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Future reine d'Arcalya, Olympe doit préparer son mariage avec un prince du royaume voisin. Ecoeurée par son quotidien et ses obligations royales, elle ne rêve que d'une chose : s'échapper du château. Grande sera sa surprise lorsqu'elle se fera enlever aux portes de l'église. Entrainée contre son gré dans le monde extérieur, Olympe n'aura d'autre choix que de se laisser tomber dans la fin du monde, emportant avec elle un pouvoir dévastateur...
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Seitenzahl: 391
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Couverture par Marie Wohleber
VOICI QUELQUES MUSIQUES QUE VOUS POURRIEZ APPRÉCIER EN LISANT CETTE HISTOIRE :
L’arme – Noée
Can’t Catch me Now – Olivia Rodrigo
Skyfall – Adèle
Teacher – Abel Korzeniowski
HoneyMoon – Lana Del Rey
Everybody Dies – Billie Eilish
The Feminine urge – Last Dinner Party
COPYCAT – Billie Eilish
Bohemian Rhapsody – Queen
Partie I - L’Apogée de la Lune
CHAPITRE 1
CHAPITRE 2
CHAPITRE 3
CHAPITRE 4
CHAPITRE 5
CHAPITRE 6
Partie II - Le vide de la fin du monde
CHAPITRE 7
CHAPITRE 8
CHAPITRE 9
CHAPITRE 10
CHAPITRE 11
CHAPITRE 12
Partie III - Les Fylis
CHAPITRE 13
CHAPITRE 14
CHAPITRE 15
CHAPITRE 16
CHAPITRE 17
CHAPITRE 18
CHAPITRE 19
CHAPITRE 20
CHAPITRE 21
CHAPITRE 22
CHAPITRE 23
CHAPITRE 24
CHAPITRE 25
CHAPITRE 26
CHAPITRE 27
CHAPITRE 28
CHAPITRE 29
CHAPITRE 30
CHAPITRE 31
CHAPITRE 32
Partie IV - Le prince et la reine
CHAPITRE 33
CHAPITRE 34
CHAPITRE 35
CHAPITRE 36
CHAPITRE 37
CHAPITRE 38
CHAPITRE 39
CHAPITRE 40
CHAPITRE 41
CHAPITRE 42
CHAPITRE 43
CHAPITRE 44
CHAPITRE 45
CHAPITRE 46
CHAPITRE 47
CHAPITRE 48
REMERCIEMENTS
L’AUTRICE
Olympe porta son verre de cristal à ses lèvres. Il était grand temps que ses maux de tête cessent et une gorgée d'eau ne lui ferait pas de mal. Les mains tremblantes, elle reposa son verre à la position exacte où il se trouvait auparavant : rien n'était laissé au hasard, à la table de la famille royale. La jeune femme était concentrée sur ses phalanges pâles. Une bague surmontée d’une grosse pierre précieuse ornait son annulaire. Cette bague semblait fausse. Trop clinquante. Olympe ne voulait pas lever les yeux vers sa famille qui mangeait sans aucun bruit. Personne ne se regardait en réalité. Ils n’y trouvaient aucune nécessité. A quoi bon ?
Le silence de la salle était assourdissant et la luminosité aveuglante. Tout était trop vif pour l'esprit sombre de la princesse, seule tache foncée qui venait perturber ce décor entièrement blanc. Car malgré sa robe claire et son teint blafard, Olympe possédait une caractéristique encore jamais vue à Arcalya et même dans le monde magique depuis la nuit infinie : elle avait les cheveux noirs. Son père l'avait détestée pour cela, et elle l'avait bien compris. Privée de sortie depuis sa naissance, la future reine ne connaissait rien du monde qu'elle s'apprêtait à gouverner. Coincée entre les murs trop blancs du château, elle vivait dans une captivité étouffante, dans la crainte du démon qui sommeillait en elle.
C'était la théorie : si Olympe avait les cheveux noirs, un démon l'habitait, il n'y avait pas d'autre explication. Il ne s'était, certes, pas encore manifesté mais il était là. Il n'avait, certes, pas été détecté aux centaines de tests que la princesse avait dû endurer mais il était là, dissimulé dans ses entrailles, patientant. Le ventre de la jeune femme émit un bruit sourd, gargouillant sans ménagement. Le repas n’était pas très consistant, il fallait l’avouer. Les quelques baies qui remplissaient son assiette ne suffisaient pas à la rassasier, mais le mariage approchait, et il fallait qu’elle rentre dans cette robe imposante, que son père avait expressément commandée plus étroite. Cependant la princesse avait conscience que l’évocation du démon, même par la pensée, provoquait en elle certaines réactions comme ce bruit impromptu. Olympe ne le craignait plus, cependant. Elle s'était habituée à sa présence invisible et venait même à douter de sa réelle existence. Néanmoins, toutes les personnes de sa connaissance (ce qui se réduisait aux résidants du château), éprouvaient une réelle peur à son égard, la plongeant dans une solitude intemporelle.
Olympe jeta un coup d'œil vers son frère Zéphyr, brisant la règle silencieuse qui interdisait des interactions à la table royale. Le jeune prince avalait une cuillère de baies bleues, spécialité d'Arcalya. Lui avait le droit à une quantité beaucoup plus appropriée. Malgré son jeune âge et son comportement enfantin, le prince cadet comprenait parfaitement son devoir royal. De ce fait, il se tenait droit, mangeait proprement et de façon modérée, contrôlant sa délectation pour les baies bleues. A la vue de son jeune frère, si sérieux et si strict, Olympe sentit son cœur se serrer. Malgré l'horreur que cela représentait pour elle, la future reine était soulagée d'être l'héritière. Son frère ne méritait pas de subir ce qu'elle avait subi toutes ces années. Olympe avait presque vingt-ans, âge de la majorité sur Arcalya. Elle avait vu s’approcher bien trop rapidement le moment du mariage qui avait finalement lieu le lendemain même. En tant qu’héritière à la chevelure sombre, Olympe n’avait d’autres choix que de se résoudre au mariage, qui lui ouvrirait, selon son père, bien plus de portes qu’elle ne l’imaginait. Cela restait un sujet sensible et la princesse essayait d'éviter d'y penser. Elle était d'ailleurs persuadée que ses maux de tête provenaient de la préparation de cet évènement qui la répugnait plus que tout.
