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La vie de Stefanie Summer, directrice d’un zoo dans l’est de la France, bascule lorsque ses médecins lui annoncent qu’elle n’a plus que quelques mois à vivre. Un incident peu banal à son lieu de service réussit à conjurer le sort et lui sauve la vie. Plus tard, elle met au monde un garçon, Jack, né aveugle. Étrangement, elle ne remarque cette cécité qu’à la troisième année de l’enfant, lorsqu’il apprend à lire et écrire. Cependant, Jack ne se résigne pas et n'hésite pas à mettre ses talents au service des autres… Avec Un héros sans visage - Tome I, l’auteur nous invite donc à suivre le dépassement de ce jeune homme qui brise ses chaînes avec une incroyable résilience.
A PROPOS DE L'AUTEUR
Un héros sans visage - Tome I est un clin d’œil de
Patrick Clotagatilde aux aveugles qui se débrouillent, et souvent, voient bien mieux que les voyants.
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Seitenzahl: 384
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Patrick Clotagatilde
Un héros sans visage
Tome I
Roman
© Lys Bleu Éditions – Patrick Clotagatilde
ISBN : 979-10-377-5139-3
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— Mais enfin, Jack, dans quel état es-tu ?
— Ce n’est rien, maman, ne t’inquiète pas ! Je n’ai rien du tout.
— Mais là n’est pas la question, jeune homme ! Je vois très bien que tu n’as rien. Je veux surtout connaître ce qui s’est passé pour que tu te retrouves dans cet état lamentable !
— Eh bien ! Je… je ne sais pas, si je dois.
— Mais tu le dois, mon fils ! Lorsque je vois la façon dont tu te présentes à moi aujourd’hui, je redoute le pire pour le futur. Je ne m’en remettrais jamais, si un jour il devait t’arriver quelque chose de grave ! C’est la première fois que tu me reviens ainsi affublé des pieds à la tête.
— Tu n’as pas à t’en faire, maman. Je me suis en effet battu. Mais j’ai fait ça pour une bonne raison. Il s’agissait de sauver deux jeunes femmes, à peine plus âgées que moi, d’un odieux kidnapping.
— Comment cela, d’un kidnapping ?
— Eh bien, voilà ! Je remontais l’avenue, lorsque j’ai entendu des voix de femmes crier au secours. J’ai aussitôt vu deux filles d’une vingtaine d’années, sans doute un peu moins, se faire molester brutalement par deux grands costauds. Ceci en pleine journée. C’est grave quand même. De nos jours, les bandits n’ont plus peur de rien. Ces derniers ont rapidement jeté leurs victimes dans une camionnette, garée tout près. Personne n’avait eu le temps d’esquisser le moindre mouvement. Cela s’est si vite réalisé, que ça se comprend. Mais pour leur malheur, je me trouvais dans le coin. À cet instant précis, je me suis souvenu de ces rapts de ces derniers mois, sur des adolescentes. La presse n’arrête pas d’en parler. Dès lors, je ne me suis pas posé de questions, il fallait que je réagisse.
— Qu’est-ce que tu as fait, alors ? lui demanda une Stefanie à présent inquiète.
— Laisse-moi finir, maman ! Tu comprendras tout de suite. Pendant que le véhicule démarrait en trombe, je me suis rappelé, en tant que non-voyant, que je ne pouvais pas me lancer à la poursuite de ces individus. Je ne désirais pas non plus que ce qui allait se passer pose des problèmes dans ma discipline sportive. Je ne voulais pas plus que l’on sache que c’est moi qui allais tenter de libérer ces personnes de ces brutes. Aussi vite que j’ai pu, et à l’abri dans une ruelle, j’ai ôté mon tee-shirt, que je me suis noué autour de mon visage. Ainsi affublé, et bien que torse nu, la poursuite pouvait s’opérer sans que personne me reconnaisse. En deux ou trois bonds… euh… enfin un peu plus, quand même. Je bondissais donc au-dessus des voitures à l’arrêt. J’ai bien failli jeter par terre des passants, interloqués par mon accoutrement. Pour finir, du haut d’un pont, je me suis lancé dans le vide pour bondir sur la fourgonnette qui filait. Les occupants, pensant probablement s’être sortis du pétrin, ne s’attendraient sûrement pas au déluge de coups, que j’allais leur infliger. Je n’avais pas encore formulé de vrai plan, pourtant, la suite s’est déroulée comme si cela coulait de source. Comme si je n’avais fait que cela, tout le temps ! Le bruit de ma chute sur le toit du véhicule a certainement perturbé les trois malfaiteurs. Parce que ces derniers ont tiré comme des fous à l’aveuglette, alors qu’ils ignoraient même à quoi ils avaient affaire. Chose bizarre, j’entendais déjà le cliquetis des armes et je n’éprouvais malgré cela aucune peur. Confiant en moi, je suis entré par l’une des vitres ouvertes, les pieds en avant. Je suppose que c’est mon apparition soudaine qui a contraint le chauffeur à s’arrêter, avant qu’on se retrouve tous dans le décor. Pour finir, je me suis appliqué à désarmer ces loubards en les obligeant à sortir, ceci afin de laisser les jeunes filles souffler. Là, avec une facilité dont je ne me savais pas capable, j’ai mis hors d’état de nuire ces voyous. L’un d’eux a voulu s’enfuir. Dans la voiture, il y avait toutes sortes de matériaux. Je me suis emparé de premier objet qui me venait sous la main. C’était un pneu usagé. Je le lui ai balancé dessus, presque sans efforts. Dans la seconde suivante, il était étalé au sol, à une douzaine de pas de moi. Pourtant, même s’il était sans connaissance, je savais que le malfrat n’était qu’évanoui. Les filles de leur côté n’en revenaient pas. L’une d’elles, une fois que je les avais libérées, m’a demandé comment j’avais fait pour viser et réussir à atteindre ma cible. Il reste évident que je ne pouvais pas lui répondre clairement. Bien entendu, je ne lui ai rien dit. Elles ont saisi encore moins lorsque je leur ai demandé de prendre le cordage qui se trouvait dans le véhicule, afin de ligoter les kidnappeurs. Ensuite au loin, les sirènes de la police me sont parvenues aux oreilles. À ce moment, j’ai laissé entendre aux filles que je ne pouvais pas demeurer en leur compagnie. La seconde m’a dit qu’elle comprenait et m’a appelé, « Monsieur sans visage ». Là-dessus, j’ai bondi en m’accrochant à un autre pont, avant de disparaître, pour me rhabiller un peu plus loin.
