Voyage et aventures d'un aérostat à travers Madagascar insurgée - Édouard Deburaux - E-Book
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Voyage et aventures d'un aérostat à travers Madagascar insurgée E-Book

Édouard Deburaux

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Beschreibung

Ce roman prend prétexte de troubles à Madagascar pour une traversée aérienne de la Grande Île. Les faits, imaginaires, ne sont pas précisément datés. Mais on peut les situer, par recoupement, vers 1893 ou 1894. Il s'agit d'un grand roman d'aventures, dans l'esprit où Jules Verne a pu écrire Cinq semaines en ballon. Madagascar n'est ici qu'un décor. Décrit cependant avec précision grâce à la présence, parmi les aéronautes, d'un explorateur qui a beaucoup voyagé dans l'île.

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Édouard

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table des matières

AVANT-PROPOS

Le 30 janvier 189…, à la tombée de la nuit, après une chaude et radieuse journée d’hiver, deux jeunes officiers du génie remontaient le boulevard des Italiens, à cette heure fort animée, quand à la hauteur du Crédit lyonnais ils croisèrent un porteur de journaux qui criait :

« Demandez la France, deuxième édition, les événements de Madagascar ; insurrection générale dans l’île. »

Le crieur était suivi de vingt autres, annonçant de nouvelles éditions de diverses feuilles du soir, tous avec ce refrain : « Insurrection générale à Madagascar. »

Le plus élevé en grade des deux officiers, capitaine de l’armée active, dont la physionomie mâle et intelligente accusait un caractère énergique, acheta l’un de ces journaux et, s’arrêtant devant un magasin bien éclairé, lut à haute voix à son compagnon, lieutenant récemment affecté aux cadres territoriaux :

« L’agence Havas nous communique la dépêche suivante : Une insurrection formidable vient d’éclater dans le nord et le centre de l’île de Madagascar ; quelques tribus sakalaves seules nous sont restées fidèles ; toutes les autres, faisant cause commune avec les Hovas, ont levé l’étendard de la révolte. Les Européens ont pu à temps se réfugier sous la protection de nos armes dans tout le centre et sur la côte est de l’île. On est sans nouvelles des garnisons de l’intérieur, situées à l’ouest de la rivière Ikopa ; on pense qu’elles ont dû se réunir au camp d’Ambéribé ; là elles seront en mesure de résister jusqu’à l’arrivée des secours envoyés de la métropole. L’escadre du Levant, actuellement à Obock, a reçu l’ordre d’appareiller immédiatement pour Diégo-Suarez. »

« Où est situé le camp d’Ambéribé ? » demanda le lieutenant, dont les yeux bleus éclairant une figure sympathique encadrée d’une soyeuse barbe blonde cherchaient, interrogatifs, le regard de son compagnon.

Le capitaine, jusque-là absorbé dans sa lecture, redressa sa haute taille, à peine supérieure à celle de son interlocuteur. L’élégance naturelle de cet officier, jointe à la distinction avec laquelle il portait son sévère uniforme, eût fait de lui un cavalier d’extérieur accompli sans sa déplorable habitude, commune à beaucoup d’anciens élèves de l’École polytechnique, de se tenir légèrement voûté.

Sans répondre immédiatement, il quitta le journal des yeux, et son regard, d’une extraordinaire douceur d’expression, se porta sur son interrogateur, tandis que son front haut, couronné d’une abondante chevelure châtain, se plissait légèrement sous l’effort de la pensée et que sa lèvre, surmontée d’une courte moustache brune, se contractait, impatiente de la rébellion de sa mémoire, difficile à supporter pour un officier ayant l’habitude du commandement et une volonté ferme servie par une grande promptitude de décision.

« Le fort ou plutôt le camp retranché d’Ambéribé, dit-il enfin, est situé, si je ne me trompe, à peu près sous la parallèle de l’île Sainte-Marie, à égale distance des fleuves Ikopa et Manjaray ; il se trouve par suite assez loin de tout secours. Sa garnison normale doit se composer d’une vingtaine d’Européens presque tous artilleurs de marine, et de quelques compagnies de milice sakalave. Si, comme il est à croire, le commandant du fort a donné l’ordre aux garnisons voisines de le rejoindre, il peut se trouver actuellement à la tête d’une centaine de soldats français et de huit à douze cents miliciens indigènes. La forteresse est approvisionnée pour résister pendant de longs mois, et sa position, ainsi défendue, interdit à l’ennemi de s’en emparer autrement que par la famine.

