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-Un coup de feu : Dans une garnison militaire d'un bourg de Russie, Silvio, un ancien militaire, partage les fêtes des officiers. Bizarrement il refuse de se battre en duel bien qu'il ait été offensé. Il explique à un jeune homme qu'il a en sympathie, qu'il a un duel en cours commencé il y a six ans et que l'heure est bientôt venue de le terminer. Cinq ans plus tard, ce jeune apprend la fin de l'histoire. -Le faiseur de cercueils : Antoine Prokorof est faiseur de cercueils. Un jour qu'il boit plus que de raison, il porte un toast aux morts, mais personne ne le suit. Vexé, il invite les morts à souper à minuit le lendemain soir et s'endort. Quelle n'est pas sa surprise quand, minuit venu, tous les morts viennent chez lui pour souper... -L'armoire d'acajou : Bataille, aide de camp du prince Eugène, n'a pas de mal à séduire la belle Eudoxie de Saint-Estève qui, peu farouche, lui propose de venir souper chez elle. Alors que la belle est en train de se changer, Bataille est intrigué par une immense armoire d'acajou dont la rusticité jure avec le raffinement des autres meubles. Il s'en approche et découvre horrifié que du sang frais s'en échappe goutte à goutte. -Le dévouement des pauvres : Jane, jeune fille pauvre de 20 ans, vient sonner à la porte d'Alexandre Dumas et le supplie de jouer de ses relations pour éviter à son jeune frère la conscription. Sans grande conviction, Dumas lui donne une lettre pour le ministre de la Guerre. Le lendemain, la jeune fille revient et raconte à Dumas que le ministre l'a correctement reçue mais elle pense qu'il l'oubliera si Dumas lui-même n'intervient pas...
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Seitenzahl: 133
Veröffentlichungsjahr: 2019
Nous étions dans un petit bourg. La vie d’un officier de ligne est connue : le matin, il y a exercice, manège, dîner chez le chef du régiment, ou bien dans une auberge juive ; le soir, le bol de punch et les cartes. Dans ce bourg, il n’y avait pas une seule maison qui reçût, pas un soupçon de promises. Nous nous rassemblions les uns chez les autres, où nous ne voyions que nos uniformes à nous.
Un seul individu non militaire appartenait à notre société. C’était un homme de trente-cinq ans, à peu près ; c’est pourquoi nous le tenions pour un vétéran. Son expérience lui donnait parmi nous une certaine autorité, de même que sa tristesse habituelle, son caractère âpre, sa langue envenimée avaient une grande influence sur nos jeunes esprits. Quelque chose de mystérieux environnait son existence ; il avait l’air d’être Russe, et cependant il portait un nom étranger. Autrefois, il avait servi dans les hussards, et même très heureusement ; personne n’a jamais connu la cause qui lui avait fait quitter le service et s’installer dans un misérable bourg, où il menait une vie à la fois triste et coûteuse. Il sortait toujours à pied, quelque temps qu’il fit. Il était habillé d’un vieux surtout noir. Il tenait table ouverte pour tous les officiers du régiment : il est vrai que son dîner ne consistait qu’en deux ou trois plats préparés par un vieux soldat en retraite ; mais, en revanche, le Champagne ne tarissait pas.
Nul ne connaissait ni ses moyens ni ses ressources, et personne n’osait l’interroger là-dessus. Sa bibliothèque consistait, en grande partie, en livres militaires et en romans, qu’il prêtait volontiers, sans jamais les réclamer lorsqu’on oubliait de les lui rendre. Il faut dire que, de son côté, il ne rendait jamais les livres qu’on lui prêtait. Sa principale occupation était le tir au pistolet ; les murs de ses chambres, criblés de balles, étaient remplis de trous comme des ruches d’abeilles. Une riche collection de pistolets était le seul luxe de la bicoque qu’il occupait ; la perfection avec laquelle il maniait le pistolet était telle, que, s’il eût proposé à un des officiers de notre régiment d’abattre une poire posée sur sa casquette, celui-ci eût accepté sans hésitation.
