Y a pas de problème - Jean-Bernard Bobis - E-Book

Y a pas de problème E-Book

Jean-Bernard Bobis

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Beschreibung

Années 70. Une bande de jeunes entreprend de rallier Kaboul, capitale de l’Afghanistan, à bord de vieilles 2CV. Entre des pannes incessantes, des rencontres singulières, des situations parfois invraisemblables, souvent cocasses, quelques fois folles, ils mettent tout en jeu pour atteindre leur objectif. Seulement, sortiront-ils indemnes de ce périple ?


À PROPOS DE L'AUTEUR


Après des années de scoutisme, dès l’âge de 18 ans, influencé par la lecture de Jack Kerouac et la « beat generation », Jean-Bernard Bobis entreprend de voyager et de sillonner les routes des Indes, à pied, en stop ou en 2CV. Dans Y a pas de problème, il revient sur l’un de ses voyages.

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Seitenzahl: 242

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Jean-Bernard Bobis

Y a pas de problème

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jean-Bernard Bobis

ISBN : 979-10-377-8375-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mon père Roger, dit Loup persévérant,

qui a su, à travers ses récits qui ont bercé mon enfance et alimenté mes rêves, me donner ce goût de l’aventure

Avant-propos

Au moment où je me décide enfin à poser ces quelques lignes surpapier pour partager avec vous mes souvenirs de ce voyage mémorable, cinquante années se sont écoulées ; cinquante années pendant lesquelles ce pays magnifique que j’ai vraiment aimé a été littéralement ravagé.

Deux ans après notre passage, ce sont les Russes, les premiers, qui envahissent le territoire pour venir soi-disant au secours du parti communiste. Les chars soviétiques vont alors saccager les villages et s’installer de manière durable. La résistance se développe avec évidemment l’aide des Américains qui arment l’opposition. Tant et si bien que les Russes reculeront et seront chassés pour être remplacés par un gouvernement islamique dirigé par les talibans.

Une coalition internationale, dont fait partie la France, réussit à s’en débarrasser pour mettre en place une république islamiste avec un président qui sera tué par les talibans. S’ensuivent des années d’instabilité qui verront entre autres la destruction des fabuleux Bouddha de Bahmiyan, patrimoine mondial de L’UNESCO, et l’assassinat dramatique du commandant Massoud, dernier espoir d’un retour hypothétique vers la démocratie.

Viennent alors les attentats du 11 septembre. Les États-Unis, convaincus de la culpabilité de Ben Laden et de sa présence sur place, déclenchent alors avec leurs alliés de l’OTAN une véritable guerre et s’installent alors dans le pays avec 30 000 hommes.

Les fiers guerriers Tamoul dont j’admirais tant l’allure de seigneurs sont devenus des Talibans, étudiants en théologie, et multiplient les exactions les plus atroces ; la lapidation des femmes infidèles n’en est qu’un exemple parmi d’autres.

Alors que, plongé dans mes souvenirs, j’écris ces lignes, dans le grand salon de ma maison d’Yzeron, la télé diffuse les infos que je n’écoute pas. Mais, soudain, un mot capte mon attention : « Afghans »… Je relâche ma souris pour me concentrer sur le reportage.

En direct de la « jungle » de Calais où la température est descendue, en cette nuit du 13 février, à -15 °C, le journaliste interroge de jeunes hommes serrés devant un brasero de fortune. Originaires de différents pays, ces migrants ont fui les guerres qui dévastent leurs pays et tentent de rallier l’Angleterre, espérant y trouver du travail et surtout la paix.

La caméra quitte le groupe et, après un panoramique sur l’ensemble du camp, revient en plan serré sur un jeune homme qui a les larmes aux yeux. C’est le froid, dit-il. Ahmid a 25 ans, il est afghan et arrive de Kaboul.

Il arrive de Kaboul, mais à pied. Il lui aura fallu un an et demi pour franchir les presque 9000 km qui le séparait de Calais. Et là, sur la ligne d’arrivée, il se voit refoulé par la police française qui veut le renvoyer dans son pays en guerre. À quelques détails près, c’est le même itinéraire que nous avions parcouru cinquante ans plus tôt. Mais en sens inverse et en voiture.

