Anothe me - Maryssa Rachel - E-Book

Anothe me E-Book

Maryssa Rachel

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Beschreibung

Un petit garçon, un petit garçon enfermé dans le corps d’une femme et un homme qui nous décrit avec force le commencement d’une vie, de sa vie. L’homme nous raconte son enfance, son adolescence et ses premiers pas dans le monde des adultes. Il nous raconte toutes ces années passées à se chercher, à se perdre, à se cacher, à ne pas oser, à mentir, à jouer un rôle. Il passe par le passage obligatoire du « jonglage » entre le il et le elle. Passage pour être comme tout le monde, pour être « invisible », pour avoir la « paix ». Il a passé des années à faire semblant de… pour faire plaisir à… Des années à vivre pour les autres en s’oubliant lui-même. Des années à se déguiser. Des années à se mentir et à mentir aux autres. Puis un jour, devant la télé, la révélation ; il n’est pas seul à être dans ce cas-là, il n’est pas fou, et il est possible d’avoir le bon corps, le corps en adéquation parfaite avec son esprit. Il serait temps que la société et ses bien pensants ouvrent enfin leur troisième oreille. Il serait temps que la société qui ne comprend pas, puisse enfin écouter, pour que demain tous ces « anges » puissent vivre en paix et dans la totale acceptation de leur « moi ». La transsexualité a été supprimée des maladies mentales en 2010 et pourtant on impose encore, aux transsexuels, deux ans de suivi psychothérapeutique, comme si tous ces médecins avaient le pouvoir de décider de ce qui est « normal » ou pas… quant aux adolescents… ah les pauvres adolescents, les pauvres enfants qui entendent sans cesse « ça te passera » n’en sont pas au bout de leur peine… La société est composée d’êtres différents, c’est pour cela qu’elle fonctionne !

À PROPOS DE L'AUTEURE

Femme et mère engagée dans la lutte d’une représentation des autres genres et sexualités dans les médias, Maryssa Rachel contribue par son témoignage, son travail et ses interventions à une évolution des esprits et des représentations.

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Maryssa RACHEL

ANOTHER ME

(Un garçon pas comme les autres)

 

 

À Sam,

À mon Fils

 

Il s’agit d’un parcours… le parcours d’un homme enfermé dans le corps d’une femme.

Un parcours parsemé de doutes, de questionnements, d’angoisses, d’impression de devenir fou, de détresse.

L’homme nous décrit avec force le commencement d’une vie, sa vie.

Il nous parle de sa « re »naissance à 28 ans.

Il nous raconte toutes ces années passées à se chercher, à se perdre, à se cacher, à ne pas oser, à mentir, à jouer un rôle.

Il jongle entre le il et le elle pour essayer de se fondre dans la masse, pour être « invisible », pour avoir la « paix ».

Il a passé des années à faire semblant de… pour faire plaisir à…

Des années à vivre pour les autres en s’oubliant lui-même.

Des années à se déguiser.

Des années à se mentir et à mentir aux autres.

Puis un jour enfin, la révélation, la liberté de penser pour soi, la liberté de prendre soin de soi, la liberté d’être enfin libre « d’être ».

Que la société et ses moralistes aillent au diable,

Que la société qui ne comprend pas puisse enfin ouvrir sa troisième oreille ;

Que la société qui ne comprend pas, puisse enfin écouter, pour que demain tous ces « anges » puissent vivre en paix et dans la totale acceptation de leur « moi ».

La transsexualité a été supprimée des maladies mentales en 2010 et pourtant on leur impose encore deux ans de suivi psychothérapeutique, comme si tous ces médecins avaient le pouvoir de décider de ce qui est « normal » ou pas…

Comment un homme, sous prétexte qu’il est médecin, peut-il décider de l’avenir d’une personne qui ne demande qu’à « être » et « devenir » ?

On raye donc, des maladies mentales, la transsexualité et malgré tout, les « illes et les els » sont encore obligés de se justifier !

Raphaël est un jeune homme né dans le corps d’une fille. Un jeune homme né dans le mauvais corps. Comme bon nombre de trans il aimerait tout simplement pouvoir vivre et non plus survivre.

