Voyage au pays de la quatrième dimension - Gaston de Pawlowski - E-Book

Voyage au pays de la quatrième dimension E-Book

Gaston de Pawlowski

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Beschreibung

Le vocabulaire est en effet conçu d’après les données de l’espace à trois dimensions. Il n’existe pas de mots capables de définir exactement les impressions bizarres que l’on ressent lorsque l’on s’élève pour toujours au-dessus du monde des sensations habituelles. La vision de la quatrième dimension nous découvre des horizons absolument nouveaux. Elle complète notre compréhension du monde ; elle permet de réaliser la synthèse définitive de nos connaissances ; elle les justifie toutes, même lorsqu’elles paraissent contradictoires, et l’on comprend que ce soit là une idée totale que des expressions partielles ne sauraient contenir.

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GASTON DE PAWLOWSKI

VOYAGE AU PAYS DE LA QUATRIÈME DIMENSION

1912

© 2021 Librorium Editions

ISBN : 9782383831075

VOYAGE AU PAYS DE LA QUATRIÈME DIMENSION

L’AME SILENCIEUSE

Moi qui suis parvenu depuis quelque temps déjà au pays de la quatrième dimension, j’éprouve, au moment d’écrire mes souvenirs anticipés, une peine étrange à les traduire en langue vulgaire.

Le vocabulaire est en effet conçu d’après les données de l’espace à trois dimensions. Il n’existe pas de mots capables de définir exactement les impressions bizarres que l’on ressent lorsque l’on s’élève pour toujours au-dessus du monde des sensations habituelles. La vision de la quatrième dimension nous découvre des horizons absolument nouveaux. Elle complète notre compréhension du monde ; elle permet de réaliser la synthèse définitive de nos connaissances ; elle les justifie toutes, même lorsqu’elles paraissent contradictoires, et l’on comprend que ce soit là une idée totale que des expressions partielles ne sauraient contenir. Du fait que l’on énonce une idée au moyen des mots en usage, on la limite par là même au préjugé de l’espace à trois dimensions. Or, si nous savons que les trois dimensions géométriques : largeur, hauteur et profondeur peuvent toujours être contenues dans une idée, ces trois dimensions, par contre, ne peuvent jamais suffire à construire intégralement une qualité, que ce soit une courbe dans l’espace ou un raisonnement de l’esprit. Et de cette différence non mesurable par des quantités, que faute de mieux nous appelons quatrième dimension, de cette différence entre le contenant et le contenu, entre l’idée et la matière, entre l’art et la science, ni les chiffres, ni les mots construits à trois dimensions ne peuvent rendre compte.

Au surplus, on ne s’étonnera point que, prenant la partie pour le tout, je désigne au cours de ce récit par les mots : quatrième dimension l’ensemble continu des phénomènes, incorporant dans cet ensemble ce qu’on est convenu d’appeler les trois dimensions de la géométrie euclidienne. Malgré son nom imparfait on ne saurait considérer en effet la quatrième dimension comme une quatrième mesure ajoutée aux trois autres, mais plutôt comme une façon platonicienne d’entendre l’univers, sans qu’il soit besoin pour cela de se brouiller avec Aristote, comme une méthode d’évasion permettant de comprendre les choses sous leur aspect éternel et immuable et de se libérer du mouvement en quantité pour ne plus atteindre que la seule qualité des faits.

J’aurais pu, je le sais, en écrivant ces notes, recourir comme certains philosophes à un vocabulaire de convention, forger des mots obscurs pour masquer l’insuffisance du langage courant, mais ceci ne ferait que reculer la difficulté sans la résoudre. Je préfère donc raconter ces souvenirs de mes voyages au pays de la quatrième dimension tels qu’ils se présentent à mon esprit, sans prétention littéraire, naïvement et en désordre, attendant tout de l’indulgence du lecteur, heureux seulement si je puis toucher en son esprit quelques idées endormies que personne, dans notre monde, n’avait pris soin jusqu’ici d’éveiller.

***

Et tout d’abord, quelles que soient les difficultés du vocabulaire et surtout l’impossibilité où je suis de classer chronologiquement des souvenirs futurs qui échappent à toute notion de temps, je voudrais m’efforcer de retracer le chemin mental qui, petit à petit, étape par étape, me conduisit au pays de la quatrième dimension.

