Amour... : Intégrale tome 2 - Andrew Grey - E-Book

Amour... : Intégrale tome 2 E-Book

Andrew Grey

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Beschreibung

Passez un peu de temps à la ferme et découvrez ce que signifie l'Amour… La ferme rurale de Geoff et Eli, dans le Michigan, est un lieu sûr où la famille permet aux amis de guérir des dures réalités du monde extérieur. Dans le tome 2, le voyage vers la maison, l'espoir et la famille se poursuit. Les ultimatums parentaux, les attaques ciblées et les accidents de voiture qui changent la vie ne pourront rien contre le pouvoir de guérison de l'amour et de la gentillesse. Ces hommes apprendront à leurs dépens ce que l'amour peut vraiment signifier.

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Veröffentlichungsjahr: 2021

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Table des matières

Résumé

Amour… et liberté

Amour… sans peur

Amour… et guérison

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Biographie

Par Andrew Grey

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Droits d'auteur

Amour… : Intégrale tome 2

 

Par Andrew Grey

 

Passez un peu de temps à la ferme et découvrez ce que signifie l’Amour…

La ferme rurale de Geoff et Eli, dans le Michigan, est un lieu sûr où la famille permet aux amis de guérir des dures réalités du monde extérieur.

Dans le tome 2, le voyage vers la maison, l’espoir et la famille se poursuit. Les ultimatums parentaux, les attaques ciblées et les accidents de voiture qui changent la vie ne pourront rien contre le pouvoir de guérison de l’amour et de la gentillesse. Ces hommes apprendront à leurs dépens ce que l’amour peut vraiment signifier.

Amour… et liberté

 

Par Andrew Grey

Amour…, numéro hors série

 

Renié par son père et chassé de chez lui, Stone Hillyard erre en plein hiver dans le Michigan quand il a la chance de trouver refuge dans la ferme équestre que dirigent Geoff Laughton et son partenaire Eli. Les deux hommes l’accueillent, lui offrent un toit et un emploi : s’occuper des chevaux et les aider dans leur programme d’équithérapie « Cheval… sans limite’.

Preston Harding est devenu infirme depuis un tragique accident de voiture provoqué par un ivrogne. Il a tout perdu : son amant, son indépendance, son avenir. Toujours en fauteuil roulant après des mois de rééducation acharnée, il devient désespéré. Son thérapeute lui recommande alors le programme de Geoff et Eli. Dès sa première leçon, Preston se montre si odieux et arrogant qu’il manque être expulsé. C’est Stone qui intervient en sa faveur, malgré les insultes reçues. Ce geste inattendu oblige Preston à faire un retour sur lui-même.

Stone et Preston se soutiendront mutuellement dans leur affrontement avec leurs familles respectives, malgré la désapprobation et les vieux secrets douloureux. Ils apprendront, parfois à leurs dépens, que l’amour peut représenter la liberté.

À Gabi, ma relectrice, pour son aide et ses conseils avisés

I

 

 

LE CAMION se gara sur le bas-côté, avant de s’arrêter.

Tandis que Stone tendait la main vers la poignée d’ouverture, le conducteur grogna :

— J’ai pas à transporter les gens gratis. Si tu veux pas payer, t’as qu’à marcher ! T’avais qu’à me sucer.

Stone ouvrit la portière en s’accrochant à son sac à dos, parce qu’il craignait que le chauffeur tente de lui voler ses affaires. Et il avait raison de se méfier : le camion se remit en marche dès qu’il tenta de poser le pied à terre. D’un geste vif, Stone frappa le chauffeur au visage. Le camion s’arrêta encore une fois. Stone en profita pour s’échapper, avec son sac.

— Sale con ! cria-t-il, une fois hors de portée.

Le camion s’éloignait déjà et Stone s’adressait à ses feux arrière. Ce qui ne l’empêcha pas de continuer :

— Je ne voudrais pour rien au monde du champignon racorni qui te sert de queue !

Il avait quand même un certain standing. Tout en regardant le camion disparaître, il quitta sa congère et tapa du pied pour débarrasser ses vêtements de la neige.

— P’tain, on se gèle par ici !

Il trépigna sur place un moment encore pour se réchauffer, avant de ramasser son sac, dont il passa la bandoulière sur son épaule. N’ayant été que quelques minutes dans le camion, il n’avait pas vraiment eu le temps de se réchauffer. Il évalua ses chances de trouver un autre véhicule susceptible de le prendre en stop par une nuit comme celle-là.

La neige tourbillonna autour de lui lorsqu’il se mit en marche. Sans aucune idée de l’endroit où il allait, il espérait seulement trouver un endroit où s’abriter. Le vent venait de se lever et la nuit tombait. En entendant le bruit d’une voiture derrière lui, Stone leva le pouce, mais le chauffeur continua sans ralentir et ses roues firent jaillir une gerbe de glace et de boue qui ne fit que le frigorifier davantage.

— Merde.

Il fouilla dans son sac sans réussir à trouver ses gants. Il les avait oubliés dans le vieux camion… Son élan de colère, enflammé par la décharge d’adrénaline, éclata comme une bulle de savon.

— Merde de merde ! hurla-t-il, plus ou moins en direction des arbres silencieux.

Il mit les mains dans ses poches pour les réchauffer. J’aurais peut-être dû accepter de lui faire une pipe. Cette perspective le fit frissonner et des larmes lui brûlèrent les yeux. Il était dans une situation désespérée, d’accord, mais pas à ce point. Du moins, pas encore. Il s’essuya les yeux et regarda autour de lui : le paysage, tout d’arbres et de blancheur, s’assombrissait. Pas encore, mais peut-être bientôt.

Il resserra les bras autour de lui-même pour tenter de protéger sa peau du vent et continua à avancer. Il réalisa alors qu’il approchait d’un carrefour. Un panneau indiquait : ‘Université communautaire de West Shore’. Il prit cette direction, envisageant au pire de s’abriter sous une porte cochère. L’endroit paraissait fermé, il ne vit personne apparaître. Tout en marchant, il constata que les arbres serrés de chaque côté de la route le protégeaient du vent, ce qui lui accordait un répit bienvenu.

Peu après apparurent des bâtiments en brique sombre. Stone se dirigea vers l’un d’entre eux et tenta d’ouvrir la porte, qu’il trouva fermée. Il fit le tour de la bâtisse, entièrement verrouillée. Il poussa un soupir. Il aurait dû s’en douter. Les élèves étaient sans doute encore en congé de Noël et les cours ne reprendraient pas avant plusieurs jours. Il envisagea de casser un carreau, mais, avec sa chance, il y aurait certainement une alarme. Peut-être aurait-il plus chaud en prison ?

Il se baissa pour ramasser un caillou et s’apprêtait à le lancer sur une vitre lorsqu’il vit de la lumière derrière les arbres. De la lumière, cela signifiait des gens, et peut-être aussi un abri, de la chaleur. Lâchant son caillou, Stone se dirigea vers elle en espérant un coup de chance.

Dès qu’il émergea de la ligne d’arbres, le vent traversa l’épaisseur de son manteau. Il regarda devant lui et crut reconnaître les contours d’une grange et d’une ferme. Il traversa la route et pataugea dans la neige jusqu’à la porte d’entrée, protégée d’un porche. Il tremblait de plus en plus à chaque pas effectué, et pria pour que ces étrangers acceptent de le laisser dormir dans leur grange. Il sortit la main de sa poche pour frapper au panneau, ses doigts engourdis s’éveillèrent un moment avant de redevenir inertes. Stone remit vite la main dans sa poche.

Des pas lourds approchèrent, le panneau pivota, Stone ouvrit la bouche pour parler, mais ses dents claquaient trop fort. Il se mit incoerciblement à frissonner.

— Eli ! Viens m’aider !

Le premier homme s’était retourné pour crier vers l’intérieur de la maison. Il fut rejoint par un autre étranger et la porte s’ouvrit davantage. Stone remercia sa bonne étoile lorsqu’il fut entraîné à l’intérieur, dans une entrée bien chauffée. La porte d’entrée claqua derrière lui.

