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Après une enfance tumultueuse, Dominique gagne en maturité et décide de se consacrer à ses études. Cependant, son destin prend un chemin inattendu lorsqu’elle croise la route d’un héritier fortuné qui lui promet un avenir radieux. Leur union tourne rapidement au cauchemar, obligeant la jeune femme à faire l’autopsie d’un amour qu’elle pensait unique. Aura-t-elle la force de se libérer de cette relation toxique et d’aimer à nouveau ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Marie-Claude Bur-Bobin a écrit plusieurs romans portant sur des sujets aussi divers que variés. Parmi ses réalisations, elle compte des titres tels que "Les ailes des libellules", paru en 2016 aux éditions Do Bentzinger, et "La Mémoire en feu" publié par Le Lys Bleu Éditions en 2022.
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Seitenzahl: 269
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Marie-Claude Bur-Bobin
Autopsy
Roman
© Lys Bleu Éditions – Marie-Claude Bur-Bobin
ISBN : 979-10-422-1856-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Divorcée.
Rendue à moi-même.
Mais qui suis-je sans toi ?
Que suis-je ?
Tu as tout effacé de moi.
Passée au rouleau compresseur assorti d’un lavage de cerveau.
Et je suis très abîmée.
J’aimerais croire en Dieu. Il me semble que ça m’aiderait en ce moment. Comment on fait pour avoir la foi ? Personne ne m’a jamais expliqué. Et surtout pas toi qui ne crois en rien. Mais est-ce qu’on doit chercher la foi quand il semble ne rester que ça ? Ce ne doit pas être le bon chemin.
On n’a pas fait d’enfant. On n’en voulait pas. Tu n’en voulais pas. Je ne sais plus pourquoi, mais il devait y avoir de bonnes raisons puisque tu m’avais convaincue. On a bien fait. Je reste longtemps immobile, l’acte de divorce dans la main, sur les marches du Palais qui n’est que de Justice.
Ça me rappelle une ancienne chanson… Je me mets à chantonner : « Aux marches du palais, aux marches du palais, y a une tant belle fille, lonla, y a une tant belle fille »…
Comment on en est arrivé là ?
« Elle a tant d’amoureux, elle a tant d’amoureux, qu’elle ne sait lequel prendre, lonla, qu’elle ne sait lequel prendre »…
Je n’arrive plus à me sortir cette chanson de la tête. Je chante de plus en plus fort. Les gens me regardent bizarrement. Je m’en fous.
« C’est un p’tit cordonnier, c’est un p’tit cordonnier qu’a eu sa préférence, lonla, qu’a eu sa préférence… »
Ça finit par m’agacer cette chanson, mais, rien à faire, elle m’obsède ; j’arrive au couplet qui dit : « Dans le mitant du lit, dans le mitant du lit, la rivière est profonde, lonla, la rivière est profonde »…
C’est beau, cette image d’un couple si souvent enlacé dans leur lit qu’il en a creusé le matelas.
Le nôtre de matelas, il est resté bien plat. C’est sûrement à cause de la qualité de ses huit cents ressorts biconiques et ensachés, la Rolls-Royce du matelas, avait dit le vendeur le jour où on l’a acheté, parce que l’amour on l’a fait, souvent. Très souvent.
Et nous y dormirons ensemble, lonla, jusqu’à la fin du monde…
Pourtant, nous deux, c’était bien au début.
Quand on s’est vu pour la première fois, je suis tombée immédiatement amoureuse de toi. C’était un 8 août, le jour de mes vingt ans, comment l’oublier ! Tu étais venu acheter un disque à la FNAC des Champs-Élysées où je travaillais. Tu cherchais les variations Goldberg par un jeune organiste japonais que je t’ai trouvées et on a parlé de musique. Le soir même, tu m’attendais à la fermeture du magasin. « Je m’appelle Raphaël, j’aimerais bien que l’on continue notre conversation de tout à l’heure ! » tu m’as dit en avançant vers moi la main tendue, avec un grand sourire. On a été boire un pot, on a parlé comme si on se connaissait depuis longtemps. Tu es revenu le lendemain, le surlendemain et puis tu m’as raccompagnée chez moi. Je t’ai fait monter pour boire un verre. Sixième étage sans ascenseur. Tu m’as suivi en soufflant un peu.
Puis tu es revenu. Plusieurs fois. Et enfin on a fait l’amour. C’était bien. Très bien même. Délicat, respectueux.
Mon studio me ressemblait, avais-tu dit. Un bric-à-brac sympathique, très coloré, rien d’étonnant, mon violon d’Ingres c’est la peinture. « C’est pas mal ton barbouillage ! » avais-tu dit en regardant mes toiles. Pas vraiment flatteur, mais j’avais déjà l’indulgence d’une femme amoureuse. Je te dis que mon rêve est de faire l’École des Beaux-Arts… pour que ma peinture ne soit plus du… barbouillage.
Par contre, tu t’extasies sur mon bonsaï que je bichonne comme un enfant. C’est un vrai arbre miniature avec un tronc blanc noueux et des branches vertes qui s’épanouissent en son sommet pour retomber avec grâce. Fragile. Hyper fragile.
Tu me disais que je ressemblais à un Tanagra. Jamais on ne m’avait fait un si savant compliment. Je t’aurais bien dit que tu étais beau avec tes yeux pervenche, ta masse de cheveux blonds un peu bouclés, ta haute stature, ta carrure d’épaules, mais ça ne se fait pas, une fille ne complimente pas un garçon. Enfin, je crois. Je n’ai pas eu beaucoup d’éducation. Et pour cause, je suis une enfant de la DASS.
