un peu plus jeune que moi. L’idée d’avoir un rencard et avec quelqu’un de ma génération m’avait séduite. C’était rare d’avoir des propositions aussi simples. Il m’avait payé pour m’introduire à ses parents et la nuit entière. Il ne voulait plus qu’ils s’immiscent dans sa vie privée tumultueuse et espérait que me présenter calmerait au moins un temps, leurs ardeurs de mariage arrangé. Je ne l’avais encore jamais vu, mais l’agence m’avait fait un topo il y a quelques jours. Il ne désirait en aucun cas que je me force à imiter une culture qui n’était pas la mienne et souhaitait juste… moi. Malheureusement, moi, je n’étais jamais là.
C’est Mérida au travail.
J’ouvrais ma penderie afin de me faire une idée sur ce que je pourrais porter. En premier lieu, le code vestimentaire devait être jeune et simple donc on oubliait les couleurs dominantes tel le rouge, le noir ou le vert émeraude. Il me fallait quelque chose qui fasse fifille à sa Maman, on évitait donc le cuir, les longueurs et le trop près du corps. Ce qui nous laissait finalement… le tulle ? Mes choix s’amenuisaient au fur et à mesure de mes éliminations pour ne garder qu’une robe qui m’apparut comme parfaite. D’un bleu pastel avec un bustier en dentelle, elle laissait choir à mi-taille, un magnifique tulle qui retombait élégamment et sagement sur mes genoux. Pour les dessous, c’était autre chose. Je sélectionnais un body rouge tout en transparence avec des motifs en velours. Aucune règle ne s’appliquait pour les sous-vêtements. Une fois que tout était prêt, je me fis couler un bain chaud avec une bombe et un bouquin pour me détendre. J’adorais sentir bon avant un rendez-vous, je me délectais de ce moment où ils posaient leur nez sur ma peau et que je les entendais inspirer profondément. Ça devait faire une petite demi-heure que je mijotais gentiment dans ma baignoire quand la porte d’entrée claqua, puis des pas venir jusqu’à moi et enfin la voix de mon amie de l’autre côté de la porte.
—Holly… Je suis désolée. Je n’aurais pas dû insister… Je… Si tu ne désires pas en parler… Mais tu sais, j’aimerais juste piger pourquoi tu fais tout ça. Je ne peux pas croire que ce soit purement superficiel. Tu n’étais pas comme ça avant et je souhaiterais comprendre ce qui t’a amenée à faire ça et ce que tu ressens vraiment. Qu’on se parle, quoi…
—Il y a des choses que je désire garder pour moi Gy. Le fait qu’on soit meilleures amies et qu’on habite ensemble ne veut pas dire que je te dois des explications. J’ai préservé ton intimité en n’ayant jamais mêlé mon travail à notre quotidien. J’aimerais que tu respectes ça et mon métier commence à partir du moment où je passe la porte d’entrée.
—Mais j’ai l’impression que tu dissocies complètement ton job comme tu dis, de ta vie alors que ça en fait partie et ça, je ne comprends pas. Je n’arrive pas à cerner où ça coince pour toi. Tu as tout pour toi littéralement Holly, est-ce que tu t’en rends compte, au moins ? La terre entière est à tes pieds et pourtant tu es toujours aussi peu approchable.
—Écoute Gy… Il n’y a rien à comprendre. Tu ne fais pas un sujet sur moi que je sache, alors laisse-moi vivre, s’il te plaît…
Elle soupira de l’autre côté de la porte et me demanda si la tenue que j’avais accrochée dessus était pour ce soir. Je lui répondis par l’affirmative puis elle souffla à nouveau.
—Le rouge jure avec le bleu pur.
Je souris avant de plonger ma tête dans l’eau. Là résidait toute la finesse de mon expertise. La robe était pour ses parents et les dessous pour mon client. Donc c’est exactement ce que je voulais : que ça jure.
Le repas avec la famille de Kamal se passa très bien. J’ignorais si sa mère était convaincue en tout cas, son père était subjugué. Il avait plusieurs fois répété à sa femme qu’il fallait qu’ils viennent plus souvent aux États-Unis. Tu m’étonnes, s’il idéalise New York par rapport à la relation de son fils… Il va vite redescendre sur Terre. Ou alors peut-être que comme lui, il pourrait mettre un prix sur la compagnie d’une personne. Kamal avait insisté pour me payer l’hôtel, il ne voulait pas m’emmener dans sa collocation avec ses amis geeks. Je n’y voyais pas d’objection, au contraire, je serais sûre de la propreté des lieux et de la qualité des produits d’hygiènes.