Un Savoureux Cookie - Soline Brunet - E-Book

Un Savoureux Cookie E-Book

Soline Brunet

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Beschreibung

Alice, une jeune femme audacieuse, se retrouve confrontée à une série d´évènements traumatisants. Après avoir été agressée à la sortie de son travail, elle doit faire face à la froideur de son supérieur au cours d´une réunion à laquelle elle arrive en retard, Arthur Weber, un homme réputé pour son exigence. Pourtant, ce n´est pas seulement lui qu´Alice doit affronter : Alban, un collègue qu´elle redoute fait également parti de la réunion. Un homme qui, dans le passé, a failli détruire sa vie. Malgré les difficultés, Alice parvient à surmonter les obstacles et à gagner la confiance d´Arthur. Cependant, leur relation professionnelle se complique quand les sentiments s´en mêlent. Résistera-t-il au charme de cette jeune femme éprouvée ? Saura-t-elle briser la carapace qu´il s´est forgé et découvrir ses secrets ? Oseront-ils se donner la chance de trouver le bonheur ?

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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“ Mais j’crois qu’avant, j’étais perdu(e),

t’es devenue mon chemin ”

Hoshi – Puis t’as dansé avec moi

Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

Chapitre 45

Chapitre 46

Chapitre 47

Chapitre 48

Chapitre 49

Chapitre 50

Chapitre 51

Chapitre 52

Chapitre 53

Chapitre 54

Chapitre 55

Chapitre 56

Chapitre 57

Chapitre 58

Chapitre 59

Chapitre 60

EPILOGUE

1

« Mesdames et Messieurs, dans quelques instants, le TGV entrera en gare de Paris Gare de Lyon… »

Je sursaute, brutalement tirée du sommeil, et jette un regard à ma montre. Après avoir résisté autant que possible à la fatigue, j’ai fini par succomber et m’assoupir la dernière demi-heure du trajet. Un coup d’œil à mon miroir de poche me rassure quant aux ravages du manque de sommeil, et des évènements de ces dernières vingt-quatre heures. J’étire lentement mes membres engourdis, mais une douleur lancinante me rappelle immédiatement à l’ordre, m’arrachant une grimace involontaire.

— Vous êtes sûre que tout va bien, Mademoiselle ?

J’adresse un sourire rassurant à la charmante vieille dame qui occupe le siège voyageur en face de moi. À peine s’était elle installée que nous avions sympathisé. Petite et menue, ses cheveux cendrés soigneusement ramenés en un chignon bas, elle avait des yeux bleu clair pétillants d’intelligence et de douceur. Elle m’avait instantanément rappelé ma grand-mère. Son regard malicieux et empreint d’une grande bienveillance avait eu raison de cette distance que l’on s’impose dans les transports en commun, à l’abri derrière nos smartphones et ordinateurs. Alors que je me sentais encore tendue par ce que j’avais traversé quelques heures plus tôt, elle avait su trouver les mots justes pour apaiser cette tension. Elle m’avait écoutée avec cette attention propre à ceux qui ont vécu autant de joies que de peines dans leur vie, et j’avais même ri en l’écoutant raconter quelques anecdotes sur son petit-fils, qu’elle s’apprêtait à rejoindre.

— Oui, merci, je suis sûre que demain ce ne sera plus qu’un mauvais souvenir…

Le train ralentit et s’immobilise. Elle se lève pour enfiler son manteau, et je l’imite en rassemblant mes affaires. Nous nous dirigeons avec l’ensemble des voyageurs pour récupérer nos bagages. Lorsqu’elle me demande de l’aider à récupérer sa valise, je ne m’attends pas à ce qu’elle me désigne une petite valise rigide rose bonbon. À mon regard surpris, elle répond d’un haussement d’épaule les yeux pétillants de coquetterie. Le hasard fait de belles rencontres et indéniablement, celle-ci en est une.

Je la précède pour descendre sur le quai pour l’aider. Autour de nous, les passagers se dispersent, tous plus pressés les uns que les autres. Elle me remercie d’un signe de tête et son regard empreint de bienveillance me replonge à nouveau dans les souvenirs de ma grand-mère, cette femme qui m’a élevée avec tout l’amour et le dévouement dont j’avais besoin.

Orpheline à l’âge de huit ans, c’est elle qui m’a recueillie. Veuve depuis bien avant ma naissance, elle n’avait eu plus que moi et j’étais devenue toute sa vie, comme elle était devenue la mienne. Elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour que je grandisse comme une enfant ordinaire. Bien sûr, ça n’avait pas toujours été facile, ni pour elle ni pour moi. J’étais une petite fille réservée et solitaire, puis à l’adolescence, j’avais connu ma période de rébellion, et nos différences générationnelles n’avaient rien arrangé. Mais une fois ce cap passé, nous étions devenues complices, fusionnelles même. C’est grâce à elle que je suis devenue une jeune femme équilibrée, bien ancrée dans sa vie. Qu’est-ce qu’elle peut me manquer.

La faucheuse avait encore frappé et me l’avait enlevée il y a quelques mois, je l’avais trouvée étendue dans son lit, paisible. Les médecins m’avaient assuré qu’elle était partie dans son sommeil, sans souffrance. Une bien maigre consolation. Désormais, j’étais seule. Ironie d’être issue d’une lignée abonnée aux enfants uniques. Bien sûr, j’ai quelques amis proches, mais personne qui m’attend à la maison. Pas même l’ombre d’un petit ami, trop occupée et accaparée par mon travail.

Mon cœur déborde de souvenirs et de nostalgie. Sans réfléchir, je prends cette vieille dame dans mes bras. Elle semble surprise mais, avec une tendresse infinie, elle me tapote doucement le dos.

— Je suis désolée… Je ne sais pas ce qui m’a pris…

Je m’éloigne légèrement, un peu déconcertée par mon propre geste. Pourtant, ce câlin volé m’a fait un bien incommensurable.

— Ce n’est rien, répond-elle avec un sourire. Je pense que vous auriez beaucoup à apprendre à mon petit-fils… Prenez soin de vous.

Je lui rends son sourire et la regarde s’éloigner, traînant derrière elle sa petite valise rose bonbon.