On entend d’ici de-là qu’il s’agit d’une erreur de la nature, cependant biologiquement parlant il est possible de naitre sous xx xy xxy xyx…

Tout est question de chromosomes… donc l’erreur ce n’est pas lui, mais bien la société, qui se permet encore aujourd’hui de le traiter de malade, de schizophrène, de bipolaire et j’en passe. Si les gens parvenaient à accepter la différence, à respecter l’individu, bon nombre de personnes ne seraient pas en souffrance aujourd’hui.

La société est composée d’êtres différents, c’est pour cela qu’elle fonctionne !

 

Bonne lecture – Maryssa RACHEL –

« Je suis en colère. Irrité. Négatif. Je vois rouge. Mon cœur bat trop vite. Mon esprit s’embue. Mon cerveau boue. « fight-or-flight »… Je préfère la fuite. Mes muscles se contractent. Mon ventre gargouille. J’ai la nausée. J’ai envie de taper sur tout et partout. Envie de hurler. Rien ne sort. Je dois FUIR, fuir ou mourir. Me battre ou fuir. Me battre pour ne pas mourir. »

 

Mon histoire c’est l’histoire de tous ceux qui subissent leur corps, qu’il soit trop petit, trop gros, trop grand, trop mince ; un corps en parfaite inadéquation avec ce qu’ils sont vraiment.

Mon passé, mes peurs, mes doutes, mes craintes, mes angoisses ont ponctué ma vie de souffrance, de mal-être, d’incompréhension.

Aujourd’hui, je vis, et je ne survis plus. Aujourd’hui je ne suis plus un fantôme errant, je suis moi, entièrement moi.

Je vais me confier, sans masque, sans faux-semblant. Pour comprendre mon parcours, je vais étaler ma vie, je vais plonger dans ces douloureux passages de mon existence pour vous livrer, à cœur ouvert toutes mes souffrances, mes états d’âme, mon combat perpétuel.

Pour comprendre mon parcours je vais me foutre à poil, là devant vous, je vais vous raconter mon histoire, l’histoire d’un garçon pas comme les autres…

 

PARCE QU’IL FAUT UN COMMENCEMENT

 

Hôpital. Il y a une femme sur un lit aux draps trop blancs, une femme les pieds posés sur des « étriers ». Il y a un médecin entre les jambes de la femme. Un médecin qui rassure. Un médecin qui dit « Tout ira bien ». Nous sommes en 1983 dans un petit hôpital dans le sud de la France. Cette femme, cette belle femme rousse, c’est ma mère. Et l’homme à côté, l’homme avec la petite moustache c’est mon père. Mes parents sont jeunes. Dans le ventre de ma mère, il y a moi. Moi qui ne vais pas tarder à sortir, à glisser du sexe maternel comme une savonnette mouillée. Moi qui vais venir au monde. Moi qui vais hurler…

« Stop ! Il faut me remettre là-dedans ! J’ai oublié un truc à l’intérieur ! Il ne faut pas me laisser comme ça ! Je vais faire comment moi, s’il me manque ce petit quelque chose ? Maman ! Aide-moi ! Dis-leur, toi ! S’il te plait ! »

J’ai glissé dans la vie. Et me voilà à hurler, à crier, à pleurer. Me voilà au monde, nu comme un ver, avec ce corps qui n’est pas le mien.

Maman s’occupe bien de moi. Elle me donne à manger. Elle me change. Elle me câline. Puis il y a les mains dans lesquelles je passe, de bras en bras pour me faire chouchouter. On me met le pyjama rose. On me met le bonnet rose. Je ne comprends rien encore. Je suis tout petit. Je suis « neutre ». Je n’ai d’avis sur rien.

Je rentre avec maman à la maison.

On me mettra dans le berceau avec les draps roses, dans la chambre rose. Je suis un tube digestif. J’avale ce qu’on me demande d’avaler. Je suis un tube digestif, qui ne pense pas mais qui sourit parfois.

Puis comme tous les petits êtres qui viennent au monde, je grandis.

J’apprends à manger, parler, marcher, à être propre et à être RESPECTUEUX. Je dois apprendre à dire merci et s’il te plait. Je dois apprendre à vivre dans cette jungle humaine, dans cette société que j’apprendrai à dompter, que j’apprendrai peu à peu à manipuler. Je dois apprendre qu’il y a des choses bonnes, et des choses mauvaises. Je dois apprendre l’hypocrisie, le mensonge, la peur, la convoitise, je dois apprendre à vivre en société.