La jeune femme sentit ses épaules s’affaisser sous le poids de ses tourments. Elle détestait ces instants où ses pensées parasites prenaient le contrôle de son esprit déjà bien trop meurtri. Dans un mouvement maladroit, la jeune femme laissa tomber sa fourchette dans son assiette, faisant gicler les baies bleues qui s'écrasèrent sur sa robe claire, dans un fracas qui résonna dans la salle à manger. Le boucan se réverbéra sur les murs immaculés, mais tout ce que pouvait entendre Olympe à cet instant fut le bruit de son cœur, qui tambourinait dans sa poitrine. Une simple erreur pouvait beaucoup lui coûter, elle avait assez d’expérience pour le savoir.
Tous les regards se posèrent sur elle.
Tous, mais surtout celui de son père, qui fut si noir que c'en devenait illégal. Littéralement, en fait. A Arcalya, tout ce qui s'apparentait à du sombre ou du foncé, tout ce qui pouvait être considéré comme une essence démoniaque, était banni, même les regards. Cependant le roi était le roi, il avait tous les droits, mais là n'était pas la question.
Olympe frissonna, attrapant sa serviette pour tenter d’éponger les dégâts. Ses mains tremblaient trop. Elle ne devait pas se laisser submerger par ses émotions, elle ne devait pas devenir vulnérable devant son père. Elle ferma ses yeux gris quelques secondes et prit une grande inspiration. Quand elle les rouvrit, son père la fixait toujours. Elle détourna les yeux et croisa le regard de sa mère, si bienveillant, mais si effrayé. Car sa mère savait le traitement que réservait le roi à sa fille lorsqu'elle commettait des impairs. Elle avait déjà vu. Elle n'avait jamais rien fait.
Le roi se racla la gorge et la reine baissa la tête brusquement. Elle n'allait jamais à l'encontre de son mari. Jamais. Cependant elle avait vu la panique dans les yeux de sa fille et elle connaissait l'angoisse intense du mariage, qu'elle-même avait ressenti des années plus tôt. Izilbeth émit un petit couinement, la tête toujours baissée vers son assiette :
- Ton mariage a lieu demain, Olympe. Tu devrais essayer de te détendre...
- Là n'est pas la solution, Izilbeth, coupa le roi sèchement en faisant claquer son couteau sur la porcelaine de son assiette. Elle ne doit pas se détendre, elle doit pallier ses troubles du comportement et son manque d'éducation. Elle constitue déjà à elle seule la plus grosse honte de la famille royale depuis des dizaines de générations, je n'accepterai pas qu'elle nous humilie devant les représentants de la Barossellie.
Le roi enfourna rageusement une cuillère de baies bleues dans sa bouche, qu’il mâcha sans effort de dissimulation. Sa colère était difficilement maitrisable. Mais c'en était trop pour Olympe. Cette remarque, pourtant douce, comparée aux habituelles remontrances du roi, dépassait les bornes. La princesse était dégoûtée par les préparatifs de son mariage forcé, exaspérée par son futur mari qu'elle n'avait encore jamais rencontré, fatiguée par les menaces de son père qui ne cessaient jamais. Elle était à bout émotionnellement et physiquement, ses nerfs ne tenaient plus. Olympe en avait assez !
- Vous avez raison, mère, fit-elle d'une voix douce, je dois me détendre.
Olympe était assez réfléchie pour ne pas s’attirer les foudres du roi plus qu’elle ne l’avait déjà fait. Elle se leva en silence, ignorant le regard désapprobateur de sa mère, mais pardessus tout, ignorant son père. Elle n'avait pas attendu sa permission. Elle ne l'avait même pas demandée d'ailleurs. Ce cruel manque de respect était sûrement motivé par l’épuisement qui lui faisait faire n’importe quoi, cependant il était trop tard pour faire demi-tour.
- Olympe, je pense qu'il est plus sage que tu te rassoies, murmura sa mère qui s’était recroquevillée sur elle-même comme si elle souhaitait disparaitre.
Le roi laissa échapper un grognement. Il se leva à son tour, frappant du poing contre la grande table en bouleau.
- Je vous mets au défi de quitter cette salle, détona-t-il.
- C’est une menace ? s’entendit répondre la jeune femme qui avait perdu toute capacité à réfléchir tant ses oreilles bourdonnaient et son cœur s’affolait.
Le roi la fixa, estomaqué par son audace. Jamais elle ne lui avait tenu tête de la sorte. Il ne prit même pas la peine de répondre. Elle subirait les conséquences de ses actes plus tard, il était inutile de lui courir après.
Olympe se détourna, coupant tout contact visuel avec le roi. Elle remonta l'allée, faisant claquer ses escarpins blancs sur le carrelage blanc de la salle à manger blanche, tentant de ne commettre aucun faux-pas afin de sortir en toute dignité. Elle devait tenir. Tenir jusqu’à la porte. Tenir. Ne pas flancher. Pas encore. Plus que quelques pas…
Olympe poussa la lourde porte de la salle à manger qui se referma instantanément derrière elle. A la seconde où elle se retrouva seule dans ce couloir éblouissant, ses jambes trahirent son affolement. Elle s’effondra sur le tapis, de grosses larmes dévalant ses joues. Mais à quoi jouait-elle ?
Olympe fixait son reflet d’un regard vide tandis que sa femme de chambre démêlait sa longue chevelure noire. Depuis aussi longtemps qu’elle s’en souvenait, Mary avait été au service de la princesse. D’un âge à présent avancé, la femme de chambre avait connu Olympe sous tous ses angles. Affublée d’une redingote blanche et d’un chignon tiré à quatre épingles, Mary travaillait avec une douceur incomparable, comme elle l’avait toujours fait après ce genre d’incidents.
