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Le terme d'utopie, inconnu du grec, a été forgé par Thomas More pour figurer dans le titre donné par lui à ce qui, de son propre aveu, ne devait être qu'une « bagatelle littéraire échappée presque à son insu de sa plume », c'est-à-dire ce petit libelle sur la « meilleure des Républiques » sise en la nouvelle île d'Utopie.
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Seitenzahl: 57
Veröffentlichungsjahr: 2016
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ISBN : 9782341004886
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Le terme d’utopie, inconnu du grec, a été forgé par Thomas More pour figurer dans le titre donné par lui à ce qui, de son propre aveu, ne devait être qu’une « bagatelle littéraire échappée presque à son insu de sa plume », c’est-à-dire ce petit libelle sur la « meilleure des Républiques » sise en la nouvelle île d’Utopie. Le texte, publié à Louvain en novembre 1516, allait rencontrer aussitôt une audience exceptionnelle dans l’intelligentsia européenne et caractériser non seulement un genre littéraire mais une littérature sociologique. Aujourd’hui, en effet, à la littérature d’expression utopique s’est adjointe une littérature de réflexion sur cette expression. Des textes se rééditent ; des nomenclatures se dessinent ; des typologies ou même des modèles s’esquissent ; des réhabilitations sont opérées : l’utopie prend une place notoire non seulement dans la sociologie de la connaissance rétrospective mais aussi dans celle de l’action prospective.
« Utopie », selon Thomas More, signifie « nulle part » : un lieu qui n’est dans aucun lieu ; une présence absente, une réalité irréelle, un ailleurs nostalgique, une altérité sans identification. À ce nom s’attache une série de paradoxes : Amaurote, la capitale de l’île, est une ville fantôme ; son fleuve, Anhydris, un fleuve sans eau ; son chef, Ademus, un prince sans peuple ; ses habitants, les Alaopolites, des citoyens sans cité et leurs voisins, les Achoréens, des habitants sans pays. Cette prestidigitation philologique a pour dessein avoué d’annoncer la plausibilité d’un monde à l’envers et pour dessein latent de dénoncer la légitimité d’un monde soi-disant à l’endroit.
C’est à partir de Thomas More et pendant trois siècles (XVIe-XIXe) que l’utopie atteindra en Occident son paroxysme. Mais elle aura eu son précédent dans les sociétés gréco-latines.
Homère (Odyssée, chap. VII) introduit Ulysse dans les jardins d’Alkninoos, où les arbres fruitiers se relaient pour porter des fruits toute l’année : « La poire après la poire, la pomme après la pomme, la grappe après la grappe, la figue après la figue... » Hésiode évoque la race d’or, sans soucis, sans vieillesse, sans misère, sans exclusive : « Tous les biens leur appartenaient. » Ici ou là, chez Homère ou chez Hésiode, et ultérieurement chez Pindare, émerge la silhouette d’une île des Bienheureux, « aux extrémités de la terre », île d’abondance et de festins, loin des labeurs et des combats.
Platon engrange l’utopie, et la postérité se fournira à son grenier. Il récupère l’âge d’or hésiodique pour l’articuler sur le mythe-histoire des Atlantes et de leur Atlantide : « Les citoyens et la cité qu’hier vous aviez imaginés comme une fable, nous dirons aujourd’hui que ce sont nos ancêtres bien réels » : ceux que le récit d’un « prêtre égyptien » situe « dans une île devant le détroit que vous nommez les colonnes d’Hercule ». Mais aussi, et peut-être surtout, le même Platon, dans les deux grands dialogues La République et Les Lois, passe de cette rétrospective à une prospective, « car il n’y aura point de terme aux malheurs des hommes tant que ne sera pas réalisé le régime politique qui dans nos propos est actuellement la matière d’un conte ». Dans la « république » platonicienne, une communauté intégrale – de biens, de femmes, d’enfants, de vie – régente la classe des gardiens. Les Lois scrutent les détails de cette cité idéale en matière de démographie, d’urbanisme, de pédagogie, d’économie, d’organisation politique, de religion, de justice, d’eugénisme : « Pliant notre fiction aux conditions réelles de la colonie que tu es chargé de fonder, forgeons une législation en paroles, nous qui, tout vieillards que nous sommes, inventons comme des enfants... »
Mais l’imagination platonicienne n’est pas une isolée. Celle d’Aristophane (L’Assemblée des femmes) immortalise une communauté intégrale établie par un gouvernement de femmes substitué au gouvernement mâle : « C’est vous, ô citoyens, qui êtes la source de tous ces malheurs... Il faut abandonner la cité aux femmes, voilà mon opinion. » Un contemporain de Platon, Phaléas de Chalcédoine, aurait, selon Aristote, préconisé une cité égalitaire et égalisatrice, tandis qu’un autre, Hippodamos de Milet, aurait, au contraire, échafaudé le plan d’une cité différenciée et différenciatrice.
Un peu plus tard, selon Diodore de Sicile, « un certain Iamboulos » aurait, au cours de ses périples, connu des Héliopolites, habitants des îles du Soleil, îles comme il se doit de bonheur intégral. Un autre, Evhémère, aurait connu une île Sacrée, au large de l’Inde et de l’Arabie, habitée par les Panchaiens : « Toute la contrée regorge des produits de la terre. » Plutarque célèbre d’autres îles, qui n’ont rien à envier aux deux précédentes : les îles Fortunées, au large de l’Afrique, l’île d’Ogyvie, « à cinq journées de route de la Bretagne ».
Théopompe de Chio prête sa plume à Silène pour narrer un continent inconnu et magnificent habité par des Méropiens. Un autre compilateur, Cedrenos, brode sur les conquêtes d’Alexandre pour camper l’île des Macrobes, hommes à la vie longue. Les voyages d’Apollonios de Tyane, narrés par Philostrate, conduisent aux Indes ou en Égypte : on y trouve la vie miraculeuse des Brachmanes ou des Gymnophysites. Strabon fait une compilation de ces voyages dans l’ailleurs enchanté.
L’héritage utopiste passe ensuite à Rome, où il connaît des réinterprétations. Ovide, en ses Métamorphoses, réédite l’utopie hésiodique de la race d’or, société sans contrainte et sans armes, vouée à l’économie de la cueillette et vivant dans un « printemps éternel » : « Alors coulaient des fleuves de lait, des fleuves de nectar, et le miel fauve, goutte à goutte, sortait de l’yeuse verdoyante. » Horace préconise l’exode et incite à quitter Rome, abandonnée des dieux, pour rejoindre les îles Fortunées : « Jupiter a réservé ces rivages pour une race pieuse. » Virgile enfin, en un moment d’optimisme, situe son utopie dans l’Italie repacifiée : c’est le thème de la IVe Églogue, avec son énigmatique incantation à l’enfant qui bientôt sera l’initiateur d’un âge d’or : « Cet enfançon suivra la vie des dieux et il verra les héros mêlés aux divinités ; lui-même sera mêlé à elles. » Les Géorgiques nuanceront cet horizon de péripéties qui confinent à la sociologie de l’histoire.