Alan Vega, conversation avec un indien - Alexandre Breton - E-Book

Alan Vega, conversation avec un indien E-Book

Alexandre Breton

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Beschreibung

La vie de la figure majeure de l’underground new-yorkais

Figure majeure et fascinante de l'underground new-yorkais, Alan Vega a marqué profondément l'histoire du rock'n'roll, avec son groupe Suicide ou en solo, autant que le champ des arts plastiques, par ses installations lumineuses. De la sculpture à l'expérimentation sonore, de l'activité politique engagée aux courses hippiques, d'Elvis aux figures du Christ, de Spinoza à la judéité, Alan Vega, conversation avec un indien est une incursion dans l’oeuvre foisonnante de l’artiste ; une lecture nomade, urbaine, poétique et polyphonique, scandée par les voix d’Agnès b., Bob Gruen, Pascal Comelade, Dirty Beaches, Marc Hurtado, Perkin Barnes, Christophe, Martin Rev...

Une biographie qui vous plonge au coeur d'un New-York survolté

EXTRAIT

Bâtard saturnien d’Elvis, Alan Vega cumule les mystères. Patronyme biffé, date de naissance flottante. Vega : patronyme élu — hasard d’un soir de 1973 sur les trottoirs de New York downtown. Nom d’une étoile proche de la Terre autant que du Soleil, l’une des plus brillantes que l’œil humain puisse apercevoir. Vega, qui appartient à la bien-nommée constellation de la Lyre. Vega, c’est aussi une Chevrolet, quatre cylindres, quatre-vingt-dix chevaux, lancée par General Motors en 1968. Un gouffre économique pour la firme de Détroit. Le mythe américain dans son versant cauchemardesque. Le lustre et le trash. Initialement né Alan Boruch Bermowitz le 23 juin 1938, d’un père fils d’immigré russe naturalisé et d’une mère américaine, tous deux Juifs. Alan n’est Vega qu’après avoir été d’abord Alan Boruch Bermowitz, puis Alan Suicide — alors qu’il commence, fin des années 1960, à exposer ses installations à la galerie Ok Harris —, ou encore Nasty Cut lors des premiers concerts de Suicide avec Martin Rev et Paul Liebegott. Peu importe.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Alexandre Breton, né en 1973, est professeur de philosophie en région parisienne et producteur pour Radio France pour qui il a notamment réalisé des portraits d’Archie Shepp, Christophe, Alan Vega, Jonas Mekas. Il est aussi directeur artistique du festival parisien City Sounds, dédié aux musiques actuelles et prépare une anthologie du cinéma expérimental américain.

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Figure majeure et fascinante de l’underground new-yorkais, Alan Vega a marqué profondément l’histoire du rock’n’roll, avec son groupe Suicide ou en solo, autant que le champ des arts plastiques, par ses installations lumineuses.

De la sculpture à l’expérimentation sonore, de l’activité politique engagée aux courses hippiques, d’Elvis aux figures du Christ, de Spinoza à la judéité, Alan Vega, conversation avec un indien est une incursion dans l’œuvre foisonnante de l’artiste ; une lecture nomade, urbaine, poétique et polyphonique, scandée par les voix d’agnès b., Bob Gruen, Pascal Comelade, Dirty Beaches, Marc Hurtado, Perkin Barnes, Christophe, Martin Rev…

 

Alexandre Breton, né en 1973, est professeur de philosophie en région parisienne et producteur pour Radio France pour qui il a notamment réalisé des portraits d’Archie Shepp, Christophe, Alan Vega, Jonas Mekas. Il est aussi directeur artistique du festival parisien City Sounds, dédié aux musiques actuelles et prépare une anthologie du cinéma expérimental américain.

Alan Vega, conversation avec un indien, est le premier opus de la collection Fusion que nous souhaitons riche et fournie, qui présente des artistes dont la vie créative est dense — à l’image d’un Alan Vega, musicien et plasticien — des personnages singuliers à l’avant-garde ou défricheurs, mais avant tout enclins à effacer les frontières et faire bouger les lignes. C’est pourquoi, nous aussi, en tant qu’éditeur, nous avons fait le choix de la créativité pour une nouvelle expérience de lecture, celui du livre enrichi, qui mêle textes, sons et images.

b sonic

 

 

Alan Vega, New York, 1980© photo : Pierre René-Worms

Alan's work is as bold and exploratory as anything Free Jazz players did in their time. Alan has always stayed true and outside. He is the real thing and his integrity is absolute. 

Henry Rollins

They were a very pure minimalistic distilled version of rock'n'roll. Joe Foster got me into Suicide as he did a lot of great music. Creation was music fans trying to be a record company ; me and Joe were fans that put out music... I supported them in 89, I think at Dingwalls with Biff ! Bang ! Pow ! They were great guys.