Olympe essuya d'un geste las de la main l'unique larme qui avait mouillé sa joue porcelaine quand son père avait usé de son autorité sur elle quelques minutes auparavant. Les coups étaient partis tout seuls lorsque le roi avait retrouvé sa fille, plus tard dans la soirée, après qu'elle eut quitté la table sans autorisation. Olympe n'en gardait aucune marque, il savait s'y prendre, il avait l'habitude. Et elle aussi, malheureusement. Voilà pourquoi les larmes ne coulaient plus. Elle encaissait les coups, sans broncher, en espérant qu'il n'aille pas trop loin. Le cœur battant, Olympe pencha sa main vers la poche de glace que lui avait apportée Mary et la posa sur sa joue rougie. Certes, le roi ne laissait pas de marque visible, seulement certaines fois, des rougeurs restaient et Olympe devait se débrouiller pour les cacher sous peine de pire. La princesse avait les doigts tremblants, Mary l'avait vu. Elle reposa le peigne sur la coiffeuse et s'empara de la poche de glace qu'elle appliqua sur la joue de la princesse. Mary aussi était habituée à retrouver Olympe cabossée, son silence faisait partie du contrat, cependant cela lui serrait toujours autant le cœur.
- C'est fini, murmura-elle en lui caressant les cheveux dans un geste tendre, presque maternel. Vous êtes en sécurité ici, il ne viendra pas.
- Je vais bien, Mary.
- Vous n'allez pas bien, mademoiselle. Je le vois, depuis l'annonce de vos fiançailles avec le prince de Barossellie, vous êtes dans tous vos états.
- Je vais bien, Mary.
- Vous savez, ils nous ont envoyé du personnel. Les bonnes de là-bas le disent horrible et irrespectueux. J'espère que vous ne vous laisserez pas faire, mademoiselle.
- C'est plus compliqué que cela, Mary. Mais je suis d'accord avec vous, malgré mon isolement, je n'ai moi non plus pas entendu de positif à propos de ce prince. Mais je crains que ce ne soit encore qu’une vengeance du roi. Un énième stratagème pour garder la main mise sur le royaume et m’éloigner de ce rôle essentiel qui m’est destiné.
Mary parut hésiter un instant alors qu’Olympe levait sur elle des yeux qui se voulaient rassurants quant à son état mental.
- Si vous avez besoin de moi pour quoi que ce soit, déclara Mary, même les choses les plus folles, je suis là, mademoiselle. Je ne suis pas fidèle au roi. Je vous suis fidèle. A vous, Olympe.
Olympe ferma les yeux pour empêcher d’autres larmes de couler, profondément touchée par les paroles de sa femme de chambre. Mary avait rendu sa vie compliquée si simple durant toutes ces années. Sa loyauté était sans faille. Elle souffla :
- Je ne souhaite que fuir mon mariage, mais tu ne peux rien faire, malheureusement. Je voudrais m'échapper, arrêter le temps. Sortir de ce château trop blanc, rencontrer le peuple, et même les clans, dont on parle tant. Je voudrais simplement vivre avant de lier mon destin avec un parfait inconnu, mais c'est impossible, et tu le sais. Il n'y a aucune solution à mon problème, et il n'y en a jamais eu. Seule la mort me libérerait de mon fardeau.
- Ne dites pas n'importe quoi, mademoiselle, ou je vais finir par rester dans votre chambre jour et nuit, même quand vous serez mariée, pour vous éviter toute bêtise.
- Cela risque de déplaire à mon futur mari. Cependant, ça ne me dérangerait pas, moi. Si le prince est aussi répugnant que ce que disent les bonnes, je préférerais que tu sois là pour le surveiller et me sortir de toutes les situations inconfortables, si tu vois ce que je veux dire.
Olympe ajouta un clin d'œil et Mary explosa de rire. La princesse sourit à son tour, amusée par le rire franc de sa femme de chambre. Elle adorait le naturel de la blonde qui n'hésitait jamais à lui dire le fond de sa pensée. Mary était sans filtre et de bon conseil. Elle ne faisait pas beaucoup de différences entre elle et Olympe alors que celle-ci était une princesse. De ce fait, Olympe avait constamment l'impression d'être en compagnie d'une amie. C'était le cas, en fait. Mary eut le bénéfice de la détendre, ne serait-ce que pour un moment, et la princesse en eut chaud au cœur.
La famille royale d'Arcalya et la famille royale de Barossellie ont l'honneur de vous convier au mariage du prince Lucius et de la princesse Olympe.
La réception se déroulera à l'apogée de la pleine lune, afin de respecter la tradition.
La présentation officielle de la princesse aura lieu ce jour.
Olympe reposa l'invitation du mariage sur la coiffeuse. C'était aujourd'hui. Ce soir aurait lieu l'apogée de la pleine lune. Ce soir aurait lieu le mariage, à minuit, dans la nuit noire afin de défier les démons. Cette tradition ancestrale datait de la nuit infinie, année où les démons étaient sortis des entrailles de la terre pour envahir le monde. Ils l'avaient plongée dans une nuit sans fin, prenant le contrôle des peuples et plongeant les pays dans la terreur. Voilà pourquoi le sombre était craint. Voilà pourquoi Olympe était crainte. Depuis que les rois de la Barossellie et d'Arcalya, les reines des forêts denses, et la reine de la mer infinie, avaient chassé les démons, tous ceux qui présentaient des aspects démoniaques (par la couleur de leurs cheveux, de leurs yeux ou de leur sang), étaient emprisonnés entre les murs ultra-surveillés du centre pour démon. Olympe savait qu'ils y mourraient tous. Sans son sang royal, elle aurait connu le même sort, c’était certain.
- Vous êtes prête, mademoiselle, fit Mary joyeusement.
Olympe coupa le fil de ses pensées et jeta un coup d'œil vers le miroir appuyé contre son mur. Elle était vêtue d'une robe bleu ciel et ses cheveux avaient été remontés en un chignon serré. L’angoisse durcissait ses traits. Olympe ne pouvait détacher son regard de ce reflet amaigri que lui renvoyait le miroir. Elle n’avait jamais beaucoup mangé, l’angoisse lui tordant le ventre depuis bien trop d’années, mais cette fois-ci, c’était particulier. Elle était un fantôme. Bien trop pâle. Transparente. Bien trop discrète. Invisible. Bien trop.
