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Extrait : "Lorsque l'on transporte un chat de la maison où il est né dans une nouvelle demeure, le premier soin de l'animal est en quelque sorte de dresser l'inventaire des lieux qu'il doit habiter. À peine l'a-t-on tiré du panier dans lequel il a fait son voyage, qu'on le voit regarder avec attention autour de lui, gagner à la hâte un coin obscur, et là, sombre et accroupi, réfléchir profondément..."
À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN
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Seitenzahl: 325
Veröffentlichungsjahr: 2015
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EAN : 9782335047905
©Ligaran 2015
J’ai l’honneur de vous présenter M. Paul et Mlle Math…
Mais non, la présentation est pour le moment impossible. Comment, dans la situation où ils se trouvent, mettre mon héros et mon héroïne en évidence ? D’abord où sont-ils ? Je vois un bras par-ci, j’aperçois une jambe par-là ; de ce côté, je distingue quelque chose qui ressemble à une tête ; j’entends de petits grognements sortir d’une brouette renversée, puis des soupirs plaintifs. Il faut avouer que le lieu a été mal choisi pour renverser, les pieds en l’air, la grande brouette du père Antoine. Nous sommes au bord d’une mare à l’eau bien verte, bien noire, bien fangeuse, et c’est l’endroit qu’a choisi la brouette pour se retourner traîtreusement sens dessus dessous.
Il y a moins d’un quart d’heure, Mlle Mathilde était vêtue d’une robe bleue, de bas bien tirés, d’un tablier couleur de neige. Ses cheveux bruns, dont les boucles étaient retenues par un ruban d’un bleu plus tendre encore que celui de sa robe, encadraient à merveille son frais visage, M. Paul, non moins coquet dans sa mise, se cambrait dans une veste marron, et, au-dessus d’une collerette plissée s’épanouissait son visage rose couronné de cheveux blonds. Dans leur simple costume, c’étaient deux petits êtres assez agréables à contempler que M. Paul et Mlle Mathilde. Je crois même que ce fut leur bonne mine qui m’inspira l’idée de vous les présenter. Hélas ! je ne sais quel mauvais génie venait de passer par là pour tout gâter. Franchement, j’aurais tort d’attirer l’attention sur ce petit garçon au nez barbouillé de boue, aux vêtements souillés d’eau verte, aux cheveux ébouriffés, lequel se tire à grand-peine des brancards de la brouette. Quant à sa sœur, la jeune personne qui, le visage baigné de larmes, marche à quatre pattes pour sortir de dessous le véhicule renversé, je suis forcé d’y regarder moi-même à deux fois pour découvrir à quel sexe elle appartient. M. Paul a le front enrichi d’une grosse bosse ; il est sérieux comme un docteur. Mlle Mathilde a la joue ornée d’une égratignure ; elle pousse de temps à autre un léger sanglot.
« Qu’est-il arrivé, bon Dieu ? ne puis-je m’empêcher de m’écrier, à la vue de ce spectacle navrant.
– C’est Paul, répond Mlle Mathilde.
– C’est la brouette, réplique M. Paul.
– La brouette ne m’a rien fait du tout, reprend la petite fille ; c’est Paul qui l’a poussée du côté de la mare. »
M. Paul se frotte le front, regarde son interlocutrice et dit avec vivacité :
« Mathilde se trompe, papa, je n’ai pas poussé la brouette vers la mare ; c’est au contraire la brouette qui m’a entraîné, ce qui n’est pas la même chose. Nous étions là-haut, sur le bord ; je voulais aller du côté du bois, la brouette a tourné à droite ; j’ai essayé de la retenir, file a été plus forte que moi ; alors nous avons roulé tous les trois, Mathilde sous la brouette, puisqu’elle était dedans. »
Je n’avais pas besoin de cette explication pour comprendre la catastrophe dont je voyais les résultats. La taille de M. Paul, la dimension de la brouette et la disposition du terrain parlaient assez clairement. Si quelque chose pouvait me surprendre, c’est que le conducteur, la brouette et Mlle Mathilde n’eussent pas pénétré plus avant dans la mare.
« C’est Paul, s’écrie de nouveau Mathilde.
– C’est la brouette ! réplique péremptoirement celui-ci.
– Non.
– Si. »
J’impose silence aux deux petits êtres méconnaissables qui sont devant moi, et j’ai de la peine à réprimer mon envie de rire en les voyant indignés l’un contre l’autre comme deux jeunes coqs, et si bien barbouillés. Le bruit des respirations haletantes succède aux récriminations. M. Paul continue à se frotter le front, tout en regardant la brouette, et Mlle Mathilde, à force d’essuyer ses larmes, achève de faire disparaître son visage sous un masque de terre.
« Je voudrais d’abord savoir, dis-je, qui vous a autorisés à vous servir de cette brouette et surtout à la conduire où la voilà.
– Je l’ai amenée jusque là-haut, répond M. Paul en me montrant la crête du talus ; mais elle est descendue toute seule ici. La preuve, c’est que plus je voulais la retenir, plus elle tirait fort. Mathilde a eu peur, elle a crié d’arrêter, la brouette ne l’a pas écoutée, puis c’est tout.