— Tu me racontes cette aventure comme si tout cela était naturel pour toi.
— Je ne pouvais agir autrement, maman. Il n’était pas question de laisser ces filles se faire avoir. Je m’en serais voulu si je n’avais rien tenté. Et j’ai bien fait !
— Je sais, Jack, tu as bien réagi, lui assura sa mère, avec quelques larmes. Ces demoiselles te doivent une fière chandelle. En même temps, tu n’as que 15 ans et tu as pris d’énormes risques aujourd’hui. Dommage qu’elles ignorent à qui elles doivent ce sauvetage. J’aimerais en contrepartie que tu fasses très attention à l’avenir. Sans aucun doute, ces facultés tu ne les maîtrises pas encore pleinement. Tu viens de découvrir, là, que tu peux transgresser les règles établies. Il semblerait que tu as hérité de dons, dont j’ignore, encore à ce jour, la provenance. Aujourd’hui, tu as protégé ces filles. D’autres drames surviendront et tu ne pourras pas résister à l’appel du devoir que te confère ce pouvoir. Les as-tu réellement apprivoisées, ces facultés ?
— Je n’en sais rien, maman. À ce stade, il reste clair que je ne connais pas vraiment mes limites. Ce que j’ai fait aujourd’hui, j’étais loin d’imaginer en être capable. Et je dois reconnaître que ça s’est déroulé avec une facilité déconcertante. Néanmoins, je m’engage à tout tenter pour les exploiter à fond. J’ai tout le temps devant moi, je crois, conclut-il.
— En effet, Jack, lui dit-elle, à peine plus rassurée.
Satisfaite de la promesse de son fils, Stefanie regagna sa chambre. Toutefois, ce petit sourire narquois au coin des lèvres en disait long sur ce qu’elle pensait de cette brève, mais bouleversante aventure. Comme toute mère, évidemment, elle ne pouvait qu’être fière de son rejeton, qui promettait de devenir un phénomène hors du commun.
Durant la nuit, elle n’arriva pas à trouver le sommeil. L’aventure de son fils lui rappela sans équivoque que quelques années plus tôt, elle aurait dû y rester. La question de sa survie est demeurée gravée dans son esprit. En tout cas, le résultat de cette mésaventure était en train de se dessiner, là, sous ses yeux, jour après jour.
— Le lendemain, la jeune mère prit conscience que son fils était devenu l’homme sans visage. En effet, à la une de toute la presse, une seule question semblait d’actualité :
« Qui est donc cet homme cagoulé qui aurait secouru deux jeunes filles aux prises avec des ravisseurs ? Ce dernier s’est même permis d’immobiliser les malfaiteurs avec une facilité déconcertante », conclut le journaliste.
« Personne n’a eu le temps d’esquisser le moindre mouvement lors de cet enlèvement, sauf “Sans Visage”, ainsi surnommé par les victimes du rapt », émit un autre journaliste avant d’ajouter : « Alors que les rares passants étaient restés pétrifiés, ce nouveau héros avait déjà enjambé une barrière pour sauter dans le vide, à la poursuite des ravisseurs. Poursuivis du regard des passants curieux, certains d’entre eux ont pris des photos qui s’exhibent maintenant sur les réseaux sociaux. Des images qui montrent son bond spectaculaire au-dessus du pont. De sa bagarre avec les bandits. Ce matin, une question revient sur toutes les lèvres : comment arrive-t-il à se mouvoir de la sorte, avec son tee-shirt noué sur le visage ? »
— Mon Dieu, Jack ! Dommage que tu ne puisses pas lire le journal. Ils parlent tous de toi. Leurs articles reprennent exactement ce que tu m’as dit hier. Bien entendu, ils veulent savoir qui est cet énigmatique personnage. En même temps, c’est légitime. Ce que ces gens ne comprennent pas les agace. Attends-toi à bien d’autres questions si tu dois encore intervenir sur le terrain ! Ce dont je ne doute pas. Honnêtement, je pense que tu ne dois plus t’amuser à ce jeu dangereux.
— Je n’en sais rien, maman. Il est vrai que je me suis plu à jouer le justicier. Je devinais à l’avance tous les coups qu’allaient me porter ces hommes. Malgré le gabarit de l’un d’eux bien au-dessus du mien, aucun d’eux ne me faisait peur. Là-dessus, je crois que je peux remercier mes séances d’entraînement. Pour ne pas me gêner dans ce hobby, dorénavant j’interviendrai grâce à un foulard que je vais t’emprunter. Il me servira de cagoule. Tu sais, maman, que tu as parfaitement raison. Si d’autres incidents se déroulent devant moi, je ne pourrai pas les ignorer. Je m’engagerai sans hésiter dans une nouvelle bataille ! Je dois bien cela à mes semblables et à la société.
— C’est tout à ton honneur, mon garçon. Sache néanmoins que tu ne dois rien à personne. Je pense également que tu n’en feras qu’à ta tête, n’est-ce pas ? Tu me promets dans tous les cas de faire attention ? Mais ça, je te l’ai déjà dit, je crois.
Sur cette petite mise au point, la mère comme le fils semblaient s’être entendus sur les nouvelles règles. Ils s’engagèrent à être toujours honnêtes l’un envers l’autre et avaient vraiment besoin de cette confiance. Et pour cause, le jeune prodige allait être sollicité bien plus souvent qu’il ne l’aurait souhaité, car régulièrement des drames humains se jouaient à Nancy, sa ville de naissance. Aujourd’hui, il est clair que sa carrière de super héros allait encore faire parler de lui.
Pour preuve, un soir, tandis qu’il rentrait chez lui après un entraînement tardif, un gémissement dans une rue parallèle attira son attention. Sur le sol gisait un homme qui se faisait massacrer par deux forces de la nature. Ces dernières, à coups de pied, s’acharnaient sur la victime qui ne donnait pratiquement plus de signe de vie. Jack ne pouvait endurer cette violence sans intervenir.
