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Naufragée sur Aris, Yuna Asada n’aura de cesse de chercher Bayidé, le fameux Graal censé ramener son équipage sur Terre. Face à la toute-puissante constellation d’Eve, l’héroïne de Paris aura-t-elle la force de poursuivre sa mission et s’opposer à l’ennemi ? Un vol vers l’enfer, c’est une cohorte renégate qui place un nouvel ordre sur l’univers, des mégalomanes qui se prennent pour des dieux ou encore un affrontement dans les confins de l’espace. Telle une lumière au bout de la nuit, la doctrine du bushido sera la voie de la Japonaise au travers des mondes d’Ehlo, Eve et Yônn, l’intimant à accomplir son devoir.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né le 12 février 1969 à Ollon,
Vincent Ruchet a été influencé très tôt par les Temps-X et autres romans du passé le faisant glisser dans la marmite initiatique de la "Science-Fiction". Aventurier et passionné de voyages extrêmes, ses recueils ont la particularité de bénéficier d'histoires vécues. Qu’il s’agisse de traverser le Sahara, visiter une cité perdue dans la forêt cambodgienne ou plonger sur des épaves en mer de chine, sa passion pour la découverte restera intact tout au long de sa vie. Adepte de science, il construit et pilote des avions expérimentaux, ceci sans oublier ses racines en pratiquant les Arts Martiaux Japonais. Quittant le brouhaha de sa profession technique, il change radicalement de voie en s’immergeant dans la fiction de sa saga et ses différents volumes.
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Seitenzahl: 627
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Vincent Ruchet
YUNAASADA
VOL VERS L’ENFER
À John...
Yuna Asada
S’enfonçant jusqu’aux mollets dans la poussière sableuse du désert d’Ehlo, la Japonaise posait ses pieds les uns après les autres, au prix d’efforts surhumains. Perdue dans cette immensité, elle se laissait guider sur la course descendante des deux soleils d’un rouge parfait. Ce spectacle aux allures pourtant sublimes laissait une amertume de plus, s’ajoutant aux événements de ces derniers jours. Clignant des yeux plusieurs fois pour en chasser le sable, l’image des soleils sur ses rétines persistait dans l’eigengrau de ses paupières.
–Continuer, je... je ne peux échouer ! Un pas après l’autre, ce n’est pas si compliqué que ça. La chaleur de ces soleils est vraiment pénible ! Ces... montagnes au loin, peut-être y trouverai-je de l’aide ?
Bob et Soyia à terre, la commandante s’attribuait la responsabilité du drame et se devait de les sauver. Épuisée, elle tituba en regardant le ciel tourner, puis s’appuyant sur son katana, réussit à se rattraper. Yuna réajusta l’étoffe blanche enroulée autour de sa tête comme le ferait une Touareg. La douleur des plaies sur son visage, particulièrement celles autour de ses lèvres, donnait un sens à sa réalité. Bientôt une semaine qu’ils étaient perdus dans ce désert et la fin approchait inexorablement. Les heures passant, l’exercice prenait une tournure utopique, ceci malgré une gravité favorable aux Terriens.
Au loin, ces montagnes qui la narguaient étaient désormais inaccessibles et de désespoir, elle se laissa tomber sur les genoux. Après quelques minutes à scruter l’infini, il lui sembla apercevoir de la fumée, mais cela n’avait plus d’importance. La Japonaise bascula face contre terre, le visage à demi ensablé.
Une note d’espoir s’était pourtant profilée depuis leur éveil sur SEVA... comment les choses avaient-elles pu lui échapper à ce point ? Bouddha, où est mon chemin ?
***************
« Ne crains pas d’avancer lentement, mais crains juste de t’arrêter », lui avait dit Bob une éternité plus tôt... avant le grand saut. Il avait précisé bien aimer les proverbes japonais et qui... Yuna l’avait coupé alors dans son élan, sourire désolé aux lèvres, précisant que l’origine de cette citation était probablement chinoise, mais correspondait bien à la situation actuelle.
Avancer lentement, c’est ce qu’avait fait SEVA ces derniers mois, depuis son échappée acrobatique à l’orbite solaire. La station aux formes ovoïdes avait connu des jours meilleurs et ressemblait plus aujourd’hui à une épave de métaux précieux disloqués qu’à une station de premier ordre, témoin d’un orgueilleux passé. Aucune lumière ou signe de vie ne s’en échappait à la façon d’un film de science-fiction du vingtième siècle et ses bardas lumineux clignotants. Elle était là, simplement sur son orbite de destination, prisonnière comme enchaînée à son maître, attendant un signe divin...
La pauvre créature referma les yeux devant sa tentative téméraire d’en savoir plus. Le goût horrible dans sa bouche lui fit comprendre qu’elle était bel et bien dans la réalité. Les derniers mots de Bob tournaient en boucle dans son esprit embrumé : avancer lentement, respirer lentement, avancer lentement, respirer...
–Où... où sommes-nous ? L’extraction a fonctionné, nous naviguons toujours ?
–Oui, Yuna Asada, nous naviguons.
–Je, je n’y vois rien, où sont les autres ?
–Encore dans le bain, soyez patiente, votre vision reviendra bientôt ! répondit la voix synthétique, couverte par des bruits métalliques.
Reprenant conscience dans son cocon humide au bord de la piscine, Yuna se mit à trembler malgré la bienveillance de l’androïde à pousser le chauffage et à l’envelopper dans une couverture isolante. Rapidement ses tremblements se muèrent en convulsions, attirant l’attention de sa surveillante de Titan. L’androïde se précipita sur les commandes intégrées à la couche et essaya d’interpréter le problème de sa cargaison biologique.
Immédiatement, elle injecta un cocktail de médicaments destinés aux « biostasés » désirant faire un malaise, et patienta un instant, le regard inquiet. Le cæur de Yuna reprenant un rythme normal, elle vit que sa maîtresse retournait dans les limites de la conscience. Asii vérifia ensuite les constantes vitales sur l’écran intégré, et satisfaite, reprit l’extraction des survivants de la défunte « Paris ».
Vingt et un malaises et cinq heures plus tard, des regards d’incompréhension se posaient sur les deux êtres n’ayant pu être réanimés. Les survivants commençaient leur nouvelle existence en comprenant que la faucheuse était passée prendre son dû, avant de reconduire leurbail.
