Villa Montmorency - Gil Gajean - E-Book

Villa Montmorency E-Book

Gil Gajean

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Beschreibung

Au sein de Villa Montmorency, bastion privilégié de Paris, Charles, Maximilien, Théodor et Rodolphe ont grandi dans un univers de luxe. Cependant, derrière cette façade immaculée, des secrets se tissent. Animés par une quête de sensations défendues, leur obsession les pousse à espionner leurs voisins, franchissant ainsi des frontières moralement inacceptables. Trois décennies plus tard, la découverte du corps mutilé d’une femme dans le bois de Boulogne révèle un lien troublant avec les quatre amis, devenus des hommes. Un thriller palpitant où les démons du passé refont surface, entraînant ces hommes dans un tourbillon d’intrigues et de conséquences dramatiques.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Passionné de thrillers, Gil Gajean a surmonté ses doutes pour poser enfin ses idées sur papier. S’imprégnant des lieux et des personnes rencontrées dans sa carrière parisienne, il publie son deuxième roman, "Villa Montmorency".

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Seitenzahl: 366

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Gil Gajean

Villa Montmorency

Roman

© Lys Bleu Éditions – Gil Gajean

ISBN : 979-10-422-6463-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Foesdus sensuum

Villa Montmorency

Gil GAJEAN

Mieux vaut crever de passion que d’ennui.

Vincent van Gogh

1

32 rue Poussin, 1990

Charles, Maximilien, Théodor et Rodolphe sont quatre garçons, quatre mômes nés avec une cuillère en argent dans la bouche. Des enfants élevés par une nounou philippine, chinoise ou sud-américaine dans un hôtel particulier situé au sein de la villa Montmorency. Des fils à papa qui sont toujours en voyages d’affaires, et leurs mères respectives à l’institut de beauté ou au centre de remise en forme.

Quatre enfants qui ont partagé le même parc, la même école, la même église, qui ont grandi dans ce monde où la misère n’existe pas.

Villa Montmorency est un écrin de verdure situé au centre de l’arrondissement le plus cher de Paris. Un lieu inaccessible sans un laissez-passer qui vous ouvre l’énorme portail en fer forgé situé au 32 rue Poussin. Un endroit où se côtoient ambassadeurs, stars de football, de cinéma et riches industriels. Un endroit ultra sécurisé, méconnu du grand public. Un lieu presque sectaire où quatre gosses vont développer une passion, une obsession, un vice qui va les conduire à passer un pacte. Un pacte qui dirigera leurs vies et les conduira tout droit vers l’enfer.

Charles, Maximilien, Theodor et Rodolphe sont quatre amis d’enfance, ils ont ce point commun de grandir dans un monde feutré, ils sont déposés à l’école par un chauffeur. Ils ont une nounou à temps plein qui répond au moindre de leurs désirs. Ils disposent des dernières consoles de jeux les plus performantes, du dernier téléphone Nokia 1011, qui leur permet de communiquer entre eux.

Charles Vasseur a treize ans, son père est un grand chirurgien cardiologue qui a fait ses armes avec le professeur Cabrol et a participé à la première greffe de cœur. Sa mère est journaliste de mode pour le magazine ELLE. Deux parents constamment absents, des parents obsédés par leur carrière, confiant leur gosse à la baby-sitter vietnamienne. Charles vit dans un hôtel particulier des années vingt, une salle de jeux de quatre cents mètres carrés où il se cache et rend folle Chau, la nounou.

Maximilien Dricourt a quatorze ans, dit Max, c’est le plus vieux des quatre, sa baby-sitter est sud-américaine, cubaine plus exactement. Son père est industriel, il est dans les composants électroniques, un secteur qui explose dans cette décennie où l’informatique est aux portes de notre existence. Maximilien ignore encore quel est le travail exact de son père, mais il s’en fiche, il récupérera l’entreprise de papa quand il sera grand. Sa mère est partie vivre en Angleterre après leur divorce, il fait des allers-retours deux fois par mois pour la voir. Son environnement est contemporain, la villa est ultra moderne, avec des volets entièrement électriques, une télévision dans chaque pièce, des téléphones sans fils, minitel à volonté. Le mobilier est de la dernière collection de Roche Bobois avec des chaises ultras design, mais complètement inconfortable. Maximilien n’accorde aucun intérêt au cadre dans lequel il vit, la puberté naissante, il préfère piquer les magazines Play-boys de son père et le catalogue de la Redoute de Paola, la nounou.

Théodor Deflandre, dit Théo, douze ans, le plus jeune des quatre et fils de l’ambassadeur Deflandre. Son père est en poste à l’ambassade de France de Tel-Aviv en Israël. Les tensions dues à l’occupation du Koweït par l’Irak l’empêchent de rentrer régulièrement en France, il se retrouve bloqué par la préparation de l’opération « Bouclier du désert ». Il reste seul avec sa mère et sa nounou chinoise qui rentre chez elle le soir dans le treizième arrondissement. Théodor s’entend bien avec sa mère Christine Deflandre qui est plutôt cool, mais qui a besoin de sa dose de Lexomil pour pouvoir s’endormir, ce qui lui laisse toute liberté pour faire ce qu’il veut sans qu’elle ne l’entende.

