Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Oriane s’ennuie sur Terre. Elle décide de rejoindre Orpheline, une planète isolée, pour refaire sa vie. Contre toute attente, la jeune femme découvre un univers surprenant, un monde caché, des peuples dynamiques et entreprenants avec lesquels elle partage le sublime espoir que l’humanité n’est pas perdue…
À PROPOS DE L'AUTRICE
Férue de littérature,
Nadège Négrin écrit par passion. Concernée par le sort de notre planète et de tout être vivant, elle se plaît à penser que subsiste l’espoir de retrouver la paix et l’équilibre.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 330
Veröffentlichungsjahr: 2023
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Nadège Négrin
Au détour d’une planète
Roman
© Lys Bleu Éditions – Nadège Négrin
ISBN : 979-10-377-9103-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mes parents,
Christiane et Alain,
pour toujours dans mon cœur
Note de l’auteure
Chères lectrices, chers lecteurs,
Après huit ans d’absence, j’avoue avoir hésité avant de me lancer dans ce qui serait mon quatrième livre. Mes filles m’ont encouragée, je me suis dit Pourquoi pas ? Je ne les remercierai jamais assez de m’avoir incitée à franchir le pas.
Je ne vous cache pas que, après neuf mois de travail, mon épopée terminée, je l’ai mise de côté, rongée par l’angoisse et le doute. Et puis, je me suis dit que l’important, c’est vous. J’ai donc grand plaisir à partager ce moment en votre compagnie.
Ce récit appartient au registre de la fiction, mais de la fiction douce. Je dirais qu’il s’agit plutôt d’un roman d’aventures – ou d’une fable futuriste – qui commence tranquillement, puis s’accélère au fur et à mesure des pages tournées. J’espère que vous serez emballés. Et si tel n’est pas le cas, merci quand même d’avoir essayé.
La toute dernière chose que j’ajouterais est que je n’ai sciemment pas choisi d’époque. Cela m’était impossible de préciser une quelconque date puisque les progrès de la science et de la technologie imposent leur propre rythme. Je ne pense pas que ce soit important pour mon récit pour autant que vous l’imaginiez dans le futur.
Je vous remercie, chères lectrices, chers lecteurs, de faire avec moi ce voyage qui, je le souhaite, vous sera agréable.
Prologue
La Terre n’est plus que grosse usine. Le soleil perce rarement, son ciel est réduit à un voile grisâtre. Puisqu’elle appartient à un ensemble de systèmes comptant neuf autres globes faciles d’accès, l’humain a choisi de la transformer presque exclusivement en lieu de travail. En parallèle, un Comité des planètes a été créé pour organiser la colonisation des autres orbes et les destiner aux loisirs. Ils ont été aménagés pour les vacances, offrant ainsi à la noblesse des voyages extraordinaires et des distractions à volonté. Les petites gens ne peuvent disposer de ce luxe, ils restent sur Terre. Ils ne connaissent que les villes à l’ancienne infrastructure sévère et désolante, et s’accrochent à leur mode de vie modeste. C’est vrai, rien ne leur manque, sauf la détente et le rêve bien sûr.
Réservés aux épais portefeuilles, les astres préposés au temps libre, aux passions ou bien encore au calme, rencontrent un franc succès. Les Terriens ont si bien enrobé les choses que personne ne s’est rendu compte que le système social qu’ils ont créé était fondé sur l’esclavage. Les populations colonisées se sont retrouvées asservies et misérables ; elles souffrent de maltraitance au nez et à la barbe des touristes rendus aveugles par un savant stratagème établi par les colonisateurs.
Comme moyens de transport pour regagner l’un ou l’autre des neuf globes, les humains utilisent de gigantesques animaux. Ces étranges bêtes harnachées de cabines pressurisées contenant un nombre variable de passagers suivant leur taille et leur destination font de véritables prouesses. Guépard, Rat, Renard, Loutre, Serpent, Ours blanc, Paon, éléphant, Dauphin ou Baleine, à chacun sa planète, et tous ont leurs propres prédispositions.
Ces animaux insolites sont restés étrangers à la Terre durant la nuit des temps. Puis, un jour, des scientifiques ont perçu une myriade de lueurs scintillantes si vivaces que leur dispositif, malgré les appareils de détection ultraperformants, eut grand-peine à capturer. Au début, ils croyaient à des interférences ou à des hallucinations, admettant que, après avoir passé d’interminables heures aux crochets d’immenses écrans affichant les images envoyées par leur gigantesque télescope, leur rétine devait leur jouer des tours en imprimant des flashs, qui ne correspondaient à rien de précis, pour les régurgiter les jours de grande fatigue. De longues séances passées avec des ophtalmologues et des opticiens fondèrent le fait que l’œil n’était pas responsable de ces flashs. Il fallait donc se pencher sur une autre source. Ils firent équipe avec des experts d’étoiles. Là non plus, rien n’aboutit. Qu’à cela ne tienne, avec des astronomes alors ? Non plus… Cela devenait franchement désespérant.