– Alors, vous avez trouvé la brouette en haut du talus ?
– Non, papa, elle était sous la remise ; mais tu vas voir : nous passions pour aller jouer, Mathilde et moi, quand nous l’avons aperçue. « Si tu étais fort, m’a dit Mathilde, tu serais le cheval, je m’assoirais dans la brouette qui serait l’équipage, et j’irais en voiture. » Je lui ai répondu que fêtais très fort, que grand-maman le disait à tout le monde, que je voulais bien être cocher, mais pas cheval. Elle m’a répondu que cela lui était égal, pourvu que je la promène dans la brouette. Alors elle est montée dedans, et ça n’allait pas trop bien, parce qu’elle n’était pas assise au milieu. À la fin ça roulait presque seul. Alors Mathilde m’a dit : « Allons vers le bois, ce sera censé les Champs-Élysées. » Arrivés là-haut, la roue a tourné, les brancards ont remonté, nous avons roulé, puis c’est tout.
– Non, ce n’est pas tout ! s’écrie Mlle Mathilde. Je lui avais recommandé d’aller doucement, et il a couru très vite ; je lui avais demandé s’il était très fort, il m’avait répondu que oui, et il n’a pas été très fort.
– Comment ! je ne suis pas fort ? réplique M. Paul d’un ton indigné. Remonte donc dans la brouette, et tu vas voir.
– J’ai assez vu, dit Mathilde en reculant d’un pas ; je ne veux plus de la brouette, je n’y remonterai jamais.
– Voilà qui est bien, dis-je à mon tour ; mais, si l’idée de transformer une brouette en voiture vous passe dorénavant par la tête, je vous défends expressément de la conduire du côté de la mare, du l’étang ou des fossés. Maintenant retournez à la maison, et priez votre sœur Hortense de faire disparaître les traces de votre mésaventure, avant que votre maman voie le bel état dans lequel vous avez mis vos toilettes. »
Les deux enfants s’éloignent et se dirigent à pas comptés vers la maison. Ils sentent bien qu’ils ne seront pas accueillis par des félicitations.
« C’est de la faute, murmure Mathilde qui sanglote de plus belle.
– C’est la brouette, répond imperturbablement M. Paul.
– Tu ne pleures pas, toi, répond la petite fille ; tu aimes le pain sec.
– Je ne pleure pas, parce que je suis un homme ; mais je n’aime pas plus que toi le pain sec lorsqu’on m’en donne pour me punir », répond M. Paul.
Au moment où le frère et la sœur, qui ont gravi le perron, l’un par la droite, l’autre par la gauche, se rencontrent devant la porte d’entrée et franchissent ensemble le seuil, j’entends répéter : « C’est de ta faute », et : « c’est la brouette ».
M. Paul est un jeune homme de huit ans, blond, rose, les yeux bleus, et taillé comme un petit hercule. Bien qu’il ait été vaincu par une brouette posée sur un plan incliné, il est en réalité très fort pour son âge. M. Paul est sérieux, avide de savoir, studieux par conséquent, et le plus terrible logicien de la famille. Il argumente avec son grand frère Émile et veut éternellement connaître le dernier pourquoi des choses ; aussi ses frères et sœurs l’appellent-ils familièrement M. Pourquoi. Au demeurant, c’est un bon petit garçon, franc, raisonnable, un peu rageur, aussi ardent à l’étude qu’il l’est au jeu, ce qui n’est pas peu dire. En dépit de sa logique à outrance, M. Paul sait se faire aimer de tout le monde ; c’est, je crois, le plus bel éloge que puisse mériter un enfant.
Mlle Mathilde, mince, vive et légère personne qui touche à sa neuvième année, est aussi mignonne que son frère est robuste. Élevés côte à côte, rapprochés par leur âge, le frère et la sœur sont inséparables, bien que leurs journées s’écoulent en perpétuelles discussions. Fine, malicieuse, un peu taquine, Mlle Mathilde se joue facilement du bon gros Paul. Les éternelles controverses du frère et de la sœur sur toutes les branches des connaissances humaines sont la joie de la maison, car il faut toujours un Salomon pour les mettre d’accord. En somme, ces deux petits êtres s’aiment tendrement, et l’on ne voit guère la tête blonde de l’un sans découvrir la tête brune de l’autre. Cette association a parfois des résultats fâcheux : Mathilde conçoit, Paul exécute, et des catastrophes, comme celle de la brouette renversée, viennent souvent égayer les grands frères et désoler les grandes sœurs, plus spécialement chargées de réparer les dégâts. M. Paul et Mlle Mathilde ont pour Mentors ordinaires maître Émile et Amélie, – que ceux de nos lecteurs qui ont lu Entre Frères ci Sœurs connaissent déjà, – et pour complice un joli petit démon de quatre ans qui répond au nom d’Hélène. Hélène ne possède pas encore une juste idée des choses ; elle sait faire des bâtons et prétend savoir écrire ; elle connaît ses lettres et prétend savoir lire ; elle a un manchon comme Amélie et se dit une grande personne, assertions qui désespèrent le logicien Paul et font sourire la malicieuse Mathilde.
