Un temps pour conter fleurette - Yves Cadiou - E-Book

Un temps pour conter fleurette E-Book

Yves Cadiou

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Un temps pour conter fleurette – Et autres histoires courtes plus ou moins véridiques est un recueil de nouvelles constitué d’anecdotes ou de situations plausibles, mais imaginaires. Le narrateur, fictif, indéfini, variable, est un personnage toujours différent autour duquel se déroule chaque histoire. Le lecteur le verra, tour à tour, séducteur parisien ou dragueur de province, électeur floué, voyageur futuriste pour la Lune et amant frigorifié – transi dans tous les sens du mot. Un être pluriel pour des intrigues d’une cinglante originalité.

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Seitenzahl: 187

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Yves Cadiou

Un temps pour conter fleurette

Et autres histoires courtes

plus ou moins véridiques

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Yves Cadiou

ISBN :979-10-377-6491-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Un temps pour conter fleurette

En entendant une vieille chanson de Jo Dassin sur Radio-Nostalgie j’avais décidé ce matin-là d’aller draguer sur les Champs-Élysées : « il suffisait de te parler, pour t’apprivoiser ». Le temps, printanier, était superbe avec un vent léger qui chassait l’odeur des voitures en circulation : c’était vraiment un temps pour conter fleurette.

Mais c’était aussi le temps de la dispersion des pollens et j’avais donc pris soin d’avaler une bonne dose de mon médicament anti-allergie avant de sortir de chez moi. Parce qu’il ne faut pas espérer être séduisant avec des yeux rouges – même si c’est un joli rouge – et en se mouchant continuellement.

C’était donc avec l’œil clair et les muqueuses dégagées que j’abordais les jeunes femmes passant à ma portée. Mais ça durait depuis un bon moment et j’en étais, au moins, à mon douzième râteau. Je commençais à me demander pourquoi je venais toujours spécialement sur les Champs-Élysées pour draguer alors que ça ne fonctionnait jamais. C’est comme pour les champignons : il faut connaître les bons coins. Mais les connaisseurs ne révèlent jamais leurs bons coins.

J’allais abandonner pour aujourd’hui quand j’ai rencontré Marlon (on prononce Marlown, à l’américaine comme pour Marlon Brando). Marlon est un collègue de la Boîte, élégant et décontracté, sympa mais un peu agaçant parce que toutes les femmes semblent amoureuses de lui. J’ai observé que, depuis qu’il est arrivé à la Boîte, les femmes portent leur chemisier déboutonné au deuxième bouton. Je ne m’en plains pas, mais ça m’agace de voir que ce mec, les nanas sont prêtes à se pendre à son cou sans qu’il fasse le moindre effort pour ça. Ce jour-là sur les Champs-Élysées j’étais étonné de le voir seul. Il me dit : « qu’est-ce tu fais ici ? Tu dragues, j’en suis sûr !

— Bah euh… oui. Comme toi.

— Ah non, là, je ne drague pas : je suis seul parce qu’on m’attend. Pour les femmes, c’est comme pour les mandats politiques : le cumul est interdit.

Et toi, la drague, ça marche ? » Il a demandé ça en ricanant, je ne sais pas pourquoi. Il ajoute aussitôt : « non, je vois que ça ne marche pas. Si ça marchait, tu serais déjà accompagné.

— C’est vrai : moi, ça ne marche pas du tout. Je me disais justement que je devrais peut-être aller essayer ailleurs : au jardin du Luxembourg, par exemple.

— Attends, je vais te dire un truc : tout est dans la méthode. Si tu n’y arrives pas ici, tu n’y arriveras pas mieux au jardin du Luxembourg ni en flânant sur les Grands Boulevards. C’est seulement une question de méthode. C’est quoi, ta méthode ?

— Bah euh… La méthode normale.

— Oui et c’est quoi, pour toi, la “méthode normale” ?

— Je dis bonjour et si elle me répond, je lui demande : “on baise ?”

— Et ça marche, ça ?

— Bah euh… Non : elle s’en va en haussant les épaules ou en se tapant la tempe avec l’index. Parfois, elle ajoute “pov'malade !”, d’un air méprisant. Une fois, il y en a une qui est restée : c’était pour me dire son prix. Mais moi, je suis un sentimental : les putes, j’aime pas ça.