De sa poche, il sortit le foulard emprunté à sa mère, avant de le nouer autour de son visage. Sans même réfléchir une seconde de plus, il se lança tête baissée à l’assaut des belliqueux. Pas impressionné le moins du monde, le couple de forcenés fut juste étonné qu’un drôle d’énergumène se permette de les interrompre.
— Qu’est-ce qu’il nous veut, celui-là ? avança l’un des gaillards, en abandonnant sa victime. Tu as vu comment tu es fringué ? Tu n’espères quand même venir à bout de nous deux, camouflé de la sorte. De plus, tu oses venir seul pour prendre la défense de ce gars que tu ne connais sans doute pas ?
Il reste clair que si ces enragés imaginaient un instant qu’ils allaient recevoir la correction de leur vie, ils auraient rapidement plié bagage.
Sans Visage, qui se trouvait tout au début de sa carrière d’acrobate, allait gagner son droit à être connu. En effet, avant même que les agresseurs puissent réaliser le moindre geste, ils se retrouvèrent au tapis. Estimant avoir été alpagués par surprise, énervés, les molosses tentèrent de revenir à l’attaque. Peine perdue. L’homme masqué pouvait tout deviner de leurs mouvements et se jouait d’eux. Leste et imprévisible, aucun des malfaiteurs n’arriva à le toucher. Lui-même dut reconnaître que ce sont ses nombreuses heures entraînements qui lui permirent de telles performances. Qui plus est, s’il pouvait ainsi virevolter, c’est parce qu’il avait choisi sa voie. Très rapide, le jeune salvateur semblait partout à la fois. Pendant ce temps, le bruit de la bagarre attira plusieurs curieux. Certains avaient identifié Sans Visage. Pour mettre fin à cette séance, à l’aide d’une prise très simple suivie d’une pression à la base du cou, notre ami masqué immobilisa l’un après l’autre ses adversaires affaiblis.
Alertée par les badauds, la police débarqua quelques instants plus tard. D’un bond, le justicier attrapa une corniche. D’une roulade, il s’agrippa à un balcon, puis à un autre, avant de disparaître dans la nuit, sous le regard des passants médusés. Notre héros ne s’en alla pas bien loin pour autant. Du haut de son perchoir, il observa, dans un grand calme, les policiers qui se démenaient à prendre soin de la victime, tandis que d’autres menottaient ses agresseurs. Ces derniers, quant à eux, reprenaient peu à peu conscience.
— Oh ! On s’est fait ratatiner par un cinglé camouflé derrière un foulard.
— C’est tout à fait ça. Vous vous êtes frotté à plus fort que vous, les gars. Vous vous êtes fait rosser par un homme sans visage, n’est-ce pas ? ironisa un fonctionnaire de police, qui avait eu juste le temps de voir disparaître ce nouveau héros.
Quelques minutes plus tard, sachant la victime entre de bonnes mains, il prit une apparence un peu plus normale, et redescendit sur la terre ferme.
Sur le chemin du retour, Jack songea : « Eh bien ! J’espère seulement que ce type s’en tirera. À la première heure demain, j’irai le voir à l’hôpital. J’aimerais tirer au clair le pourquoi de cette agression. Je voudrais également comprendre pourquoi de nos jours, les citoyens ne peuvent plus circuler sans se faire molester. »
Jeune, belle, et condamnée…
En Lorraine, dans un célèbre parc animalier, ce début de semaine foncièrement ensoleillé commençait fort agréablement. Chaque commis vaquait à ses occupations pratiquement en chantant. Les oiseaux perchés dans les branchages sifflotaient, comme s’ils accompagnaient ces valeureux lève-tôt, pendant que félins et autres carnassiers paressaient sous les premiers rayons qui filtraient à travers les résineux. Pour parachever cette ambiance matinale et bon enfant, pas une seule fausse note ne vint troubler ces instants de tranquillité.
Profitant de ce temps bienfaisant, et avant que les portes s’ouvrent au public, Stefanie Summer, toute guillerette, descendit les quelques marches de son bureau afin d’entreprendre comme chaque jour sa visite quotidienne. Le calme qui y régnait sembla la réjouir. Pourtant, moins de cinq minutes plus tard, tandis qu’elle se dirigeait sereinement dans l’une des allées, elle fut soudain prise d’un brusque élan de vertige.
Directrice du parc animalier, elle se faisait une joie de régulièrement prendre le pouls de ses administrés, hommes ou animaux. Mais là, pour la première fois, elle ne sera pas au rendez-vous. Une panique terrible, dont elle ne serait jamais crue capable, s’empara d’un coup de tout son être. En elle, tout lui paraissait se bousculer. Sous son modeste poids, cette trentenaire sentit ses jambes flancher. D’instinct, elle tendit les bras afin de s’agripper à la clôture la plus proche qui bordait l’allée. La douleur vive la mit à genoux sous les yeux de l’un des employés, qui laissa aussitôt ses instruments de nettoyage pour se lancer à son secours.
— Madame, madame ! Vous allez bien ? s’enquit le garçon, inquiet.
— Waouh ! fit la première en portant la main à sa tête. Je ne sais pas ce qui m’est arrivé, Jérôme ! Tout allait pour le mieux, il y a un instant encore. Puis tout d’un coup, une douleur insupportable et ensuite, c’est le trou noir. Aide-moi à me relever, tu veux bien ?
Mais une fois remise sur pied…
— Tiens… On dirait que c’est terminé. Je ne ressens plus rien, Jérôme.
— Vous êtes sûre, madame, ça va aller ?
— Puisque je te le dis. Ça va aller ! C’était juste un petit malaise inhabituel. En tout cas, merci de t’en inquiéter. Et merci pour ton aide.
Aussitôt l’employé renvoyé à ses occupations, seule avec elle-même, une foule de questions lui restèrent tout de même sur la conscience.
N’y pouvant rien de plus, la gérante du parc finit par oublier ce malaise, qu’elle qualifiera plus tard de petit désagrément. Toutefois, cet incident ne l’empêcha pas de se réjouir du temps toujours magnifique, qui faisait le bonheur des visiteurs et les affaires du zoo.
Dans la vie de notre femme d’affaires, jusque-là il ne manquait rien, ou presque. Cette spécialiste de la faune vivait à Nancy, une ville de l’est de la France d’une grande beauté, à quarante-cinq minutes de son lieu de travail. Séduite par les couleurs et la diversité de cette cité, elle y avait trouvé refuge. C’est indéniablement sa profession qui la faisait vibrer. Qu’il vente, qu’il neige ou qu’il pleuve, Stefanie était toujours la première sur place. C’est cette ponctualité qui impressionnait ses collaborateurs.