Puis il y a mes rêves qui se construisent. Puis il y a mes envies qui deviennent de plus en plus nettes.

Quand je serai grand je ressemblerai à papa. J’aurai une grosse voix, une petite moustache, comme papa. Je protégerai maman. Je serai beau, fort, intelligent et surtout heureux.

Mais les gens commencent à me contredire. Les gens commencent à me dire « Non… tu ne seras pas… mais tu deviendras ce que tu n’es pas ».

Je me bouche les oreilles, je ne les entends pas tous ces gens qui me bousculent, me raillent, me conseillent. Qu’ils me laissent tranquille ! J’m’en fous moi de ce qu’ils me disent. J’m’en fous moi, lorsqu’ils se penchent à mon oreille pour me chuchoter que je ne suis pas normal.

C’est faux. Je ne m’en fous pas, je commence à apprendre par étapes la souffrance, le mal-être, l’incompréhension… J’ai mal, moi, lorsqu’ils me jugent ; leurs mots comme des coups de poing en plein cœur. J’ai mal, moi, lorsqu’ils ne m’entendent pas ; j’ai mal, moi, parce qu’ils ne me voient pas. J’ai mal lorsqu’ils me disent que je suis « belle » ; j’ai mal lorsqu’ils me disent « petite fille »…

Je voudrais me réveiller un matin avec le sexe de l’homme qui pend entre mes cuisses. Un morceau de chair qui serait à moi.

Un jour je serai un garçon comme les autres !

Je grandis peu à peu, tout doucement et c’est rigolo parce que je passe un cap où tout ne semble pas si grave que ça ! Un cap où les jugements n’ont pas lieu. Un cap où je suis accepté par les gosses de mon âge.

***

Et il y a tous ces souvenirs qui s’enchaînent et qui font partie de mon passé. Il y a toutes ces étapes par lesquelles je suis passé, et que je ne dois pas oublier, car c’est mon passé qui m’a construit et qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Le passé est parfois douloureux, mais il est passé et il a construit le présent. L’oublier c’est oublier de poser les fondations d’une baraque ; en essayant d’oublier on se casse la gueule c’est certain.

Tout a commencé très tôt. Petit, je ne voyais pas le mal. J’étais un garçon, un garçon comme les autres, juste un peu différent. Différent comme mon voisin au teint basané. Différent comme la petite Julie au corps déformé. Différent comme mon grand-père trop gros. Juste un peu différent.

***

Je ne comprenais pas pourquoi maman disait que j’étais une fille. Je sais ce qu’est une fille. Une fille c’est ma cousine, une fille c’est maman ou tatie. Moi je ne suis pas une fille puisque je ressemble à mon frère et à mon père.

J’ai quatre ans – Je suis tout petit. Nous partons voir la meilleure amie de maman dans le Sud. Je me souviens de la chaleur étouffante. Je me souviens des vitres baissées. Je me souviens de la lumière jaune du soleil, je me souviens… Nous roulons, encore, nous roulons, nous avançons, je suis tout petit…

Maman se gare dans l’allée. J’aime le bruit des roues de la voiture lorsque maman va tout doucement. J’aime le bruit des petits cailloux sous les roues de la voiture de maman.

Une femme brune nous accueille. Elle est comme maman. Maman qui n’a pas d’âge. Elle rigole. Elle sourit. Elle me pince la joue en disant « Oh la petite Rachel, que tu grandis… ». Puis après elle dit des trucs à ma mère que je ne comprends pas. Elles parlent, elles jacassent… discussions d’adultes que je n’ai de toute façon pas envie de comprendre.

Moi ce qui m’intéresse ce sont les rires des enfants que j’entends de l’autre côté de la pièce. Je regarde dans la maison aux volets clos. Je regarde et je trépigne. Alors l’amie de maman dit « Ah tu as entendu les enfants jouer. Venez, rentrez… ».

Nous rentrons. Nous suivons l’amie de maman. Nous traversons le petit couloir aux carrelages blancs. Nous sommes dans la grande salle à manger blanche, avec le piano noir au centre de la pièce. Et je regarde autour de moi. Et je vois les tableaux sur les murs, je vois le gros lustre qui pend au plafond. J’entends encore le rire de joie des enfants dehors. Mais je ne peux pas voir dehors car les volets ne sont pas entièrement ouverts. L’amie de maman dit « Il fait tellement chaud dehors, je ferme un peu pour garder de la fraicheur ».