– Ainsi vous pensez qu’il n’est aucun péril pour sa garnison et qu’elle se trouve en état, comme le dit la note de l’agence Havas, d’attendre les secours, dussent-ils mettre plusieurs mois à lui parvenir ?

– J’en suis persuadé, si toutefois la garnison du fort a pu être renforcée à temps par les postes voisins. Là est toute la question, et il serait du plus haut intérêt de savoir s’il en est ainsi avant d’envoyer dans l’intérieur une colonne de secours qui, en face d’une insurrection de cette importance, devra avoir la force et le matériel d’une petite armée.

« Le gouvernement donnerait sans doute beaucoup pour être fixé à cet égard, et si un ballon dirigeable, muni du nouveau moteur dont votre dernière découverte a rendu la réalisation possible, était construit, il y aurait là pour lui une expérience magnifique à tenter ; il lui suffirait, partant de la côte est de Madagascar, de se laisser porter par les vents alizés, qui dans trois mois et jusqu’au mois d’août souffleront régulièrement sur l’île ; son moteur lui servirait uniquement à rectifier éventuellement sa route de façon à atteindre le fort.

– Ne pourrait-on construire le ballon en question assez rapidement pour être prêt dans deux mois ? repartit le lieutenant. Si, comme je le pense, le plan de cet aérostat est tout tracé dans votre tête, le début de sa construction souffrirait peu de délai.

– Certainement cela serait possible, mais à la condition toutefois de posséder un atelier déjà outillé en vue de la fabrication des aérostats, et surtout d’avoir sans retard les fonds nécessaires à l’expédition.

– Que ce dernier détail ne vous inquiète pas. Mon oncle, comme vous le savez, a quelque fortune ; il mettra, je n’en doute pas, à notre disposition le crédit nécessaire à l’exécution, et le nouveau moteur pourra, j’en suis sûr, être prêt en même temps que l’aérostat. »

Quelle était la portée de cette conversation ? Sur quelles bases s’appuyaient les deux interlocuteurs pour ne pas mettre en doute la possibilité de mener à bien une entreprise aussi considérable que la traversée par voie aérienne d’un territoire grand comme la France, et à cette heure en pleine insurrection ?

La nature des événements qui avaient précédé cet échange d’idées, et auxquels successivement le capitaine et le lieutenant avaient fait allusion, était telle cependant que ce projet des deux jeunes officiers ne pouvait être taxé de chimérique, quelque audacieux qu’il eût pu paraître à tout auditeur de leur conversation resté dans l’ignorance de ces événements antérieurs issus d’une conception hardie, dont la divulgation remontait à quatre mois déjà.

Au mois de septembre précédent, en effet, une conférence du capitaine, le capitaine d’Ex, adjudant-major au bataillon des aérostiers de Saint-Cloud, attirait un grand nombre de curieux, pour la plupart déjà initiés aux sciences aérostatiques, et parmi lesquels se trouvait son interlocuteur de cette soirée du 30 janvier, l’ingénieur Maurice Saubd, chimiste amateur et neveu du richissime Henri Saubd, propriétaire des fameuses mines d’argent de l’Aurès.

Au cours de cette conférence sur la direction des ballons, le capitaine d’Ex exposa un procédé au moyen duquel il était possible, affirma-t-il, de tenter, avec certitude de succès, des voyages aériens au long cours, même avec un aérostat non dirigeable, à travers les pays intertropicaux, en se laissant porter, de leurs rivages orientaux à leurs rivages occidentaux, par les vents alizés, dont le souffle est régulier à certaines époques de l’année 1.