Cependant, menant à fond ses activités professionnelles, jamais elle ne trouva le temps de s’occuper de sa propre vie sentimentale. Alors que fréquentant un prétendant, elle ne fit rien d’extraordinaire de cette relation. Il n’y en avait que pour Rita la lionne. Ou encore Séraphin le phoque. Pire encore, tandis que Sylvain, l’aspirant, l’accompagnait lors de quelques visites, ce sont encore les chauves-souris qui accaparaient son esprit, bien plus que les paroles du jeune homme. Celui-ci tentait par tous les moyens de se faire remarquer, mais rien n’y fit.
À la maison le soir venu, cette apparence d’impassibilité, dont elle faisait preuve pour préserver son équipe, s’effaçait de son visage. Épuisée après une journée à simuler un bien-être, Stefanie s’affalait sur le canapé.
Cependant, depuis quelque temps déjà, la Nancéenne ressentait des agressions dans son corps, et ne se sentait pas très bien dans sa peau. En revanche, jamais les symptômes n’avaient été aussi intenses qu’aujourd’hui. Malmenée par cette première attaque et intriguée par sa violence, la jeune femme se convainquit de consulter un spécialiste, afin de comprendre ce qui lui était arrivé. Ce qu’elle fit dès le lendemain, laissant perplexes ses partenaires qui ne l’avaient jamais vue déserter son poste.
Anxieuse et tremblotante, faisant les cent pas dans la salle d’attente, la patiente redoutait légitimement les résultats de ces examens.
Après de longs moments d’expertises, lorsque le médecin revint vers elle, ce n’était pas pour lui annoncer de bonnes nouvelles. Stefanie était atteinte d’un cancer des poumons, maladie irréversible, selon les mots du médecin.
Pour notre zoologiste, l’annonce fit l’effet d’un couperet. Sans voix, n’en croyant pas ses oreilles, elle avait peine à réagir. Et pour cause, alors qu’elle ne fumait pas, cela lui semblait injuste. Puis, se ressaisissant :
— Non ! Impossible, docteur, cela ne peut pas m’arriver ! Pas à moi ! s’exclama-t-elle, sous le coup de l’affolement, estimant avec sincérité et déni ne pas mériter cela.
Le monde paraissait s’écrouler dans son environnement. Mais cela devait arriver, finit-elle par se persuader, car il lui était impossible d’oublier que sa mère et son père étaient des fumeurs invétérés. De plus, fêtards inconditionnels, ils buvaient plus que de raison. À la maison ou dans la voiture, partout, il y avait des mégots, des cannettes, des bouteilles vides, voire des seringues. Même enceinte, sa mère n’avait jamais cessé ces folies. Pire, ses parents, alcooliques et drogués, disparurent à jamais alors qu’elle n’avait que 10 ans. Ces années de dépravations avaient suffi, selon elle, à lui programmer cette maladie.
« Et voilà, c’est mon tour à présent », se dit-elle, déconfite. « Je suis visiblement en train de payer les bêtises de cette paire d’inconscients. Dans mon malheur, j’aurais au moins vécu presque trois décennies sans problème particulier », ajouta-t-elle afin de se convaincre.
Néanmoins, poussée par l’envie de croire que le praticien s’était trompé et que deux avis valent mieux qu’un, notre femme d’affaires décida de refaire les tests dans la ville voisine.
Peine perdue. Les résultats se révélèrent tout aussi catastrophiques que les précédents. Les médecins de Metz lui confirmèrent les diagnostics de leurs confrères. De surcroît, on lui annonça qu’elle se situait dans la phase critique de la maladie, et qu’il ne lui restait plus que six à douze mois à vivre. Des soins palliatifs lui furent proposés afin d’améliorer sa qualité de vie, sur le plan émotionnel ou spirituel.
Devant le désarroi de la jeune femme, l’interne, qui lui avait confirmé la nouvelle, n’insista pas plus et lui fournit la thérapeutique d’usage avant de disparaître sur la pointe des pieds.
De ce fait, depuis cette annonce dévastatrice, Sylvain, qui persistait plus que jamais pour conquérir son cœur, ne représentait plus grand intérêt à ses yeux. Pour autant, le Don Juan insistait pour faire partie de sa vie. Hélas, c’était peine perdue. Stefanie s’était fermée à toutes communications. Pendant plusieurs jours, personne n’obtint de ses nouvelles. Désespérée, elle se cloîtra dans sa demeure, en quête de solitude. Déprimée, l’envie de se lever ne lui vint même plus à l’esprit. Pas même pour se nourrir. Comme si elle voulait sa fin imminente.
Pendant ce temps au parc, malgré son absence remarquée, son adjoint assurait le remplacement en professionnel.
Cela faisait maintenant une semaine entière que la jeune femme ne s’était plus alimentée. Amaigrie, les lèvres gercées, elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. L’idée de ne pas attendre et d’en finir s’était installée tout naturellement dans son esprit. Si bien que, quelque temps plus tard, elle ne fut plus en mesure de ressentir les moindres sensations de son corps.
Un matin pourtant, ne voulant pas que la nuit passée soit la dernière, dans un sursaut d’énergie, Stefanie se ressaisit. À cet instant, encore submergée par le désir profond de se défaire de la vie, notre zoologiste se rendit compte, faire preuve d’un égocentrisme qui ne lui ressemblait pas. Ce dont elle pouvait se rassurer, c’est sa volonté de s’en sortir et qu’elle allait devoir se battre pour cela. Abasourdie plus que désorientée, elle tenta de se redresser, décidée à refaire surface.
Soudain, tout sembla aller très vite autour d’elle. Son cœur résonnait vaillamment dans sa poitrine, prouvant qu’en elle était né un souffle nouveau. Dans sa tête régnait un désordre sans précédent. Et dans cette cacophonie, elle trouva la lucidité de se dire, que si sa vie devait s’arrêter, ce ne serait certainement pas en s’apitoyant sur son sort !