Un mot sur le lieu de la scène : nous sommes à la campagne, dans une maison perdue au milieu d’un parc de plusieurs hectares, où se trouvent un bois, un étang, une prairie, un ruisseau d’eau vive. Un vieux jardinier, le père Antoine, est un peu le maître sur ce territoire dont il a planté presque tous les arbres. Le père Antoine ignore la distance qui nous sépare du soleil ; il n’est pas convaincu que la terre soit ronde, et, à la grande stupéfaction de M. Paul, il confond volontiers l’Amérique avec l’Afrique. En revanche, il vous dira le nom des arbres, des plantes, des oiseaux, des poissons qui vivent sur son domaine ; il sait labourer, pécher, chasser, greffer, semer, planter, transplanter et fabriquer, avec de simples fétus de paille, des sifflets qui chantent comme des flûtes, des moulins qui tournent au moindre vent, et mille autres jolies choses. Ses nombreux talents, joints à sa bonté, le font adorer de M. Paul et de Mlle Mathilde.
Durant leur séjour dans ces parages, c’est-à-dire pendant les vacances de 1874, M. Paul et Mlle Mathilde ont appris tant de choses intéressantes et qu’il est presque indispensable de savoir, que j’ai été tenté de raconter leurs faits et gestes, leurs voyages du bois à la prairie, leurs découvertes du verger à l’étang, leurs aventures et mésaventures, leurs jours de pluie et de soleil. J’allais, scion les règles de la plus stricte étiquette, les présenter à leurs jeunes contemporains, lorsque…
Eh ! mais, je les vois en ce moment apparaître frais, roses, souriants. Ils sont là, se tenant par la main, sur le perron de la maison. Les cheveux ont été remis en ordre, les visages et les mains lavés à grande eau, les habits brossés ou changés. La bosse et l’égratignure produites par la mauvaise conduite de la brouette ont valu leur pardon aux deux coupables, considérés comme suffisamment punis par leurs blessures. En somme, le frère et la sœur sont très avouables pour le quart d’heure ; aussi, avant qu’ils descendent du perron qu’ils occupent, ai-je l’honneur de vous présenter, chers lecteurs et chères lectrices, M. Paul et Mlle Mathilde, dont, je l’espère, vous ne lirez ni sans fruit, ni sans sourire, ni sans attendrissement, la véridique histoire. La petite personne qui, des marches du perron, les contemple avec tant d’attention, surprise sans doute de les voir si blancs alors qu’ils étaient si noirs tout à l’heure, c’est Mlle Hélène.
« Dis donc, tu m’y conduiras dans la brouette ? murmure-t-elle en tirant M. Paul par la manche. »
Celui-ci, comme Hippocrate refusant les présents d’Artaxercès, détourne la tête et lève les bras.
« Non, ma chérie, répond Mathilde d’un ton maternel, il ne te conduira pas dans la brouette, c’est défendu ; mais sois tranquille, va, il te conduira dans autre chose. »
Maintenant nous allons suivre pas à pas notre jeune héros et sa sœur ; nous savons qu’ils aiment à s’instruire, qu’ils veulent apprendre le pourquoi des choses, et nous avons chance d’acquérir plus d’une connaissance utile, pour peu que nous ayons la patience de les écouter.
L’arrivée. – Première reconnaissance. – Le mont Blanc. – De quelle nature est le courage de Mathilde. – Laitues, romaines, scaroles et chicorées. – Le raifort et les radis. – Le chien Trompette. – Jusqu’où l’on peut aller en marchant droit devant soi.
Lorsque l’on transporte un chat de la maison où il est né dans une nouvelle demeure, le premier soin de l’animal est en quelque sorte de dresser l’inventaire des lieux qu’il doit habiter. À peine l’a-t-on tiré du panier dans lequel il a fait son voyage, qu’on le voit regarder avec attention autour de lui, gagner à la hâte un coin obscur, et là, sombre et accroupi, réfléchir profondément. Au bout d’une heure, quelquefois plus, le chasseur de souris, l’échine basse, presque rampant, sort lentement de sa cachette et passe une revue aussi générale que minutieuse des chambres, des meubles, des escaliers, des greniers, de la cave, de la cuisine surtout. Maître Matou flaire, se hausse, grimpe partout, s’arrête longtemps devant une armoire, sur le seuil d’une porte ; puis, revenu à son point de départ, il semble réfléchir de nouveau. Si la maison, dont il connaît maintenant toutes les issues, lui convient, il s’établit près d’une fenêtre que baigne le soleil et ronronne avec satisfaction. Dans le cas contraire, ranimai, une fois la nuit venue, se met en route et regagne le lieu de sa naissance avec une sûreté d’instinct qui a toujours émerveillé les naturalistes, et même les gens moins observateurs que M. de Buffon ou M. Cuvier.