Avant tout il convient de bien établir que le fait d’être transposé — « transporté » n’est pas le mot — au pays de la quatrième dimension, renverse immédiatement les notions communes que nous pouvions avoir du temps et de l’espace. C’est donc, naturellement, par des petits faits qui contredisent ces notions vulgaires que l’attention est attirée, peu à peu, sur la possibilité du grand voyage que notre esprit peut accomplir.

Ces contradictions sont fréquentes, aussi bien dans la vie quotidienne qu’à l’occasion des plus hautes recherches scientifiques.

Les pressentiments nous font peur lorsqu’ils se justifient, nous préférons expliquer les élans de notre cœur par des motifs passionnels plutôt que par les obscures aspirations de la race et, lorsque nous parlons de sciences exactes, nous évitons comme subversives toutes les questions indiscrètes sur l’impossibilité où nous sommes d’expliquer la ligne courbe, le parallélisme, le mouvement et en général tout ce qui nous entoure.

Le temps sans l’espace qui le figure est pour nous inaccessible, et l’espace ne s’explique à nos sens que par le temps que nous mettons à le parcourir.

Mais, par une sorte de paresse naturelle, notre esprit évite ces contradictions, les dissimule, comme si elles constituaient pour lui un véritable danger de mort.

Il faut bien le reconnaître en effet : dans l’état actuel de notre civilisation peu d’esprits pourraient supporter sans danger la destruction brusque ou même la dissociation des notions de temps et d’espace. Ces notions nous sont tellement indispensables que nous sentons tout aussitôt la terreur et la folie effleurer notre esprit lorsque nous abandonnons un instant ces deux béquilles traditionnelles qui lui permettent d’assurer ses premiers pas.

Et cependant, nous sentons bien, à chaque instant, que nous sommes environnés d’un immense inconnu. Entre le monde sensible et notre conscience, nous occupons une place étrange et mal définie ; nous restons timidement blottis au fond du navire qui nous emporte au hasard des flots dans une mer inconnue, et nous nous déclarons satisfaits si notre place demeure, pour nous, relativement la même entre les quatre murs de notre cabine. Si nous avions la volonté de sortir un instant de notre retraite, de jeter courageusement les yeux au dehors, il nous serait facile, cependant, de comprendre que rien n’est moins assuré que notre périlleuse situation dans l’ensemble des phénomènes et des idées.

***

Peut-on trouver en effet quelque chose de plus incertain que la notion de temps qui nous paraît fondamentale ? Certains faits indéniables d’avertissement psychique, de prédiction de l’avenir, mériteraient cependant d’être envisagés courageusement par la science, si la science ne se montrait terrorisée à l’idée de sortir un instant de son petit domaine de relations connues, où les idées se font vis-à-vis en posture de menuet. Nous admettons, comme une chose toute naturelle, la connaissance historique du passé, et cependant n’est-il pas évident que ce passé, dont nous sommes si sûrs, n’existe plus actuellement, et que rien ne nous permet, en conséquence, de prouver son existence ? Nous nous basons, pour faire cette preuve, sur des objets qui subsistent, sur des souvenirs personnels, alors que nous savons fort bien que ces témoignages matériels et ces souvenirs intellectuels ne sont, en somme, que des vibrations actuelles.

L’avenir nous parait inconnu, parce que l’on croit que sa vision matérielle nous fait défaut. C’est, on l’avouera, un raisonnement grossier et superficiel qui ne saurait avoir de portée véritable si l’on comprend que le monde, tel qu’il nous apparaît, est lumineux, parce que nous avons des yeux ; sonore, parce que nous avons des oreilles ; solide, parce que nous avons le toucher, qu’il n’est formé, en réalité, que de vibrations différentes, obscures, muettes et immatérielles au sens absolu du mot. Le passé n’est fait que de vibrations actuelles ; pourquoi, je vous le demande, l’avenir, qui est contenu dans ces mêmes vibrations, ne pourrait-il pas être connu d’une façon tout aussi certaine, si nous avions la compréhension véritable du geste total, suivant lequel l’univers tout entier semble se modifier pour nos sens ?