Arrivant avec des boissons hydratantes, Asii brisa l’ambiance funèbre, et les besoins primaires des rescapés replacèrent cette vision de mort sur un plan plus secondaire, acceptable. Première éveillée, Yuna sentait sa volonté émerger du grand brouillard « empêcheur de penser ». D’un air grave, elle convoqua discrètement ses lieutenants à rejoindre les vestiaires de la piscine pour un débriefing. Tirant la porte, Bob posa la main sur l’épaule de l’androïde et d’un sourire crispé la questionna :
–Vas-y, annonce, Asii, la CONA n’étant pas là pour nous souhaiter la bienvenue. Où sommes-nous et quelle nouvelle catastrophe s’est produite durant notre sommeil ?
–C’est la treizième explosion, Bob ! Le bouclier n’a pas supporté la contrainte et s’est faussé en déchirant la coque. Notre trajectoire a été fortement modifiée et notre objectif impossible à atteindre. Dès lors, notre survie ne devenait possible qu’en profitant de l’attraction gravitionelle de la géante Jupiter autour de laquelle nous nous sommes placés en orbite. Puis il a fallu attendre que Mars soit en position d’accueil et nous y insérer.
–Quoi ? Nous sommes en orbite autour de Mars ? questionnaYuna.
–Oui, Yuna Asada, en orbite basse plus précisément, conséquence de notre vitesse excessive, à la suite de notre séjour autour de Jupiter.
–Merci pour ce sauvetage, mais pourquoi ne pas avoir continué vers chez nous ?
–Trop risqué, Yuna Asada. SEVA est agonisante et remettre la propulsion en service est inacceptable. Secondairement les servitudes des cocons de stase montraient des signes de faiblesse et devant les deux premières pertes humaines, je devais prendre une décision. Ce système n’a pas été conçu pour fonctionner aussi longtemps.
Émergeant de sa torpeur, Akram commença à s’intéresser à la conversation. De sa voix mal assurée de baryton, il questionnaAsii.
–Com... Combien de temps est-on restés au frigo, tête de métal ?
–Vingt-six mois, onze jours et six heures,A.K.
Se passant les mains dans les cheveux, Yuna était en train de réaliser le sens de ces mots : deux ans ! Plus de deux ans se sont passés, Bouddha. Ma famille, la CONA, que reste-t-il là-bas ? pensa-t-elle.
–Nous devons contacter la CONA au plus vite, A.K., quelles sont nos possibilités de transmission ?
–Intrication photonique, reprit le lieutenant, le regard désolé. SEVA ne possède que ce mode de transmission quantique, plus rapide que la lumière. Pour générer la gravité, nous tournons sur nous-mêmes et cela empêche donc le pointage d’une antenne.
–Oui, et alors ? dit Bob. Elle ne fonctionne pas ta radio à intra... euh intrigue ?
–Le seul récepteur fonctionnel est à Toulouse, chez ceux qui nous ont bardés de missiles nucléaires et me recherchent pour crime de guerre, tu imprimes le problème,Bob ?
–Bon, nous avons toujours Fireball ? On devrait pouvoir atteindre la CONA avec,non ?
–En théorie oui, à condition de la sortir et de la pointer dans la bonne direction. Par contre l’attente sera longue, vitesse lumière oblige. Quel est le délai pour une réponse, tête de métal ?
–Notre orbite martienne étant à son apogée, il faudra plus de quinze minutes à notre message pour transiter, sans compter les délais de réponse sur place, A.K. La question est simple : est-ce que la CONA écoute l’espace profond ? La Terre certainement, et cela peut devenir notre principal souci. Rappelez-vous l’abordage de Paris avec la mission Genesys, la discrétion est la condition de notre survie !
–Dis-moi, Asii, quelles sont les chances que la Terre nous ait vus passer lors de notre extraction solaire ? questionnaYuna.
–Cohérentes, Yuna Asada, je les ai calculées à plus de 67 %. Cependant il est vraisemblable qu’au regard de notre faible masse, ils ignorent ce que l’on fut réellement : géocroiseur, débris ou vaisseau. Ils ne peuvent le savoir.
–Mais, tête de métal, SEVA est viable, non ? reprit Akram.
–Nous pouvons y survivre, mais le temps nous est compté, A.K. Le Tokamak endommagé nous prive de la propulsion et peut juste fournir en énergie les principaux systèmes. Le plus préoccupant reste notre atmosphère que je n’ai pu restaurer malgré les réparations. Notre pression est équivalente à celle de vos Alpes sur Terre.
Jacques DeBon
Il saisit de ses mains avides la bière tendue par la serveuse « bien en chair » du Paradise-Bar, la cité lunaire ressuscitée. Jacques ne put s’empêcher de la dévisager de haut en bas et de lui faire un clin d’œil exagéré. À ses côtés, son amie Ava, amusée par les mimiques enfantines de son collègue, arborait un sourire narquois sur les lèvres. Avec attention, Jacques se leva et réajusta le coussin sous le mollet d’Ava, fraîchement opérée.
–Ouais, ma cocotte, y t’a pas loupé cette fois le toubib, hein ?
–Mon tatouage est gâché avec ces vis qui dépassent. Bon, je vais remarcher, mais je commence à trouver le tempslong.
–Fini les claquettes pour toi, ma chère, hé, hé ! Je dois t’avouer que tu m’as flanqué une sacrée frousse à disparaître sous ton tas de gravats.
Érigé devant eux, le terminal lunaire de substitution à la défunte Yankee s’élevait jusqu’à la surface. Miracle de l’ingénierie alphane, une tour géante était née au milieu de la cité de Paradise, venant boucher le trou de la voûte effondrée, cinquante mètres au-dessus de leurs têtes. Les éléments structurels, désormais imprimés in situ, ouvraient la porte à une industrie d’avant-garde. Elle rendait aussi possible la construction de vaisseaux spatiaux imposants, affranchis de la gravité terrienne.
–Tu te souviens de ce fou de Lemay, Jacques ?
–Ouais, et alors... ?
–Kim a retrouvé sa trace en Alaska ! Après son foireux Walkyrie, il a disparu sur la pointe des orteils. Je me demande toujours comment il a évité la cour martiale !
–Parce qu’il en savait trop, tiens ! Remarque, nos amis japonais lui ont appris la modestie, en coulant son beau porte-avions.
