Une mère quelque part - Blandine Gérard - E-Book

Une mère quelque part E-Book

Blandine Gérard

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Beschreibung

Mika cherche des réponses face à la question qui le hante : pourquoi sa mère l'a-t-elle abandonné ?

C’est en frappant ses camarades que Mika combat ses démons : sa mère, qui l’a abandonné et dont il n’a plus de nouvelles. Un jour Mika contraint Cathy, une surveillante de son lycée, à l’emmener en Belgique où il espère trouver la pièce manquante, la raison de l’absence de sa mère. Mais c’est tout le puzzle qui vole en éclat lorsque Mika comprend pourquoi cette dernière a disparu.
Mêlant l’exubérance de l’adolescence au poids des secrets familiaux, l’auteur aborde des thèmes très durs avec une justesse remarquable. Sans verser dans le pathos, elle offre une vision pertinente de questions de société taboues.

Découvrez un roman jeunesse qui, sans verser dans le pathos, aborde des thèmes très durs avec une justesse remarquable et offre une vision pertinente de questions de sociétés taboues.

EXTRAIT

Elle passe directement la troisième et accélère comme une pilote de rallye. Quatrième vitesse, la voiture se retrouve à 110 km/h sur une nationale en pleine ville. Le moteur de la voiture supplie de passer la cinquième. Evan implore de ralentir. Nina prie. Mika est serein, mourir sur la route ou découvrir une mère agonisant dans un hôpital pour les fous : il attend que le destin tranche pour lui.
Cathy bifurque sur une placette dans le village. Elle pile devant une friterie.
— J’ai faim, décrète-t-elle.
Elle descend en claquant la porte si fort que la vieille R5 manque de s’écrouler. Le reste de la bande, perplexe, la suit docilement, eux aussi ont faim. Pause-repas.
Une fois rassasié, le quatuor finit le trajet qui le conduit à l’hôpital psychiatrique. L’énorme bâtiment est triste, il ressemble à une école. La voiture parcourt les différentes allées en slalomant entre des constructions mastoc. Ils repèrent ce qui semble être le secrétariat, passent anonymement devant plusieurs fois. Une bande de cuisiniers qui prennent leur pause devant le réfectoire s’amusent à voir passer cette drôle de petite R5 qui tourne en rond. Finalement, la voiture stationne sur le parking. Choix assez classique mais raisonnable. Toute cette histoire excite Nina qui s’imagine dans un film d’espionnage. C’est donc la déception pour elle lorsque Mika choisit d’entrer uniquement avec Cathy. Il compte bien répéter la comédie qu’ils ont jouée à la maison de repos. Le plan est simple, ils vont se faire passer pour des frère et sœur qui cherchent à rendre visite à leur tante internée ici : Nathalie Mounier. Très simple.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Beaucoup de choses sont traitées dans ce petit livre. Beaucoup d'opposition aussi. Mika s'oppose aux adultes qui ne veulent pas voir son mal-être. On trouve une opposition entre Evan, submergé d'amour maternel, et Mika, en manque d'amour maternel. Cathy trop sérieuse s'oppose à Nina, qui ne prend que le côté frivole de la vie. On y traite de la maladie d'Alzheimer, de la peur de la maternité, de la maltraitance, de la souffrance psychologique. Tellement de thèmes dans un si petit livre et tous très bien abordés, avec légèreté, mais sans indifférence. - La petite souris du web

À PROPOS DE L'AUTEUR

Blandine Gérard a suivi des études d'éducatrice spécialisée, elle travaile aujourd'hui auprès de personnes handicapées. Elle est passionnée par l'études des gens et de leur caractère, ce qui l'aide à dessiner le monde qui l'entoure.