Titubant, s’appuyant ici et là, Stefanie se traîna jusqu’à la salle de bain, et y resta. Le temps lui semblait à présent sans valeur, elle demeura amorphe sous sa douche durant de longs instants. Elle-même ne saurait en définir le temps passé. Après cette douche revigorante, la jeune femme, certes épuisée, paraissait miraculeusement avoir fait abstraction du malheur qui l’habitait. Plus que jamais, la fougue et l’envie de lutter pour vivre semblaient reprendre le dessus.
Au zoo, aucun de ses subordonnés ne connaissait l’état de santé de leur patronne. Cependant, personne n’osa lui poser de questions quant à son absence prolongée. Stefanie voyait très bien cette envie de comprendre dans leur regard, dominé par l’incompréhension. Mais elle n’y pouvait rien, souhaitant surtout ne pas alarmer ses collaborateurs de son passage difficile. Encore moins qu’on la traite différemment.
Au bout de quelques jours de routine, tout semblait oublié. La vie au zoo reprit son cours, comme si rien ne s’était passé.
Un peu plus tard, Sylvain, malgré le premier refus, n’hésita pas à revenir à la charge. Une ultime fois, celle qu’il aurait bien voulue comme compagne, lui fit comprendre avec regrets ne plus vouloir continuer leur aventure.
— Mais Stefanie…
— Non, s’il te plaît ! Ne dis rien. Je t’assure néanmoins ne pas me jouer de toi. Tu me connais bien, ce n’est pas mon genre de raconter des histoires. Pourtant, je ne peux t’expliquer la situation sans que je m’effondre en larmes devant toi. Je te demande simplement de ne plus me relancer. Je ne veux pas te laisser de faux espoir, quant à la poursuite de notre relation. Ce qui m’arrive reste personnel. Je te prie de me croire, si je te dis que je ne peux rien te révéler. Laisse-moi ! fit-elle encore, en lui tournant les talons.
Anéanti, le courtisant resta un moment perplexe et sans voix. La voyant s’éloigner sans même un dernier regard, Sylvain aurait bien voulu lui lancer un ultime adieu. Mais face à cet entêtement à vouloir tout abandonner, il se décida, sans le moindre mépris, à quitter les lieux. Néanmoins, c’est la tête basse et l’esprit hagard qu’il s’éloigna à son tour. Bien sûr, le gaillard ignorait qu’en insistant un peu, celle que son cœur avait choisie aurait cédé. Car il ne s’agissait pas là d’un caprice infantile.
La zootechnicienne avait vraiment besoin d’entendre des paroles apaisantes, des mots revigorants qui la feraient revivre. Seulement voilà, personne, et encore moins le pauvre Sylvain, ne savait qu’il était sur le point de laisser Stefanie, seule dans la tourmente. Plus jamais, on ne revit le garçon dans le parc. Peut-être croyait-il avoir commis une faute impardonnable, lui valant les foudres de la belle ?
Cette dernière avait réfléchi, et pensait éviter à son courtisant le chagrin d’une séparation brutale. Elle ne voulait pas non plus de sa pitié quand arrivera le moment fatidique. Malheureusement, ignorant le motif de ce refus, alors que blessé, il n’en saura pas plus sur cette étrange situation qui, sans aucune équivoque, devrait empirer.
Le contexte, bien que modifié, n’effraya en rien notre zoologiste qui s’était arrangée pour que ces derniers instants soient florissants. Ayant choisi de profiter au maximum du temps qui lui restait, les semaines à venir devaient obligatoirement se passer dans la joie et la bonne humeur. C’est pour cette raison que chacun pouvait lire le bonheur sur son visage.
Plusieurs jours après son retour, la vie avait repris son cours. Stefanie brillait par sa prestance. Le personnel ne pouvait que reconnaître qu’elle était de nature attirante, pour ne pas dire séduisante. D’autant plus depuis la reprise de ses activités. En tout cas, elle voulut se montrer plus en forme qu’il y a quelques semaines. En effet, ses tenues vestimentaires ont tellement évolué, qu’ils en restèrent ébahis. En revanche, et même si cela était sans excès, la demoiselle osait pratiquement tout.
Tel ce beau jour de printemps, Stefanie s’était maquillée comme jamais. Ses longs cheveux d’un noir ébène flottaient allègrement dans le vent. Une petite brise légère vint lui caresser le visage, basculant quelques mèches vers ses yeux dont on ne devinait plus le contour. D’un mouvement gracieux de la tête, elle les ramena simplement vers l’arrière.
Descendant l’allée pour commencer ses visites, elle semblait portée par une légèreté presque surfaite. Mais elle ne s’en souciait point. À présent, ayant cette envie de se dévoiler, notre brune incendiaire prit la décision de se vêtir d’un magnifique tailleur à mini-jupe, qui lui allait à ravir. Ce ravissant complet soulignait ses formes splendides. Des cuissardes, aussi noires que sa chevelure, remontaient jusqu’à ses cuisses dégagées. Autant d’atouts qui l’illuminaient et qui faisaient d’elle un excellent appât pour quelques chercheurs audacieux. Telle une Walkyrie, la voilà définitivement observée comme la féminité incarnée. N’importe qui en cet instant pouvait tomber sous son charme. Elle s’était donnée à fond, peut-être même dans un élan inconscient.
Accoudée à la barrière de la cage d’un clan de mammifères ailés, à la limite d’entrevoir un fessier qu’un simple string ne saurait cacher, Stefanie paraissait rêver au point d’en presque oublier ses autres obligations. La tête bien ailleurs, contemplant la faune, elle ignorait devoir revenir à la réalité quelques secondes plus tard.
Rick Douglas, un élégant américain en visite dans le zoo, accompagné de quelques assistants et de gardes du corps à peine discrets, fut tout de suite imprégné de cette image de beauté. Cette dernière, penchée vers le parc des chauves-souris et au vu de sa tenue, attirait plus d’une paire d’yeux. Insouciante à cet instant, notre zoologiste semblait ne pas se rendre compte que sa position sans équivoque, provocante, ne laissait personne indifférent. Rick, bien qu’intimidé, hésita quelques secondes et s’approcha en lui murmurant :
— Voilà quelqu’un qui adore les animaux, si je ne me trompe. Cela fait un moment que je vous vois perplexe devant ces mammifères, mademoiselle.