Ce ne fut pas, bien entendu, dans un panier, mais dans une carriole, que M. Paul et Mlle Mathilde furent amenés à Chambrecy. On avait voyagé en chemin de fer jusqu’à Reims ; à quatre heures du soir, on était monté dans la voiture du courrier ; puis, à huit heures, on avait mis pied à terre devant la maison que l’on allait habiter. Mlle Mathilde se réjouissait sincèrement d’être arrivée. Blottie au fond de la voiture, elle n’avait rien vu, puisqu’il faisait nuit, et elle s’était beaucoup ennuyée, car elle n’aimait pas à rester immobile. Quant à M. Paul, il regretta presque d’être arrivé au terme du voyage. Le cocher l’avait pris sur son siège, lui avait confié son fouet et ses guides, et le petit bonhomme crut avoir conduit les chevaux durant une moitié de la route. Aussi accepta-t-il résolument l’offre du courrier, qui lui proposait de l’emmener trois lieues plus loin. Cependant la vue de ses frères et de ses sœurs lui criant qu’on l’attendait pour dîner ébranla la décision du jeune voyageur, qui, en outre, s’inquiéta en entendant pousser de gros soupirs. La lumière de la lanterne avant été dirigée du côté d’où parlaient lesdits soupirs, on vit Mathilde en larmes.
« Pourquoi pleures-tu ? demanda Paul en courant vers sa sœur.
– C’est que tu veux partir, et que je vais m’ennuyer toute seule ici », répondit la petite fille.
Sans remarquer l’égoïsme de la seconde partie de la phrase, Paul embrassa la compagne de ses jeux.
« Je reste, s’écria-t-il, et si tu t’ennuies, eh bien, je m’ennuierai avec toi. »
Cette première soirée, vous le devinez, fut employée à visiter la maison. On voulut tout voir avant de se coucher, et, à l’exception de la cave, du grenier et du four, on vit tout en effet. On trouva la maison fort belle, et l’on admira beaucoup le grand vestibule vitré qui, les jours de pluie, devait servir de salle de récréation. Paul calcula que le vestibule était assez long pour que l’on pût y jouer à la balle, Mathilde qu’il était assez haut pour que l’on pût y jouer au volant, et tout fut déclaré parfait dans la meilleure des maisons possibles.
Bien qu’il se fut couché très tard, oh n’eut pas besoin, le lendemain, de réveiller M. Paul. Il se leva presque en même temps que le soleil et se hâta de habiller. Il descendit aussitôt dans le jardin, et, avisant un monticule situé un peu en arrière de la basse-cour, il se dirigea vers cette montagne, dont il gravit la pente. Parvenu sur le faîte, il s’arrêta émerveillé. À sa droite et à sa gauche, des bois avec de grands arbres, des prairies avec de grandes herbes ; puis encore des bois et des prairies, et comme ça de tous les côtés, pour employer l’expression du spectateur. L’enfant s’abîma dans sa contemplation et tressaillit en entendant une petite voix qui l’appelait.
« Paul, où es-tu ? disait Mathilde, qui, de même que son frère, s’était levée sans se faire prier.
– Ici, sur la montagne. »
Mathilde leva les yeux à une hauteur de 4 810 mètres, qui est celle du mont Blanc ; mais, comme c’était beaucoup trop haut, elle fut obligée d’en rabattre et d’abaisser graduellement ses regards jusqu’au sommet du monticule où elle découvrit enfin son frère. Il occupait le sommet de l’éminence, qui, bien qu’elle fût très inférieure au mont Blanc, parut encore extraordinairement élevée à la petite fille.
« Qui t’a monté si haut ? lui cria-t-elle avec admiration.
– Moi tout seul, pardine ! Viens.
– Où est l’escalier ? » demanda la petite fille.
Paul se mit à rire.
« Les montagnes n’ont pas d’escalier, dit-il ; on les gravit en se cramponnant aux buissons, aux roches ou aux arbres.
– Où sont les roches ? Où sont les buissons ?
– Tu les verras quand tu seras ici, grimpe d’abord. »
Mathilde s’engagea sur la montée. Elle choisit sans doute mal sa route, car, à moitié chemin, elle fut forcée de s’arrêter et réclama du secours. Sans calculer les conséquences de son action, Paul se lança en courant sur la pente. Il rencontra bien la main que lui tendait Mathilde ; mais, ne pouvant plus s’arrêter, il entraîna d’abord sa sœur dans sa course, puis dans sa chute ; et voilà, nos deux grimpeurs de montagne roulant côte à côte jusqu’au bas de la descente ! Ils se relevèrent à la fois, et ce fut à la fois aussi qu’ils s’écrièrent : « C’est de ta faute ! »
Pour le moment leur curiosité remporta sur leur mauvaise humeur. Au lieu de récriminer, ils recommencèrent leur ascension et arrivèrent essoufflés, mais sains et saufs, sur le sommet du monticule.
« Tout ça, c’est à nous ! s’écria Paul en tournant sur lui-même et en désignant du doigt l’immense horizon qui se déroulait au-dessous de lui.
– Ce sont des savanes et des forêts vierges », dit sentencieusement Mathilde.
Paul hocha longtemps la tête en signe d’assentiment.
« As-tu du courage ? demanda-t-il soudain à sa sœur en la regardant en face.
