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La rencontre entre une jeune infirmière et un beau chirurgien à tout d'un conte de fée moderne. Ainsi, lorsque Paul rencontre Emilie, il sait tout de suite que c'est elle, Elle. Il se retrouve, comme dirait son père : à la merci de l'amour. Il met tout oeuvre pour séduire la jeune femme. Une belle histoire d'amour vous dites-vous ? Peut-être. Mais Emilie de son côté, qu'en pense-t-elle ?
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Seitenzahl: 230
Veröffentlichungsjahr: 2021
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Pour ceux qui ont cru en moi.
Pour ceux qui n’y ont pas cru.
Pour ceux qui ne savaient pas.
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII
Chapitre IX
Chapitre X
Chapitre XI
Chapitre XII
Chapitre XIII
Chapitre XIV
Chapitre XV
Chapitre XVI
Chapitre XVII
Épilogue
Page de copyright
J’ai d’abord voulu appeler ce livre « Ceci n’est pas une histoire d’amour ». Un titre qui aurait été tout à fait en adéquation avec le message que je tentais de faire passer au travers de cet écrit. Un titre parfait mais déjà pris, moultes fois.
Le tableau de Magritte La trahison des images dépeint une pipe tout en notant explicitement que ce n’en est pas une. Là où certains y verront une plaisanterie, d’autres y verront un sous-entendu sexuel et d’autres encore soutiendront avec véhémence que « Bien sûr que si c’en est une ! ». J’ai écrit ce livre en particulier pour ces derniers et dernières personnes.
En grandissant je me suis aperçue que là où je voyais un comportement outrageant, d’autres voyaient de la séduction, là où je voyais du harcèlement d’autres voyaient une histoire d’amour.
J’ai cherché à comprendre ces personnes, comprendre d’où leur venait cette manière de penser. Je n’y suis pas parvenue. C’est pourquoi au travers de ce livre je tente à mon tour de leur faire comprendre la mienne en espérant y parvenir.
Ce livre de fiction n’est en rien autobiographique (heureusement pour moi), toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait purement fortuite.
Tout ce récit sort de mon imagination, c’est pourquoi je vous le dis avec certitude :
Ceci n’est pas une histoire d’amour.
Liebestraum
Franz Liszt
- Et toi, tu veux faire quoi quand tu seras grand ?
Paul leva les yeux de son livre pour jeter, à travers ses lunettes de soleil, un regard étonné à la gamine. Elle avait soudainement cessé de construire son château et le toisait, le corps recouvert de sable. Avec une certaine impatience, elle appuya sa question d'un « Alors ? » autoritaire. Il hésita un instant à lui donner une réponse développée, mais réalisa qu'il mourait d'envie de continuer son livre. Il lui répondit succinctement :
- Je sais pas. Je suis déjà grand, non ? Puis il baissa à nouveau les yeux sur son livre pour continuer la phrase qu'il avait abandonnée.
Paul avait toujours été très droit et pragmatique. À 33 ans, il avait eu un parcours exemplaire. Beaucoup de ses collègues – pour la plupart plus âgés – s'accordaient à dire qu'il deviendrait certainement l'un des meilleurs chirurgiens vasculaires de la région Lorraine, voire de France. Modeste, il ne leur donnait jamais raison, mais en était lui aussi persuadé.
- T'es pas vieux. Tu vas encore grandir. Tu vas encore faire des trucs. Alors qu'est-ce que tu veux faire quand tu seras plus grand ?
Il leva les yeux et vit que la gamine continuait de le dévisager. Il n'avait jamais rien compris aux enfants, à tel point que parfois il se demandait s'il en avait un jour été un. Comment pouvaient-ils accorder autant d'importance à des choses aussi futiles et éphémères qu'un château de sable ; ou se montrer aussi têtus pour avoir une réponse – qu'ils oublieront dans l'heure – à une question sans importance ?
- Tu sais que je suis docteur ? Demanda t-il en baissant son livre pour la regarder dans les yeux, tentant – en vain – de faire paraître sa lassitude pour de l'intérêt.
- Ben oui, ça je sais ! Répondit l'enfant en levant les yeux au ciel.
- Tu sais que j'aime être docteur ?
