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Le Havre, été 200... La canicule frappe la côte Normande, un tireur inconnu canarde les mouettes et tue le chaton d'une petite fille, un journaliste disparaît, vraisemblablement enlevé, un château brûle. A défaut de brise rafraîchissante, le vent de la spéculation souffle dans le quartier de l'Eure tandis que du haut de Sainte-Adresse, la silhouette massive de César Lécluse projette son ombre sur ces éléments énigmatiques, dont une poupée effrayante n'est pas le moins mystérieux. Avec ce troisième roman, Robert Vincent emmenait Faidherbe et son équipe dans un havre insolite et fantastique. Dans cette nouvelle édition, à l'occasion des 500 ans du Havre et des 10 ans de publications de Robert Vinlcent, le texte est revu et illustré de dessins en couleurs de Martin Bafoil.
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Seitenzahl: 189
Veröffentlichungsjahr: 2017
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Yport épique, éditions C. Corlet, 2008 (épuisé)
Un Havre de paix éternelle, éditions C. Corlet, 2010
( édition originale épuisée )
Les Dames mortes, éditions C. Corlet, 2010
La Mort monte en Seine, éditions C. Corlet, 2011
La Main noire, éditions Ravet-Anceau, 2013
Satanic Baby !, éditions Ravet-Anceau, 2015
Le Baiser du canon, éditions Cogito, 2017
Assassins sans collier, à paraître
Passages, nouvelle, kindle édition, 2016
Les évènements et les personnages de ce roman sont purement imaginaires. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou mortes, ne saurait être que fortuite ou surnaturelle.
L’auteur remercie le Havrais Bertrand Lécureur, qui l’a promené dans les lieux insolites de sa ville.
A nos filles :
Cécile, Pauline et Clara,
Louise et Jeanne
Bon appétit !
1. Un chaton plombé
2. On canarde des mouettes
3. Le poussah s’en soucie
4. Le nid de Lalouette est élastique
5. Mona se tire et prend de la hauteur
6. Le jardin n'a rien perdu de son mystère, ni le poussah de son état
Où une silhouette énigmatique avance et le bon sens recule horrifié
7. Le surgelé, c'est le pied !
8. La veuze joyeuse
9. Un mort à poils
10. La transe du scalp
11. Un petit coup de vent dans l’aile
12. Les épanchements d’un chirurgien sans gain et sanglotant
13. Ma casemate n'est pas du Canada
14. Monsieur Propre mais pas net
15.
Brain storming
et bains de pieds
16. Roule, maboul
17. Le baron de Lécluse fonce en premier
Où le nouvel énervé de Jumièges avance et des pêcheurs reculent, horrifiés
18. La mouette à Cheikoff
Épilogue en face d’une poupée
— Monsieur le baron...
L’homme dort à même le sol, en position fœtale sur un tapis de campeur. Il est tourné contre le mur d’une pièce dont les persiennes closes laissent passer un peu du soleil d’été.
Elle ne le réveille pas.
Elle sort d’un sac blanc une canette de bière et un sandwich emballé dans du papier aluminium qu’elle pose au niveau de sa tête et fait demi-tour. Avant de quitter la pièce, elle s’arrête. Elle sait qu’il l’écoute.
— Monsieur le baron... Le repas est servi.
Mangez vite, sinon ça va réchauffer.
La chaîne qui entrave l’homme tinte. Il frémit d’une épaule et va se retourner.
Elle repart.
La porte en se refermant claque comme un coup de fusil.
Une deux, une deux. La silhouette longiligne quoique légèrement ventripotente du quinquagénaire en survêtement courait dans l’ombre. Un vent coulis tiède rafraîchissait à peine son corps en sueur. Cependant, il s’imaginait glacé et pilé dans l’effort par la masse des bâtiments gris parallélépipédiques qu’il fuyait, tous semblables de part et d’autres de l’avenue. Mini-Moscou. Le Havre, perestroïka normande écrasante.
Comme il atteignait le boulevard Clemenceau, un soleil de fin d’après-midi de canicule perça une masse de nuages sombres qui ne crevaient jamais et irradia la ville, projetant sur les murs de béton une couleur terre de Sienne. Porte Océane, puerta del sol.