L’amie de maman nous apporte à boire. De la citronnade. Et moi j’écoute encore dehors. Je ne dis rien, je n’ose pas dire que je veux voir dehors ce qu’il se passe. Je n’ose pas, car maman m’a dit dans la voiture « Sois sage… ne me fais pas honte ». Alors je me tais. Alors, je bois la citronnade calmement, sans en mettre « de partout ». Je bois et je pose le verre sur le petit cercle de carton posé sur la table. Puis j’attends. Je n’ose pas m’asseoir. J’attends en écoutant les bruits de vie du dehors.

J’entends le rire des enfants qui jouent, j’entends le rire des gens, j’entends les sons de joies. Puis maman me dit « Assieds-toi, Rachel… ». Je m’assois à côté de maman. Sans broncher.

Puis un rire s’approche. Un rire suivi d’un « je reviens ». La porte vitrée s’ouvre, la lumière jaune du soleil envahit la pièce. L’amie de maman dit « B ferme vite, la chaleur rentre ». Alors B rigole, elle dit « Maman c’est bon, tu ne vas pas mourir ». Je regarde B, je dis bonjour à B. Elle est grande B. Maman dit « Mon Dieu que tu as grandi… quel âge as-tu maintenant ? ». Les adultes sont toujours surpris de voir les enfants grandir.

B remet ses cheveux mouillés en place. Elle sourit, elle dit « J’ai quinze ans ». Alors moi je regarde la fille B qui remet ses cheveux en place, qui sourit, insolente, dans son maillot de bain deux pièces. Je me dis que B est belle. Maman dit « Et dire que ma petite Rachel, dans dix ans sera comme toi… que le temps passe vite ». Je regarde encore B. Non, dans dix ans, je ne peux pas être comme B. Dans dix ans, je ne peux pas avoir de seins, ni de maillot deux pièces ni de cheveux trop longs.

Je dis bonjour à B, B que je trouve jolie mais à qui je ne ressemblerai jamais.

J’ai chaud, très chaud. Je transpire. B me dit « Tu veux te baigner ? » je hoche la tête de haut en bas, je souris timidement, je dis « Oui… je veux me baigner ».

Maman me met les gros brassards autour de mes petits bras. B me prend par la main, elle me sourit, elle est belle. Elle ouvre la porte qui fait rentrer la lumière du soleil et la chaleur. J’entends l’amie de maman crier « B, la porte… ». et B me regarde en fermant la porte. Elle éclate de rire elle dit « Les parents sont chiants parfois ». Et je vois, je vois des filles et des garçons de l’âge de B. Moi quand je serai grand je ressemblerai au garçon tout bronzé qui porte un caleçon noir. Je ressemblerai au garçon qui rigole avec deux copines de B. Je ressemblerai au garçon qui se lève, là à cet instant, et qui regarde B et qui sourit et qui dit avant de plonger dans l’eau « KAMIKAZE »…

B me tient toujours par la main. Elle s’approche du rebord de la piscine. Elle attend que le garçon à qui je ressemblerai sorte la tête de l’eau. Elle pose sa main sur la tête du garçon et la replonge dans l’eau. Quand il sort une nouvelle fois elle dit « Maintenant y a une gosse alors mollo Kamikaze ». Le garçon à qui je ressemblerai, crache de l’eau en riant, puis il me regarde, puis il dit « T’es payé combien pour faire la nounou ? »

B lève les yeux au ciel. Elle me regarde, elle dit « Les garçons sont cons parfois ». Je veux être con moi aussi quand je serai grand.

Elle m’accompagne jusqu’à la piscine. C’est dingue à quel point le monde nous parait grand avec des yeux d’enfant. La piscine est immense, B est si grande, je suis si petit. Je descends lentement les grandes marches de la grande piscine, et je plonge doucement mon petit corps dans l’eau fraiche. Je suis en petite culotte ; à cet âge-là, le corps à si peu d’importance, à cet âge-là on est si peu de chose ; à cet âge-là on se construit. À cet âge-là, on confond parfois les filles avec les garçons. À cet âge-là, on n’a pas de sexe, on n’a pas de poitrine, on n’a pas de poils.

B me rassure, elle me tient toujours la main. Il ne faut pas que j’aille plus loin que la trace blanche du bord de la grande piscine. Je suis peut-être petit, mais je comprends les choses, et je sais ce qui est dangereux et ce qui n’est pas dangereux.