Ce fut le hasard qui leur apporta la réponse. Un scientifique insomniaque plus précisément. Un soir, il s’installa derrière sa lunette sans intention précise, ou peut-être juste pour s’octroyer une récréation, un moment de pur bonheur, à contempler le mouvement des étoiles. Plongé dans ses rêveries, alors qu’indolent il admirait la voûte céleste, d’innombrables éclairs rouges et violets crépitèrent, illuminant le ciel sombre d’un feu d’artifice épatant. L’homme de sciences mitrailla le ciel de clichés, son pouce assurant une pression constante sur le bouton du tableau de bord du télescope titanesque, manquant d’ailleurs de faire dérailler le système. Au petit matin, surexcité, il n’attendit pas que ses collègues eussent enlevé leur manteau, et ne leur laissa pas même l’opportunité de se servir un café. Il les attira dans la salle d’expérimentation où les photographies prises durant la nuit étaient affichées sur de nombreux écrans géants. Après maints grossissements savants, observations et études des formes, ils conclurent à des déplacements d’animaux célestes. Des migrations, certainement. Au fil des mois, les scientifiques mirent au jour des peuplades de créatures au gigantisme variable. Ils ne cernèrent que tardivement leur mode incongru de croisière, et en firent bon usage. Ils comprirent que les monstres placides se déplaçaient en s’aidant de phénomènes lumineux transitoires appelés « flashs de rayon gamma » et « elfes ». Il s’agissait de lueurs rouges fugaces, émettant également dans l’ultraviolet, en forme de disque horizontal, situées bien plus haut que l’atmosphère. Les bêtes profitaient que l’éclair ionise l’environnement et déclenche une impulsion électromagnétique qui, en accélérant les électrons présents, se transformait en onde. En se propageant, cette onde, par excitation des électrons libres, créait un elfe sur lequel ils pouvaient aisément surfer. Plus simplement, les animaux disparaissaient à un point donné pour réapparaître des kilomètres plus loin en un temps record sans que leur enveloppe charnelle ne s’altère. Certains avaient des buts bien précis, d’autres donnaient l’impression de suivre un itinéraire aléatoire.
Quelques années plus tard, les hommes réalisèrent qu’ils pouvaient les utiliser pour se déplacer plus facilement, plus rapidement et de façon plus ludique, qu’en simple navette austère et déprimante. Après avoir étudié avec soin les différentes attitudes propres à chacun, ils apprivoisèrent les plus gros, et fabriquèrent des cabines pressurisées qu’ils installèrent sur leur dos ou sous leur ventre (suivant la morphologie et la taille de la créature) dans le but de transporter légion d’humains. Ils élaborèrent et construisirent également des stations orbitales adaptées à chacun des animaux, respectant leur gabarit variable au sein d’une même espèce et leurs habitudes, avec lads et points de ravitaillement, soins vétérinaires et espaces de repos.
La nouvelle ère de transport était née et, avec elle, un fol engouement non dissimulé. Commença alors la colonisation des neuf planètes existantes. La plupart d’entre elles, celles dites de « vacances », furent aménagées en fonction des délires de la population florissante séduite par ce nouveau concept.
Ces orbes consacrés au plaisir déclinent de luxuriantes récréations. De la planète Emplettes desservie par un éléphant capable de supporter le poids du nombre incommensurable d’achats après un séjour purement shopping, à Paradis sur laquelle un Paon vous emmène profiter des plages de sable chaud et des sports nautiques, ou bien encore à Binaire, celle du Renard rusé et alerte, réservée à tous ceux épris d’informatique, sans oublier Jungle et son Gorille, ou Iceberg et son Ours blanc, les Terriens n’ont que l’embarras du choix. Il existe même deux planètes dédiées aux divertissements purs. L’une est spécialement aménagée pour les enfants : Ludique, dont l’animal totem est le Dauphin. Elle dispose de toutes les sécurités nécessaires à un excellent séjour, et les gamins s’amusent follement ! Quant à Fiesta, elle regorge d’activités égayantes avec ses rues jalonnées de bars, de bowlings, de théâtres, de cinémas… Et la parade commence dès le début du voyage, à dos de Loutre.
La seule accessible à tous reste la planète Hôpital - elle n’est pas asservie. Elle a d’ailleurs été sélectionnée en fonction de sa courte distance, car elle est la plus proche de la Terre où les centres médicaux sont devenus quasi inexistants. Les Serpents assurent les trajets médicaux gratuits. Ils se faufilent partout et restent l’animal le plus adéquat pour les déplacements thérapeutiques urgents au vu de sa haute autonomie énergétique. Ils peuvent louvoyer entre les différents ports sans être obligés de s’arrêter à chaque poste de ravitaillement. Certains d’entre eux sont adaptés expressément pour les travailleurs afin qu’ils puissent faire les allers-retours Terre/Hôpital en un temps minimal à toute heure du jour ou de la nuit.
Pour faire le tour des astres et en vérifier la fiscalité, les hommes d’affaires choisissent les Guépards, bien plus rapides que les Serpents, car le temps, c’est de l’argent.
A contrario, les Baleines sont propices aux croisières langoureuses. Elles ont pour fonction principale de promener les vacanciers de planète en planète. Ils embarquent à bord des cétacés pour une durée aléatoire et profitent d’un luxe à couper le souffle en plus de tous les divertissements qu’une croisière peut offrir.