–Ouais, l’embuscade du Johnson, ça, c’était un coup de maître ! J’ai lu que le commandant Watanabe, responsable de cette prouesse, était le descendant d’un « hunter-killer » de la Seconde et voulait sauver l’honneur de sa famille. Tu t’imagines, un siècle plus tard ! Je te conseille de ne jamais sous-estimer ces Japonais, Jacques, ils sont terriblement rancuniers.
–L’honneur n’a jamais sauvé qui que ce soit, Ava ! Cela sert juste à remplir les cimetières, dit-il d’un air grave. Allez, trinquons à la vie et à nos amis disparus !
Fièrement, le commandant en chef des armées leva sa chope de bière à la hauteur de son visage et ingurgita le breuvage mousseux d’un trait. Visiblement dépassé par le pouvoir carbonique du liquide, il émit un long rot sous le regard désapprobateur de l’Alphane.
–Hem, pardon ! Je... Je vais devoir y aller, Ava. J’ai promis de donner un coup de main aux moissons dans la cité d’Europe. Leur machine bricolée à la va-vite n’est pas très au point et tombe en panne tous les cent mètres.
–Bon, c’est quand même mieux que de se coltiner tout le travail à la main comme l’année précédente, non ?
–Ouais, sûr ! Je leur ai promis la pile à combustible d’une de mes navettes-épaves, la « Midnight Run », je crois.
–La Midnight ? Ce n’était pas la navette de Bob et Nils lors du dépannage de nos « coms », il y a troisans ?
–Oui ! Et chaque fois qu’ils rentraient, c’était avec de gros trous partout ou une aile en moins. Merde, c’était le bon temps, Ava, ça me manque sacrément cettevie.
Sur ses derniers mots, Jacques se mit à regarder le fond de sa chope vide quelques instants, puis il plissa les yeux, comme si le soleil venait de l’éblouir.
–Oui, mon gros nounours, je sais que t’es un homme d’action, mais moi la guerre, ça ne me manque pas vraiment ! Seulement j’aime à penser qu’ils sont encore en vie, tout là-haut... Tu te souviens de ce géocroiseur qui a traversé l’orbite solaire l’année précédente ? Eh bien, d’après ARTEMIS, la trajectoire concorde. Cela pourrait être un débris de Paris.
–Oui, et comment cette maudite station n’aurait pas été désintégrée dans l’explosion de ses cinq réacteurs nucléaires, t’en rends-tu compte ? Le plus gros débris n’a pas dû dépasser la taille de mon poing. Allez, « drope », ma fille, tourne la page et occupe-toi de ta gamine. Les vivants s’occupent des vivants !
–Oui, mais...
À ces mots, Jacques se leva en tapotant affectueusement l’épaule de son amie. Il prit congé en répétant : « Les vivants s’occupent des vivants, chère Ava. » De sa démarche d’ours bénéficiant de la gravité lunaire, il se dirigea vers le moover le plus proche et son train à lévitation en partance pour Alpha. Quarante-cinq minutes plus tard, ayant récupéré son pick-up électrique, suprême accessoire dont il jouissait grâce à sa fonction de général, Jacques arriva à proximité d’Europe. Durant le trajet, il pesta sur la lenteur exaspérante de son véhicule.
Les portes-sas servant à isoler les cités s’ouvrirent les unes après les autres devant son véhicule. Une fois refermées, seule une petite ouverture intégrée autorisait les passants et autres vendeurs ambulants à transiter. Jacques hésita à s’arrêter devant un attroupement de Chinois et des odeurs de poulet grillé qui réveillèrent son estomac. Se faisant violence, il sortit de l’artère principale et obliqua vers la zone rurale de la cité et de ses vastes champs deblé.
Roulant à sa vitesse maximum de 30 km/h, il prenait le temps d’observer le paysage et d’éviter les nids de poule de la route défoncée. De petites cabanes en bois avaient fleuri ici et là, pour protéger les travailleurs du climat estival. De même un ingénieux système d’irrigation longeant le chemin de régolithe amalgamée était apparu comme par enchantement. Jacques se demandait foutrement où et comment ces paysans avaient trouvé le bois nécessaire à leur construction, dans un environnement aussi contrôlé ?
Cette fois-ci c’est par la fumée qu’il localisa la moissonneuse-batteuse au fond du champ, habituellement repérable à son panache de poussière. Arrivant fièrement sur place, Jacques s’aperçut qu’une équipe d’agriculteurs en branle-bas de combat tentait d’éteindre l’incendie du groupe propulseur. Dans un premier temps, il resta figé en spectateur dénué d’initiatives, résultat de trop d’années de commandement militaire. Dans un second, un concert de jurons en dialecte alphan lui remit les idées en place et le fit réagir.
Les paysans s’activaient frénétiquement en frappant le sol au moyen de bâtons sur lesquels étaient enroulés des sacs, tentant d’enrayer la progression des flammes au reste du champ. Finalement ce fut à son tour de se précipiter dans son véhicule et de s’emparer de l’extincteur pour éteindre le plus gros foyer. Ce simple geste fit pencher la balance du bon côté et une heure plus tard, ils se tenaient tous devant la moissonneuse endommagée et les vêtements en loques.
Dégoulinant de sueur, il se fit offrir un alcool au goût de térébenthine, se demandant comment ces agriculteurs chinois parvenaient à l’ingérer aussi facilement. Assis sur sa pile à combustible de substitution et verre à la main, le héros de la plaine morte se faisait bombarder de questions sur les rumeurs sanglantes de ses batailles. Restant stoïque à l’image d’un général, la brûlure du liquide aidant, le gros homme partait dans ses palabres avec un brin de nostalgie.
–Un soldat suit les ordres de sa hiérarchie, quant à un général... ses décisions influenceront la vie d’un millier de personnes et il sera seul devant le Créateur pour rendre compte de ses actes.
TaekoAsada
Invitée comme membre d’honneur en Asie du Sud-Est pour un séminaire de sa Fédération, elle admirait la beauté des orchidées garnissant les bordures de la salle ouverte. Non loin du temple principal d’Angkor au Cambodge, Taeko profitait de l’installation mise en place par ses élèves pour son confort : une vaporisation d’eau devant un ventilateur bancal. Le système pourtant archaïque rendait fort acceptables les quarante degrés estivaux.