Rodolphe Fischer, treize ans, comme Charles, à un mois près. Il est le fils de Françoise et Karl Fischer, un joli couple franco-allemand. Sa mère est avocate au barreau de Paris, elle a connu une spectaculaire ascension en défendant un criminel dont le procès a été le plus médiatisé en 1988. Depuis, elle est devenue l’avocate la plus demandée pour les grosses affaires sur la place de Paris. Son père reste dans l’ombre de sa femme, il est discret, mais possède tout de même les plus importantes concessions Mercedes de la région. Monsieur Fisher passe son temps entre Paris et Stuttgart, la ville où se trouve le siège social de Mercedes Benz. Rodolphe est surveillé par Ida, une jeune étudiante allemande logée dans un petit studio situé au rez-de-jardin de la villa. Elle est jolie et sexy, ce qui laisse indifférent Rodolphe, mais pas Maximilien qui trouve toutes les excuses possibles pour venir voir Rodolphe quand Ida lui fait faire ses devoirs.

Charles, Maximilien, Théodor et Rodolphe ont tout pour mener une enfance tranquille et équilibrée. Pourtant, le soir, quand la nuit est tombée sur la villa Montmorency, ils faussent compagnie à leurs parents ou nounous pour se retrouver dans le petit parc situé au centre du quartier. Ils se réunissent avec une seule obsession, regarder chez les gens…

Espionner est devenu un rituel. Une raison d’être. Eux, les petits bourgeois, bien sages en apparence qui se transforment en espions la nuit, qui observent leurs voisines se déshabiller, leurs voisins se gratter les testicules devant un match de foot. Mater les couples dans leur intimité, les regarder faire l’amour ou s’engueuler. Ils connaissent toutes les habitudes des gens, les jours de présence ou d’absence, les visites insolites d’un amant ou d’une maîtresse. Les soirées festives chez le footballeur et le défilé d’escort girls qui va avec. Ils maîtrisent tout un planning, prennent des photos, filment au caméscope. Pourtant, ils ne sont pas satisfaits, voir est une chose, mais désormais, ils veulent pouvoir entendre, toucher, sentir l’intimité de leurs chers voisins. Espionner ne suffit plus, ils doivent entrer dans les espaces de leurs victimes, sentir l’ambiance, respirer leur air, toucher leurs objets, prendre des effets intimes et les collectionner.

Au fil du temps, ils vont commencer à pénétrer dans les villas en l’absence des propriétaires. Ils savent que très peu de ces résidences sont équipées de système de surveillance, ici c’est le quartier entier qui est sécurisé, mais pas quand le danger vient de l’intérieur. Tout est fait pour vous empêcher d’entrer dans cet univers où la vie semble être hors du temps, mais une fois dedans, c’est libre-service.

Maximilien qui est voué à devenir, comme papa, un industriel dans les composants électroniques, commence à maîtriser les nouvelles technologies, nous entrons dans l’air de la miniaturisation. Les ingénieurs de papa développent de plus en plus de produits de surveillance et de sécurité pour l’industrie militaire. Max ne perd pas de temps, très vite, il pénètre dans les villas et pose des micros, cache des mini caméras dans les salles de bains, dans les chambres, sans oublier, bien sûr, le petit studio d’Ida. Ida, la belle Ida, son fantasme, sa belle Allemande. Un jour, c’est sûr, quand il sera plus grand, il la séduira. Mais pour l’instant, il ne peut que l’observer.

Il installe un quartier général dans son sous-sol, un endroit où son père ne met jamais les pieds, Paola non plus, trop sombre et trop d’araignées.

En trois années, Charles, Maximilien, Théodor et Rodolphe sont devenus un clan de voyeurs soudés et organisés, qui opèrent autour d’écrans de moniteurs en noir et blanc. Des écrans qui déversent et enregistrent en permanence l’intimité d’une partie du quartier le plus privilégié de Paris.

Pourtant, il reste une ombre au tableau, Ida est de plus en plus femme et séduisante. Du haut de ses vingt et un ans, elle arbore une silhouette que Maximilien n’arrive plus à quitter des yeux. Le désir qu’il a pour elle devient obsessionnel. Il se refuse à en parler aux autres, pourtant, il sait que le feu qui se consume en lui pour la belle baby-sitter peut compromettre leur société secrète.

Juin 1993, Max apprend que la jeune femme quitte la France à la fin du mois de juillet pour les États-Unis afin de réaliser son rêve. Elle a obtenu une bourse pour intégrer la prestigieuse université de Harvard. Son départ provoque chez lui une déception et une colère qui le rend fou. Fini le rêve de pouvoir, un jour, séduire la belle Allemande. Sa belle, son fantasme va disparaître de ses écrans.

Il profite de l’absence des parents de Rodolphe et d’Ida pour pénétrer dans le studio du rez-de-jardin et verser dans sa bouteille d’eau une nouvelle substance appelée GHB. C’est fou ce qu’un adolescent qui a de l’argent peut acheter. Elle rentre vers 22 h, comme à son habitude, elle se douche, met sa nuisette, prend son bouquin, se sert un grand verre d’eau, le pose sur la table de chevet puis se couche. Max est là, derrière son écran, il l’observe. Il la voit se détendre, plus vite que d’habitude. Elle s’endort, son bras bascule à l’extérieur du lit, laissant tomber son livre au sol. Max comprend à ce moment que sa belle est à sa merci, et qu’il va pouvoir la rejoindre. Max prend la cagoule de motard de son père qui ne laisse apparaître que les yeux et la bouche, met un tee-shirt noir et une paire de baskets qu’il enveloppe avec de grosses chaussettes de ski. Il pénètre dans le petit appartement. Tout est calme, Ida est là, sur le lit. Elle dort, mais son sommeil reste agité, c’est l’effet de cette drogue, elle vous endort tout en vous laissant à semi-conscient. Max se rapproche lentement et timidement. Il commence à sentir l’odeur de sa peau, il est effleuré par le souffle de sa respiration, il l’admire, elle est belle. Son excitation ne fait qu’amplifier. Il s’assoit sur le coin du lit, il pose doucement sa main sur son visage, elle régit d’une grimace. Il descend délicatement sa main vers sa poitrine, ouvre sa nuisette, elle fronce les yeux. Max lui embrasse les tétons, puis pose ses lèvres sur les siennes. Ida est encore plus douce et plus sucrée que dans ses fantasmes, que dans ses rêves, que dans ces moments où il se masturbait devant l’écran.