Reste le plus petit de tous les orbes, la planète Orpheline, celle laissée pour compte par le Comité des planètes, celle au climat peu favorable, celle à l’immense steppe, aux herbes jaunes hautes et sèches, celle sur laquelle sont envoyés à dos de Rats ceux qui incommodent les gens fortunés, ceux qui dérangent, qui ne servent à rien et coûtent à la société : les personnes en situation de handicap, les retraités sans famille, les orphelins, les malades chroniques… Du personnel volontaire uniquement est enrôlé pour apporter les soins nécessaires et s’occuper au mieux des nécessiteux.
1
Il faisait déjà nuit lorsqu’elle referma la porte de la bibliothèque derrière elle. Oriane remonta son col, puis enfouit son visage dans sa veste molletonnée. Elle n’aimait pas l’hiver. Ce serait la fin imminente de cet interminable mois de mars, pourtant elle devrait, encore un peu, faire preuve de patience : à la radio cet après-midi, le bulletin météo avait annoncé une nouvelle chute des températures. La jeune femme, déçue, se dirigea vers sa voiture hydraulique ; elle soupira, une bouffée de buée s’échappa de ses lèvres rose pâle. Elle grimpa dans son véhicule, les sièges en Skaï étaient glacials. Elle mit le contact, enclencha sa station de radio préférée qui ne diffusait que de vieux titres, augmenta le volume lorsqu’elle entendit Prendre l’air de Calojero, alluma ses phares, et démarra. La nuit profonde avait englouti tout astre, les nuages compacts avaient absorbé toute vie céleste, les vapeurs d’usine, tout rêve. Dommage, quand elle était petite, elle aimait bien contempler la voûte. Encore un plaisir dont il avait fallu se passer ces dernières années. Qu’à cela ne tienne, les étoiles, elle les dénicherait dans sa tête en lisant un bon livre ou juste avant de s’endormir, au moment où les songes vous frôlent et vous attirent aussi loin que votre imagination vous emmène.
Oriane a toujours été une enfant rêveuse, néanmoins responsable et avisée. Du haut de ses trente ans tout juste fêtés, calée dans le siège de sa voiture, elle fait le point sur sa vie. Scolarité normale, diplôme de bibliothécaire, célibataire… Car si des hommes ont caressé ses longs cheveux blonds, aucun n’a su percer le secret de ses immenses yeux bleus, et si certains ont pu apprivoiser son corps svelte, nul n’avait réussi à capturer son cœur. Oriane avait peu d’amis, mais beaucoup de connaissances. Elle aurait voulu s’entourer de gens proches de la nature, et regrettait vivre dans un appartement : cultiver un petit potager lui aurait bien plu.
Ce soir était un soir différent. Ce soir était LE soir de la grande décision. Celle mûrement réfléchie. Celle tournée encore et encore dans sa tête, celle qui engendrait la même question, qui soulevait les mêmes craintes, les mêmes envies. La petite voix qui, subrepticement, avait grandi et avait fini par lui hurler dans les oreilles de s’en aller, de tout abandonner. Oriane avait choisi d’intégrer une mission humanitaire sur la planète Orpheline. Elle avait trouvé une place d’aide dans un orphelinat, et ignorait si ce style de vie lui plairait ; cela lui était égal, elle aviserait en conséquence. Elle voulait se rendre utile, être libre de le faire. Les lois d’ici étaient agaçantes, astreignantes et décourageantes.
La lumière des lampadaires rythmait son allure régulière, rendant son trajet monotone. Oriane n’en faisait cas, elle était perdue dans ses pensées. La jeune femme se gara (Quelle chance : ce soir nul besoin de tourner en rond pour dégoter une place de parking, songea-t-elle), coupa son moteur, et par la même occasion la parole au groupe Black Keys. Elle saisit son sac à main et sortit de son véhicule. De ses doigts engourdis, elle pressa la touche du tableau de reconnaissance digitale de son immeuble et, au Bip ! se faufila à l’intérieur. Elle gravit l’escalier des quatre étages qui la séparaient de son appartement, ouvrit sa porte, alluma et posa ses affaires sur le petit banc de l’entrée. L’air ambiant était frais : elle frissonna.
Sur la table du salon gisait de la publicité pour les planètes « vacances » qu’elle avait reçue plusieurs semaines auparavant. Elle prit le temps de la relire. Toutes ces couleurs l’écœuraient : elles criaient l’injustice et soulignaient des plaisirs inatteignables pour ceux aux revenus modestes. Le fossé économique s’était creusé petit à petit. Comment la Terre en était-elle arrivée là ? Elle songea à la fable de la grenouille d’Al Gore dans son film Une vérité qui dérange. Il avait essayé de prévenir la population, tiré la sonnette d’alarme, mais, comme il l’avait prévu, les gens s’étaient laissé endormir par le système, jusqu’au jour où ils n’eurent plus aucun moyen d’action. Ils n’avaient plus qu’à subir. La descente aux enfers avait commencé. Quand finirait-elle ? Tout dérapait. Les pauvres devenaient encore plus pauvres, les riches encore plus riches. Oriane lança dédaigneusement la page brillante de papier ciré sur la commode qui, en atterrissant, souffla un bout de prospectus blanc, quelconque, imprimé en noir. L’appel aux volontaires, un appel au secours. La planète Orpheline avait besoin de personnel médical, de gens dévoués à toute tâche, agricole ou ménagère, de femmes ou d’hommes qui sauraient partager leur temps avec des personnes en situation de handicap. Car il fallait se faire une raison, Orpheline portait bien son nom : étaient envoyés sur son sol toutes celles et tous ceux dont la société n’avait que faire, « Les gens qui ne servent à rien et qui coûtent au gouvernement », dit-elle à voix haute, reprenant les termes utilisés par les dirigeants du Comité des planètes lors de leur dernier discours. Oriane savait que, à elle seule, elle ne pourrait rien changer, mais rester inactive la dévastait.
