Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
L'Appartement N°2 (Flat Two) est un roman policier de l'écrivain britannique Edgar Wallace publié en 1931.
Das E-Book Appartement n°2 wird angeboten von Books on Demand und wurde mit folgenden Begriffen kategorisiert:
Classique, Edgar Wallace, roman policier, Crimes et enquêtes policières, littérature anglaise
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 309
Veröffentlichungsjahr: 2022
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Edgar Wallace
Un coup de feu sec claqua soudain, faisant tressaillir le capitaine Hurley Brown.
Il n’eut pas besoin de rechercher d’où venait le bruit pour se diriger vers la porte de Reggie Weldrake. Il avait bien tenté d’arrêter le jeune homme à l’air égaré qui venait de le frôler en passant, mais celui-ci lui avait échappé, était entré dans sa chambre dont il avait violemment refermé la porte, tournant la clé dans la serrure.
Hurley Brown avait déjà noté cette même expression sur le visage d’un autre homme, et cet homme-là, lui aussi – précisément un jeune officier plein d’avenir comme Reggie Weldrake – revenait d’une entrevue, la dernière après plusieurs autres, avec Emil Louba. Cette fois-là également un coup de feu avait été la conclusion de cette entrevue.
C’est tandis qu’il réfléchissait, mal à l’aise, fumant cigarette sur cigarette, incapable de se diriger vers sa propre chambre avec, devant les yeux le souvenir de ce visage défait, se demandant s’il devait insister pour que le jeune homme lui ouvrît la porte, que le coup de feu déchira le silence et lui fit monter précipitamment la demi-douzaine de marches conduisant à la porte que le jeune homme avait refermée sur lui.
Ses coups bruyants et ses appels demeurèrent sans réponse. Il attendit à peine et, mettant l’épaule contre la porte, il essayait de l’enfoncer en forçant la serrure, quand Mc Elvie, l’ordonnance de Weldrake et un ou deux autres officiers et domestiques arrivèrent à la hâte. Leurs efforts conjugués firent sauter la serrure et les précipitèrent dans la chambre où ils reprirent leur équilibre, en titubant.
Ce n’était plus la peine de relever Reggie Weldrake. Ils virent d’un seul coup d’œil qu’il était mort. La chambre était encore pleine d’une odeur âcre, ses doigts rigides se crispaient sur son revolver d’ordonnance.
Brown fut le premier à briser le silence « Ce maudit Louba ! » murmura-t-il, et plus d’un de ses compagnons jura entre ses dents.
— Si quelqu’un le tuait, Malte serait sérieusement nettoyée, déclara Mc Elvie avec colère. Tous approuvèrent de la tête.
Que Louba fut la cause du drame, cela était accepté sans discussion. Ce n’était pas la première fois.
Hurley Brown haïssait Louba. Il avait vu trop d’hommes perdus par lui et ceux de son espèce. Il avait décidé de le chasser de Malte et pris déjà des mesures pour attirer l’attention des autorités militaires sur la mauvaise influence que son établissement exerçait sur les hommes en garnison dans l’île.
Il avait vu le désastre vers lequel courait Reggie Weldrake, il avait essayé de gagner sa confiance, de l’avertir, mais le jeune homme était trop profondément engagé pour en sortir par lui-même.
Voyant qu’il n’y avait plus rien à faire, ils laissèrent à sa solitude le corps immobile ; Brown se sépara de ses compagnons et se dirigea à grands pas vers la maison de Louba.
Comme il entrait dans le cabaret, qui était un masque pompeux pour l’autre – et plus importante – partie de l’établissement, il remarqua que quelque chose d’insolite s’y passait.
La musique avait cessé et la conversation générale s’était tue. On négligeait les verres et toutes les têtes étaient tournées dans la même direction. Autant que Hurley Brown pût en juger, il semblait y avoir une altercation entre un client et l’une des actrices, une danseuse ou chanteuse en jupe courte qui avait encore un pied sur la scène, à l’autre bout de la salle. L’homme auquel elle faisait face était grassouillet et parlait avec volubilité, il avait des yeux noirs, un visage plein et coloré, et portait un habit de coupe excentrique.
Comme Brown se dirigeait vers le couloir menant aux salles de jeux, les rideaux furent tirés pour permettre le passage d’Emil Louba, suivi d’un jeune homme à faciès de belette qui reprit immédiatement sa place dans le maigre orchestre dont la scène était flanquée.
— Je suis heureux que ton type soit allé te chercher ! cria le perturbateur. Ça m’épargne le soin de te trouver.
— Ah, Da Costa ! Mon ami Da Costa ! remarqua Louba avec une ronronnante suavité.
— Ton ami ! C’est ta ruine que je serai, rugit Da Costa, s’approchant de lui. Il était petit à côté du grand Louba aux larges épaules, et fut pris d’un nouvel accès de rage quand l’autre baissa les yeux sur lui, souriant sous sa forte moustache noire. « Tu as encore fait le même coup ! Quand seras-tu content ? Crois-tu que je vais te laisser me barrer la route partout où je me trouve ? ».