Des cigales bienheureuses et leur chant assourdissant la ramenaient sur son île natale à chaque fermeture de paupières, avec la sensation de voyager dans le passé. Son mari riant devant elle, ses amis présents à la table d’un banquet et festoyant ensemble... Et bien sûr, sa petite Yuna pleine de vie, toujours à lui poser des questions, infatigable à son habitude. Concernant sa disparition annoncée par « les menteurs du gouvernement », elle n’avait jamais adhéré à la version officielle circulant sur les chaînes d’information. Taeko sentait sa présence, comme si elle allait passer la porte à tout moment et s’excuser de son retard, sourire désolé aux lèvres.
Le séminaire d’arts martiaux touchant à sa fin, elle insista pour rester seule un instant et profiter de l’aura dégagée par la pièce. L’élève désignée pour prendre soin d’elle l’attendait au stand du marchand de boissons à proximité. Du coin de l’œil, Taeko observait la demoiselle discuter avec le garçon et, visiblement, elle en pinçait pourlui.
La vieille femme se leva et posa son traditionnel chapeau en paille de riz sur sa tête. Rejoignant l’adolescente, la morsure du soleil l’agressa immédiatement au sortir de la salle et elle baissa les manches de sa chemise ensoie.
–Azumi, peux-tu demander à ton nouvel ami s’il peut nous organiser une visite du temple d’Angkor Wat, le monument principal ?
–Haï haï, Sensei, répondit-elle en baissant son visage par deuxfois.
Trente minutes plus tard, à la faveur de la chaleur descendante, un tuk-tuk hors d’âge crapahutait sur une route défoncée, laissant derrière eux la cité de Siem Reap dans la poussière. Maladroit sur ses trois roues et ses suspensions trop raides, son moteur à essence original avait été remplacé par une version électrique, grossièrement installée dans le châssis. Taeko appréciait la jungle luxuriante, ponctuée par les secousses de la route en mauvais état et l’interminable allée de fromagers offrant sa canopée bienfaitrice. Prémices de l’un des plus beaux monuments de la planète, une senteur particulière et douce incitait les sens à s’ouvrir sur la merveille à venir. Ceci évidemment sans oublier la cité engloutie d’Amami au sud du Japon, pensa-t-elle avec un sourire.
Une grandiose entrée surmontée de visages observateurs avec son allée de soldats en pierre, ou encore des douves intérieures remplies d’eau qui s’étendaient à perte de vue : tout en ces lieux incitait à l’émerveillement. Abandonnant le véhicule, ils prirent la direction du monument principal, sous les explications du jeune homme visiblement fier de présenter le joyau de sonpays.
Majestueux en ce début de soirée cambodgienne et accompagné par l’humidité naissante, le palais dédié aux dieux du passé se tenait devant les Japonaises. Quelques vendeurs terminant de plier leurs échoppes de peintures-souvenirs à la va-vite laissaient la place aux premiers effluves de nourriture. Pénétrant par le passage à gué, celui-ci transportait le visiteur à l’époque des monarchies, un millier d’années plus tôt. Touche finale et sublime, trois tours orangées par le soleil sur sa course descendante pointaient fièrement devant les deux femmes.
–Et là, ce sont les tours de la garde royale, posées de part et d’autre sur le chemin du temple. Nous pensons qu’à l’origine, tout ou presque était recouvert d’or et a donc évidemment été volé. Le site, construit sous le roi Suryavarman II au 12e siècle, était dédié à Vishnou, puis avec les siècles il est devenu bouddhiste,et...
–Sugoï ! répondit Taeko en admiration devant les sculptures sans fin ornant les murs de l’enceinte.
Continuant à observer, un frisson lui parcourut l’échine en localisant des impacts de balle au milieu des fresques. La froideur de la réalité humaine ramena l’enseignante dans le présent bien réel. S’apercevant du malaise de la vieille femme, leur guide improvisé proposa d’aller se recueillir dans un petit temple non loin de là, où des moines se relayaient en service continu.
Noircie par des siècles d’histoire, la pièce était austère, agrémentée de bougies éparses en train de s’éteindre. Baignant dans la cire, un autel surmonté de son Bouddha imposait une atmosphère pesante et particulière. Une none âgée, vêtue de sa toque orange, était occupée à habiller une statue de Bouddha sans tête, selon la tradition khmère. Visiblement amoindrie, elle répétait la même prière en boucle dans un dialecte incompréhensible, à une cadence proche de la folie, et ajoutait à l’ensemble une touche mystique. Sa tâche terminée, elle alla chercher une autre étoffe et poursuivit avec la statue voisine. Dérangée par cette présence profanant les lieux, elle se tut immédiatement. Le guide expliqua alors aux Japonaises que cette femme était connue pour sa démence, mais vivant en ces lieux, son aide était appréciable.
–« Dans la tempête, les Apsaras viendront déverser leur feu de fin du monde et punir les insoumis », traduisit le jeune Khmer. Je m’excuse, mais je ne maîtrise pas parfaitement ce dialecte. Ma grand-mère me l’a enseigné il y a bien longtemps, mais je n’y ai attaché que peu d’importance, précisa-t-il.
Intriguée par la nonne et peut-être aussi par compassion, Taeko souhaita échanger quelques mots avec cette personne d’un âge similaire, marquée par les épreuves de la vie. Le trio s’approcha et celle-ci se retourna, en attendant visiblement un acte de la part des visiteurs.
–Chom reap sour gardienne, commença le guide. Ces deux femmes venues de l’île japonaise souhaiteraient vous respecter et se recueillir un instant dans la chapelle. Elles sont intriguées par les mots que vous récitez.
Maladroitement, un dialogue se tissa avec la femme édentée. Faisant de son mieux, le jeune homme traduisit plusieurs phrases approximatives.
–Il... c’est une prière de son petit village d’Elùu dans les montagnes d’Ari, elle... ne veut pas l’oublier, malgré le poids des années. Les lunes saintes d’Eve lui manquent et elle voudrait revoir sa planète avant de... fermer une... la porte. Cette femme a perdu la tête, il ne faut pas y attacher d’importance, Madame Asada.
–Oui, peut-être, mais une conversation pourrait l’apaiser, neh ? Demande-lui comment je peux l’aider, s’il te plaît.
–Khnioumm niamm baille !
–Elle me dit qu’elle a faim et qu’elle serait contente que vous lui parliez de votreîle.
En guise de présentation, la vieille femme joignit ses mains couvertes de cicatrices et les porta à son visage. Taeko fit de même, pendant qu’Azumi et son ami s’en allèrent chercher à manger. Bientôt un repas fut improvisé sur le dallage encore tiède, chaque femme parlant à tour de rôle de son monde.