Revigorée par tant de bienveillance et de gentillesse, je me hâte de rejoindre la zone de taxis. Par chance, l’attente est brève, et je tombe en prime sur un chauffeur mélomane. La douce musique qui emplit l’habitacle crée une atmosphère apaisante, parfaite pour me détendre après ce voyage. Je me laisse porter jusqu’à ma destination : le siège social de mon entreprise.

Mon travail, en deux mots ? Ma vie. Pendant mes études en marketing et communication, j’avais décroché un petit job dans une enseigne de café, d’abord au service, puis à la caisse. Peu à peu, j’avais gravi les échelons et, à la fin de mes études, j’étais l’assistante du responsable de point de vente. Lorsque celui-ci avait été promu, j’avais naturellement hérité de son poste. Depuis trois ans, je manageais ma propre boutique, entourée d’une équipe de cinq collaborateurs dévoués. Ce n’était pas tout à fait dans la suite logique de mes études, mais j’avais trouvé ma place dans cette grande entreprise aux nombreuses perspectives d’évolution. Un jour, j’espérais pouvoir exercer pleinement dans mon domaine de prédilection. En attendant, je profite en m’épanouissant dans mon travail, et j’avoue, je prends parfois certaines libertés en matière de marketing. J’ai même été à l’origine de plusieurs initiatives adoptées à l’échelle du réseau, ma grande fierté.

J’ai rarement eu l’occasion de venir au siège, sauf pour quelques formations et j’ai hâte d’intégrer le groupe de travail auquel j’ai été conviée. D’après le mail que j’ai reçu, nous sommes six managers, chacn représentant un points de vente réparti aux quatre coins de la France. Trois d’entre eux ne me sont pas inconnus, et parmi eux, une personne dont je me serais bien passé. Mais l‘opportunité était trop grande pour se montrer difficile, d’autant que le groupe sera dirigé par Arthur Weber en personne. Véritable modèle de réussite dans l’entreprise, il est réputé pour son exigence et sa rigueur. Je suis enthousiaste à l’idée de le rencontrer même si je ne suis clairement pas au meilleur de ma forme.

2

Le taxi me dépose juste devant l’immeuble, dont la façade arbore fièrement en grandes lettres noires le nom de l’enseigne. Je m’arrête un instant, contemplant ce grand bâtiment de verre et d’acier. Un contraste surprenant avec l’ambiance chaleureuse et intimiste que l’enseigne cultive dans ses cafés, dont un bel exemple se trouve juste en face, de l’autre côté de la rue.

En traînant ma valise derrière moi, je me dirige vers les grandes portes qui s’ouvrent automatiquement à mon approche. Le hall, aussi imposant que dans mon souvenir, est animé par plusieurs petits groupes qui patientent en discutant.

— Bonjour, je suis Alice Leroux, je viens pour…

Je n’ai pas le temps de finir de m’annoncer à l’accueil que quelqu’un me tape sur l’épaule.

— Alice ? Salut, je suis Benoit Dufour. On s’est parlé plusieurs fois au téléphone, ravi de mettre enfin un visage sur une voix.

Devant moi, se dresse un homme d’une trentaine d’années, châtain, barbu, au physique robuste qui lui donne une certaine bonhomie. Son nom m’est familier : il m’avait aidée à plusieurs reprises à mes débuts comme responsable de magasin. Nous n’avons plus eu de contact depuis un moment, mais je suis ravie de le rencontrer en personne. Comme la plupart des collaborateurs du réseau, nous nous tutoyons naturellement et échangeons une bise en guise de salutations.

Toujours debout devant l’accueil, je me tourne vers l’hôtesse, qui me demande simplement de patienter à l’écart. Elle nous informe qu’elle nous accompagnera d’ici quelques minutes à notre salle. N’ayant pas eu le temps de passer à mon hôtel, elle accepte gentiment de garder ma valise. Benoit et moi nous écartons pour laisser la place aux personnes attendant leur tour.

L’attente dure un moment avant que l’hôtesse, une petite femme brune d’une cinquantaine d’années, nous invite, ainsi que d’autres groupes, à la suivre. Nous déplaçant en masse, elle nous guide jusqu’à une salle au premier étage. À mesure que nous entrons, je réalise que nous sommes bien plus nombreux que prévu. La majorité des participants sont jeunes, et la plupart sortent feuilles et stylos, alors que les consignes indiquaient d’apporter l’ordinateur portable fourni aux managers. Intriguée, je partage mes doutes à Benoit pendant qu’il installe son matériel.

Notre conversation est brusquement interrompue par l’arrivée de l’intervenant. Dès qu’il entre, il n’y a plus de doute : cet homme grisonnant n’a rien à voir avec Arthur Weber, j’en mettrais ma main à couper. Je n’ai jamais vu de photo de Monsieur Weber, mais il est beaucoup plus jeune que cet homme-là, j’en suis sûre.

Alors que l’intervenant inscrit son nom et le thème de la journée sur le tableau blanc, Benoit et moi échangeons un regard. Nous nous excusons discrètement et quittons la salle, visiblement au mauvais endroit. De retour à l’accueil, il ne nous reste plus qu’à trouver où nous aurions dû être.

Lorsqu’elle réalise son erreur, l’hôtesse se confond en excuses et insiste pour nous accompagner au bon endroit. Visiblement embarrassée, elle va jusqu’à proposer d’expliquer la situation à Monsieur Weber en personne. Nous avons toutes les peines du monde à l’en dissuader, et finalement, nous finissons par frapper et pénétrer dans la salle, seuls.

D’un signe de tête, nous saluons les participants et nous excusons brièvement pour notre retard – d’à peine dix minutes. Mais à en juger par le regard glacial qui nous accueille et à la façon dont M. Weber nous intime de nous asseoir, il est clair que nous lui avons déjà suffisamment fait perdre son temps.

Il entame aussitôt la présentation des attentes et des objectifs de ce groupe de travail, tandis que Benoit et moi nous installons discrètement. Tout semble reprendre son cours normalement jusqu’à ce qu’il interrompt brusquement son discours pour me lancer un regard glaçant.

— Où est votre ordinateur portable, Mademoiselle Leroux ?