— Tout est permis en amour et en affaires, my dear Da Costa. Tu sais sûrement cela ! Nous pouvons être des concurrents commerciaux et cependant demeurer les meilleurs amis du monde. Mais nous interrompons le spectacle.
Il prit le bras de Da Costa d’une poigne qui était sauvage, malgré le sourire demeuré sur ses traits, et essaya de l’entraîner là où la foule curieuse ne pourrait le voir ni l’entendre.
— J’entends l’interrompre, ton spectacle ! cria Da Costa en se dégageant vivement. Cette femme est liée par contrat avec moi. Je la paie le triple de ce qu’elle vaut. C’est moi qui l’ai formée. Elle me doit tout.
— C’est faux ! glapit la femme. Je suis parfaitement libre d’aller où il me plaît, et…
— Et la dame préfère Malte à Tripoli ! termina Louba. C’est tout ce qu’il y a à dire.
— Ce n’est pas du tout ce qui s’est passé ! Chaque fois que je suis dans un bon coin, tu viens et tu t’installes en rival, ou tu m’enlèves mes artistes, ou…
— Ou, en d’autres termes, je prouve que je suis le meilleur des deux, conclut Louba. Les affaires sont un très beau jeu, Da Costa, quand on sait y jouer. Allons, laissons ces braves gens se divertir.
Ses doigts s’enfoncèrent dans le bras potelé de Da Costa et il le poussa vers le hall.
— Ingrate, coquine, tu reviendras à Tripoli, ou tu paieras pour rupture de contrat et tout le temps que je t’ai gardée et entraînée avant que tu n’aies pu gagner un penny, menaça Da Costa, arrachant son bras à l’étreinte de Louba et bondissant vers la femme en brandissant le poing sous son visage.
Elle ne demeura pas en reste de menaces, criant et gesticulant, le défiant en une demi-douzaine de langues, avant que Louba ne s’interposât entre eux.
— En scène et enchaînez, commanda-t-il, la prenant par les épaules et la poussant sur le plateau.
Il fit un signe aux musiciens et à deux serveurs. Comme s’il n’y avait eu aucune interruption, la femme et l’orchestre continuèrent leur numéro. Avec un sourire épanoui sur sa figure d’entraîneuse, elle procédait par bonds et œillades généreusement prodigués. Les garçons saisirent Da Costa, lui firent parcourir à la hâte toute la longueur de la salle et le poussèrent dehors, où ils durent lutter quelques minutes pour l’empêcher de rentrer.
Louba s’inclina devant l’assistance, ses cheveux souples et noirs brillant sous l’éclat des lampes.
— Mille pardons, s’excusa-t-il. On ne peut pas posséder le meilleur établissement du genre et demeurer sans rivaux !
Il allait se retirer par le même chemin qu’il avait pris pour venir, quand Hurley Brown s’approcha de lui.
— Ni sans rétribution, ajouta Brown.
— Tiens ! Captain Hurley Brown ! Louba s’inclina avec une exagération moqueuse. C’est très aimable à vous d’être venu, Capitaine. Ce n’est pas souvent que j’ai le plaisir de vous voir ici, quoique… votre jeune ami, le lieutenant Weldrake soit un habitué.
— Il ne le sera plus à l’avenir.
— Non ? Louba rit doucement. Well, nous verrons ! Je crois que vous avez essayé de l’éloigner d’ici auparavant, mais… si je ne m’abuse, sans grand succès, n’est-ce pas ?
— Je réussirai cette fois-ci, je vous le promets.
— Vraiment ? Bien… Il haussa les épaules. Aussi longtemps qu’il se conduira en gentleman avant de partir, je n’aurai pas à me plaindre. Il nous quitte ?
— Il nous a déjà quittés. Et vous nous quitterez bientôt. Vous nous quitterez bientôt, Louba, dussé-je vous attacher une brique autour du cou et vous précipiter au milieu de la mer.
— Que voulez-vous insinuer en disant qu’il nous a quittés ? Il n’a pas encore réglé ses obligations envers moi. Il n’y a guère plus d’une heure que j’ai dû lui rappeler toutes ces histoires d’honneur, d’officiers et de gentlemen britanniques.
— Louba, dit Hurley Brown à voix basse, je ne sais vraiment pas ce qui me retient de lever la main sur vous !
— Peut-être est-ce parce que vous savez que je vous jetterais dehors si vous leviez un doigt sur moi, cher ami.
— Espèce de !… Son bras fut saisi au moment où il le levait.
— Non, vous ne gagnerez rien par la violence, dit Louba. Et ce serait très inconvenant, n’est-ce pas ? Dites-moi ce que vous entendez en disant que le jeune homme est parti.
— Il vient d’être assassiné.
— Assassiné ? Par qui ?
— Par vous, Louba.
— Oh, oh, je vois, dit Louba après un moment. C’est ainsi. Et alors, que désirez-vous ici ?
— Seulement vous dire que si vous n’êtes pas chassé de Malte par les autorités, je vous en chasserai à coups de botte comme je vous chasserai de tout endroit où je vous trouverai. Nous nous sommes rencontrés ailleurs, Louba, et je constate que plus vous vieillissez, plus vous vous avilissez.