2
Quelques semaines s’étaient écoulées, et Oriane était prête. Elle avait réglé toute la partie administrative, avait fait le nécessaire pour son appartement, vendu ses meubles, résigné ses fonctions à la bibliothèque…
Il était encore très tôt lorsqu’elle enfila son manteau. L’une des dernières fois que je le porte, songea-t-elle soulagée d’avance. Elle saisit sa valise et descendit attendre la navette hydraulique qui l’emmènerait à l’aéroport. Sa voiture aussi, elle l’avait vendue. Elle mit ses écouteurs dans les oreilles – sa musique, elle ne s’en séparerait pour rien au monde – s’installa sur le banc de l’arrêt et attendit, savourant San Francisco de Maxime Le Forestier.
La navette arriva enfin. Ses portes s’ouvrirent avec un bruit de gros soufflet alors que les House Martins entamaient Freedom. Oriane sourit. La liberté…
Elle s’installa au hasard - étant l’unique passagère. Le soleil n’était pas encore levé, les gens non plus. Un homme au complet gris tenant un portfolio monta à l’arrêt suivant. Ce fut le seul. Ils descendirent tous deux à l’aéroport, l’homme d’affaires semblait très pressé, sa frénésie troublait l’air calme de l’aurore. Oriane regarda sa montre, elle était un peu en avance, elle aurait tout le temps de passer les différents guichets.
Une fois ses billets téléchargés, elle se balada dans les larges avenues froides et impersonnelles. Le bâtiment était énorme, spacieux, aéré, à tel point qu’Oriane grelotta et ajusta son écharpe jusqu’à hauteur de ses oreilles. Elle passa près d’incommensurables hangars occupés par des Baleines dont la taille dépassait les cent cinquante mètres de long. Elles faisaient penser aux anciens sous-marins, elles étaient aussi monumentales. Elles se faisaient dorloter par des dizaines de lads qui frottaient leur corps de dix mille tonnes pour enlever la poussière d’étoiles et les éclats de minuscules météorites accrochés comme des ventouses sur leur peau épaisse et dure. Les cétacés semblaient apprécier les soins, roulant sur eux-mêmes, agitant leurs nageoires en signe de complaisance. La jeune femme continua jusqu’aux Renards et remarqua leur pelage tout juste brossé, puis elle assista, derrière une vitre épaisse de plusieurs centimètres, à la mise en place d’une cabine sur le dos d’un Ours blanc de cinq cents tonnes. La manœuvre était impressionnante de précision, mais également de délicatesse. Ce qui la frappa le plus était la docilité du gros animal libre de tout mouvement. Être harnaché de la sorte ne paraissait pas lui poser de problème majeur. Bientôt, l’énorme cabine fut fixée grâce à des sangles d’un matériau défiant toute résistance, comme on porterait un sac à dos, et l’Ours n’avait toujours pas bougé. Mais le temps passait beaucoup trop vite ; Oriane, à son grand regret, n’eut pas l’occasion de flâner devant les autres territoires animaliers. Elle devait se dépêcher, son Rat, qui ferait escale à San Pablo sur la planète Escale 7, recevait déjà des passagers. Émue et impressionnée par l’énorme rongeur qu’elle voyait pour la première fois, elle escalada le large escalier.
3
La planète Escale 7 comptait parmi les nanoplanètes dites, comme leur nom l’indique, « d’escale ». Bon nombre d’animaux s’y arrêtaient déposant les moins fortunés qui faisaient une halte, les plus riches ayant les moyens de s’offrir des trajets directs. De plus, cette nanoplanète ne figurait pas parmi les plus agréables, la pauvreté était reine et dérangeait terriblement. S’y était installée toute la population terrienne de l’ancienne Afrique, puis celle de l’ancienne étendue sud-américaine. Le continent africain avait été ravagé par les guerres successives, entraînant un exode massif, et les déserts, ayant avalé les trois quarts du territoire, ne le rendaient plus viable. Quant au continent sud-américain, une déforestation intempestive avait entraîné la destruction totale de ses pays. L’air n’y était plus respirable, de plus, les racines disparues des arbres ne retenaient plus les flots créés par les pluies abondantes. Tout avait été emporté. Les populations avaient donc tenté leur chance sur Escale 7. Elles créèrent des villes précaires où seuls quelques hôtels essayaient de faire bonne figure. Hormis ces établissements, la vie était campagnarde et marchande. Des centaines d’étals jalonnaient les chemins poussiéreux. L’eau courante ne desservait pas toutes les habitations, un système de puits et de fontaines abreuvait les villages. Les populations s’étaient parfaitement acclimatées, faisaient du troc, et s’en sortaient très bien. La barrière du langage n’avait pas lieu d’être puisque la langue vernaculaire était parlée dans le système planétaire tout entier.