Je ne sais comment exprimer les sentiments qui m’assaillent à cet instant. Ce témoignage m’a bouleversé et remet les choses à leur juste valeur. Ce que nous avons fait il y a cinquante ans et que nous prenions pour un exploit, une performance digne des plus grands explorateurs, n’était en fait qu’un grand jeu futile qui nous aura amusés l’espace d’un été.

Je pense à Ahmid et à ses compagnons afghans.

J’admire leur volonté, leur courage. J’espère, je suis sûr, qu’un jour ils reviendront, libres, dans leur pays en paix.

Préambule

Ce récit relate un voyage qui a marqué ma jeunesse et qui a influencé le reste de ma vie.

Les faits décrits datent de plus d’un demi-siècle et ne sont fondés que sur mes propres souvenirs. Je ne dispose d’aucun écrit de cette époque qui aurait pu m’aider à les détailler. Toutes les anecdotes rapportées ont réellement eu lieu. Je me suis contenté de les mettre en avant et de faire le lien entre elles pour donner de la cohérence à la narration. Il est probable, après autant d’années, que j’ai fantasmé certaines des aventures narrées ici, mais c’est ainsi que me les restitue mon cerveau. Sans doute y a-t-il des erreurs et des imprécisions sur la chronologie mais je ne possède aucun élément qui me permettrait d’être plus précis, et ma mémoire parfois défaillante m’a refusé souvent son concours.

Ces écrits n’ont aucune prétention littéraire mais je dois bien avouer que j’ai pris énormément de plaisir à les porter sur le papier. Leur seule justification est de raconter, dans le détail, à mes enfants, qui me l’ont souvent réclamée, une histoire dont je ne leur ai rapporté que des bribes. C’est également l’occasion de dévoiler aux autres de mes proches, s’ils me lisent, quelques secrets depuis longtemps périmés.

Samedi 20 juin1970

Et merde ! Dans le bruit caractéristique d’une mécanique défaillante que je connais, hélas, trop bien, le moteur de la 2CV vient de caler… Nous ne sommes partis de Sartrouville que depuis 35 min et déjà la mécanique nous joue des tours.

Je me gare à l’arrache sur le trottoir entre un arbre et une camionnette. L’endroit n’est pas idéal pour stationner. Nous sommes à Versailles, à 200 mètres de la grande esplanade du château où déjà déambulent de nombreux piétons et autres touristes étrangers.

Jean-Paul n’a pas attendu que la voiture soit arrêtée. Rodé à la manœuvre, il a sauté en marche et s’apprête déjà à ouvrir le capot. Rien de plus facile, il tient par un élastique récupéré sur l’assise du siège arrière de la voiture.

Cependant, ce n’est certainement pas une petite panne qui va nous empêcher de réaliser notre grand projet. Et il faut bien mal connaître notre motivation et notre détermination pour s’imaginer que ce genre d’incident atteindra notre moral !

Et, en effet, il nous faudra un moral d’acier car à bord de notre 2CV qui tient plus d’un tas de ferraille que d’une automobile, nous sommes en route pour Kaboul, capitale de l’Afghanistan.

Il faut remonter quelques mois en arrière pour mieux comprendre la genèse de cette aventure.

Envie d’aventures

Septembre 1969

L’atmosphère dans ma chambre est presque irrespirable. Une vraie tabagie ! Gérard, une gitane à la main, fait des ronds de fumée. Jacques crapaute une royale blonde et Jean-Paul qui, comme d’habitude, m’a taxé une gauloise, s’assure que la fenêtre est bien fermée pour ne rien perdre des volutes de fumée qui saturent nos poumons de nicotine et de goudron. Inutile de préciser que j’ai également une gauloise à la bouche. Sans filtre.

Dans un coin de la pièce trônent les guitares. En particulier la fameuse 12 cordes de Jean-Paul qui a un son fantastique. Jean-Paul à qui j’ai appris à jouer il y a à peine un an et qui, en quelques mois, m’a totalement surpassé. Je ne comprends pas comment il fait. À leur pied, en vrac, les partitions de Dylan, Léonard Cohen et Graeme Allright.