— C’est sûr qu’avec ta méthode ça ne peut pas marcher. Je vais t’expliquer : les femmes, en un sens, ne sont pas compliquées. Elles sont toutes d’accord pour avoir une aventure de temps en temps mais elles ne veulent pas que ça mette du désordre dans leur vie ni que ça leur donne mauvaise réputation. C’est pourquoi elles ne veulent pas draguer dans leur entourage, où ça ferait des histoires. Elles préfèrent des mecs sortis de nulle part, comme nous.

— Jusque-là, je comprends. Alors pourquoi ça ne marche pas avec moi ?

— Parce qu’elles sont un peu plus compliquées quand même : coucher avec un inconnu oui, mais en ayant l’impression de le connaître. Donc il leur faut au minimum une demi-heure de conversation, mais une heure c’est mieux : ça leur donne l’impression de faire connaissance. Toi, tu vas trop vite : il faut prendre le temps de parler.

— Mais de quoi je vais parler ?

— De n’importe quoi. Tu te souviens de la chanson Aux Champs-Élysées ?

— Oui, mais parler de n’importe quoi à n’importe qui, je ne sais pas faire ça. »

Il réfléchit un peu et me donne une brochure qu’il avait à la main : « je sors à l’instant d’une agence de voyages parce que j’ai l’intention d’aller faire un safari-photo au Kenya avec une amie. Prends cette brochure, apprends-la par cœur. Ensuite, à la prochaine femme que tu abordes tu dis que tu reviens du Kenya et tu lui parles du Kenya sans lui dire que tu n’y es jamais allé. Au bout d’une demi-heure ou une heure, elle aura l’impression de te connaître et tu pourras lui proposer de faire l’amour.

— Ah, OK. C’est simple, au fond.

— Oui, c’est simple. Maintenant, je dois filer : je vais être en retard. Fais bien comme je t’ai dit et ça va marcher. Bonne chasse ! »

Je vous disais qu’il est sympa, Marlown. Je vais mettre son conseil en pratique. Je m’assieds et j’étudie sa brochure, vite fait. Vingt minutes plus tard, je connais tout ce qu’il faut sur le Kenya, ses girafes, ses lions, ses baobabs vieux de deux mille ans, ses dangereux troupeaux de buffles. Pas tout mais assez pour en parler savamment à une femme qui ne connaît pas le Kenya.

J’aperçois une passante qui approche, chic et sexy en tenue de promenade printanière. Certainement une de ces femmes qui, d’après Marlown, sont d’accord pour avoir une aventure de temps en temps mais veulent que ça ne mette pas de désordre dans leur vie. Je planque ma brochure et je me lève. Quand elle passe à ma hauteur, je lui dis bonjour. Elle me répond avec un sourire avenant : « bonjour.

— Vous connaissez le Kenya ? »

Elle semble un peu étonnée de ma question et me répond : « oui, je connais le Kenya.

— Ouaah, super ! Quelle chance ! Alors on baise, hein ? »

Le genre neutre

Avant d’aller plus loin dans ce recueil d’histoires courtes intitulé « Un temps pour conter fleurette », je tiens à faire une remarque personnelle : je dois vous préciser que mes histoires, écrites à la première personne « je », sont cependant des anecdotes ou des situations que l’on m’a racontées ou que j’ai intégralement imaginées mais qui ne me sont pas arrivées. Je les ai retranscrites à la première personne « je » parce que c’est un procédé de narration qui est pratique. Le narrateur fictif, indéfini, variable, que vous avez vu ou verrez tour à tour dragueur parisien ou séducteur de province, électeur floué, voyageur futuriste pour la Lune, amant frigorifié (transi à tous les sens du mot)… est un personnage toujours différent autour duquel se déroule chaque histoire.

Quant aux articles d’opinion rédigés à la première personne, c’est bien de mon opinion qu’il s’agit. C’est le cas de l’article que vous lisez en ce moment : cette fois, le pronom « je » représente effectivement l’auteur du recueil.

Mes histoires intitulées « Un temps pour conter fleurette », j’espère qu’elles plairont aux lecteurs autant que celles du recueil précédent « La plus belle fille du monde ».

J’en entends d’ici parmi vous qui s’exclament : « Comment ça aux lectEURS ? C’est du sexisme ! Un scandale ! Et les lectRICES, alors ?

— Calmez-vous, chers féministes peu lettrés ! »

Je ne dis pas « illettrés » car ce serait injuste alors que vous avez lu jusqu’ici et que, je l’espère, vous continuerez. Mais je dis « peu lettrés » parce que vous ne savez pas qu’en français, existe le genre grammatical neutre.

Je vous explique : dans un instant, vous saurez tout.