Akram Abou Suleiman
–Notre seul espoir sera Mars, dit-il. Nous pouvons survivre encore quelques mois sur SEVA, mais notre salut viendra de New Edwards, la base américaine qui s’y trouve.
–Avons-nous des données précises de la station ? questionna Yuna. Est-elle viable au moins ? Je veux dire : y a-t-il de l’air et de la nourriture en suffisance ?
Les regards cherchèrent par réflexe leur mentor de Titane, qui, observée, répondit avec un large sourire synthétique sur son visage-matrice.
–New Edwards, littéralement imprimée in situ par des robots bâtisseurs dans les années 2036, fut un modèle en son genre. Conçue à l’origine pour abriter trois cents personnes par « tour opération », elle possède des serres à nourriture, des hôpitaux, une salle de cinéma, une chapelle et un centre commercial. La ville était pratiquement autonome, produisant son propre carburant à fusées pour le transit en direction de la Terre. Abandonnée en 2049, on peut supposer qu’elle est sous le contrôle des robots d’entretien.
–Donc si je résume, reprit la commandante, notre survie tient à une cité abandonnée depuis quinze ans et dont la seule chose que nous savons c’est que les copains d’Asii nous y attendront de pied ferme quand nous frapperons à leur porte ? Sans oublier que depuis notre orbite, nous devrons atterrir à proximité immédiate, avec autant de matériel que possible. A.K., une solution ?
–SEVA détient trois capsules d’évacuation, qui devront être calibrées au préalable à l’infime atmosphère martienne, au risque de nous aplatir sur sa surface. Akram marqua une pause, puis enchaîna... Il est l’heure de nous préparer, commandant, et d’emporter tout ce que nous jugerons utile à notre survie. SEVA est perdue...
–Nous sédentariser, encore ? commença Bob qui était resté discret jusque-là, feignant l’ennui, la tête posée dans ses mains. Enfin j’espère que cela se passera mieux que sur la Lune. Fireball n’étant pas du voyage, ce que nous pourrons emporter sera très limité, hein ? Nous devons commencer par une prévision d’insertion orbitale et éviter de nous écraser à cinquante kilomètres d’Edwards, ce qui changerait bien de nos habitudes. Secondairement, Asii, as-tu des plans précis de la base pour préparer une arrivée dans les règles ? Je parle de déconnecter les antennes de liaison avant d’y pénétrer et autres mécanismes de sécurité qui pourraient nous causer des désagréments. Je rappelle que nous allons investir une base ennemie.
–Données lacunaires, Bob, l’improvisation sera de mise, désolée !
Arrivant avec des plateaux de nourriture, Stella et deux autres aides dérangèrent le briefing, imprégnant le rideau de la discussion d’odeurs oubliées. L’équipage de la station pointant à son tour, le réfectoire se remplit de vie, dans un brouhaha rendant la discussion impossible. Yuna revêtant sa fonction de commandant prit la parole avec gravité, son verre de mangue fraîchement pressée à la main.
–Comme vous le savez, notre « chez nous » est agonisant et ne pourra nous ramener sur Terre, c’est mathématique. Notre Tokamak surmené durant l’échappée solaire est endommagé et nous sommes actuellement sur le réacteur de secours. Étant donné qu’il est conçu pour alimenter les servitudes, il ne pourra évidemment pas nous faire quitter l’orbite martienne. Notre statut d’astronaute prendra donc fin dans moins d’un mois, et nous deviendrons des citoyens de Mars !
Marquant une pause pour laisser digérer la nouvelle, Yuna observa son équipage. Un chuchotement naquit au milieu des rescapés et quelques instants plus tard un sentiment mitigé transpira.
–Mais, pourquoi attendre encore un mois ? s’enquit le hippie de l’équipage, qui n’était autre que le docteur Daniel’s.
–Une grosse dépression est active en ce moment sur New Edwards et devrait se calmer ces prochaines semaines. Notre objectif est d’investir la base dans la phase descendante de la tempête et bénéficier de l’anonymat des nuages de poussière. Pour terminer, on ignore encore si les installations sont équipées de défense ou quoi que ce soit d’autre, et nous ne voulons prendre aucun risque ! Si quelqu’un a des informations à ce sujet, elles sont les bienvenues.
–Donc si j’ai bien compris, reprit Daniel’s, après nous être fait exploser par des terroristes, aborder par des Marines et nous être perdus dans l’espace, nous allons finalement nous éjecter d’une base fonctionnelle et repartir à l’aventure sur une planète sans atmosphère pour jouer les commandos ? Commandant Asada, sauf votre respect, regardez-nous, nous étions plus de trois cents sur Paris et ne sommes à présent plus que vingt-trois. Vous comprendrez que la seule chose à laquelle on aspire, c’est de retrouver la Terre le plus rapidement possible. Accessoirement j’aurais du plaisir à envoyer se faire foutre tout ce qui ressemble à une station spatiale ou à des combinaisons qui puent.
–Haï wakarimashita ! Lieutenant Suleiman, voulez-vous expliquer la situation, s’il vous plaît ?
–Merci, commandant. La propulsion et l’énergie de SEVA sont générées par son Tokamak, situées au cœur de la station. Celui-ci, ayant fonctionné hors de toute limite pour attraper l’attraction de Jupiter, a été définitivement endommagé. Une remise en service dans ces conditions serait inacceptable. Nous survivons aujourd’hui grâce à un petit réacteur auxiliaire et quand ce dernier aura épuisé son carburant, tout ceci ne sera plus qu’un bloc de glace. Je dirais dans un peu plus d’un mois approximativement. Ai-je répondu à votre question, Monsieur, Monsieur ?
–Daniel’s, John Daniel’s. Mais il reste la navette du lieutenant Mieville ! On pourrait la préparer pour un voyage de retour et compléter les caissons manquants avec ceux de la piscine, rétorqua-t-il en gesticulant. Merde, c’est quand même mieux que d’atterrir sur une planète sans atmosphère !
SoyiaSahri
Mais par tous les démons de Taran, quand va-t-il s’en aller ? se dit-elle, exaspérée par les torrents de larmes qui inondaient le visage du jeune homme, assis quelques rangs devant elle. Hormis me noyer dans son chagrin, je vais être en retard pour mon rendez-vous sur Ehlo et m’attirer des ennuis.