Pour éviter toute dépense exagérée de lest, cette cause d’impossibilité des longs parcours en ballon, le conférencier préconisa l’utilisation d’un long câble d’acier, véritable guiderope 2 métallique, qui, reposant en partie sur le sol, équilibrerait automatiquement les causes accidentelles de variation de la force ascensionnelle de l’aérostat, et rendrait inutile de le combattre par de fréquents jets de lest. Il ajouta que, pour permettre à une exploration par voie aérienne d’accomplir sa mission d’une façon complète, il serait bon de munir le navire aérien d’un moteur à gaz lui donnant la possibilité de rectifier éventuellement la route imposée par les vents, afin de se porter audessus de tel ou tel point plus particulièrement intéressant à reconnaître. Mais pour pouvoir emporter un tel moteur sans trop surcharger l’aérostat du poids relativement considérable des aliments ordinairement employés pour actionner les machines, il fit ressortir combien il serait important que l’on découvrît un moyen d’emmagasiner à bord, sous un faible volume, de grandes masses d’hydrogène, combustible puissant et léger par excellence, sans être contraint d’employer pour cela des récipients de grande résistance, et par conséquent trop pesants.

1 La question de la traversée des continents intertropicaux au moyen d’un ballon non dirigeable, muni d’un guide-rope, a été traitée complètement dans un article des auteurs, publié en 1892 dans la Revue maritime et coloniale, et au cours duquel est faite la preuve de cette affirmation du capitaine d’Ex. Ouvrage couronné par l’Académie des sciences en 1894. ( Note des éditeurs.)

2 Le guide-rope est une forte corde de grande longueur, attachée au ballon, et pendant au-dessous de lui. Elle sert aux aéronautes à se maintenir à une faible distance du sol, sensiblement toujours à la même hauteur, sans jeter de lest ni manœuvrer la soupape du ballon.

Ces derniers mots du conférencier frappèrent l’ingénieur Saubd, enthousiasmé par le hardi projet dont il venait d’entendre l’exposé. Il se mit aussitôt à la recherche d’un procédé d’emmagasinement de l’hydrogène dans des parois métalliques légères, et quatre mois plus tard il arrivait à la solution désirée.

Un corps nouveau, le sponge, présentant à un haut degré les curieuses propriétés des métaux de la famille du platine, c’est-à-dire absorbant à la température ordinaire de grandes quantités de gaz et le restituant à l’état libre avec facilité, venait d’être découvert par lui.

Il fit part de son invention au capitaine d’Ex, et sur ces entrefaites l’insurrection hova ayant éclaté, les deux aventureux jeunes gens prenaient, après l’entretien ébauché sur le boulevard, la résolution d’exécuter la traversée de Madagascar en ballon, en utilisant le souffle régulier des alizés, et en gouvernant de façon à passer au-dessus d’Ambéribé.

M. Henri Saubd, l’oncle de l’ingénieur, enthousiaste des inventions de son neveu, qu’il chérissait à l’égal d’un fils, approuva le projet et promit son concours financier.

Il fut donc convenu qu’un aérostat de grand modèle, semidirigeable, capable d’enlever quatre personnes et d’exécuter une traversée de plusieurs semaines, serait construit sur les plans du capitaine, avec les fonds fournis par le propriétaire des riches mines d’argent de l’Aurès, heureux de voir la découverte de son neveu être ainsi utilisée dans un but patriotique.

Grâce à l’outillage spécial des ateliers de l’établissement aérostatique de Meudon, la construction de l’aérostat baptisé l’ Éclaireur put être poussée activement et, le 18 avril, le ballon fut gonflé, à titre d’essai, dans la galerie des machines du Champ-de-Mars, seul vaisseau assez vaste pour contenir sa masse énorme.

Cet essai ayant pleinement réussi, les deux amis, le capitaine d’Ex et Maurice Saubd, après s’être adjoint comme compagnon d’expédition un mécanicien éprouvé, le sergent Farlhan, s’embarquèrent, avec leur matériel aérostatique et les tubes à hydrogène comprimé nécessaires pour le gonflement définitif de Madagascar, à bord d’un vapeur de la marine marchande, l’ Argonaute, commandé par le capitaine Hilarion. Ils emmenaient avec eux une dizaine d’ouvriers aérostiers, destinés à leur servir d’aides pour l’exécution des délicates manœuvres de gonflement et de départ de l’aérostat.