La princesse avala difficilement sa salive et pencha la tête vers ses pieds nus. Elle enfila machinalement ses escarpins blancs. Son cœur battait si fort qu'elle crut qu'il allait exploser. Ses doigts cagneux se refermèrent sur la jupe qui composait sa robe, torturant le tissu de soie. Elle percevait le monde d’une façon trouble. Un épais brouillard enveloppait son esprit qui lui hurlait de fuir ses obligations. Il lui était impossible de réfléchir convenablement et elle sentait que des larmes se formaient déjà dans ses yeux. Elle voulait tant que le temps s’arrête.
Olympe s’accroupit devant ce miroir qui reflétait trop de souffrance. Elle essuya lentement le haut de ses joues, humides de larmes qu’elle n’avait même pas senties couler. Sa respiration se fit haletante, et elle dut s’asseoir par terre tant son corps tremblait. Elle était telle une feuille de papier ébranlée par le vent : fine, blanche, et faible. Le moindre choc la déchirerait. Elle expira à s’en donner envie de vomir : elle devait se calmer. Il était temps de se rendre dans le salon où elle rencontrerait la famille royale. Le salon dans lequel sa vie changerait. Il était trop tard pour faire demi-tour. En réalité, elle n’avait jamais pu faire demi-tour. Les choix ne faisaient pas partie de sa vie.
Mary sortit de la salle de bain dans laquelle elle était partie ranger le nécessaire de maquillage utilisé. Elle posa un regard dur sur Olympe, ainsi recroquevillée sur le tapis, combattant une crise d’angoisse qui tordait son cœur dans tous les sens. Mary vint s’agenouiller à côté de la jeune femme et attrapa ses mains qu’elle caressa d’un geste rassurant. Elle vint ensuite placer sa paume à l’endroit où se situait le cœur de la princesse qui leva les yeux pour intercepter le regard soucieux de sa femme de chambre. Celle-ci murmura :
- Mademoiselle, cela peut sembler étrange mais, si vous avez besoin de moi pour fuir votre mariage, je peux vous aider. Je peux trouver du monde qui nous aiderait.
Olympe pencha sa tête en arrière dans un sourire triste, essuyant une nouvelle fois ses joues.
- Évidemment que je voudrais fuir, d'autant plus si tu es à mes côtés. Cependant c'est impossible, je dois prendre mes responsabilités et rencontrer mon futur mari. J’ai passé ma vie à me préparer à ce moment. J’ai été élevée dans la perspective du mariage. Je ne peux indubitablement pas reculer maintenant. En plus, tu ne pourrais rien faire.
Mary hocha la tête et retira ses mains de celles de la princesse. Elle se releva et aida Olympe à faire de même. Elle réajusta son maquillage d’un coup de pinceau et la laissa filer non sans un regard appuyé. Le cœur serré, Mary sortit de la chambre à son tour. Oh comme elle détestait cette situation, ce futur mari, ces accords, et tout le reste…
Olympe descendit les escaliers principaux, les jambes tremblantes et les mains moites. Elle ne savait pas si sa future belle-famille était au courant de la couleur de ses cheveux, ni s'ils allaient se montrer tolérants face à cette différence conséquente. Elle redoutait également la rencontre avec le prince qui jouissait déjà d’une mauvaise réputation alors qu'il n'avait encore jamais mis les pieds au château. Elle longea le couloir central, plus éblouissant que tous les autres avec ses lustres en cristal et ses grandes fenêtres qui laissaient entrer la lumière vive du soleil, et pénétra dans le petit salon où se trouvait déjà la reine. Elle était assise derrière un piano en bois peint et s'attelait à apprendre une nouvelle chanson. Izilbeth pianotait constamment lorsqu'elle était nerveuse.
Olympe traversa la pièce au mobilier rouge et vint se placer derrière sa mère qui n’arrêta pas son morceau. Elle attrapa un violon et commença à jouer quelques accords. Olympe avait toujours adoré la musique et excellait au violon. Sa mère se retourna quelques secondes, sans pour autant interrompre sa mélodie, et en un regard, les deux femmes commencèrent le même morceau, accordant les deux instruments. Il s'agissait de la partition d'une chanson que la reine chantait régulièrement alors qu'Olympe n’était encore qu’une petite fille, pour la rassurer après les excès de colère du roi. Les deux femmes se laissèrent emporter par la musique, se remémorant des souvenirs à la fois bons, et douloureux. Un sentiment puissant enveloppa le cœur de la princesse, et le monde disparut autour d’elle. Elle n’était plus dans le salon rouge, elle n’allait plus se marier. La musique attrapa son cerveau et le jeta par la fenêtre afin de laisser plus de place à son cœur, qui tambourinait si fort. L’image de la version d'elle-même enfant se faufila dans sa tête. Cette petite fille si timide, qui ne comprenait jamais vraiment pourquoi son père la détestait tant…
Une porte s'ouvrit brusquement et une femme haute en couleur pénétra dans le salon, du rouge à lèvres tartiné bien au-delà du contour initial de sa bouche. La reine stoppa brusquement le son du piano et se leva, se penchant dans une révérence maladroite. Olympe comprit alors que cette femme n'était pas n'importe qui : il s'agissait de la reine de Barossellie. Elle reposa son violon et afficha le plus beau sourire que l’angoisse de la situation lui permettait. Elle s'avança vers sa future belle-mère et s'arrêta à deux mètres d'elle, penchant sa tête vers le sol dans une révérence parfaite. Quand elle se redressa, elle dit d’une voix qu’elle espérait confiante et accueillante :
- Reine Gretta de Barossellie, c'est un honneur de vous rencontrer.
Le roi de Barossellie, suivi de deux princes et deux princesses, pénétra à son tour dans le salon. Quelques secondes plus tard, le roi d'Arcalya et Zéphyr firent leur entrée. Olympe se pencha plus bas encore. Elle craignait que son père n’entende son cœur battre tant il était rapide en cet instant. Les hommes de tous ses cauchemars étaient réunis dans cette pièce : les deux rois et le prince. Elle s'autorisa à fermer les yeux durant sa révérence, plongeant la pièce dans le noir quelques secondes, dissimulant les visages sévères de toutes les personnes présentes devant elle.
