Vivre avec Alzheimer - Valentine Charlot - E-Book

Vivre avec Alzheimer E-Book

Valentine Charlot

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  • Herausgeber: Mardaga
  • Kategorie: Ratgeber
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2021
Beschreibung

Un ouvrage qui répondra à toutes vos questions sur l'Alzheimer.
Qu’est-ce que la maladie d’Alzheimer ? Quels en sont les symptômes ? Et, surtout, comment continuer à vivre au quotidien avec les changements et difficultés que celle-ci entraîne ? Dans Vivre avec Alzheimer, Valentine Charlot répond à ces questions naturellement posées par toute personne confrontée à son diagnostic.

À ce jour, la maladie d’Alzheimer est la maladie neurodégénérative la plus diagnostiquée. On en parle donc beaucoup, parfois trop, souvent mal, ce qui entraîne de nombreuses attitudes de stigmatisation et provoque beaucoup d’angoisse. Pour contrer cette dramatisation, Valentine Charlot offre un regard lucide, nuancé et pratique sur cette maladie. De manière claire et accessible, elle donne aux personnes concernées et à leur entourage des conseils et explications permettant de mieux comprendre la maladie pour la vivre de manière plus apaisée.

Un ouvrage optimiste mais réaliste sur la maladie d’Alzheimer et les moyens d’y faire face.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"En parcourant votre livre, la première chose qui m'a touché, c'est que vous adressez le livre en priorité, ou en tout cas directement, aux personnes qui elles-mêmes souffrent de l'Alzheimer, et pas seulement à leur entourage." - Théo Mertens, RCF Radio
"Pas de fatalisme, la maladie c'est aussi une incroyable opportunité de redécouvrir peut-être les personnes qui en souffrent." - Fabrice Lambert, Tendances Première

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Seitenzahl: 247

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Couverture

Page de titre

Avant-propos

La collection «  Santé en soi » évolue pour vous aider à devenir un acteur clé de votre santé.

Le temps est révolu où le patient n’avait que peu de ressources pour appréhender la maladie dont il souffrait. Même si les rapports entre le monde professionnel de la santé et le patient changent, le temps consacré à l’information manque régulièrement. De plus, sous la pression politique et dans un souci d’efficience économique, les institutions de soins développent des alternatives à l’hospitalisation et aux soins classiques. Il devient donc nécessaire pour toute personne d’acquérir plus d’informations pertinentes et d’autonomie face à la maladie.

Depuis sa création, dans chacun de ses ouvrages, la collection « Santé » des éditions Mardaga relève le défi d’apporter, sous une forme très accessible, une information médicale de grande qualité. Elle vise à offrir à tout lecteur des ouvrages qui traitent des questions qui animent aujourd’hui tant la communauté scientifique que la société autour de la santé dans sa définition la plus large.

Le livre que vous vous apprêtez à lire répond à un seul but : vous aider à devenir cet acteur bien informé et incontournable tant de votre santé que de vos soins médicaux. En effet, face à la multitude de sources d’informations consultables sous toutes les formes (réseaux sociaux, blogs, web, podcast, conférences, télévision, magazines), il est difficile de déterminer si les contenus sont fiables, validés par des experts ou douteux. Retrouver son chemin et un esprit critique dans cette infobésité qui nous pousse à appréhender beaucoup de données dans un temps de plus en plus court est parfois bien ardu.

Notre collection se veut être votre fil d’Ariane dans ce labyrinthe de surcharge informationnelle. Vous aider à apprendre et à comprendre tous les éléments utiles, sans pour autant les simplifier à outrance, est notre principale préoccupation.

Dans cet objectif, la collection évolue et évoluera encore avec la volonté d’offrir, si le sujet s’y prête, des approches plus dynamiques telles que des questions-réponses, des entretiens ou encore des controverses, tout en gardant un haut niveau de rigueur académique.

Au nom de toute la maison d’édition, je remercie les auteurs du présent ouvrage d’avoir répondu avec brio à cette approche dynamique de l’entretien avec un expert dans le domaine.