— Quelle sottise ! Vous voulez dire que plus je vis, plus je rencontre d’imbéciles, naturellement. Quant à vos autorités, elles auront ça ! Il fit claquer ses doigts. Je ne saurais être tenu pour responsable de chaque jeune idiot qui est incapable de prendre soin de lui-même. Si vous avez des coups de pied à donner, allez et adressez-vous à eux. Je vous assure que c’est un très bon sport, Captain Brown. Je l’ai essayé, ricana-t-il.
— Un jour, dit Hurley Brown, vous l’essaierez une fois de trop.
Un sourire railleur tordit les traits crapuleux de Louba.
— Si c’est une menace, répliqua-t-il, elle me fait rire. Je suis Emil Louba. Je vais mon chemin, foulant aux pieds ou évitant ce qui est sur ma route. C’est aux autres à s’écarter si je piétine ou si je passe ; mais je ne dévie point pour cela !
Avec une sourde imprécation, Hurley Brown s’éloigna rapidement et traversa à grandes enjambées la foule qui maintenant applaudissait bruyamment la danseuse essoufflée et souriante.
Il savait, avant de venir, que sa visite serait inutile, l’indignation seule l’avait amené. Il était outrageant de penser que Reggie Weldrake était étendu, silencieux, sur son lit étroit pendant qu’Emil Louba poursuivait en toute sécurité son impudente carrière.
Il fit un bond de côté au moment où une voix forte tonnait à ses oreilles à travers la rue étroite :
— Je te ferai payer pourtant ! Je te ferai payer même si je dois attendre vingt ans !
C’était Da Costa, brandissant le poing dans la direction de la maison de Louba, échevelé et encore haletant des effets de la rage et de sa lutte avec les deux serveurs.
Ce ne fut pas une tâche agréable que d’accueillir le père de Reggie Weldrake, à son arrivée à Malte.
Le défunt avait été populaire à la fois chez les hommes et chez les officiers, ses compagnons, et l’on ressentit quelque satisfaction lorsqu’on apprit que son père était attendu. Mc Elvie exprima le souhait général lorsqu’il dit espérer que Mr Weldrake senior était un gaillard habile de ses poings, qui venait avec l’intention précise de rencontrer Emil Louba.
— Il n’y a aucune autre raison qui l’ait fait venir, avait-il observé plein d’espoir. Il ne porte pas d’uniforme, et il peut joliment bien servir à Louba ce qu’il mérite !
Cependant, la mission de le saluer à son arrivée et de lui fournir des détails sur la mort de son fils n’était pas précisément convoitée, et Hurley Brown s’en chargea avec quelque appréhension.
Il cherchait un homme de haute stature, résolu, une plus ancienne et plus solide édition de Reggie Weldrake, et fut surpris quand ses yeux tombèrent sur la petite silhouette ratatinée de Mr Weldrake.
Si l’indignation générale avait régné auparavant, elle fut avivée par le pathétique petit homme sur qui le coup était tombé. Il était visible que son garçon avait été son univers, sa mort un choc dévastateur.
Il n’exprima aucune plainte, ne rechercha aucune sympathie : sa reconnaissance pour l’amabilité qu’on lui montrait était émouvante, et il s’intéressait vivement à toute anecdote, même triviale, de quiconque lui parlant de son fils. Il s’assit dans la petite chambre de l’officier, seul pendant des heures, touchant les objets qui lui avaient appartenu, lisant ses dernières notes. Et chaque jour, on put voir cette petite silhouette solitaire se pencher sur la tombe de son fils.
La sympathie que l’on témoignait à Reggie Weldrake fut reportée sur son père, et la seule vue du petit homme désespéré agit comme un excitant sur la rage qui brûlait contre Louba.
Ce fut Da Costa qui remua la braise et en fit jaillir la flamme.
Rencontrant Weldrake un soir, errant sans but selon sa manière, il l’arrêta et lui montra du doigt la maison de Louba.
— C’est là que votre fils a reçu son coup mortel, dit-il. C’est là qu’Emil Louba s’enrichit en ruinant les autres et en les acculant au suicide.
La maigre figure de Weldrake se tourna dans la direction des lumières rouges qui illuminaient l’extérieur du bâtiment et il approuva lentement de la tête.
Da Costa avait semé le grain et il ne fut pas surpris de voir Weldrake continuer rapidement et nerveusement sa promenade en se dirigeant tout droit vers l’établissement de Louba. Il était allé dans tous les lieux que son fils avait fréquentés, excepté en cet endroit.
Da Costa savait l’accueil que lui réserverait Louba, et il courut vers la caserne.
— Votre petit homme est allé chez Louba ! Vraisemblablement Louba va le faire monter sur scène et le faire danser !
C’était assez.
Les soldats le dépassèrent, mais il arriva à temps pour voir sortir Weldrake avec une coupure au visage, apparemment aveuglé et agité.
À l’intérieur régnait un vacarme infernal. L’orchestre, jouait sauvagement dans l’intention d’étouffer le désordre. Des gens étaient debout sur les tables, d’autres protestaient à tue-tête, tandis qu’au centre, des serveurs et une girl essayaient de contenir des soldats excités et furieux.