Observez d’abord les problèmes que pose la volonté de vouloir tout féminiser : pourtant un médecin féminin n’est pas « une médecine » ; un auteur féminin n’est pas « une autrice » ; un chef d’établissement scolaire, si c’est une femme, n’est pas une « proviseuse » ni une « provizrice ». Lorsque vous parlez à un avocat féminin, vous l’appelez « cher maître » et non pas « chère maîtresse ». Ou encore : n’avez-vous pas un problème insoluble avec le féminin de « Belge » ou de « Suisse »1 ? La féminisation outrancière de notre parler usuel dénote seulement, chez ceux qui pratiquent ou préconisent cette féminisation du langage, une regrettable méconnaissance de la langue française.

Voici ce qu’il faut savoir.

En français, comme en latin, comme en allemand, comme en russe, comme probablement dans d’autres langues que je ne connais pas, il existe trois genres grammaticaux : le masculin (il est), le féminin (elle est), le neutre (on est, c’est).

En français, le genre grammatical neutre passe inaperçu de certains locuteurs – ceux dont la culture est peu littéraire – parce qu’il s’accorde comme le masculin. Ainsi beaucoup de gens, surtout s’ils n’ont jamais été confrontés à une langue étrangère à trois genres, croient que le neutre n’existe pas en grammaire française. Leur ignorance les conduit à mettre au féminin des mots qui n’ont pas lieu de l’être, à inventer des mots (comme iel) ou des procédés destructeurs par surcharge (l’écriture dite inclusive). Ils ne savent pas ce qu’ils font. Ignorer le genre grammatical neutre, c’est appauvrir la langue française. C’est dommage, au sens fort de ce mot : ça fait du dégât.

Madame Hélène Carrère d’Encausse, dont j’eus l’honneur d’être un élève alors que je suivais un DEA2 à la Sorbonne et pour qui j’ai le plus grand respect, est devenue membre de l’Académie française. Elle en a été nommée LE secrétaire perpétuEL et non pas LA secrétaire perpétuELLE : elle tient à ne pas affubler sa fonction à l’Académie française de cette inutile forme au féminin parce que cette appellation est du genre grammatical neutre et convient donc parfaitement dans les deux cas, que le titulaire du poste soit une femme ou un homme.

C’est l’intérêt du genre grammatical neutre : non seulement il respecte l’origine, la complexité, la richesse de la langue française composée de nombreuses langues intégrées au latin à trois genres venu de l’Antiquité ; mais aussi le genre grammatical neutre affirme, depuis toujours et dans toutes les langues où il existe, l’égalité des genres biologiques.

Les maléfices du Val sans Retour

Le Val sans Retour est le lieu d’une légende bretonne, celle de la Fée Morgane qui l’a créé dans la forêt de Brocéliande3 pour y enfermer les faux amants, les chevaliers infidèles en amour.

Nul ne sait si les autorités politiques qui décidèrent en 1944 ou 1945 d’installer non loin de là les ÉSCC4 avaient cette légende en tête. Toujours est-il que ce légendaire mais réel Val sans Retour présente une particularité naturelle qui est mise à profit pour la formation des jeunes élèves officiers. Ceux-ci, dans les premiers mois de leur formation, font régulièrement des marches de nuit en forêt ou dans la campagne parsemée de genêts épineux et de ronciers : déposés par équipes en un point du terrain, ils doivent rejoindre un autre point du terrain situé à quelques kilomètres dans une direction qu’on leur indique par un azimut magnétique, c’est-à-dire un angle par rapport au nord magnétique. Pour suivre cet azimut, ils utilisent leur boussole.

Après plusieurs de ces marches, ils sont accoutumés à ce type d’exercice. On leur en fait alors accomplir une qui passera, sans qu’ils le sachent, par ce Val sans Retour dont ils n’ont jamais entendu parler. On choisit une nuit où le ciel est couvert, cachant les étoiles ; une nuit sans lune dont la lueur pourrait percer les nuages. Ils sont ainsi dépourvus de repères naturels qui pourraient les aider à s’orienter.

Et, immanquablement, ils se perdent dans le Val sans Retour parce qu’à cet endroit les boussoles indiquent des directions changeantes à mesure que les marcheurs se déplacent. Le ciel couvert et le vent, d’ouest mais variable en direction à cause du relief, empêchent de s’apercevoir de l’aberration. C’est seulement au petit matin, grâce à la clarté de l’aube à l’est, que les marcheurs constatent les facéties de leurs boussoles, peuvent sortir du Val sans Retour et repartir dans la bonne direction.