En entendant la remarque, Stefanie sursauta et se retourna vivement, tout en tirant sur sa jupette, d’un geste presque anodin. Rick, s’étant aperçu de la gêne de la jeune femme, laissa paraître un léger rictus sur son visage. Ce dernier tenait cependant à agir comme si de rien, quand bien même en ayant entrevu ses magnifiques cuisses glisser l’une contre l’autre, tel du velours.
— Oh ! s’exclama-t-elle, impressionnée en reconnaissant l’acteur. Je… euh… excusez-moi. J’étais plongée dans mes pensées.
— Eh bien ! Euh… sachez que je suis désolé de vous avoir arraché à vos méditations.
— Soyez rassuré, monsieur ! J’ai moi-même d’autres tâches, qui plus est sérieuses, qui m’attendent dans cet immense enclos ! déclara-t-elle.
— D’accord ! J’espère sincèrement que ce n’est pas moi ni ce que j’ai dit, qui vous incite à fuir. Je me présente, Rick Douglas. J’ai une question tout de même avant que vous partiez : qu’est-ce que vous savez exactement à propos de ces animaux ? Vous ne semblez plus les quitter des yeux. Je dirais mieux, que vous étiez en train de les admirer, avec passion même.
— Oh, hum… Je sais beaucoup de choses sur eux, croyez-moi ! Je suis Stefanie… Stefanie Summer. La responsable de ce zoo et vétérinaire. Pour répondre à votre question, vous savez que les chauves-souris ne sont pas aveugles ?
— Oui, comme tout le monde, je crois. Elles sont myopes, si mes souvenirs sont exacts.
— Eh bien, pas du tout ! Figurez-vous qu’elles voient très bien. Ça, les gens ne le savent pas vraiment. Mais comme ce sont des animaux nocturnes, il leur fallait un système de guidage pour évoluer dans le noir. La nature à bien fait les choses. Nous nous servons de lampes torches lorsqu’il fait nuit, et elles, de leurs sens radars. Pour finir sur le sujet, car je ne veux pas vous empêcher de continuer votre visite, sachez qu’elles font partie de l’ordre des chiroptères. Ce sont les seuls mammifères placentaires qui ont colonisé l’espace aérien. De plus, elles sont inoffensives. Les chauves-souris ne s’en prennent jamais aux humains.
— Waouh ! D’accord, Stefanie. Je ne pensais pas un instant, lorsque j’ai posé la question, que j’allais bénéficier d’un cours gratuit sur ces gentilles petites bêtes. Mais puisque je l’ai eu, comment puis-je me faire pardonner de vous avoir détournée de vos réflexions ? lui demanda le jeune homme avec simplicité.
Sans même réfléchir, comme si elle ne souhaitait que cela, la demoiselle lui répondit sèchement :
— Venez me prendre à la fermeture du parc si vous êtes libres, monsieur Douglas ! On ira dans un café… non loin.
— Pas de problème, avança celui-ci tout aussi précipitamment. Mais… appelez-moi, Rick ! reprit ce dernier, ne s’attendant pas à cette soudaine invitation, en tout cas pas aussi facilement de la part de celle qu’il voyait telle une déesse. Je me présenterai au rendez-vous, comme convenu, mademoiselle… Euh… Stefanie !
Satisfait de la demande, le Don Juan recula, à son tour intimidé, au risque de bousculer les visiteurs, nombreux en ces jours de printemps.
— Faites attention, derrière vous… Rick ! lui dit-elle instamment.
Un petit sourire coquin aux lèvres, Stefanie le regarda partir. Lorsque ce dernier eut disparu de son champ de vision, elle se retourna vers la cage. Juste à cet instant, l’une des chauves-souris qui somnolait se décrocha de la toiture métallique. Sans raison apparente, celle-ci chuta lourdement sur un monticule d’herbes, depuis peu coupées. Choquée, à la vue de cet incident peu banal, rapidement, Stefanie s’empara du passe-partout qui se trouvait en permanence dans l’une de ses poches. Tout doucement et sur la pointe des pieds, pensant le mammifère mortellement blessé, l’intrépide s’engagea dans l’abri afin de se rendre compte de l’état de l’animal. Troublée du fait de cet incident, elle en oublia les règles élémentaires de sécurité. La bête ne semblant plus remuer, délicatement, Stefanie la prit à pleines mains. Soudain, dans un soubresaut sans doute craintif, l’animal se débattit avec force. Ses immenses ailes fouettèrent avec véhémence le visage de la jeune femme, surprise de cette réaction. La panique de leur congénère fit démarrer d’un coup les autres comparses. Dans l’excitation, effrayée, l’imprudente pouvait ressentir ses palpitations. Pour tout compliquer, le va-et-vient incessant des mammifères affolés l’empêcha d’ouvrir la porte de la cage. Très professionnelle, la demoiselle craignait une fuite de ses pensionnaires, que tout un chacun pensait myopes ou aveugles. Ne sortant que la nuit pour se ravitailler, elles ont besoin de ce sens radar. Là, en l’occurrence, quand bien même ce sens étant très développé, en pleine journée elles n’en ont pas l’utilité. Résultat, malgré l’affolement général, aucune des chauves-souris ne vint la bousculer. Même au milieu de cette tourmente, l’impétueuse sut garder son calme. Dans sa poitrine, son cœur battait à tout rompre. Les yeux fermés, pendant un instant, elle resta adossée à la grille, tentant de se protéger du mieux possible. L’attente, jusqu’à ce que tous les animaux eussent atteint leur perchoir, dura quelques longues minutes. Lorsque fut passée l’agitation et qu’elle put finalement s’extraire de la cage, l’insouciante s’aperçut qu’une trentaine de personnes s’étaient amassées autour d’elle, s’inquiétant pour sa santé.
— Ça va, mesdames et messieurs ! Je me porte très bien, leur dit-elle avec un air presque désinvolte. Je suis la directrice du parc. Désolée de vous avoir occasionné cette frayeur ! À présent, je gère, vous pouvez me croire ! Il reste évident que je n’aurais pas dû entrer dans cette volière. Mais le mal est fait, voyez-vous !
— En effet ! Vous nous avez fait peur le temps d’une minute, mademoiselle. Cependant, je vous invite vivement à faire soigner cette vilaine blessure, là, à votre bras ! lui confia l’un des témoins de la scène. Je vous conseille également de vous laver le visage. Vous n’êtes pas tout à fait sortie indemne de cette cage ! Votre joue est toute rouge.