Poussé par cet incendie des façades, le commandant de police Georges Faidherbe obliqua toujours en petites foulées, dans une ruelle sur sa gauche, passa devant son immeuble en refaisant un tour. Traçant tout droit entre des bâtiments de couleurs et d’époques diverses, il longea un moment sur sa droite la barre imposante d’une résidence de verre et d’acier. Sa froideur lui donna l’illusion qu’il faisait plus frais maintenant. Il traversa dans le faisceau lumineux quelques rues perpendiculaires au petit port pour atteindre, derrière le Musée des Beaux-Arts, l’harmonie enflammée d’un îlot Perret. Immeubles bas, même damier de fenêtres sur tous les côtés. Uniformité des façades que la lumière seule faisait varier.
Une fillette en couettes, très brune, venait vers lui trottinant comme une automate, pieds nus. Image napolitaine. Était-elle aveugle ? Elle portait, dans ses bras tendus en avant, une loque blanche qui avait souillé de sang sa robe bleu pâle. Elle ne pleurait pas. Le commandant Faidherbe s’arrêta net, soufflant tel un phoque privé de banquise. Il jeta un regard autour d’eux. Personne.
— Eh bien, mon lapin, qu’est-ce qui t’arrive ?
Le lapin regarda de ses yeux graves ce grand bonhomme en survêtement bleu et chaussures de sport rouge et jaune — un cadeau immonde des collègues — qui se penchait sur elle :
— Mon petit chat est tombé du balcon.
Elle montra de la tête l’immeuble le plus proche. Faidherbe chercha sur les balcons une présence humaine. Tous étaient vides. Chacun restait chez soi au frais.
— Veux-tu que je te raccompagne chez toi ?
— Si tu veux, dit la gamine.
Le policier n’arrivait pas à lui donner un âge certain. Cinq, six ou sept ans ? Célibataire, il n’était pas très fort question enfants. La seule qu’il fréquentât était sa nièce de treize ans. Il avait oublié les étapes précédentes.
Dans l’ascenseur, elle desserra à peine son étreinte de l’animal pour lui montrer le bon bouton. Quatrième étage. Pour meubler le silence et par courtoisie, Faidherbe demanda :
— Comment tu t’appelles ?
— Ma chérie.
— C’est ton nom ?
— Maman m’appelle ma chérie.
— Et ton papa, comment t’appelle-t-il ?
— Cette putain de gosse.
Déconcerté, le commandant dévia la conversation :
— Et ton chat, comment tu l’appelles ?
— Le Petit Chat.
La porte de l’appartement était restée ouverte. Faidherbe vit rapidement qu’il n’y avait pas de nom sur la sonnette. On entendait des voix cependant. La petite le guida directement à la cuisine où elle posa le cadavre du chaton sur la table déjà passablement encombrée. Un coup d’œil dans la pièce à vivre confirma ce que le policier pensait : les voix venaient du poste de télévision.
— Ta maman n’est pas là ?
— Elle est sortie.
— Tu sais où elle est ?
— Non, dit la petite. Tu vas faire revivre le petit chat ? demanda-t-elle aussitôt très sérieusement.
— Je ne crois pas en être capable.
Pour se donner bonne conscience, il caressa la bête encore chaude. Il était surpris que le petit corps brisé qu’elle avait ramassé dans l’herbe au pied de l’immeuble fût ensanglanté. Un chaton si léger se tuer en tombant dans l’herbe ! Il lui semblait avoir entendu des histoires qui témoignaient de l’extraordinaire résistance de ces animaux.
Il examina l’animal de plus près. On voyait nettement qu’il avait reçu une balle ou même deux, 22 long rifle probablement.
— Alors, pourquoi tu es venu ?
— Pourquoi quoi ?
— Pourquoi tu es monté, si tu ne peux pas faire revivre Le Petit Chat ?
Faidherbe fut un instant troublé par la question. Une inspiration le sortit d’embarras.
— Pour lui tenir compagnie. Ça se fait quand quelqu’un est mort. On reste un peu avec lui, pour qu’il se sente moins seul, pour lui faire sentir qu’on l’aime encore, même s’il est mort.
La petite sembla satisfaite de sa réponse.