Mais il n’y a aucun maléfice : tout simplement, le sol à cet endroit contient beaucoup de minerais de fer à faible profondeur, ce qui désoriente les boussoles. La métallurgie du fer est une très ancienne activité aux alentours de la forêt de Brocéliande, comme en témoignent plusieurs noms de lieux-dits : les Forges, les Forges de Lanouée, les Forges de Paimpont.

Amant transi à Aurillac

Célibataire, je vivais depuis trois ans à Aurillac pour motifs professionnels. Pendant mes loisirs, j’avais pu apprécier chaque été les longues balades à pied dans la montagne du Cantal, où j’apercevais des mouflons craintifs et agiles. J’avais aussi pu m’initier au deltaplane. L’hiver lorsque le temps le permettait, je faisais du ski de randonnée sur les chemins enneigés que j’avais parcourus l’été. Mais l’hiver, le thermomètre enregistreur posé sur ma fenêtre m’avait aussi fait constater une autre particularité du pays : au petit matin, la température descendait couramment sous -10°, parfois -20°. Un certain matin, mon thermomètre avait même enregistré -35°.

Marie-Claire me réchauffait de temps en temps : l’après-midi, elle venait discrètement chez moi quand nous pouvions nous libérer. C’était une femme mariée, très convenable, que personne n’aurait soupçonnée d’adultère. Par souci de discrétion, elle venait plus souvent l’hiver que l’été parce que l’hiver il y a peu de monde dans les rues et peu d’observateurs derrière les fenêtres fermées et embuées. Je connaissais son mari, un brave homme paisible. Mais s’il était aussi peu dynamique au lit qu’à la ville, je comprenais que Marie-Claire fût en manque de sensations. Elle n’avait pas l’intention de divorcer – ce qui m’arrangeait bien – parce que, outre que Marie-Claire et son mari partageaient une certaine affection réciproque, ils étaient liés par d’autres solidarités que je devinais mais qui ne me regardaient pas : peut-être des solidarités financières ou patrimoniales, peut-être des liens de famille ancestraux parce qu’ils étaient originaires du même village, peu m’importait. Ou peut-être étaient-ils tout simplement liés, comme beaucoup d’autres gens, par le souci bien compréhensible de préserver leur confort.

Un jour vers la fin de l’hiver Marie-Claire me téléphone : « mon mari sera absent deux jours de suite – et donc une nuit – la semaine prochaine, de mardi matin à mercredi soir. Viens à la maison mardi soir : on fera une dînette et plus si affinités.

— D’accord. Tu m’offres aussi le petit déjeuner mercredi matin ?

— Bien sûr ! Pour une fois que nous pouvons passer une nuit entière ensemble, j’espère que tu ne vas pas t’éclipser en pleine nuit.

— Non, m’éclipser dans la nuit serait c** comme la Lune : je n’aurai certainement pas envie de partir. Et si c’était le cas, tu saurais faire ce qu’il faut pour que je reste, je te connais. »

Je pourrais aussi lui proposer de venir chez moi, mais je suppose qu’elle préférera rester chez elle pour répondre au téléphone si son mari appelle.

Le jour dit, je suis ponctuel au rendez-vous. Tout se passe comme nous l’espérions.

Jusqu’au lendemain matin. Alors qu’il fait encore nuit et que la campagne enneigée nous éclaire faiblement à travers la fenêtre, que nous sommes encore l’un dans l’autre en savourant simplement l’instant présent, le bruit de la porte du garage nous alerte. Marie-Claire ne s’exclame pas « Ciel, mon mari ! » mais quelque chose d’équivalent et moins littéraire, moins vaudevillesque. Nous nous levons d’un bond, à poil. Instantanément, j’ai pris la décision de disparaître parce que je n’ai aucun motif de mettre Marie-Claire et son mari dans une situation embarrassante.

Je dis : « retiens-le pendant dix minutes, je vais sortir par la fenêtre. »

Elle prend un peignoir et sort de la chambre. Je l’entends qui s’active dans la salle d’eau. Quant à moi, profitant de la faible luminosité neigeuse qui entre par la fenêtre – allumer un éclairage révélerait ma présence – je ramasse mes vêtements en veillant à ne pas en oublier un seul. Je les balance dehors par la fenêtre : anorak avec bonnet et moufles dont je vérifie la présence dans les poches, pantalon évidemment mais aussi chaussettes, chaussures, chemise, pull-overs et chandails, tout y passe excepté mon slip que je prends quand même le temps d’enfiler pour préparer ma sortie acrobatique. Je balance aussi par la fenêtre la serviette de toilette que nous avions mise sur le drap pour lui éviter des taches suspectes.