— Nous voulons voir Louba ! était la clameur générale.
— Louba n’y est pour rien, cria la girl. Il ne l’a même pas vu. Il a fait dire qu’il ne voulait pas le voir. Il était occupé.
— Oui, occupé à faire tourner la roulette en haut, et à ruiner le plus de clients qu’il peut !
— Il a donné l’ordre qu’on le jette dehors !
— Non ! C’était le petit homme qui ne comprenait pas et ne voulait pas partir.
— Nous l’avons fait gentiment sortir la première fois.
— Il voulait revenir.
— Où est Louba ?
La discussion atteignait son point critique quand Louba apparut.
— Vraiment, messieurs, vraiment ! Ses manières cauteleuses eurent pour effet de verser de l’huile sur le feu. D’autres soldats se pressaient dans le cabaret. Da Costa, sautillant pour y mieux voir, avait manqué le début de l’affaire, il savait seulement que ses espérances allaient se réaliser. Louba n’entendait pas être intimidé, et ne cachait pas son ironie. Ce fut quand il dit d’une voix traînante qu’on faisait grand bruit pour un jeune idiot dégénéré qui n’avait même pas assez de conscience pour payer ses dettes d’honneur, que le premier coup fut lancé. Louba le rendit instantanément. Ses hommes bondirent dans la mêlée ils furent chaudement accueillis par les soldats.
— Nous démolirons tout dans la boîte !
La menace fut reprise dans l’enthousiasme et scellée par un bruit étourdissant, une bouteille de vin étant venue s’écraser contre une large glace. Toute bouteille à portée de la main fut hâtivement saisie à défaut de meilleur projectile, et chaque miroir du fastueux établissement disparut dans un assourdissant bris de verre.
Les femmes criaient et s’enfuyaient, quelques-uns de leurs cavaliers les imitant.
Venant de la rue, des hommes entrèrent à la hâte, ajoutant à la confusion.
— En haut, les gars, et balancez tout son attirail par la fenêtre !
En haut, les joueurs s’opposèrent à cette invasion de démolisseurs, ne sachant quelle en était la cause, et le tumulte ne fit que croître.
Da Costa, tout réjoui, bondit sur la scène et gagna la petite loge des artistes par derrière. Elle était déserte. Des bougies, utilisées pour chauffer les maquillages, se trouvaient sur un banc très élevé qui servait de coiffeuse. Des robes de tissus légers étaient accrochées aux murs, le miroir était drapé de mousseline. Da Costa eut tôt fait d’y mettre le feu.
Entrant de nouveau dans le hall qui était maintenant désert, à l’exception de la foule qui se pressait et se bousculait à la porte ouvrant sur les escaliers, s’efforçant de rejoindre ceux d’en haut, ou essayant de comprendre ce dont il s’agissait, il lança une poignée d’allumettes enflammées sur le sol. L’alcool répandu en flaques au milieu des bouteilles brisées qui l’avaient contenu, embrasa le tapis qui en était imbibé.
Les flammes coururent le long du groupe et grimpèrent vers les décors inflammables suspendus au plafond, avant qu’un cri aigu n’attirât l’attention sur elles.
Personne n’essaya de les étouffer ce fut un sauve-qui-peut général.
Da Costa fut un des premiers à atteindre la rue et à se porter à l’écart en toute sûreté. De là, il observa le bleu foncé du ciel prendre une lueur sinistre et graduellement s’éclairer en une large tache rose qui changeait de ton, tour à tour sombre et claire, tandis qu’on commençait d’apercevoir les flammes de l’immeuble en feu.
Il n’était pas tard et des gens pressés le dépassèrent, s’enquérant de ce qui brûlait. Les officiers et la Military Police descendaient à la hâte, envoyés pour rétablir l’ordre dès la nouvelle de la bagarre.
Hurley Brown accourut, le visage anxieux. Que Louba ait sa maison pillée et incendiée était une chose, mais que les soldats en subissent les conséquences en était une autre.
Da Costa, en quête de quelqu’un avec qui se réjouir, se dirigea sur Weldrake, dès qu’il aperçut sa menue silhouette.
— C’est chez Louba, annonça-t-il, exultant. C’est la maison de Louba qui brûle !
Le ciel s’éclaira d’une lueur cramoisie qui brilla et s’étendit sous la brise : les immeubles environnants ressortirent distinctement dans toute leur beauté.
Comme la lueur s’assombrissait, cachée par un écran de fumée noire, Hurley Brown revint et s’arrêta à côté de Weldrake. Seul Da Costa parlait.
Les hommes retournaient aux casernes et Louba, sans veston – il l’avait ôté pour s’en envelopper le visage alors qu’il se frayait un passage jusqu’à la rue – se dirigea vers eux à grands pas avec un air menaçant.
— On me paiera tout cela, Captain Hurley Brown ! s’exclama-t-il. Nous verrons bien ce qu’en diront ces autorités militaires dont vous parliez !
— Si tu as quelque bon sens, Louba, tu partiras et n’en parleras plus, suggéra Da Costa. Si tu commences à leur poser des questions, ils t’en poseront à leur tour et beaucoup plus que tu n’aimerais.