Durant l’affolement, trop occupée à se protéger, Stefanie n’avait pas remarqué s’être fait agresser par la bête, qu’elle avait supposée inanimée. Elle n’avait pas senti non plus s’être fait mordre. Sur son avant-bras, des traces assez profondes de petites dents étaient présentes. De ses orifices s’échappèrent deux légers filets rougeâtres, qui glissèrent le long de son membre. C’était le bracelet de tissu, toujours à son poignet lorsqu’elle travaille, qui s’imprégnait de son sang. N’éprouvant apparemment aucune douleur, notre rescapée ne crut pas utile ni éprouva le besoin de consulter un généraliste. Elle alla tout simplement se faire soigner auprès de Marjorie, son amie infirmière, à la pharmacie de son dispensaire. Cette dernière, apprenant l’événement et la catastrophe évitée, n’hésita pas à la sermonner :
— Tu te rends compte, Stef, que tu aurais pu ne pas t’en sortir de cet enfer ! Qu’est-ce que tu avais à fourrer ton nez dans cette cage ? Tu sais pourtant comment ça fonctionne avec les animaux, non ?
— OK ! C’est bon, Marjo, tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi. Les gens qui se trouvaient devant de la volière m’ont assez sermonné. Comme tu vois, il n’y a pas plus de mal que cela.
— Très bien ! Je te conseille tout de même de consulter un spécialiste, au cas où ta chauve-souris présenterait une maladie quelconque. Si elle a chuté de la manière dont tu me l’as annoncé, c’est sûrement, parce que quelque chose ne va pas dans son organisme. C’est la raison pour laquelle tu es entrée dans la cage, il me semble ! Pour t’en rendre compte. Mais moi, mon rôle consiste à te garder en vie. Il reste clair que je n’y arriverai pas si tu te comportes comme une enfant. Mais c’est toi le patron, conclut sur ses mots l’infirmière.
— Hum… C’est tout à fait cela, Marjo. Je dois toutefois t’avouer qu’en ce moment, j’ai les idées bien ailleurs. Sur le coup, j’ai voulu en effet la sauver, la pauvre bête. Résultat, je me retrouve dans ton dispensaire parce que j’ai réagi trop vite. Mais je le ferai, j’irai le voir ton médecin.
Une fois ses blessures pansées et après un banal sparadrap, plus personne ne pensa encore à cette anicroche. Notre directrice elle-même semblait faire abstraction de ce qu’elle considérait comme un petit interlude. Tandis qu’elle avait repris la visite du parc, le reste de la journée se déroula sans incident particulier. Tout ne pouvait que bien se passer, car en vérité, elle ne pouvait penser à rien d’autre. L’idée de retrouver son bel acteur dominait son attention pour la plus grande partie de l’après-midi. Si bien que, dès qu’arriva l’heure de la fermeture, on apercevait une certaine clarté sur son visage. Son beau jeune prince était venu au rendez-vous comme prévu. Intimidés, l’un comme l’autre, c’est Rick Douglas qui le premier entama la conversation.
— Salut ! Dites-moi, que s’est-il passé depuis que l’on s’est vus ? Vous ne possédiez pas ce pansement au bras, tantôt !
— Oh, ça ! Bah, c’est sans importance. Il s’agit d’une petite blessure sans gravité. Un incident de travail, déclara Stéphanie, tout simplement. Nous pouvons y aller ? Cela dit, je n’ai pas la moindre idée de l’endroit où vous avez l’intention de m’emmener !
— Étant donné qu’Amnéville, ce merveilleux endroit, reste votre fief, je vous accorde pour cela mon entière confiance. À vous de voir où nous pourrions profiter d’un moment agréable.
— En fait, je gère le site, mais je ne suis pas d’ici. Pire, je ne connais pas vraiment le patelin. J’habite en réalité à Nancy qui est un peu plus au sud.
C’est ainsi que, tout bonnement, Stefanie emmena son compagnon d’un instant dans l’un des meilleurs restaurants de la ville, qu’elle apprécie. Parlant de tout et de rien, s’esclaffant d’anecdotes de part et d’autre, tous les deux passèrent agréablement toute une bonne partie de la soirée, qui vraisemblablement avait passé trop vite, reconnut notre amie en jupon.
Là, en dragueur digne de ce nom, Douglas sut trouver les mots qui touchèrent la demoiselle au plus profond de son être. Sans difficulté, face à la simplicité de son vis-à-vis, celle-ci se laissa convaincre de sa sincérité. Tout aussi naturellement, comme s’ils se connaissaient depuis de longues dates, le couple termina cette petite excursion dans l’appartement de la belle Lorraine.
Le lendemain, tandis que Rick était parti pour d’autres activités, Stefanie, à présent esseulée, semblait comme métamorphosée. Elle chantonnait à haute voix dans la maison, comme si une bonne nouvelle était tombée. Sautillant sur un air de musique d’ambiance, elle paraissait fraîche comme une rose, alors que cela aurait dû être le contraire, au vu de ce qu’elle était en train de traverser.
Un peu plus tard, comme à son ordinaire, la zoologiste exécuta sa tournée dans le parc. Se sentant légère et joyeuse, elle sifflotait entre ses dents. Ce qui est certain, et depuis son réveil, la demoiselle paraissait réellement reprendre goût à la vie. Ainsi, cette joie soudaine en étonna plus d’un, et pour cause, quelques jours plus tôt, même si elle ne voulait pas le laisser paraître, Stefanie n’était pas à prendre avec des pincettes. Certains avaient fini par comprendre la raison de cette frivolité, lorsqu’un soir, Rick Douglas était revenu chercher leur patronne, pour un énième rencart.
— Eh bien ! voilà ce qu’il lui fallait ! émit l’un de ses collègues. Mais… le visage de cet homme me rappelle quelqu’un, ajouta-t-il.
— Nom de Dieu, Roger ! Ne me dis pas que tu n’as pas reconnu Rick Douglas ! s’exclama un autre.
— En effet, il s’agit bien de lui, reprit le premier. La chance semble au rendez-vous pour certains ! Cela n’arrivera jamais à moi !
— Roger ! Pourquoi te faudrait-il un acteur à toi ?