— Ah bon, dit-elle.
— Montre-moi d’où il est tombé, veux-tu ?
Elle le mena au balcon de la salle à manger salle de séjour dont la porte fenêtre était restée ouverte. En traversant, Faidherbe ne fit pas de commentaire sur le désordre qui régnait dans la pièce, ni la saleté, ni l’odeur âcre. Il s’en doutait, il n’y avait rien de particulier ni personne à voir. Pas de tireur en position, ni en face, ni sur les côtés.
— Ton papa n’est pas là non plus ? demanda-t-il par acquit de conscience.
— Il n’habite pas avec nous.
— C’est qui « nous » ?
— Ben moi, Le Petit Chat et maman.
— Je peux téléphoner maintenant ?
— A qui ?
— A des amis. Ils vont s’inquiéter de ne pas me voir arriver.
Il mentait effrontément à la fillette qui le regardait de ses yeux noirs, graves et tranquilles. Il se sentit gêné d’être devenu grand et de ne pas savoir dire la vérité aux enfants.
A l’autre bout du fil, il eut Étrela. Le lieutenant était resté plus tard car il voulait boucler une affaire.
— Tu envoies une voiture avec deux gars, au 7 rue Malétras, 4e étage pour garder une fillette. Je t’expliquerai.
Il s’installa à côté de l’enfant sur le canapé. Elle avait repris la petite dépouille et l’avait posée sur ses genoux. Ils regardèrent la télévision qui parla pour eux.
Quand les deux gardiens de la paix arrivèrent, la fillette se poussa afin de leur faire de la place sur le canapé, mais ils restèrent debout, saluant le commandant.
Chez lui, il fut fraîchement accueilli.
— C’est à cette heure-ci que tu rentres ? … sans prévenir ? Aglaé et moi, on s’est trop inquiétées ! C’est nul, tonton.
Sa nièce Anastasie et sa copine, deux adolescentes débutantes de treize ans étaient venues de Vendée passer quinze jours de vacances au Havre, chez lui. Sa vie et son appartement étaient bouleversés.
— Où t’étais ?
Il ne répondit pas, mais prit le combiné du téléphone et appela Étrela. Il lui expliqua alors comment son jogging avait bizarrement tourné.
— Si tu trouves le temps d’y passer en rentrant chez toi… conclut-il.
Les deux filles avaient bu ses paroles. Elles voulaient immédiatement se rendre sur les lieux pour prendre en charge la petite au chaton massacré. Faidherbe dut se fâcher. Anastasie bouda.
— Ziza, aide-moi à mette la table, ma princesse ! demanda sans malice Georges Faidherbe, comme à son habitude.
La princesse vendéenne daigna rendre service et en retrouva aussitôt la bonne humeur et la gaîté de son âge. Soudain, au moment de poser les fourchettes, elle suspendit son geste et poussa un cri.
— Oh ! J’ai failli oublier avec ton histoire de chaton tiré comme un lapin !
— Oublié quoi ? demanda Faidherbe en comptant les assiettes.
— Un type a téléphoné. Il exigeait de te parler personnellement. Je lui ai expliqué que tu n’étais pas là. Alors je lui ai dit que j’étais ta femme et qu’il pouvait me laisser un message.
— Hein ?
Il faillit lâcher la pile d’assiettes.
— Il ne voulait pas, ce nul. J’avais peut-être la voix trop jeune mais lui, il avait une voix de vieux qui ne peut plus respirer. Il articulait mal. J’ai vachement insisté. Je ne souhaitais pas qu’il meure avant d’avoir fait sa révélation.
Elle débita ça d’un trait. Cette rapidité donnait le tournis à son oncle.
— C’était qui, Ziza ? Quelle révélation ? De quoi tu parles ?
— Il a dit un nom comme Léglise ou Légluse, il articulait mal, je te dis.
— Qu’est-ce que tu as obtenu d’autre ?
— Il a dit qu’un oiseau avait disparu, reprit l’adolescente. C’est fou non ? Un type à l’agonie téléphone à un policier, chez nous, à sept heures du soir pour se plaindre qu’un oiseau a disparu ! Pas étonnant que vous soyez débordés de travail dans la police.
— Quel oiseau ? demanda placidement Faidherbe.