Lorsque l’on est parvenu au pays de la quatrième dimension ; lorsque l’on est libéré à tout jamais des notions d’espace et de temps, c’est avec cette intelligence-là que l’on pense et que l’on réfléchit. Grâce à elle, on se trouve confondu avec l’univers entier, avec les événements soi-disant futurs, comme avec les événements soi-disant passés. Le tout ne forme plus qu’un monde de formes et de qualités immobiles et innombrables, qui ne sont, en quelque sorte, que les lignes harmonieuses d’un même chef-d’œuvre. Sans doute peut-on discerner dans ce monde, comme dans la vie banale, les différents points de l’existence et relier entre eux des événements qui se complètent ; mais il est inutile, pour cela, de faire appel à la notion habituelle de temps. Les événements se dessinent à la façon des figures géométriques, ou, mieux encore, des lignes d’une statue de marbre. Rien ne peut avoir, à proprement parler, de commencement ni de fin. Il ne subsiste plus que des symboles harmonieux. On comprend, dès lors, combien pauvres et sans expression demeurent des mots tels que ceux-ci : Voyage au pays de la quatrième dimension. Dans cet état d’intellectualité supérieure, voyage ne signifie rien, l’expression quatrième dimension n’est, elle-même, que la manifestation d’un état synthétique, plutôt que l’analyse d’une quantité nouvelle.

Dès que l’on est parvenu dans ce monde des idées pures, toute expression du langage vulgaire devient négative. L’esprit ne fait plus qu’un avec l’universalité des choses ; ses idées sont toutes positives, sans réaction possible. L’âme silencieuse ne s’inquiète plus des bruits du monde. Ils ne sont plus pour elle que des points conventionnels, incapables de résumer l’idée immortelle inconnue du vulgaire et que dissimule aux yeux de tous ce voile mystérieux que l’on nomme le temps.

***

Ces notions générales sur l’existence relative du temps ne furent point, cependant, celles qui m’apparurent tout d’abord le plus clairement. Je n’en compris toute l’étrange portée que lorsque, parvenu déjà au pays de la quatrième dimension, il me fut donné de connaître tout en même temps ce qui se passerait dans les âges écoulés et ce qui était arrivé dans les siècles à venir. Le renversement de l’idée habituelle que l’on se fait de l’espace, l’abstraction des distances que je parvins à réaliser progressivement, la découverte que je fis de la Maison plate à deux issues et la façon dont je parcourus l’Escalier horizontal, me permirent, pour la première fois, d’abandonner définitivement notre monde à trois dimensions et de voyager en toute tranquillité dans l’inconnu.

II

LE RUBAN DÉFAIT

Le premier obstacle que l’on rencontre, lorsqu’il s’agit d’aborder le pays de la quatrième dimension, ce sont les résistances ancestrales de notre corps, conçu à trois dimensions. L’esprit se plie tout naturellement aux abstractions d’espace et de temps, mais le corps semble, tout d’abord, incapable de s’évader, lui aussi, des nécessités matérielles apparentes.

Chose curieuse, cependant, les premiers faits qui m’indiquèrent le chemin de la quatrième dimension furent purement matériels. Ils me démontrèrent, jusqu’à l’évidence, combien est proche de nous, sans que nous nous en doutions, cette conception de la quatrième dimension qui, depuis longtemps, préoccupe à juste titre tous ceux qui se livrent à l’étude de la géométrie transcendantale.

Je savais que l’on s’était efforcé déjà de rendre compte des curieuses expériences d’un médium, en les expliquant par l’existence de la quatrième dimension. Ce médium faisait de véritables nœuds en trèfle avec une corde rigide, dont les extrémités étaient scellées et tenues par des personnes dignes de foi. Je savais aussi comment on avait expliqué que les théorèmes de Lobatchewsky, de Riemann, de Helmoltz et de Beltrani étaient les seules bases logiques de toute théorie juste du parallélisme ; mais il ne m’avait pas été donné de constater par moi-même la possibilité de pareilles démonstrations expérimentales, jusqu’au jour où, désirant conserver quelques lettres auxquelles je tenais, je m’avisai de vouloir lier, avec un ruban, un petit coffret de bois qui venait, m’avait-on dit, des Indes. Le nœud une fois fait, il me souvint que j’avais oublié de placer une lettre dans le coffret et, instinctivement, en songeant à autre chose, je l’ouvris, je mis la lettre en place, et je refermai le coffret. A ce moment-là seulement, je m’aperçus que j’avais oublié de défaire la ligature.