Temple d’Anhie, non loin du petit village d’Elùu dédié aux asservis de la cité capitale d’Eve, une femme perdait sa patience. Habituellement le lieu sacré dégageait une aura particulière avec sa pierre de taille rouge et ses millénaires de longévité, mais pas en ce moment. Vêtue de sa longue cape noire, la Taranienne se leva et se dirigea vers le jeune homme.
–Heu, salut, bonjour ! Est-ce que je peux t’apporter un peu de réconfort ?
Interloqué dans son malheur, celui-ci tourna la tête et jeta sur elle un regard furtif, les yeux pleins de larmes. Il quitta ensuite le lieu par la porte donnant sur la forêt.
Soyia resta interdite un instant, se demandant si sa démarche avait été maladroite à ce point, et aussi pourquoi elle avait patienté tout ce temps à régler « un problème » aussi simple. Maintenant je dois me presser ! Elle se leva, croisa la déesse mère et son autel au fond de la salle, puis s’engagea dans le boyau directement derrière la statue. Se frottant les épaules dans le passage exigu, elle devina la déesse fille et son culte alternatif dans la pièce attenante. La jeune femme prit le temps d’allumer trois bougies sur le petit autel plongé dans le noir absolu, puis apposa ses deux mains sur le socle de la déesse fille.
Par réflexe, elle chercha la présence d’une éventuelle âme, et manipula la pierre devenue lumineuse, découvrant l’étroit puits s’enfonçant dans les profondeurs de la montagne. La Taranienne se mit à quatre pattes, enfila ses jambes dans le goulet du socle et s’y glissa prudemment. Marquant un temps d’arrêt, elle referma soigneusement l’accès et entama sa longue descente vers le centre de transfert du réseau millénaire. Passant l’ultime sécurité du mur de la caverne, Soyia trouva maître Aaron endormi sur le siège devant le pupitre de commande.
Amusée, elle le regarda ronfler irrégulièrement, puis s’animer dans le sommeil, comme un Akala courant sur sa proie. Sans faire de bruit, elle activa le générateur et la porte en direction d’Ehlo. Sachant que sa manipulation mettrait un certain temps à mettre en service le portail, elle fouilla dans les casiers de stockage pour compléter son équipement. La Taranienne porta son choix sur un poignard empoisonné ainsi qu’un petit implexeur à projectiles explosifs qu’elle cacha soigneusement sur elle. Préparée du mieux que l’on puisse l’être, elle patienta le temps de la validation du système de transfert. Ce faisant, son regard se posa sur la fresque murale qui s’étalait sur le ciel du centre de commande.
–Ran Apsara, chère Soyia ! Les légions blanches des dieux tempêtes, déversant leur feu de fin du monde. Les rescapés du grand malheur l’ont peinte pour garder une trace de ce moment, enfin on peut le supposer.
–Maître Aaron, je ne voulais pas vous réveiller.
–Ce n’est rien, chère Soyia. Vois-tu, cette légende a pour moi un fondement bien réel et chaque jour, nous nous en rapprochons un peu plus. Bref, j’étais venu pour vous assister, mais cette assise est un peu trop confortable et je me suis envolé dans les lunes, je suis désolé. Votre équipement est-il complet ? Rappelez-vous que les poignards doivent être enfoncés profondément dans la chair pour être efficaces. Votre destination sur Ehlo sera Badha, la cité des plaisirs. Aussi je ne le répéterai jamais assez, méfiez-vous des mâles ou autres empêcheurs de mission et surtout, utilisez vos armes avec discrétion. Votre implexeur par exemple est une arme particulière destinée à l’élite de la Constellation, donc à n’utiliser qu’en dernier recours. Il faut absolument éviter une enquête officielle provenant d’Eve.
Acquiesçant aux derniers conseils d’Aaron, elle se retourna en imaginant la suite des opérations. Première étape dans sa préparation, elle s’obligea à ralentir sa respiration et prendre un rythme plus posé. Se dirigeant vers le vortex de transfert, ce fut au tour de son cæur de s’emballer cette fois. Mais comment ne pas être inquiétée ? pensa-t-elle subrepticement.
Devant elle, la sphère mate de transfert avait pris sa taille de deux mètres et était parfaitement stable. Un quelque chose d’effrayant émanait du transporteur intergalactique, par sa capacité à absorber la lumière. Fixant la masse obscure, elle s’aperçut pour la première fois qu’un noir plus intense l’animait, à la façon d’un parasite à demi solide s’insinuant sur certaines zones en les assimilant. Résolument, elle vida ses poumons et marcha au travers de l’anomalie. Cette procédure, qui l’aurait rebutée il y a à peine deux cycles, était devenue chose courante aujourd’hui et une certaine assurance s’était posée sur ses actes.
De la lumière éblouissante de la caverne d’Anhie, elle passa à la pénombre dérangeante de Pyta, sa destination proche de la cité des plaisirs. Au même moment, ses tympans manifestèrent leur désapprobation, et l’oppression qu’elle ressentit la fit crier et se recroqueviller à terre, en position fœtale.
Les murs commencèrent à s’illuminer et la petite créature à reprendre vie. Un instant plus tard, elle se releva et s’éloigna de la zone de transfert en titubant.
–B... Bien, Badha se trouve heureusement à moins de deux heures de marche, je peux aisément y arriver avant la mi-journée et me glisser parmi les esclaves de plaisir. Ceci évidemment si mon faux tatouage est validé.
Avec professionnalisme, elle ajusta sa tenue et observa la peau de ses mains prendre la couleur sombre des natifs d’Ehlo. La médication se met en place, se dit-elle. Elle lui offrirait un anonymat parfait pour sa délicate mission, au détriment des effets secondaires qu’elle imposerait à sa chère Sanaa lors de son retour, le temps que l’effet se dissipe.
La sortie du temple de Pyta ne posa aucun problème, plus personne ne venait se recueillir ici depuis des lustres, a contrario d’une chaleur étouffante l’agressant immédiatement. Préparée psychologiquement, Soyia s’engagea sur la piste balisée par des pierres alignées, au milieu d’une étendue de sable à perte devue.
–Ehlo, la planète des sables et de ses charmants scarabées suceurs de sang. Toute la poésie d’une planète qui a réuni en son sein les pires malfrats de la Constellation !