Je vous invite maintenant à lire ce livre, à le faire résonner dans votre quotidien et surtout à bien prendre soin de vous !

Professeur Frédéric THYS,

Directeur de la collection

Introduction

Vous avez reçu, récemment ou pas, un diagnostic de maladie dite d’Alzheimer ? Vous vivez au quotidien des difficultés de mémoire et de langage qui vous inquiètent ou vous handicapent ? Vous supportez difficilement les regards qui se posent sur vous depuis l’annonce de la maladie ? Vous craignez son évolution dans les années à venir ?

Ce livre s’adresse d’abord à vous, car c’est bien de votre vie qu’il s’agit. Il s’adresse également aux personnes qui vous accompagnent au jour le jour, qu’ils soient vos proches ou des professionnels.

Mon intérêt pour les questions liées au vieillissement remonte à mes études de psychologie. Ou peut-être même bien avant : il me semble qu’il a toujours été plus facile pour moi d’être en relation avec les plus âgés, d’écouter leurs histoires, de partager des moments simples de la vie quotidienne, et d’apprendre de leur expérience. Il était donc assez logique que cette inclination vienne ponctuer le choix de ma vie professionnelle.

Après une thèse de doctorat sur le vieillissement des différentes formes de mémoire, j’ai développé ma pratique clinique dans la même direction. D’abord ancrée dans une approche très médicalisée du diagnostic, puisque je travaillais dans une « clinique de la mémoire » à l’époque où elles commençaient à prendre leur essor. Ensuite, je me suis progressivement orientée vers l’accompagnement des personnes atteintes, de leurs proches et des professionnels qui les accom­pagnent. Je me suis rendue à leur domicile ou en institution… et j’ai alors plongé dans une réalité qui dépassait de très loin, par sa richesse et sa diversité, les scores des tests diagnostiques. Jusqu’à l’envie de partager, par un livre, tout ce que cette pratique m’apportait comme nouvelles interrogations, convictions et remises en question.

Au cours de cette écriture, je me suis beaucoup interrogée sur la personne qui allait lire ce livre. Vous sentirez-vous réellement concerné ? Vous reconnaîtrez-vous dans les histoires et exemples rapportés ? Aurez-vous toujours la faculté de lire et de comprendre mon texte ?

La plupart des livres sur le sujet s’adressent directement aux proches, pour leur expliquer la maladie et leur dire comment se comporter avec les personnes atteintes, en insistant sur le respect et la patience et en soulignant que la personne malade doit toujours être prise en considération et concertée pour les décisions qui la concernent.

Je me suis dit qu’il fallait aller plus loin.

Au cours de ma pratique professionnelle, il m’a toujours tenu très à cœur d’impliquer au maximum la personne et de m’intéresser à ses souhaits personnels en termes d’accompagnement. Même si c’est un de ses proches qui vient à ma consultation, je ramène immanquablement le sujet de notre conversation vers son parent en lui demandant : « Et lui, qu’en pense-t-il ? » ou « Lui avez-vous demandé son avis ? », « Vous semble-t-elle d’accord ? »

Pour être cohérente et éviter de tomber dans l’ornière si souvent creusée de parler d’abord à l’entourage, j’ai donc fait le choix de m’adresser directement à vous. Peut-être vos proches vous conseilleront-ils ce livre après l’avoir lu eux-mêmes, peut-être prendront-ils le relais suite à vos difficultés de langage ou de mémoire, peut-être ce livre passera-t-il d’abord dans les mains de votre aide familiale ou de votre médecin traitant, qu’importe !

L’important c’est que personne n’oublie qu’il s’agit bien de VOTRE vie !