Quand elle se redressa, Olympe affichait toujours le sourire crispé et calculé qu'elle s'était entraînée à exécuter toute sa vie. Elle salua d'une poignée de main la princesse Anett, puis la princesse Misa, avant de finir par le prince Kolsio, accompagné de sa femme, en retrait derrière lui, vêtue de blanc, le visage dissimulé par un long chapeau beige. Le prince aîné lui fit signe de ne pas la saluer. Le cœur d’Olympe se serra et son visage se crispa davantage. Était-ce cela, son destin ?
Olympe s'avança vers le prince cadet : Lucius, son futur mari, tentant d’oublier la femme du prince Kolsio et la vision que cela lui donnait sur son avenir. Elle affichait toujours un sourire parfaitement calculé. Le prince n’était pas très grand mais musclé. De plus, il possédait un air hautain qui insupportait déjà Olympe. Le regard méprisant qu'il posa sur elle la dégoutait, elle avait l’impression d’être salie par sa nature carnassière. La jeune femme se força à se pencher vers le sol pour le saluer. Elle devait suivre le protocole et faire une révérence parfaite, son père l'observait, elle sentait ses yeux pleins de haine dans son dos. Alors qu'elle se relevait, elle sentit des mains lui attraper les joues et avant même qu'elle ne puisse s'y opposer, la bouche grasse du prince Lucius s'écrasa sur la sienne. Le monde se figea autour d’elle, comme si son cerveau refusait de réfléchir. C’en était trop. Trop d’émotions, trop d’incertitudes, trop de pression. Elle tenta instantanément de le repousser, oubliant le protocole un instant, mais les mains du prince étaient fermement agrippées à ses joues, encore douloureuses des coups du roi. Elle avait envie de vomir.
Le baiser dura une éternité. Là, collée contre cet individu répugnant, forcée à ce contact qui l'écœurait, Olympe ne pouvait rien faire. Elle ne savait pas où poser ses mains. Elle ne savait pas comment réagir. Un goût âcre remonta dans la gorge de la princesse qui sentait des larmes se former dans ses yeux. Encore... Olympe sentit que l’une des mains du prince se décalait sur l’arrière de sa tête afin de sceller violemment ce baiser inopiné, empêchant la princesse d’opposer la moindre résistance. Alors que l’autre descendait goulument vers ses reins, elle émit un petit cri de détresse, la bouche toujours accrochée à celle Lucius. Elle savait où descendaient ces mains, et elle n'avait aucune envie qu'elles arrivent à destination. Olympe commença à remuer, les yeux fermés de dégoût, l’estomac retourné. Cette expérience était bien pire que toutes celles qu’elle avait dû endurer jusqu’ici. Elle voulait disparaitre, et même la mort ne l’effrayait pas face à l’agression du prince et le goût qu’il laissait dans sa bouche. Son cœur battait la chamade et tambourinait dans sa gorge. Elle sentait la langue du prince caresser ses lèvres, solidement closes. Soudain le prince s'écarta dans un étouffement, laissant Olympe tomber en arrière, surprise par la brutalité de la situation et par la vitesse à laquelle elle avait été arrachée à cet être ignoble. Elle entendit son père hurler des paroles indistinctes. Sa vue était trouble, elle mit quelques secondes à comprendre qu’elle était au sol. Olympe effleura ses lèvres d’une main tremblante, puis se redressa timidement. Le protocole, rien que le protocole. Elle pleurerait plus tard. Elle comprendrait plus tard.
Ravalant ses larmes et sa fierté, Olympe se releva, ignorant une douleur à la hanche. Son cerveau se mit en mode automatique alors qu’elle avait l’impression de contempler la scène du dessus, comme si elle ne la vivait pas. La tête baissée, elle lissa sa robe de la paume de sa main et prit une grande inspiration. Quand elle leva les yeux, la situation la frappa : c'était Zéphyr qui les avait séparés. Zéphyr avait tiré le prince en arrière, l'arrachant à sa sœur qui suffoquait. Zéphyr ? Zéphyr ! Olympe ne pouvait pas se sortir de la tête l'expression grave de son frère et le regard dur de son père. Zéphyr. Zéphyr qui connaitrait ce soir sa première remontrance, événement qu'Olympe avait tout fait pour éviter depuis la naissance du cadet.
Olympe tourna la tête vers sa mère dont elle sentait le regard. Celle-ci avait des larmes dans les yeux. Son visage était fermé et dur afin de respecter le protocole mais la princesse pouvait lire une telle frayeur dans le regard de sa mère que son cœur se déchira un peu plus. Izilbeth savait comme elle ce que Zéphyr allait subir. La princesse perdit son sourire quelques secondes, incapable de résister face à la vision de sa mère si effrayée. Elle lui lança un regard entendu pour lui faire signe de se reprendre avant de tourner la tête vers les invités. Le protocole, rien que le protocole. Elle s'approcha des princesses Anett et Misa qui lançaient des regards mauvais à Zéphyr, chuchotant des mots qu’Olympe ne voulait sûrement pas entendre.
- Excusez le prince, commença Olympe d'une voix bien trop tremblante qu'elle peinait à maîtriser. Il est encore jeune et ne connaît pas bien toutes les coutumes de la Barossellie. Il a pris le geste de votre frère pour une agression. Je lui expliquerai, il comprendra.
- Votre geste était presque aussi déplacé que le sien très chère, susurra Anett, l'ainée des deux sœurs. Votre manque de réceptivité est inacceptable. Lorsqu'un homme vous touche, d'autant plus lorsque c'est votre mari, vous devez vous laisser faire. Vous êtes une femme aux cheveux noirs, estimez-vous heureuse que l'on vous accepte dans la famille.
Olympe accusa le coup, désemparée face à tant de méchanceté. Toute cette situation était absurde et elle ne faisait même pas partie des dizaines des pires scénarios de cette rencontre que la princesse avait imaginés. Anett jaugea Olympe et chuchota quelques mots à l’oreille de sa sœur qui ne cacha pas son rire. Olympe afficha un sourire mauvais, laissant remonter une rage froide du plus profond de son ventre. Une rage qu’elle ne connaissait pas. Une rage qui était liée à un besoin viscéral de protéger Zéphyr. Une digue de son esprit avait lâché, elle en était certaine. Mais ce n'était pas le démon, pas d'inquiétude. C'était bien elle et elle seule. Elle oublia le protocole un instant. Premièrement, Zéphyr ne serait pas frappé, elle allait s'en assurer. Ensuite, cette idiote de fausse blonde d'Anett allait regretter ses paroles. Jamais Olympe ne deviendrait l'objet du prince. Femme aux cheveux noirs, ou pas.