L’expédition s’annonçait sous les plus heureux auspices ; seul le complément de l’équipage de la nacelle à quatre aéronautes n’avait pu être obtenu, et une des couchettes de la petite tente qui couvrait son arrière, du côté opposé aux hélices, menaçait de rester vide. Dans l’esprit des organisateurs de l’entreprise, ce quatrième aéronaute devait être à la fois l’interprète et le géographe de la mission exploratrice ; jusque-là personne remplissant les conditions requises n’avait offert son concours, et les propositions faites dans ce sens à divers colons de Madagascar n’avaient pas abouti.

Le départ de l’ Argonaute eut lieu de Marseille, le 28 avril, au milieu de l’enthousiasme général ; et après une traversée heureuse de la Méditerranée, de la mer Rouge et de l’océan Indien, le vapeur passa, le 18 mai dans la nuit, en vue des Amirantes, à 6° au nord de la grande île africaine, théâtre du futur voyage aérien au long cours.

DE DIÉGO-SUAREZ À AMBÉRIBÉ I

Deux jours après avoir eu connaissance des îles Amirantes, l’ Argonaute entrait dans la baie de Diégo-Suarez, immense rade de plus de cent vingt kilomètres carrés, capable de contenir toutes les flottes du monde.

Cet admirable refuge naturel, complètement caché du large par sa ceinture de laves pétrifiées, est protégé au nord par la masse imposante du mont d’Ambre, dont le sommet sauvage se dresse à 1 136 mètres au-dessus des flots. Là, merveilleusement située au fond de l’estuaire et coquettement assise à la base d’une colline de peu d’élévation, se trouve la capitale de nos établissements français de Madagascar, la cité forte de DiégoSuarez, destinée à devenir l’un des premiers ports du monde.

L’ Argonaute mouilla en face de la ville. Le capitaine d’Ex fit mettre un canot à la mer et, suivi de l’ingénieur Saubd, il débarqua au pied de l’estacade. Du port il se rendit, sans perdre un instant, chez le gouverneur, déjà prévenu de son arrivée. Ce dernier le reçut fort aimablement et, après l’avoir chaleureusement félicité de l’audacieuse et patriotique entreprise à laquelle il s’était voué, lui donna quelques détails sur l’état actuel de l’insurrection malgache.

Les secours venus de la Métropole étaient arrivés depuis peu, et une expédition, comprenant la presque totalité des forces, s’avançait sur Tananarive, centre de l’insurrection. De là, cette petite armée, remontant vers le nord par la vallée de l’Ikopa, devait aller débloquer la forteresse d’Ambéribé, dont on se trouvait depuis longtemps sans nouvelles, mais dont on était en droit de supposer la garnison toujours maîtresse, la ville étant approvisionnée de façon à pouvoir soutenir un siège de longue durée. Les renseignements fournis par l’aérostat, au retour de sa visite aux défenseurs d’Ambéribé, dirait si l’accomplissement de cette seconde partie du plan d’expédition devrait suivre immédiatement la prise de Tananarive, ou si les forces pourraient être plus utilement employées en tout autre point de l’île. À une question du capitaine d’Ex, touchant l’interprète recherché depuis longtemps par l’intermédiaire du gouverneur, ce dernier répondit que, parmi le petit nombre de colons connaissant suffisamment la langue malgache pour pouvoir être de quelque utilité aux explorateurs, aucun n’avait accepté de prendre part au voyage aérien.

« Cependant, ajouta-t-il, tout n’est pas encore désespéré, et il est possible qu’après avoir entendu l’exposé du plan de l’entreprise développé par l’un des futurs aéronautes, un membre de la colonie consente à vous prêter son concours. »

La nature de la mission de l’ Éclaireur ne permettant pas de perdre un instant, l’ Argonaute devait appareiller le lendemain pour l’île Sainte-Marie, adoptée, sur les conseils du gouverneur, comme point de départ du voyage aérien ; il y avait donc lieu de hâter la réunion dans laquelle le capitaine d’Ex prendrait la parole et, après avoir exposé les projets et la nature de l’expédition, ferait appel au patriotisme des colons capables de servir d’interprètes.