— Comment, toi ? Tu y as mis la main, Da Costa ! Je le sais : Eulalia t’a vu là-bas.
— Veut-elle retourner avec moi à Tripoli ?
— Peut-être et moi aussi ! Écoute bien : Je t’ai chassé de Port-Saïd et je te chasserai de Tripoli, tu entends !
— Tu me menaces, Louba ? Tu trouveras à qui parler. Tu m’as causé des torts dans le passé, mais je te le ferai regretter, cria avec truculence Da Costa, triomphant.
— Je ne regrette jamais rien, répliqua insolemment Louba, et il se détourna de lui. Si vous croyez que cela va me faire quitter Malte, Captain Hurley Brown, vous pourrez vous rendre compte de votre erreur.
— Je n’avais pas besoin de ça, Louba. J’ai dit que vous partirez, et vous partirez, dit Brown. Ce qui s’est passé ce soir ne fait qu’ajouter au mal que vous avez commis. Les hommes impliqués dans cette affaire ne sont que quelques-uns de plus augmentant le nombre de ceux qui ont eu à souffrir par vous.
— Et je veillerai à ce qu’ils souffrent, murmura Louba entre ses dents ; je leur ferai regretter d’avoir osé me toucher.
— La seule chose qu’ils aient à regretter, lança Da Costa, c’est que tu n’aies pas été brûlé avec ta maison. Louba tourna vers lui son regard sombre.
— Très bien, très bien, dit-il. Le temps est avec moi.
— Le temps et Némésis, ajouta Hurley Brown.
— Le temps et moi, cria Da Costa.
— Je vous prends, railla Louba, je vous prends tous les deux, et encore autant qu’il te plaira d’en amener.
Weldrake qui était resté silencieux, ne perdant pas un détail de la scène, observa l’air de défi de Louba, puis les deux êtres qui le haïssaient le plus : le capitaine Hurley Brown, farouche, la bouche dure, et Da Costa qu’agitait une passion non contenue.
Weldrake disparut silencieusement.
Une heure après, alors que Hurley Brown le cherchait anxieusement, il était agenouillé dans l’obscurité sur la tombe de son fils.
— C’est bien, Reggie, murmura-t-il comme pour le rassurer. Tu seras vengé ; j’y veillerai. Je n’oublierai jamais ; je ne retournerai pas à la maison tant qu’il n’aura pas payé… Je sais que tout sera dans l’ordre… Tu seras vengé, Reggie.
Le salon ressemblait peu à celui d’un appartement du West-End de Londres.
Des tapisseries orientales et des soieries brodées blasonnées de toutes les teintes, étaient dispersées ça et là, au milieu d’une profusion de coussins exotiques. Près d’un large canapé se trouvait un houka en or dont la fumée bleue se mêlait à celle de la cigarette parfumée que tenait élégamment entre ses doigts une jeune fille, renversée sur des coussins et les pieds sur un tabouret sculpté.
Une odeur pénétrante s’échappait d’un brûle-parfum de forme élancée ; seule était éclairée une lanterne de bronze sculptée de sujets grotesques, suspendue par des chaînes et d’où tombait une pâle lumière verdâtre qui faisait briller les cheveux de jais de l’homme assis près du houka. Ses vêtements d’Européen étaient recouverts d’une robe brodée, et pour la jeune fille dont les rêves d’Orient étaient réalisés par ce décor étrange, la lumière pleine de mystère, l’odeur de la fumée et des parfums, il devenait une silhouette de légende. Son anglais imparfait était, en lui-même un charme de plus.
— Mais vous paraissez connaître déjà beaucoup de choses du Caire, remarqua-t-il.
— Non. Seulement le peu que m’en a dit Jimmy. Il me racontait des choses si intéressantes autrefois.
— Et ce n’est plus intéressant ? demanda Louba.
Elle fit une légère moue : — Bientôt, il parla davantage de crime et de police que du Caire ou de Bagdad. Ne parlons plus de lui. Ici, je veux oublier que je suis en Angleterre, je veux oublier la banalité des lieux et la monotonie des gens et vivre un magnifique rêve.
— Vous êtes très gentille de me dire que je crée pour vous de magnifiques rêves. Ne regrettez-vous pas nos rendez-vous maintenant ? N’êtes-vous pas gênée par les petits inconvénients qu’ils entraînent.
— Peu importe, du moment que je m’évade pour une heure dans un monde merveilleux et nouveau.
— Mais il est grand dommage que vous dussiez vous évader, observa-t-il. Ne serait-ce pas plus beau si vous viviez toujours dans ce monde. Si votre Orient n’était pas évoqué par quelques sculptures et quelques objets orientaux, enfermés entre quatre murs, mais si au contraire vous pénétriez dans son cœur même, baignée dans l’âme de ses mystères séculaires…
— Oh, je vous en prie. Vous me rendez si envieuse et si malheureuse, parce que je ne le verrai jamais alors que je le désire plus que tout au monde.