J’ai choisi de vous parler de ma vision de la maladie dite d’Alzheimer, qui m’apparaît comme une mosaïque de facultés préservées, perdues ou… gagnées. Une vision optimiste mais réaliste, qui ose regarder les difficultés en face mais qui refuse de ne voir qu’elles. Je suis bien consciente qu’au jour le jour, votre vécu peut être angoissant ou décourageant, mais je refuse de tomber dans le fatalisme ambiant et de vous dire que vous allez juste survivre. Et à vos proches, je veux dire que la route qui s’ouvre à eux n’est pas uniquement faite d’obstacles, de solitude et de deuils. Non, au-delà du diagnostic, vous continuez à vivre, vous continuez à aimer, à passer de bons et de moins bons moments, à ressentir de la tristesse ou de l’impatience. Vous pouvez vous laisser tenter par de nouvelles envies, découvrir d’autres formes de relations avec vos proches, faire progressivement appel à de l’aide pour souffler, chacun, ensemble et séparément. La vie ne s’arrête pas avec un diagnostic de maladie dite d’Alzheimer !

Je ne vous donnerai cependant pas non plus de recette pour garantir un « bien vieillir » ni pour éviter ou guérir la maladie dite d’Alzheimer. Ce serait vous mentir et vous faire croire qu’il suffit de respecter des préceptes tout faits ou de prendre des suppléments alimentaires pour se prémunir du vieillissement ou de la maladie. Nous avons chacun notre part de responsabilités par rapport à notre manière de vieillir. Certaines habitudes de vie ou la présence d’êtres chers peuvent nous aider à cheminer plus sereinement, mais ce ne sont pas des garanties. Nous restons libres à tout moment d’écrire notre devenir en tenant compte des ressources qui nous sont disponibles.

Je ne vais pas non plus vous fournir des armes pour « combattre » la maladie, une armure pour vous défendre ou un terrain pour lancer la bataille. Je vous propose plutôt de vous accompagner sur le chemin qui est le vôtre, en tentant de donner du sens aux virages que vous prenez, en vous aidant à vous relever si nécessaire, en soulignant les atouts qu’il vous reste pour cheminer dignement.

Ce livre aborde également des sujets plus difficiles voire tabous, dont vous êtes souvent tenus éloignés lorsque vous avez reçu un tel diagnostic. Il s’agit de votre vie amoureuse, sexuelle et intime, de la perte de contrôle sur des comportements jugés inadéquats, ou de la possibilité que vous avez de préparer votre avancée en âge, de réfléchir à votre fin de vie et d’en parler avec vos proches. Mais aussi de questions plus pratiques comme la conduite automobile ou un changement de lieu de vie avec une éventuelle entrée en institution.

Quand j’ai commencé ma formation de psychologue, il y a une vingtaine d’années, le discours ambiant était celui de l’inéluctabilité de la maladie dite d’Alzheimer, pour laquelle il n’était pas vraiment nécessaire de mettre en place d’autres formes d’aide que les médicaments, car, disait-on, « cela ne sert à rien puisque la personne va de toute façon se dégrader ». Aujourd’hui, les connaissances ont évolué et les pratiques suivent lentement. On sait qu’il est possible d’améliorer nettement la qualité de vie des personnes en difficulté, que l’on peut ralentir les pertes, que l’on dispose de techniques d’accompagnement… Beaucoup de soignants passionnés ont propagé des approches nouvelles, qui respectent la dignité, l’avis, les besoins et les envies du patient. Mais pour que votre quotidien et celui de vos proches en bénéficient complètement, il faudrait un changement de regards et d’attitudes de la part de tous les membres de la société.

Dans le décours de ce livre, vous serez d’abord invité à vous interroger sur la place accordée par la société à la diversité des formes que peut prendre l’avancée en âge.

Fait-il bon vieillir aujourd’hui dans nos sociétés occidentales ? Est-ce bien vu d’être vieux ? Et quand les difficultés de mémoire sont plus importantes, comment sommes-nous considérés ? Quels regards et attitudes sont présentés face à une personne qui a reçu un diagnostic de maladie dite d’Alzheimer ? Suite à ce cadrage, des informations médicales largement résumées vous seront proposées. Le cadre médical se doit d’être abordé mais ne prend certainement pas plus de place ou d’importance que les autres chapitres. Il arrive en début d’ouvrage pour une question pratique de confort de lecture, ce qui permet également de rapidement passer à la suite !