Oriane n’avait aucune idée de ce qui l’attendait, hormis le fait qu’elle séjournerait une nuit dans un petit hôtel, prendrait le train jusqu’à la ville de San Pablo pour ensuite prendre un bus (de ces vieilles carcasses toujours en circulation, ces reliques de la Terre) jusqu’au prochain aéroport où elle embarquerait à bord d’un nouveau Rat dont le rayon d’action s’étendait de planète Orpheline aux orbes d’alentour. Encore quelques heures et Escale 7 lui ouvrirait les bras. Oriane allait adorer.
4
Sa valise tomba lourdement sur le sol, soulevant un nuage de poussière sèche et brûlante. Trente degrés, affichait un thermomètre digital accroché au-dessus de l’immense sortie du terminal. Cette ancienne base aérienne récemment rénovée en aéroport international pouvait maintenant recevoir n’importe quelle race d’animal.
Oriane, éblouie par le soleil, saluait sa première correspondance. Sa seule envie restait de trouver son hôtel, puis de prendre un bon bain. Elle héla un taxi (un jaune, il ne restait plus que ce modèle-là, tous les autres ayant été retirés), tendit au chauffeur un morceau de papier sur lequel elle avait inscrit l’adresse de l’établissement, et s’installa à l’arrière du véhicule. Elle parlait plusieurs langues, mais préférait montrer les coordonnées manuscrites afin d’éviter toute erreur de prononciation qui l’emmènerait alors vers l’inconnu.
Elle contemplait le paysage, rêveuse, et elle se sentait bien malgré sa fatigue. Le sourire des habitants, alors qu’elle traversait un petit bourg à vitesse réduite, l’apaisait et la réjouissait. Leur peau noire ou dorée relevée par des habits de couleurs vives emplissait son cœur de vie, elle admirait leur dynamisme flamboyant. Des enfants couraient aux côtés de la voiture, riant, s’exclamant, agitant leurs bras, ils faisaient la course en tentant de dépasser le taxi. Leurs cris de plaisir se mêlaient à ceux des passants qui les encourageaient. Elle ne discernait pas leurs mots, ils s’époumonaient tous en même temps. Qu’importe ! Leur belle énergie parlait pour eux. Au sortir du village, le taxi accéléra, abandonnant derrière lui ces enfants et leur magie juvénile. Oriane s’installa de nouveau au fond de son siège après avoir remonté sa fenêtre, puis se perdit dans ses pensées.
Arrivée à destination, elle paya son dû au chauffeur, le remercia, empoigna son bagage, traversa la rue et gravit l’escalier de son hôtel. La lumière du soleil ricochait furieusement sur les marches. Dans la fraîcheur du modeste hall, Oriane posa un instant sa valise pour admirer la voûte du plafond qui donnait une impression de liberté, les larges dalles rouges, le maigre mobilier, les colonnes élancées.
L’hôtesse d’accueil, vêtue à l’européenne, portait une jupe de tailleur blanche et une veste assortie joliment boutonnée, lesquelles mettaient en valeur ses courbes fines et ses hanches dessinées. Son visage hâlé illuminait la réception, son caractère courtois et jovial inspirait la confiance, Oriane se dirigea vers elle. Les modalités enregistrées, elle découvrit sa chambre, étonnante de sobriété. Elle fut toutefois surprise de découvrir une baie vitrée vertigineuse donnant sur une terrasse extérieure. Elle remercia son guide, ouvrit sa valise, sélectionna quelques affaires et sauta sous la douche. L’eau était si douce… Une fois séchée, elle s’habilla, se rendit au bar pour y commander une eau gazeuse, s’installa à une table, et se relaxa à l’ombre de toute tracasserie.
5
Après une bonne nuit de sommeil, Oriane se leva ragaillardie et prête à entreprendre son voyage en train jusqu’à la ville de San Pablo, première étape pour ensuite prendre un bus au modèle très ancien, qui l’emmènerait au second aéroport. Elle prit un délicieux petit déjeuner composé de fruits. Elle régla la facture de l’hôtel, cet établissement n’était vraiment pas cher, et sortit. Elle héla une nouvelle fois un taxi, lequel la transporta jusqu’à l’une de ces vieilles gares ferroviaires. Regarder les gens évoluer sur le trottoir l’enchantait plus que tout. Des femmes en drapés vifs transportaient des paniers chargés sur leur tête, d’autres, un chiffon coloré sur le crâne, flânaient devant des étals. Des hommes vêtus de corsaires ou de jeans délavés poussaient des brouettes tantôt vides, tantôt emplies de débris trouvés le long de la route. Des enfants couraient, jouaient ou bien donnaient sagement la main à leur maman sous un ciel plus ou moins voilé, le long de murs gris et en mauvais état, écorchés ou lézardés. Ils semblaient ne remarquer ni la désolation du paysage ni la poussière asphyxiante que la brise soulevait. Une vieille dame aux épaules affaissées s’arrêta afin de contempler cette voiture cabossée qu’était le taxi d’Oriane, puis elle reprit son chemin comme si jamais aucun véhicule n’était passé.