Ce dernier ne répondit point à la moquerie de son ami, se doutant qu’il s’était fait remarquer.
En tout cas depuis l’incident, et quand bien même son aventure amoureuse, Stefanie retourna régulièrement vers la cage des chauves-souris. Il lui fallait vérifier certaines théories qui traversaient son imagination. Elle voulait absolument comprendre ce qui s’était produit ce fameux jour. Sans y parvenir, toutefois. Parmi la vingtaine de ces mammifères accrochés à la toiture métallique, elle ne put non plus reconnaître celle qui l’avait agressée. Aucun ne portait un symptôme quelconque, comme s’il ne s’était absolument rien passé. Malgré ses connaissances sur ces animaux, bien que spécialiste, elle ne pouvait pas non plus, affirmer que l’une d’entre elles aurait contracté une quelconque maladie. Néanmoins, si tel était le cas, qu’arriverait-il à présent pour sa propre santé ? Pourquoi justement ce jour-là ? Ce jour d’une certaine rencontre. Autant de questions qui, pour des raisons évidentes, allaient demeurer sans réponses. Personne d’ailleurs à ce stade ne pouvait rien pour elle. Impressionnée, Stefanie se résigna. Puis, constatant que tout allait parfaitement pour les mammifères, la zootechnicienne cessa de se poser ces questions, jusqu’à finir par oublier l’incident quelque temps plus tard.
Une semaine merveilleuse marquée de passion et de sérénité s’était déroulée pour notre naturaliste, qui n’en demandait pas tant. Cependant, toute bonne chose présente une fin à un moment donné.
— Il faut que je t’avoue quelque chose, Stef.
— Je t’écoute, Rick.
— Eh bien ! Je… je suis un peu gêné. Je ne sais pas comment te l’annoncer.
— Tu n’as pas à être gêné, mon cher ! À moins que… je puisse faire à ta place cette annonce. Tu penses sans doute à me révéler que vient ce moment pour toi de rentrer au bercail. Tes vacances sont terminées, n’est-ce pas ?
— Euh… Je… je ne comprends pas ! Tu avais tout deviné. Surtout que je ne resterai pas, pourtant, tu n’as rien sollicité de ma part ! Tu ne m’as posé aucune question. Tu t’es juste contentée de flirter, pourquoi ?
— Tu vois, Rick ! Je suis une femme, certes, aucunement naïve pour autant. Un Américain de ta stature, ça ne demeure pas longtemps dans un même lieu, même s’il est accompagné d’une belle créature, tout en étant modeste.
— Tu semblais parfaitement au courant que je n’étais que de passage, pourquoi alors m’as-tu laissé te séduire ?
— Pour la simple raison que tu m’as plu dès notre première entrevue. C’est sincère, ce que je dis. Mais aussi, tu avais l’air de t’y intéresser en matière de chiroptère. Je rajouterais également que les hommes n’ont pas le monopole des rencontres brèves. Je vais juste te confier que, dans notre courte histoire, tu as réussi à me faire oublier un mauvais moment que j’étais en train de traverser. Pour cela, je t’en remercie. Avant ta venue, j’étais acculée au bord d’un gouffre et j’avais contracté une grosse déprime. Si grosse que, lorsque je t’ai vu ce jour-là, ça a fait boum dans mon cœur. Ça va beaucoup mieux à présent. Je dois par la même occasion t’avouer que j’ai passé une merveilleuse semaine en ta compagnie. À tes côtés, pendant ces quelques jours, je me suis sentie redevenir une autre femme. Je suis même parvenue à oublier mes problèmes, et qui ne sont pas des moindres. C’est en partie grâce à ta sincérité et à ta simplicité que je me sens si bien dans ma peau. Tu peux rentrer tranquillement, je ne chercherai pas à profiter.
— Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, Stef. Tu me plais aussi, et ça, tu le sais. Pourtant, je suis obligé de repartir. Pas seulement parce que je dois travailler, mais aussi parce que Kirk Douglas, que tu dois connaître, vient de nous quitter. C’est cette raison qui m’oblige à partir au plus vite. S’il n’y avait pas eu ce décès je serais volontiers resté encore quelques semaines auprès de toi.
— Oh, je ne le savais pas. Mes sincères condoléances. Bien sûr, comme tous ceux de ma génération, je le connaissais. Mais tu ne me devais aucune explication, mon cher Rick.
— Je le sais, Stef. Alors, tu dois également savoir que j’ai autant appris en ta compagnie et que, par-dessus tout, je tiens beaucoup à toi. Ces quelques jours ont été merveilleux pour moi aussi. Sache que tu peux m’appeler quand tu le souhaites. Je te consacrerai toujours un instant de mon temps pour discuter. Si un jour, l’un de tes voyages t’emmène par chez moi, ma maison te demeurera grande ouverte, lui confia-t-il en lui adressant un dernier au revoir.
Une fois de plus, Douglas parti, Stefanie aurait dû être effondrée ou meurtrie. Il s’avère que pour l’instant, et comme la première fois, c’est tout le contraire qui se passe. La demoiselle ne s’était jamais sentie aussi bien. Dans sa tête, tous les bons moments passés en compagnie de l’acteur restaient présents. De sa blessure, elle n’y a jamais fait allusion. Tant et si bien que, lorsque Marjorie lui enleva définitivement son pansement, toutes les deux furent surprises de ne plus constater ne serait-ce qu’un semblant de trace.
— Ça alors ! c’est bizarre, Stef ! s’exclama l’infirmière. J’avais la nette impression que les morsures que cette bestiole t’a infligées étaient assez profondes, lorsque je t’ai soigné la première fois. Je n’ai jamais vu, depuis que je fais ce métier, des lésions guérir aussi vite. Il ne reste plus la moindre trace de ton aventure dans cette cage. Ma question est : comment cela se fait-il ? C’est à se demander si tu as été réellement blessée, dans cette affaire. En tout cas, je peux te dire que dans ton malheur, tu as eu de la chance, ma belle. Par conséquent, si tu n’as pas encore vu de médecin, comme je te l’ai recommandé, je ne vois pas ce qu’il y aurait de plus à constater. Mis à part tout de même que tu dois faire une analyse de sang. Vu ce que tu as traversé, c’est une précaution que je te conseille une fois encore et que tu ne dois pas négliger.