– Cela dépend, répliqua Mathilde. J’ai du courage pour entrer dans une chambre où l’on ne voit pas clair, et je n’en ai pas pour me laisser arracher une dent.
– Il fait plus noir dans les forêts que dans les chambres, répondit Paul ; mais voyons, as-tu peur des bêtes ?
– J’ai peur des guêpes.
– Je ne parle pas de ces bêtes-là, je parle des lions, des éléphants, des rhinocéros.
– Je n’en ai pas peur lorsqu’ils sont enfermés dans des cages, comme au Jardin des Plantes.
– Et si tu les rencontrais dans un bois ?
– Je n’aurais peut-être pas peur, seulement je me sauverais tout de suite.
– Alors tu me laisserais dévorer ?
– Non, je courrais prévenir à la maison. »
Paul hocha de nouveau la tête, cette fois d’un air peu approbateur.
« J’irai tout seul », dit-il en étendant la main vers le bois.
Mathilde l’enlaça de ses bras et le conjura de n’en rien faire. Puis, au lieu de le convaincre, elle fut convertie elle-même par une suite d’arguments dont la justesse laissait sans doute à désirer, et promit d’accompagner son frère dans ses explorations, à la condition, pourtant, qu’après chaque voyage ou reviendrait déjeuner et dîner à la maison. Les deux voyageurs se promirent de se garder le secret, et, leur pacte conclu, ce fut sur leurs jambes et non plus sur le dos qu’ils regagnèrent le bas de la montagne.
Se tenant par la main, ils se dirigèrent vers le potager, où le père Antoine, armé d’un râteau, égalisait la terre d’une plate-bande.
« Bonjour, monsieur Antoine, dirent à la fois les deux enfants.
– Bonjour, mes petits amis, répondit le vieillard en se redressant. Avez-vous donc l’habitude de vous lever de si bonne heure ?
– Oui, monsieur Antoine, pour apprendre nos leçons, répondit Mathilde.
– Pourquoi donc arrangez-vous de si beaux petits carrés de terre ? demanda Paul au jardinier.
– Pour y semer des salades et des légumes.
– Et quelles salades allez-vous semer dans celui-ci ?
– Des laitues.
– Où les prendrez-vous ?
– Les voici, répondit le père Antoine en montrant de petites graines plates d’une couleur cendrée et couvertes de duvet.
– Ça, des laitues ! s’écria Mathilde d’un ton incrédule.
– C’est du moins de la graine de laitue, répliqua le jardinier. Ne savez-vous pas, ma chère demoiselle, que presque toutes les plantes naissent de graines qui ont mille formes différentes ? Je vais semer celles-ci sur ce carré de terre ; elles vont germer, c’est-à-dire produire une racine qui s’enfoncera dans le sol, et des feuilles qui sortiront au jour ; puis, racines et feuilles, grandissant ensemble, nous donneront avant deux mois de belles laitues dont vous vous régalerez.
– Je croyais, dit Mathilde, que la salade poussait toute seule dans les champs.
– Vous ne vous trompiez pas de beaucoup, reprit le père Antoine ; c’est en effet dans les champs et dans les bois, parmi les plantes sauvages, que l’homme a trouvé les espèces qui lui servent aujourd’hui d’aliment. Dès qu’il a su qu’un légume était bon à manger, il s’est mis à le cultiver pour le rendre meilleur, car vous devez savoir que le travail n’est jamais perdu. La laitue sauvage, par exemple, qui pousse dans les bois, au bord des chemins, est épineuse, dure et amère. Grâce à la culture, non seulement on l’a rendue tendre et savoureuse, mais on a pu en produire de vingt espèces, car vous savez qu’il y a des laitues pommées, frisées, rousses, sans compter la laitue romaine que nous nommons ici chicon. Il en est de même de la chicorée sauvage, qui a donné naissance à plusieurs variétés que l’on nomme chicorée blanche, chicorée frisée, escarole ou scarole et barbe-de-capucin. Votre frère Lucien, ajouta le vieillard, m’a appris l’autre jour – on apprend aussi bien à mon âge qu’au vôtre – que la laitue doit son nom au suc laiteux qui apparaît sur les côtes de ses feuilles lorsqu’on les rompt. Ce suc a quelques-unes des propriétés du suc des pavots, c’est-à-dire de l’opium ; il fait dormir. Les Romains avaient remarqué cette propriété de la laitue, et ils en mangeaient volontiers à leur souper, afin de s’assurer un bon sommeil.
– Et qu’allez-vous semer dans cet autre carré ? demanda Paul.
– Des radis, répondit le père Antoine.
– Est-ce qu’il y a aussi des radis sauvages ?
– Certes : le radis rose, par exemple, qui vient de Chine, puis le radis noir et le raifort.
– Le raifort, je le connais, dit Paul ; j’ai voulu en manger une fuis, et il m’a piqué aussi fort que de la moutarde.
– Aussi le nomme-t-on moutardelle dans nos campagnes, dit le père Antoine en riant de la grimace faite par le petit garçon au souvenir de sa mésaventure.
– Est-ce que votre chien Trompette est malade, monsieur Antoine ? demanda Mathilde. Hier soir, il n’a pas voulu jouer avec nous.