Souvent, dans nos causeries, nous parlions duel : Sylvio – c’est ainsi que je le nommerai – ne prenait jamais part à ces sortes de conversations. Si par hasard on lui demandait : « Vous êtes-vous jamais battu ? » il vous répondait avec aigreur un oui bien sec ; mais jamais il ne donnait de détails sur ses duels, et l’on voyait que ces questions lui étaient on ne peut plus désagréables.
Nous étions persuadés que sa conscience lui reprochait une victime de l’art fatal dans lequel il eut pu être professeur. Au reste, il ne nous était jamais venu en tête de le soupçonner de poltronnerie. Il y a, d’ailleurs, des hommes dont l’extérieur seul éloigne tout soupçon de ce genre. Une aventure survint qui nous étonna tous.
Une fois, dix de nos camarades dînaient chez Sylvio ; on buvait comme à l’ordinaire, énormément. Après dîner, nous suppliâmes le maître de la maison de nous tailler une banque. Il refusa ; rarement il jouait. Néanmoins, poussé à bout par nos instances, il fit donner les cartes, et, après avoir jeté sur la table une cinquantaine de ducats, il commença de tailler. Nous nous groupâmes autour de la table, et le jeu commença. Comme d’habitude, il gardait un profond silence, ne disputait jamais, et jamais n’avait d’explication. Si le ponteur par hasard se trompait, alors il payait ce qui manquait ; si l’erreur avait lieu en sa faveur, il inscrivait.
Nous savions déjà cela depuis longtemps, et nous ne l’empêchions jamais de faire à sa fantaisie ; mais, parmi nous, ce jour-là, se trouvait un officier arrivé depuis peu au régiment ; jouant avec distraction, il plia un paroli ; Sylvio prit la craie et, selon son système, il inscrivit. L’officier, croyant qu’il s’était trompé, voulut avoir une explication ; Sylvio, sans faire attention à la chose, continuait de tailler. L’officier, perdant alors patience, saisit la brosse, et effaça ce qui lui paraissait inscrit en trop. Alors Sylvio prit la craie et refit les chiffres. L’officier, excité par le vin, le jeu et le rire des camarades, se crut grièvement offensé, et, dans un mouvement de colère, il prit un candélabre et le jeta à la tête de Sylvio, qui, par bonheur, évita le coup.
Nous étions tous confus.
Sylvio se leva, pâle de colère et les yeux flamboyants.
– Monsieur, sortez, je vous prie, lui dit-il, et remerciez Dieu que cela soit arrivé dans ma maison.
Nous n’eûmes aucun doute sur les suites de cette agression, et nous regardâmes d’avance notre ami comme tué. L’officier sortit en disant qu’ayant insulté Sylvio, il était prêt à lui donner telle satisfaction qui lui conviendrait.
Nous continuâmes à jouer quelques minutes encore ; mais, comme nous vîmes que le maître de la maison n’avait plus l’esprit au jeu, nous rentrâmes dans nos logements, en parlant de la prochaine vacance qui ne pouvait manquer d’avoir lieu dans le régiment.
Le lendemain, en nous revoyant au manège, nous nous demandâmes si le pauvre lieutenant était encore de ce monde. En ce moment même, il arriva.
Nous lui fîmes la même question ; mais, à notre grand étonnement, il nous répondit que, jusqu’à cette heure, il n’avait pas entendu parler de Sylvio.
Nous allâmes alors chez Sylvio ; nous le trouvâmes dans la cour, le pistolet à la main, et mettant balle sur balle dans un as collé contre la porte cochère.
Il nous reçut avec le même visage que d’habitude, ne soufflant mot de l’événement de la veille.
Trois jours se passèrent, le lieutenant était toujours vivant.
Nous nous demandâmes si Sylvio ne se battrait point ; Sylvio ne se battit point.
Il se contenta d’une légère explication et fit la paix.
Cela lui nuisit fort dans l’esprit des jeunes gens. Le manque de courage est la chose qui se pardonne le moins dans le premier âge de la vie, où la bravoure semble le nec plus ultra des vertus humaines et l’excuse de tous les vices.