- Oui ! Tu en parles tout le temps et je comprends jamais rien…
- Hé bien j'aimerais beaucoup être docteur et le rester quand je serai grand.
La petite semblait perplexe. Elle jeta un regard à son château et fit une grimace de déception avant de regarder Paul dans les yeux et de lâcher :
- Mais… C'est nul !
De toute évidence elle était moins déçue par sa construction que par la réponse de Paul.
- C'est nul, répéta-t-elle, toujours avec son regard sombre planté dans celui de Paul.
- Pourquoi tu trouves ça nul ? Demanda t-il faisant semblant de s'intéresser à la réponse qu'elle lui donnerait.
Elle attendit quelques secondes avant de lui répondre et Paul se rendit compte que la déception de son regard avait laissé place à de la pitié :
- Tu vas toujours être ce que tu es ? Tu vas jamais changer ?
- Si j'aime ce que je suis, pourquoi je changerais ?
* * *
Charlotte ne savait pas quoi répondre. C'était trop évident. Les adultes sont vraiment bizarres. Ils préfèrent tous la sécurité à l'aventure et l'argent au chocolat. Elle pensa : « Paul est un très grand adulte. Déjà quand il est debout j'arrive pas à voir ses yeux. Mais en plus je suis sûre qu'il a jamais vécu d'aventure et veut jamais en vivre. Il a peur. » Les yeux de Charlotte passèrent du château à Paul et elle se rendit compte qu'il y avait bien plus que quelques murs de sable qui les séparaient. Elle regarda derrière son épaule et vit la mer qui se rapprochait dangereusement vague après vague et qui menaçait de détruire ce qu'elle avait mis des heures à bâtir. « Pourquoi il changerait s'il aime ce qu'il est ? ». La réponse était tellement logique :
- L'aventure ! S'exclama-t-elle en se levant juste à temps pour laisser passer la mer qui emporta avec elle le résultat de son après-midi de travail ; de son après-midi de jeu, de son aventure.
* * *
Ils quittèrent tous les deux la plage. Charlotte portait son seau et sa pelle pendant que Paul traînait un grand sac rouge. La gamine de sept ans sautillait joyeusement devant lui en essayant de siffler un air de son invention, sa petite robe blanche dansait sur ses genoux à chaque pas.
Paul réfléchissait, il restait persuadé que la question de Charlotte était sans importance, mais se surprit à se demander quelle pourrait être sa prochaine « aventure », comme disait sa nièce. Il avait un travail qu'il adorait, qui lui rapportait assez d'argent pour vivre plus que confortablement, dans lequel il était très bon et se faisait violence pour devenir meilleur encore. Cela faisait plus de dix ans qu'il s'était installé à Nancy, pour ses études en premier lieu puis son travail, inévitablement. Une ville magnifique à laquelle il s'était beaucoup attaché. Il voyait son futur professionnel sans encombre, toujours plus grand et plein d'opportunités, mais se demandait parfois ce qu'il pouvait avoir de plus dans sa vie pour qu'elle soit parfaite.
« Une plus grosse voiture, une grande et belle maison, un chien. Pourquoi pas ? Mais une femme, des enfants… » Il s'agirait de la suite logique, une suite qui ferait le plus grand bonheur de sa mère qui disait sans cesse qu'il pensait uniquement à son travail. Ce qui était entièrement vrai, mais il ne pouvait pas se permettre de lui donner raison.
A trente-trois ans il avait connu plusieurs histoires, bien sûr. Un grand et séduisant jeune chirurgien aux cheveux bruns bien coiffés, aux yeux sombres, dont on pouvait suivre les traits de sa mâchoire carrée – parfois cachée sous une barbe naissante mais qu'on devinait bien fournie – jusqu'à ses lèvres bien dessinées. Il plaisait et il le savait, mais jamais il n'avait envisagé un futur concret avec qui que ce soit.
Il se trouvait souvent trop bien pour les filles qu'il rencontrait. La plupart de ses amis le disaient narcissique, ils ne semblaient pas comprendre qu'un homme comme lui ne pouvait pas se permettre de sortir avec une femme lambda, ou qu'il ne se voyait pas être avec quelqu'un de moins intelligent, de moins cultivé ou de moins beau que lui. Il lui arrivait de rencontrer des filles très différentes les unes des autres, mais aucune n'avait semblé à la hauteur, il trouvait cela tout à fait normal et se moquait de ce que ses amis ou les filles en question pouvaient dire de lui.