C’est une maison de montagne : côté rue, le logement est au premier étage, le rez-de-chaussée étant occupé par le garage. À l’arrière de la maison, les fenêtres sont à moins de deux mètres au-dessus du sol. Mes vêtements sont tombés sur une zone d’herbe sèche qui longe la maison, zone préservée de la neige par l’avancée du toit. Encore à poil, je prends silencieusement le même chemin que mes vêtements puis, tout autant silencieusement, je tire vers moi les battants de la fenêtre. L’air extérieur est glacial. Heureusement, il n’y a pas le moindre souffle de vent. Le plus important est fait : on ne me trouvera pas dans la chambre, et aucune trace qui pourrait trahir mon passage et créer de la gêne. Quant à moi, en slip, évidemment je suis frigorifié. Heureusement, je suis en pleine santé. Mais s’il y avait du vent, ma situation serait intenable et même dangereuse.

Je ramasse la serviette et mes vêtements, je porte le tout sous mon bras pour contourner le coin de la maison en marchant sur la zone d’herbe sèche qui forme un passage le long du mur. Là, je peux m’habiller rapidement et sans être détecté. M’habiller approximativement aussi parce que, voyant mal ce que je fais dans la « pâle clarté qui tombe des étoiles », je dois identifier mes vêtements au toucher – mais si je suis mal fagoté, ce ne sera pas grave : à cette heure-ci et par ce froid, je ne ferai sûrement guère de rencontres sur le trajet pour aller chez moi.

Puis, en m’arrangeant pour ne pas être visible depuis chez Marie-Claire et son mari, je m’éloigne pour regagner mes pénates. J’ai laissé la serviette sur l’herbe, près du mur aveugle de la maison : elle ne sera pas retrouvée de sitôt et le temps lui rendra son innocence. Sur le trottoir, tout en marchant sur l’étroit passage que les services municipaux ont déneigé, et prenant garde de ne pas glisser sur le verglas résiduel, je fais quelques mouvements de gymnastique pour me réchauffer. Encore une fois, je me dis que j’ai de la chance d’avoir la santé.

Dans le centre-ville désert et silencieux, passant devant la statue du Pape – le savant Gerbert, natif d’Aurillac, devenu Pape de l’an Mil sous le nom de Sylvestre II – j’entends le saint homme qui me dit : « avec une femme mariée ! Tu devrais avoir honte !

— Au contraire, je participe à l’équilibre d’un couple qui ne tiendrait pas sans mon intervention discrète. D’ailleurs – outre que je ne vous ai pas permis de me tutoyer parce que nous n’avons pas gardé les ouailles ensemble –, je vous fais observer qu’à votre époque beaucoup d’hommes d’Église en faisaient autant. »

Il n’a plus rien dit.

J’ai quand même ajouté : « et puis, vous savez comme moi que si nous faisons un enfant à une femme adultère, nous pouvons être sûrs au moins qu’il aura un père. »

Faire appliquer la loi

Dans une ville moyenne du nord de la France, je dirigeais les services municipaux. Un jour sur un espace vert communal s’installèrent sans autorisation cent à deux cents caravanes de « gens du voyage ». Ce n’était pas la première fois.

Les protestations du voisinage affluèrent aussitôt à la Mairie. Du moins, je dois nuancer : les « gens du voyage » s’installent en général le vendredi soir ou le samedi matin, moment où beaucoup d’habitants sont absents et où les services de la Mairie comme ceux de l’État tournent à effectifs réduits et en sous-encadrement, notamment pendant la période des congés d’été. Les protestations ont été reçues en Mairie le lundi matin. Nous avons réagi non le samedi mais le lundi, avec deux jours de retard mais sans improvisation parce que mon plan était prêt.

Du fait que ce n’était pas la première fois que nous étions ainsi sollicités par les circonstances, j’avais préparé le plan d’action des services municipaux en liaison avec les services de l’État : principalement en Préfecture le service du contrôle de la légalité et le service des cartes grises ; mais aussi avec la Police nationale qui serait en réserve et devait donc être préalertée. La Police nationale n’interviendrait qu’en retrait, en couverture de ma Police municipale dont les agents verbalisateurs seraient en première ligne. Celle-ci était dirigée par un ancien adjudant-chef de la Gendarmerie et je pouvais être sûr que tout serait fait dans les règles.

La Police municipale est donc allée sur le terrain relever les numéros des véhicules : caravanes, véhicules tracteurs et véhicules d’accompagnement.