Alan MacGee

Introductionpar Marc Hurtado

J’avais quinze ans lorsque j’ai entendu pour la première fois la musique de Suicide, et ce fut un véritable choc. Leur son n’était comparable à rien de ce que l’on pouvait entendre à l’époque, tant par le chant possédé d’Alan Vega que par la musique apocalyptique de Martin Rev. Je travaillais déjà le son à cette époque, manipulant des bandes que j’enregistrais à l’extérieur et que je mélangeais avec divers objets et instruments de fortune. Je torturais et frappais, avec un plaisir non dissimulé, toutes ces guitares, plaques de fer, portes, bouteilles, que je mélangeais avec des sons d’usines, des cris ou des sons de la nature. Je ne savais bien évidemment pas jouer la moindre note de musique mais laissais tout mon corps et mon esprit livrés à la chair incandescente du son. L’approche de mes sons a toujours été très manuelle : je saisis, malaxe, découpe et modèle ceux-ci à la façon d’un sculpteur et il m’a semblé, à l’écoute du premier album de Suicide, que Martin Rev et Alan Vega construisaient leur musique avec cette même méthode « artisanale ».

J’ai formé le groupe Étant-Donnés avec mon frère Éric en 1977, lorsque je me suis rendu compte que je n’étais pas le seul à pratiquer ce genre de manipulations violentes du son. La découverte de Suicide, mais aussi de Throbbing Gristle, Mars, DNA, Chrome ou NON, a été un vrai révélateur du besoin de passer à l’étape qui succède à l’expérimentation sonore solitaire. Une vraie révolution sonore internationale a éclaté à cette époque, même si elle restait très underground. On ne voyait aucune image sur scène des groupes que l’on écoutait, les pochettes des disques étaient les seuls éléments visuels qui nous permettaient de libérer notre imaginaire autour de ces groupes, et souvent, les pochettes étaient très mystérieuses, abstraites. Ainsi, ce qui nous transportait essentiellement, c’était le son du groupe. Dans le cas de Suicide, leur son était le plus mystérieux, sauvage, fin et violent que l’on pouvait entendre à l’époque. Je n’ai jamais rien entendu de plus beau et extrême que les cris d’Alan Vega dans « Frankie Teardrop ».

Alan Vega réalise des sculptures de lumières, il se sert d’objets récoltés dans les rues, dans les poubelles et il les « sacralise » en leur donnant une nouvelle vie grâce à la lumière. Ses sculptures diffusent de la lumière et la lumière éclaire ses sculptures. Il essaie de saisir cette matière invisible et de la rendre palpable, vivante. Le son est tout autant invisible et insaisissable, il vient de partout tout comme la lumière et, quand on tente de le sculpter et de le maîtriser, on sent échapper sous ses doigts tout type de formes d’ondes vibratoires, des sons libres dont on ne soupçonne souvent pas l’existence. Ce qui peut définir l’œuvre d’Alan Vega, autant dans sa musique, ses textes que dans ses sculptures, c’est le mot liberté. Il n’y a pas de place dans son œuvre pour le mot compromission. C’est cette même liberté qui m’a toujours guidé dans le son, la performance, la poésie, la peinture ou le cinéma. Et sur ce terrain, Alan Vega et Martin Rev sont les artistes dont je me sens le plus proche. Leur démarche m’a convaincu d’aller encore plus loin dans le son et l’image, au-delà de tout, et d’avoir une démarche totalement libre et indépendante, sans aucune concession.

Alan Vega a évolué au cours des années vers un son de plus en plus libre, violent et chaotique. Quand nous avons enregistré notre disque Re Up avec lui, à New York, en 1998, les sons que je lui proposais ressemblaient énormément aux sons de ses propres albums solo. Notre approche sonore est très proche, ses structures sonores décrivent la ville dans laquelle il vit depuis toujours, New York. On croit entendre des sirènes de pompiers, des klaxons, des bruits de métros dans sa musique. Celle-ci est aussi violente que la ville elle-même ; on retrouve la même folie bouillonnante qui s’échappe de l’énergie volcanique de New York. Alan Vega ne décrit pas simplement une ville ou une société mais un espace qu’il se crée de toutes pièces avec ses sons ou ses lumières ; il reconstruit l’extérieur à l’intérieur.

Que ce soit sur scène, sur disque ou dans mes films, ma relation avec Alan Vega est totalement magique car c’est de cela dont il s’agit dès que l’on veut parler d’une vraie collaboration. Je n’ai jamais répété un concert, il en est de même pour un enregistrement, un film ou une peinture, tout doit se faire dans la sensation de l’instant, l’essentiel étant d’aller toujours de l’avant sans jamais savoir où l’on va exactement. Voilà ce qui me raccorde, je crois, intensément à Alan Vega : avancer à l’aveugle pour tenter d’y voir clair. C’est en fermant les yeux que l’on voit le plus beau cinéma, que l’on entend la plus belle musique, quand l’intérieur devient une compression de l’extérieur et que l’extérieur devient une projection de notre intérieur.