— Et pourquoi pas, Kate ? Ce ne sont que les chaînes de cette société stupide et que vous n’aimez pas qui vous retiennent. Si seulement…
— Qui est là ? dit-elle tout à coup. Ses lèvres s’entr’ouvrirent comme par crainte et elle éloigna sa cigarette à bout de bras, prête à la jeter rapidement.
La sonnerie électrique lui fit tourner la tête.
— Je n’attends personne, dit-il, Miller ira voir.
Peu après, Miller, son domestique, ouvrait la porte à deux visiteurs qu’il n’osa pas prendre sur lui de renvoyer. Il les pria d’attendre pendant qu’il portait leurs cartes.
— Qui est-ce ? demanda Louba, comme le domestique frappait à la porte. La jeune fille se leva affolée quand elle entendit les noms.
— Papa ! Vite, faites-moi sortir ! Par où puis-je passer ?
Tremblante, elle enfila son manteau à la hâte et mit son chapeau.
— Vous ne pouvez pas passer par l’escalier de service. Il n’y a que la fenêtre. Peut-être ferai-je mieux de ne pas les recevoir, dit Louba.
— Non il faut les recevoir ; ils pourraient soupçonner quelque chose. Comment puis-je sortir par la fenêtre ?
— En descendant l’échelle de secours. Je tiendrai l’échelle mais quand vous arriverez en bas, la sonnerie d’alarme se déclenchera. Vous devrez passer rapidement par derrière avant que quelqu’un ne vous voit. N’ayez pas peur, tout se passera bien.
Il avait tourné la poignée de la fenêtre et faisait des efforts pour la soulever, mais elle résistait à toutes ses tentatives. Il se dirigea vers la porte derrière laquelle attendait Miller.
— Qu’y a-t-il avec cette maudite fenêtre, Miller ? cria-t-il.
— Les vis, Monsieur, les vis qui sont au bas !
Louba fit donner la lumière et retourna à la fenêtre où la jeune fille essayait vainement de desserrer les petites vis en sanglotant.
— Il ne peut pas se douter que c’est vous, dit Louba ; il essaya de nouveau de dévisser la fenêtre mais ne réussit qu’à s’écorcher les doigts et laissa échapper un juron : Je ferais mieux de leur dire de revenir un autre jour.
— Non, non ! La peur s’était emparée de la jeune fille ; il nous a déjà vus échanger quelques mots. Je crains qu’il ne devine… Il faut que je parte, dussions-nous briser la fenêtre !
Enfin les vis cédèrent et la fenêtre fut ouverte avec force : sans mot d’adieu, mue par le seul désir de s’échapper, elle se glissa dehors et descendit l’échelle de secours, sauta les derniers échelons, en proie à une véritable panique, quand la sonnerie d’alarme contre les voleurs se mit à retentir bruyamment, et elle s’enfuit dans le brouillard et l’obscurité.
— Faites entrer ! dit Louba à Miller en ouvrant la porte.
Hâtivement, il ramassa quelques tapisseries et quelques coussins, les lança dans sa chambre dont il ferma la porte avec violence et enroula un mouchoir autour de son doigt écorché avant d’aller au devant de ses visiteurs.
— Pardonnez-moi, je vous prie, de vous avoir fait attendre, chers amis, s’excusa-t-il. Je m’étais endormi et me trouvais loin dans le royaume des rêves ; mais vous m’avez très agréablement réveillé.
Ses visiteurs en doutèrent et malgré ses dires, ils avaient conscience d’être arrivés en intrus, aussi étaient-ils pressés de prendre congé.
Un instant après, ils se levèrent et Louba les accompagna lui-même à la porte, en continuant de parler avec vivacité et en exprimant ses regrets de n’avoir pu les persuader de demeurer plus longtemps.
Quand la porte fut fermée, l’expression d’obséquiosité qui se peignait sur son visage disparut pour faire place à un farouche froncement de sourcils.
— Miller !
— Oui, Monsieur, répondit le domestique, accourant à cet appel péremptoire.
— D’où vient que cette fenêtre soit collée comme si elle ne devait plus être ouverte de l’éternité. Je me suis cassé les ongles et écorché la peau en essayant de l’ouvrir. Pourquoi était-elle vissée ?
— Il y a toujours eu des vis, Monsieur, pendant la nuit. Avec l’échelle de secours, c’est plus sûr.
— Avez-vous besoin de les forcer de telle manière qu’il me faille ébranler toute la maison pour les desserrer ? demanda Louba, toujours visiblement agité et courroucé par le contre-temps.
— Je les ai serrées comme les autres soirs, Monsieur, particulièrement les nuits brumeuses. Vous serez content de ces vis quelque jour, ajouta-t-il avec un sourire ; mais s’il espérait ainsi dissiper la mauvaise humeur de son maître, sa tentative échoua platement.
— Que voulez-vous dire ?
— Rien, Monsieur, reprit le domestique innocemment, si ce n’est qu’elles empêchent les voleurs d’entrer, n’est-il point vrai ?
Louba murmura quelques mots d’impatience et retourna dans le salon en désordre.
Il jeta un coup d’œil à la fenêtre et regarda dehors jusqu’à ce qu’il aperçut la forme estompée de l’échelle de secours. Il serait certainement facile pour n’importe qui de monter par là s’il n’y avait pas le signal d’alarme.