Le taxi stoppa subitement, Oriane était arrivée à destination. Abasourdie par le bâtiment précaire, elle eut un moment d’hésitation. Elle descendit néanmoins de la voiture, paya le coursier, et s’engouffra dans la gare. Elle trouva aisément le guichet, une queue humaine serpentant jusqu’au milieu du corridor trahissait son emplacement. La jeune femme blonde s’arma de patience et se plaça à l’extrémité du flot des futurs passagers. Elle tira de son sac un livret de mots croisés et commença à en noircir les cases, histoire de noyer son attente. Son subterfuge fonctionna à merveille, elle ne vit pas les longues minutes défiler et se trouva comme par enchantement nez à nez avec le guichetier, un homme en chemise à moitié rentrée dans son pantalon, en Tongue si sablonneuses qu’elle fut incapable d’en discerner la couleur. Sa petite taille et son sourire édenté lui donnaient un air enfantin. Il parlait plus ou moins tout seul et riait de ses balbutiements incompréhensibles. Oriane ne put s’empêcher de rire avec lui, vérifiant tout de même avant de partir que l’espèce de billet crasseux qu’elle tenait alors entre ses doigts était bien valable pour son voyage jusqu’à San Pablo. C’était le cas. Un vrai miracle, pensa-t-elle, amusée. Elle avança sur le quai et attendit en se replongeant dans ses mots croisés. Elle avait noirci quelques grilles lorsque le train, bondé, entra en gare. Les portes s’ouvrirent, peu de personnes descendirent. La jeune femme se faufila au travers des robes, des jupes, des casquettes, des paniers en osier, pour finalement accéder aux marches métalliques et s’engouffrer parmi de nouveaux drapés. Elle dégota un petit coin dans lequel elle put déposer sa valise sur laquelle une petite fille s’installa communément. Oriane resta hypnotisée par ses yeux, deux billes noires reflétant le bonheur de pouvoir s’asseoir sur quelque chose d’inhabituel. L’enfant gloussait de joie et fixait sa mère avec un sourire espiègle. La mère interrogea alors Oriane du regard, ne sachant trop de quelle façon réagir. Oriane fit un signe pacifique de la main. Rassurée, la mère se remit alors à bercer son nouveau-né dont seule la frimousse sortait d’un tissu noué derrière son dos.
6
Oriane parvint enfin à destination, essoufflée du manque d’air certain, courbatue d’être restée aussi longtemps debout à chercher son équilibre et à éviter de tomber sur les voyageurs autour d’elle. Elle était déçue de ne pas avoir pu admirer les paysages défilants, en revanche, elle ne regrettait pas d’avoir pu observer une population riche en manies inconnues pour elle. Tout le trajet durant, elle s’était imprégnée de leur peau, de leur regard, et avait acclimaté ses oreilles à différents langages, à leur voix. Elle fut un instant si proche d’une jeune fille, qu’elle aurait pu lui dessiner elle-même les traits noirs qui soulignaient ses yeux à la manière de la gent féminine égyptienne.
à peine débarquée, Oriane se précipita sur sa bouteille d’eau qui était restée coincée au fond de son bagage, puis sur son bandana bleu ciel avec lequel elle se fabriqua un chapeau de fortune. San Pablo… Elle était arrivée. Ces cinquante kilomètres en train lui avaient paru une éternité. La luminosité de cette ville s’imposa à ses yeux peu habitués à tant de clarté. Oriane avait vécu au milieu de hautes montagnes ; elle s’abreuvait maintenant d’un décor aux multiples plaines, aux éparses élévations rocheuses, ici, joliment arrondies. Comme partout sur Escale 7, les artisans étalaient leurs objets d’art sur le trottoir, Oriane put se gorger d’ébène et d’ivoire, de mobilier de bois sculpté, de paniers et de dentelles rappelant les styles de la Terre entière. Elle s’arrêta un instant : une femme au visage badigeonné d’un produit blanc épais, Un maquillage local, supposa Oriane, les sourcils effacés par ce mélange pâteux, vêtue d’une robe clinquante, accroupie, tapait sur un tambour de fortune qui n’était autre qu’un tonneau retourné. Elle chantait au rythme de ses paumes, et ses doigts couraient habilement sur la surface limée de l’instrument. Son bracelet de cuivre s’agitait autour de son poignet accompagnant de son cliquetis sa voix rebondie. Un homme s’approcha et s’installa à ses côtés. Drapé d’un habit aux teintes fauves, coiffé d’un enchevêtrement de tissus le protégeant du soleil, il tambourina également sur une même sorte de cuvette basculée, adopta le rythme de son acolyte avec un sourire malin, et chantonna des paroles en léger décalage à celles de la femme. Transportée, Oriane l’était assurément, mais elle devait continuer son chemin. Elle abandonna à regret le spectacle épatant auquel elle assistait pour se retrouver dans une longue rue jonchée d’étals de fruits, de légumes, tous consciencieusement séparés et ordonnés. Rien ne se mélangeait, et tout était au même prix, pas de concurrence, sensation exquise. Pas de marchandage non plus, la population n’avait pas l’air de se battre afin d’obtenir un meilleur tarif que celui du voisin. L’ambiance n’en était que plus détendue. Oriane fit l’acquisition d’une banane et d’une papaye qu’elle savoura en errant dans les rues terreuses de cette ville chaude et humide. Du sable rouge nappait le décor tout entier. Il s’immisçait partout, dans le moindre recoin, sur les rebords de fenêtres, les balcons, les terrasses, il virevoltait grâce à la brise légère, donnant à cette ville un air de fête perpétuel, se mêlant gracieusement aux mouvements des habitants, dessinant leurs gestes sur le fond bleu du ciel, leur offrant, une fraction de seconde, toute une éternité.