Ziza picorait maintenant les croûtons d’une baguette en feuilletant le dernier Oops.
— Une alouette, répondit-elle.
Le lieutenant Victor Étrela et son collègue Louis Lebru venaient aux renseignements à propos de la fillette. La mère n'était toujours pas rentrée. Il fallait éclaircir cette histoire de tir aux chats. Un Havrais qui se balade avec du 22 long rifle à l’heure de l’apéro, on essaie de le serrer avant le pousse-café. Pris d’un coup de chaleur, il pourrait s’en prendre aux passants. Étrela arriva le premier en haut de l’escalier. Il poussa la porte à demi ouverte. Les gardiens de la paix étaient affalés dans le canapé à se disputer la commande du téléviseur. Bientôt, ils allaient se tirer les moustaches.
— Hé ! Dupont et Dupond ! Si vous ne savez pas vous tenir, du vent ! On a besoin de monde sur le front de l’Est, ça chauffe aux Neiges. Pluie de parpaings sur les pompiers.
Les deux hommes gémirent en chœur.
— Oh non !
— Où est la gamine ? Vous avez vu quelqu’un ?
— Dans la cuisine. Elle joue. Personne n’est venu.
Un des deux hommes se leva pour les mener à la cuisine en traînant des pieds.
Étrela s’approcha. La fillette lui tournait le dos. Elle chantonnait. Sur la table, un assemblage de boîtes de croquettes, de biscuits, de sucre et farine formait un monticule cubique qu’elle s’efforçait de fermer au sommet avec une revue people. Celle-ci titrait en rouge sur fond noir : « L’effroyable deuil ». La petite baladait des Playmobils autour de sa construction, les uns portant sacs à provisions, d’autres un parapluie ou un seau d’eau. Elle avait installé un commerce d’alimentation au coin de l’édifice, près de la boîte à sucres et une poste de l’autre côté.
Lebru fit un signe pour dire que lui et le gardien ressortaient de la pièce. Le lieutenant Lebru sortit sur le balcon.
— Bonjour, dit Etrela
Elle se retourna. De ses yeux perlaient deux larmes.
— Désolé... Je suis le lieutenant Victor Étrela, de la police. Je m’occupe des animaux. Comment il s’appelait, ton petit chat ?
— Le Petit Chat.
— Ah... Le Petit Chat. Bien.
En l’aidant à poser le couvercle tant bien que mal, il aperçut le cadavre du chaton recroquevillé au fond. Des taches rouges marquaient son pelage. Le policier s’assit dos à la fenêtre, devant ce mausolée bâti par la fillette sur une table en formica. Il ne savait pas comment s’y prendre avec cette enfant en perte de chat.
Il se retourna et regarda la ville à travers une vitre crasseuse. Elle aussi s’était construite sur un deuil, celui de cinq mille disparus humains. Les survivants avaient à peine eu le temps de se ressaisir qu’ils furent réinstallés dans ces îlots ultramodernes. Puis la vieille ville s’était doucement fait oublier dans les délices high-tech et l’american way of life d’un confort tout équipé. Maintenant, une lumière douce de fin de journée l’éclairait de teintes splendides : ocre, brique ancienne. Et le béton se fardait en soirée des pigments d’une cité antique, presque méditerranéenne.
— Tu aimes les couleurs du soir comme moi ?
— Des fois, quand maman est là.
— Bon, justement, ta maman, comment s’appelle-t-elle ?
— Maman.
— Je l’aurais deviné, commenta le lieutenant sans sourire. Et elle rentre quand, « Maman » ?
— J’sais pas.
— Alors, je vais l’attendre ici un peu avec toi.
— Pourquoi ? Vous n’avez pas la télévision chez vous ? demanda la petite avec un air étonné.
Il soupira et revint dans le salon. Lebru passa sa tête dans la porte-fenêtre. Il tenait des jumelles. On entendait derrière lui des rires hurlés.
— On a un beau point de vue du balcon. J’ai compté les mouettes allongées. J’en suis déjà à sept !
— Avec le raffut qu’elles font en ce moment, on peut comprendre... Vivre en permanence avec des ricanements au-dessus de sa tête. L’enfer. Chez moi, quand je mets la musique à fond, les voisins râlent mais j’ai l’impression qu’ils préfèrent encore ça. Tu as une idée de la direction du tir ?