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Couverture

Copyright

COLLECTION
ROMAN JEUNESSE
1.Un loup dans la vitrePhilippe de Boissy2.ClocheClotilde Bernos3.Le criFrançois David4.La promesse du bonhomme de neigeEugène Trivizas5.Chat qui voleFrançois David6.Sous les sables d’AfghanistanJack Chaboud7.Direct au cœurYves Pinguilly8.Cœur d’AztèqueCorine Pourtau9.InnocentMagali Turquin10.Che Guevara habite au 7eétageBertrand Solet11.Silence et PapillonsE. Delafraye12.Mon mai 68Aline Méchin13.Et moi dans tout ça ?Heidi Dubos14.Crescenza, naissance d’un tableauR.-C. Labalestra15.Celui qui voit avec ses piedsYves Pinguilly16.SonakaïRachid Sadaoui17.L’affaire AttilaJean-Pierre Tusseau18.Couleur AmourE. Delafraye19.Une mère quelque partBlandine Gérard
Illustration de la couverture : Marta Fonfara
Tous droits de reproduction, de traduction
et d’adaptation réservés pour tous pays.
© 2012 Éditions duJasmin
Dépôt légal 2etrimestre 2012
www.editions-du-jasmin.com
ISBN 978-2-35284-549-2
Avec le soutien du

Titre

Auteur

L’auteur
Après avoir suivi des études d’éducatrice spécialisée à Tournai, Blandine Gérard a exercé dans des foyers et des classes d’accueil pour nouveaux migrants, ce qui l’a sensibilisée aux problèmes rencontrés par les adolescents. Elle travaille actuellement en psychiatrie, dans une structure hors de l’hôpital. Passionnée par les gens et leur caractère, elle aime croquer le monde qui l’entoure.
À celle qui est à la fois ma Cathy et ma Nina. Elle s’appelle Noémie.
À celle qui m’a transmis la confiance en soi mais surtout la confiance en la vie, ainsi que l’envie de transmettre à mon tour. Elle s’appelle Maman.

1 L’agression

Mika saisit la chaise par les pieds et Evan l’attrape par le dossier. C’est ainsi que le combat s’engage.
Premier round : chacun tire le plus fort qu’il peut, gagnant quelques centimètres qu’il perd l’instant d’après.
— Vous êtes stupides les garçons, glousse Amélie, la pionne va arriver.
Second round : Evan, rouge et suant comme un buffle, réussit à traîner Mika sur les trois mètres qui le séparent de l’endroit où il souhaite s’asseoir, sur SA chaise. La surveillante entre, s’accorde quelques secondes pour comprendre ce qu’il se passe.
Round final : Mika inverse la vapeur, fonce sur son adversaire, l’envoie au sol, lui assène un coup de chaise dans les côtes, fait voler le meuble dans la foule d’élèves qui l’entoure. Il achève son rival à coups de pied et de poing.
La frêle surveillante se fraie un chemin parmi les spectateurs, avec assurance et délicatesse, elle saisit la manche du sweat-shirt de Mika. Étonnamment, celui-ci se laisse entraîner. Telle une marionnette vidée de toute énergie, le grand adolescent se laisse asseoir par terre, dans le couloir. Cathy, car la pionne a également un prénom, retourne au chevet d’Evan. Il a du sang dans la bouche, il gémit à peine et son souffle est ralenti.
— Il faut appeler les pompiers, que le délégué aille prévenir le principal ! Reculez !
L’assurance de Cathy vacille. Ce garçon va vraiment mal. Et s’il mourait ? Là. Sur le carrelage de la salle de permanence. Les paroles fusent, les élèves s’agitent, expliquent, certains s’approchent, d’autres s’éloignent. Amélie pleure. Lolita pousse des cris rythmés, comme une alarme de voiture.
— Sortez, sortez tous ! Laissez-lui de l’air !
Les professeurs des salles les plus proches arrivent. Ils font évacuer la pièce. Les élèves de la classe de seconde C se retrouvent sous le préau. Comme Lolita crie toujours, le professeur d’espagnol, madame Gommez, l’a prise dans ses bras. Scène étrange. Il y a ceux qui racontent et ceux qui viennent se renseigner. Amélie ne pleure plus.
Evan sort du lycée Belgrand sur une civière. Le principal et le CPE montent dans l’ambulance à ses côtés.
Mika est toujours assis sur le sol. Dans le couloir, sous la garde de Julien, un autre pion, il n’a pas parlé.