Un minicassette raccordé sur le caisson de basse maison intégré à mon étagère diffuse en continu les standards des Rolling Stones. Il est 22 heures passées, on frappe à la porte. C’est Mémé qui nous apporte son fameux café. Elle est la seule de la famille qui soit habilitée à rentrer dans mon repère. Il faut dire que personne ne sait aussi bien qu’elle doser le breuvage à notre goût : ultra fort et archi sucré. Il faut dire également que, pour garantir mon intimité, j’ai bricolé la serrure de ma porte en bloquant volontairement le pêne et la poignée. Ainsi, pour éviter que la porte ne reste constamment ouverte, je suis donc « obligé » de fermer à clé. Cette ruse me permet d’échapper à toute entrée intempestive des parents ou de l’une de mes sœurs. (N’est-ce pas, Nadine…)

Afin de limiter au maximum les incessantes allées et venues à travers tout l’appartement et surtout éviter de réveiller Josette et Roger qui dorment à côté, désormais les copains pénètrent dans ma chambre uniquement par la fenêtre.

Nous ne sommes rentrés de Turquie que depuis quelques jours et déjà l’envie irrésistible d’une nouvelle aventure nous entraîne dans de nouveaux délires. Jacques veut partir au Nigéria, Gérard au cap Nord, Jean-Paul au Sahara et moi en Amérique du Sud…

Par terre sont étalés des cartes, des atlas et même une vieille mappemonde. Les discussions vont bon train.

Nigéria pas possible, saison des pluies, pistes impraticables.

Cap nord, trop facile, c’est pour les vieux et les familles. Sahara, trop risqué en 2CV, il faudrait un 4x4. Amérique du Sud, trop loin à cause du bateau.

Les idées continuent à fuser et, soudain, c’est comme une révélation. Pourquoi n’y avait-on pas songé plus tôt. Le bon plan c’est l’Inde ! L’Inde où les Beatles sont allés chercher l’inspiration. L’Inde des maharadjas et des vaches sacrées, l’Inde des castes et des intouchables. Le Gange et les contreforts de l’Himalaya !

Notre décision est prise. Dans 10 mois, nous partons en Inde. Chacun se charge de récolter un maximum d’informations et rendez-vous est pris dans quelques jours pour préparer notre voyage.

La bande

Comme convenu, nous nous retrouvons une semaine plus tard. Seulement, il y a du changement.

Gérard, qui prépare une formation de kiné l’année prochaine, est obligé de déclarer forfait. C’est la dernière année où l’on peut accéder à cette formation sans le bac et en deux ans seulement. Il ne peut pas se permettre de rater cette opportunité. Son père est décédé il y a 3 mois pendant notre séjour en Turquie. Sa situation financière est compliquée et il devra impérativement travailler cet été pour financer son école. C’est la mort dans l’âme qu’il nous annonce sa décision.

Entre-temps, j’ai croisé mon cousin Jacques Vivant. On ne se voit pas très souvent, mais on s’apprécie. Jacques, c’est un motard qui ne jure que par les anglaises, Triumph, Norton ou BSA. Dès qu’il a eu vent de notre projet, il m’a proposé de remplacer le pauvre Gérard qui a bien du mal à assumer sa décision. Le problème c’est qu’il n’a pas son permis voiture. Tant pis, on verra bien…

Toutefois, Jacques n’arrive pas tout seul. Il est accompagné de son copain de lycée, Alex. C’est un grand type flegmatique, longiligne polo noir, jean noir, cheveux longs, raides un peu style Cabu. Le père d’Alex est le patron du magasin de photo du boulevard Saint-Germain. Je me vois déjà renouveler mon matériel et surtout acheter à bas prix mes films super 8… Évidemment, il n’en sera rien.

Et surprise, Alex n’est pas seul. Il est venu avec Jean-Lucien, une vague relation qu’il connaît à peine mais qu’il nous propose d’intégrer à la bande. Nous sommes tous interloqués et dans un premier temps peu disposés à accepter une personne dont nous ne savons rien. La parole est donc donnée à Jean-Lucien.

Ce type est curieux. Un peu plus vieux que nous, vieux garçon, il vit chez sa grand-mère en banlieue. Pas désagréable, il est même intéressant et plutôt sympathique. Mais surtout… Surtout, il a suivi une formation complète chez Citroën sur la mécanique des 2CV ! Argument majeur. Sans plus hésiter, nous décidons d’un commun accord de l’intégrer à la bande.

Nous serons deux par voiture. Reste donc à former les binômes. Une règle simple devra être respectée. Les deux personnes du binôme devront prendre en charge et par moitié l’ensemble des frais et emmerdements divers relatifs à leur voiture. Aménagements, mécanique, essence, péages et pannes.