Accablée par la brûlure du soleil, elle sortit de son sac un ample « ajabalé » et glissa sa tête sous sa surface blanche apaisante. Parcourant son chemin avec peine, Soyia s’encouragea en buvant un peu de son eau, tant sa gorge asséchée la faisait souffrir. Par réflexe, elle faillit lâcher sa gourde, voyant par surprise un insecte noir sur ses mains. Il lui fallut quelques secondes pour réaliser que c’était son corps entier qui avait pris la couleur de la nuit et qu’elle ne s’y était pas tout à fait préparée.
Badha en vue, l’asservie pressa son pas, encouragée par l’ombre salvatrice qu’offrirait la cité. Bientôt devant les imposants murs de boue séchée, devenus mortier avec les millénaires, elle admirait la forme inclinée vers l’intérieur, laissant supposer un ennemi naturel redoutable. La porte de derrière, que maître Aaron lui avait conseillée, était gardée par deux autochtones particulièrement repoussants. Ils n’avaient d’égal que leur haleine, certainement en raison d’une boisson locale macérée. Sans détour, ils lui proposèrent de s’amuser à trois pour un Kham chacun.
L’enceinte protectrice des murs dévoilait son lot de surprises, comme un passage magique sur une autre dimension. Une odeur fétide difficilement définissable se mélangeait aux aromes d’épices dans une température étrangement agréable. Le tout faisait presque oublier que Badha était une des cités les plus reculées des mondes connus. Une foule dense provenant des quatre coins de l’univers vaquait à ses occupations, cherchant probablement une récréation impossible à trouver sur leurs mondes respectifs.
Se repérant avec peine, Soyia s’égara dans l’immensité anarchique des rues, emplies de vendeurs qui monnayaient le plaisir total avec des Kham. Elle perdit un temps précieux à localiser sa cible : une des plus anciennes maisons de plaisir de la cité, l’avait décrite ainsi Aaron. Elle réalisa finalement que c’était la seconde fois qu’elle passait devant sa façade. La bâtisse rustique du « Plaisir des Dieux », qui se tenait devant elle, fit accélérer son petit cœur au bord de la panique. Je touche au but, pensa-t-elle en essayant de se calmer et se remémorant que les esclaves de plaisir étaient sourdes et muettes de naissance, comme l’attestait son tatouage.
Passant la lourde porte, une femme aux formes généreuses lui fit comprendre son retard avec de grands gestes. Elle lui ordonna de prendre son service à l’étage supérieur où des personnalités importantes l’attendaient déjà. Elle ajouta inutilement, en hurlant contre son visage, que si cela se reproduisait, elle se ferait exclure du personnel privilégié. Baissant la tête en acquiesçant, l’esclave prit le chemin des vestiaires, où heureusement d’autres filles convergeaient et indiquaient le chemin à suivre.
Alcôve 7, lui avait dit Aaron. Rien que la présence de ces deux personnes confirmerait les soupçons sur ce qui se préparait. Battant la chamade, son cœur s’emballa cette fois, l’adrénaline s’insinuant dans chaque partie de son être. Soyia se rendait compte en cet instant précis de la valeur de son entraînement. Sortant du vestiaire en portant comme unique vêtement sa large ceinture de tissu, elle suivit un long couloir en pierre, direction le temple, comme l’appelaient les locaux. Le temple de tous les comploteurs de la galaxie, se dit-elle. 5, 6 et 7, nous-y voilà... Aucune porte, juste une autre esclave, aussi sombre qu’elle, assurant les entrées et les sorties... discrète dans son petit vestibule.
La concierge baissa les yeux en guise d’approbation, et Soyia entra dans la vaste suite. Par réflexe elle se dirigea vers l’autel où un somptueux repas trônait sur la place en pierre. Tissu, encens, nourriture et esclaves composaient la scène qui aurait aussi bien pu se tenir dans la nuit des temps, que dans un présent bien réel. Saisissant un plateau de scarabées grillés, la Taranienne alla vers les esclaves de plaisir, agglutinées auprès des deux personnalités à demi couchées sur leurs lits. Proposant sa spécialité au premier invité qu’elle reconnut, elle choisit de faire de même avec le second en évitant de croiser leurs regards.
–Tu vois, cher Arès, ici tu es un dieu et personne ne te demandera des comptes !
Sur ces paroles, le molosse, vêtu de sa nudité et couvert de cicatrices, saisit une esclave par le cou. Son énorme main lui bloqua complètement la trachée, en s’enroulant à la manière d’un reptile sournois. Curieusement, il avait choisi l’unique femme blanche présente, comme s’il voulait éliminer une anomalie dans les personnes présentes. Aucun son ne sortit de la bouche, ou autre mouvement de terreur, de la petite chose résignée. Deux larmes coulèrent de ses yeux et son cou se brisa avec le bruit d’une branche cassée. Wasco conserva sa proie quelques secondes dans sa main, curieux de comprendre la raison de son geste. Puis avec dédain, il la jeta au sol, provoquant l’effroi dans la pièce.
–Cette blanche-là ne méritait pas sa place au sein de cette guilde, dit-il.
–Oui, mais tu viens d’éliminer la perle rare de Guilléa, la maîtresse de maison, dit Arès. Elle va être furieuse !
–Soyons sérieux, ce n’était qu’une servante ! Quand penses-tu qu’il sera possible d’entamer les opérations, je parle de la première étape concernant Eve ?
–Dans une dizaine de lunes, horloge d’Eve... Mais que ?
Se servant un scarabée sur le plateau tendu par Soyia, Arès resta interloqué en la dévisageant. Puis fondant ses soupçons, il saisit violemment le poignet de l’asservie et la tira contre lui. Plateau, nourriture et cris de frayeur s’échappèrent de nouveau dans la majestueuse suite, ajoutant une horreur de plus à un sinistre palmarès.
–Toi, je te connais ! hurla-t-il.
AvaBarr
Yankee, niveau -36, une lueur blafarde illuminait les canalisations rouillées au rythme lent des pas. Avançant depuis deux heures avec leurs tenues spatiales, la plus petite des personnes s’enquit :
–Euh, Ava, quand est-ce que l’on arrive ?
–Quoi, déjà envie d’aller aux toilettes, Kim ? Le café c’est diurétique et à proscrire avant toute E.V.A. ! Bon, ne t’inquiète pas, les toilettes du bunker devraient être encore fonctionnels s’il reste de l’air, ce qui n’est pas le casici.