2 Cathy, la surveillante

1 027 euros par mois. Voilà la seule raison pour laquelle Cathy a souhaité devenir surveillante. Les minettes en larmes à éponger, les intellos complexés à booster, les excités à calmer et les bagarreurs à séparer : ça, c’est un bonus. 1 027 euros nets par mois sur son compte bancaire auraient pourtant été suffisants. Elle ne se souvient pas avoir un jour demandé de supplément.
Rentrer le soir dans un appartement rangé, ça, c’est un bonus qu’elle apprécierait. Sa colocataire est serveuse à mi-temps et bordélique chevronnée l’autre moitié du temps. Cathy enjambe le tas de vêtements qui gît au pied de l’unique lit. Elle se rend à la fenêtre qu’elle ouvre en grand. Une légère brise emplit le studio. Un magnifique soleil chatouille les murs ocre de la cour. Cet immeuble des pentes de la Croix-Rousse, on y entre par la rue Leynaud, délabrée. Pourtant, de l’autre côté, il y a un bijou : une cour intérieure du XVIIIe, un véritable puits de lumière et de magie.
Un jour, sa meilleure amie s’est pointée chez elle. Le lendemain, elle était devenue sa colocataire. N’ayant ni argent ni l’envie de vivre seule, le duo s’était scellé. 1 027 euros devraient suffire pour se séparer d’une colocataire qui… NON ! Ce n’est pas vrai ! Elle a osé peindre sur les casseroles ! Pourtant, rien n’a jamais pu résoudre Cathy à renoncer à leurs fous rires, leur complicité, ni même leurs disputes. Elle pousse du pied le tas de fringues sous le lit. Il est maintenant temps de travailler sur sa thèse de physique appliquée. Elle dégage SON bureau qui sert d’atelier à son artiste de coloc. Elle prend son porte-documents sur le vieillissement de l’aluminium en aéronautique. Ouvre l’ordinateur, le branche, l’allume. Soudain, elle y repense.
Et si Evan était mort.

3 Helena, la belle-mère

L’exubérance d’Helena. Toujours ce même tableau affligeant. Son bébé dans les bras et Adrian sur ses talons. Elle traverse le préau au pas de course, se frayant énergiquement un passage parmi les élèves attroupés. Sans doute, Mika préférerait-il revoir le visage ensanglanté d’Evan plutôt que celui-ci.
L’élève stagne, consigné sur une chaise dans le couloir. Ça fait plus propre. Le surveillant a ramassé Mika et l’a posé sur un siège. En silence toujours, que dire de toute façon ? Le surveillant n’a rien à dire, n’est-il pas qu’un pion ? Le principal du lycée est auprès du blessé. Helena sait déjà tout, le principal lui a expliqué par téléphone. Mika a encore frappé. Elle connaît même ce qu’il n’a pas dit, le pourquoi. C’est parce que Mika est un enfant méchant.
Couffin à bout de bras, petit garçon pendu à sa jupe et poussant le diable devant elle, la madone fait son deuxième passage : elle traverse de nouveau le préau pour sortir du lycée avec Mika. Crevant la foule qui s’écarte, ses longs cheveux blonds dans le vent dévoilent les lourdes créoles à ses oreilles. Arrivés au parking, l’installation dans la voiture commence : tout un cinéma. LeCosy de bébé est véritablement amarré au siège. Les sangles passent dans toute une série d’encoches. Adrian du haut de ses quatre ans attend qu’on lui ouvre, qu’on le porte et qu’on l’installe.
— Ça va faire beaucoup de peine à ton père, lâche enfin la belle-mère.
Helena s’était tue plus de dix minutes, c’était trop beau. La tête de Mika repose sur la vitre fraîche de la voiture.
— Il va crier papa ? interroge Adrian.
— Ta gueule, marmonne Mika entre ses dents.