Premier binôme : Jacques et Jacques V

Jacques : Le bon élève. Il est le seul à avoir eu son Bac l’année dernière et vient de terminer sa première année de prépa pour véto à Maisons-Alfort. On s’est rencontré en première au lycée de Sartrouville. Esprit inventif, il est souvent à l’origine d’un grand nombre des farces hilarantes qui ont considérablement enrichi notre année scolaire.

Des années plus tard, je ris encore au souvenir du bec bunsen dans le sac de la grosse et stupide Lebelair en cours de chimie ou encore le tuyau d’essence débranché sur le Solex de cette lèche-cul de Lozingot.

Comment oublier les plombs envoyés discrètement en rafale sur le tuyau du poêle grâce à un ingénieux système de lime à ongles. Le bruit rendait fou Gallet, notre prof de maths. Ancien militaire, son niveau de maths n’atteignait pas celui d’un élève de quatrième. Devenu notre bête noire, le pauvre n’a jamais compris ce qu’il se passait.

Et encore les cours de latin. Nous étions, Jacques et moi, les deux seuls garçons dans cette classe de filles studieuses et laborieuses à avoir pris l’option latin. Grâce à une fausse lettre authentifiée par le cachet de l’école primaire dont le père de Jacques était directeur, nous nous étions procuré la traduction des versions latines réservées au corps enseignant et utilisées par notre prof. Évidemment, à chaque composition, nous finissions toujours premier et deuxième. Par pure provocation, nous sortions en avance avant la fin de l’épreuve en nous vantant de l’avoir trouvée facile.

Et ce qui devait arriver arriva… La frustration des filles était telle qu’elles finirent par nous dénoncer. Cette fraude a fini par remonter aux oreilles de Josette, qui enseignait dans le même lycée. Heureusement, la prof qui n’était pas dupe et nous aimait bien ne nous a pas chargés. Toutefois, nous avons dû refaire cette composition mais sans la traduction. Jacques s’est lamentablement vautré. Quant à moi pour qui le latin est un atavisme, je m’en suis pas trop mal sorti au grand dam des filles qui auraient sûrement préféré me voir dernier…

Mais je m’égare, Jacques donc vient de racheter une vieille Deuch qui n’a pas l’air en trop mauvais état. À première vue, elle ne devrait pas nécessiter de gros travaux mécaniques avant de partir.

Jacques V : Mon cousin. On l’a vu, son principal problème c’est qu’il ne conduit pas. Il faudra donc assurer des relais de façon à soulager son partenaire. À son poste de copilote, il pourra se consacrer à dessiner puisqu’il veut rentrer aux beaux-arts. C’est lui qui sera chargé de la tenue du carnet de bord.

Deuxième binôme : Alex et Jean-Lucien.

La 2CV est fournie par Jean-Lucien. Elle est relativement récente (à peine 12 ans) et a été remise entièrement en état par JL.

ALEX : Le mauvais élève. Jacques V a passé le Bac en même temps que lui, il raconte : « J’étais en train de rédiger ma dissert et je vois passer Alex dans la cour les mains dans les poches avec 10 min de retard… Une demi-heure plus tard, je le revois passer dans l’autre sens mains dans les poches. Il avait fini. » Vous ne me croirez pas : il n’a pas été reçu !

Jean-Lucien : Sérieux (un peu trop) mais fiable (apparemment). Trop tôt pour juger, personne encore ne le connaît.

Troisième binôme : Jean-Bernard (moi) et Jean Paul

La bonne nouvelle, je viens d’avoir le Bac.

Au rattrapage.

Je ne suis pas passé loin de l’échec avec un zéro en histoire à l’oral. Par pure provocation, mais surtout stupidement, j’ai refusé un sujet en espérant être interrogé sur un autre thème mais mon livret scolaire dans cette discipline est tellement mauvais que l’examinateur n’a pas voulu me laisser une seconde chance. Mon attitude pendant cette épreuve, je le reconnais humblement, n’aura rien arrangé. Il est vrai aussi que j’avais eu dans l’année quelques démêlés avec mon prof d’histoire. À ma décharge, il faut savoir que ce prof, un dénommé Nickler… était un vrai nazi !

Heureusement, il y a aussi des vrais, des bons profs. Je n’oublierai jamais monsieur Gourlawen, prof de biologie.