Cette réunion, fut-il convenu, se tiendrait le soir même, après le dîner offert par le gouverneur aux voyageurs ainsi qu’à certaines notabilités de Diégo-Suarez, dîner auquel d’Ex et l’ingénieur acceptèrent de grand cœur d’assister.

En réponse à cette aimable convocation, d’Ex pensa être agréable à son hôte en lui proposant une excursion à bord de l’ Argonaute. Il offrit de lui montrer les différents éléments de l’aérostat dont la nature de l’arrimage permettait la vue. Après avoir accepté cette invitation avec une satisfaction évidente, le gouverneur exprima son vif regret de ne pouvoir assister au départ de cet aérostat si intéressant et par la nature de sa mission, et par la curiosité du spectacle présenté par les évolutions d’un ballon dirigeable de son volume.

En arrivant à la coupée de l’ Argonaute, les futurs aéronautes et leur invité trouvèrent le pont du bâtiment envahi par un grand nombre de curieux, aux questions desquels Farlhan et les officiers de navire répondaient de leur mieux ; l’un d’eux en particulier s’intéressait vivement aux explications fournies par Farlhan et, interrompant sans cesse ses voisins, semblait vouloir accaparer pour lui seul le mécanicien, complètement ahuri par ses grands gestes et le flot de paroles qui s’échappaient continuellement de ses lèvres.

Cet homme, dans toute la force de l’âge, grand et sec, devait jouir d’une constitution de fer ; sa tête, d’une dimension extraordinaire, était garnie d’une abondante chevelure ; son front était haut, son nez mince et proéminent, sa bouche largement fendue ; son menton paraissait énorme, bleui par le passage fréquent du rasoir.

Ses yeux, petits, disparaissaient derrière de puissantes lunettes, et son regard avait cette timidité inquiète particulière aux gens très myopes. Sa physionomie annonçait un homme intelligent mais léger, ses questions un savant, de cette race de savants heureux de mettre leur science à la disposition de chacun et d’instruire en amusant. Le laisser-aller et le sans-façon de ses manières pouvaient lui être facilement pardonnés en faveur de la franchise et de l’affabilité qui débordaient de toute sa personne.

Aussitôt que ce personnage aperçut les nouveaux arrivants il abandonna Farlhan, de plus en plus étonné de ses procédés inattendus, s’élança vers l’ingénieur Saubd, s’empara de sa main et la lui serrant énergiquement :

« Le capitaine d’Ex, sans doute, le célèbre capitaine d’Ex, dit-il ; ravi de vous voir enfin, quelle belle entreprise vous avez projetée là et comme je vous félicite !…

– Vous vous trompez, mon cher Gradnier, interrompit le gouverneur souriant de l’étonnement de ses compagnons ; monsieur n’est pas le capitaine d’Ex, mais bien l’ingénieur Saubd.

– Ah ! mille pardons, monsieur ; mes excuses, reprit le personnage avec une nouvelle volubilité, et en même temps mes félicitations pour l’invention par laquelle vous contribuez au succès de l’expédition ; cette belle découverte des accumulateurs d’hydrogène…, c’est le sponge, n’est-ce pas ?… c’est bien là le nom de cet alliage fameux… Je serais heureux si vous vouliez bien m’en montrer un échantillon, si toutefois je ne suis pas indiscret… Mais, pardon, j’oublie, vous ne me connaissez pas, je ne vous ai pas été présenté… Mon cher gouverneur, je vous en prie, dites mon nom à ces messieurs. »

Le gouverneur, très amusé par cette scène, s’exécuta de bonne grâce et présenta M. Gradnier, l’explorateur bien connu de Madagascar, le savant géographe et minéralogiste, président du comité ethnographique de l’île, et correspondant de l’Académie des sciences.

Quelques instants plus tard, M. Gradnier avait quitté le bord, et le pont ayant été débarrassé des curieux qui l’encombraient, le capitaine d’Ex put faire en toute facilité à son hôte les honneurs du navire et de son précieux chargement. Quand la visite fut terminée, le gouverneur, souriant encore à la pensée de la scène qui venait de se passer entre M. Gradnier et l’ingénieur Saubd, ne put s’empêcher de demander à ce dernier :

« Eh bien ! quelle impression vous a produit mon ami l’explorateur Gradnier ? – Mais…, répondit l’ingénieur en hésitant. – Oui ! c’est un fameux original, n’est-ce pas ? et vous avez pu en juger tout à l’heure.