– Malade ? répondit le jardinier. Ne le voyez-vous pas près du châssis, qui se chauffe au soleil comme un paresseux ?
– Il ne mord pas ?
– Jamais ceux qu’il connaît.
– Alors je voudrais faire sa connaissance, dit Paul, pour n’avoir plus peur de ses dents.
– Moi aussi, ajouta Mathilde. »
Le père Antoine siffla. Aussitôt un beau caniche accourut en gambadant, et lus deux enfants se pressèrent l’un contre l’autre.
« N’ayez pas peur, dit le jardinier, Trompette est un bon chien, et je parie qu’avant huit jours vous et lui serez d’excellents amis. Je dois vous prévenir que Trompette ne souffre pas qu’on lui tire la queue ni les oreilles, et qu’il se fâche lorsqu’on lui enlève les os qu’il a dans la gueule. En revanche, il aime le sucre, les enfants et les courses sur le gazon. Conduisez-vous bien avec lui et il se conduira bien avec vous, car il ne demande qu’à devenir votre camarade. Est-ce vrai, Trompette ? »
Le chien répondit par deux ou trois joyeux aboiements, alla flairer les mains de M. Paul et de Mlle Mathilde, puis promena sa langue sur la joue de la petite fille qu’un peu de frayeur rendit toute rouge. Rappelé à l’ordre par son maître, Trompette s’assit sur son train de derrière et fit le beau, à la grande admiration des deux enfants. Un quart d’heure plus tard, Paul, Mathilde et Trompette couraient, sautaient, roulaient sur l’herbe de la prairie ; on s’aimait déjà.
Dans l’après-midi, Mlle Hélène fut présentée à Trompette qui accepta, en agitant sa queue comme un éventail, un morceau de la tartine beurrée que la nouvelle venue tenait à la main. Cette première journée s’écoula rapide comme un rêve, tant le soleil était brillant, l’herbe verte et les fleurs bien épanouies. Vers le soir, on retourna sur la montagne pour examiner de nouveau la forêt que l’on comptait explorer. Paul parlait de lions, d’ours, de tigres, comme si l’on eût dû rencontrer à chaque pas quelques douzaines de ces terribles animaux. Mathilde souriait et se montrait un peu incrédule.
« Personne ne nous a défendu d’entrer dans le bois, disait-elle, et on ne nous laisserait pas aller par là, s’il y avait d’aussi grosses bêtes que cela.
– Je ne dis pas que les bêtes viennent au bord, répliquait Paul ; mais, quand nous serons tout au fond, tu verras. »
En ce moment on vit paraître Émile qui se dirigeait vers la maison.
« Attends un peu », lui cria Paul.
Et se tournant vers l’orient, c’est-à-dire vers le petit bois, il ajouta :
« Si je partais d’ici et si je marchais droit devant moi, où arriverais-je ?
– À Reims », dit Émile.
Un léger sourire effleura les lèvres de Mathilde.
« Passons par-dessus les villes et les fleuves, continua Paul. Et si je marchais toujours, toujours tout droit, où arriverais-je ?
– Eh bien, dit Émile en riant de la singularité de la question, en marchant toujours, toujours tout droit, tu arriverais en Hongrie.
– Et puis après ?
– En Russie.
– Et puis après ?
– En Tartarie.
– Et encore après ?
– En Chine, dans l’Inde. »
Paul saisit vivement la main de son frère et regarda fixement sa sœur :
« Et dis-moi, dit-il en scandant chacune de ses phrases, quels animaux trouve-t-on dans les forêts de l’Inde ?
– Des tigres, des serpents, des panthères.
– Merci, dit le petit bonhomme, c’est tout ce que je voulais savoir. »
Émile continua sa route.
« Me croiras-tu, maintenant ? dit à sa sœur l’implacable logicien. Pour rencontrer les animaux dont nous avons parlé, que faut-il faire ? Marcher toujours tout droit, ce qui n’est pas difficile.
– C’est vrai », répondit Mathilde devenue pensive.
Durant toute la soirée, la sagesse de M. Paul et de Mlle Mathilde tut si exemplaire qu’elle provoqua la surprise générale. Le petit garçon fourbissait son sabre et astiquait son fusil, tandis que la petite fille cousait à la hâte une poche de toile. Quand vint l’heure du repos, les deux futurs voyageurs s’embrassèrent avec effusion et se lancèrent un long regard d’intelligence.
On a su depuis que, cette nuit-là, Mathilde avait rêvé que Trompette n’était qu’un tigre déguisé, et Paul qu’il tuait un lion et que ce lion était aussi Trompette.
Le nouveau Robinson. – Un mauvais tour de Trompette. – Disgrâce momentanée de Vendredi. – Une habitation de taupe. – Les fraisiers. – Origine de la trompette. – La mésange. – Le pinson. – Vendredi redevient fidèle.