Passionnant autant que passionné. C’est grâce à lui que je serai rattrapé. Je suis en terminale D, biologie coef 5. Je n’ai pas été très studieux pendant ses cours et pourtant, son charisme était tel que j’ai compris et retenu tout ce qu’il nous enseignait. Avec un 16,5, je suis sauvé !

C’est moi qui fournis la voiture. C’est celle qui nous a ramenés de Turquie. Pourrie. Elle a 25 ans, c’est une des toutes premières versions de 2CV Citroên. Elle va avoir besoin d’une sérieuse remise en état.

Jean-Paul : C’est mon pote depuis au moins 6 ou 7 ans. Marginal, il est en conflit sévère avec son père qui l’a mis dehors l’année dernière. Alors, il s’est engagé dans la marine marchande. Pendant un an, il a sillonné les mers comme mousse sur un cargo.

Il a profité d’une escale en Côte d’Ivoire pour attraper de vilains microbes auprès d’une de ces dames qui accueillent les gentils marins de passage dans les ports. Bien sûr, il s’est fait soigner par l’infirmier du bord, familier de ces incidents. Il m’a raconté les soins. Avec force de détails que je tairai ici. La description qu’il m’en fait devrait largement, s’il en était besoin, tenir les jeunes hommes fougueux que nous sommes éloignés des femmes de mauvaise vie.

Le principal problème est tout autre, mais il est de taille. Il n’a jamais de cigarettes et passe son temps à me taper. Plus sérieusement, il a goûté dans ses voyages à quelques produits illicites. Il ne me cache pas que l’idée d’en ramener un peu pourrait être d’un bon rendement et peut-être l’aider financièrement à son retour. Il sait ce que j’en pense, j’ai été très clair sur ce sujet. Une petite alerte s’est inscrite en veille dans un coin de mon cerveau. J’espère que je m’inquiète pour rien.

Les filles

Mais comment évoquer notre petite bande sans parler des filles, Dominique et Sylvie. Depuis presque un an, bien qu’il ne soit pas prévu qu’elles partent avec nous, elles font partie de tous nos délires.

J’ai repéré Sylvie à la sortie du lycée. C’est de loin la plus jolie fille dans cette foule qui s’agglutine au portail. J’adore son style à la fois classe et décontract. Et surtout ce sourire espiègle qui illumine son visage. Presque chaque soir, assise sur son solex, elle attend sa copine Dominique. Elles se ressemblent comme deux gouttes d’eau. À plusieurs reprises, j’ai capté le regard de Sylvie. J’ai l’impression que je ne lui suis pas indifférent. Mais, pour l’instant, ma timidité l’emporte. Je ne suis pas, il est vrai, très hardi avec les filles. Il faut monter un bon plan, je vais en parler à Jacques.

On laisse passer deux ou trois jours et nous voilà à pied d’œuvre le vendredi. Ce n’est pas si compliqué que ça finalement. On patiente quelques minutes le temps que la foule des lycéens se disperse un peu et, gonflés à bloc, on se dirige vers elles pour les aborder directement. De toute évidence, elles attendaient que l’on fasse le premier pas. Et ça marche ! Un pot dans notre bar préféré de Maisons-Laffitte va nous permettre de faire connaissance. Avec Jacques, nous nous partageons la tâche. Je me rapproche de Sylvie et lui de Dominique. Très vite, le courant passe entre nous quatre. C’est ainsi que commencera une longue complicité. Les filles seront désormais des membres de notre bande à part entière. Je ne le sais pas encore mais notre relation prendra plus tard une tout autre dimension.

Mais dans un premier temps, notre fréquentation ne va pas être toujours facile. En particulier avec Sylvie. Elle n’a à cette époque que 17 ans (la majorité est encore à 21 ans) et elle est loin, très loin, de pouvoir sortir se promener comme elle veut. À plus forte raison avec des garçons ! En effet, je découvre qu’elle est d’origine italienne, du fin fond du sud, de la région des Pouilles. Son père, Mario, est le parfait représentant de l’archaïsme qui règne encore là-bas. Les filles sont surveillées par les hommes de la famille, petit ou grand frère, père et oncles.

Gare à celle qui s’égare ou quitte le droit chemin qui lui a été imposé. Sylvie n’a pas de frère. Son père, Mario, désormais établi en France, se doit donc d’assurer la bonne conduite de sa fille. Et croyez-moi, il prend son rôle très à cœur.