Je n’apprécie que moyennement la manière dont il s’adresse à moi, comme à une écolière prise en faute.

— Pour des raisons indépendantes de ma volonté, je n’étais pas en mesure de l’avoir aujourd’hui, mais j’ai prévenu le service informatique qui devrait m’en fournir un nouveau pour demain, je réponds calmement, sans détourner les yeux.

La disposition de la salle, avec ses tables en « U », place Monsieur Weber debout derrière le bureau central. Les bras tendus, appuyés sur le meuble en chêne, il nous toise avec une irritation à peine voilée.

— Je vous rappelle à tous que le matériel informatique mis à votre disposition est sous votre responsabilité, déclare-t-il à l’assemblée, avant de se tourner de nouveau vers moi.

— J’espère au moins que vous avez de quoi prendre des notes.

En réponse, je lui montre le stylo que je tiens dans la main, un sourire crispé au coin des lèvres. Je sens que cette semaine va être longue, et je commence déjà à ressentir le contrecoup de la fatigue. Moi qui suis généralement d’un calme olympien, je suis à deux doigts de lui rentrer dedans. Mais Benoit, conscient de la tension, intervient avant que je ne cède.

— On n’aura qu’à travailler ensemble sur le mien aujourd’hui, propose-t-il en plaçant son ordinateur entre nous, comme un rempart improvisé.

Monsieur Weber acquiesce à cette suggestion, puis invite la première personne à sa droite à se présenter. Je remercie discrètement mon voisin et attends mon tour sans grande impatience d’être de nouveau confrontée à ce regard glacial.

Une fois les présentations terminées, il nous expose le programme des cinq prochains jours et nous distribue plusieurs dossiers sur lesquels nous allons travailler. À la lecture des documents, mon intérêt se ravive : la plupart des sujets portent sur la stratégie marketing du groupe et la communication interne, des domaines dans lesquels je me sens parfaitement à l’aise. Sans plus tarder, je me plonge avec enthousiasme dans le premier dossier.

Cela fait à peu près une heure que nous œuvrons en sous-groupes, lorsqu’Arthur Weber nous demande de nous connecter au réseau pour compléter des fichiers en lien avec notre étude. Il en profite pour nous annoncer que nous ne ferons pas de pause avant le déjeuner, prévu à treize heures - mon Dieu, dans trois heures !, prétextant que nous avons assez perdu de temps en début de séance. La remarque m’effleure à peine tant je suis absorbée par ma tâche, rien ne pourra me démotiver.

Tout le monde s’exécute – sauf moi, évidemment – et commence à ouvrir les fichiers demandés. Mais en face de moi, Sylvain, l’un des participants, semble avoir des difficultés à faire fonctionner son ordinateur. Ses voisins tentent bien de l’aider, sans succès. Agacé, Arthur Weber s’approche pour tenter de résoudre le problème, mais ses manipulations restent vaines, et son irritation ne fait que croître.

— Je peux essayer ?

À peine ai-je prononcé ces mots que le silence s’installe. Moi-même, je m’étonne de mon intervention.

— Vous pensez vraiment faire mieux que nous quatre réunis ?

Son ton sarcastique me laisse hésitante. Est-il misogyne ou simplement trop exigeant pour avoir digéré notre retard ?

— Pas forcément, mais ça vaut le coup d’essayer, je peux ?

D’un geste, il indique à Sylvain de m’apporter l’ordinateur… Grand seigneur.

Sans perdre une seconde, je m’attelle à la tâche, mes doigts courant sur le clavier à une vitesse qui semble le surprendre.

Comme ma grand-mère n’était pas très au fait des nouvelles technologies, je m’étais inscrite à un club d’informatique, j’y avais rencontré des amis de mon âge et appris beaucoup de chose.

— En plus d’être une spécialiste des retards et des disparitions d’ordinateurs, vous semblez vous y connaître en informatique.

Ça y est, je suis fixée : il n’est pas misogyne, juste intransigeant. Je préfère ignorer sa remarque et continue de pianoter sur le clavier sans relever la tête.

— D’ailleurs, vous ne nous avez pas dit ce qui était arrivé à votre matériel.

Sans le regarder, je lui réponds, toujours concentrée sur ma tâche.

— Vous ne me l’avez pas demandé.

— Dans ce cas, je vous le demande.

Je prends le temps de me lever et d’aller reposer l’ordinateur devant Sylvain qui avait repris sa place, Arthur Weber toujours posté derrière lui. Un rapide coup d’œil sur l’écran lui confirme que j’ai résolu le problème. Je jubile en voyant la surprise dans son regard.

— Si vous insistez…

Je prends une inspiration pour ordonner mes pensées et masquer mon trouble avant de rejoindre ma place.

— …hier soir un homme m’a attendue à la fermeture du café et m’a menacée avec un couteau pour voler la caisse. Je ne me suis pas laissée faire et, alertés par le bruit, des passants sont venus à mon secours. Le voleur n’a eu d’autre choix que de prendre la fuite, n’emportant que la mallette contenant mon ordinateur, la seule chose qu’il a pu me dérober.

— Pourquoi n’ai-je pas été informé ?

Le pli qui barre son front traduit-il de la colère, de l’orgueil ou de l’inquiétude ? Impossible à dire.

— Vous devriez consulter vos mails, tous les services concernés ont été prévenus.

Ma remarque n’avait rien d’hostile, mais je commence à être fatiguée de devoir me justifier. J’aimerais simplement qu’on se remette au travail.

— Maintenant que le problème technique est réglé, peut-on reprendre ? Parce que, pour être honnête, entre la police, l’hôpital et le voyage jusqu’ici, je n’ai pas dormi cette nuit. Je n’ai même pas eu le temps de prendre un café ce matin, et mon dernier vrai repas remonte à hier midi. Alors, si cela ne vous dérange pas, j’aimerais me concentrer sur le travail en attendant la pause-déjeuner.

Ma tentative de ponctuer ma phrase d’un sourire n’est pas très convaincante à en croire le regard qu’il me lance. Soudain gênée par ma tirade, je replace discrètement une mèche derrière mon oreille. Ce geste anodin dévoile un pansement sur mon avant-bras. Il le remarque, secoue brièvement la tête, puis s’adresse aux autres participants.