Il enlève entièrement le drap qui la couvre, il lui enlève sa nuisette, elle est désormais nue. Il la sent, la renifle comme un chien, il glisse sa main entre ses jambes et lui caresse le pubis. Max est encore vierge, la seule connaissance qu’il a d’un rapport sexuel est ce qu’il a vu sur les cassettes VHS de son père qu’il visionnait en douce pendant son absence. Max lui écarte doucement les jambes, il fait sombre, il n’ose pas regarder le sexe d’Ida, sûrement par timidité. Max, les mains tremblantes, enlève son pantalon et son slip. Il s’allonge sur Ida et maladroitement la pénètre. La jeune femme émet un petit cri, son visage se crispe, ses traits se tirent, Max comprend alors qu’elle a conscience de ce qui lui arrive. Le viol ne dure pas longtemps, il éjacule en moins d’une minute, première expérience et trop excité pour faire durer. Une fois soulagé de son excitation, il prend pleinement conscience de son acte. Il la regarde et aperçoit une larme couler dans le coin de son œil droit. Pris de panique, il se rhabille à toute vitesse, il recouvre Ida du drap, récupère la bouteille d’eau et s’enfuit.

De retour chez lui, Max comprend alors que sa vie vient de basculer, son univers n’est plus celui d’un adolescent comme les autres, et à tout juste dix-sept ans son statut a changé, il est désormais un adulte, un adulte violeur.

Le lendemain matin, en partant au lycée, Max, Charles et Théo constatent la présence d’une Renault 11 noir et blanc de la police nationale, elle est garée devant chez Rodolphe. Max baisse les yeux et accélère le pas. Charles et Théo comprennent immédiatement qu’il s’est passé un évènement et que Max y est pour quelque chose. Ils l’observent, Max esquive leurs regards et fait genre, « quoi, qu’est-ce qu’il y a », puis sort de villa Montmorency.

La police est venue sur la demande d’Ida qui prétend avoir été violée dans la nuit par un inconnu. Elle est dévastée et désemparée. Elle est incapable de donner un signalement aux policiers. Les deux policiers sont sceptiques de la version donnée par la jeune fille, un viol ici, dans ce quartier est ultra sécurisé !

Puis son état psychique, son regard vitreux ressemble étrangement aux preneurs de LSD, en plus, la jeune femme prétend avoir été droguée à son insu. Sans grande conviction, les deux policiers prennent sa déposition et quitte la luxueuse maison l’invitant à se rendre dans un hôpital et faire des analyses de sang pour contrôler qu’elle n’a pas été contaminée par le VIH. Mais les deux flics ne croient pas en la version d’Ida, ils sont persuadés que ce n’est qu’une jeune toxicomane qui ne se souvient plus avec qui elle a passé la nuit, et dit avoir été violée. Ils ne donneront aucune suite à ce soi-disant viol…

Le soir, les quatre amis se retrouvent dans leur QG, Max est mal à l’aise. Ils savent que leur copain a fait une connerie, mais laquelle ? Ils le regardent et l’inondent de questions. Max finit par craquer et leur avoue la vérité. Les trois garçons restent stupéfaits, mais amusés par la révélation de Max, sauf Charles qui a vraiment conscience de la gravité de l’acte, qu’il s’agit d’un viol. Rodolphe, qui adorait sa baby-sitter, comprend désormais pourquoi elle était partie si précipitamment.

Max pleurniche, il supplie ses copains de ne rien révéler aux parents, et affirme haut et fort que, si un jour l’un d’eux avait besoin de soutien, il serait là.

C’est la confusion dans la petite assemblée, chacun s’observe sans trop vouloir admettre que le poids d’un tel secret sur leurs petites épaules sera bien plus lourd que leurs sacs d’écoliers les jours de contrôles. Max observe le poster accroché au mur, les trois singes de la sagesse. Il propose alors de passer un pacte, aucun d’entre eux ne dénoncera l’autre, chacun s’engage à soutenir l’autre dans les bons et mauvais moments, ils seront soudés dans leur vie par cet accord. Le pacte des sens « Foedus sensuum » est né.

2

Neuilly sur Seine 2023

Charles appuie sur le bouton d’arrêt de la sonnerie du réveil matin en soupirant. Il ouvre les yeux et constate que le soleil naissant traverse le double rideau. Il adore le mois de mai, c’est sa période préférée de l’année. Les journées sont de plus en plus longues, la verdure renaît et change à vue d’œil, les oiseaux passent leur temps à chanter pour séduire une femelle et les femmes se découvrent au moindre rayon de soleil. Charles se lève et embrasse Alessandra, sa femme qui dort encore. Comme à son habitude, elle grogne et se tourne de l’autre côté, ce qui l’amuse beaucoup. Charles et Alessandra sont mariés depuis huit ans, et ont deux enfants, Nino, six ans, et Livio, trois ans, et vivent dans cet appartement de Neuilly sur Seine qu’il a acheté juste avant leur rencontre. Charles et Alessandra se sont croisés par hasard, elle était hôtesse de l’air sur Alitalia. Lui devait se rendre à une convention pharmaceutique d’un laboratoire médical italien implanté à Piacenza, une ville industrielle située à cinquante minutes de Milan. C’est lors de ce vol Paris-Milan qu’il a croisé pour la première fois le regard d’Alessandra. Il est tombé instantanément sous le charme, son teint mat, ses yeux verts d’une profondeur abyssale, ses cheveux noirs en chignon dépassant d’un béret pourpre aux couleurs de la compagnie aérienne. Charles était désemparé et ne sachant comment l’aborder. Il lui demande alors comment relier Milan à Piacenza. La jeune femme prend son temps pour s’occuper de ce passager si attirant. Il faut dire que Charles a tout du beau et jeune docteur, ce qui ne laisse pas indifférente la belle hôtesse de l’air.