Continuant leur chemin dans la galerie encombrée de briques de régolithe brisées, le duo arriva face à une montagne de débris obstruant le Graal attendu : le puits d’accès donnant sur l’ancienne tanière d’Ava. Contrariée elle commença à dégager l’entrée, aidée par sa compagne.
–Je te rappelle que le toubib a dit que tu pouvais poser ton pied, par faire un 110 mètres haies ! Je sais que la faible gravité aide, mais là, tu exagères.
–Je ne vais pas échouer si près du but, shit !
Tombée du plafond, une poutrelle de soutènement condamnait par sa présence le précieux accès et servait de support à une multitude d’autres débris accumulés. Tirant sur l’une des extrémités de la pièce métallique, Ava dégagea un trou béant qui en même temps laissa choir les gravats dans la cavité sans fond. La poussière générée obligea les deux femmes à s’asseoir un instant et patienter.
–Jané s’ennuie dans sa classe, elle a la tête dans les étoiles !
–Oui ! Trop douée, cette petite, je l’avais pourtant recommandée pour le groupe des avancés, mais on m’a reproché mon parti pris, etc. Tu connais l’école d’Europe et son niveau d’enseignement, hein ? Je ne te l’ai jamais dit, mais elle m’avait mise en garde pour mon accident sur Paradise.
–Quoi ? Et toi tu as foncé dedans tête baissée !
–Que pouvais-je faire d’autre ? Laisser mourir tous ces soldats, et nous aurions peut-être aussi perdu cette stupide guerre. De toute façon, ceci est loin maintenant, c’est comme s’il s’agissait d’un souvenir d’une autrevie.
–Mémoires post-traumatiques, ma belle ! Seulement toi, tu t’en sors bien pour le gérer, pas comme Jacques. Je sais qu’il a de mauvaises passes ces temps-ci.
–Oui, il le cache bien, ce gros nigaud ! On peut y aller maintenant, ça s’est suffisamment dissipé. Tu me suis, l’entrée est à une vingtaine de mètres en contrebas, sous un surplomb. Défense de glisser, hein ?
–Si j’avais su que je ferais de la spéléo lunaire un jour ! Moi qui m’étais engagée comme espionne pour le compte de laCIA.
–Chut, Kim ! Je sais bien qu’il n’y a pas de « coms » ici, mais mieux vaut ne pas trop ébruiter ce passé-là,non ?
Passant le sas et refermant soigneusement la porte, elle lança la pressurisation, qui se manifesta avec un gros témoin vert. Activation du générateur de secours, chauffage et retrait des scaphandres plus tard, les deux femmes déambulaient dans les souvenirs d’Ava.
–Au fait, pourquoi tenais-tu absolument à revenir ici, ma belle ? Tu ne voulais rien me dire...
–J’ai un passé de délinquante, Kim ! La vie sur Paradise n’était pas très facile avant l’avènement de la guerre et surtout de la CONA. Alors on prenait l’argent là où il y en avait, notamment au travers d’une chaîne de diffusion illicite, dont Yankee et Paradise étaient friandes.
–Tu veux parlerde...
–Pornographie augmentée en tous genres ! Toutes mes données sont restées prisonnières ici depuis ces dernières années, et je ne pouvais y venir faute de jambes. Nous avons largement de quoi arrondir nos fins de mois avec ceci, lui montra-t-elle du doigt, un petit boîtier brillant qui était posé sur la console principale.
–Et moi cela me donne des idées crapuleuses, dit-elle en approchant son minois coréen des lèvres de l’Alphane. On pourrait ?
–Viens, dit Ava, prenant son amie par la main en direction de sa chambre.
La complicité née entre les deux femmes avait une face paradoxale, improbable comme la guerre qu’elles avaient traversée ensemble. L’une, espionne contrainte, à la solde des Américains, et l’autre, « intelligence service », à celle de la CONA. Toute la haine punitive liée au conflit s’était muée en amour, peut-être aussi par respect mutuel des compétences de chacune. De cette histoire était né Eagle Eyes, le service responsable de la sécurité lunaire et son efficacité devenue légendaire, avec les deux femmes en figure de proue.
Kim se réveilla avec la tête sur le ventre d’Ava, bercée au rythme de sa respiration. Émergeant gentiment dans la pénombre, sa première pensée fut : merde, on s’est assoupies ! Puis la seconde la fit se lover contre sa complice, la réveillant à son tour en douceur.
Trente minutes plus tard, sortant de la douche encore fonctionnelle, Ava remit en service une des consoles de surveillance, pour s’apercevoir que le calme plat régnait sur le système, Yankee ayant disparu de la surface lunaire. Elle passa en revue les événements figurant sur les enregistreurs automatiques avec un brin de nostalgie, puis copia ses données et désactiva le système pour son dernier repos. Elle proposa à Kim un repas américain avant de reprendre la route, le garde-manger leur offrant six menus différents, pour une survie devenue inutile aujourd’hui.
Tout en mastiquant son hamburger synthétique à la consistance de caoutchouc, Ava regardait Kim se débattre avec son Swiss cheese artificiel, sourire narquois aux lèvres.
–Pas étonnant qu’ils soient aussi gros ces Riquins en mangeant ce n’importe quoi, dit-elle, la bouche pleine.
–Shit shit shit !
–Oui, je sais bien que ce n’est pas terrible, mais rassure-toi, tu survivras !
–Non ! reprit Ava. J’ai compris... et c’était sous notre nez depuis tout ce temps.
–Quoi ? Vas-y, déballe, tu m’inquiètes.
–SEVA a disparu de la console, elle n’est plus là. Mais comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ! Mais oui, ils sont sur SEVA, c’est clair.
–Tu rêves, ma cocotte ! C’est vrai que l’on ne la « monitore » plus depuis des lustres, parce qu’une station détruite nous intéresse moins qu’une en état de fonctionner. Elle se sera probablement fait attraper par un jet de plasma et, hors de contrôle, se sera abîmée dans l’astre,non ?
–Sauf que sa date de disparition correspond à la perte de Paris, il y a près de vingt-sept mois !
Yoshiro Watanabe
La douleur lui fit ouvrir les yeux, insistante, comme une brûlure qui vous ronge les chairs. Je... il était attaché sur le dos avec les mains solidement entravées et avait perdu la notion du temps. Par réflexe plutôt qu’intérêt, Yoshiro chercha un point de repère pour sa conscience. Un fait bien réel, qui cette fois ne disparaîtrait pas toutes les cinq minutes avec le brouillard de l’inconscience.