Je suis timide. Je n’ose pas trop bouger. J’ai l’habitude de me baigner dans de petites piscines en plastique. La piscine chez B est immense.

Je reste accroché au bord de la grande piscine. Je regarde B qui reste à côté de moi. Et le garçon à qui je ressemblerai la taquine, il se moque gentiment d’elle, il dit « t’as envie d’avoir des gamins ? tu veux que je t’en fasse un, là maintenant ? » ; il nage, il s’arrête pour regarder B et l’éclabousser. Elle dit « Arrête de faire l’idiot ». B reste bien avec moi. Je n’ose pas bouger. Elle me dit « Viens, nage un peu ». Non je ne veux pas bouger. J’observe. Je regarde le garçon et les copines de B.

Il fait chaud, mon corps est chaud, mais l’eau froide contre mon corps chaud me fait frissonner. B me dit « Viens, je suis là ». Alors je lâche le bord de la piscine et je me mets dans les bras de B. Le garçon éclate de rire. Il dit « Moi aussi je voudrais avoir quatre ans pour que tu me prennes dans tes bras comme ça. » Alors je me colle un peu plus contre B qui éclate de rire et qui me dit « Ne l’écoute pas… nage un peu ça fait du bien ».

Je me fais ballotter par les petites vagues.

Je reste immobile. Silencieux.

Puis je tremble. Alors B me dit « Tu as froid tu veux sortir ? » Elle me raccompagne jusqu’aux escaliers de la piscine que je monte prudemment. B dit à une de ses copines « passe-moi une serviette ». B entoure mon petit corps de la serviette chauffée par le soleil. Elle frictionne mes épaules et me serre contre elle. B me dit « Tu veux rentrer ? » je hoche la tête. Elle me raccompagne jusque dans le salon aux volets clos. Maman dit à B « C’est gentil de t’en être un peu occupé ». B sourit et dit « C’est normal ». Et elle retourne avec ses amis, elle retourne avec le garçon à qui je ressemblerai.

***

Ne rien oublier. Me souvenir de tout. C’est important de se souvenir. Oublier le passé c’est prendre le risque de devenir ce que nous ne sommes pas.

Je me pose sur mon canapé, la tête pleine de souvenirs, la tête pleine de trop de choses. J’allume une cigarette. Je plonge… je plonge dans les souvenirs d’enfance. Je plonge dans les méandres de mon inconscient. Je plonge pour vous raconter mon histoire personnelle… c’est important de raconter. Les gens se retrouveront peut-être un peu dans le jeune garçon que j’étais. Le but c’est juste de partager mon expérience de vie. Car moi à l’époque j’aurais aimé qu’on me raconte « l’anormalité ». J’aurais aimé qu’on me dise « Demain tu verras tu seras quelqu’un de bien. »

OPERATIONS

J’ai subi des « opérations » des opérations pour ma santé physique, des opérations pour ma santé morale. OPERATIONS qui permettent de devenir, de vivre, d’exister. Opération de santé, opération pour construire le corps. Opération pour guérir, opération pour être.

***

J’ai quatre ans et deux mois exactement. Les deux mois qui font toutes la différence lorsqu’on est jeune.

Je vais subir une ablation des végétations. Nous sommes, ma famille et moi sur le trajet de l’hôpital. Je ne suis pour l’instant pas inquiet, je regarde les lignes blanches sur la route. « Un, deux, trois… petits pointillés qui défilent. Coupe, coupe, coupe ! »

Je suis seul perdu dans mes rêves et mes pensées. Lorsque nous arrivons, une petite boule d’angoisse commence à me serrer la gorge. Papa dit « Il ne s’agit que d’une petite opération, ça passera vite tu verras… » OPERATION. ABLATION. HÔPITAL.