— Vous allez a Piacenza ? demande-t-elle avec malice et un accent italien qui vous transperce instantanément le cœur.

— Oui, je dois me rendre à une convention d’un laboratoire pharmaceutique et…

Charles n’a pas le temps de finir sa phrase qu’Alessandra réplique…

— Je vis à Piacenza, si vous le voulez, je peux vous déposer.

— Vous êtes trop gentille, j’accepte avec plaisir.

Et voilà, coup de foudre à Piacenza. Huit ans après, ils sont mariés et ont deux beaux petits garçons.

Charles se dirige vers la cuisine pour faire couler du café. Il est rejoint par Alessandra qui vient se blottir dans ses bras en prétextant d’avoir froid.

— Bonjour toi ! comment vas-tu ce matin ?

— Bof, c’est mercredi, c’est la course, Nino à judo et j’ai rendez-vous chez le pédiatre pour Livio. Je dois réviser mon français, mon examen est dans dix jours et je suis en retard sur le programme, si je veux obtenir mon BTS en candidat libre, je dois absolument bosser plus.

Charles sourit, il la serre dans ses bras et la rassure. Après leur rencontre, Alessandra a quitté l’Italie pour venir s’installer en France, au début elle a conservé son poste d’hôtesse de l’air, mais elle a quitté le monde de l’aérien quand elle est tombée enceinte de Nino. Elle a décidé de reprendre ses études et de préparer un BTS en management.

— Ne t’inquiète pas, ça va aller ! dit-il avec sourire.

Il finit son café et va dans la salle de bains pour se préparer.

Trente minutes plus tard, il est prêt à quitter l’appartement. Les enfants se sont levés et viennent réclamer un câlin. Nino se plaint de devoir aller au judo et demande à son père de l’emmener avec lui au travail pendant que Livio fouille dans sa sacoche, en sort un dossier dans une chemise cartonnée dont il étale le contenu sur le parquet. Charles adore ses deux petits monstres, il les embrasse et dépose délicatement un baiser sur le front d’Alessandra. Il prend la direction du parking du sous-sol et rejoint son emplacement, ouvre la portière de sa 911 Carrera, et se met au volant. Il sort du parking et prend la direction de la Défense, la circulation est fluide pour un jour de semaine, il passe le tunnel de la Défense pour rejoindre la A86, il traverse Chatou et arrive à Saint-Germain-en-Laye. Il passe devant le château, ancienne résidence de Louis VI Le Gros, devenu grâce à Napoléon III le musée national de l’archéologie. Il s’engage dans la Rue de la Lorraine, passe le portail situé au 26 et se gare sur l’emplacement floqué à son nom du parking de la polyclinique Monte-Cristo, du même nom que le château. Sur le perron de cet ancien hôtel particulier des années vingt transformé en clinique, on peut voir quatre plaques en laiton, sur lesquelles est inscrit…

Dr Charles Vasseur

Chirurgien ophtalmologiste

Dr Théodor Deflandre

Chirurgien ORL

Dr Rodolphe Fischer

Chirurgien-Dentiste

Une quatrième plaque affiche les horaires de consultations, ainsi que le numéro de téléphone.

Charles pénètre dans le hall, il est accueilli par Valérie, la secrétaire et réceptionniste qui le gratifie du traditionnel « Bonjour Docteur »

— Bonjour, Valérie, comment allez-vous aujourd’hui ?

— Bien Docteur, et vous ? J’espère que vous êtes en forme, la salle d’attente est déjà pleine.

Valérie lui envoie, du haut de ses cinquante-cinq ans, un large sourire mettant en valeur ses yeux en amande, ses dents blanches qui ressortent avec son teint mat dû à ses origines indiennes.

— On est mercredi, je sais, c’est la journée la plus chargée, répond Charles d’un air désinvolte.

— Les docteurs Fischer et Deflandre sont déjà arrivés, ils vous attendent en salle de réunion.

— OK, merci, Valérie, je prends un café et je les rejoins.

Charles passe par l’espace détente, se sert un café et rejoint Théo et Rodolphe dans la salle de réunion.

— Salut, Théo, salut Rodolphe !

— Bonjour Charles… répondent en une seule voix ses deux associés.

— Alors, que nous dit cette journée ? demande Charles.

— Pour moi, c’est environ cinq implants et six couronnes, sans compter les urgences, annonce Rodolphe.

— J’ai quatre ancrages osseux, et trois cochléaires, précise Théo.

— Moi j’ai uniquement des consultations, mais non-stop, déclare Charles d’un air déjà fatigué.

Charles reprend la parole.

— Nous devons absolument provoquer l’assemblée générale de la SCI « Villa Montmorency » et voter les travaux de ravalement de la clinique. Nous avons les fonds, il ne reste plus qu’à les débloquer et faire faire le boulot cet été.

— D’accord avec toi, répond Théo, mais nous devons attendre le retour de Max, il faut impérativement nos quatre signatures pour la banque !

— Oui, je sais, je l’ai eu au téléphone hier soir, il rentre demain.

— Cool, dit Rodolphe. Mais où était-il déjà ?

— En Israël, il doit signer des contrats avec l’état hébreu pour ses mini caméras implantées sur les insignes des casquettes des flics. Apparemment, c’est un marché juteux, tous les services militaires du monde se battent pour sa nanotechnologie.