Alors que les deux familles royales s'agitaient dans ce salon qui devenait bien trop étroit au fil des conversations, Olympe murmura, le regard trop noir pour que ce soit légal:
- N'oubliez pas à qui vous vous adressez, mademoiselle. L'unique future maîtresse ici, c’est moi. Je serai reine et votre frère sera consort, pas l'inverse. Je ne sais pas quelle éducation vous recevez en Barossellie concernant les femmes, mais nous sommes à Arcalya, et je ne serai jamais l'objet de votre frère. J’espère que nous nous sommes comprises.
La princesse troqua son sourire mauvais pour son sourire le plus contrôlé et hypocrite, puis elle salua Anett, dont le visage s'était défait de son air hautain et n'affichait plus qu'une profonde stupeur. Olympe se retourna alors vers son frère pour régler le deuxième souci de la matinée : jamais Zéphyr ne vivrait ce qu'elle avait vécu.
Son père lui barra la route, l'air grave.
- Je ne suis pas certain que je ferais ça à ta place, murmura-t-il en broyant le bras d'Olympe de sa main. Nous aurons une petite conversation familiale tout à l'heure. Pour le moment, nos invités sont fatigués, il serait préférable qu'ils aillent se reposer.
Olympe se crispa plus encore, mais obéit cependant. Face au roi, plus aucune certitude n’existait. Face au roi elle n’était rien d’autre qu’une petite souris noire, apeurée et prise au piège, qui risquait de se faire écraser à chaque instant. Il n’était plus question de colère, ni même de courage, mais simplement de peur. Une terreur viscérale et incontrôlable. Elle déclara, s’adressant à tout le salon :
- Je tiens à m'excuser au nom de toute la famille royale pour la gêne occasionnée. Je vous assure que cela ne se reproduira plus et que le prince Zéphyr assistera à des cours supplémentaires pour pallier son manque de tenue et de culture. Pour l'heure, je vous propose de regagner vos chambres, le voyage jusqu'à Arcalya étant long, vous devez vous sentir fatigués.
Zéphyr s'apprêtait à répliquer mais Olympe l'en dissuada du regard. Il avait déjà assez d'ennuis comme ça. La princesse raccompagna les membres de la famille royale de Barossellie vers la sortie du salon où ils furent pris en charge par les valets. Lorsqu'elle ferma la porte derrière eux, la reine s'effondra dans un fauteuil, incapable de tenir une seconde de plus sur ses jambes. Son masque se fissura quelques secondes et une unique larme dévala sa joue rose. Zéphyr se trouvait en retrait, dans le fond de la pièce, près des instruments, conscient de l’étendue de son erreur. Le roi fulminait, au centre, rouge de colère. Il empoigna sa femme, puis son fils, les forçant à bouger et murmura à l'oreille de sa fille :
- Salon royal, tout de suite.
Olympe frissonna. Elle connaissait trop bien le salon royal...
La porte claqua derrière le roi en colère. Il poussa sa femme et son fils vers l'avant et tous deux s'effondrèrent par terre, surpris par la force de cet homme qu'ils ne reconnaissaient plus. Olympe le reconnaissait parfaitement, elle qui ne l’avait jamais vraiment connu autrement. Elle s'arrêta sur le seuil, lasse tant la situation était récurrente pour elle qui essuyait les colères du roi depuis son plus jeune âge. Elle patienta, attendant le bon moment pour intervenir. Malgré la terreur affolante qui faisait bouillonner tout son corps, la jeune femme était calme, des larmes brouillant sa vue.
Le premier coup fut pour la reine, qui n'eut pas l'occasion de se relever. Olympe baissa la tête, sentant son cœur battre dans sa gorge et ses oreilles bourdonner. Ces coups que la reine essuyait pour la première fois, Olympe les connaissait par cœur. Elle ne fit rien, laissant la reine comprendre la souffrance physique et mentale qu’elle-même avait dû endurer à un âge bien trop innocent. Izilbeth se recroquevilla sur elle-même, attendant la suite, le prochain coup, sanglotant en silence, impuissante face à son imposant mari. Elle préférait largement que le roi la frappe elle.
Zéphyr était en retrait, horrifié par la violence de celui qui constituait sa figure paternelle. Paralysé par la peur, le jeune garçon ne savait absolument pas quoi faire. Il avait les yeux écarquillés, chaque trait de son visage était contracté par une terreur viscérale. Ainsi quand le roi en eut fini avec la reine qui avait la bouche remplie de sang, le cadet ne bougea pas, incapable de se détacher de cette vision d’horreur. Le roi s’approcha de son fils, rouge de colère et leva la main afin de le frapper pour la première fois. La reine hurla, crachant de la salive et du sang sur le tapis. Pas son fils. Par pitié, pas son fils.
Le petit garçon avait tenu dix ans avant son premier coup, ce qui était déjà un exploit en soit. Mais n’oublions pas la promesse que s’était faite Olympe.
- Arrête ! hurla-t-elle d'une voix forte alors que le coup partait.
Trop tard, Zéphyr s’écroula au sol tant le coup était fort.
Olympe émit un gargouillis sourd alors qu’elle plaquait sa main tremblante contre sa bouche, horrifiée de ne pas être parvenue à préserver son frère. Elle avait tutoyé le roi. Volontairement en fait. Elle devait le faire réagir pour détourner son attention. Pour permettre à Zéphyr de partir. Pour l'épargner de ce monstre qu'elle ne connaissait que trop bien. Et cela eut au moins le bénéfice de fonctionner. Percyvell se retourna vers sa fille, les yeux exorbités tant sa rage était forte. Il lui fit signe que son tour arrivait, puis il se reconcentra sur son fils.
- Espèce de petit impertinent. Tu veux briser des contrats ? Briser des accords bilatéraux ? Tu veux attirer la honte sur notre famille ? Cela fait pourtant partie du rôle de ta sœur, normalement.