Constatant que sa bouteille était vide, un marchand interpella Oriane et lui proposa de la remplir avec un mélange de jus de fruits. Oriane ne le comprit pas immédiatement, et lui fit répéter plusieurs fois son offre, remarquant qu’il n’utilisait pas la langue universelle, mais mixait allégrement des mots de différents langages. Une fois qu’elle eut saisi, elle accepta avec plaisir et le remercia. Il semblait obnubilé par son regard bleu et la complimenta sur son foulard qu’il trouvait très bien assorti. Elle ne pouvait s’empêcher de contempler cet homme gigotant de joie dont le caractère se mariait si bien avec son bermuda vert pomme et son T-shirt orange, et si les teintes de ses vêtements étaient diluées, ce n’était pas le cas de son dynamisme. Oriane le salua et poursuivit son chemin. Tant de merveilles restaient à découvrir, cependant, la jeune femme n’avait plus le temps de flâner, il lui fallait rejoindre le point où les hommes et les véhicules se rencontrent.
Le conseiller de l’agence de voyages lui avait parlé de volontaires disposant d’anciennes camionnettes prêtes à transporter des gens appartenant à la population locale ou non, dans différents endroits. Aucun horaire n’était envisageable puisqu’ils attendaient qu’un nombre suffisant de voyageurs prennent place à l’arrière pour éviter les trajets à perte. Alors qu’elle dépassait quelques fumeurs installés sur le trottoir, Oriane déboucha sur une petite place de terre aux multiples bosses, à la végétation rabougrie sur laquelle trônait un cabanon de bois – le point de rencontre – en mauvais état, toutefois toujours debout. Quelques personnes de diverses nationalités attendaient. Réunies en petits groupes, certaines discutaient, d’autres savouraient un repas de fortune acheté sur le marché. Des enfants de la rue voisine, curieux, les dévisageaient, des chiens vaquaient çà et là, espérant récolter quelque nourriture appétissante tombée des sacs de provisions. Deux fourgons étaient garés sur le côté, des hommes en tenue de lin préparaient un départ imminent. Oriane avait de la chance, elle n’aurait pas à patienter trop longtemps. Une jeune femme russe lui proposa un morceau d’ananas qu’elle accepta volontiers. Elle la remercia et croqua avec bonheur dans ce fruit si sucré.
Oriane s’apprêta à prendre place à l’arrière du véhicule dans lequel nombre de gens étaient déjà installés. Elle ne trouvait pas ce moyen de transport confortable, mais elle n’avait pas les moyens de s’offrir mieux. Au fur et à mesure que les voyageurs grimpaient, Oriane se pressait contre son voisin aux cheveux crépus, en bataille. Son sourire l’aida à se sentir à l’aise, elle trouvait cette proximité amusante. Quel ne fut pas son étonnement lorsqu’elle constata que certains s’asseyaient sur les genoux des autres, et ce, de manière si désinvolte, qu’elle ne put s’empêcher de les dévisager. Le véhicule ployait sous le poids des voyageurs qui n’en finissaient pas d’embarquer. Finalement, l’un des organisateurs ôta l’escabeau et grimpa à l’avant à côté du conducteur. Le moteur vrombit, la camionnette trembla, grinça, craqua pour – eurêka – démarrer. à peine était-elle lancée, que le bruit tonitruant du rugissement de son moteur maltraité écorcha les oreilles de la jeune femme.
Le ciel était légèrement voilé, mais la chaleur ne démordait pas. Le sable jaune de la piste était aveuglant de par la réflexion du soleil. Oriane ressentit la soif, sa gorge la piquait, elle envia les quelques voyageurs qui avaient placé un bout de tissu sur leur bouche. Assourdie par le vacarme et assoiffée, elle n’eut d’autre choix que d’attendre un prochain arrêt qu’elle espérait proche.
Après avoir dépassé d’immenses murs de végétation et multiples espaces aussi étranges que magnifiques, la camionnette fit un furtif arrêt près d’un village. Oriane en profita pour se dégourdir les jambes, boire et se soulager. Vingt minutes plus tard, ils reprenaient déjà la route.
7
À la suite d’une nuit passée à la belle étoile, sale, courbatue, les jambes engourdies, le dos en mauvais état, Oriane arriva enfin à destination, pénétra dans l’aéroport et embarqua sur un nouveau Rat. Une fois dans sa cabine, elle ôta ses vêtements poisseux et prit une douche avec une délectation non dissimulée. Elle dîna puis se coucha tôt. La jeune femme s’endormit rapidement malgré son excitation grandissante. Planète Orpheline n’était plus très loin maintenant.