Il resta debout sur le paillasson, à frissonner, les yeux fermés, savourant la chaleur qui l’entourait. Lorsqu’il sentit des mains lui retirer son manteau, il eut un sursaut et s’écarta violemment.

— Hé, petit, personne ne va te faire de mal. Nous voulons simplement te débarrasser de ce vêtement trempé pour que tu puisses te réchauffer.

En ouvrant les yeux, Stone croisa ceux de l’homme qui tentait de le déshabiller.

— Comment appelles-tu ?

— S…S…Stone, bafouilla-t-il en claquant toujours des dents. Stone Hillyard.

— Moi, c’est Geoff. Et voici Eli. Nous voulons juste t’aider à enlever ton manteau.

Stone laissa ses bras retomber le long de ses flancs et sentit son manteau lui glisser du corps, la chaleur de la maison traversa sa chemise et lui caressa la peau. Il ne put réprimer un soupir.

— Enlève tes chaussures et viens t’asseoir sur le canapé, proposa doucement Eli.

— M… M… Merci.

Il réussit à suivre ces instructions : pieds nus, il avança jusqu’au canapé. Il entendit un halètement et quelqu’un se précipita pour monter un escalier. Il ne se souciait pas vraiment de ce qui arrivait, il savait juste qu’il lui fallait se réchauffer. Les pas redescendirent en courant et, peu après, il fut enveloppé dans une couette épaisse, chaude et molletonnée. Cette fois, il se mit à trembler pour de bon, de tout son corps.

— Adelle !

L’appel de Geoff résonna dans une autre pièce. Stone releva la couette jusqu’à ses oreilles : elles commençaient à le brûler maintenant que le sang circulait de nouveau dans ses extrémités.

— M. Geoff ? Que s’est-il passé ? demanda une voix féminine.

Stone vit entrer dans la pièce une femme noire, plus âgée.

— Je l’ai trouvé devant la porte. Pourriez-vous lui préparer quelque chose de chaud ? Il faut le réchauffer. Je crains qu’il ait des engelures. À mon avis, il n’est pas loin de l’hypothermie.

La femme quitta la pièce à la hâte. Stone poussa un soupir de soulagement. Son corps était toujours agité de tremblements, ses pieds le faisaient souffrir et même ses mains le picotaient, mais au moins, il sentait toujours ses membres.

Lorsqu’Adelle revint, Stone tenta de saisir le bol qu’elle lui tendait, en vain. Ses mains inertes ne répondaient pas et le bol faillit lui échapper.

— Ça va aller, mon chou, je m’en occupe, dit-elle.

Tenant le bol, elle le porta jusqu’aux lèvres de Stone et recommanda :

— Commence doucement, juste quelques gorgées.

Le liquide le brûla un peu en descendant, mais très vite, Stone sentit ses entrailles se réchauffer. Il tenta de boire davantage, mais la femme l’en empêcha.

— Doucement. Si tu vas trop vite, tu risques d’être malade.

Il hocha la tête pour marquer son accord. Après quelques minutes, elle lui présenta de nouveau le bol. Cette fois, il fut capable d’engloutir une grande et chaude gorgée qui descendit en douceur.

— Mmm.

Il n’avait jamais goûté de chocolat chaud aussi délicieux ! Il en prit encore un peu, puis récupéra le bol, dont il apprécia la chaleur entre ses paumes. S’il avait toujours des fourmis dans les doigts, la douleur de ses pieds commençait, elle, à disparaître.

— Merci.

En quelques gorgées rapides, il vida le bol et ferma les yeux, savourant la descente du liquide épais le long de sa gorge. Son estomac vide émit un grognement d’appréciation et… d’anticipation. Parce qu’il était loin d’être rassasié !

— Dis-moi, depuis quand n’as-tu pas mangé ?

La femme s’activa autour de lui tandis que d’autres personnes pénétraient dans la pièce. Stone entendit se croiser des questions et des réponses, à voix basse. Avec un haussement d’épaules, il toisa les quatre visages masculins qui se penchaient sur son canapé.

Adelle s’interposa :

— Poussez-vous, les garçons, les morigéna-t-elle. Laissez-moi m’occuper de lui.

— Je vais tout fermer pour la nuit, déclara Geoff. Il va faire très froid.

Les hommes quittèrent tous la pièce, l’un d’entre eux montant l’escalier d’un pas prudent.

— Tout va bien, mon petit, tu ne risques plus rien à présent. Détends-toi, réchauffe-toi, je reviens tout de suite.

Elle s’éloigna et Stone l’entendit s’activer dans la cuisine, tout en chantonnant pour elle-même. Elle revint en lui apportant un sandwich sur une assiette. Galvanisé, il se releva à demi pour y mordre. Après avoir avalé avec prudence, il constata que tout allait bien, aussi il engloutit le reste en quelques bouchées.

— Doucement, voyons, personne ne va te le prendre.

Les yeux levés sur ce visage bienveillant, Stone tenta de manger moins gloutonnement, mais son estomac ne le lui permit pas. Après le premier sandwich, il en reçut un second et dut faire un gros effort pour retenir les larmes qui lui montaient aux yeux.

— Mange, mange autant que tu veux.

Après avoir mangé trois sandwichs et bu un autre chocolat chaud, Stone se sentit enfin repu, mais il n’arrivait pas à garder les yeux ouverts.

— Merci, madame.

Elle récupéra son assiette et son bol vide.

— Mais de rien. Maintenant, repose-toi, je ne serai pas loin.

Stone ferma les yeux et se sentit flotter. La musique envahit son esprit. D’anciens souvenirs qu’il pensait avoir oubliés depuis longtemps lui revinrent en mémoire. Des images de sa mère, qui dansait avec lui dans le salon, tourbillonnant gaiement, traversèrent ses rêves.

Il entrouvrit les yeux. Il avait dû somnoler. Pourtant, la musique était toujours là. Lorsqu’il reconnut l’air qu’il entendait, le souffle lui manqua de nouveau. Il se sentait au chaud et bien nourri, des sensations qu’il n’avait pas connues depuis bien longtemps. Il referma les yeux et s’abandonna à un sommeil profond et réparateur.

 

 

QUAND STONE reprit conscience pour la seconde fois, il faisait nuit. Il sentit, plus qu’il n’entendit ou ne vit, une autre présence dans la pièce avec lui, mais il n’avait pas envie de bouger. Il s’agita sur le canapé pour trouver une position plus confortable, et se laissa de nouveau sombrer, tout en pensant qu’il s’agissait probablement d’un rêve. Et si c’était le cas, il ne voulait plus retrouver la réalité, jamais. Peut-être était-il mort, peut-être s’agissait-il du Paradis.

Lorsqu’il se réveilla, il y avait d’autres personnes dans le salon, mais il faisait toujours sombre. Il grommela doucement et remua, ce qui déplaça le chaud cocon dans lequel il était enroulé. Le silence retomba dans la pièce, mais cette fois, Stone était bel et bien éveillé. Il regarda autour de lui et vit un jeune homme, assis dans un fauteuil, qui faisait courir ses doigts sur les pages d’un livre.

— Je suis Robbie. Tu as faim ?

Robbie déposa avec soin son livre sur la table, près de son siège, puis il se leva et avança jusqu’au canapé. Il tendit une main en avant, en tâtonnant. Surpris, Stone la sentit lui effleurer la jambe.

— Ah, tu es là.

— Tu es aveugle ?

Cette réalisation était une surprise pour lui.

— La dernière fois que j’ai regardé, oui, c’était le cas.

Robbie se mit à rire, et Stone se joignit à lui. C’était agréable de rire. Il y avait longtemps que ça ne lui était pas arrivé.

— Tu as faim ? répéta Robbie.

Stone hocha la tête et repoussa la couette, posant ses pieds nus sur le plancher frais.

— Je ne peux pas entendre ta tête bouger, tu sais, tu n’as pas de clochettes accrochées aux oreilles.