Les cinq chapitres suivants s’intéressent aux modifi­cations intellectuelles et comportementales qui peuvent survenir dans le décours d’une maladie dite d’Alzheimer. Au fil de ces chapitres, je vous expliquerai entre autres les modifications de mémoire et de langage, d’émotions et de sensations, pour en comprendre l’origine et le sens. Pour chacune de ces thématiques, j’insisterai également sur les aspects préservés, sur ce qui peut être maintenu moyennant une utilisation régulière et sensée de vos facultés.

La suite du livre sera consacrée au « comment faire » pour continuer à vivre malgré et avec les difficultés présentes. Comment aménager son domicile ? Faut-il arrêter de conduire ? Comment vos proches peuvent-ils continuer à vous comprendre malgré les troubles du langage ? Que faire pour éviter que la violence s’installe ? Comment préparer votre fin de vie ?

Certaines situations s’adresseront particulièrement à vous, d’autres conseils vont transiter par vos proches, afin de leur donner à eux aussi les moyens de mieux vous comprendre, de mieux s’aider eux-mêmes et finalement, de mieux vivre ensemble.

Chapitre 1

Être vieux aujourd’hui

Pour comprendre la maladie dite d’Alzheimer et l’accompagnement des personnes qui en sont atteintes, il faut prendre en compte le contexte général dans lequel nous évoluons aujourd’hui. Quel regard notre société actuelle porte-t-elle sur les vieux et en particulier sur les plus vulnérables d’entre eux ? Quel est l’impact de ce regard sur les choix en termes d’offres de lieux de vie, de soins, de services ?

Le regard sociétal sur la maladie dite d’Alzheimer s’ancre avant tout dans la vision globale de l’avancée en âge et des préjugés sur les personnes âgées.

Nos sociétés occidentales sont riches d’un cadeau inestimable : le triplement de l’espérance de vie en près de 250 ans. En effet, si l’espérance de vie moyenne n’atteignait pas la trentaine d’années à la fin du XVIIIe siècle en France, elle dépasse maintenant aisément les 80 ans pour les femmes et les 77 ans pour les hommes. Et elle continue encore à augmenter !

De plus, le gain en nombre d’années s’accompagne également d’une meilleure qualité de vie des personnes âgées de 60 à 80 ans. Les avancées médicales repoussent de plus en plus l’âge d’apparition des incapacités sévères, comme par exemple un handicap majeur ou une dépendance importante, souvent suivis d’une entrée en institution. Néanmoins, des maladies chroniques telles que le diabète, l’hypertension artérielle ou l’arthrose peuvent diminuer cette qualité de vie.

Vous avez dit vieux ?

On vit de plus en plus vieux, on devient vieux en meilleure santé, on bénéficie d’un système de santé performant, mais pour autant, fait-il bon vieillir ? Est-il bien vu d’être vieux chez nous aujourd’hui ?

« Les vieux ne parlent plus ou alors seulement parfois du bout des yeux. Même riches ils sont pauvres, ils n’ont plus d’illusions et n’ont qu’un cœur pour deux » chantait Jacques Brel en 1963. Si cette vision correspondait effectivement en partie à la réalité de l’époque, bien des choses ont changé depuis cette époque pas si lointaine !

Vieux, vieillards, seniors, personnes âgées, anciens, vétérans, aînés… : tant de termes trompeurs et parfois faussement pudiques. La vieillesse est souvent pensée en termes de pertes de capacités, qu’elles soient physiques, psychiques, mnésiques, sociales, esthétiques… sans que les gains qui y sont corrélés ne soient même perçus.

Les stéréotypes négatifs concernant la vieillesse sont très nombreux. Autrefois symbole de sagesse, de maturité et de transmission envers les générations plus jeunes, la vieillesse est actuellement davantage synonyme d’inutilité, d’exclusion sociale et de dégénérescence. Selon les images colportées par le plus grand nombre, les personnes âgées seraient trop nombreuses, représenteraient une charge sociale, seraient acariâtres, rigides et « vieux jeu », tout en étant malades, dépressives, et finalement placées en maison de repos, terminus inévitable. Que d’ignorance dans ces idées reçues !