Il attendait celle qui lui donnerait envie de penser plus à des voyages qu'à ses patients et bistouris ; celle qui s’intéresserait davantage à un pontage qu'à la date de sortie du prochain épisode de sa série préférée. Il attendait celle qui n'existait pas, celle qui – pour son plus grand plaisir – ne viendrait jamais. Il aimait sa solitude et resterait avec elle même lorsque la mort tenterait de les séparer. Il resterait et vieillirait seul dans son grand appartement aux murs recouverts de diplômes et de schémas anatomiques.
« L'aventure » avait hurlé Charlotte. « Quelle aventure ? S'aventurer c'est risquer. Le risque, on ne le cherche pas, on ne le prend pas, on le fuit. Pour aucune aventure au monde je ne risquerais la sécurité et le confort que j'ai réussi à acquérir », pensa Paul.
Soudain il entendit une voix s'élever devant lui :
- Ah ! Enfin !
Il leva les yeux et vit sa mère qui les attendait sur le seuil de sa porte les mains sur les hanches. Depuis qu'elle habitait à côté de la mer, il ne l'avait jamais vu porter d'autres vêtements que ceux-ci : une marinière aux manches remontées aux coudes, un pantalon bleu foncé qui lui arrivait juste au-dessus des chevilles et de simples chaussures blanches. Un ensemble qui se mariait très bien avec ses cheveux couleur ivoire dont les petites boucles, toujours désordonnées, atteignaient à peine le lobe de ses oreilles. A croire qu'elle voulait montrer au monde entier qu'elle habitait sur le littoral atlantique. Sa mère était un cliché.
Elle ouvrit les bras pour accueillir Charlotte qui avait laissé tomber son seau et sa pelle pour courir vers sa grand-mère en hurlant :
- Mamie !
Arrivé au portail Paul se baissa pour ramasser les outils de la bâtisseuse. Il se releva, regarda sa mère dans les yeux et lui sourit. Elle lui renvoya son sourire avec, derrière ses lunettes en demi-lune, ce regard malicieux dont elle seule avait le secret.
Soudain il réalisa qu'il avait marché un kilomètre et demi en réfléchissant à sa vie, suite aux mots prononcés par une enfant.
* * *
Charlotte n'aimait pas les repas quand ils étaient tous ensemble. Ça semblait interminable. Les adultes n'arrêtaient pas de parler de choses qu'elle ne comprenait pas. Depuis une semaine ils étaient tous ensemble et chaque soir c'était la même chose : de longs repas ponctués de discussions inintéressantes. Parfois Lise – sa maman – lui disait qu'elle pouvait aller se coucher si elle préférait, mais la gamine répondait toujours qu'elle n'était pas fatiguée. Sa grand-mère faisait tous les soirs un dessert différent, c'était le moment de la journée que Charlotte préférait, qu'elle attendait et pour lequel elle n'allait jamais se coucher avant les adultes. Tout de même, malgré son amour pour les desserts de Mamie, la petite préférait le midi, quand ils mangeaient vite un sandwich à la plage avant d'aller jouer au ballon ou de se baigner.
Charlotte se servit un verre de jus d'orange avant de s’asseoir seule à la petite table de la cuisine. « En plus ce soir ça va être encore plus long parce que Paul part demain. », songea-t-elle en s'affalant sur la table dans un long soupir.
- Hola petite bâtisseuse, j'ai entendu aux informations que la mer a une fois de plus emporté notre château aujourd'hui. Bigre… Demain il faudra renforcer les fortifications !
Elle se redressa. Papi avait dû entendre sa plainte silencieuse et traversait la cuisine avec son « vélo » jusqu'à elle. « Il appelle ça un “vélo”, mais Maman m'a dit que c'était pour pas qu'il tombe. Un dém… Démambrul… Démanbul… Déambulateur ! » C'est à ce moment-là qu'elle comprit pourquoi son grand-père préférait appeler ça un “vélo”.