— Remettez-vous au travail ! Quant à vous, venez avec moi.

Décontenancée, je me lève, le cœur battant. Je ne sais plus sur quel pied danser. Ai-je été trop loin ? Suis-je sur le point de perdre ma place dans ce groupe ?

3

Je reste silencieuse en le suivant jusqu'à l’accueil. J’ai trop peur d’aggraver mon cas en ajoutant un mot de plus. Lui non plus ne dit rien, et je ne suis pas certaine d’en être rassurée.

— Monsieur Weber ?

— Oui, Nicole ?

La femme qui nous avait accompagnés jusqu’à la salle se lève à notre approche, visiblement mal à l’aise. J’anticipe ce qu’elle va dire, mais avant que je puisse lui faire un signe de tête pour l’arrêter, elle se lance.

— Je tenais à vous présenter mes excuses pour le retard de Mademoiselle Leroux et de Monsieur Dufour ce matin. C’est entièrement de ma faute, je les ai conduits au mauvais endroit…

Monsieur Weber tourne son regard vers moi, un sourcil levé. Je lui réponds par un haussement d’épaule et un sourire contrit.

— Ne vous inquiétez pas Nicole, ce n’est qu’un simple retard.

Son ton est bienveillant, et la femme devant nous semble aussitôt soulagée. Moi, en revanche, je suis intriguée par cet homme. Il dégage une aura qui impose le respect et inspire le dépassement de soi, et pourtant, il ne doit avoir que trois ou quatre ans de plus que moi.

J’en suis encore à cette réflexion lorsqu’il reprend sa marche vers les doubles portes de l’entrée. Je dois presser le pas pour le rattraper.

— Pourquoi ne pas m’avoir expliqué la raison de votre retard ?

Il s’est adressé à moi sans un regard en poursuivant sa route d’une démarche assurée. Je ne prends pas vraiment le temps de la réflexion avant de lui répondre.

— Ce n’était que quelques minutes de retard, ça n’aurait pas changé grand-chose de rejeter la faute sur quelqu’un qui faisait simplement son travail… Et puis je crois que vous vous étiez déjà fait une opinion…

Nous atteignons le café que j’avais aperçu en arrivant. Il s’arrête, sur le point de dire quelque chose, mais se contente finalement de m’ouvrir la porte. Pourtant, je crois surprendre un sourire fugace, et étrangement, je trouve ça charmant.

Je le suis jusqu’au comptoir sans être sûre de comprendre ce que l’on fait ici, même si je salive devant cette nourriture à portée de main.

— Deux cafés et un muffin, s’il vous plaît.

— Ces cookies au chocolat ont l’air savoureux.

Non. Ce n’est pas possible, je n’ai pas pu dire ça, c’est mon ventre, ce traître, qui a pris les commandes de mon corps.

— Deux cafés et un savoureux cookie, s’il vous plaît.

À l’intonation de sa voix, je devine qu’il se moque ouvertement de moi, mais je n’ai d’yeux que pour ce cookie qui me saute déjà dans le ventre. Lorsque je croise son regard, je n’ai plus aucun doute : il s’amuse de la situation. Je me redresse aussitôt et tente de prendre un air détaché, même si ça m’en coûte.

— Vous n’êtes pas obligé.

— Vraiment ?

Il saisit le plateau, m’empêchant de protester davantage et se dirige vers une table près des vitres. Je n’ai d’autre choix que de le suivre.

Il s’assied, et je l’imite, légèrement mal à l’aise dans ce face-à-face improvisé. Les tables de nos cafés ont été pensées pour favoriser la proximité, presque l’intimité des couples ou des amis qui s’y installent.

Nous sommes si proches que des effluves de son parfum viennent effleurer mes narines. Brut, musqué, sauvage… À l’image de l’homme qui me fait face. J’avais lu un article sur son ascension fulgurante dans l’entreprise, seulement il n’y avait pas de photo. Et s’il y en avait eu une, je doute qu’elle lui aurait rendu justice. Brun, une mâchoire carrée, des yeux noirs capables de vous clouer sur place… Pourtant, en cet instant, ils me paraissent beaucoup moins intimidants.

Il dépose le fameux biscuit devant moi. J’hésite un instant avant d’y toucher, mais face à son léger signe de tête encourageant, je finis par en casser un morceau. Dès la première bouchée, mes paupières se ferment de plaisir. Un vrai délice. Mon ventre visiblement ravi, en réclame une deuxième.

Le petit ange de ma grand-mère me souffle à l’oreille que je manque cruellement de savoir-vivre.

— Vous en voulez un morceau ?

Il secoue la tête, mais continue de m’observer comme si j’étais une bête curieuse.

— Vous devriez essayer, ça vous rendrait peut-être moins grincheux.

Je m’apprête à enfourner une troisième bouchée lorsque je me rends compte de ce que je viens de dire à mon patron. Enfin, pas exactement mon patron, mais au moins mon N+2 ou N+3.

Oh mon Dieu. Qu’est-ce que je viens de faire.

À son air estomaqué, je comprends que je l’ai bel et bien dit à voix haute.

— J’ai vraiment dit ça ?

Il hoche la tête, et dans un élan de désespoir, je tente de me justifier :

— Il faut croire que le manque de sommeil, de nourriture et de café ont eu raison de mes filtres…

À ma grande surprise, ma remarque lui arrache un rire rauque, qui le rend, si c’est possible, encore plus séduisant.

Reprends-toi Alice, reprends-toi.

— Alors comme ça, je suis grincheux ?

Je sens la chaleur envahir mes joues et n’ose affronter son regard. Je suis la reine des gaffes aujourd’hui.

— Détendez-vous, je plaisante. Mais dites-moi plutôt ce qui vous est arrivé hier soir.

Je me crispe légèrement, puis me lance dans mon récit. L’agression, la police, l’hôpital… À mesure que j’avance dans mon histoire, son expression change. Sa mâchoire se crispe, son regard s’assombrit et m’intimide. Un frisson me parcourt quand il me demande, d’une voix plus grave :

— Vous avez été blessée ?

— Les blessures au couteau sont superficielles, et je n’ai pas de côtes cassées. J’ai passé une radio.