Je n’aime pas les docteurs, ils se ressemblent tous et je déteste leur odeur ! Ils puent le « médicament » et les « antiseptiques ». Nous voilà à l’entrée de l’hôpital. On attend dans la salle d’attente. Maman à mon carnet de santé posé sur ses genoux. Puis il y a une infirmière qui vient me chercher et qui dit aux parents « Vous pouvez aller faire un tour, revenez ce soir ». L’infirmière me prend par la main. Elle me dit « Alors comment vas-tu ? » je ne sais pas comment je vais. Je sais que j’ai mal, j’ai mal dans ma gorge. L’infirmière a les cheveux noirs attachés par un chignon. Elle a des yeux bleus. Elle est gentille. L’infirmière me fait entrer dans une petite pièce, elle me dit « Viens, je vais t’aider à monter sur le lit, tu verras c’est rigolo, il bouge tout seul. » Elle me porte. Elle me déshabille. Je suis torse nu et en petite culotte sur ce lit roulant, ce lit froid aux draps trop blancs. Mes parents ne restent pas près de moi. J’ai peur, peur car je suis seul avec des gens que je ne connais pas. J’ai peur car je ne sais pas ce que le docteur va faire.

L’infirmière pose sur mon visage un masque vert clair avec des petits dessins dessus. L’infirmière me dit « Respire calmement, et bientôt tu feras de beaux rêves. » Je respire calmement. Je suis fatigué. Je suis fatigué. Je lutte un peu. Je lutte, juste un peu, et je m’endors. Existe-t-il un masque pour transformer la vie en « beau rêve » ?

Je ne sais pas ce que les docteurs ont fait, je ne sais pas ce qu’il s’est passé, je me réveille dans une chambre. Une chambre qui n’est pas la même que tout à l’heure. La chambre est très grande. Il y a une infirmière à côté de moi et moi j’ai un truc dans la bouche qui me donne envie de vomir. L’infirmière enlève le truc dans la bouche. Elle me dit « ça va petite princesse ? » je ne réponds pas. Je regarde autour de moi, il y a des enfants qui dorment. Il y a des enfants qui pleurent. Moi je ne pleure pas même si je voudrais voir papa et maman. Mes yeux se ferment de nouveau. Puis, j’entends la voix de maman, j’entends la voix de papa. Mes yeux sont toujours fermés. J’ouvre lentement un œil, c’est difficile, comme si un doigt invisible m’empêchait de l’ouvrir entièrement. Je lutte, et je réussis enfin à ouvrir mes deux yeux. Tout le monde est là. Papa, maman, mon frère. Nous sommes encore dans une nouvelle chambre.

Maman demande à mon frère de me passer mon petit cadeau. Le petit cadeau du « parce-que-j’ai-été-sage ».

Mon frère pose sur mon lit un paquet. Il me dit « Tu vas voir c’est un chouette cadeau et ça va te plaire. » Et maman me dit « Tu as été courageuse, je suis fière de toi. » Et papa, lui, ne dit rien, papa sourit tout simplement.

J’ouvre lentement le paquet du « chouette cadeau ». Et je découvre un superbe robot noir avec des lumières rouges. Mon frère me dit « Ici tu as un bouton pour actionner le robot. Ici tu as la télécommande pour le faire marcher. Tu verras il se déplace tout seul. » Alors je prends la télécommande, alors j’appuie sur le bouton. J’ai un peu mal à la gorge. Mais la douleur s’efface car je joue avec le robot, car je joue avec le « chouette cadeau ».

Le docteur arrive. Il dit bonjour aux parents, il dit bonjour au frère. Il me regarde. Il me dit « Tu as été courageuse petite fille. » Je ne l’écoute pas. Je joue avec le robot. Le docteur dit « As-tu mal ? » Je hoche la tête de haut en bas, sans regarder le docteur. Le docteur dit « Tu vas pouvoir manger des glaces, tu es contente ? » je hoche une fois de plus la tête. Puis le docteur dit des trucs pas drôles. Il dit « Je vais prendre ton robot. » Et il rigole en regardant mes parents, il rigole mais moi je ne ris pas. Il me dit « Les petites filles ne jouent pas avec des robots, les petites filles jouent avec les poupées. » Je me ferme. Je ferme mon visage. Je n’aime pas ce docteur. Moi je n’aime pas les poupées, je préfère les robots, les voitures, les playmobils, les pistolets, les légos, et tout et tout. Puis le docteur part. Je reste seul avec mon père, ma mère et mon frère. Ma mère dit « Je viendrai demain te chercher. Tu passes une dernière nuit ici. Mais tu ne seras pas seule, puisque tu as ton robot. Tu vas être courageuse n’est-ce pas ? »

Je dis « Oui maman… tu viendras me chercher demain. Je serais courageux et je serai sage. »

***