4 Nina, la colocataire

Nina travaille dans un petit bouchon lyonnais. Grand, cependant, par sa notoriété. Renault tient à son titre de sommelier, il passe pourtant la plupart de son temps de travail à son labeur de barman. La trentaine bien sonnée, il est trop vieux pour Nina qui n’en a que vingt-sept. N’est-ce pas ? En revanche, il plairait beaucoup à son ami Toune qui collectionne les amants serveurs. Un sommelier, c’est classe. Et puis ça change un peu de serveur.
— Mais tu rêves ou quoi ? Qu’est-ce que t’attends ? Que le plat soit froid et que le connard de la table 4 nous le renvoie comme la dernière fois ?
Le cuistot arrache la serveuse distraite de ses rêveries. Dure réalité.
— T’énerve pas comme ça Tony, ça fait monter ta tension et tu deviens tout rouge, t’es plus cramoisi que tes tomates.
Nina saisit l’assiette que le cuisinier lui tend, elle en ajoute deux autres posées sur le passe-plat et franchit la porte battante en la poussant avec le dos. Au passage, son regard croise celui du plongeur. Un charmant jeune homme, tatouage discret à la base de la nuque, regard pétillant et grande capacité à supporter Tony. Petit clin d’œil de Nina. Il l’a bien mérité. Juste pour le remercier d’être là.
Dans la salle, Nina a le plaisir de constater que son client du jeudi est présent. Agréable surprise, c’est son client préféré. Que fait-il là un lundi ? Il a dû bousculer son emploi du temps. Nina retrouve instantanément sa bonne humeur qui ne s’éloigne jamais tellement.
— Bonjour monsieur Antony, je dépose mon chargement et je viens prendre votre commande.
— Merci Nina, mais faites à votre aise, répond le client, qui arbore un sympathique sourire.

5 Pierre, le père

Depuis que Pierre est passé directeur, c’est logiquement à la direction générale de Paris qu’il exerce ses fonctions. La famille est installée au dernier étage du plus chic des immeubles rue Tête-d’Or, à Lyon. Le toit est leur jardin personnel, baigné de soleil la majeure partie de la journée. Au sous-sol, piscine collective, enfin, commune aux locataires de l’immeuble. Helena ne nage jamais dans les eaux sales des piscines municipales. De sa terrasse, Pierre a une vue panoramique sur le majestueux parc de la Tête-d’Or. M. le directeur n’est jamais sur sa terrasse. Il passe ses semaines à Paris. Ses week-ends au salon.
Pierre est rentré tard dans la nuit de vendredi. Ce samedi matin, bébé, réglé comme un bon réveil, annonce l’heure de se lever : 7 h. Helena s’extirpe du lit pour accomplir son devoir de mère. Adrian ne tarde pas à la rejoindre, il veut un cacao. « Non, c’est trop chaud ! » Helena place le bol sur le rebord de la fenêtre. « Non, dans le frigo ! » Très bien, allons-y pour le frigo, tant pis pour le givre.
— Je n’ai pas beaucoup de cacao dans mon bol.
Helena argumente faiblement, une histoire de trop de chocolat et de mal de ventre, mais Adrian gagne toujours. Il rajoute, lui-même, la quantité qu’il juge nécessaire et finit par décréter que son cacao n’est pas bon. Bébé achève son biberon. Toutes les portes sont toujours ouvertes dans l’appartement. Helena fait claquer les couverts, grincer les chaises et parle aussi fort qu’elle peut. Elle aimerait tant que Pierre vienne prendre le petit-déjeuner en famille avec ses enfants à elle. Pierre entend tout ce micmac mais se garde bien de sortir de son lit. Il donne toute son énergie à son travail, et Mika lui prend toute celle qu’il n’a pas. « Mika », les pensées de Pierre glissent vers lui, comme toujours. Son fils, le premier de ses trois fils. Celui qu’Helena dit méchant, que le lycée juge violent et que la psychologue scolaire qualifie d’instable. Son garçon de quinze ans. Celui qui a les mêmes yeux gris que lui, la même rage de vivre. Tant de force et si peu d’assurance pour savoir qu’en faire. Il va falloir lui passer un savon pour cette histoire de bagarre. Pourquoi l’école a-t-elle appelé Helena ? À quoi sert un institut à 10 000 euros par an, s’ils ne savent pas gérer les conflits entre élèves ?
Mika n’est pas l’enfant d’Helena. Il n’a pas de mère. Il n’a que Pierre, qui s’absente souvent. Mika est seul.