— Pourquoi auriez-vous eu des côtes cassées ?

Son ton est si tranchant que je n’ose lever les yeux vers lui. Je préfère me concentrer sur le biscuit abandonné devant moi. Revivre l’agression m’a coupé l’appétit.

— Il…il m’a projetée au sol et m’a donné des coups de pieds pour que je lâche la mallette.

— Mais que faites-vous là aujourd’hui ?

La brusquerie de sa question sonne comme une gifle à mes oreilles. Le choc doit se lire sur mon visage car il reprend aussitôt, son ton radouci.

— Ce que je veux dire, c’est que vous ne devriez pas être ici. Vous devriez être chez vous, entourée de vos proches, pour vous remettre de tout ça.

Je hausse les épaules. Comment lui expliquer que si je suis là, c’est justement parce que je n’ai personne ? Que la perspective de me retrouver dix jours seule, comme le médecin voulait me l’imposer, était tout simplement inenvisageable ? J’ai d’ailleurs refusé cet arrêt. Et puis, pour être honnête, je n’aurais raté cette réunion pour rien au monde.

— Merci de votre sollicitude, mais je tenais vraiment à être là…

— Pourquoi ?

Je m’appuie contre le dossier de ma chaise, terminant mon cookie, l’appétit retrouvé. Je prends le temps de réfléchir cette fois, le café faisant enfin son effet.

— Et bien, le thème du groupe de travail, les participants aussi : Ben, Janice dont j’avais déjà entendu parler, et puis Sylvain et Célia qui ont des expériences enrichissantes.

— Et vous oubliez Alban.

— Euh… oui bien sûr….

J’esquisse un sourire mal assuré. Je n’ai aucune envie d’évoquer ma relation – ou plutôt non relation – avec Alban.

— Et puis il est rare que vous animiez un groupe…

Je tente de détourner l’attention par la flatterie. Il fronce légèrement les sourcils, mais ne relève pas. J’en profite pour jeter un coup d’œil à ma montre, ce qui fait diversion.

— On devrait y aller, ils vont s’inquiéter du sort que vous m’avez réservé. D’ailleurs, dois-je paraître abattue en rentrant dans la salle pour ne pas nuire à votre réputation ?

Assez satisfaite de ma pique, je ne peux m’empêcher de sourire en voyant son expression surprise. Il finit par éclater de rire en secouant la tête.

— Vous êtes surprenante, Mademoiselle Leroux ! Non, ce ne sera pas nécessaire. Par contre, si vous pouviez faire disparaître cet air satisfait de votre visage…

J’acquiesce volontiers et le suis jusqu’à la sortie du café.

Lorsque nous retrouvons la salle, le silence et les regards intrigués nous accueillent. Comme si de rien n’était, Benoit me résume ce qu’il a fait en mon absence, tandis que Monsieur Weber fait le tour des sous-groupes pour connaître l’avancée des travaux.

Le reste de la journée file à une vitesse vertigineuse. Je n’aurais jamais cru prendre autant de plaisir à être ici. Les échanges sont riches, et même lorsque nous ne sommes pas d’accord, les débats restent constructifs et agréables. Même Arthur Weber semble avoir laissé de côté sa froideur du début de réunion.

Pourtant, j’ai beau trouver cette expérience très enrichissante, je suis rappelée à l’ordre par la douleur et les courbatures. N’ayant pas eu le temps de récupérer les antidouleurs prescrits par l’urgentiste, je peine à me concentrer. En prime, la fatigue commence à m’assommer alors qu’il est à peine dix-sept heures.

Un coup d’œil vers notre maître de séance me confirme qu’il a remarqué mon état, car il met fin à notre journée.

— Merci à tous, on reprend demain matin, neuf heures.

4

Je descends avec mes collègues pour aller récupérer ma valise à l’accueil. Tandis que je patiente en compagnie de Ben et de Janice, je vérifie mes mails professionnels sur mon portable pour retrouver la confirmation de ma réservation d’hôtel. Mais au lieu de ça, je tombe sur un message d’annulation. Le service RH, ayant appris mon agression, a supposé que je ne viendrais pas et a libéré ma chambre.

Ma valise récupérée, Ben et Janice me proposent de les rejoindre pour un verre avant le dîner. Épuisée, je décline poliment. Ils comprennent sans insister, d’autant plus que j’ai un problème d’hôtel à régler.

Nicole, la réceptionniste, propose d’appeler l’hôtel pour voir s’il reste une chambre disponible. Avec ma chance, ce n’est évidemment pas le cas. Elle tente alors de contacter d’autres hôtels partenaires de l’entreprise, mais en pleine période des séminaires, tout est complet.

— Vous êtes encore là ?

Absorbée par la situation, je sursaute en entendant la voix d’Arthur Weber. Je ne l’ai même pas vu arriver. Nicole prend les devants et lui explique mon problème avant que j’aie le temps de réagir.

— La RH a annulé sa réservation d’hôtel et on n’a encore rien trouvé de disponible.

Sans un mot il s’empare de ma valise et s’adresse à la réceptionniste.

— Je m’en occupe, Nicole, vous pouvez y aller.

Je les regarde tour à tour, un peu perdue. Je ne m’étais même pas aperçue que Nicole était restée plus tard pour m’aider. Je la remercie et m’empresse de suivre Arthur Weber qui s’élance déjà vers la sortie. Je le rattrape sur le trottoir alors qu’il hèle un taxi.

— Attendez, je vais me débrouiller, je finirai bien par trouver quelque chose…

Mais au moment où il se retourne pour me répondre, un homme surgit brusquement sur ma gauche. Mon cœur rate un battement. L’espace d’un instant, la panique me submerge, et avant même de comprendre ce que je fais, poussée par une pulsion de survie, je me jette dans les bras de mon patron.

Plus encore surprise que lui par mon geste, je m’en écarte aussitôt, sonnée et encore tremblante, tandis que l’homme en question poursuit sa course pour rattraper son bus.

— Hey, ça va ?

Je balbutie quelques excuses incompréhensibles, incapable de soutenir son regard. Il tente de m’apaiser en posant ses mains sur mes épaules, mais se ravise en voyant ma grimace de douleur. Ses doigts ont effleuré l’endroit exact où j’ai été blessée.