J’eus beau reconstituer les faits, je fus bien forcé de constater, par le cachet de cire, que le nœud que j’avais fait et qui empêchait absolument l’ouverture du coffret, n’avait pas été touché. Cet objet échappait indéniablement aux règles ordinaires de notre espace à trois dimensions.

Il me souvint alors que Félix Klein avait démontré que les nœuds ne pourraient pas durer dans un espace à quatre dimensions et je compris que le coffret que j’avais là, devant les yeux, avait été construit en dehors de toute loi euclidienne, que ce curieux objet d’exportation hindou avait dû être conçu par d’habiles asiatiques et réalisé en France sans aucune nécessité de transport matériel.

Ai-je besoin de le dire ? après cette extraordinaire aventure, je cherchai par tous les moyens possibles à en trouver l’explication rationnelle. J’avais été sans doute victime d’une simple hallucination, et rien ne me disait que la lettre égarée était bien en place. J’ouvris donc le coffret à nouveau, en défaisant cette fois la ligature. La lettre y était bien ! Peut-être l’y avais-je mise avant la première fermeture ? Mais un peu de cire tombée sur l’enveloppe, tandis que je fermais le coffret, confirma indubitablement mes souvenirs. Matériellement, le fait était impossible à admettre. Matériellement, cependant, j’étais obligé de constater sa réalité. J’avoue que cette certitude me fut tout d’abord infiniment pénible, car elle renversait ces notions fondamentales, sans lesquelles notre esprit s’égare et s’en va à la dérive.

Rien n’est plus facile à admettre, en effet, que l’existence de forces inconnues, invisibles, qui placées au dedans de nous, peuvent s’extérioriser et provoquer des phénomènes, en apparence seulement, surprenants. Tout s’explique ainsi de la façon la plus simple. Dans les maisons hantées, par exemple, nous trouvons toujours, dans le voisinage, quelque jeune fille inconsciente, déséquilibrée, dont la force nerveuse, extériorisée, suffit à déterminer les phénomènes les plus étranges. De là à penser que dorment au dedans de nous des forces inutilisées et plus puissantes que celles de toutes les machines réunies, il n’y a qu’un pas. Un jour viendra où l’on comprendra qu’il existe ainsi dans l’être humain un chemin du progrès beaucoup plus sûr et beaucoup plus facile que le chemin extérieur que la science s’efforce de suivre actuellement.

Seulement, il faut bien le dire, tous ces phénomènes, encore mystérieux parce qu’ils sont inconnus, ne bouleversent en rien notre vision habituelle du monde. Qu’il y ait d’autres fluides que l’électricité, personne n’en doute, mais cela ne renverse jamais la notion de cause à effet qui forme la base de tous nos raisonnements, et c’est seulement lorsque ce rapport de succession nous semble interverti que notre raison chancelle.

Quelle intervention mystérieuse avait bien pu bouleverser ce rapport de succession dans les événements dont j’avais conservé un souvenir si exact ? Je ne pus tout d’abord m’en rendre compte d’une façon plausible, car il me fut impossible de renouveler l’aventure comme je le souhaitais. Mon attention traditionnelle étant en éveil, il me fallut toujours défaire la ligature pour ouvrir le coffret.

Je crus donc plus prudent de ne point ébruiter un incident aussi absurde, mais je conservai ce souvenir qui m’impressionna vivement. Il fut pour moi la première indication certaine de l’existence d’un espace à quatre dimensions dans lequel une ligature ne pouvait subsister ni une chambre fermée rester close, mais je ne compris que bien plus tard comment pouvaient se modifier nos idées traditionnelles de succession dans le temps, comment cette succession pouvait être sans objet le jour où, grâce à l’intervention de la quatrième dimension, tous les faits devenaient en quelque sorte simultanés, dégagés de tout rapport historique de cause à effet, mais distincts seulement l’un de l’autre par leurs simples qualités.

III

LA DILIGENCE INNOMBRABLE

Quelque temps après l’aventure du coffret hindou, l’existence de la quatrième dimension me fut révélée d’une façon plus précise par quelques constatations que je fis concernant l’abstraction possible des distances.