— Pas facile. Le gars doit se balader sur les toits. C’est curieux que le patron n’ait rien vu.
— Il n’avait pas tes jumelles ! Tu peux commencer l’enquête de voisinage.
— Tu déconnes ? A cette heure, on devrait déjà être chez nous depuis deux heures ! s’écria Lebru, un policier de dossiers qui n’aimait pas sortir de son bureau. Personne n’a porté plainte encore. Tu sais ce que je vais faire ? Un tour du quartier avec le gyrophare et la sirène pour calmer le zozo et on débutera l’enquête demain.
— C’est une idée. Ensuite, on s’en va, reprit Etrela.
Il avait hâte aussi de retrouver sa propre fille Olga, plus jeune encore que la fillette, et sa femme.
Lebru sortit, le lieutenant retourna auprès de la gamine. Elle n’avait pas cessé de jouer. Le policier cherchait encore un moyen d’établir un vrai contact.
— Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grande ? Marchande ?
Elle leva ses yeux de son installation.
— Quand je serai grande, je veux être une mouette.
Il pensa qu’elle se fichait de lui. Si petite, déjà.
— Une mouette ? La branche n’est pas porteuse en ce moment.
— Quand je serai mouette, je n’aurai pas besoin de branche, répondit la petite avec une logique implacable.
Il renonça. Quelque chose cloche chez cet enfant, pensa-t-il. Il entendit Lebru qui revenait, sirène hurlante. Au même moment, une jeune femme de type latin, bien mise mais mal coiffée entra dans l’appartement, l’air fatigué, effarée. Elle avait vu les deux policiers dans la salle.
— Qu’est-ce que vous faites-là ? Il est arrivé quelque chose à Mona ?
Étrela jaillit de la cuisine.
— Lieutenant de police Victor Etrela, madame, on a trouvé votre fille dans la rue.
Il ne parla pas du chaton. La jeune femme se troubla.
— Je suis aide-ménagère intérimaire. J’aide des personnes âgées à manger. Avec les vacances, je suis débordée et je n’ai pas d’argent pour une nourrice, dit-elle d’un trait pour se disculper d’avoir laissé sa fille seule.
— Votre petite Mona va bien, mais il est arrivé un accident à votre chat.
La jeune femme passa dans la cuisine. La petite se blottit dans ses bras et commença à sangloter.
— Maman... Le Petit Chat a sauté du balcon.
L’officier de police fit signe aux gardiens qu’ils levaient le camp.
— Si vous avez un problème de voisinage, appelez-nous. Demandez le lieutenant Etrela. De toute façon nous repasserons un de ces jours. Au revoir, madame… ? madame... ?
Elle regarda un instant sans comprendre, puis répondit :
— Lisa Davinci. Davinci en un mot.
Avec ça, elle arborait maintenant un petit sourire en coin. Bouche bée, le policier avait l’air d’une carpe qui tombe sur un piano à queue dans les méandres d’une rivière.
En bas, Lebru venait de ranger le gyrophare et s’apprêtait à remonter. Quelques faces alentour s’étaient mises aux fenêtres et cherchaient en hochant la tête de réprobation la raison du passage sonore de la police.
— Je les trouve bizarres ces deux-là, lui confia Étrela.
— Tout le monde est bizarre dès que tu grattes un peu, mon petit. Ce n’est pas nouveau, répondit Lebru en rouvrant la portière du véhicule banalisé.
Il ne voulait pas se rajouter un souci supplémentaire ce soir-là.
— Bon, tu montes ? J’ai faim, moi.
— Attends une minute, je téléphone le scoop du jour à mon copain du Havrais Pressé. Cette histoire de mouettes canardées fera l’affaire. Elle vaut bien son dernier tuyau.
— Tu vas lui parler du chaton aussi, s’inquiéta Lebru. Avant l’enquête ?
— Non, le chaton, on le comptera dans les mouettes, pour le moment. Il s’est envolé du balcon, pas vrai ?
C’était sans réplique. La logique de Mona commençait à déteindre sur lui.