Charlotte regarda son grand-père en souriant. Elle vit de petites rides se former aux coins de ses yeux et sa fine moustache grise se lever avec ses lèvres souriantes. Elle aimait beaucoup cette moustache, son grand-père n'avait plus aucun cheveu sur la tête, ni poils sur le visage hormis cette moustache dont il prenait grand soin chaque matin.
Le vieillard avançait lentement, le dos légèrement courbé. Il avançait toujours à petits pas en s'appuyant davantage sur sa jambe gauche que sur la droite. Cela faisait des décennies qu'il avait mal à ce membre. Charlotte lui avait demandé à plusieurs occasions ce qui lui était arrivé et à chaque fois son grand-père lui racontait une histoire différente. Lui aussi avait le goût de l'aventure.
L'histoire qu'elle préférait se passait pendant la guerre dans un pays d'Afrique dont elle avait oublié le nom. Un méchant avait dressé un lion pour combattre. Le fauve avait sauté sur Papi et avait saisi sa jambe entre ses crocs. Alors Papi – ce héro – avait regardé la bête dans les yeux, sans crainte, sans cri et lui avait ordonné de le lâcher. Ce que la bête fit avant de plier le genou devant son nouveau maître. Mais il était trop tard et depuis Papi avait mal à la jambe.
Le vétéran de la guerre d'Algérie s'assit face à sa petite fille et l'imita en se servant un verre de jus d'orange. Charlotte savait que si elle voulait écouter une histoire d'aventure il lui suffisait de poser la question à son grand-père. Après avoir passé un long après-midi avec son ennuyeux oncle Paul, elle avait besoin d'un récit d'aventure.
- Papi ? Comment tu t'es fait mal à la jambe ?
- Je ne t'ai jamais raconté cette histoire ? Demanda le grand-père étonné en regardant la petite.
Charlotte fit « non » de la tête, espérant avoir une version inédite.
- Ah ! Dit-il avant de boire une dernière gorgée de jus et de poser son verre sur la table.
Il leva les yeux au ciel quelques instants. « Il réfléchit, ça va être nouveau ! », pensa Charlotte.
- Ta grand-mère. Elle a de gros biscoteaux, pas vrai ? Commença t-il en levant symétriquement les poings, coudes pliés.
La petite répondit d'un hochement de tête.
- Des bras très très forts, continua le grandpère haussant légèrement la voix en levant plus haut ses bras toujours pliés.
- Très forts, oui ! Ajouta Charlotte avec un sourire qui s'élargissait à chaque seconde.
Dans un silence qui parut une éternité Papi baissa les mains en les dépliant pour les poser délicatement à plat sur la table. Il baissa la voix, Charlotte n'entendit qu'un murmure, comme s'il lui confiait un secret.
« Ça s'est passé bien avant ta naissance et celle de ta mère. Dans notre petite maison que tu n'as jamais vue, dans un petit village au nord du pays que tu n'as jamais visité. A cette époque, on devait chasser pour se nourrir.
Il y avait cette histoire qu'on racontait : Le Lapin Titan. Un lapin géant de la taille d'un grand enfant. Quand il se tenait debout sur ses pâtes arrières il faisait la taille d'un ours ! Tout le monde en parlait, beaucoup pensait que c'était faux, une histoire pour faire peur aux gosses… Mais pas moi ! Parfois je voyais une ombre immense dans notre jardin, une ombre qui engloutissait nos légumes d'une bouchée.
Je savais qu'il existait et je voulais le prouver au village. Alors un jour je suis parti à la chasse au Lapin Titan. Ta Mamie était très inquiète pour moi, bien sûr. Mais elle savait que je reviendrais, et tu sais pourquoi ? Parce que j'étais le meilleur chasseur. Je suis resté dans la forêt trois jours et trois nuits avec juste mon fusil et une couverture. Et le quatrième jour ; alors que j'étais trempé, plein de boue et que je commençais à mourir de froid ; je l'ai vu… »
- Le Lapin Titan, compléta Charlotte fascinée.
- Le Lapin Titan, oui. Alors j'ai armé mon fusil, j'ai visé et j'ai appuyé sur la gâchette. Et là ! Dit-il soudain très fort en écartant brusquement les bras au point de faire sursauter sa petite fille, toujours captivée par son récit.