— C’est vrai qu’elle est top, dit Rodolphe en clignant de l’œil.

— On pourrait peut-être se faire une soirée visio et ensuite aller boire un verre au Pink, ça fait longtemps qu’on n’est pas sortis, annonce Théo.

— Je te rappelle que je suis marié et que j’ai deux enfants, reprend Charles.

— Moi aussi, je suis en couple, ça n’empêche pas de se faire un petit plaisir de temps en temps.

— Peut-être, mais tu es en couple avec…

Théo lui coupe la parole.

— Ne mêle pas Kim à ça, s’il te plaît, dit-il en souriant.

— Peut-être, mais avoue que votre relation n’est pas commune !

— Pas faux, mais je te rappelle que Kim est…

Théo n’a pas le temps de finir sa phrase qu’une jeune femme en blouse blanche entre dans la salle de réunion et s’adresse à Rodolphe.

— Docteur, si je peux me permettre, vous êtes attendu…

— Très bien Magalie, j’arrive.

Elle quitte la salle sous le regard des trois docteurs.

— On peut dire que tu sais choisir tes assistantes, dit Théo.

— Ouais, répond Rodolphe en reliant ses mains derrière sa tête et en s’inclinant vers le dossier du fauteuil. En plus elle assure autant au boulot qu’au paddock !

— Mais elle n’est pas mariée ? demande Théo.

— Si, et ça m’arrange !

Charles éclate de rire.

— Tu restes incorrigible. Bon, allez au boulot ! Nous devons rembourser le crédit de la clinique.

Charles tape dans ses mains et se lève, suivi par ses deux acolytes.

3

Bagatelle, bois de Boulogne – 9 h 30

La rosée du matin rend humides et collantes toutes les feuilles et la mousse qui recouvre le sol. Des déchets laissés par la vie nocturne du bois jonchent le sol. Le lieutenant Karim Zaoui regarde le corps qu’il a devant lui, il n’en revient pas. C’est la première fois qu’il voit ça, une telle mutilation. Il a du mal à ne pas vomir, pourtant, il n’a pas le choix, il doit rester là, et sécuriser la zone en attendant la brigade criminelle. Son coéquipier, Adèl, lui n’a pas pu rester à côté du cadavre, il s’est replié à côté de la voiture.

La sonnerie du téléphone d’Adèle retentit, c’est le commissaire qui souhaite parler à Zaoui. Il appelle Karim et l’informe que le boss est au bout du fil.

— Allo, bonjour Commissaire.

Karim remue la tête en émettant des onomatopées comme, Umm, Umm, Umm.

— Très bien commissaire, nous l’attendons.

— Putain, fait chier dit Karim en rendant le téléphone à son collègue.

— Qu’est-ce qu’i y a ? demande Adèl.

— Deux nouvelles, dit Karim, une bonne et une mauvaise. La bonne, c’est que le lieutenant de la brigade criminelle est là dans cinq minutes, et la mauvaise, c’est Scarface qui récupère le dossier.

— Scarface ? demande Adèl.

— Ouais mon pote, c’est le lieutenant Scarface qui va débarquer d’un moment à l’autre…

— Tu peux m’en dire plus, c’est qui Scarface ?

— Le lieutenant s’est pris une balle dans la tête lors d’une opération de surveillance, le malfrat s’est pointé en douce et a tiré à travers la vitre de la portière. C’est un vrai miracle, la balle n’a touché aucune zone vitale, mais le visage a pris cher. Côté gauche, tout est normal, mais côté droit, c’est Frankenstein. La rumeur prêtant que ce n’est pas pendant une opération que le lieutenant a été blessé, mais un règlement de compte ou une tentative de suicide.

— Ah bon, mais pour quelle raison ?

— Tu vas pouvoir lui demander, elle est là…

Adèle tourne le regard et voit la Renault Mégane se garer à côté de sa voiture. La portière s’ouvre, c’est là qu’il aperçoit l’allure frêle d’une femme. Jeans troué, blouson de cuir et Doc Martens. Adèle reste fixée sur la jeune femme qui approche.

— Scarface est une femme ?

— Ouais, mais ne te fit pas aux apparences, cette gonzesse est un vrai ouragan.

— Salut… c’est qui Zaoui ?

— C’est moi !

— Bonjour, je suis le lieutenant Bridault. Alors qu’est-ce qu’on a ?

Adèle regarde Laura, d’un côté son visage est fin, doux, ses taches de rousseur lui donnent un côté fripon et joueur. Mais, elle se tourne et révèle l’autre moitié de son visage. Sa peau est brûlée à partir de la pommette, jusqu’à la tempe, son oreille ressemble à celle d’une Otarie, il ne reste plus qu’un petit bout de chair. Son œil droit est à semi-fermé et un trou marque sur la tempe, l’impact de la balle.

— Venez voir Lieutenant, c’est un jogger qui a fait la découverte.

Laura se dirige vers la zone balisée par Zaoui et Adèle.

Le corps est là, sur le dos, une vraie boucherie. Les deux yeux ont été enlevés, toutes les dents arrachées. On distingue parfaitement que les conduits auditifs ont également été charcutés.

— Bonjour Laura, content de te voir.

Laura se retourne un peu surprise.

— Bonjour Manu, moi aussi, ça me fait plaisir de te revoir.

— Tu as repris le boulot quand ?

— Il y a un mois, c’est ma première enquête depuis ma réintégration.

Manuel Lopez fait partie de la police scientifique. Ils ont travaillé ensemble sur plusieurs enquêtes avant son accident. Il est en fin de carrière, mais il reste un fin limier et un bon flic.

Manu observe le corps, prend son dictaphone et commence à enregistrer.