— Non, ça ne va pas, tranche-t-il. Vous tremblez comme une feuille, vous êtes toute pâle, vous êtes en état de choc.

D’autorité, il confie ma valise au chauffeur de taxi qui vient de s’arrêter. Il m’ouvre la portière et, trop secouée pour protester, je monte à bord sans un mot. J’entends à peine l’adresse qu’il donne au conducteur.

Mon esprit est resté bloqué sur cette fraction de seconde où la peur m’a foudroyée, ravivant en un éclair la violence de l’agression, la douleur des coups, et l’angoisse d’être blessée… ou pire.

Ce n’est que lorsqu’Arthur pose délicatement une main sur mon bras, comme s’il craignait de me blesser, que je réalise que nous sommes arrivés devant l’hôtel.

Je le suis tel un automate sans prendre la mesure de la beauté des lieux. Ce n’est qu’en entrant dans le hall que je réalise le standing de l’établissement. Un détail, pourtant, me ramène brutalement à la réalité : les limites de remboursement de frais d’hôtel imposées par l’entreprise. Une semaine ici risque de me coûter une fortune, et mes économies risquent d’en prendre un coup.

Cette question très terre-à-terre a au moins le mérite de me faire retrouver mes esprits. Je balaye la pièce du regard : boiseries raffinées, drapés élégants, fauteuils en velours… L’endroit est somptueux… trop pour moi. Mais comment aborder la question sans paraître déplacée ?

— … et mettez ça sur ma note, chambre 137.

Je lève les yeux, interloquée. Arthur Weber vient de régler la question sans même me consulter. J’ouvre la bouche pour protester, mais il m’arrête d’un simple regard, un de ceux qui ne laissent place à aucune négociation. Je ne sais si je dois être vexée ou flattée.

Il récupère les clés et me précède vers l’ascenseur, tandis qu’un employé de l’hôtel s’occupe de ma valise. Le luxe ambiant me met mal à l’aise et il ne faut pas longtemps à mon hôte pour s’en apercevoir. Alors que nous entrons dans la cabine, il se penche légèrement vers moi et d’un ton conspirateur me glisse à l’oreille.

— Monsieur Richards insiste pour que je loge dans cet hôtel hors de prix lorsque je fais une formation, autant lui en donner pour son argent…

C’est pire que tout, je passe du pâle à l’écarlate en une fraction de seconde et le clin d’œil qui appuie ses dires n’arrange rien à l’affaire. Monsieur Richards, le PDG, rien que ça.

Lorsque l’employé de l’hôtel ouvre la porte de ma chambre – ou plutôt de ma suite - je reste figée sur le seuil, impressionnée. La pièce est immense. Un lit king-size trône au centre, un coin salon occupe un côté, et la salle de bain est digne d’un palace. Tout est si parfait que je n’ose poser mon sac, de peur de perturber cet équilibre parfait.

Je me tourne vers Arthur, bien décidée à refuser cette extravagance, mais il ne m’en laisse pas le temps. Il congédie l’employé, et lui glisse un billet dans sa main avec une aisance naturelle qui me dépasse totalement. Même ça je ne suis pas capable de le faire.

— Écoutez, je ne peux décemment pas séjourner ici, c’est beaucoup trop... inapproprié.

— Considérez cela comme un dédommagement !

Je comprends qu’il est inutile d’insister, j’y perdrais mon énergie.

Résignée, je pose donc mon sac sur le lit et retire mon manteau. Chaque mouvement est un supplice, la douleur entravant mes gestes, me rappelant cruellement mon état. Je lutte contre une grimace alors que j’arrache péniblement la seconde manche.

Arthur est toujours là et lorsque je reporte mon attention sur lui. Je frissonne de voir son regard de nouveau assombri.

— Vous avez de quoi soigner vos plaies ?

Je secoue la tête en m’asseyant sur le lit, incapable de réprimer un bâillement. Je tombe de sommeil.

— Je n’ai pas vraiment eu le temps de passer à la pharmacie…

Sans un mot, il attrape le téléphone de la chambre et parcourt la carte du room service avec une assurance qui me fascine. Il a une prestance qui rend sa présence naturelle dans ces lieux. Il paraît dans son élément contrairement à moi.

— Chambre 143, Arthur Weber à l’appareil. Faite monter un repas pour Mademoiselle Leroux : un velouté d’automne, le suprême de volaille et le fondant au chocolat. Mettez ça sur ma note.

Je le fixe, bouche bée. Il aurait au moins pu me demander mon avis !

Devant mon air surpris, je décèle un léger sourire, faisant qu’empirer mon exaspération. Toujours au téléphone, il poursuit :

— Pouvez-vous envoyer quelqu’un récupérer une ordonnance pour aller chercher des médicaments ?

D’un geste autoritaire, il me tend la main pour que je lui donne l’ordonnance. Je m’exécute, sans protester, même si la moutarde commence à me monter au nez. Il en profite pour dicter au maître d’hôtel la liste de ce dont j’ai besoin pour changer mes pansements.

À peine a-t-il raccroché que je le toise, les bras croisés, agacée.

— Je vous remercie de votre sollicitude, mais je crois être parfaitement capable de me débrouiller toute seule…

Il imite ma position à cela près que mon agacement l’amuse.

— Je n’en doute pas une seconde, Mademoiselle Leroux.

Jetant un coup d’œil à sa montre, il s’installe tranquillement dans le salon. Je le regarde décontenancée. Mais qu’est-ce qu’il attend pour rejoindre sa chambre ?

— Vous devriez aller prendre une douche avant que le repas n’arrive.

— Vous ne partez pas ?

L’exaspération perce dans ma voix, mais cela ne semble ne pas le perturber. Sans lever les yeux de son téléphone, il tapote du bout des doigts sur l’ordonnance posée à côté de lui.

— Je veux juste m’assurer que tout est en ordre avant de vous laisser tranquille, ne vous inquiétez pas.

Je fulmine en attrapant ma valise et en filant dans la salle de bain. Quel culot ! Je verrouille la porte et fais couler l’eau de la douche.