Paul et Mathilde avaient tant couru la veille qu’ils se réveillèrent tard le lendemain. À peine debout, ils songèrent à s’équiper pour leur exploration ; mais les grands frères et les grandes sœurs n’entendaient pas que l’on perdît tout à fait son temps durant les vacances, et le petit garçon dut travailler à un thème latin, tandis que sa sœur ourlait des mouchoirs. Le thème fut assez mal écrit, et les points des ourlets excitèrent l’indignation d’Amélie, tant ils étaient longs et inégaux. Il fut un moment question de faire recommencer cette besogne manquée, ce qui prouva aux deux enfants consternés que l’on ne gagne rien à travailler avec négligence. Les professeurs, par bonté d’âme, voulurent bien fermer les yeux pour cette fois sur l’irrégularité des lettres et des points de couture, à la condition que dorénavant les tâches seraient remplies avec tout le soin possible.
Après le déjeuner, les deux enfants eurent la clef des champs, et, comme le fit remarquer Paul, ce n’était pas cette fois tout à fait une métaphore, car, si l’on n’avait pas de clef, on avait du moins de vrais champs pour courir. Vers midi, Émile, tenant Hélène par la main, rencontra Paul et Mathilde sur la lisière du bois et ne put retenir un grand éclat de rire.
« Je te prenais pour Robin son ! » s’écria-t-il en regardant son jeune frère.
Paul devint rouge de plaisir ; ressembler à Robinson lui paraissait en ce moment le nec plus ultra de la félicité humaine. Aidé par sa sœur, il avait passé plus d’un quart d’heure à s’entourer les jambes de bandelettes et à se fagoter d’une peau de mouton dont la destination première était d’être un tapis. Coiffé d’un vieux manchon, le sabre à la ceinture, le fusil sur l’épaule, une ombrelle à la main, et la fameuse poche de toile cousue la veille pendue au côté, le petit garçon avait jugé à propos de se faire dessiner une paire de moustaches dont les formidables frisures lui envahissaient les joues. Mathilde avait été chargée de cette délicate opération, mais sa main inexpérimentée avait placé l’une des moustaches beaucoup plus haut que l’autre ; ce détail, qui donnait un air terrible à l’intrépide explorateur, devait évidemment suffire à épouvanter les lions que l’on ne manquerait pas de rencontrer.
Hélène, d’abord interdite à la vue du nouveau Robinson, le regarda longtemps avec surprise. Lorsque, après l’avoir entendu parler, elle fut assurée que c’était bien Paul qui était devant elle, et non quelque animal dangereux, ainsi qu’elle l’avait cru d’abord, elle se précipita sur lui, saisit l’ombrelle qu’il portait à la main et s’écria :
« Ça, c’est à moi !
– Oui, dit Paul ; mais tu veux bien me la prêter, n’est-ce pas ?
– Non, tu es trop laid.
– Il n’est pas laid du tout, reprît Mathilde, il est Robinson.
– Je ne veux pas qu’il soit Robinson avec mon ombrelle. »
On parlementa. Émile employa son influence ; ce fut en vain, Mlle Hélène refusa de céder.
« Je lui prêterai mon ombrelle quand il sera débarbouillé, dit-elle résolument ; à présent, il me la salirait. »
Et prenant le léger meuble entre ses bras, de peur qu’on ne le lui arrachât, la propriétaire de l’ombrelle s’enfuit en courant vers la maison, suivie de son grand frère.
« Ah ! dit Paul en se laissant tomber sur l’herbe, voilà notre voyage manqué.
– Pourquoi cela ? demanda Mathilde.
– Comment veux-tu que je sois Robinson pour de vrai, si je n’ai pas de parapluie ? Comment pourrai-je te défendre contre les animaux carnassiers qui voudront t’attaquer ?
– Ce n’est pas avec un parapluie qu’on tue les lions, répliqua Mathilde, c’est avec un fusil, et tu en as un. »
La réponse était logique, et l’on se disposait à se remettre en marche, lorsque Trompette, la queue pour le moins aussi enroulée que les moustaches de Paul, apparut en gambadant. À la vue du nouveau Robinson, le chien s’arrêta, l’examina en dressant les oreilles et secoua la tête de droite à gauche d’un air inquiet.
« Il t’admire, dit Mathilde à son frère, nous devrions l’emmener.
– J’y pensais », répondit Paul, qui appela Trompette.
Le chien courut vers l’enfant dont il reconnut la voix, et, dans son empressement à le caresser, fit tomber le manchon qui lui servait de coiffure. À peine à terre, le manchon fut ramassé par Trompette et triomphalement emporté. Voilà maître Robinson qui, embarrassé par son sabre, son sac, son fusil et sa peau de mouton, se met à courir après le ravisseur. Mais Trompette avait quatre jambes, et Paul, qui n’en possédait que deux, renonça promptement à sa poursuite. Grave, un peu fâché, il revint vers Mathilde qui riait de tout son cœur.
« Je n’ai plus besoin de Vendredi, dit-il d’un ton sévère, tu peux aller où tu voudras.
– Pourquoi ? demanda Mathilde avec surprise.
– Parce que, si un chien était venu voler le bonnet de Robinson, Vendredi se serait mis à courir pour le rattraper, au lieu de se mettre à rire comme toi.