6 Evan, le pas-mort

Deux côtes fêlées et un grand sourire. Enfin, Evan a su tenir tête à Mika. Pour une chaise, c’est peu de choses, mais si on vous prenait votre siège, comme ça sans un mot ! Juste parce qu’Evan n’a pas vraiment d’importance. Ce n’est pas quelqu’un avec qui il faut compter. Eh bien, Evan n’avait plus de place pour s’asseoir, dans la classe et dans la vie, s’il se taisait, comme il l’avait toujours fait. Mais aujourd’hui, il s’est accroché de toutes ses forces, à sa chaise comme à sa place. Se battre pour sa place, comme pour sa vie. Ça fait mal aux côtes, surtout quand il respire à fond. Même s’il respire doucement ça fait mal aussi. Mais quel bien ça fait au cœur de savoir qu’on peut compter sur ses tripes. Évidemment, Evan a perdu, Rome ne s’est pas construite en un jour. Il a aussi la pommette ouverte et un œil poché. Pas grave, tenez-vous bien, Evan va revenir. Il est vivant, plus que jamais.

7 Et Mika, lui-même

Street Fighter IV, le volume sonore de la télévision particulièrement élevé qui diffuse une agressive musique rock, entrecoupée par d’étranges cris : Arrrg, Hiiiiiiiia, Ourf, Boum ! Mika est installé en tailleur, bien trop près de l’écran. Il pianote frénétiquement sur la manette de sa console de jeux. Cody, le personnage fétiche de son jeu, est en train de mettre une raclée mémorable à Cammy. Quelle salope, celle-là avec son body-string ! Quel pied de lui envoyer une super attaque spéciale en pleine figure !
—Are you ready ? interroge la Xbox.
— Toujours, répond Mika.
—Go! hurle la voix enregistrée.
—Go, répète le joueur déjà concentré.
Il y a deux salopes dans la vie de Mika : Helena, bien sûr, et sa mère. Sa belle-mère use de tous les stratagèmes imaginables pour séparer Mika de son père. Et son imagination n’est pas très développée. Elle répète inlassablement la même litanie sur la méchanceté et l’irascibilité du garçon. Il semble y avoir chez elle une pulsion hormonale, un genre d’instinct animal qui lui commande de tuer la portée précédente afin d’assurer la survie de la sienne. Mika est une menace pour SON couple et SES enfants. Pourtant, il n’avait que cinq ans lorsqu’il est entré dans la vie d’Helena. C’était, à l’époque, un enfant agité mais rieur et câlin qui cherchait plus que tout l’attention de son père. Voilà tout l’enjeu. Pierre aimant passionnément son fils, ce petit garçon sans maman à qui il rêvait d’en offrir une. Et voilà l’erreur. Helena ne le fut jamais. L’enfant agité devint agressif, puis sournois, il était bon élève à l’école de l’hostilité que sa belle-mère lui proposait. Il n’avait de toute façon pas de place pour Helena, il pleurait silencieusement cette mère qui l’avait abandonné. Ce qui nous amène à la deuxième salope.
Quelle mère abandonne son enfant ? Une mauvaise. Une bien pire qu’Helena. Elle, au moins, elle aime ses enfants, elle les embrasse, les cajole, les nourrit, les console. Elle arracherait le cœur de Mika à mains nues si la loi française ne l’interdisait pas. Il n’y a rien qu’elle ne ferait pas pour Adrian et le bébé. Mais sa mère à lui, où est-elle ? Au fin fond de la Papouasie, réfugiée chez les Pygmées ? Dans un appartement parisien avec une autre famille ? Star de cinéma et Mika ne la reconnaît même pas ? Ou bien morte au fond d’un ravin ? Salope. Elle est là-bas alors que c’est ici qu’il a besoin d’elle. Lâcheuse. Mauvaise mère qui laisse Mika seul avec Helena.
Absente, tellement absente, que son existence semble avoir été lavée à l’eau de Javel, pour entièrement disparaître. Mika n’a jamais eu accès aux documents officiels qui le concernent. Tout papier qui pourrait porter la trace de sa mère est caché, voire détruit. L’enfant ne se souvient plus comment elle s’appelle. Une maman sans prénom, c’est étrange. Il lui semble se rappeler son visage, mais il doute. Ne serait-ce pas plutôt une image reconstituée, sortie plus de son imagination que de ses souvenirs. Il revoit une peau très blanche, douce, de grands yeux verts soulignés au crayon noir. Il aimerait tellement se rappeler son prénom.