Femme d’une quarantaine d’années, un mètre soixante-dix, cheveux bruns. Poids environ soixante-cinq kilos.

La victime a été énucléée, grossièrement, je dirais avec une cuillère. Toutes les dents ont été arrachées, vu les morceaux de chair manquant sur les gencives, la pince devait être grosse, sûrement une pince de type multiprise ou pince étaux. Manu attrape une petite lampe Maglite et regarde dans l’oreille.

— Merde ! dit-il, il n’y a plus rien, tout a été enlevé, plus de tympan, plus de marteau ni d’enclume. On a l’impression que tout l’appareil auditif a été aspiré.

— Rassure-moi ! dit Laura. Cette boucherie a été faite post mortem ?

— Oui, pas assez de sang autour des organes extraits, le corps a dû être déposé ici après la mort.

— Cause de la mort ? demande Laura.

Manu observe la dépouille de plus près.

— Trop tôt pour le dire, pas de traces de perforation ni de strangulation, mais d’après la rigidité cadavérique, je dirais que la mort remonte à environ cinq heures.

— On connaît son nom ? demande Laura à Zaoui.

— Oui, il s’agirait de Rachel Sarde, domiciliée à Saint-Germain-en-Laye.

— Elle avait ses papiers sur elle ? demande Laura surprise.

— Non, répond Zaoui, mais son signalement correspond à une disparition déclarée hier soir par son mari. Tout correspond, la taille, la couleur de cheveux, et la gourmette au nom de Rachel.

— Le mari a été prévenu ?

— Oui, il est sur la route.

— Vous auriez pu attendre, il ne doit pas venir ici, dit Laura d’un ton autoritaire. Toi, dit-elle en s’adressant à Adèle, retourne là-bas et bloque le mari quand il arrive, il ne doit pas voir sa femme dans cet état !

Manu bascule légèrement le corps pour regarder sous la victime.

— Regarde ça Laura ! dit manu stupéfait.

Manu éclaire le dos de la pauvre femme, il y a des scarifications faites au couteau. On peut lire « Foedus sensuum ».

Le mari arrive à ce moment-là, en criant de le laisser passer. Adèle a du mal à le retenir, Laura détache doucement la gourmette du poignet de la pauvre femme décide de le rejoindre.

— Bonjour, monsieur, je suis le lieutenant Bridault. Je suis vraiment désolé, mais vous devez rester ici s’il vous plaît. Laura lui montre la gourmette.

— C’est à votre femme ?

— Oui, répond l’homme en sanglots.

— Je peux vous poser quelques questions ?

— Oui, mais je veux voir ma femme.

— Je suis désolée monsieur, ce n’est pas possible pour l’instant, nous effectuons des prélèvements sur la zone.

— Est-ce qu’elle est… ?

— Oui, je suis vraiment désolée, répond Laura d’un air compatissant.

L’homme chavire au point de devoir se retenir au toit de la voiture, Laura lui tend son bras pour l’aider à ne pas tomber.

— Quand avez-vous vu votre femme pour la dernière fois ?

— Hier matin, quand elle est partie travailler.

— Avait-elle un rendez-vous particulier hier ?

— Non, pas à ma connaissance.

— Que faisait votre femme dans la vie ?

— Elle était agent immobilier, à Suresnes.

— Quand vous êtes-vous inquiété de sa disparition ?

— Hier à vingt heures, elle appelle toujours en partant du travail, vers dix-neuf heures.

— Vous avez signalé sa disparition vers vingt-deux heures, n’est-ce pas ?

— Oui, il me semble que c’est ça.

— Pouvez-vous me communiquer son numéro de téléphone portable, s’il vous plaît ?

— Bien sûr. Le pauvre homme épelle les dix chiffes à Laura, qui note sur son calepin.

— Je vous remercie Monsieur. Nous allons transférer le corps de votre femme à Bercy, à l’institut médicolégal, voici l’adresse. Y a-t-il quelqu’un pour vous soutenir ce soir, ou souhaitez-vous que j’appelle un psychologue ?

— Non merci, ma sœur est venue garder notre petite dernière. Elle va rester avec nous cette nuit.

— Très bien, voici ma carte. Surtout, n’hésitez pas. Je vous rappelle demain pour prendre votre déposition. Je suis sincèrement navrée pour votre femme.

 L’homme fait demi-tour et se dirige vers sa voiture. L’allure est chancelante, comme un alcoolique. Laura réalise qu’à aucun moment il n’a eu un regard hésitant face à son visage, il est dans un tel état de choc qu’il la regardait sans la voir.

Laura rejoint Manu sur la scène de crime, il est en train de préparer le corps pour le transférer à l’institut médicolégal.

— Ça pue ce genre de meurtre, dit Laura. Une extraction d’organes, un message au couteau. Quelque chose me dit que ce ne sera pas le dernier.

Manu la regarde d’un air désinvolte, en levant les épaules, lui faisant comprendre que, de toute façon, on ne peut rien changer.

— Merci Manu, tu me tiens au jus dès que tu as des news !

— Je t’appelle demain, lui répond Manu avec un sourire discret.

Laura le salue et retourne vers sa voiture, elle demande en passant à Zaoui et à Adèle de faire leur rapport et de lui envoyer. Une fois au volant, elle prend une grande respiration, elle sort de sa poche une petite boîte et en extrait un comprimé qu’elle avale d’un coup sec en basculant sa tête en arrière. Elle observe son téléphone et compose timidement un numéro.

— Allo ? Djibril ?

— Oh ! Laura, je suis content de t’entendre, on m’a dit que tu avais repris le taf. C’est trop cool, on avait plus de cinglée dans le service. Tout va enfin rentrer dans l’ordre.