– Ce n’est pourtant pas de ma faute si ton bonnet est tombé. »
En ce moment, on fut rejoint par le père Antoine. Le jardinier rapportait le manchon qu’il croyait avoir été ravi par son chien à la petite fille.
« Qu’est-ce que c’est que cela ? bon Dieu ! s’écria-t-il en apercevant Paul.
– C’est Robinson, dit Mathilde, qui se remit à rire.
– Il n’a pas l’air content, le cher homme, répondit le père Antoine.
– Je crois bien, Hélène lui a pris son parapluie, et Trompette vient de lui prendre son chapeau.
– En manière de jeu, je suppose, car Trompette est un honnête chien. »
Le quadrupède, entendant prononcer son nom et se croyant un peu fautif, fit le beau et se mit à sautiller autour de Paul. Cette gentillesse dissipa la colère de Robinson, qui se promit plus que jamais de lier connaissance avec un animal si savant.
« Qu’allez-vous donc faire, monsieur Antoine ? demanda Mathilde en remarquant que le jardinier tenait à la main une espèce de souricière.
– Voir si je puis réussir à prendre les taupes qui ravagent mes plants de fraisiers.
– Les taupes mangent donc les fraises ?
– Non, mais elles fouillent la terre pour y chercher les insectes et les vers blancs dont elles font leur principale nourriture. Il suffit d’une demi-douzaine de ces bêtes pour ravager un jardin. Elles se creusent en tous sens des routes souterraines ; et, pour se débarrasser de la terre dont l’amoncellement les gêne, elles forment ces monticules que l’on nomme taupinières.
– Est-ce vrai que les taupes n’ont point d’yeux ? demanda Mathilde.
– Elles en ont d’aussi noirs que les vôtres, ma chère demoiselle ; seulement leurs yeux sont si petits qu’ils ne doivent pas leur servir à grand-chose.
– Je voudrais bien voir une taupe de près, dit Paul.
– Eh bien, venez avec moi, et peut-être en verrons-nous une.
La curiosité fit oublier pour un instant son rôle et son voyage à Robinson, et l’on arriva devant une plantation de fraisiers. Là, le père Antoine expliqua aux deux enfants comment la taupe, enfouie à cinq ou six pouces au-dessous du sol, le creuse à l’aide de ses pattes qui ressemblent à des mains, et rejette de temps en temps à la surface, par des coups de tête, les décombres qui, sans cette précaution, rendraient son travail inutile. Les rames que ranimai rencontre dans sa marche sont impitoyablement coupées, et les dommages que cause l’infatigable mineur deviennent ainsi plus sérieux que les services qu’il peut, rendre en détruisant les vers et les mans du hanneton.
Une taupe se trouvait ; irise dans le piège tendu la veille par le père Antoine. Ce ne fut pas sans un peu de frayeur que le futur chasseur de tigres et d’éléphants osa toucher le petit carnassier, long d’environ cinq pouces, dont la peau, couverte de poils courts et épais, a les reflets du plus beau velours. On examina ses pattes armées de griffes puissantes, son nez pointu propre à forer la terre, et l’on déplora qu’une petite hèle si bien habillée et si industrieuse fût assez nuisible pour obliger les hommes à la détruire.
« Oh ! oh ! ou je me trompe fort, ou nous allons voir du nouveau », dit le père Antoine qui, saisissant une bêche, eut bientôt mis à découvert un nid de taupe.
Paul et Mathilde purent alors admirer une voûte ronde comme la croûte d’un pâté, soutenue de distance en distance par des piliers. Sous la voûte, on remarquait un petit tertre couvert de racines hachées, de feuilles et d’herbes, où la place occupée par les jeunes taupes était encore marquée. Autour du tertre, plusieurs chambres séparées par de minces cloisons et formant une sorte de labyrinthe. De chacune de ces chambres partait une route souterraine qui permettait à la mère taupe d’aller chercher au loin, jusque dans la prairie, les bulbes de colchique qui servent de premier aliment à ses petits.
Le père Antoine se désola de trouver le nid vide ; mais Paul et Mathilde ne furent pas fâchés de cette circonstance ; ils pussent été désolés de voir mettre à mort une demi-douzaine de petites bêtes.
« D’où viennent donc les fraisiers, monsieur Antoine ? demanda Mathilde qui venait de ramasser une pousse déracinée par la bêche.
– C’est une des plantes dont je vous parlais hier, mademoiselle, que l’homme trouve a l’état sauvage dans les forêts et qu’il cultive, de même que les salades, d’abord pour les rendre meilleures, ou tout au moins plus grosses, puis pour les avoir sous la main et ne pas perdre de longues journées à les chercher dans les bois. Le fraisier appartient à la famille des roses. Les larves du hanneton sont très friandes du sa racine, les taupes sont très friandes des larves du hanneton, et voilà ce qui nous attire ici ces deux pestes. »
Un oiseau, pose sur un cerisier, se mit à pousser de légers cris qui fixèrent l’attention des deux enfants.
« Oh ! la jolie petite bête ! s’écria Mathilde.
– C’est une mésange charbonnière, dit le père Antoine en relevant la tôle, un oiseau vif, querelleur et même méchant, car il est toujours prêt à se battre.