J’ai toujours eu quelque défiance pour les expériences spirites et, plus particulièrement, pour les légendes rapportées d’Asie. Il faut reconnaître cependant que les Orientaux paraissent avoir, bien souvent, réalisé d’une façon pratique la suppression de l’espace, et que, sur ce point, les témoignages abondent. Les Arabes, tout le monde le sait, peuvent communiquer à de très grandes distances, sans recourir au télégraphe. De Lesseps en fut témoin au moment de la concession du canal de Suez, et l’on sait également que des ambassadeurs hindous félicitèrent à Londres la reine d’Angleterre d’une victoire que remportaient au même moment ses troupes en Orient. Des témoins dignes de foi n’ont-ils pas raconté également, avec force détails, comment un Hindou put se présenter à bord d’un vaisseau qui avait quitté la terre depuis plusieurs jours, remettre un avis et disparaître, et que l’on constata tout aussitôt après, sa présence aux Indes ? Mais ce sont là, sans doute, de simples matérialisations à distance dont on trouvera un jour l’explication scientifique et rationnelle.

Autrement angoissante et déroutante est la constatation que l’on peut faire de l’abstraction possible de l’espace par la seule volonté de l’esprit. Du reste, il faut bien le dire, tout notre effort contemporain tend, depuis longtemps, vers un pareil résultat, et l’on commence à comprendre déjà que le progrès peut, en grande partie, se réaliser en accroissant toujours la vitesse de nos actes.

Longtemps, les économistes ont considéré comme représentant la richesse d’un pays la somme totale des capitaux qui s’y trouvaient en circulation. Cet élément est cependant insignifiant si on le compare à l’élément qualitatif : la rapidité du travail et du trafic. C’est qu’en effet, qu’il s’agisse de capitaux ou de moyens de transport, ce qu’il faut obtenir, avant toute chose, c’est un meilleur rendement du travail, un accroissement de la vitesse, et la vie sociale se trouve trois cent soixante-cinq fois augmentée lorsqu’on accomplit en un seul jour ce que nos ancêtres, avec la même masse de capitaux et la même énergie individuelle, ne pouvaient réaliser qu’en un an. C’est pour cela que dans certains pays très avancés au point de vue industriel, en Amérique, par exemple, des ingénieurs spéciaux, appelés vitessiers, ne s’occupent que d’une seule chose : augmenter indéfiniment la vitesse du travail, sans accroître pour cela les frais généraux, bien au contraire.

Pour prendre un exemple terre à terre de cette extraordinaire transformation, il suffit de réfléchir un instant à ce qu’était, par exemple, un simple trajet accompli jadis, en une journée, par une humble diligence.

Pour accroître les services que pouvait rendre une entreprise de messageries ainsi conçue, il eut fallu multiplier fantastiquement le nombre des voitures. En perfectionnant au contraire, la simple qualité du trafic, en accroissant la vitesse de la vieille diligence, en la remplaçant par une voiture automobile, on a pu faire accomplir, à une seule voiture, cinquante fois le même trajet dans la même journée, et la ligne peut être ainsi desservie cinquante fois mieux, sans qu’il soit besoin pour cela d’augmenter le nombre des voitures.

Augmentez maintenant par l’imagination cette vitesse d’une façon infinie, vous constaterez logiquement que si cet accroissement de vitesse était possible, la même et unique voiture finirait par être présente à tous les endroits de la route, à tous les moments de la journée. Ceci, pratiquement, ne parait pas réalisable, parce que nos forces matérielles sont insuffisantes et que nous ne pouvons concevoir le mouvement, que dans un espace à trois dimensions, c’est-à-dire comme une succession de situations. Dès que nous avons, au contraire, une conception totale de l’univers à quatre dimensions, ce qui était absurde jusque-là devient aisément réalisable, et nous comprenons clairement que la même voiture pourrait se trouver simultanément dans toutes les situations différentes, à tous les moments de la journée.

Notre esprit, qui, lui, raisonne dans un espace à quatre dimensions, ne s’étonne pas lorsqu’il réalise quotidiennement une opération analogue en faisant abstraction des situations diverses et en saisissant d’un seul coup l’idée de la route en soi ou de la vitesse absolue. Si nous hésitons à appliquer ces abstractions au monde matériel, c’est parce que notre faiblesse naturelle nous porte à distinguer et à classer dans le temps ce que nous appelons un souvenir et une vision présente. Un peu de réflexion suffirait cependant à nous faire comprendre que si notre esprit avait la force nécessaire pour évoquer un souvenir intégral, celui-ci aurait autant de réalité effective que notre vision présente.