Remarquant le sourire de Robbie, Stone sut qu’il s’agissait d’une plaisanterie.

— Désolé. Oui, j’ai faim.

— Dans ce cas, suis-moi dans la cuisine. Je suis sûre qu’Adelle t’a laissé quelque chose au chaud.

Stone étudia la façon dont Robbie s’engageait le premier, émerveillé de le voir se déplacer dans la maison avec tant d’aisance. Tout à coup, l’aveugle tourna la tête vers lui, l’air mécontent.

— Tu es pieds nus ?

Stone sentit ses joues brûler d’embarras.

— Ouais.

— Va m’attendre dans la cuisine, je vais te chercher des chaussettes.

Robbie rebroussa chemin avant de monter l’escalier. Dès qu’il eut disparu, Stone continua dans le couloir, jusqu’à la cuisine. Il y trouva Adelle qui s’activait devant le comptoir en chantonnant.

— C’est vous qui êtes restée auprès de moi pendant que je dormais ?

Elle cessa de travailler et se retourna.

— Je voulais m’assurer que tout allait bien.

Avec un geste de la main en direction de la table, elle ajouta :

— Assieds-toi. Je vais t’apporter des pancakes.

Elle lui tourna le dos et reprit sa tâche. Stone en avait l’eau à la bouche. Il se demanda ce qui lui arrivait au juste. Ces gens-là connaissaient à peine son nom, et pourtant ils l’accueillaient à bras ouverts. Il ne savait trop quoi en penser, mais à son avis, ils ne tarderaient pas à réclamer quelque chose en retour.

Une assiette remplie de crêpes brûlantes fut déposée devant lui, ainsi qu’un flacon de sirop d’érable et du beurre. L’odeur était irrésistible. Il leva les yeux vers Adelle pour s’assurer que c’était bien sa part, mais elle s’était déjà remise à son travail. Stone arrosa son plat de sirop d’érable et dévora jusqu’au moment où il craignit d’éclater. Il repoussa alors son assiette vide.

— Merci, madame, c’était délicieux.

— Tu en veux encore ?

Elle souriait en regardant son assiette, si bien léchée qu’elle en paraissait nettoyée.

— Non, merci.

Lorsqu’elle débarrassa son couvert, Stone s’écarta de la table et se leva. Il retourna au salon où il trouva ses chaussures, qu’il enfila. Il récupéra également son sac, posé sur un siège, près de son manteau et d’une paire de gants qui ne lui appartenait pas. Il mit son manteau et passa sur son épaule la bandoulière de son sac. Il lui fallait débarrasser le plancher de ces braves gens.

— Tu comptes partir sans même dire au revoir ?

Stone se retourna et vit que Robbie avait les yeux fixés sur lui, ce qui, chez un aveugle, était plutôt étrange.

— Je pensais qu’il valait mieux pour tout le monde que je fiche le camp. Je ne veux pas m’imposer. Dis-leur merci de ma part.

Il regarda la pièce autour de lui : c’était un endroit qu’il tenait à se rappeler. Il était rare que les gens soient aussi aimables envers lui. Pourtant, Stone n’avait aucune illusion : après ce qui s’était passé, ces gens-là ne tiendraient pas à le fréquenter.

— Pourquoi ne pas leur laisser le droit d’en décider par eux-mêmes ?

Stone se figea en plein élan, il faillit reposer son sac, mais faillit seulement.

— Ils n’ont pas besoin de moi ici ; ma présence ne vaut rien.

Il entendit une porte claquer, puis des voix émaner de la cuisine et se rapprocher.

— Tu es debout !

Stone tourna la tête et vit Geoff – du moins, il lui semblait que c’était Geoff –, dans l’embrasure de la porte.

— Merci pour tout. Maintenant, je vais débarrasser le plancher.

Il s’élança en direction de la porte d’entrée, l’ouvrit, puis la referma derrière lui. Le froid l’agressa, presque aussi insoutenable que la nuit passée. Stone se rua en direction de la rue.

— Tu crois vraiment que c’est intelligent comme idée ?

Stone s’arrêta et pivota sur lui-même, Geoff était sous le porche de la maison.

— Il ne fait pas plus chaud ce matin que la nuit passée, ajouta-t-il.

Stone regarda autour de lui. Déjà, il frissonnait. Mais qu’est-ce qui ne tournait pas rond chez lui ? Très lentement, il rebroussa chemin en direction de la maison, de la chaleur. Geoff s’écarta pour le laisser passer, avant de le suivre à l’intérieur. Stone laissa tomber son sac à dos dans l’entrée, près de la porte, mais il garda son manteau et suivit Geoff jusqu’à une autre pièce, un bureau sans doute : il y avait diverses machines étranges où du papier tournait sur des rouleaux, marqués de petits reliefs bien dessinés.

— Pourrais-tu me dire ce que tu faisais dehors tout seul, en pleine nuit, hier soir ?

Stone haussa les épaules. Il n’avait pas la moindre envie d’expliquer pourquoi il s’était retrouvé dans cette situation. D’ailleurs, il aurait préféré oublier l’intégralité de son existence.

— Vous avez été très gentils avec moi, mais je ne pense pas que vous teniez à ma présence ici.

— Pourquoi ne pas me laisser décider qui je veux avoir dans ma ferme et à proximité de ma famille ?

Le visage de Geoff indiquait la fermeté. Stone commença à s’agiter sous l’intensité de son regard.

— Eh merde… !

Il se laissa tomber dans un fauteuil et descendit la fermeture éclair de son manteau, tout en restant prêt à s’enfuir en cas d’urgence.

— J’ai grandi dans une petite ferme, pas très loin de Petoskey. Nous n’étions que deux… mon père et moi.

Il sentit ses larmes monter et cligna vivement des yeux pour les contrôler. Par contre, il laissa libre champ à sa colère. Ce qui repoussa son élan de chagrin. À sa grande surprise, il fut capable de continuer et de s’exprimer d’une voix ferme :

— Je croyais que ce vieux salaud tenait à moi ! Nous sommes restés seuls après la mort de ma mère.

— Que s’est-il passé ?

Geoff, d’après sa voix, paraissait compatir, mais Stone savait que cela n’allait pas tarder à changer.

— Mon père m’a flanqué dehors.

De nouveau, l’émotion faillit le bouleverser. De nouveau, il la repoussa, parce que son affection transformée en haine l’aidait à rester fort.

— En clair, mon père ne m’aimait pas tant que ça !

Stone fixa Geoff droit dans les yeux. Il vit son expression s’adoucir pendant qu’il attendait.

— Tu n’as toujours pas répondu à ma question.

Notant la compassion du fermier, Stone décida de porter l’estocade.

— J’ai annoncé à mon père que j’étais gay.

Il surveilla Geoff, sa réaction, attendant de voir ce qui allait se passer. D’après lui, au mieux, on lui demanderait de partir. Au pire, il s’enfuirait avant de recevoir une volée de coups, comme ceux qu’il avait reçus chez lui. Son père avait même failli lui arracher le bras de son articulation en le propulsant hors de la maison.

Geoff resta un moment silencieux, puis il se mit debout et avança vers lui. D’accord, nous y voilà. Il s’attendait à des coups. Ou alors, le fermier aurait la même exigence que le routier. Ce qu’il n’avait pas du tout prévu, par contre, ce fut d’être empoigné, remis sur pied, et serré très fort dans des bras solides. L’homme était fort et imposant, mais il ne tenta rien de suspicieux. Il ne s’agissait pas d’une étreinte douteuse, simplement d’une accolade réconfortante – ce que Stone aurait pu espérer de son père, s’il avait été du genre compatissant.

— Personne ne te fera jamais de mal ici.

Quand les mots lui parvinrent aux oreilles, Stone leva les deux bras et les passa autour de la taille de Geoff, pour lui retourner son étreinte. C’était le premier geste amical qu’il recevait depuis son éjection de chez lui.

Geoff le libéra enfin et s’écarta d’un pas ; Stone sentit ses jambes lâcher sous lui. Il s’écroula dans le siège, avachi.