« Mon savant ami, car c’est un savant, et des plus distingués, mon savant ami est coutumier du fait ; quand une question scientifique l’intéresse, il perd de vue toute convention sociale ; il faut que son enthousiasme déborde coûte que coûte. C’est une nature expansive par excellence et, comme toutes les natures expansives, le meilleur et le plus sympathique des hommes. C’est un original dans toute l’acception du mot, et en même temps un étourdi, bien connu dans toute la colonie par ses extravagances de savant souvent perdu dans les nuages.

« On raconte de lui plusieurs traits assez amusants, et entre autres celui-ci, dont je puis vous garantir l’exactitude, car lui-même me l’a rapporté : une nuit il se réveille, allume une bougie pour voir l’heure et cherche ses lunettes, – car, il faut vous le dire, il est extrêmement myope et à l’œil nu ne peut distinguer ni les aiguilles ni les divisions du cadran de sa montre ; – il cherchait donc ses lunettes quand, par hasard, ses yeux tombèrent sur sa pendule et, ô miracle ! il lut sans peine l’heure marquée par les aiguilles. Là-dessus il souffle sa lumière et se rendort, persuadé que sa myopie a disparu et se proposant de faire à l’Académie force rapports sur ce cas étrange.

« Le lendemain matin, en se réveillant, il s’aperçut qu’il s’était couché et avait dormi avec ses lunettes sur le nez.

« Cette faiblesse de sa vue est terrible et l’a beaucoup gêné lors des deux belles explorations qu’il fit dans le nord de Madagascar il y a quelques années. Je ne serais pas étonné qu’à notre dîner de ce soir il vous entretienne lui-même, avec sa verve charmante, de sa célèbre myopie et ne s’en moque agréablement. Vous pourrez juger quel homme aimable il fait. On peut le dire, il a résolu le problème d’avoir mille amis sans un seul ennemi. «

Sur ce le gouverneur s’informa de sa chaloupe à vapeur. Prévenue de sa visite à bord de l’ Argonaute, elle l’attendait au pied de l’échelle ; il prit congé de ses hôtes et s’embarqua aussitôt.

Les invités du premier magistrat de Diégo-Suarez furent exacts au rendez-vous, et peu d’heures après tous trois étaient présentés aux personnages influents de la colonie, réunis dans les salons de la résidence. Le capitaine d’Ex y retrouva M. Gradnier. Plus calme et plus correct, le savant lui serra chaleureusement la main, puis, avec un air de mystère, il le conduisit dans un petit salon alors vide et, sans autre préambule, lui fit la proposition suivante :

« Il y a tantôt deux mois j’appris votre projet de traverser Madagascar en ballon. Depuis j’ai songé journellement au moyen le plus propre à employer pour me faire agréer par vous comme collaborateur dans votre œuvre qui m’enthousiasme. Vous connaissez ma manie d’exploration. La satisfaction de cette manie m’a amené à recueillir quelques mots de l’idiome parlé d’une façon générale dans l’île, et je crois connaître assez la langue usuelle des indigènes de Madagascar pour pouvoir me faire comprendre facilement d’eux ; c’est pourquoi je viens vous offrir de remplir auprès de vous le rôle de l’interprète que, m’at-on dit, vous cherchez en vain depuis plusieurs mois. J’ai aussi certaines connaissances de la langue anglaise, assez répandue ici. Peut-être ces considérations vous amèneront-elles à accepter mon concours ?

– Nulle proposition, répondit le capitaine, ne pouvait être à la fois aussi agréable et aussi flatteuse à entendre pour mes compagnons et pour moi, et je vous assure, monsieur, que j’accepte avec le plus grand empressement votre offre de collaboration ; de ce moment vous êtes inscrit comme passager de l’ Éclaireur.