L’ensemble de ces croyances est repris sous le terme « âgisme », qui a fait son apparition dans le dictionnaire Larousse en 1989 sous la définition « attitude de discrimi­nation ou de ségrégation à l’égard des gens âgés ». Sorte de racisme anti-vieux, l’âgisme est fait de stéréotypes et de mépris. Il minimise les différences individuelles, considère toutes les personnes âgées de façon identique et attribue de manière généralisée à l’ensemble de ces personnes les caractéristiques négatives d’un sous-groupe de celles-ci. Sous l’angle de l’âgisme, tous les vieux sont identiques, partagent les mêmes idées, votent pour les mêmes partis, ont les mêmes besoins de lieux de vie, choisissent les mêmes loisirs. De plus, ces stéréotypes résistent particulièrement bien aux contradictions. Une personne âgée en bonne santé mentale et physique, mobile et ouverte sur le monde est considérée comme… jeune ! Elle est vue comme une exception, peu représentative de l’ensemble du groupe… et qui ne pourrait durer !

Le corollaire de cette notion d’âgisme est le jeunisme, qui nous enjoint de rester jeunes : un bon vieux est donc celui qui reste jeune, qui se comporte comme les jeunes, qui les comprend, qui est « à la page ». Le jeunisme trouve son origine dans la peur de vieillir, de devenir malade et dépendant, dans la peur de la mort également. Il a notamment pour conséquence une surreprésentation des jeunes dans les médias. La « jeunesse » réelle ou apparente est devenue l’argument suprême de la publicité. Elle est associée à la spontanéité, à la quête du plaisir immédiat, au détriment de valeurs traditionnellement liées aux âges mûrs comme la réflexion, la prudence, la sagesse, et la capacité de se projeter dans le futur, toutes qualités qui se voient dotées, au contraire, de connotations négatives. Dans ce contexte, bien vieillir se traduit par « ne pas vieillir », rester jeune à tout prix, voire à n’importe quel prix.

Le discours de la société dans son ensemble devient alors culpabilisant. Si certains « vieux » réussissent à cultiver l’illusion de rester jeune, via la chirurgie esthétique, les programmes d’entraînement cérébraux, l’activité sous toutes ses formes, d’autres par contre sont « recalés » par la maladie, les difficultés financières, la solitude, etc. Perdre la bataille contre la vieillesse fait alors basculer l’individu du mauvais côté de cette limite artificielle.

Il me semble pourtant que définir et appréhender la vieillesse et ses vieux à travers l’unique accumulation de pertes et de deuils revient à dessiner le chemin de la vie comme un sentier aride, triste, morne et solitaire. Un sentier qui une fois arrivé à un sommet – l’adulte d’âge moyen au top de sa forme – redescend irrémédiablement vers sa triste fin.

Dans ce contexte, que faire alors du nombre de plus en plus important de personnes âgées qui ne « réussissent » pas leur maintien dans la jeunesse ? Les « placer » en institution ? Les confier à des professionnels qui se doivent de les « prendre en charge » ? Le vocabulaire – plus ou moins consciemment – utilisé souligne à quel point les personnes âgées peuvent être considérées comme des objets, des fardeaux indignes d’in­térêt.

Attention cependant à ne pas tomber dans l’illusion inverse. Comme nous le signale Simone de Beauvoir en 1970 : « On voit qu’un préjugé doit être radicalement écarté : c’est l’idée que la vieillesse apporte la sérénité. (…) L’adulte a voulu considérer la fin de la vie comme la résolution de tous les conflits qui la déchirent. C’est par ailleurs une illusion commode : elle permet, en dépit de tous les maux dont on les sait accablés, de penser les vieillards heureux et de les abandonner à leur sort. »

Tout le monde connaît des vieux acariâtres comme des jeunes épuisants, des vieux aimables et patients, d’autres désagréables voire asociaux, des jeunes à l’écoute et soucieux de transmettre, etc. Aucune caractéristique ne se limite à une tranche d’âge en particulier. Cela nous rassure probablement de penser qu’en vieillissant nous allons tous bonifier ! Il semble pourtant que la personnalité reste relativement stable au fil de l’avancée en âge.