— Ta gueule, ne fais pas chier. Moi aussi, je suis contente de t’entendre, mais ce n’est pas parce que tu as pris du grade qu’il faut te la péter et te permettre des familiarités avec moi. Tu as compris, tête de nègre !

Djibril éclate de rire, un rire communicatif, un peu comme Omar Sy.

— Alors princesse, que puis-je pour toi ?

— Voici un numéro de portable, j’ai besoin que tu me retraces les dernières vingt-quatre heures.

— Quel nom ?

— Rachel Sarde, agent immobilier à Suresnes et domicilié à Saint-Germain-en-Laye.

— OK lieutenant, je m’en occupe. Au fait, tu me réserves la soirée d’Halloween, je tiens à ce que tu sois ma cavalière ce jour-là.

— Petit con… répond Laura en souriant avant de raccrocher sans aucune formule de politesse.

Laura regarde sa main légèrement tremblante et se dit qu’elle n’est pas gâtée pour une reprise. Ce meurtre n’est pas le dernier de ce tueur, ça, elle en est convaincue, son instinct la trompe rarement. Elle se pose sur l’appui-tête et respire de nouveau un grand coup. Elle repense à cette année qui vient de s’écouler, six mois d’hospitalisation, sept opérations, des séances de rééducation interminables. Sans compter son sevrage, plus d’alcool ni de drogue, et cette brûlure persistante sur son visage. Elle vit avec ses hauts de cœurs permanents dûs aux antidouleurs. Ne pas replonger, surtout, ne pas replonger, elle se répète cette phrase chaque fois qu’elle s’aperçoit dans un miroir. Laura sourit et se dit que c’est Djibril qui a raison, au moins le soir d’Halloween, elle sera belle. Elle sait que la journée sera dure et la soirée compliquée, elle rédige un SMS : Tu es dispo ce soir ?

4

Roissy terminal 2F

Le Boeing 737 de la compagnie EL AL en provenance d’Israël vient de se poser. Maximilien récupère ses bagages dans le bac situé au-dessus de lui et attend sagement l’ouverture des portes. Il est satisfait des contrats qu’il a signés avec le gouvernement hébreu. En sortant de l’avion, il n’oublie pas de laisser sa carte de visite à la charmante hôtesse de l’air israélienne qu’il a essayé de la séduire en lui contant la belle histoire de son pote qui trouva l’amour durant un Paris/Milan. Elle n’est pas restée insensible au charme de ce quarantenaire en costume Brunello Cucinelli, chaussures Berluti et, bien sûr, Rolex au poignet. Maximilien Dricourt, aujourd’hui à la tête de l’entreprise familiale, la compagnie « Nanotech », plus de cent salariés, le siège social à la Défense, un laboratoire de recherche à Saclay et une usine de fabrication à Élancourt, dans les Yvelines. 2 milliards d’euros de chiffres d’affaires, numéro un de la nanotechnologie et détentrice de plus de mille brevets. Elle est aujourd’hui l’entreprise la plus importante dans les technologies de surveillance militaire. Maximilien a intégré la compagnie de son père à sa sortie de Polytechnique. Il a apporté une nouvelle vision et un nouveau savoir-faire, en commençant par licencier les anciens collaborateurs de son père et en recrutant les meilleurs ingénieurs de sa promo. En dix ans il a fait progresser la société de plus de huit cent pour cent, il a même fait l’objet d’un article dans le prestigieux magazine Forbes. Max rejoint les tapis pour récupérer sa valise, l’atmosphère dans l’aéroport est sereine et calme, les passagers sont plutôt souriants, sûrement dus au printemps et aux jours fériés de mois de mai. Il aperçoit l’hôtesse de l’air qui se dirige vers lui et lui remet un petit papier avec ses coordonnées. Max la gratifie d’un énorme sourire et vient mettre le précieux document dans sa poche de chemise, près du cœur, histoire de jouer l’homme sensible. Si Maximilien a brillé dans sa vie professionnelle, ce n’est pas le cas pour sa vie privée. À quarante-cinq ans, il cumule deux mariages et deux divorces, accompagnés, bien sûr, de deux pensions alimentaires pour son fils et sa fille, un enfant par mariage et deux pensions compensatoires pour ses ex-femmes.

Max n’est pas un exemple de pureté, il cumule les vices, à commencer par le jeu. Il est connu dans tous les casinos du pays. L’argent n’est pas un problème pour lui, il n’a donc pas de montée d’adrénaline quand il perd. Pour pouvoir vibrer, il met en jeu les biens de ses proches, comme les bijoux de ses femmes ou de sa mère, un tableau de son père ou encore la voiture de luxe d’un ami. Il met l’objet en gage, prend le cash, une dose de cocaïne et va jouer. Attention si Max vous demande de lui prêter votre voiture. Autre vice très récurrent, la séduction. C’est plus fort que lui, il est en permanence dans un protocole de séduction. Quels que soient l’endroit ou la personne, il doit séduire. L’hôtesse de l’air, la caissière du supermarché, la contractuelle qui le verbalise, la victoire est quand il a obtenu leur numéro de téléphone. Il ne rappelle jamais, bien sûr. Mais son péché mignon, c’est la femme mariée, il adore les faire sortir du droit chemin, de leurs habitudes, les séduire jusqu’à ce qu’elle trompe leur mari. Max dit toujours : une femme mariée fait l’amour, moi je la baise !

Une fois sa valise récupérée, Max sort du terminal et prend un taxi, direction la Défense. Il prend son téléphone, regarde ses derniers messages et mails reçus pendant le vol, puis appelle Charles.

— Salut ma poule, comment vas-tu ?

— Bonjour Max, va bene, et toi, bon vol ?