Chaque jour, notre esprit à quatre dimensions nous incite, malgré nous, à nous débarrasser des obligations matérielles du monde à trois dimensions. Pourquoi ne ferions-nous pas, pour nos actes matériels, ce que nous faisons pour nos raisonnements intellectuels ? Pourquoi reprendre un chemin parcouru ? Pourquoi refaire un itinéraire que nous connaissons d’avance dans tous ses détails ? Cela devient une obsession lorsqu’on accomplit chaque jour le même parcours familier. Pourquoi devons-nous subir ce formalisme administratif qui nous contraint à refaire les mêmes pas déjà faits, à suivre les mêmes routes déjà parcourues pour aboutir à un point où nous savons d’avance que nous aboutirons fatalement ? N’existe-t-il pas un procédé nouveau qui nous permettrait d’échapper à cette obligation infiniment basse et matérielle ?

Déjà certains penseurs modernes ont fait justice du préjugé de la ligne droite. On a démontré, par exemple, que dans un monde où la grandeur des habitants irait en décroissant au fur et à mesure qu’ils se rapprocheraient du centre, le plus court chemin pour aller d’un point à un autre du globe serait la ligne courbe passant par l’équateur, et non point la route droite que l’on percerait en tunnel d’un point à un autre de la sphère. Ne peut-on concevoir, également, qu’en dehors des conditions géométriques de transport d’un point à un autre, il existe un procédé d’abstraction plus direct, permettant d’émanciper notre corps et de faire abstraction de l’espace, à la façon dont notre esprit agit et se meut, sans déplacement, d’une idée à une autre, dans l’espace à quatre dimensions ?

Cette idée ne fut pour moi qu’une suggestion violente, jusqu’au jour où, me trouvant en villégiature, je parvins, par le seul désir de mon esprit, à prendre la diligence du pays partout où je me trouvais, à toute heure du jour, suivant le caprice de ma volonté agissant dans l’espace à quatre dimensions.

Le phénomène se produisit pour moi spontanément sans explication raisonnable et ce fut longtemps après que je compris comment il se réalisait matériellement au moyen de ce que j’appelai, faute de mieux, une transmutation des atomes d’espace.

IV

L’ESCALIER HORIZONTAL

Ces débuts dans la découverte de la quatrième dimension furent, pour moi, particulièrement pénibles. Ils se trouvaient en effet en contradiction directe avec les notions géométriques pleines de logique et de bon sens qui m’étaient familières. Après le premier avertissement du ruban défait et de la diligence innombrable, la notion de la quatrième dimension devait cependant se matérialiser pour moi d’une façon plus précise encore, sous une forme que je n’avais point prévue et qui tint tout d’abord du cauchemar.

A des périodes très rapprochées et dans des conditions d’esprit toujours identiques, je me trouvai en présence d’escaliers qui ne se construisaient point d’une façon géométrique et, tout d’abord, rien ne fut pour moi plus révoltant que la pratique de ces sortes d’escaliers. D’autres, peut-être, n’en eussent pas été affectés à ce point. Il y a des gens, en effet, qui, tout en étant fort instruits ou fort intelligents, ne sont point sensibles aux constructions visuelles, à l’équilibre des choses et pour qui tout problème mécanique ou architectural demeure fermé. Ils conçoivent les faits psychologiques avec leur cerveau : ils ne cherchent point à se représenter matériellement les événements ou les idées qu’ils conçoivent. C’est là le cas de littérateurs qui ne sentent point l’impérieux besoin, lorsqu’ils analysent un état d’esprit ou un caractère, d’en trouver le style graphique ou musical. Il est évident, cependant, que cette recherche est essentielle pour la réalisation d’une œuvre d’art. Dans notre intelligence, il n’y a point, à proprement parler, de musique, de peinture ou de littérature. Il n’y a que des impressions obscures et silencieuses, et ces impressions, toutes semblables, s’apparentent étroitement. Il semble difficile, en conséquence, d’avoir une sensation d’art complète si nous négligeons d’examiner le sujet que nous étudions sous toutes ses faces, d’après tous les renseignements que peuvent nous donner nos sens. C’est là, cependant, une façon fragmentaire d’envisager les choses qui est familière à beaucoup de gens.