Ces stéréotypes influencent même très précocement l’attitude des enfants face aux personnes âgées. Des chercheurs en psychologie ont démontré que des enfants de 3 ans qui devaient apprendre de nouveaux mots de vocabulaire avec une institutrice mettaient davantage en doute les propos de celle qui présentait toutes les caractéristiques d’une personne âgée, d’une « vieille ». Cependant, lorsque les enfants testés sont issus d’un groupe qui côtoie régulièrement des personnes âgées dans leur vie quotidienne, ils ne manifestent pas cette attitude de défiance vis-à-vis de l’institutrice« âgée » et ne sont donc pas influencés par ces stéréotypes âgistes.

Mais il y a plus. Les personnes âgées elles-mêmes intègrent les stéréotypes négatifs en lien avec le vieillissement, avec des conséquences stupéfiantes ! Ainsi, lorsque l’on suggère à des personnes âgées que le vieillissement est spécifiquement lié à un déclin de la mémoire et qu’on leur propose ensuite des tests de mémoire, elles obtiennent des résultats moins bons que leurs capacités réelles. Elles ont donc intégré l’idée que, de toute façon, elles sont moins performantes. Elles se résignent à cette image d’elles-mêmes et finissent par mettre en place moins d’énergie, moins de motivation, moins de stratégies pour faire face aux tests.

On le voit, les stéréotypes négatifs sur la vieillesse sont coriaces et insidieux. Chacun se doit, et les professionnels dont je fais partie en parti culier, d’être particulièrement attentif à sa manière de les véhiculer. Partagés par tous, ils ont un impact, entre autres, sur les relations entre générations et sur l’estime de soi des aînés.

DES STÉRÉOTYPES PRÉSENTS DÈS L’ENFANCE !

Le principe de base de l’étude consistait pour l’enfant à associer le mot produit par l’institutrice à l’objet cible correct parmi deux présentés. Dans le premier cas, l’institutrice prononce un mot connu – « balle » – et l’enfant désigne correctement l’objet qu’il reconnaît. Par défaut, le deuxième mot moins familier – « agrafeuse » – est correctement associé au deuxième objet. Mais lorsque l’institutrice produit un mot qui n’existe pas, comme « damutopi », l’attitude de l’enfant est tout à fait différente selon que l’institutrice est jeune ou âgée. Si l’institutrice est jeune, l’enfant désigne l’objet agrafeuse, qu’il ne connaît pas, face au non-mot. Par contre, si l’institutrice est perçue comme étant âgée, l’enfant ne va rien désigner. Il semble remettre en question la compétence de l’institutrice : « Elle est âgée, il est donc possible qu’elle ne sache pas tout à fait ce qu’elle dit et qu’elle se trompe ! »

Vous avez dit dément ?

L’augmentation de l’espérance de vie moyenne a un corollaire, celui d’augmenter la prévalence des maladies, particulièrement lorsque leur incidence augmente avec l’âge, comme c’est le cas de la maladie dite d’Alzheimer. Actuellement, la prévalence des démences (toutes formes confondues) avant 70 ans est évaluée aux environs de 2 % ; elle double plus ou moins tous les 5 ans à partir de 65 ans pour dépasser 20 % à 90 ans chez les hommes et 30 % chez les femmes, quoique ces distinctions entre hommes et femmes restent très débattues.