Le roi passa sa main sur sa bouche en serrant son poing. Sa rage était telle qu’il avait l’impression de s’embraser. Il reprit de plus belle, hurlant dans ce salon royal :
- J’avais de grands projets pour toi, Zéphyr ! De très grands projets. Mais l’influence de ta sœur le démon n’a fait que t’éloigner du droit chemin. Je savais que j’aurais dû me débarrasser moi-même de ce problème il y a bien longtemps.
Olympe se sentit défaillir. Elle savait à quoi le roi faisait référence. Elle s'approcha d'un pas lent et vint se placer entre son père, et son frère, recroquevillé sur le plancher. Le regard vide, Olympe attendit que les prochains coups partent. Elle donna l’occasion à son père de se débarrasser du problème, tout en donnant une chance à Zéphyr de s’enfuir.
- Tuer ne m'effraie pas, Olympe, articula le roi. Pas quand c'est toi.
Elle se contenta de fermer les yeux, acceptant cette phrase si douloureusement remplie de sens. Dans une accélération violente, la main du roi vint s'écraser contre la joue pâle de sa fille. Elle ne broncha pas. Pourtant jamais une telle force ne l’avait atteinte.
Puis une autre.
Puis une autre.
Dans un cri de rage, le roi la frappa, encore et encore jusqu'à ce que la princesse tombe à genoux, palpant son nez sanglant. Sanglant de sang aussi noir que ses cheveux. Un sang couleur charbon, qui révélait au grand jour sa qualité de démon. Un sang bien plus éloquent que la simple couleur de ses cheveux. Apercevant cette teinte bien trop sombre, le roi se déchaîna sur sa fille qui roula sur le côté. Zéphyr ne bougeait toujours pas, paralysé, entre sa mère et sa sœur, toutes les deux à terre à cause de celui qu'il considérait comme son mentor. Maintenait que ni Izilbeth, ni Olympe n'étaient là pour le protéger, il savait que c'était son tour, que le coup qu’il avait reçu quelques minutes auparavant n'était rien comparé à ce qu’il s’apprêtait à endurer. Alors il se leva fébrilement et recula, enjambant sa mère qui suppliait le roi de ne pas toucher à son petit garçon.
L'ombre d'Olympe resurgit néanmoins derrière son père qui avançait en même temps que Zéphyr. Son frère ne serait plus jamais frappé. Jamais. Et cette fois-ci elle tiendrait sa promesse.
Une rage froide animait Olympe et la poussait à continuer la bataille. Malgré son nez cassé, ses yeux bouffis, sa bouche remplie de sang et son estomac au bord des lèvres, elle avança vers le roi, tirant sur les épingles qui maintenaient son chignon pour laisser sa chevelure noire se répandre sur ses épaules et dans son dos. La version d’elle-même timide et apeurée avait laissé sa place à une tout autre Olympe. Une Olympe beaucoup plus déterminée et surtout, beaucoup plus courageuse. Une Olympe prête à s’imposer. Mais sûrement une Olympe trop amochée pour réfléchir correctement.
Elle essuya d’un mouvement lent le sang qui s’écoulait de son nez et cracha au sol pour évacuer celui qui remplissait sa bouche. La princesse attrapa le bras du roi, le forçant à se retourner et alors qu'il levait une nouvelle main vers elle, elle se pencha vers son oreille, laissant ses cheveux se répandre autour d’elle et frôler la joue de son père qui frissonna :
- Je vous ai dit que le démon qui sommeillait en moi n'était jamais sorti, n'est-ce pas ? murmura-t-elle en lui plantant les doigts dans l'épaule de la même façon qu'il lui avait broyé le bras quelques heures plus tôt. Je vous ai dit que je ne ressentais rien. J'ai menti.
Ce murmure eut l’effet d’un coup de tonnerre. Olympe avait conscience que le seul moyen d’arrêter le roi était de l’effrayer et quoi de plus effrayant qu’un démon ? Elle devait le faire partir. Elle devait sauver son frère. La jeune femme agissait machinalement. Elle laissait l’adrénaline la guider tandis que son cœur menaçait de s’arrêter tant elle était terrifiée. Les lèvres tremblantes, elle reprit d’une voix dure et froide :
- J'ai menti, père. Il est là. Devant vous. Et tuer ne l'effraie pas non plus. Pas quand c'est vous. Il est là. Il vous attend. Partez maintenant, ou découvrez ce que cela fait, d’être confronté à un vrai démon.
Elle lâcha l'épaule du roi et observa sa mine horrifiée. Percyvell avait pâli. Il n’avait plus rien du monstre tyran qui venait de brutaliser sa famille.
Le roi ne reconnaissait plus sa fille. Mais elle ne se reconnaissait plus non plus. Parfois, l'urgence de certaines situations vous pousse à faire des choses que vous pourriez regretter plus tard. Des choses dont vous ne vous soupçonniez pas capable. C'était le cas ici, mais Olympe ne regrettait rien. Elle soutint le regard du roi Percyvell, ignorant son cœur qui battait la chamade et son corps qui lui hurlait d’arrêter de lutter tant il avait mal. Pour la première fois, elle n'avait plus peur. Pour Zéphyr, elle n'avait pas peur.
Le roi quitta le salon royal, se dirigeant vers ses appartements. Olympe en resta dans un premier temps sidérée. Elle ne cilla pas, immobile, là où le roi l’avait laissée. Plus rien n’existait. Même pas Zéphyr. La porte claqua au loin, et la jeune femme s’effondra plus brutalement qu’il ne l’était permis. Elle s’écrasa au sol, ayant l’impression d’être dépossédée de chaque muscle de son corps. La douleur des coups, jusqu’ici ignorée, déferla en elle tel un tsunami qui emportait tout. Absolument tout.
Le jeune prince s’agenouilla craintivement auprès de sa sœur, incertain du comportement qu’il valait mieux adopter. Zéphyr avait si peur que sa sœur soit en colère contre lui. Il savait que tout était de sa faute. Que sans son intervention, rien de tout cela ne serait arrivé. Une larme dévala sa joue pâle. Une larme brulante, qui fut suivie par de nombreuses autres. Des larmes au goût de culpabilité, de colère, mais aussi d’un déchirement profond. Il posa délicatement sa main sur l’épaule de sa sœur qui s’était recroquevillée. La jeune femme était secouée de violents tremblements. Le contact avec la paume de l’enfant l’apaisa. Le remarquant, Zéphyr l’enlaça doucement, prenant soin de ne pas la faire d’avantage souffrir. Il s’allongea à ses côtés et vint placer sa tête contre la sienne.