Cependant tout s’oublia peu à peu, et Sylvio reconquit son influence sur nous.
Moi seul, je ne pouvais prendre sur moi de me rapprocher de lui : ayant naturellement l’imagination romanesque, j’étais le plus attaché à cet homme, dont la vie était une énigme, et qui m’apparaissait comme le héros de quelque roman mystérieux. Il m’aimait, ou, s’il ne m’aimait pas, du moins avec moi seul laissait-il de côté ses sarcasmes habituels, parlant de toutes choses avec franchise, simplicité et agrément. Mais, après cette malheureuse soirée, la pensée de la tache faite à son honneur, tache qu’il n’avait pas voulu laver, ne me quittait plus et m’empêchait d’être pour lui le même qu’auparavant : il m’était impossible de le regarder en face.
Sylvio était trop pénétrant et trop expérimenté pour ne pas remarquer ma froideur et ne pas en deviner la cause ; il me parut s’en affliger : au moins, je remarquai que deux ou trois fois il avait eu le désir de s’expliquer avec moi. Mais j’y répugnais, et Sylvio renonça à l’explication.
Depuis ce temps, je ne le revis qu’en présence de nos camarades, et nos conversations intimes cessèrent.
Les habitants des villes ne comprennent pas ces sensations si bien connues des habitants des bourgs et des villages, comme, par exemple, l’arrivée de la poste. Les mardis et les vendredis, la chancellerie de notre régiment était pleine d’officiers : l’un attendait de l’argent, l’autre des journaux, l’autre des lettres : les paquets, d’habitude, s’ouvraient à l’instant même, les nouvelles circulaient, et la chancellerie présentait un tableau des plus animés.
Sylvio recevait ses lettres par la voie de notre chancellerie, et y venait aussi les jours d’arrivée. Une fois, on lui présenta un paquet dont il arracha le cachet avec les marques d’une vive impatience.
En parcourant la lettre, ses yeux lançaient des éclairs ; mais, comme chacun était occupé de ses propres affaires, personne n’y fit attention.
– Messieurs, dit Sylvio, la situation de mes affaires demande que je parte immédiatement. Je pars donc la nuit prochaine, et j’espère que vous ne me refuserez pas de dîner avec moi pour la dernière fois. Je vous attends, vous aussi, et vous attends absolument, dit-il en s’adressant à moi.
En disant ces mots, il sortit précipitamment, et nous, de notre côté, nous nous retirâmes en nous disant que nous nous rendrions à son invitation.
J’arrivai chez Sylvio à l’heure indiquée, et j’y trouvai presque tout le régiment : ses effets et même ses meubles étaient déjà emballés, et il ne restait que les murs criblés de balles.
Nous nous mîmes à table. Le maître de la maison était de joyeuse humeur, et bientôt sa gaieté nous gagna tous : les bouchons sautaient, les verres se remplissaient, et nous souhaitions, du plus profond de notre cœur, bon voyage à celui qui partait.
Il était tard lorsque nous sortîmes de table ; on commençait à se retirer, Sylvio prenait congé de tout le monde, et, au moment où j’allais faire comme les autres, il me dit tout bas :
– J’ai besoin de vous parler.
Je restai.
Lorsque tout le monde se fut retiré, nous demeurâmes en tête-à-tête, et, au milieu du plus profond silence, nous commençâmes à tirer force fumée de nos chibouques.
Sylvio était préoccupé ; il ne lui restait pas trace de sa gaieté nerveuse. Une pâleur livide, des yeux étincelants, des nuages de fumée qui lui sortaient de la bouche, lui donnaient l’air d’un démon.
Plusieurs minutes s’écoulèrent ; Sylvio rompit le silence.
– Peut-être ne nous reverrons-nous jamais, me dit-il. Avant mon départ, je voudrais avoir une explication avec vous. Peut-être avez-vous remarqué que je m’occupe fort peu de l’opinion que les autres peuvent avoir de moi ; mais vous, je vous aime, et je sens qu’il me serait pénible de vous laisser dans l’esprit une mauvaise opinion de moi.