8
Oriane tressa ses cheveux blonds et s’apprêta à descendre du Rat. Elle était la seule passagère évidemment, qui d’autre aurait souhaité débarquer sur Orpheline ? Un ciel d’un bleu magnifique l’accueillit, un chien roux renifla sa valise puis passa son chemin, peu intéressé. Un grand homme à la peau noire l’aborda, il se présenta sous le nom de Boma, souleva lestement son bagage tout en l’informant qu’ils rejoindraient l’orphelinat à pied. Deux kilomètres plus tard, son guide pointa du doigt le village tant convoité. Il semblait irréel avec ses constructions en préfabriqué et ses toits en bardeaux. Le cœur d’Oriane s’emballa, impossible d’en contrôler le rythme. Émue, timide, elle remercia son compagnon de promenade. Constatant son trouble, il la prit par la main et l’entraîna en direction des habitations. Soulagée qu’il l’accompagne, Oriane se laissa guider et avança. Elle allait pénétrer dans ce qui serait maintenant son nouveau havre.
Boma se dirigea vers une grande bâtisse de bois sombre, encerclée d’une espèce de balcon bordé d’une barrière sur laquelle des enfants s’amusaient à s’accrocher, par-dessus laquelle ils avaient plaisir à sauter, pour ensuite remonter les quatre marches de l’escalier et recommencer. Certains d’entre eux, hypnotisés par le bleu profond des yeux d’Oriane, obnubilés par l’extrême blondeur de sa chevelure, cessèrent tout jeu pour la regarder passer, main dans la main avec Boma. À peine les adultes avaient-ils franchi la moustiquaire de la porte d’entrée qu’ils reprirent leurs joyeux ébats, criant encore plus fort qu’auparavant.
Au premier abord, Oriane ne discerna pas le mobilier de la pièce dans laquelle ils venaient d’entrer, ses pupilles devant se réajuster à la luminosité intérieure. Son chevalier servant lui lâcha la main et déposa sa valise. Il cria quelques mots qu’elle ne comprit pas, et vit arriver une dame blanche âgée d’une cinquantaine d’années, ses cheveux bruns adroitement tressés, des mèches folles rebondissant sur ses joues rouges de labeur, sa longue jupe bleue traînant par terre, son chemisier rose à manches courtes noué sur l’une de ses hanches. Les bras grands ouverts, elle accueillit de vive voix ses visiteurs :
« Bonjour, Boma ! Hello ! Vous devez être Oriane, n’est-ce pas ? La dame des lettres. Ravie de vous rencontrer ! dit-elle en lui serrant la main.
— Et vous, Morgane, je suppose. Enchantée de faire votre connaissance. Après tous ces courriers échangés, il me tardait de vous voir en personne, répondit Oriane.
Elle enchaîna :
— Encore un grand merci à Boma. Grâce à lui, j’ai évité de me perdre en chemin.
Le grand homme noir plaça sa main sur son cœur, et esquissa un mouvement du torse.
— Boma est sur tous les fronts ! Il doit avoir plusieurs vies, comme les chats ! Il est magique, s’exclama Morgane. Mais entrez donc, vous devez avoir soif. Boma, tu te joins à nous ? »
Morgane servit trois jus de papaye, puis s’installa sur le vieux canapé de cuir vermoulu aux ressorts apparents. Oriane avait préféré une chaise en bois, et Boma jeta son dévolu sur un hamac rétréci transformé en assise. Oriane se demandait quel âge pouvait avoir cet homme, elle se trouvait incapable de se décider. Il avait le corps svelte d’un adolescent de grande taille et arborait une musculature fine, mais robuste, qu’elle pouvait deviner sous son T-shirt sans manches qui flottait informe au-dessus de son pantalon de toile. Boma était pieds nus. Oriane l’envia, elle aurait adoré enlever ses chaussures.
« Alors, Oriane, racontez-moi votre voyage, tout s’est bien déroulé ? » s’enquit Morgane qui se trémoussait d’impatience dans son fauteuil.
Oriane narra succinctement son circuit et s’avoua heureuse d’être arrivée à destination. La femme aux yeux jade lui demanda s’il lui restait des forces pour faire le tour du village et rencontrer les habitants. La nouvelle arrivée ne se fit pas prier, avala son jus de fruits et suivit la responsable de l’orphelinat. Quant à Boma, il salua les dames et partit vaquer à ses occupations.
9
Le soleil resplendissait, tout comme Oriane. Malgré sa fatigue, elle exultait. Morgane passa près d’une baraque devant laquelle une mère – à laquelle il manquait un bras – et sa fille ratissaient le sol. La maman vêtue d’une large robe en drapé orange pour dissimuler son handicap contrastait d’avec l’adolescente qui portait une jupe bleue et un chemisier blanc en coton sans manches. La plus âgée avait ramassé sa chevelure grisonnante sous un chapeau fait de morceaux de tissu bariolés entremêlés, et la plus jeune avait savamment façonné ses cheveux en minuscules tortillons châtain sur toute la surface de son crâne. Elles discutaient allègrement et, sans interrompre leur labeur, saluèrent les deux passantes de leur voix rebondissante. Les deux femmes leur firent signe de loin, puis continuèrent leur chemin pour déboucher dans une large cour intérieure où une grande tablée d’enfants agités dévoraient de la brioche et du chocolat. Assya et Li Na (Oriane apprendrait le prénom des infirmières plus tard) les invitèrent à partager leur goûter, mais Morgane déclina l’invitation, elles avaient encore beaucoup de choses à découvrir.
La responsable de l’orphelinat expliqua que les enfants, même jeunes, avaient des tâches attitrées au sein du village et que, une fois en âge de travailler la terre, ils allaient aider aux champs où, du reste, la plupart des villageois étaient en ce moment.