« Mon fusil a refusé de tirer. Il avait pris l'humidité. J'ai regardé devant moi et j'ai vu le monstre tourner la tête, ses grands yeux rouges brillaient et me fixaient. J'étais à sa merci. Alors j'ai jeté mon fusil et j'ai couru à travers le bois, encore et encore, le plus vite possible en écartant les branches, en glissant dans la boue. Je courais, je courais et à un moment j'ai vu notre maison, j'ai vu ta Mamie par la fenêtre de la cuisine. J'ai crié son nom « AGATHE ! AGATHE ! », pour qu'elle ouvre la porte de la cuisine et qu'elle s'apprête à affronter la bête.
J'ai continué à courir et j'ai vu ta Mamie ouvrir calmement la porte avec un grand couteau dans chaque main. Elle attendait le monstre. Il se rapprochait de moi, j'entendais son rugissement de plus en plus près de mon oreille. A quelques mètres de la maison, le lapin m'a sauté dessus ! J'ai eu peur, mais il avait simplement attrapé ma botte. J'ai sauté pour atteindre la maison et ta grand-mère a levé ses deux grands bras, les couteaux dans les mains. Et elle a visé la tête du lapin. »
Le grand-père s'arrêta en baissant les yeux, l'air nostalgique et déçu.
- Et alors ? Demanda Charlotte impatiente.
- Il était rapide et il bougeait beaucoup. Elle a dû s'y reprendre à trois fois pour planter le lapin. Le premier coup lui a coupé les moustaches et le dernier l'a tué.
Charlotte le regarda, silencieuse, attendant la fin du récit. Elle se baissa pour jeter un coup d’oeil à la jambe de son grand-père sous la table. Puis elle se redressa, compta silencieusement et planta quelques secondes son regard dans les yeux de Papi. Elle ajouta, septique et déçue à la fois :
- Mais ça fait que deux coups ça Papi, et en plus ça me dit pas pourquoi t'as mal à la jambe si le Lapin Titan à touché que ta botte.
Il la regarda un instant dans les yeux, saisit son verre de jus d'orange et termina :
- Après les moustaches du lapin, le deuxième coup de couteau a été pour ma jambe. Elle n'avait pas ses lunettes, ta Mamie.
Charlotte regarda quelques secondes son grand-père avant de hurler de rire. Elle rit tellement fort que sa mère apparut brusquement au bout de la cuisine, un regard inquiet. Ses cheveux châtains désordonnés tombaient sur ses grands yeux bleus. Elle regarda sa fille, rassurée qu'elle soit en train de hurler de rire et non pas de douleur ou de peur. Elle jeta un regard interrogateur à son père qui tapota doucement sa cuisse droite. Elle comprit vite la cause de l'hilarité de sa fille et son regard passa rapidement de l'interrogation à la douceur. Elle sourit elle aussi et demanda :
- L’Épingle À Nourrice ou Le Lapin Géant ?
- Titan, répondit le grand-père, un sourire de fierté aux lèvres en levant le doigt sur ce mot pour appuyer son importance.
* * *
Lise avait beaucoup aimé le repas ce soirlà. Sa mère avait mis les petits plats dans les grands et préparé plus de nourriture qu'il n'en fallait pour leur dernier souper avant le départ de Paul, son frère. Ils s'étaient tous gavés de fruits de mer divers et variés : huîtres, crabes, langoustines, bulots, moules, palourdes ; la spécialité de la région était devenue la spécialité de sa mère, Agathe. Sa fille, Charlotte, avait tenté de réprimer une grimace de dégoût à chaque fois qu'elle avait vu quelqu'un manger quelque chose. Elle n'avait jamais aimé quoique ce soit provenant de la mer ; même si – Lise le savait – elle n'y avait jamais vraiment goûté. C'est pourquoi sa grand-mère avait préparé spécialement pour elle un grand saladier de frites. « Pour qu'elle puisse picorer comme on le fait nous ! » s'était justifiée Agathe ; mais Lise s'était aussitôt rappelée ce que sa mère lui avait dit quelques années plus tôt quand elle lui avait demandé de faire des repas plus équilibrés à sa fille : « C'est le rôle des grands-parents de gâter et de faire rêver les petits enfants. Chez nous, la petite mangera autant de frites, de bonbons et de gâteaux qu'elle voudra. ». Ainsi ce soir-là, à son plus grand désespoir, Lise avait regardé sa fille engloutir un kilo entier de pommes de terre frites avec pour seul accompagnement du Ketchup.