De son mobile, il appela Hugues Lalouette. Un goéland hurla dans l’écouteur. Le lieutenant éloigna l’appareil de son oreille, s’étonnant de ce que le journaliste avait encore inventé comme message d’attente loufoque, après la corne de paquebot et le brame du cerf en forêt de Brotonne.
Depuis l’arrivée des deux préados chez son employeur, la femme de ménage, Josette Ba, pointait dès 7h 30 tous les jours. Ce matin-là, Faidherbe finissait à peine sa toilette qu’elle tourbillonnait ses quatre-vingts kilos dans l’appartement et la cuisine pour que tout soit prêt avant le lever tardif des « princesses », comme elle les appelait. La présence d’Anastasie et Aglaé chez Faidherbe la survoltait. Elle avait souffert deux maris et mis à la porte son dernier homme mais, sans crainte de contradiction, elle ne cessait de reprocher son célibat à son patron. Elle adorait le Moyen-âge. « Vous êtes un chevalier inexistant, monsieur Georges », lui avait-elle déclaré un soir. Et ce parce qu’il n’avait pas de compagne attitrée. Il lui avait répondu, encore sous le coup d’une mauvaise journée, qu’il se voyait plutôt en « policier inexistant ».
Les deux filles jaillirent de leur chambre dans la cuisine en même temps, réveillées tôt par l’affaire de la veille, elles ne voulaient pas manquer le départ du commandant pour le commissariat de police.
— Qu’est-ce que vous faites aujourd’hui ? demanda Faidherbe, en train de laper du bout des lèvres un café brûlant.
— Je ne sais pas trop, la plage peut-être… avec la chaleur qu’il va encore faire, répondit Anastasie.
Le téléphone sonna. Une voix inconnue, portée par une respiration qui semblait percluse d’emphysème, chuchotait dans l’appareil.
— Commissaire Faidherbe ? César Lécluse. J’ai appelé hier soir, j’ai eu votre femme.
Faidherbe grimaça, agacé par le petit jeu de sa nièce.
— Que voulez-vous, monsieur Lécluse ?
Anastasie enthousiasmée, s’écria :
— Le nul d’hier ! Il rappelle !
Imperturbable à l’autre bout du fil, César Lécluse continuait :
— Pouvez-vous venir me rendre visite, commissaire ? J’ai une enveloppe à vous remettre en main propre.
— Venez vous-même au commissariat aux heures ouvrables. Et puis, qui vous a donné mon numéro personnel ? s’étonna le policier.
— Je ne peux pas me déplacer facilement. Vous comprendrez quand vous me verrez. C’est une affaire grave, je crois. Monsieur Lalouette a disparu. C’est lui qui m’a donné votre numéro. Il tenait absolument à ce que moi, je vous remette cette enveloppe en main propre. A vous, en personne.
— Dans ce cas, où puis-je vous trouver et quand ? demanda le policier.
Le nom de Lalouette venait de le faire changer d’avis. Il avait fait connaissance avec le journaliste Hugues Lalouette à l’occasion d’une affaire précédente1.
— Tout de suite. Demandez mon nom à la boutique de Notre-Dame-des-Flots, à Sainte-Adresse. J’y suis jusqu’à dix heures trente. Après, j’ai mon kiné.
— J’arrive, répondit Faidherbe, ayant calculé qu’un crochet par là avant de se rendre à l’hôtel de police ne lui prendrait guère de temps.
Au chauffeur qui le déposa devant la grille, il ordonna d’arrêter le moteur, même s’il ne devait pas être long. Si on pouvait préserver la couche d’ozone, ne serait-ce que de la surface d’un confetti, c’était déjà ça.
Lécluse habitait une petite maison voisine de la chapelle de Notre-Dame-des-Flots, au pignon pseudo médiéval terminé au niveau du toit par une niche vide de cloche où une mouette braillait à tue-tête. Faidherbe entra dans la minuscule boutique d’articles religieux par une porte qu’encadraient deux fenêtres en ogive. Au fond, derrière le comptoir, une femme blonde, environnée de parfums de roses, de cire et d’encens lui tournait le dos. Taille de guêpe de
1 Cf. Clou d’éclat à Etretat, éd. C.Corlet, 2007. mannequin des fifties