8 Après l’orage… encore l’orage

Après le brouhaha de l’installation, la permanence 2, grande salle lumineuse dont Cathy a la charge pour la matinée, se transforme en palais du chuchotement. Habituellement. Ce matin, le volume est assez haut, ce ne sont pas des chuchotements mais de vraies discussions animées. La surveillante se remet doucement de son week-end chargé, rejetant son mal de tête sur l’ambiance sonore. Il est inutile de demander le silence à qui mieux mieux. La pionne a d’autres méthodes. Elle repère un élève agité et bien visible par tous. Elle s’approche de lui. Les yeux dans les yeux, elle lui ordonne : « Silence ». Et ne lui précise pas : « Nuit précédente en boîte, mal de tête, thèse de physique trèèès compliquée. » Seuls quelques rares récalcitrants nécessitent de passer à la seconde phase : « Virés de la salle ». Un élève, un seul, doit être l’élu. Sinon on éparpille son énergie et on divise son effet d’intervention. Mathématique.
Ici, tout est classe. Les salles, les élèves, les professeurs, même les carnets de correspondance. Jolie couverture en papier cartonné, grain épais, couleur crème et liseré or. Lycée Belgrand, dernière forteresse privée où l’on cultive encore des petits êtres humains en uniforme. Pas de contrat avec l’État. Ici on ne se compromet pas, à aucune condition. Mais pas non plus à n’importe quel prix. Minimum 3 500 Euros par trimestre. Excellents professeurs, comme M. Rimons, auteur de nombreux articles sur la physique nucléaire. Cathy nourrit le projet secret de lui faire suivre sa thèse. Combien d’étudiants dans cette salle savent que M. Rimons est une star ? Star… dans le cercle restreint des amateurs de science atomique.
Mika est présent, malgré la bagarre sanglante de la semaine précédente. Un père directeur du CNRS, ça ne compte pas pour du beurre. Il ferait n’importe quoi pour que son fils décroche un prestigieux diplôme. Même un quelconque, cela ferait aussi l’affaire. Mais comment suivre ses cours si l’on consacre toute sa détermination à démolir le portrait de ses camarades de classe.
Il est maintenant temps de passer aux choses sérieuses. Installée à son bureau de surveillante, Cathy sort sa pochette de travail et quitte les élèves des yeux : « maîtriser le vieillissement des interconnexions à base d’aluminium dans les microprocesseurs », article traduit de l’anglais, tiré de la revue scientifiqueAdvances in Theoretical and Mathematical Physics.
Paraît-il raisonnable d’aborder un tel article dans un bruit pareil ? Cathy ne le pense pas. Dos au tableau, Mika est en plein centre de la salle. Il se balance à califourchon sur son siège, en face d’Amélie. Il joue visiblement à un vilain jeu de mains avec la jeune fille. La lycéenne manifeste son approbation par des gloussements négatifs « Arrête Mika… » Autre facette de l’élève boxeur, il a un succès fou auprès des filles. Cathy le sait, pour calmer la meute, il faut maîtriser le roi Lion. Et puis n’a-t-elle pas de l’ascendant sur lui depuis qu’elle a réussi à stopper la rixe de vendredi ? Cathy se faufile entre les tables. Pose la main sur son épaule.