Pendant le repas Paul avait raconté avec fierté et passion différentes histoires, anecdotes et explications concernant son métier de chirurgien. Lise avait aussi travaillé en chirurgie. Elle avait beaucoup aimé ce travail, d'autant plus qu'elle y avait rencontré Antoine, le père de Charlotte, un homme très grand, très blond, aux yeux très bleus. Un très bel infirmier qui ne cessait de répéter avec humour qu'il exerçait un travail de femme et qu'il aimait cela. Elle ne voulait pas y repenser. Il était parti le lendemain du deuxième anniversaire de sa fille, sans expliquer pourquoi.
Après sa disparition, elle avait été obligée de trouver un travail aux horaires plus réguliers pour s'occuper – seule – de sa fille. Depuis, elle était infirmière scolaire dans un collège de Dijon et passait ses journées à donner des préservatifs à des adolescents puceaux ou à les autoriser à rentrer chez eux quand ils avaient « mal à la tête ». Autrement dit quand ils avaient des contrôles ou des devoirs à rendre.
Malgré son ego surdimensionné, Paul racontait ses histoires avec une verve incroyable grâce à laquelle Lise pouvait vivre des opérations et des suivis de patients par procuration. Ces histoires, Lise les adorait, elles lui donnaient parfois l'impression de toujours être dans un service de réanimation chirurgicale et de faire un métier intéressant, avec un réel sens. Puis elle replongeait brusquement dans la réalité en se rappelant qu'elle ne pouvait même pas se permettre de donner un Doliprane aux élèves, ses « patients ».
A certains moments du repas elle avait jeté quelques regards à sa fille qui ne s'intéressait absolument pas aux dires de son oncle. Heureusement, elle roulait des yeux et continuait d'avaler une à une ses frites en silence.
Cette nuit-là, Lise dormit très bien. Peutêtre était-ce grâce aux multiples verres de vin qui avaient accompagné le repas ; mais elle aimait à croire que c'était grâce aux aventures contées par son frère qui lui avaient permis de se voir à nouveau comme une vraie infirmière, avec de vrais patients.
Le lendemain matin, en disant au revoir à son frère, elle eut envie de le remercier.
* * *
Émilie avait mis son réveil à six heures mais s'était levée bien avant, l'appréhension, sans doute. Elle commençait son nouveau travail aujourd'hui à sept heures.
Elle avait trouvé un emploi qui semblait pouvoir parfaitement lui convenir dans une ville qui pourrait sans doute lui plaire. Elle était installée à Nancy depuis maintenant une semaine et avait trouvé un appartement convenable en un temps record. Un studio de trente mètres carrés, sous les combles dans un bel immeuble datant d'une époque où on ne savait pas chauffer un appartement mais on le construisait tout de même très haut de plafond sur tout un étage ; laissant les domestiques dormir sous les toits où il faisait trop chaud en été et trop froid en hiver. Il était très bien placé, quasiment dans le centre, elle pouvait aller travailler à vélo en vingt minutes. Un logement à côté de la gare, ou plutôt à côté du chemin de fer, cela faisait un bruit phénoménal, il arrivait même que son lit tremble au passage d'un train. Au début Émilie avait trouvé cela très gênant et s'était dit qu'elle déménagerait le plus vite possible, mais – à sa grande surprise – elle s'y était très vite habituée.
La veille elle avait fait la connaissance de sa cadre, Madame Durand, une femme débordant de cette joie de vivre constante qui va jusqu'à vous mettre mal à l'aise. Elle avait un nez légèrement trop gros, des cheveux et des yeux bruns très communs. Elle n'était pas vraiment belle et n'avait, en fait, aucun charisme. Elle semblait vouloir combler ce manque en accordant beaucoup d'importance à son apparence : une coupe de cheveux courte et impeccable, un maquillage parfait et des vêtements choisis avec soin. C'était plutôt réussi à vrai dire.