Le son du sang est le sang du son.

Montpellier, septembre 2012

 

 

« La nature se paie partout notre tête : — les pensées surgissent en nous de leur propre mouvement, mais force nous est de croire indignement que c’est nous qui les tirons du néant, — comme le photographe Ekdal dans la pièce d’Ibsen croit gagner le prix du déshonneur de sa femme. Nous lançons des idées à droite et à gauche et au petit bonheur pour qu’un quelque chose s’y accroche..., pour ce qui est de déterminer le quelque chose, c’est ce qui n’est pas en notre pouvoir : jamais tout à fait, un peu parfois, mais le plus souvent nous ne voyons pas à un pas — un ridicule tâtonnement d’aveugle — qui, de plus, n’y va que parce qu’on le pousse —, voilà la sublime pensée dont nous tirons vanité ! La réflexion consiste en une suite sans fin de rebuffades, de défaites, d’échecs : — mais, comme si de rien n’était, nous revenons encore et toujours à la charge avec une ténacité étonnante et une patience de mule, nous — qu’un seul petit insuccès laisse ailleurs transis de désespoir... — nous accommodons parfaitement du fait que notre vie se réduise au transbahutement dément du rocher de Sisyphe ; mais s’il nous arrive, ce faisant, de nous fouler le petit orteil, nous en sommes malheureux... Nous ne sommes pas les enfants gâtés de la nature, loin de là, nous en sommes les esclaves, dressés par elle à des travaux forcés où nous trouvons un plaisir masochiste, cependant que chacun prend ses aises à part soi... Notre pensée est si terriblement superficielle, mi-figue, mi-raisin, inaboutie, péniblement incertaine, que le moindre soupçon d’honnêteté n’y survivrais pas une seconde ; — mais nous alors, suspendus au-dessus d’un abîme, nous nous illusionnons au point de croire avoir les deux pieds sur terre ; mais nous triomphons toujours de la bêtise d’autrui — et le sage et l’imbécile sont aussi âne l’un que l’autre ; mais nous avons l’imprudence de croire à l’occasion être dans le vrai ! Mais nous avons la folie de nourrir des convictions ! Le monde ressemble à une farce conçue pour distraire une puissance inconnue — si c’est bien le cas, le genre humain y représente un des guignols les plus grotesques... »

Ladislav Klíma, Le Monde comme conscience et comme rien,1904

Paris, février 2011

Paris, hiver. Nous traversons la place du Palais Royal. À l’arrière du taxi, Alan Vega, bonnet noir et rouge sur mèches de jais, Ray-Ban, blouson zippé ras du cou. «  I hate talking about my past... Past is the past. »

ALEXANDRE BRETON— Le chanteur Christophe dit de vous que vous êtes un Indien.

ALAN VEGA — Il a raison ! J’ai d’ailleurs les pommettes saillantes, je dois sûrement être un Indien ! Je suis comme Géronimo, oui, je suis un Indien. Je suis bien plus un Indien qu’un cow-boy, en effet. Tu sais, les Français voient des Indiens et des cow-boys partout. Je ne sais pas, la mythologie de l’Ouest peut-être. J’ai tout un film sur Géronimo, sur la façon dont il s’est fait baiser. C’est une horrible histoire... (Long silence) À présent, on a une vie bien réelle, avec des révolutions aux quatre coins de la planète...

A. B. — Êtes-vous toujours en colère ?

A. V.— Oui, j’ai des moments de colère. Je peux même être très dur avec mon fils, parfois. Mon père était un paresseux. Je ne l’ai pas beaucoup vu et il ne me dérangeait pas vraiment. Son truc, c’était les devoirs. Ma mère disait « Occupe-toi des devoirs ! ». Il s’en occupait puis se cassait. Quand ma mère disait « Occupe-toi des devoirs ! », tu n’avais vraiment pas envie de l’entendre hurler ! Elle avait un cri à te tuer net !

A. B. — Comme quoi ?

A. V. — Oh, c’est indescriptible ! Tu sais, il y a deux sons pour moi absolument insoutenables : le premier, c’est celui de l’aspirateur ; le second, c’est la voix de ma mère ! Bon, à présent, c’est la voix de Liz [son épouse - NdA] qui parfois devient complètement folle ! Alors voilà, je me mets en colère de temps en temps. Je hurle à mon fils « Montre-moi tes devoirs ! Je veux les voir ! ». Et il me les montre. Ça a été vraiment difficile... C’est pour cela que j’ai arrêté de tourner. Je devenais vieux. Et puis tu peux pas laisser ton gosse... Tu pars seulement quelques jours et il commence aussitôt à te manquer. Vraiment ! D’abord, tu te dis « Ah, merci mon Dieu, je suis libre », et au bout de deux ou trois jours ce fichu gosse te manque terriblement !

A. B.