Je commence à me déshabiller, mais mon regard est happé par mon reflet dans le miroir. Vêtue seulement de mes sous-vêtements, je ne peux détacher mes prunelles des hématomes qui marbrent mon flanc, ma clavicule et de la trace violacée laissée par la poigne brutale de mon agresseur sur mon avant-bras. Des bleus constellent mes jambes, et quelques éraflures témoignent de ma chute lorsqu’il m’a projetée au sol. Sans oublier les pansements qui couvrent mes blessures sur mon bras et sur le haut de mon épaule. Une boule se forme dans ma gorge, les larmes me montent aux yeux devant ce corps qui porte les stigmates de mon agression.

Non, je ne veux pas craquer. Je suis une femme forte, je vais faire face.

Je répète ce mantra en boucle tandis que je détache mes cheveux et me glisse sous l’eau chaude. L’eau ruisselle sur mon corps et lui laisse le temps de se réchauffer et de laver le mal que cet homme m’a infligé. Rassérénée, j’attrape une serviette d’une douceur exquise et m’enveloppe dedans. Je crois que je pourrais me faire à ce luxe.

J’ouvre ma valise pour en sortir des vêtements propres et reste confrontée à un dilemme de taille. Je n’avais pas prévu de croiser mon patron à la sortie de la douche et impossible d’enfiler une des tenues prévues pour cette semaine au travail.

À contrecœur, je me rabats sur mon pyjama : un pantalon à rayures bleu et blanc assorti d’un débardeur bleu marine. Je recouvre le tout du peignoir immaculé de l’hôtel et sèche rapidement ma chevelure blonde, qui retombe en boucles indisciplinées sur mes épaules.

Quelques coups à la porte de la chambre et des échanges de voix confirment que mon repas est arrivé. Je me dépêche de me démaquiller mais je remets tout de même un trait d’eye-liner et de mascara pour ne pas perdre la face devant mon patron, qui, si j’en crois les bruits qui proviennent de la pièce voisine, vient d’allumer l’écran de télévision.

M’enveloppant soigneusement dans mon peignoir, je finis par quitter la salle de bain.

Dans la chambre, la table est dressée pour une personne, les assiettes sont recouvertes par des cloches en argent pour garder les plats au chaud. Curieuse, je soulève l’une d’elles : un velouté fumant exhale une odeur délicieuse, me mettant immédiatement l’eau à la bouche.

Arthur se lève à cet instant, éteint la télévision et s’approche, un sachet à la main.

— Asseyez-vous, nous allons changer vos pansements.

Surprise, je recule d’un pas, resserrant instinctivement mon peignoir autour de moi.

— Il n’en est pas question, je peux très bien m’en occuper seule, Monsieur Weber.

Ma réaction le surprend. Son regard et son ton se durcissent.

— Ne faites pas l’enfant. Vous pourriez peut-être gérer celui de votre avant-bras, mais pour votre épaule, je ne vois pas comment. Demain matin, une infirmière viendra s’en charger, mais pour ce soir, vous devrez vous contenter de moi. Maintenant, asseyez-vous !

Je déteste qu’il me parle sur ce ton, mais je n’ai pas d’argument, il a raison.

Résignée, je m’installe sur la chaise qu’il me désigne, non sans lui lancer un regard glacial pour bien qu’il comprenne que je ne le fais pas de gaieté de cœur. D’un geste sec, je retrousse la manche de mon peignoir et lui tends le bras.

Il s’assoit à son tour, déballe le nécessaire pour désinfecter mes plaies et changer mes pansements. Avec une précaution surprenante, il retire l’ancien, imbibe un coton de désinfectant et marque une pause avant de reprendre la parole :

— Ça risque de piquer un peu.

J’acquiesce en détournant les yeux. Il prend mon bras avec douceur et le pose sur le sien pour le stabiliser. Son contact est léger, presque rassurant. Je me crispe légèrement lorsqu’il commence à tapoter le coton sur la plaie. Elle est superficielle, à peine quatre centimètres, mais le désinfectant enflamme la chair meurtrie. Je me force à ne rien laisser paraître, mais lorsque je reporte mon regard sur mon apprenti soignant, je surprends une lueur de colère dans ses yeux concentrés.

— Merci… pour tout.

Ses pupilles rencontrent les miennes. En un instant, son expression s’adoucit.

— C’est le moins que je puisse faire.

Un léger haussement d’épaules, un sourire sincère… L’espace d’un instant, toute arrogance semble s’être envolée.

— À l’autre maintenant…

Je me tourne légèrement, libérant mon épaule du peignoir. C’est très inconfortable comme situation… L’air entre nous se charge d’une tension étrange tandis qu’il repousse mes cheveux sur le côté.

Délicatement, il fait glisser la bretelle de mon débardeur. Un frisson me couvre l’échine et mes joues s’enflamment. Je fixe un point sur le mur devant moi, refusant de me laisser troubler par la sensualité incongrue de ce geste.

Il enlève le pansement souillé de mon sang et reste immobile... trop longtemps.

Inquiète, je tourne la tête vers lui. La blessure est plus profonde que l’autre, et a nécessité plusieurs points de suture.

— Vous permettez ?

Sans attendre ma réponse, il écarte légèrement le tissu, découvrant l’étendue des bleus qui marbrent mon dos. À sa réaction, je devine qu’il lutte pour contenir sa rage.

— Demain vous rentrez chez vous, vous n’avez rien à faire ici.

Je me retourne brusquement, serrant le tissu contre ma poitrine.

— Non, non, je ne veux pas.

Nos regards s’accrochent, chargés d’une tension nouvelle. Il passe une main nerveuse dans ses cheveux, cherchant à maîtriser sa frustration. Il se lève, visiblement à cran.

Je fais de même et intercepte son bras pour qu’il arrête de faire les cent pas.

— Je vous assure… Je vais bien. Si vous me renvoyez, c’est lui qui aura gagné.

Mes mots font mouche. Il cède, résigné, et nous regagnons nos places en silence.

Il termine son travail avec application, puis je le raccompagne jusqu’à la porte. Alors que je m’apprête à refermer derrière lui, il se retourne, plus sérieux.