— Depuis combien de temps vis-tu ainsi, tout seul ?

— Trois mois. Au début, j’ai trouvé du travail, je coupais des arbres pour Noël chez un ami. Mais c’était seulement temporaire. Je me suis dirigé vers le sud, pensant qu’il y ferait plus chaud. Quand je n’ai plus eu d’argent, j’ai fait du stop.

— Tu disais avoir grandi dans une ferme ?

Stone sentit renaître ses craintes.

— Ouais. Nous élevions des cochons.

Il frissonna de dégoût à cette évocation. Il ne voulait plus jamais, de toute sa vie, approcher d’un cochon.

— Tu es d’accord pour travailler dur ?

— Vous m’offrez un job ? À cette époque de l’année ?

Au cours de l’hiver, il y avait moins de travail, la plupart des fermes tournaient au ralenti. Ce n’était pas le bon moment pour engager du personnel.

— Je ne veux pas recevoir la charité !

— Je ne te propose pas la charité, mais du travail, beaucoup de travail. J’ai besoin de quelqu’un pour nettoyer l’écurie. Celui qui s’en occupait a repris ses études et nous nous débrouillons pour le moment, mais nous avons vingt stalles à récurer régulièrement. Et je veux que la sellerie soit toujours impeccable. Tu connais quelque chose aux chevaux ?

Stone hocha la tête, sans oser croire à sa chance. Au lieu de le tabasser, on lui proposait un job ?

— J’ai appris à monter quand j’étais tout gosse. J’avais un cheval…

Zut, il commençait à réagir comme une fille, d’une voix pleurnicharde et sentimentale. Il avait dû laisser son cheval derrière lui quand son père l’avait jeté dehors. Perdre Buster restait pour lui une blessure ouverte.

— Parfait. Mon partenaire, Eli, donne des leçons d’équitation. Si tout marche bien, il te demandera peut-être un coup de main.

Stone n’arrivait pas à croire ce qu’il entendait.

— Votre partenaire ?

— Oui.

Stone réfléchit un moment.

— S’agit-il de l’homme que j’ai vu la nuit passée, quand vous m’avez ouvert la porte ?

En réponse, il obtint un signe de tête, assorti d’un sourire.

— Dans ce cas, c’est qui, l’aveugle ?

En voyant l’expression de Geoff se fermer, Stone comprit qu’il se montrait grossier.

— Je parle de Robbie. C’est votre frère ?

Geoff l’interrompit d’une main levée.

— Écoute, quand nous nous serons mis d’accord, je te présenterai à tout le monde. Mais avant cela, j’ai besoin de quelques renseignements.

Cette fois, ce fut Stone qui acquiesça d’un lent mouvement de la tête.

— Quel âge as-tu ?

Stone fut d’abord tenté de mentir, mais il se reprit.

— Dix-neuf ans.

Il entendit Geoff émettre un grondement de gorge, gras et rauque, et s’en demanda la raison. Qu’avait-il fait de mal ? Il se mordit la lèvre, très inquiet. Juste au moment où les choses paraissaient s’arranger…

— Tu as tous tes papiers, identité et autres ?

— Oui, monsieur.

Il fouillait déjà dans la poche de son manteau à la recherche de son vieux portefeuille. Geoff se redressa et lui offrit sa main.

— Dans ce cas, le poste est à toi, si tu l’acceptes.

Stone avait du mal à y croire. La nuit passée, il avait failli mourir de froid, et aujourd’hui, on lui offrait du travail dans une ferme dirigée par un couple homosexuel. D’un geste hésitant, il tendit la main et échangea avec Geoff une ferme poignée.

— Vous ne le regretterez pas.

Geoff le relâcha et alla ouvrir la porte du bureau.

— Eli ! cria-t-il.

Un homme se leva du canapé du salon.

— Oui ?

— Voici, Stone, il va travailler à l’écurie. Il a l’habitude des chevaux.

Stone examina les deux hommes, tour à tour, il se détendit en voyant une expression satisfaite apparaître sur le visage d’Eli.

— D’après ce que j’ai compris, tu connais déjà Robbie, continua Geoff. C’est mon très efficace assistant. C’est également le musicien de la maison.

— Ah, c’était toi qui jouais la nuit dernière ? C’était magnifique, j’ai cru que je rêvais.

Robbie lui adressa un sourire béat.

— Merci.

L’aveugle parut écouter, avant de se tourner en direction de Geoff.

— Je peux y aller ?

— Oui, bien sûr. Je t’ai imprimé tout ce qu’il te fallait, tout est sur la machine.

Robbie sourit, avant de se diriger, prudemment, mais sûrement, en direction du bureau. Il en referma la porte sur lui.

Stone baissa la voix, jusqu’à émettre un chuchotement :

— Est-il… gay, lui aussi ?

Geoff sourit.

— Oui. Son partenaire, Joey, travaille à l’extérieur, là où nous devrions être aussi.

Geoff jeta un coup d’œil en direction des pieds de Stone et enchaîna :

— Il va te falloir des bottes plus épaisses et des vêtements plus chauds.

— Je vais aller lui trouver ça, déclara Eli, avant de monter l’escalier.

— Je dois aller aider Robbie, dit Geoff. Quand Eli redescendra, nous t’emmènerons rencontrer tout le monde avant de te mettre au travail.

Il retourna dans son bureau, abandonnant Stone au milieu du salon. Ne sachant quoi faire d’autre, il regarda par la fenêtre. La neige qui tombait la veille avait cessé, le temps était beau et clair. Il n’arrivait toujours pas à croire à sa chance. Il était tombé par hasard dans une ferme où vivaient des couples gays, et le propriétaire l’avait engagé, juste après lui avoir évité de mourir de froid. Peut-être…

Oui, peut-être que le destin lui souriait enfin.

Il fut arraché à ses pensées en entendant des pas dans l’escalier.

II

 

 

LE KINÉSITHÉRAPEUTE regardait Preston tenter d’avancer entre les barres métalliques.

— Vas-y doucement, tu ne dois pas trop en faire, prévint-il.

— Je veux marcher ! hurla Preston en grinçant des dents. Ce foutu docteur a prétendu que je ne marcherais plus jamais. Je compte bien marcher jusqu’à cet enfoiré et lui serrer la main. Ou lui casser la gueule !

Il força ses jambes à se mouvoir. Arrivé à l’extrémité de la barre, il se retourna et s’effondra dans son fauteuil roulant.

— Je remarcherai ! répéta-t-il. J’en ai la ferme intention.

Il regarda son kiné et, avec un sourire, enchaîna :

— Désolé, Jasper. Je ne voulais pas passer mes nerfs sur toi.

— Je sais.

Preston perdit sa colère et sa frustration en faisant rouler son fauteuil en direction de la porte.

— Mais j’ai tellement envie de progresser !

— J’y tiens aussi, Pres, mais te blesser ne t’aidera pas à guérir plus vite.

Jasper lui tint la porte ouverte en ajoutant :

— Tu as déjà accompli de tels progrès, dans un si court délai.

— Cela ne me suffit pas !

Preston était du genre déterminé et très impatient.

Son ami kiné fit une nouvelle tentative :

— Pres, tes muscles commencent à peine à retrouver le sang dont ils ont besoin pour fonctionner. Parfois, il est nécessaire de laisser le temps agir durant un processus de guérison. La précipitation ne mène à rien.

Preston fit pivoter son fauteuil, affichant un grand sourire moqueur.

— J’avais cru comprendre qu’une bonne rééducation était à la limite du traitement sadique.

— Je veux bien être sadique, mais je suis aussi ton ami. Je veux te revoir marcher. Simplement, je ne veux pas d’excès dangereux durant ta rééducation.

Jasper passa le premier dans le hall où la mère de Preston attendait son fils. Ce dernier soupira. Il détestait qu’à vingt-six ans, il ait dû retourner vivre chez ses parents et dépendre à nouveau d’eux. Le chauffard ivrogne responsable de son accident ne l’avait pas seulement privé de l’usage de ses jambes, il lui avait également volé sa liberté. Et Preston était par-dessus tout décidé à la recouvrer. Il recommençait à sentir ses jambes et, après d’innombrables opérations chirurgicales, il était capable de les mouvoir, plus ou moins. Dès qu’il pourrait bouger, il comptait bien poursuivre ses exercices sans que personne ne le voie.