« Votre connaissance de l’idiome malgache et de l’anglais nous sera extrêmement précieuse, et vous ferez un compagnon d’une valeur inappréciable, non seulement par vos services comme interprète en deux langues, mais encore par votre connaissance approfondie de l’île et des habitants, ainsi que par votre haute compétence géographique. Je me félicite maintenant de l’insuccès de nos recherches d’un interprète, puisqu’au dernier moment il s’en présente un de votre mérite, qui sera aussi pour nous un compagnon charmant et un aide précieux à bien d’autres points de vue.

– Vos paroles sont trop flatteuses, capitaine, répondit le postulant, dans les yeux duquel se lisait la satisfaction de se voir agréé, et elles augmentent encore ma joie d’être accepté par vous comme votre humble collaborateur, mon rêve depuis deux mois.

« Si les connaissances d’un vieux Madécasse peuvent vous être utiles, je vous prie de les mettre immédiatement à contribution, et pour vous encourager à en user sans réserve, j’agirai avec vous en vrai curieux, en vous posant une question touchant vos desseins actuels : avez-vous arrêté le point d’où s’envolera l’aérostat ? Ce point, si je comprends bien votre méthode de navigation, devra se trouver placé non loin du 17 e parallèle ?

– D’après les conseils du gouverneur, répondit d’Ex, nous avons l’intention d’exécuter le gonflement dans l’île SainteMarie, située justement sur ce 17 e parallèle ; nous y serons entièrement à l’abri des insultes des insurgés. Ce choix vous paraît-il judicieux ? – On ne pourrait certes en faire un meilleur ; et SainteMarie vous offrira, soyez-en assuré, toutes les facilités pour mener à bien l’opération.

– Y trouverons-nous les ressources en hommes qui nous sont nécessaires ? Il nous faut une quarantaine de manœuvres pour aider nos dix aérostiers à diriger le gonflement, et bien que le rôle de ces manœuvres doive être très simple, encore exige-til de leur part une certaine intelligence, et surtout une grande docilité.

– Les Malgaches en général, et en particulier les Betsimisaraka, qui habitent Sainte-Marie et la côte est de la GrandeTerre, sont loin d’être inintelligents, et vous trouverez parmi eux les hommes dont vous avez besoin. Un emplacement favorable ne fera pas non plus défaut, car Sainte-Marie présente, surtout dans sa partie méridionale, de vastes espaces sablonneux merveilleusement appropriés par la nature pour constituer, presque sans travail, une plate-forme où effectuer le gonflement de votre ballon. Une seule chose m’inquiète ; comment traverserez-vous, avec votre aérostat gonflé, le canal de Tintingue, qui sépare Sainte-Marie de Madagascar ?

– Oh ! ceci, répondit d’Ex, ne présentera aucune difficulté : nous partirons par un vent d’est bien stable, chose facile, car l’alizé souffle dans cette direction et presque constamment sur l’île à l’époque actuelle ; ce vent nous portera droit sur Madagascar, sans même le secours de notre machine. Le canal est, je crois, peu profond, et l’aérostat pourra le traverser en guideropant, – c’est-à-dire en laissant traîner son câble métallique ou guide-rope sur ses fonds, – et cela sans crainte de toucher les flots de la mer avec sa nacelle ; cependant, s’il était nécessaire, nous pourrions faire une partie de la route en ascension libre. D’après mes calculs, la durée de la traversée n’excédera pas deux heures.

– La grande longueur de votre câble à la traîne permettra certainement de traverser les bras de mer sans avoir recours à la navigation à ascension libre ; l’île Sainte-Marie ou Nossi-Boraha paraît, en effet, être le reste d’un ancien cordon littoral allant de Foulepointe au cap Masoala, et autrefois séparé de la terre ferme par de simples lagunes de peu de profondeur.

« Puisque je suis en train de vous questionner, ajouta Gradnier, permettez-moi de vous demander si ce choix de Sainte-Marie n’est pas défavorable à un autre point de vue : peu après avoir abordé Madagascar nous aurons à franchir les montagnes de l’Alaotra, qui courent parallèlement à la côte : n’y aurait-il pas avantage à les éviter ?