Il tira les rideaux et retourna au milieu de la pièce où il demeura debout un moment en se mordillant un doigt.
C’était un homme que l’on haïssait. Il y avait des gens…
Bah !
Il haussa dédaigneusement les épaules.
Qui oserait toucher à Louba ?
Peu de jours après son escapade de l’appartement de Louba, la même jeune fille causait à voix basse avec un homme en blouse blanche. Il tenait dans ses doigts une éprouvette, et par les carreaux colorés de la fenêtre, le soleil barrait d’un mince rayon pourpre son visage grossier et peu engageant.
Il gardait les yeux fixés sur le tube à essai comme s’il eût craint que l’on ne vînt déranger leur entretien et se donnait l’air absorbé par son travail. La jeune fille était penchée à la porte, et parlait rapidement à mi-voix.
— Je crois qu’il vaut mieux que vous vous en alliez à présent, dit-il sans tourner la tête. Il ne faut pas qu’on nous voit ensemble.
— Non ; mais je crains qu’il ne nous ait déjà vus.
Elle se retourna et sursauta, quand elle rencontra les yeux graves et bons de l’homme qu’elle souhaitait le moins trouver ici :
— Tiens, papa… Je ne t’ai pas entendu venir. Je venais… du laboratoire… pour voir si tu y étais, bégaya-t-elle. Veux-tu prendre un peu de thé avant de te mettre au travail ?
— Oui, Kate. Je te cherchais précisément pour cela. Je craignais que tu ne sois sortie. Il dit quelques mots à son assistant, puis se dirigea avec la jeune fille vers les appartements.
— Je croyais que tu ne faisais pas grand cas de Berry, observa-t-il un moment après, en s’asseyant devant sa tasse de thé.
— C’est-à-dire… c’était ainsi les premiers temps… mais je crois que ce sont ses manières qui me déplaisaient.
— C’est bien possible. Il a beaucoup appris ici ; il travaille bien… quoiqu’il ait été dernièrement très irrégulier dans ses heures de présence, et…
Son front se plissa et il pinça les lèvres avec une expression dubitative.
Il ne dit plus rien à la jeune fille, mais il éprouvait des doutes grandissants quant à l’intégrité de son assistant, Mr Berry. Des appareils de valeur avaient disparu du laboratoire depuis la venue de celui-ci.
La jeune fille se leva de bonne heure le lendemain matin et écrivit une lettre qu’elle plaça dans son sac à main. En sortant, elle rencontra la concierge.
— Tiens, Miss Kate, vous ne sortez jamais de si bonne heure ! dit la femme… avant même le « breakfast » ?
— En effet. Je vais à Covent Garden acheter quelques fleurs et j’ai rendez-vous avec une amie. Peut-être ne rentrerai-je pas pour déjeuner, répondit-elle en se hâtant vers la porte.
— « Well », elle fait sûrement quelque chose de pas normal, soliloqua la concierge quand elle eut perdu de vue la jeune fille.
Ce fut dans la soirée que la lettre que Kate avait écrite avant de sortir, arriva à la maison, l’enveloppe portant le cachet de la poste de Douvres.
Charles Berry ne vint pas travailler ce jour-là, ni les jours suivants.
Des enquêtes faites à son sujet demeurèrent sans résultat. La jeune fille chez qui le dédain qu’il inspirait avait fait place à une grande courtoisie pendant leurs brèves entrevues, promenait son âme romantique dans cet Orient dont elle avait si longtemps rêvé, et c’était Louba qui était à ses côtés, contemplant la ville aux toits en terrasse, avec ses dédales de rues étroites, ses costumes bigarrés, grillant sous le soleil de midi. Au delà de la ville s’étendait une plaine poussiéreuse sur laquelle un faible trait marquait la progression lente d’une caravane.
— Oh, je ne puis y croire. Je ne puis croire que c’est la réalité, même à présent, dit Kate.
— C’est bien la réalité, répondit-il avec une profonde satisfaction. Vous avez laissé les conventions, le formalisme derrière vous, et vous allez maintenant commencer à vivre. Je savais que nous serions un jour ensemble en Orient.
— Comment pouviez-vous le savoir ? Je…
— Parce que je désirais vous emmener ici, et que j’obtiens toujours ce que je désire. Je voulais vous éloigner de ce garçon… et je l’ai fait.
— Jimmy ?
— Oui. Ses traits se durcirent et une expression de cruauté tordit sa bouche.
— Voyons, Emil, vous dites cela comme si vous le haïssiez.
Il rit doucement.
— Non. Ceux qui me barrent la route ne méritent pas que je les haïsse. Il me suffit d’être plus fort qu’eux.
— Mais Jimmy vous a-t-il jamais causé du tort ?
Il haussa les épaules.
— Jimmy, comme vous l’appelez, n’existe pas. Parlons d’autre chose, voulez-vous ?