Dès qu'Émilie était entrée dans son bureau, Madame Durand lui avait offert des biscuits qu'elle avait faits elle-même en son honneur ; puis elle l'avait priée de la tutoyer et de l'appeler par son prénom : Hélène. Elle lui posa quelques questions sur son expérience professionnelle et son parcours scolaire mais ne lui laissait pas le temps d'y répondre. Son CV sous les yeux, elle parlait vite, posait des questions et y répondait elle-même avec enthousiasme désarmant en ponctuant ses phrases de : « Prends donc un biscuit ! », « Tu permets que je te tutoie ? On le fait tous ici ! », « Parfait ! », « Oh ! ». Émilie comprit très vite que ce manque de charisme ne venait pas de son apparence physique, mais de son comportement absurde.
L'interrogatoire terminé, Hélène lui lança un grand sourire et lui serra la main en lui disant à quel point elle était heureuse qu’Émilie rejoigne l'équipe, qu'il fallait qu'elle s'apprête à faire de grandes choses, que, malgré le rythme rapide et souvent fatigant du service, l'équipe s'entraidait sans cesse et que c'était cela qui était le plus beau après tout, non ? « Bref, à demain, sept heures. Ne nous oublie pas ! » avait lâché la cadre avec un petit rire tendu en donnant un badge à Émilie.
Elle se sentait enfin à sa place, une infirmière, une vraie. En soins intensifs de chirurgie.
Aujourd'hui Émilie y était, le premier jour de travail, le premier jour de sa nouvelle vie. Elle mangea calmement et partit de chez elle à six heures et demie afin d'être relativement en avance. Elle pédalait avec hâte et frénésie, laissait l'air frais de cette belle matinée de juin lui caresser les joues. Arrivée à la clinique, elle attacha son vélo et fila directement dans le service. C’est là qu’elle vit une femme de dos accoudée au bureau. Ses cheveux bruns rassemblés en queue de cheval semblaient glisser doucement sur sa blouse blanche. Il n'y avait pas de fenêtres sur l'extérieur, seulement des vitres floutées donnant sur les chambres des patients. Il faisait noir dans le service, l'unique source de lumière était une vieille lampe de bureau qui donnait à la pièce entière une teinte jaunie.
Émilie frappa à la porte déjà ouverte mais l'infirmière de nuit ne bougea pas. Elle s'avança doucement avant de sursauter lorsqu'elle sentit une main se poser doucement sur son épaule. Elle se retourna et se retrouva face à un torse. Elle leva les yeux et croisa le regard d'un grand jeune homme très fin, aux cheveux sombres tirés en arrière et tenus par un petit chignon. Il portait de grandes lunettes à la fine monture ronde et donnait l'impression de tenter depuis plusieurs années de se faire pousser une barbe, en vain.
- On appelle la police ou tu es notre nouvelle collègue ? Dit-il avec un sourire au coin des lèvres.
- Je m'appelle Émilie, la cadre m'a dit que je commençais aujourd'hui, répondit-elle doucement avec un sourire.
- Enchantée Émilie ! Dit une voix dans son dos. Émilie se retourna et vit que l'infirmière de nuit s'était retournée et lui souriait. Elle avait toujours un écouteur dans l'oreille. Je m'appelle Lina, et la grande perche derrière toi c'est Florent.
- Enchantée, répondit-elle en regardant l'un et l'autre avec un grand sourire. Je suis désolée, mais la cadre ne m'a pas dit où étaient les vestiaires…
- Alors tu bosseras en civil, c'est tout, lâcha Florent amusé.
- Rhooo mais tais-toi toi ! Viens je t'accompagne, Flo tu gardes la boutique.
- Si tu veux, mais officiellement je ne suis pas en poste avant sept heures, s'il arrive quelque chose…
- Tu diras que c'est à cause de l'incompétence de l'équipe ? Coupa Lina avec un sourire.
- Non, juste la tienne, rétorqua Florent. Amusée, Émilie suivit Lina aux sous sols. Les vestiaires se trouvaient entre la cuisine et la morgue. Au fond d'un couloir humide et très mal éclairé se trouvait la lingerie, Lina lui expliqua :
- Parfois tu auras de la chance, tu trouveras des tenues à ta taille, d'autres fois…
- Je bosserai en civil et c'est tout ?