– Cet intérêt est assez faible, répondit d’Ex, et le franchissement de ces montagnes ne nous causera d’autre désagrément qu’une dépense un peu forte de lest ; d’ailleurs, quel que soit le point de la côte orientale choisi pour le départ, l’inconvénient resterait le même : cette chaîne de hauteurs ne va-t-elle pas du cap d’Ambre au cap Sainte-Marie sans discontinuité ?

– Vous êtes là dans une grave erreur, répliqua vivement le futur interprète de l’expédition, l’île n’a pas la structure régulière de chaînes de montagnes que lui prêtaient les anciens géographes ; elle présente au nord et au sud des massifs irréguliers reposant sur un socle commun de hautes terres, et s’abaissant parfois complètement, comme cela se produit précisément à 1° au nord de Sainte-Marie. Ces hautes terres descendent vers la mer par des pentes inégales, suivant la loi de la constitution générale des plateaux montagneux ; ici la déclivité occidentale est beaucoup plus douce que la déclivité orientale, elle va jusqu’à l’Océan par de vastes plaines peu élevées, et travers lesquelles notre aérostat aura à exécuter la majeure partie de son parcours. La partie orientale, au contraire, a des pentes rapides et se prolonge sous les flots par des berges de plus de trois mille mètres de profondeur.

« Au sud de Tananarive s’élèvent les sommets les plus hauts de l’île, ce sont les monts d’Ankaratra ; leur pic le plus élevé, la Tsiafa-Javona ou montagne nuageuse, a 2 600 mètres d’élévation.

« À l’ouest de la baie d’Antongil se trouve encore une montagne importante, l’Ambinivini, du plus formidable aspect ; une de ses parois se dresse, d’un seul jet, à plus de 600 mètres audessus de la vallée.

« Enfin, comme curiosité orographique, il convient de mentionner notre voisin, le mont d’Ambre. J’eusse été heureux de vous faire visiter en détail ses eaux thermales jaillissantes ; vous auriez constaté, parmi ces rochers, le dégagement continuel de ces bouffées d’acide carbonique, mortelles aux insectes, dont ce paradis est totalement dépourvu grâce à ce gaz, insecticide bien supérieur à toutes nos fabrications européennes. Je vous eusse aussi montré le sanatoire ou hôpital de convalescents de Diégo-Suarez, installé depuis peu sur la montagne. »

Entraîné par son sujet favori, Gradnier eût parlé de sa chère île pendant longtemps encore, si le gouverneur et l’ingénieur Saubd n’étaient venus l’arrêter en se mêlant à la conversation. Ils furent mis au courant de sa résolution de prendre part au voyage, et le gouverneur ne ménagea ses compliments ni aux membres de l’expédition pour la recrue distinguée qui venait compléter l’équipage de l’aérostat, ni au géographe pour son heureuse idée à mettre à profit un nouveau moyen d’exécuter sa troisième exploration de l’île.

Durant le dîner, la nouvelle se répandit rapidement, et de toutes parts les félicitations les plus chaleureuses vinrent se joindre à celles du gouverneur ; chacun donna son avis sur la hardie tentative, avis en général favorables, mais entremêlés cependant de quelques critiques montrant l’incrédulité de certains convives ; chacun émit son opinion sur les précautions à prendre et les objets soi-disant indispensables à emporter. Si les aéronautes se fussent conformés à tous ces conseils, tous d’ailleurs excellents, l’aérostat eût certainement été assez chargé pour rendre le départ tout au moins problématique. À entendre certains convives, l’emport d’une chaloupe à vapeur était indispensable pour sauver les aéronautes dans le cas où leur navire aérien serait jeté à la mer. À entendre certains autres, un canon n’eût pas été de trop pour empêcher les indigènes d’arrêter le ballon en saisissant le guide-rope. Aux uns et aux autres les deux amis répondirent que l’aérostat était aménagé pour pouvoir, en tous cas, se tirer d’affaire, même s’il était jeté à la mer ; quant aux indigènes, s’ils saisissaient le guide-rope métallique, la machine dynamo-électrique dont était pourvue la nacelle pour son éclairage intérieur était à même de leur infliger des secousses suffisantes, et l’envie leur passerait rapidement d’inquiéter la marche du navire aérien.