Avant chacune de nos rencontres, Sylvie doit s’assurer que son père est au travail et qu’il ne risque pas de surgir d’on ne sait où pour nous surprendre dans notre intimité naissante. C’est ainsi que les premiers temps nous nous verrons surtout en fin d’après-midi après les cours. Le samedi et le dimanche, il ne nous restera pour nous voir que d’interminables parties de monopoly chez elle.

Un soir du mois d’octobre, nous nous retrouvons chez Jacques en fin de journée, pensant que le paternel n’était pas rentré. Il est vingt heures passées. Inquiètes malgré tout, les filles décident de repartir. Nous les accompagnons jusqu’au portail sur la rue et, après quelques dernières embrassades et bisous, elles prennent le chemin du retour. Nous les regardons s’éloigner en fumant une dernière cigarette. Mais à peine avaient-elles tourné au bout de la rue et disparu à notre vue, nous entendons rugir un moteur et dans un hurlement de pneus surgit la DS21 de Mario. La voiture pile devant nous. En sortent les deux pères surexcités. Ils hurlent « Les filles, où sont les filles ? ». Nous, pris au dépourvu, tout penauds, « ben, heu, on sait pas… ». Rageurs, ils remontent dans leur voiture et repartent en faisant crisser les pneus.

Bien heureusement, ils se dirigent dans la mauvaise direction, laissant ainsi aux filles le temps de rentrer. Cela n’empêchera pas évidemment qu’elles soient punies et privées de sortie pour plusieurs jours.

Les voitures

Le principal chantier de remise en état repose sur ma voiture. Elle était déjà dans un état lamentable l’année dernière, la Turquie où elle a beaucoup souffert n’aura rien arrangé. Il faut TOUT revoir avant de partir. Le problème c’est qu’on n’est pas très doués en mécanique. Ma seule expérience dans cette discipline, c’est le Solex. Et à part changer le gicleur et raboter la culasse pour le gonfler et lui permettre de rouler à 35 à l’heure au lieu de 30, je n’ai pas appris grand-chose. On va donc commencer par acheter la revue technique de la 2CV.

C’est bien la théorie, mais c’est loin d’être suffisant. Pour commencer, il nous manque des outils. Parce qu’à part mon opinel et mon marteau, je n’ai rien. Et puis il y a les pièces à remplacer. Pour tout cela, il faudra un budget qui pour l’instant se limite aux quelques francs d’argent de poche que nous allouent nos parents respectifs.

Heureusement, la chance va nous sourire.

C’est Dominique qui, un jour, va avoir cette idée lumineuse. Juste en face de chez elle se trouve un tout petit garage tenu par Lucien, dit Lulu, qu’elle connaît bien. Il pourrait peut-être nous donner un coup de main. Lulu est un ours bourru. Dans un premier temps, il l’envoie balader puis sous son insistance il accepte de nous rencontrer.

Nous passons donc le voir un soir avec Jacques et Jean-Paul. Lulu ressemble vraiment à un ours. Il nous reçoit dans sa cuisine. Sur la table reste une bouteille de vin rouge Kiravi entamée. Il me fait penser à Jacques Balutin, le comédien qui double Starsky dans la série TV Starsky et Hutch. Petit, trapu, il a le poil sombre et dru qui déborde de son marcel. Les mains noires, il ne s’est pas lavé ni changé et a toujours sur lui sa salopette marquée de cambouis. Grande gueule, comme prévu, il commence par prendre la terre entière à témoin, désespéré par les jeunes aujourd’hui qui ne savent plus rien faire et préfèrent rester au lit plutôt qu’aller travailler. Mais très vite, il se calme et la vraie nature de cet homme généreux prend le dessus.

« Voilà ce que je vous propose. On va se le refaire à neuf le moteur de votre poubelle. Avant ça, vous allez m’acheter des segments “Perfect Circle” et vous allez voir ce que vous allez voir ! Et on fait ça ensemble le soir. »

On se regarde avec JP, on n’y croyait pas. C’est mieux que tout ce qu’on avait espéré. Lulu sort trois verres de plus et on trinque au Kiravi.