— Maman, je suis prêt à partir.

— Très bien, chéri.

Elle se redressa, avança jusqu’à lui, et passa derrière lui pour le pousser en direction de la voiture.

— Je peux me débrouiller tout seul ! rugit-il.

Sans paraître se soucier de son éclat de voix, elle lui tendit son manteau. Il l’enfila avant d’empoigner ses roues pour se propulser en avant. Devant lui, les portes s’ouvrirent automatiquement.

— J’ai vraiment besoin de retrouver mon indépendance.

Il traversa vivement le parking et s’arrêta devant la voiture, le temps que sa mère déverrouille les portières. Puis il fit pivoter sa chaise pour l’aligner avec le siège, il se redressa sur ses jambes, tremblantes, mais de plus en plus solides, et se glissa sur le siège passager. Ensuite, il plia son fauteuil et le plaça à l’arrière. Il remua pour être plus à son aise, ferma la portière, et attacha sa ceinture.

— Désolé d’avoir crié, maman, mais c’est très important pour moi de me débrouiller seul.

— Je sais.

Sa mère se tourna vers lui avec un sourire, avant d’ajouter :

— J’avais oublié, c’est tout. Je voulais juste t’aider.

Elle démarra et quitta le parking. Preston reconnaissait que sa mère avait été aussi gentille et compatissante que possible avec lui. Elle le conduisait partout où il avait besoin d’aller ; elle prenait même des jours de congé pour s’accorder à ses rendez-vous de rééducation.

— Ton père a téléphoné, dit-elle. Il rentrera à la maison d’ici quelques jours.

— Oh, génial !

Preston esquissa le geste de faire tourner ses doigts pour simuler l’allégresse. Sauf que son père avait très mal pris l’accident. Il semblait le voir comme une façon détournée de la part de son fils de s’imposer de nouveau dans leur vie. C’était un homme de nature autoritaire et égoïste, même dans ses meilleurs jours.

Sa mère, tout en continuant sa route vers l’est, chercha à calmer la situation :

— Pres, ton père travaille beaucoup.

Elle tourna dans Lake Drive.

— Maman, ne le défends pas. Surtout pas avec moi.

Son père avait failli faire un infarctus en apprenant son homosexualité. Moins d’une semaine plus tard, il avait commencé à faire défiler chez lui toutes les filles sur lesquelles il mettait la main parce que, selon lui, ‘Preston n’avait pas encore trouvé celle qu’il lui fallait’. C’était une attitude plutôt embarrassante pour lui, et pour les filles, parce que Preston prenait la peine de prévenir chacune d’entre elles de son orientation sexuelle. Son père avait fini par abandonner, mais Preston savait bien qu’il n’avait pas renoncé. Milford Harding III ne renonçait jamais. Il prenait simplement le temps de peaufiner sa nouvelle attaque. En fait, l’accident avait provoqué une sorte de trêve forcée entre le père et le fils.

— Au moins, il nous reste quelques jours de tranquillité.

Sa mère ne répondit pas. Ils continuèrent leur route en silence, jusqu’au moment où elle emprunta le rond-point circulaire et coupa le moteur, une fois dans le garage à trois places. Preston ouvrit sa portière et prépara sa chaise roulante, qu’il déplia avant de s’y installer. Il roula jusqu’à la porte arrière où une rampe d’accès pour handicapés lui permit d’entrer dans la maison.

Cette rampe était la seule concession à son infirmité que Preston avait acceptée de sa mère. Bien sûr, elle avait envisagé d’installer dans la maison un ascenseur ou un monte-escalier. Preston avait refusé, s’entêtant dans l’idée qu’il n’aurait pas éternellement besoin de son fauteuil. Il avait juste changé de chambre, déménageant de l’étage au rez-de-chaussée. Rien de plus.

— Je vais m’allonger un moment.

Il était toujours épuisé après une session de rééducation. Il roula jusqu’à sa chambre. Avant d’entrer, il se retourna :

— Merci, maman. Pour tout.

Il lui sourit, elle lui renvoya son sourire. Il sut alors que tout irait bien. Il se promit que, une fois que tout serait fini, il chercherait à remercier sa mère de façon tout à fait spéciale. Elle le méritait.

Il quitta sa chaise et se mit sur son lit, tira la couette et ferma les yeux. Il commençait à s’endormir lorsque son téléphone sonna. Il récupéra l’appareil sur sa table de chevet, tout heureux de voir le nom qui s’affichait sur l’écran.

— Hé, mon tout beau !

Preston oublia tout le reste en souriant béatement à son téléphone. Il adorait entendre la voix de Kent, et ce, depuis toujours.

— Comment ça s’est passé, ta rééducation ?

— Très bien. Cette fois, j’ai été capable d’aller jusqu’au bout de la rampe.

— Ah. Tant mieux.

Mais il y avait dans sa voix une sorte de contrainte.

— C’est toujours d’accord pour ce soir ? insista Preston.

Il avait pensé à cette sortie durant toute la session de kiné.

— Justement, je te téléphonais pour ça…

Preston s’inquiéta : Kent était devenu distant, brusquement.

— Si tu ne peux pas sortir ce soir, nous pourrions remettre ça à demain.

— Preston, écoute, je ne pense pas que ce soit possible. Je ne peux pas continuer.

Preston se rassit dans son lit, en utilisant ses bras pour se soulever.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Entre nous, c’est terminé. J’ai rencontré quelqu’un d’autre.

— Espèce de salaud égoïste ! Ça fait combien de temps que tu me trompes ?

Il sentit des larmes lui brûler les yeux, mais sa colère l’aida à les repousser.

— Je suis avec David depuis quelques semaines.

Preston ne voulut rien entendre de plus. Il raccrocha et ferma les yeux, très fort. Il aurait voulu hurler et jeter son appareil contre le mur, ce qui n’aurait rien arrangé du tout, pas vrai ?

— Comment ai-je pu être aussi bête ?

Il aurait dû le sentir venir, il le savait, mais il avait préféré s’aveugler.

Son téléphone se remit à sonner. S’il s’agissait encore de Kent, il se jura de balancer son téléphone par la fenêtre. Mais ce n’était pas lui.

— Allô ?

— Qu’est-ce qui ne va pas ? Qu’est-ce que tu as ?

La voix de Jasper marquait son inquiétude.

— C’est Kent, il vient juste de rompre avec moi.

— J’arrive.

La ligne fut coupée. Preston remit son portable sur sa table de nuit avant de se laisser retomber sur le dos. Il s’enveloppa dans sa couette. Malgré la tiédeur de sa chambre, il commença à frissonner. Les yeux clos, il ne retint plus ses larmes. Il enfouit son visage dans l’oreiller pour que sa mère n’entende pas ses sanglots et laissa s’écouler le flot de sa douleur.

Il perdit toute notion du temps, mais au bout d’un moment, la porte s’ouvrit. Ensuite, deux mains se posèrent sur ses épaules pour le forcer à se retourner. Un Jasper aux yeux humides le prit dans ses bras.

— Pleure un bon coup, ça te fera du bien.

Preston suivit cette consigne ; il sentit la tristesse le traverser de part en part et ne chercha pas à retenir son chagrin. On frappa à la porte. Jasper remua un peu, mais rien d’autre. Lorsque ses larmes se tarirent enfin, Jasper s’écarta et lui demanda :

— Que s’est-il passé ?

Preston s’essuya les yeux.

— Nous devions sortir ensemble, ce soir. Il m’a téléphoné pour me prévenir qu’il voyait quelqu’un d’autre.

— Quel salaud ! J’ai toujours su que c’était un gros con. Si tu veux mon avis, il n’est sorti avec toi que pour ton père et son argent.