— Mika !
— Retire ta main, ordonne l’élève sans se retourner.
— Ce n’est pas toi qui donnes les consignes ici.
— T’as cru ça ? madame la pionne de trente balais. C’est quoi ton prochain job, balayeuse au lycée ou portière à l’ANPE ? Tu me salis avec tes mains de clocharde. Biiiiiiiip*
Jamais, jamais dans ses vingt-huit ans de vie – et non trente, soyons clairs ! – jamais on n’avait parlé de cette façon à Cathy. Jamais. S’ensuit le silence. Ah, quand même !
— Carnet, dit la surveillante.
Pas de « ton », ni de « donne » juste le mot « carnet », c’est le maximum que peut produire Cathy sans y adjoindre une insulte ou une réplique du même acabit, ce qui ne serait pas professionnel. Ça fait mal au ventre. La dureté des mots de l’élève, mais encore plus les vingt-cinq regards posés sur elle.
Mika jette le beau carnet du lycée Belgrand au sol. « Ramasse », ironise-t-il. Silence. Pesant. Jamais la permanence n’a été aussi silencieuse.
Cathy n’envisage même pas de l’envoyer au bureau du principal, certaine d’essuyer un deuxième échec humiliant. Elle ouvre la porte communiquant sur la permanence 1. La pionne confie sa classe à Julien qui se poste entre les deux salles. Elle revient cinq minutes plus tard avec M. le principal. Elle s’installe à son bureau. Quand on tombe de cheval, il faut remonter immédiatement. Le proviseur ordonne à Mika de ramasser son carnet.
— Vous n’employez pas du personnel pour ce genre de tâche ? demande l’élève.
C’est sa dernière remarque, un dernier sourire adressé à Cathy. Mika sait que maintenant c’est lui qui va passer un mauvais moment. Considérant sa vie entière comme un mauvais moment, il l’aborde avec indifférence et détachement. Question d’entraînement. Il ramasse son carnet. Il suit docilement le principal.
* La tirade suivante, trop vulgaire et jugée humainement dégradante, est censurée par l’auteur.

9 Ce soir, on sort

Entrée dans l’appartement.
« Nina ! Enfin une bonne chose dans cette journée de merde.
— J’espère que ce n’est pas moi, la chose. »
Perchée sur une chaise, elle-même en équilibre sur une table, Nina suspend des pelures d’oignon à un mobile au plafond.
— Ce n’est pas une table, c’est MON bureau ! Les pieds du siège écrasent une revue que j’étudie pour ma thèse !
— Quant à moi, je ne suis pas une chose ! Ni un morceau d’aluminium ! Excuse-moi d’exister dans ton espace. Excuse-moi de partager le même univers que toi. Est-ce que je tape une crise, moi, quand tu ranges MES livres Disney par ordre alphabétique ?
— !?
— Non, moi, je suis tolérante.
— Je dirais même magnanime, tu m’autorises donc à ranger ton bordel… Trop magnanime !