Quand, au contraire, on éprouve un des plus grands plaisirs de l’esprit à découvrir l’harmonie universelle des êtres sous tous ses aspects, rien n’est plus pénible, moralement, que de voir certaines constructions matérielles ne point se réaliser suivant la logique éternelle des choses.

Or, parmi les constructions architecturales qui symbolisent le mieux nos idées, rien n’est plus séduisant, plus compliqué cependant, sous son apparente simplicité, que l’établissement d’un escalier. Les architectes d’autrefois l’ont bien compris et ils se sont attachés à réaliser sur ce point des merveilles. Tantôt ce sont, comme à Chambord, deux escaliers enchevêtrés l’un dans l’autre, qui ne permettent point à une personne qui monte de rencontrer celle qui descend ; tantôt ce sont de curieux escaliers gothiques dont les savantes hélices semblent résoudre tous les problèmes de la géométrie transcendantale. Ce sont aussi, parfois, et plus simplement, des escaliers compliqués comme il en existe encore dans certaines vieilles maisons provinciales, qui s’entrecroisent savamment et qui desservent chacun certains étages déterminés. Lorsque l’on s’engage à tort dans l’un des deux escaliers, on n’aboutit point à l’étage que l’on voulait, on se trouve au-dessus ou au-dessous, et il faut un certain effort d’imagination pour retrouver le dessin général de ce labyrinthe.

Tout ceci, cependant, s’explique rapidement, pour peu que l’on y prête quelque attention, et l’on retrouve bientôt les raisons de cet illogisme apparent dans la superposition de construction d’âges différents, réunies au cours des siècles.

Autrement angoissant est le problème de l’escalier qui, après une succession indéniable de marches, vous ramène à l’étage d’où l’on est parti. Ce sont des choses dont on sourit la première fois, en croyant à une erreur passagère ; ce sont des problèmes qui deviennent effrayants lorsqu’on s’obstine à en chercher la solution suivant les principes primitifs de la géométrie euclidienne à trois dimensions.

Et j’avoue, pour ma part, que j’éprouvai un réel soulagement le jour où je compris que si de pareils escaliers pouvaient exister, leur possibilité ne se concevait que dans un espace à quatre dimensions et que cela seul suffisait à donner une explication définitive du problème. Et bientôt, ce fut même avec un plaisir étrange que je parcourus quelques-unes de ces demeures invisibles, conçues par la géométrie transcendantale, où les étages se confondent, où le premier n’est pas nécessairement au-dessous du quatrième, ni le troisième au-dessus du rez-de-chaussée.

V

ABSTRACTIONS D’ESPACE

On se fait, en général, une idée très fausse de la quatrième dimension en voulant la décrire d’après les données fournies par la vision du monde à trois dimensions. On aboutit ainsi à des impossibilités et, par définition même, à des absurdités irréductibles. On se trompe également fort souvent, je l’ai dit, en voulant ajouter tout simplement la quatrième dimension aux trois autres, comme s’il s’agissait seulement de créer une dimension supplémentaire rendant possible, à l’infini, l’existence de nouvelles dimensions complétant la largeur, la profondeur et la hauteur.

Là encore, sans s’en rendre compte, on soumet la géométrie transcendantale aux définitions euclidiennes ; on rend par avance toute explication impossible et absurde. C’est que la géométrie euclidienne, comme toute la science contemporaine, n’opère que sur des quantités, sur des chiffres qui partagent notre vision du monde en tranches, qui découpent la nature en classes et en catégories. Dès que nous voulons aborder de plus hautes recherches, nous sentons bien que ce procédé quantitatif est purement artificiel, et qu’il ne saurait rendre compte du monde entier. Nous le savons parce que notre conscience, à la différence de nos sens, n’est point construite suivant la vision du monde à trois dimensions et qu’elle nous révèle, au contraire, cette quatrième dimension, qui n’est, en somme, que le complément nécessaire d’une compréhension totale de l’univers entier.

C’est ainsi qu’au-dessus des quantités découpées par la science, notre esprit nous révèle perpétuellement ces qualités qui ne connaissent aucune mesure scientifique et qui se traduisent matériellement à nos yeux par l’existence des œuvres d’art.

On se tromperait donc grossièrement si l’on pensait que la vision d’un monde non euclidien s’oppose à notre vision courante des phénomènes. Elle la complète.