Souvent la perception du grand public et des professionnels qui accompagnent les personnes âgées atteintes d’une démence est celle d’une nette augmentation des « cas », voire d’une invasion des démences au sein des institutions. À l’occasion des formations que je donne aux professionnels du secteur des soins aux personnes âgées, je les questionne sur leur estimation du pourcentage de personnes de plus de 65 ans atteintes d’une démence en général. Leur réponse est souvent sidérante, avec des estimations de l’ordre de 30 à 40 % ! Biaisés, dans leur travail au sein des institutions, par leur confrontation avec la population âgée la plus vulnérable, avec une surreprésentation des démences, ils généralisent cette particularité à l’ensemble de la population, oubliant la grande majorité d’aînés qui ne font pas appel à leurs services. Une fois les chiffres réels exposés (environ 6 %), ils m’expriment surprise et incompréhension, et mettent régulièrement en doute leur exactitude.

Cette vision tronquée des chiffres se lie à une exacerbation de l’âgisme et de ses stéréotypes face à toutes les formes de déclin intellectuel, qui sont alors regroupées sous le terme généralisant de « démence », ce qui ne vaut guère mieux que les mots « sénilité » ou « gâtisme » de jadis. Pour les personnes concernées directement ou via un de leurs proches, le terme « démence » est vécu comme désastreux et quasi systématiquement lié à son sens le plus courant, celui de « folie » et d’« aliénation mentale ». Cette confusion de sens entraîne à son tour de nombreuses incompréhensions et erreurs de direction dans l’accompagnement des personnes concernées.

Pour certains patients, proches ou associations (comme notamment la société Alzheimer du Québec), les termes « démence », « dément » et « démentiel » doivent être mis de côté au profit de « personnes atteintes de… », avec une pré­cision de la forme de démence : Alzheimer, Pick, etc. Personnellement, je ne pense pas que cet étiquetage médical est nécessairement plus respectueux. Passer du statut de vieux sénile à celui de malade est-il socialement mieux accepté ? Catégoriser médicalement la personne peut amener d’autres formes de déviances tout aussi délétères, comme celle de lutter à tout prix et uniquement par la voie médicamenteuse contre une maladie invasive qui attaque une victime qui se perd peu à peu. Ou encore de considérer qu’il y a une ligne de démarcation entre d’une part les normaux, sains de corps et d’esprit, et de l’autre, les malades.

Dans ma pratique professionnelle, j’utilise les termes de « personnes avec un vieillissement cognitif difficile », ou « avec des difficultés de mémoire », etc. Mais bien souvent, c’est l’incompréhension qui se lit alors dans le regard de mon interlocuteur, qui me demande : « De quoi parlez-vous… de malades d’Alzheimer, ah oui ! » Il n’est pas facile de ramer à contre-courant…

Dans ce livre, j’opterai donc pour « personnes atteintes d’une maladie dite d’Alzheimer » pour plusieurs raisons. Le terme maladie fait référence à l’existence d’un ensemble de difficultés qui dans le cas présent sont d’ordre cognitif, comportemental, émotionnel, etc. Cette formulation insiste aussi sur le fait que vous n’êtes pas uniquement défini par les dif­ficultés que vous présentez mais qu’il s’agit d’une de vos particularités, parmi d’autres. La spécificité « maladie dite d’Alzheimer » est devenue emblématique de toute une série de formes de déclin cognitif, mais nous verrons plus loin que d’autres maladies peuvent se cacher derrière cette appel­lation.

Les représentations liées aux démences en général, et à la maladie dite d’Alzheimer en particulier, sont largement sinistres et négatives, liées à la dégradation, à la dégéné­rescence et à la déchéance. Cette vision nous assène que la personne perd son identité en perdant la mémoire, que son contact au monde s’étiole peu à peu, que ce qui faisait d’elle un être doué de raison disparaît. Elle ne peut plus communiquer et elle s’isole dans un autre monde. Elle perd sa dignité, sa capacité de décider de sa vie, ce qui faisait finalement d’elle une personne.

Les médias emboîtent le pas et s’engouffrent dans des images caricaturales qui encouragent finalement les stéréotypes et les visions réductrices. Je m’imagine à votre place, à la lecture ou à l’écoute de formules telles que « Ils se comportent comme des enfants, c’est quand même gênant », « C’était pourtant quelqu’un de bien avant », « Il est dans un autre monde, dans un gouffre ». Quelles erreurs, quelles visions sans nuance ! Comme si le monde de la maladie dite d’Alzheimer était totalement noir et obscur, sans place pour la moindre joie, la tendresse ou le bonheur ?