Il nous faudra une dizaine de soirées avec Lulu pour faire le travail et surtout pour se familiariser à la mécanique. Notre mécano nous donne une foule de trucs et astuces pour faire de nous de vrais dépanneurs. Mille merci, Lulu, heureusement qu’il existe des hommes comme toi.

Maintenant qu’on a un moteur neuf, il faut penser à la suite. Besoin urgent de cardans et de bras de suspension. Besoin de phares, de roues, de pneus, de pièces de carrosserie. Besoin de bougies de vis platinées et de régulateurs. Inutile de regarder le prix, je n’ose même pas imaginer combien ça coûte. Il va falloir trouver ces pièces sur des voitures abandonnées. On va donc partir en repérage. Je suis sûr qu’on peut en trouver, même s’il faut aller à cinquante bornes, nous sommes sûrs de pouvoir trouver des épaves.

C’est Jean-Paul qui découvre la première. Elle se trouve au bord de la Seine sur la route d’Herblay. Elle a été jetée par-dessus le talus. Une chance, dans sa chute, elle s’est arrêtée juste avant de rentrer dans l’eau. Le fleuve charrie des tas d’immondices, bouteilles plastiques, cartons, objets divers. La deuch est couchée sur le côté droit à côté d’un sommier délabré et du reste d’un meuble de cuisine. Ça tombe bien, on peut voir le dessous du châssis. Bonne surprise, elle est dotée de pots de suspension à ressort, plus facile à démonter que les autres. Ce type de suspensions a en outre l’avantage de pouvoir être réglé pour augmenter la garde au sol en tout terrain. L’endroit est tranquille, à l’abri des regards, on va pouvoir se mettre au travail. Trois heures plus tard, on a récupéré les deux pots de suspension et une roue avec un pneu qui, même s’il est presque lisse, pourra sûrement faire encore quelques dizaines de kilomètres.

Bien qu’il ait déclaré forfait, Gérard nous aide dans nos recherches. Il travaille en ce moment comme stagiaire kiné du côté de Saint-Cyr-l’École, à une vingtaine de kilomètres de la maison. Il a repéré une voiture qui semble abandonnée sur le petit aérodrome de Saint-Cyr. Nous décidons de nous y rendre dès maintenant. Bonne pioche, une 2CV est là au fond du terrain à environ 300 mètres du bureau des pilotes et des hangars. Plusieurs mécaniciens tournent autour de deux avions qui semblent prêts à décoller. Mais il y a un petit problème. Le terrain est entièrement clos d’un grillage haut de deux mètres au moins. Nous laissons notre voiture sur la route et tentons de nous approcher par le chemin qui contourne le terrain.

Le dieu des pilleurs d’épaves est avec nous. À une dizaine de mètres de notre objectif, une ouverture dans le grillage nous permet de pénétrer dans l’enceinte. Il est 18 heures, la nuit commence à tomber. Nous profitons de ce début d’obscurité pour nous approcher le plus discrètement possible. Banco ! Cette deuch dispose de cardans en super bon état. Les démonter ne nous demande qu’une vingtaine de minutes. Il était temps, Jacques qui était chargé de surveiller les alentours arrive en courant pour nous prévenir qu’un vigile avec son chien se dirige dans notre direction. Nous remballons notre butin et nos outils et disparaissons en un clin d’œil.

C’est encore Gérard qui nous fournit notre troisième occasion. Il habite la cité des Indes, une barre d’immeuble dans la ZUP de Sartrouville. Il a remarqué sur le parking une deux chevaux en ruine qui semble totalement oubliée par ses propriétaires depuis plusieurs mois. Selon lui, c’est sûrement une voiture volée. Alors, sans complexe aucun, nous débarquons un soir à la nuit tombante et entreprenons de démonter toutes les pièces qui nous conviennent. Nous sommes en plein boulot, à la vue de tous, quand, soudain, nous entendons hurler derrière nous.

« Ma voiture, ma voiture ! Non mais ça va pas ! »

Je me retourne, saisi par ces vociférations. Devant moi arrive un homme au physique de camionneur. Énorme, il doit peser 150 kg et mesurer pas loin de deux mètres. Il est vêtu d’une salopette bleue sale et d’un tricot de corps qui a dû être blanc il y a très longtemps. Totalement déstabilisés, nous ne savons pas comment nous justifier. Après de longues palabres et nos explications alambiquées, heureusement, l’homme se calme et nous demande juste de le débarrasser du véhicule.