Le monde extérieur nous apparaît d’abord, d’après nos sensations rétiniennes, sur un plan visuel à deux dimensions ; puis les sensations musculaires de convergence et d’accommodation, nous permettent de distinguer l’éloignement des objets et de concevoir la troisième dimension. Notre esprit, seul, qui possède l’étincelle divine supérieure aux sens, nous permet de comprendre qu’au-dessus de ce monde d’apparences et de constructions scientifiques, existe une vision complète et continue de l’univers. C’est ainsi que nous pouvons, sans grand effort, réaliser à tout instant l’abstraction du temps, associer des idées fort éloignées l’une de l’autre, éviter de recommencer un raisonnement acquis déjà et de parcourir à nouveau un chemin moral déjà fait pour nous retrouver au même endroit moral.

Au-dessous de la vision habituelle à trois dimensions, on peut également en concevoir de plus simples. Oui, certes, la géométrie euclidienne est pour nous la façon actuellement la plus commode de saisir l’univers, étant données la construction de notre corps et nos habitudes séculaires, mais ce n’est pas pour cela une forme universelle et indispensable de sentir. Des écrivains modernes ont fait justice de ce préjugé. Des êtres plats, qui se déplaceraient sur une surface sphérique, concevraient tout naturellement une géométrie dans laquelle la somme des angles d’un triangle serait toujours supérieure à deux droits. De même aussi dans un monde dépourvu de solides, notre géométrie pourrait éprouver quelque peine à se faire jour. H. Poincaré a écrit sur ce sujet des pages fort clairvoyantes.

Nous pouvons découper des volumes au moyen de surfaces. Nous pouvons découper des surfaces au moyen de lignes, nous pouvons déterminer des lignes au moyen de points. Mais, lorsqu’il s’agit pour nous de définir le point, notre science euclidienne fait défaut et s’évanouit. Lorsqu’il nous faut rendre compte du continu physique, notre impuissance est extrême. Nous comprenons bien que la science n’est autre chose qu’un langage conventionnel qui nous permet de cataloguer et de classifier certaines fractions de phénomènes que nous détachons artificiellement l’une de l’autre, d’après leurs qualités, mais nous sentons bien que cette science, de même que le langage, est incapable de traduire cette continuité qui appartient au monde des qualités et que l’on ne saurait définir par des chiffres.

***

Ces constatations que nous venons de faire provoquent tout aussitôt une objection. Si notre conscience continue nous révèle la seule existence réelle des qualités, c’est-à-dire des quatre dimensions réunies, comment se fait-il que nos sens, développés suivant les suggestions et les besoins de l’esprit, ne perçoivent pas avec la même facilité cette quatrième dimension, et n’est-ce point pour cela que nous sommes mortels ? Pourquoi devons-nous recourir aux analyses numériques de la science et découper l’univers en trois dimensions pour le rendre intelligible ? La réponse à cette question est facile. Notre monde est pour nous en perpétuelle transformation, c’est-à-dire en perpétuel progrès ; or la vision de l’univers continu s’oppose à toute idée de mouvement ou de changement. Notre conscience immobile participe de l’universalité des choses, elle n’a point besoin de recourir au fractionnement de l’univers, mais il n’en est pas de même pour notre corps. L’esprit, qui ne conçoit que l’unité absolue, par un artifice admirable, crée le monde à son image, mais le multiplie à l’infini. Il se reflète dans les chiffres ; il attribue çà et là sa personnalité entière aux fractions de l’univers qu’il veut analyser et comprendre. Le nombre, au delà du chiffre UN, n’est donc, pour l’esprit, qu’un mirage, mais un mirage utile. Il lui permet de créer des individualités artificielles là où il distingue seulement de nouvelles qualités de l’éternelle unité.

Il est impossible de comprendre l’espace et l’univers d’une façon absolue, sans être condamné, du même coup, à la divine immobilité de la conscience. Mais, de même que l’esprit humain crée les dieux à son image, de même il crée des lignes et des nombres ; mais ce n’est là qu’un moyen d’analyse, un procédé scientifique de démonstration purement transitoire.

L’activité humaine n’est possible qu’avec la vision du monde à trois dimensions, qui rend pour nous le monde mobile ; mais ceci suffit à nous faire mieux comprendre l’existence nécessaire d’une quatrième dimension qui complète l’unité et la rend immobile au sens vulgaire du mot.

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