Il s’arrêta, et commença à bourrer de nouveau sa pipe. Je me taisais et restais les yeux baissés.
– Cela vous a paru étrange, n’est-ce pas, continua-t-il, que je ne demandasse point réparation à ce stupide ivrogne qui m’avait jeté un candélabre à la tête ? Vous comprenez bien qu’ayant le choix des armes et le droit de tirer le premier, sa vie était dans mes mains, tandis que la mienne ne courait pas grand risque... Je pourrais mettre ma modération sur le compte de ma grandeur d’âme ; mais je ne veux pas mentir : si j’eusse pu le punir sans risquer ma vie, je ne lui eusse point pardonné.
Je regardai Sylvio avec stupéfaction ; un tel aveu me cassait les bras. Sylvio continua.
– Oui, c’est vrai ; je n’ai pas le droit de risquer ma vie. Il y a six ans que j’ai reçu un soufflet, et celui qui me l’a donné est encore vivant.
Ma curiosité était excitée au plus haut degré.
– Ne vous êtes-vous donc point battu ? lui demandai-je. La situation de vos affaires vous aura sans doute éloignés l’un de l’autre ?
– Je me suis battu, répondit Sylvio, et voici la preuve de notre duel.
Il se leva, et tira d’un carton à chapeau un bonnet de police ; il le mit sur sa tête : il était troué d’une balle à un pouce du front.
– Vous savez, reprit Sylvio, que j’ai servi dans le régiment de hussards de... Mon caractère vous est connu, je suis habitué à être le premier partout. Dans ma jeunesse, ce fut pour moi un irrésistible besoin : de mon temps, il était de mode d’être tapageur, j’étais le premier tapageur de toute l’armée. Nous applaudissions au plus intrépide buveur, j’ai bu plus que le célèbre P..., qui a été chanté par D... Les duels dans notre régiment étaient plus que quotidiens : dans tous les duels, ou j’étais témoin, ou j’étais acteur. Les camarades m’adoraient, et les commandants, qui à chaque moment étaient changés, me regardaient comme un mal incurable attaché au régiment.
» Je me reposais sur mes lauriers, lorsqu’un jeune homme, riche et d’une illustre famille, permettez-moi de taire son nom, entra dans notre régiment. De ma vie, je ne vis homme plus heureux. Figurez-vous la jeunesse, l’esprit, la beauté, la gaieté folle, la bravoure insouciante, une bourse intarissable, et, de plus, le grand nom qu’il portait ; vous devinez la place qu’il pouvait prendre parmi nous.
» Ma royauté chancelait. En entendant beaucoup parler de moi, il commença de rechercher mon amitié ; je le reçus froidement, il s’éloigna avec indifférence. Je le pris en haine. Son succès au régiment et parmi les femmes me mettait au désespoir.
» Je m’avisai de lui chercher querelle ; mais à mes épigrammes il répondait par des épigrammes plus spirituelles et plus piquantes que les miennes. J’étais forcé de l’avouer, et ma rage en augmentait. Je me fâchais, et lui badinait.
» Enfin, dans un bal chez un seigneur polonais, le voyant l’objet de l’attention de toutes les femmes et surtout de la maîtresse de la maison, qui était en liaison avec moi, je lui dis à l’oreille un injure grossière. Il s’emporta cette fois et me donna un soufflet.
» Nous nous jetâmes sur nos sabres ; les dames s’évanouirent ; on nous sépara, et, la même nuit, nous partîmes pour nous battre.
» Le jour se levait : j’étais à l’endroit indiqué, en compagnie de mes trois témoins ; avec une impatience fébrile, j’attendais mon ennemi, dont j’eusse voulu hâter l’arrivée. Le soleil du printemps se montrait au-dessus de l’horizon, et sa chaleur commençait à se répandre, lorsque j’aperçus mon adversaire ; il venait à pied, portant son habit d’uniforme au bout de son sabre, et accompagné d’un seul témoin.