— Pourquoi tu ne me l’as pas dit plus tôt ?

Il tenta de se rasseoir. Jasper changea de position dans le lit avant de poursuivre :

— Tu m’aurais écouté ?

Jasper attendit un moment une réponse, mais Preston évitait son regard.

— C’est bien ce que je pensais. Maintenant, au moins, il est parti, ajouta-t-il avec un sourire.

— Merde, je ne vois pas pourquoi ça te rend aussi joyeux ! Kent m’a quitté, plus personne ne s’intéressera jamais à moi.

Preston était à deux doigts de flanquer Jasper à la porte.

— Et si tu réfléchissais un peu ? Ce qui t’arrive est peut-être ta chance. Peut-être, oui, peut-être que tout ce désastre finira par t’être bénéfique. Tu as maintenant l’option de rencontrer quelqu’un d’intéressant, contrairement à ce minable. Kent n’avait que du vent entre les deux oreilles !

— Quoi ? Je ne vois pas ce qu’il peut y avoir de bénéfique dans mon cas. Tout ce que je risque d’obtenir, c’est de nouvelles cicatrices – vraiment très sexy ! – et davantage de séances de rééducation.

Il était plutôt sec, mais quelle importance ? Jasper se redressa de toute sa taille pour lui adresser un regard furibond. Preston se demanda s’il n’avait pas dépassé les bornes, mais pour dire la vérité, il s’en contrefoutait.

— Tu accordes bien trop d’importance à l’aspect physique des gens, leur visage, leurs vêtements. Selon toi, c’est tout ce qui compte.

Jasper se pencha davantage, affrontant Preston presque nez à nez.

— Je vais t’en apprendre une bien bonne : il existe dans le vaste monde des gens qui n’ont jamais été ‘mignons’. Il serait peut-être temps que tu cesses d’être aussi superficiel qu’une pelle à tarte !

Preston en resta muet, stupéfait. Il n’avait jamais entendu son ami lui parler sur ce ton.

— Je ne suis pas comme ça, protesta-t-il, faiblement.

— Quand j’ai rencontré Derrick, tu m’as conseillé de le larguer, parce que je pouvais trouver mieux. Tu t’en souviens ? Je te signale que Derrick est resté à ton chevet tout le temps que tu as passé à l’hôpital. Il t’a ramené chez toi, il t’a porté jusque dans ta chambre, il t’a déposé sur ton lit.

Jasper baissa la voix pour ajouter :

— Tu te rappelles quand tu souffrais tellement que tu voulais mourir ? Tu te rappelles que c’est Derrick qui t’a tenu la main, que c’est lui qui a pleuré avec toi ?

Preston hocha la tête, avant de baisser les yeux sur le lit. Mais Jasper n’avait pas terminé.

— Et c’est cet homme-là que tu m’avais conseillé de larguer parce qu’il n’était ni un dieu bodybuildé ni une belle gueule ?

Avait-il vraiment été aussi odieux ? se demanda Preston.

— Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé plus tôt ?

— Parce que j’espérais que tu finirais par ouvrir les yeux de toi-même. Derrick est l’homme le plus merveilleux que j’aie jamais rencontré. À mes yeux, il est beau, parce qu’il m’aime.

Preston sentit la main de Jasper se glisser dans la sienne.

— Il n’y a rien de meilleur, continua son ami, que de se réveiller auprès d’une personne qui vous aime véritablement. Kent n’a jamais été cet homme-là pour toi, même si tu y croyais. Si c’était le cas, c’est lui qui serait assis, en ce moment, à ma place.

Preston déglutit péniblement.

— Seigneur, est-ce que je n’ai pas droit à un peu de soutien ?

— Tu en as déjà reçu suffisamment pour toute ton existence. Il est temps que tu te reprennes en main. Aujourd’hui, j’ai remarqué ta détermination, alors sers-t’en, sers-t’en dans tous les autres aspects de ta vie. Oublie Kent et trouve-toi quelqu’un de meilleur.

— Je savais bien que tu étais sadique.

Sur ce, Preston sourit pour la première fois depuis le coup de fil de Kent.

— En parlant de sadisme, je te téléphonais tout à l’heure pour te parler d’un nouveau type de rééducation que je viens de découvrir. Et j’aimerais que tu essaies.

Preston grogna en levant les yeux au ciel. Jasper le frappa sur l’épaule.

— Arrête, ça va te plaire. Juré, craché, ajouta-t-il, la main levée. Il y a une ferme, entre ici et Scottville, où ils ont monté un programme d’équithérapie. Ils te mettent sur le dos d’un cheval et t’apprennent à monter. C’est un exercice excellent pour te renforcer les muscles des jambes.

— Tu plaisantes, j’espère ? Je n’ai jamais fait d’équitation.

Et pourtant, cette idée éveillait son intérêt. Preston ne put s’empêcher de demander :

— Tu crois vraiment qu’ils pourraient me faire monter sur un de ces mastodontes ?

— Oui, et ils t’apprendront aussi à le diriger. Ça vaut le coup d’essayer. De plus, ça te ferait prendre l’air. Ils ont tous les agréments administratifs nécessaires. J’ai rencontré il y a quelques jours l’homme qui gère ce programme avec son partenaire. C’est quelqu’un d’intéressant.

Jasper posa une carte de visite sur la table, près du lit, avant de conclure :

— Réfléchis-y.

— Tu viens d’évoquer un partenaire. Je présume que tu ne parlais pas seulement d’un associé d’affaires ?

Jasper lui sourit.

— Non, je parlais d’un partenaire dans le sens le plus agréable qui soit. C’est un couple homosexuel qui possède cette ferme. Des gens très bien. Alors, tu vas y penser ?

— Ouais, répondit Preston avec un sourire. C’est promis.

Il accentua ses paroles d’un hochement de tête. Jasper le prit dans ses bras pour le serrer contre lui.

— Tu finiras par t’en sortir.

Il se leva ensuite et marcha jusqu’à la porte. Avant de l’ouvrir, il ajouta :

— Appelle-moi si tu as besoin de moi. Et nous pourrions sortir ensemble ce week-end.

— Pourquoi pas ?

Sur un dernier signe, Jasper quitta sa chambre et referma la porte derrière lui.

Aussi épuisé qu’il soit, Preston se sentait mieux, bien mieux qu’il ne l’avait été depuis longtemps. Son ami avait raison. Pourtant, Preston préférait ne se consacrer qu’à un seul objectif. Il avait besoin de retrouver ses forces, ce qui n’était possible qu’en suivant une rééducation avec des exercices réguliers, épuisants. Il récupéra la carte posée sur sa table de chevet et la regarda un moment, puis il composa un numéro de téléphone.

— Ici la ferme Laughton, répondit une voix masculine. Robbie à l’appareil.

Preston fixait toujours sa carte.

— Je cherchais à joindre Cheval… sans limites, le programme d’équithérapie. Je pense m’être trompé de numéro.

— Non, c’est bien chez nous. En quoi puis-je vous aider ?

— Mon kinésithérapeute m’a conseillé de vous appeler. J’ai eu un accident, il y a quelques mois, je commence à pouvoir remuer les jambes. J’arrive à presque marcher sans qu’on m’aide, prétendit-il, exagérant un peu, et je me demandais si vous auriez de la place pour me recevoir.

— Nous sommes plutôt complets, mais laissez-moi vérifier.

L’homme posa sans doute le téléphone, parce que Preston l’entendit bouger à l’autre bout du fil. Peu après, il revint en ligne :

— Nous n’avons aucune place disponible actuellement dans un de nos groupes.

— Je préférerais des sessions privées.

Il ne voulait pas se ridiculiser en public.

— Dans ce cas, quand pourriez-vous passer faire le tour de nos équipements ?

— Pourquoi pas demain, vers… euh, 13 heures ?

Si ce programme était susceptible de l’aider, le plus tôt serait le mieux.

— Vous pourriez me donner votre nom, s’il vous plaît ?

— Preston Harding.

Il attendit pendant que Robbie notait ce renseignement, puis demanda :

— Quel genre de vêtements dois-je porter ?