— Impeccable, deux contrats signés avec les feujs et trois numéros de téléphone, la vérité t’aurait vu, c’était du grand Max !

Charles éclate de rire.

— Max, nous devons nous réunir au plus vite et signer les documents de la SCI pour lancer les travaux de la clinique. Il faut impérativement que le taff soit fait cet été, et Théo voudrait que l’on se fasse une soirée visio et finir au « Pink ». Je t’avoue que je ne suis plus très fan de ces délires, mais ça fait un moment qu’on ne s’est pas réunis.

— Bien sûr, aucun souci, répond Max. C’est l’occasion de vérifier où en sont nos cobayes. J’ai apporté une amélioration à la puce active. Je vous en parlerai pendant la visio, mais je pense que nous nous approchons du meilleur résultat. Nous allons bientôt pourvoir passer en phase de commercialiser « Biospy » !

— Tu m’inquiètes quand tu dis que tu as amélioré la puce active !

— Ne t’inquiète pas, fais-moi confiance. Fais un point avec le rouquin et la tarlouse, et dis-moi quel soir on se retrouve.

— OK, je te rappelle.

Le taxi se rapproche de la Défense, il s’engage sur le boulevard circulaire et s’arrête sur l’aire réservée aux taxis du complexe « cœur Défense » où se trouvent les bureaux de Nanotech.

Max emprunte l’ascenseur pour rejoindre le vingtième étage. Les bureaux s’étendent sur un plateau de plus de huit cents mètres carrés. Il est accueilli par l’hôtesse qui le gratifie de l’éternel (Bonjour Mr Dricourt), Max la salue d’un geste de la main et se dirige vers son bureau. Un bureau d’angle offrant une vue sur l’esplanade, l’arche de la Défense et à l’opposé l’Arc de Triomphe. Il dépose sa veste sur le fauteuil, puis son attaché-case Louis Vuitton sur son bureau et s’assoit en soupirant.

La porte s’ouvre et Adenor apparaît dans le chambranle de la porte.

— Bonjour, Maximilien, tu as fait bon voyage ?

Adenor est arrivée dans l’entreprise à l’âge de vingt ans, il y a maintenant quarante ans. Elle était l’assistante de direction de son père, Max la connaît depuis son plus jeune âge. Elle est à elle seule la mémoire et les archives de l’entreprise. Adenor est une femme de soixante ans d’une très grande beauté, élancée, le regard bleu azur qui rappelle la couleur de la mer de sa Bretagne natale. Max la considère comme sa deuxième maman, et a beaucoup de respect pour cette femme qui a consacré sa vie à son job, en oubliant même de se marier et de faire des enfants. (J’ai assez de gosses comme ça à m’occuper dans cette boîte) dit-elle quand le sujet arrive lors d’une conversation. Max sait qu’elle était la maîtresse de son père durant plusieurs années, restant ainsi dans l’ombre, mais proche de l’homme qu’elle aimait. C’est elle qui s’occupait de lui quand la nounou était absente, ou quand il faisait ses crises pour accompagner son père au travail. Adenor a été très affectée à son décès, le père de Max est mort il y a cinq ans d’un arrêt cardiaque à l’âge de soixante-dix ans. Elle est la seule à le tutoyer dans l’entreprise et à pouvoir lui donner des directives. Elle est la seule qui le connaît réellement.

— Bonjour, Adenor, oui ça s’est bien passé, les contrats sont signés. Il faut que tu me trouves une personne parlant hébreu, ce sera plus facile pour les échanges avec Tel-Aviv. Sinon, quoi de neuf ?

— La routine ! dit-elle en lui montrant le parafeur posé sur le bureau.

— Tu as les chiffres du mois dans l’espace compatibilité. Les syndicats de l’usine veulent te rencontrer concernant l’adaptation des horaires pour la période du ramadan. L’armée nous a renvoyé les nouvelles conditions de règlement, Bertrand les a contrôlés et mis à jour le système de facturation et de relance, tu n’as plus qu’à signer.

Adenor se dirige vers la porte du bureau, quand elle se fige et se retourne. Son regard profond indique instantanément une trace d’inquiétude.

— Ha ! si, j’ai oublié de te dire, une femme a téléphoné, elle insistait pour te parler. Face à son attitude, le standard me l’a transférée. Je n’ai pas tout compris, mais elle était plutôt nerveuse et avait un fort accent néerlandais ou allemand, elle voulait savoir quand tu serais là !

— Elle t’a dit son nom ?

— La ligne n’était pas très bonne, un nom très court, comme « Lila ou Ila », peut être Ida ! Mais elle était très agressive, alors je l’ai envoyée bouler !

Max montre un signe de surprise et détourne l’attention sur une statuette posée sur le bureau.

— Tu as bien fait, je te remercie.

Adenor revient sur ses pas et se plante les bras croisés devant Max et le regarde dans les yeux.

— Je connais ce regard. Qui est cette femme Maximilien ? Elle ne m’a pas plu du tout.

— Ce n’est personne, sûrement une conquête d’un soir à qui j’ai dû promettre de la rappeler ! répond Max en clignant de l’œil.

Adenor acquiesce et se redirige vers la porte. Elle marque encore une fois la pause et se retourne. Son visage est fermé, montrant toute l’inquiétude qu’aurait une mère et lui dit.

— Tu sais, je te connais depuis longtemps, je t’ai vu grandir et t’épanouir, j’ai assisté à ton passage dans le monde des affaires. Mais une chose est sûre, ce n’est pas ton éducation qui a fait de toi l’homme que tu es devenu, tu t’es forgé tout seul, et pas toujours de la bonne façon. Je connais l’arôme du sirop de ta vie, et en particulier ton parfum préféré qui n’est pas toujours de bonne saveur.