- Je suis désolé Olympe, murmura-t-il. Vraiment, vraiment désolé.
La reine se leva. Elle boita jusqu’à ses enfants et prit place de l’autre côté d’Olympe. Les trois pleurèrent, tentant d’ignorer la douleur lancinante que le roi avait infligée à leur corps, mais surtout à leur esprit. Au bout de quelques minutes, Izilbeth se leva sans un mot, lançant un regard rempli de détresse et d'excuses à sa fille. Elle rejoignit le roi dans ses appartements, la tête baissée, prête à endurer sa colère une seconde fois. Elle ne s'opposait jamais à lui. Jamais.
Olympe retrouva un peu de consistance et serra Zéphyr encore plus fort. Sa mère n’avait jamais su en être une. Il était en son devoir de grande sœur de protéger cet enfant du mieux qu’elle le pouvait. Elle tenta de camoufler sa souffrance afin de lui montrer qu’elle allait mieux. Lui montrer qu’elle était forte et courageuse.
- C'est fini, Zéphyr. Il ne viendra plus. Je serai toujours là pour te protéger.
Le prince responsable et sérieux du début de la journée redevint ce qu'il était en réalité : un petit garçon de dix ans, apeuré et traumatisé par la vraie figure de son père, ce roi tyrannique et violent.
Olympe ouvrit ses yeux englués par une mixture inconnue. Elle releva la tête, désorientée, et essuya le liquide verdâtre et visqueux. Quand sa vision se stabilisa, elle aperçut Mary, assise sur une chaise, à son chevet, les yeux clos et la bouche entrouverte. Un léger son de ronflement s’en échappait. La princesse se racla la gorge, les évènements récents lui revenant à l’esprit. Mary se réveilla en sursaut.
- Je ne dormais pas ! s'exclama-t-elle. Vous en revanche, mademoiselle, vous avez dormi une bonne partie de l’après-midi.
Olympe palpa la mixture, se salissant encore plus les mains. Elle interrogea Mary du regard.
- Oh oui, je ne vous ai pas expliqué. J'ai dû utiliser la solution d'urgence. Vous vous mariez aujourd'hui, mademoiselle, je ne pouvais pas laisser de vilaines blessures altérer un visage aussi beau.
Vous vous mariez aujourd’hui. Olympe sentit son estomac se contracter et son cœur se tordre. Dans un sourire rassurant, Mary s'éloigna dans la salle de bain et en ressortit quelques minutes plus tard avec un linge humide. Elle nettoya le visage d'Olympe et son sourire s'élargit : les blessures étaient parties. Il ne restait plus aucune trace des événements de la matinée. Olympe se leva faiblement pour observer son visage encore plus pâle que d’habitude dans le miroir. Sa joue était légèrement rougie à certains endroits mais le reste avait entièrement disparu. Il n’y avait plus de bleus, ni d’entailles. Son nez paraissait en bonne santé, et toute douleur était partie. Elle poussa un soupir. Cela ne la soulageait pas du tout. Malgré tout ce qu'elle avait pu vivre, jamais son père n'était allé aussi loin... Du moins pas en présence de sa mère et de son frère. S’il remarquait avec quelle facilité sa bonne était capable de faire disparaitre les blessures, il ne se retiendrait plus…
- Oulala, mais c'est que vous êtes en retard, mademoiselle, s'exclama Mary qui tentait de détendre l'atmosphère. Vous avez rendez-vous dans le salon d'hiver afin de saluer vos invités. Tous sont très impatients de découvrir la princesse.
- C'est qu'ils ne sont pas prêts à me voir, soupira-t-elle.
Puis elle se dirigea d'un pas las vers la salle de bain. Le peuple ne l’avait encore jamais vue. Ses cheveux noirs l’avaient forcée à vivre recluse dans ce château trop blanc. Elle doutait même que les classes pauvres du royaume aient connaissance de son existence. Olympe soupira face au miroir de la salle de bain. Elle qui avait souhaité s’enfuir toute sa vie pour découvrir le monde, se surprit à redouter cette rencontre. Les gens qu’elle s’apprêtait à recevoir n'avaient rien à voir avec le peuple. Il s’agissait de la haute société. Des bourgeois. Des nobles. De toutes les personnes qui avaient une vision similaire à celle de son père.
Olympe brossa ses dents et lava les dernières traces du combat de la matinée à l'eau froide. Elle devait arrêter de penser à son père et se concentrer sur l’après-midi interminable qui l’attendait. La surcharge de préparatifs qu'elle avait dû affronter la semaine précédente n'était rien comparée à ce jour.
L'appréhension tordait l'estomac de la princesse et vidait son corps de son énergie habituelle. Ce pourquoi elle avait été préparée toute sa vie arrivait cette semaine : la présentation, le mariage, puis le couronnement dans cinq jours. Elle n’avait pas droit à l’erreur mais ne pouvait se défaire d’un sentiment lancinant qui lui hurlait qu’elle allait tout gâcher. Outre son éducation centrée sur le mariage, on avait toujours répété à cette princesse qu’elle était inutile, maladroite. Qu’elle était de trop. Elle ne pouvait maintenant plus se défaire de ces adjectifs censés la qualifier, et ce malgré tous ses efforts pour atteindre la perfection.
Olympe sélectionna une robe blanche dans la garde-robe réservée aux évènements de la semaine. Elle se glissa derrière les paravents et se déshabilla, se retrouvant nez à nez avec un grand miroir qui révéla toutes les petites cicatrices qui ornaient son corps. Il y en avait partout. Sur ses genoux, ses cuisses, son ventre. La plus grosse se situait sur son épaule, engendrée par un couteau qui aurait dû atteindre son cœur.
Mais rassurez-vous, elles ne venaient pas toutes du roi.
Olympe ferma les yeux comme à chaque fois, chassant les souvenirs malheureux, et enfila sa robe à l'aveugle, écœurée par la vue de son propre corps. Le visage fermé, la jeune femme