Ils descendirent vers les souks quand le soleil eut baissé, et elle prit un grand plaisir à voir, écouter et sentir la vie de ces bazars, tous également merveilleux pour son imagination exubérante. Même la vue des mendiants couverts de saleté, dans leur indescriptible accoutrement de haillons, ne l’offensait pas. N’appartenaient-ils vraiment pas, eux aussi, à l’Orient ?
Les marchandages, qui l’auraient choquée à Londres, les fréquentes feintes pour arrêter la discussion, les mains levées au ciel et les protestations quand Louba proposait un prix pour des objets qu’il voulait acquérir, tout la captivait. C’était la méthode orientale d’achat et de vente, et telle qu’elle était, elle la trouvait délicieusement pittoresque.
Toute intrusion d’élément britannique lui déplaisait, aussi regarda-t-elle d’un mauvais œil l’individu, – un Anglais apparemment, – qui lui tirait furtivement la manche, une fois que Louba eût disparu dans l’obscurité d’une échoppe devant laquelle elle examinait un étalage hétéroclite.
— Excusez-moi, mais n’avez-vous besoin de rien ? demanda l’homme, d’un ton à la fois timide et anxieux. Vous semblez être sans amis ici… avec Louba. L’Angleterre est loin, et…
— L’Angleterre est loin, mais je ne crois pas que ce soit une excuse suffisante à votre impertinence, répliqua Kate en rougissant. Je ne vous connais pas.
— Non ; mais moi je connais Louba, et vous n’avez pas l’air de le connaître.
— Je le connais suffisamment pour apprécier son… amitié, sans rechercher les avances d’un étranger, dit-elle, en faisant un mouvement pour s’éloigner.
Elle était irritée surtout de s’être sentie rougir ! Le sens aigu de sa position sociale, selon les idées européennes, lui revint. Cet homme lui avait rappelé son pays et toutes les conventions qu’elle avait culbutées. Elle pensa qu’elle avait été réveillée des joies paradisiaques d’un rêve exotique par les cris d’un laitier de banlieue.
— Oui, je sais que je suis étranger, reprit la douce voix, et je ne vous demande pas de vous confier à moi. Je voudrais seulement vous suggérer de retourner chez vous. Quelle que soit votre maison, et quel que soit l’accueil que l’on vous réserve, quittez Louba, ma petite, retournez avant que vous n’ayez perdu votre cœur et alors que la vie semble encore valoir la peine qu’on lui sacrifie un effort.
Avant qu’elle eut trouvé une réponse, les doux yeux de l’homme passèrent à côté d’elle, et il disparut rapidement derrière une pile de tapis et de nattes, en un endroit où aboutissait une des étroites ruelles conduisant à la rue principale des souks.
C’était Louba qui l’avait effrayé. Il était sorti de la boutique et se tenait à côté du jeune garçon qui remplissait les fonctions de vendeur. Celui-ci suivait des yeux un client qui s’éloignait rapidement à travers la foule, tenant sous le bras un objet qu’il serrait avec précaution.
— Étrange, observa Louba en rejoignant Kate. Un article de mauvais goût et sans valeur, cependant il en a offert un prix exagéré et s’est hâté de conclure l’affaire comme s’il craignait qu’on la lui enlevât. Regardez le gosse !
Le garçon, apparemment le fils du patron, se frottait les mains de satisfaction en regardant disparaître la haute taille de son dernier client. Une minute après, il faisait le récit de sa bonne affaire à son père, un homme sale aux yeux chassieux, écoutant avec une indifférence qui bientôt se mua en colère.
— Comment ? Il t’a offert ça et tu le lui as laissé pour le double ? criait-il, selon la rapide traduction qu’en faisait Louba à Kate. Il t’a offert ça ? au commencement ? et tu ne le lui as vendu que le double, imbécile !
— Mais c’était douze fois plus qu’il ne valait !
— Comment le sais-tu, crétin ? Et s’il t’en avait offert seulement six fois son prix au début ? Idiot, triple idiot ! Il était si impatient de l’avoir que !… Oh, Allah, pourquoi m’as-tu donné un fils si bête ?
Laissant le vieillard à ses lamentations, Louba et Kate reprirent leur promenade.
— Qu’est-ce que c’était ? demanda Kate.
— Un simple coffret de verroterie. Ses yeux se fermèrent à demi. Quand il y avait quelque chose à gagner, il n’aimait pas que ce fût un autre que lui qui gagnât. Hum, j’aimerais bien savoir tout ce que cela signifie.
Kate fut moins gaie pendant le retour qu’elle ne l’avait été au début. Encore qu’elle en eût été fâchée, l’incident avec son compatriote avait diminué la splendeur de sa romantique aventure.
Le soleil disparaissait alors qu’ils gravissaient le coteau au pied duquel s’étalait la ville.
Elle se rapprocha de Louba.
— Comme je hais ces petits êtres insignifiants, dit-elle, et elle sentit qu’il lui répondait par une pression du bras. Elle ne lui précisa pas si elle exprimait son mépris pour un autre ou son admiration pour lui-même.
Elle écouta même avec plus d’avidité que d’habitude ses compliments extravagants et ses pointes d’esprit, se cramponnant passionnément à son rêve ; elle avait compris que le froid contact de la réalité l’avait approchée.