En étant soumis à ces regards négatifs, vous risquez bien de partager petit à petit ces clichés désastreux ! C’est ce que l’on appelle une prophétie autocréatrice : vous intégrez l’image que vos interlocuteurs ont de vous et vous vous comportez d’une manière congruente aux attentes générées. Pourquoi tenter de parler si on ne me parle plus et qu’on considère que je n’en suis de toute façon plus capable ? Pourquoi me défendre contre ce manque d’égards puisque c’est ainsi que l’on traite les personnes dites démentes ? Et lorsque vos comportements traduisent votre ressenti de souffrance face aux réactions des autres, ces comportements sont jugés comme étant naturellement liés à la maladie, sans que leur sens caché ne soit recherché, sans que les autres ne s’intéressent à ce que vous voulez réellement dire.

Enfin, ces représentations de la démence, et de la maladie dite d’Alzheimer en particulier, ont un impact destructeur sur la manière dont certains proches et professionnels accom­pagnent les malades, et sur la qualité de vie de ceux-ci. En considérant la maladie avant la personne, on finit par nier cette dernière, par ne plus la considérer comme une femme, un homme, comme une mère ou un époux. Petit à petit, la « chosification » s’installe et « on la lave, on la place, on la met quelque part ». Ce sont pourtant bien les objets que l’on place et déplace ! En toute bonne foi, dans la plupart des cas, les proches considèrent que leur parent redevient un enfant et adaptent alors leur manière de les traiter ou de leur parler. Et la personne atteinte se voit démunie progressivement de toute capacité d’autonomie (dans son sens premier de capacité de décider de sa vie). « Ça ne vaut pas la peine de lui demander son avis… elle oublie de toute façon… mieux vaut ne pas la traumatiser… il ne se rend plus compte. »

Et pourtant, je pense que vous êtes avant tout un adulte, une personne à part entière, qui a accumulé des expériences de vie, des préférences, des compétences, qui a fait des rencontres, vécu des échecs…, tant de moments qui construisent des histoires de vie uniques et qui devraient susciter le respect et le désir de partager.

Sachez que ce regard stigmatisant sur les maladies de type Alzheimer n’est pas universel. « Il est certain que ce n’est pas la même chose, devant une personne âgée qui dit n’importe quoi, de dire « tiens, il commence son Alzheimer » que de dire « tiens, il est en train de parler avec les esprits des ancêtres ». Chaque culture pose un regard différent sur la maladie », disait déjà en 1989 le psychiatre français Jean Maisondieu.

Certaines cultures ne considèrent pas qu’il s’agisse d’une maladie envahissante et catastrophique et mettent en avant les capacités des personnes atteintes, le potentiel de nouvelles expériences et de nouvelles formes de liens. À chacun de s’en inspirer !

En quelques lignes

Les stéréotypes concernant la vieillesse sont nombreux dans notre société. L’ensemble de ces croyances est repris sous le terme « âgisme », sorte de racisme anti-vieux, dont le corollaire est le jeunisme, une attitude qui nous enjoint de rester jeunes. Un bon « vieux » est donc celui qui reste jeune.

Par-dessus ces stéréotypes vient se greffer une seconde couche de préjugés, ceux à l’égard de toutes les formes de déclin intellectuel, regroupées sous le terme généralisant de « démence », sorte de remise à jour des mots « sénilité » ou « gâtisme » de jadis. Les représentations largement sinistres et négatives que véhiculent ces concepts donnent aux personnes concernées une vision catastrophique d’elles-mêmes, et renforcent d’autant plus leur sentiment de détresse face à la maladie. Ces représentations ont également un impact destructeur sur la manière dont certains proches et professionnels accompagnent les malades. Il est donc important d’en prendre conscience.