— Un jean et une chemise chaude, ça ira très bien, ainsi que des bottes, si vous en avez, mais ce n’est pas absolument nécessaire.

— J’ai tout ce qu’il me faut.

Sa garde-robe bien fournie lui permettait d’affronter toutes les situations.

— Très bien, dans ce cas nous vous attendons demain, à 13 heures.

La communication fut coupée, Preston raccrocha et glissa de son lit à sa chaise, puis il se dirigea vers la porte.

— Maman ? Est-ce que tu pourrais me conduire demain à une séance de kiné ?

Il réalisa qu’il souriait et qu’il attendait avec impatience cette nouvelle expérience.

— Bien entendu.

Sa mère apparut à l’angle du couloir. En le voyant, elle se figea avec un sourire.

— Pourquoi as-tu l’air si heureux ?

— J’ai trouvé une nouvelle forme de rééducation, répondit Preston.

— Je croyais que c’était l’idée de sortir ce soir qui t’excitait autant.

Elle s’essuya les mains sur un torchon.

— Non, c’est annulé.

Il déglutit, la douleur de sa rupture avec Kent lui revint en force.

— Kent et moi sommes séparés, précisa-t-il.

— Tant mieux, je ne l’ai jamais apprécié.

Elle semblait soulagée et plus que satisfaite.

— … aussi je vais me concentrer pour remarcher le plus vite possible.

— Oh, parle-moi de cette nouvelle forme de rééducation : de quoi s’agit-il ?

— De monter à cheval.

Il sentit son sourire s’élargir devant la surprise de sa mère. Puis il demanda :

— Pourquoi est-ce que tu n’aimais pas Kent ?

— Parce qu’il ne t’aimait pas vraiment.

Elle lui jeta un regard ferme, déglutit, puis continua :

— Ton père et moi n’étions pas enchantés quand tu nous as annoncé être gay. Et Milford n’a jamais voulu l’accepter, je le sais. Mais je t’aime et je ne veux que ton bonheur. Je veux bien te voir avec un homme, à condition qu’il t’aime vraiment. Et Kent n’était qu’un profiteur.

Preston fut à la fois choqué et heureux. Il ouvrit les bras, sa mère se pencha vers lui et se laissa étreindre.

— Merci, maman.

Elle se redressa et lui offrit un grand sourire.

— Dis-moi tout sur cette nouvelle thérapie. Je faisais de l’équitation, autrefois, tu sais…

Preston la suivit. Ensemble, mère et fils traversèrent la maison jusqu’à la cuisine. Pour la première fois depuis des mois, ils parlaient, ils communiquaient.

III

 

 

STONE BAISSA la fermeture éclair du manteau qu’Eli lui avait donné, laissant flotter les pans pour une meilleure ventilation. Le travail lui donnait chaud, mais nettoyer les stalles l’obligeait à de fréquents allers-retours à l’extérieur, et dehors, il faisait sacrément froid.

— Tu t’en sors ?

Cette voix nouvelle venait de derrière la cloison. Se retournant, il vit un inconnu à l’entrebâillement de la porte.

— Je suis Joey. Tu dois être Stone. Geoff m’a dit que je te trouverais là.

Stone cessa de pelleter pour s’appuyer sur le manche de son outil.

— Je te serrerais bien la main, mais les miennes sont crades.

Malgré cet avertissement, l’homme pénétra dans la stalle et lui tendit la main.

— Tu sais, par ici, ce n’est pas le genre de détail qui compte.

Après une poignée de main, Joey regarda autour de lui.

— Beau boulot. D’après ce que je vois, tu n’es pas un novice.

— C’est vrai. Mon père et moi avions une petite ferme, dans le nord, où nous élevions des cochons. Je trouve la tâche infiniment plus facile, ici, et le fumier sent bien moins mauvais.

Joey lui offrit un sourire lumineux, Stone remarqua alors sur son visage des cicatrices presque effacées.

— Désolé de ne pas avoir été là hier pour t’accueillir, mais je suis rentré tard et tu étais déjà couché.

Stone se remit au travail, il ne voyait pas pourquoi il ne pourrait pelleter tout en parlant. Pour rien au monde il ne voulait qu’on le prenne pour un tire-au-flanc. Son père l’avait élevé en le faisant travailler dur. De plus, Geoff avait eu la gentillesse de lui donner sa chance, il ne comptait pas la rater. Il jeta dans sa brouette une pleine pelletée de fumier.

— J’ai rencontré hier ton… hum… partenaire. Il m’a paru très sympa.

— C’est vrai.

La voix lui parvenait de nouveau, derrière la cloison, dans la stalle voisine.

— Dis-moi, reprit Joey, tu sais monter ?

— J’ai été entouré de chevaux quasiment toute ma vie. Malheureusement, j’ai dû laisser le mien en partant.

Il s’activa avec plus d’acharnement encore, espérant que le bruit de sa pelle interromprait la conversation sur le sujet.

— Dans une demi-heure, j’ai un nouveau patient. Je suis en train de préparer Belle et j’espérais que tu pourrais m’aider.

Stone entendit un cheval s’agiter derrière la cloison et, quand le bruit de son travail ne noyait rien du tout, il percevait également le doux bruissement d’une brosse.

— Bien sûr. Dis-moi seulement ce qu’il faut faire, je n’ai jamais pratiqué ce genre de thérapie.

— Aucun problème.

La porte de la stalle se referma. Stone entendit claquer les bottes de Joey tandis que lui-même terminait sa tâche et emportait la dernière brouette de fumier, avant de rapporter de la paille fraîche pour la litière. Joey et Belle étaient toujours à côté. Stone se concentra sur ce qu’il faisait, même si, depuis qu’on lui avait proposé de rester, son corps vibrait d’excitation. Robbie était mignon, Joey beau et solide, malgré les cicatrices de son visage. Quant à Geoff, il était magnifique, et Eli, superbe. Stone s’activa de plus belle, déterminé à s’éclaircir les pensées. Aucun de ces hommes n’étant libre, il devait contrôler ses fantasmes.

Quand il eut terminé de nettoyer la stalle, il entendit la porte voisine se rouvrir. Peu après, des sabots claquèrent sur le plancher de l’écurie.

— Tu peux me rejoindre d’ici dix minutes au manège ?

— Bien sûr ! cria Stone à travers la porte.

Il rangea ses outils avant de traverser l’écurie, en direction du manège, couvert et bien chauffé. Belle était attachée à un poteau et Joey semblait occupé à vérifier les derniers détails, aussi Stone patienta. Un bruit derrière attira son attention. Se retournant, il vit un homme en chaise roulante traverser également l’écurie pour pénétrer dans le manège. Une femme plus âgée marchait en arrière. Stone déduisit qu’il s’agissait de sa mère.

— Vous êtes Preston ?

Joey alla rejoindre l’inconnu, tandis que Stone restait à l’écart, près du cheval. Il les regarda discuter un moment, puis, par signes, Joey lui indiqua de mener Belle jusqu’à la zone où une rampe avait été installée jusqu’à une plate-forme surélevée. L’ensemble permettait aux patients de se glisser sur le dos d’un cheval. Le nouveau venu fit rouler sa chaise sur la rampe, jusqu’à la plate-forme. Stone observa la façon dont l’homme utilisait ses bras solides pour quitter son fauteuil et se mettre debout. Joey l’aida ensuite à se mettre en selle.

— Vous vous en êtes très bien sorti.

— Merci, grommela l’étranger, sur son cheval.

Joey reprit :

— Stone va vous conduire à la longe pour faire le tour du manège. Je veux que vous serriez les jambes autour du cheval. Cela vous aidera à rester en selle et à garder l’équilibre. Je serai à proximité. Si vous craignez de tomber, il vous suffit d’agiter la main.

Joey se pencha pour ajuster les étriers et s’assurer que l’homme était à son aise.

— Détendez-vous et amusez-vous, lui conseilla-t-il avant de reculer.

Stone prit la longe et se prépara à guider le cheval.