» Nous allâmes à sa rencontre ; il s’approcha de nous, tenant à la main sa casquette pleine de merises.
» Les témoins nous mesurèrent douze pas.
» J’avais le droit de tirer le premier ; mais l’agitation de mon pouls était telle, que je n’étais plus sûr de ma balle, et que j’insistai pour que ce fût lui qui fit feu le premier.
» II refusa.
» Nous décidâmes que l’on s’en rapporterait au sort.
» La chance fut pour ce favori du bonheur.
» II visa et perça ma casquette.
» C’était à moi de tirer. Enfin je tenais sa vie entre mes mains. Je le regardai avec avidité, en tâchant de saisir en lui au moins l’ombre d’un frémissement. Il attendait mon coup de feu en mangeant ses merises, qu’il tirait de sa casquette, et dont il soufflait les noyaux, qui venaient tomber jusqu’à mes pieds.
» Son sang-froid m’exaspéra.
» – Quelle nécessité, me demandai-je, d’ôter la vie à un homme auquel la vie paraît si indifférente ?
» Une mauvaise idée me traversa le cerveau ; j’abaissai mon pistolet.
» – Je crois, lui dis-je, que vous n’êtes pas préparé à la mort, déjeunant aussi agréablement que vous le faites. Permettez-moi donc de vous laisser achever votre repas.
» – Vous ne me dérangez nullement, monsieur ; mais faites comme vous voudrez. Vous avez un coup à tirer sur moi ; que vous le tiriez maintenant ou plus tard, je serai toujours à votre disposition.
» Je me retournai vers les témoins en leur disant :
» – Je ne tirerai pas aujourd’hui.
» Et le duel fut fini.
» Je pris mon congé, et je me retirai dans ce bourg, où pas un jour ne se passa depuis ce temps sans que je pensasse à la vengeance. Maintenant, l’heure est arrivée.
Sylvio tira de sa poche la lettre qu’il avait reçue le matin, et me la donna à lire.
Quelqu’un – il me parut que c’était son homme d’affaires – lui écrivait que la personne en question se préparait à se marier avec une charmante jeune fille.
– Vous devinez, continua Sylvio, quelle est la personne en question. Eh bien, je pars pour Moscou, et nous verrons s’il envisage la mort avec autant de sang-froid demain ou après-demain que le jour où il mangeait des merises.
En disant ces mots, Sylvio se leva, jeta sa casquette à terre, et commença à marcher de long en large dans sa chambre comme un tigre dans sa cage.
Je le suivais des yeux sans bouger ; des idées étranges et opposées se heurtaient dans son esprit.
Le domestique entra en disant que les chevaux étaient prêts. Sylvio me serra la main, nous nous embrassâmes ; il s’assit dans un petit chariot, où étaient chargés seulement deux choses : un sac de voyage, une boîte de pistolets.
Et la voiture partit au galop.
Plusieurs années s’étaient écoulées ; la situation de mes affaires me forçait d’habiter un petit village du district de N... Quoique je m’occupasse de ma maison, je n’en regrettais pas moins ma vie d’autrefois, si gaie et si insouciante. La chose surtout à laquelle je ne pouvais m’habituer, c’était de passer les longues soirées du printemps et de l’hiver dans une solitude absolue. Je trouvais encore moyen de tuer le temps jusqu’au dîner, soit en causant avec mon starosta1, soit en visitant mes champs, soit en inspectant des bâtisses nouvelles, que je faisais exécuter ; mais, du moment où le soleil s’abaissait vers l’horizon, je ne savais plus que devenir.
Le peu de livres que j’avais pu trouver dans les secrétaires, sous les commodes et dans mon garde-meuble, je les connaissais déjà par cœur ; tous les contes que pouvait se rappeler ma ménagère Kirolovna m’avaient été racontés depuis longtemps ; les chants de mes villageoises avaient fini par ne plus m’inspirer que de la mélancolie. Il y eut un moment où j’eus recours à la liqueur de cerises ; mais cette liqueur me brisait la tête, et, à vous dire le vrai, j’avais peur de devenir ivrogne de malheur,