— Alice… Au moindre problème, à la moindre douleur, je vous fais rentrer chez vous. D’accord ?

Ce n’est pas vraiment un ordre, son ton est plus doux, presque une demande.

— Promis.

Satisfait, il me souhaite une bonne nuit et s’éloigne.

Je referme lentement la porte et m’y adosse, l’esprit embrouillé par tout ce qui vient de se passer. Je m’avance pas à pas vers mon repas encore fumant, les joues brûlantes.

La façon dont il a prononcé mon prénom…

Je secoue la tête. Il est grand temps que j’aille me coucher, je commence à m’attarder sur des détails.

5

L’alarme de mon portable me tire brusquement du sommeil. À moitié éveillée, je l’éteins d’un geste maladroit avant de m’emmitoufler dans ces draps d’une extrême douceur.

Hier soir, j’ai sombré dès que ma tête a touché l’oreiller, épuisée et le ventre satisfait du fabuleux repas que Monsieur Weber m’avait commandé. Évidemment, je ne le lui dirai pas, mais c’était exactement ce dont j’avais besoin.

La sonnerie retentit de nouveau, implacable, me forçant à m’extirper de ce cocon douillet avec regret. Mes membres encore ensommeillés me tiraillent de douleur et je prends un temps interminable à sortir du lit. Je me rends directement à la salle de bain pour prendre mes antidouleurs avec un grand verre d’eau.

Un regard dans le miroir m’arrête net. J’ai une mine affreuse. Je ne dirais pas que j’ai mal dormi, mais mon sommeil a été agité, hanté par une ombre menaçante, effrayante et… par de grands yeux noirs. Sombres, envoûtants mais… rassurants.

Je secoue la tête et retourne dans la chambre pour commander un petit-déjeuner. L’idée de croiser les autres clients de l’hôtel ne m’enchante pas. Je ne suis pas surprise de voir qu’une infirmière accompagne le room service lorsque mon repas m’est servi. Docile, je la laisse inspecter mes blessures et refaire mes pansements. Avant de partir, elle me donne ses disponibilités pour les prochaines visites et me laisse ses coordonnées au cas de besoin.

Une fois prête, je m’attaque à ma valise. J’ai bien réfléchi en savourant mon café et les délicieuses viennoiseries qui l’accompagnaient : je ne peux pas rester ici. Ce luxe ostentatoire me met mal à l’aise. Ma grand-mère m’a appris la valeur des choses simples, l’importance du travail et de l’argent gagné à la sueur de son front. J’ai l’impression de duper mon monde en restant ici. D’accepter un luxe qui ne m’était pas destiné.

À la réception, valise en main, le maître d’hôtel me regarde, visiblement surpris. Est-ce parce que j’ai l’audace de porter mes propres affaires dans un établissement de ce standing ? Ou bien à cause de mon départ précipité alors que, selon lui, la chambre est réglée pour la semaine ? Il retrouve bien vite son professionnalisme, probablement habitué à des clients bien plus exubérants que moi, et m’informe qu’un taxi m’attendra d’ici quelques minutes devant l’hôtel.

Les trente minutes suivantes sont consacrées à régler de détails administratifs : la gestion de mon ordinateur avec le service informatique, l’organisation de mon hébergement pour le reste de la semaine avec l’équipe RH. Une fois l’assurance acquise qu’on me trouvera un nouvel hôtel avant la fin de la journée, je m’installe dans la même salle qu’hier avec mon PC portable fraîchement acquis.

À peine ai-je allumé l’écran que la porte s’ouvre sur Nicole, suivie de deux hommes les bras chargés de cartons. Elle me salue brièvement avant de leur donner des instructions. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, un coin café prend vie au fond de la pièce : une machine à capsules, des gobelets à l’effigie de l’enseigne, un plateau garni de mini-viennoiseries, de cookies et autres douceurs. Avant de repartir, Nicole me propose une boisson chaude que j’accepte avec plaisir. Nous échangeons quelques banalités, puis elle retourne à son poste tandis que je me plonge dans la retranscription de mes notes.

Absorbée par ma tâche, je sursaute en entendant la porte s’ouvrir brusquement.

Monsieur Weber...

Lui-même ne semblait pas s’attendre à ce que quelqu’un soit déjà arrivé. À vrai dire, moi non plus. Je pensais que mes démarches matinales me prendraient plus de temps…et me voilà largement en avance sur l’horaire prévu.

— Mademoiselle Leroux.

Il me salue d’un simple signe de tête, un sourire en coin lorsqu’il aperçoit mon gobelet de café… et le cookie à moitié entamé que j’ai discrètement subtilisé sur la table derrière moi.

— Monsieur Weber.

Je lui rends son salut en l’imitant, mais le rouge me monte aux joues. Maladroitement, j’essaie de dissimuler l’objet de ma gourmandise, ce qui ne fait qu’accentuer son sourire. Sans un mot, il prend place à la même table qu’hier, installe son ordinateur, ouvre quelques dossiers, et nous nous plongeons chacun dans notre travail.

Le silence qui s’installe est studieux, à peine troublé par le cliquetis de nos doigts sur les claviers. Je suis absorbée par ma tache lorsqu’un bip quasi-inaudible m’interrompt. Une fenêtre de messagerie instantanée vient de s’ouvrir sur mon écran.

Je connais cet outil interne, mais je l’utilise rarement dans mes fonctions. Mon étonnement grandit lorsque je découvre l’identité de l’émetteur.

A. Weber : « Bien dormi ? »

Surprise, je lève les yeux au-dessus de mon écran. Il reste impassible, concentré sur le sien.

A. Leroux : « Oui merci »

Je ne vois pas les « … » qui annoncent une suite à la conversation. Je reprends mes notes, un peu distraite malgré moi.

A. Weber : « Bien mangé ? »

Le bip me surprend à nouveau. Cette fois, pour m’éviter d’autres sursauts inutiles, je coupe le son avant de répondre.

A. Leroux : « Oui, merci, le repas était délicieux, le petit-déjeuner également »

J’appuie sur « envoyer » et ne peux réprimer l’envie de jeter un nouveau coup d’œil vers Monsieur Weber. Mais rien. Son expression est toujours neutre, insondable.