— Vous êtes prêt ? demanda-t-il.

Le cavalier grogna une vague réponse, Stone se mit en marche, très lentement, il fit le tour de l’arène. Il regardait le sol devant lui ou bien l’endroit où le cheval posait les sabots, essayant de ne pas trop dévisager l’homme en selle, ses yeux brillants, sa poitrine large et ses épaules musclées.

— Hé, toi, le garçon d’écurie, tu ne crois pas que nous pourrions accélérer un peu ?

Stone se retourna pour lui jeter un regard noir.

— Je m’appelle Stone.

Et sans attendre une réponse de ce connard arrogant, il ralentit le pas et continua à marcher.

— Preston ! cria sa mère. Essaie de t’accorder à ton cheval, utilise tes jambes.

En entendant de nouveau ce nom, Stone étouffa un ricanement. D’accord, lui-même avait été prénommé d’après le personnage d’un feuilleton qui plaisait à sa mère, mais quand même, c’était moins grotesque que ‘Preston’.

Stone s’immobilisa dès que Joey approcha du cavalier sur son cheval.

— Il faut que vous utilisiez vos jambes pour que cet exercice soit efficace, expliqua Joey.

— Je ne peux pas utiliser mes jambes ! hurla Preston.

Stone fut plutôt surpris par la force de sa voix et la véhémence qu’il y avait derrière.

— Mais si. Vous vous êtes mis debout avant de monter en selle. Cette thérapie a pour objectif de fortifier les muscles de vos jambes.

Quand Joey passa les mains le long des jambes de Preston, Stone dut détourner les yeux. Il se demanda brièvement ce qu’il éprouverait en sentant ces mêmes jambes sous ses doigts. Il secoua la tête d’un geste imperceptible. Pas question de fantasmer sur M. Arrogant !

— Si vous serrez les jambes autour du cheval, il vous sera plus facile de rester en selle. De plus, vous sentirez mieux vos jambes une fois que ce sera terminé.

Stone se remit à marcher. Joey s’écarta d’un pas et complimenta Preston :

— C’est beaucoup mieux, affirma-t-il.

Stone continuait de tirer le cheval par la longe en faisant le tour du manège.

— Hé, garçon d’écurie…

Stone s’arrêta net et se retourna pour jeter au cavalier un regard glacial.

— Je. M’appelle. Stone. Preston, ajouta-t-il plus distinctement.

Après un ricanement moqueur, il se remit en marche au même pas. Dès qu’ils furent hors de portée des autres, Preston s’entêta à le provoquer en l’appelant ‘garçon d’écurie’ et lui posa toutes sortes de questions. Stone l’ignorait et marchait d’un pas tranquille, heureux de réussir à ne pas réagir.

— Alors, garçon d’écurie…

Stone inspira profondément, puis souffla peu à peu. Cette fois, le mec avait bien failli l’avoir.

— … que fais-tu au juste quand tu ne promènes pas un cheval ? Tu déblaies de la merde ? J’ai l’impression que tu es tombé dans ton tas de fumier.

Stone tourna la tête sans ralentir le pas.

— Je m’appelle Stone, grinça-t-il, les dents serrées, et si tu n’arrêtes pas avec tes conneries, je vais finir par te taper dessus. J’en ai rien à foutre que tu sois un pathétique infirme dans une chaise roulante.

Il se redressa et continua à avancer. Quelques pas plus loin, il ne put résister : il jeta derrière lui un coup d’œil furtif, faisant semblant de vérifier si tout se passait bien pour Belle. Il remarqua alors le visage dévasté du cavalier, avant que Preston se reprenne et change d’expression, les yeux brûlants de douleur et de fureur.

— Preston, utilisez vos jambes, répéta la voix de Joey. C’est parfait, vous vous en sortez très bien.

La satisfaction de Stone dura deux bonnes minutes, puis sa conscience prenant le relais, il commença à se sentir coupable, et même un peu inquiet. Que penserait Geoff s’il apprenait ce qu’il venait de faire ? Il faillit se retourner pour s’excuser, mais sa fierté l’en empêcha. M. Arrogant Preston, l’enfoiré, l’avait délibérément provoqué, non ? Il méritait ce qu’il avait reçu. D’accord, le mec était plutôt mignon – et gay, Stone en était quasiment certain –, mais cela ne lui donnait pas le droit de se sentir supérieur ou d’être odieux.

Quand Joey, appuyé contre la rambarde, leva la main, Stone fit traverser le manège à Belle pour le rejoindre. Il était heureux que ce soit terminé.

Dès qu’ils approchèrent, Joey expliqua à Preston :

— Je ne veux pas que vous en fassiez trop pour cette première session. Vous risquez d’avoir des courbatures dans les jambes, mais c’est normal, parce que vous avez utilisé des muscles inactifs depuis longtemps.

Joey aida Preston à descendre de cheval et à s’installer dans son fauteuil roulant. Puis il se tourna vers Stone :

— Tu peux te charger de ramener Belle à l’écurie ?

— Bien sûr, Joey.

Reconnaissant d’avoir une bonne excuse pour s’en aller, Stone s’éloigna vivement pour ramener le cheval dans sa stalle. Belle semblait comprendre qu’elle revenait dans ses quartiers, elle agitait la tête avec excitation. Stone la libéra de sa selle et de son harnachement.

— Voilà, ma belle. Tu as bien travaillé.

Il lui flatta l’encolure lorsqu’elle commença à croquer ce qui se trouvait dans sa mangeoire.

— Alors, ça t’a plu ?

La voix féminine et les pas pressés provenaient de l’écurie.

— Ce n’était pas facile, mais oui, c’était sympa.

Stone referma derrière lui la porte de la stalle. Il vit Preston faire rouler son fauteuil dans sa direction ; il parlait avec sa mère, qui marchait à ses côtés.

— … mais j’ai mal aux fesses, je ne te raconte pas !

Stone ne put s’empêcher d’intervenir :

— Ce ne serait pas le cas si tu avais porté un jean correct.

Les roues ralentirent, Preston se dirigea vers lui.

— Je te signale que je porte un Armani qui coûte plus cher que tout ce que tu as pu mettre de toute ta vie.

L’arrogance de sa voix résonna dans toute l’écurie. Stone lui jeta un œil noir.

— Non, sans blague ? Ça ne m’étonne pas, les jeans de filles sont toujours onéreux.

Tout à coup, il réalisa que ça lui plaisait de rabaisser le caquet de son adversaire. Preston en avait bien besoin ! D’ailleurs, la femme qui l’accompagnait – sa mère en plus – n’intervenait même pas pour prendre son parti.

— Ce n’est pas étonnant que tu aies mal aux fesses. Tout ce strass a dû s’incruster bien profond.

Il s’éloignait déjà lorsqu’il ajouta :

— Tu fais comme tu veux, bien entendu, mais à mon avis, un bon vieux Wrangler – comme ceux que portent tous les cow-boys – serait plus approprié pour monter à cheval.

Stone s’en alla pour de bon, il lui fallait récupérer ses outils avant de se remettre à la tâche. Il avait d’autres stalles à nettoyer, mais, avant de retourner dans l’écurie, il tenait à s’assurer que Preston soit parti.

Les enfants allaient et venaient. Eli traversa l’écurie pour donner ce qui devait être un cours d’équitation. Stone continua à travailler, tout en écoutant le brouhaha des hommes qui s’occupaient des chevaux.

Au bout d’un moment, Eli vint le retrouver.

— J’ai un groupe en équithérapie dans une demi-heure, tu peux m’aider ?

Stone venait juste de terminer une autre stalle.

— Bien sûr, répondit-il.

— Tant mieux. Tu travailleras avec Sherry. Elle a six ans, je crois, elle ne parle pas beaucoup. Son père a été tué il y a quelques mois et, à ce que j’en sais, elle n’a plus ouvert la bouche depuis. Par contre, elle semble bien s’entendre avec les chevaux.

Stone quitta la stalle désormais immaculée et referma la porte derrière lui.

— Que voulez-vous que je fasse ?