Pas facile de dire qu’on a été abandonné à sa naissance. Pire. Que ses géniteurs l’ont abandonnée dans une boîte à bébé et qu’ils sont même allés jusqu’en Belgique pour ça, parce qu’en France, les tours d’abandon comme on les appelait, n’existent plus. Pourtant c’était plus efficace que l’accouchement sous X. Placé dans une boîte, on est sûr que jamais l’enfant ne retrouvera ses parents. Il ne reste aucune trace d’eux. Je peux en parler savamment.
C’est avec toi, Raf, que j’ai commencé à vivre. Tu m’apprenais l’amour et je t’apprenais la joie et l’insouciance, moi, une enfant de la DASS, ce que tu ne savais toujours pas.
C’est quand tu m’as dit que tu travaillais dans une banque et que tu habitais chez ta mère que j’ai compris qu’il y avait urgence. À ton âge, habiter chez ta mère et travailler dans une banque, quelle tristesse ! Niveau vestimentaire, tu étais un peu coincé, toujours en costume-cravate. Je t’ai fait acheter jeans, T-shirts, baskets et blouson ; j’aurais préféré du cuir, mais je ne voulais pas te faire dépenser trop d’argent, un beau skaï c’est pas mal non plus. Ça t’allait super bien.
Je t’ai rebaptisé Raf, c’est plus cool que Raphaël même si Raphaël est un très beau prénom. Je t’ai appris à marcher pieds nus dans la rosée du matin sur le Champ de Mars, pique-niquer sur un banc au bord de la Seine, monter aux arbres ce que – à mon grand étonnement – comme garçon tu n’avais jamais fait, fabriquer un lance-pierre avec juste une branche en Y et un gros élastique – ce que tu n’avais jamais fait non plus –, à souffler dans une herbe tendue entre les deux pouces pour en tirer des sons bizarres… tu riais. J’avais l’impression que tu étais passé à côté de ton enfance, un peu comme moi, mais sans doute pas pour les mêmes raisons.
Je t’ai aussi fait découvrir le cinéma, ou plutôt les bons films, car tu n’aimais que les westerns, bien qu’il y en ait d’excellents. Pour moi le cinéma – que j’ai découvert dans les salles paroissiales où c’était gratuit le dimanche après-midi – était devenu mon seul moyen d’évasion pour échapper au quotidien.
À quinze ans, mon film préféré était « La rose pourpre du Caire » de Woody Allen dans lequel l’héroïne du film mène une existence morne et tourmentée ; le cinéma est son seul refuge. (Tiens-tiens). Lors d’une projection, Tom Baxter, le héros d’un mélo, sort de l’écran et l’enlève… À chaque fois que j’entrais dans une salle de cinéma, j’attendais mon Tom Baxter.
Serait-ce toi mon Tom Baxter ?
C’est alors que j’ai décidé de te parler, je veux être transparente pour toi, même si mes aveux vont sans doute sonner la fin de nous. On ne peut pas aimer une fille qu’on a abandonnée dans une boîte. Ma vie va donc se jouer quand tu sauras d’où je viens, c’est-à-dire de nulle part.
Nous étions dans mon studio, nous avions fait l’amour, nous étions bien quand, soudain, j’ai choisi de tout te dire. Ma vie va donc se jouer dans quelques instants.
Je me lance comme on se jette à l’eau sans savoir nager.
Raf, il faut que je te dise quelque chose d’important… Je n’ai pas de parents, je n’ai pas de famille. Pire, à ma naissance on m’a abandonnée dans une boîte et j’ai dépendu de la DASS jusqu’à ma majorité. Voilà. Je crois qu’il vaut mieux que nous en restions là de notre histoire.
Tu t’étrangles avec le bonbon que tu es en train de sucer puis tu restes sans voix. Tu t’éloignes même imperceptiblement. Mauvais signe. Mais tu te rapproches, me prends dans tes bras. Je te repousse.
Je ne veux pas que tu aies pitié de moi, je m’en suis très bien sortie ! Toute ma vie j’ai fait face. Et puis j’ai une nature foncièrement optimiste ; ça aide, tout va bien pour moi.
Tu es stupéfait. Sidéré. Puis enfin tu parles.
C’est quoi cette histoire de boîte ?
Tu n’as jamais entendu parler des boîtes à bébé ? Des baby-box ? C’est là-dedans qu’on m’a mise pour mieux m’abandonner, une baby-box c’est pire que d’accoucher sous X parce qu’avec la boîte, l’enfant n’a aucune chance de retrouver ses parents ! On a même été jusqu’en Belgique pour être vraiment sûr de me perdre… mais qui a eu le courage de me mettre dans la boîte et de la refermer en sachant qu’on ne me reverrait jamais ? Ma mère ? Mon père ou plus exactement mon géniteur ? Ma génitrice ?
Raf sent ma détresse. « Chuuuut, murmure-t-il… là, là, calme-toi… il me berce. Puis demande doucement : pourquoi en Belgique ? »
Parce qu’en France ce système n’existe plus depuis longtemps, il n’y a que l’accouchement sous X pour abandonner son enfant. J’ai tout lu sur les boîtes à bébé ! Au Moyen-Âge, ça s’appelait des tours d’abandon… tu veux que je te raconte ?
Je pourrais écrire une thèse sur les tours d’abandon dans toute l’Europe depuis le Moyen-Âge, alors je suis intarissable et au bout d’un moment Raf me demande d’arrêter.
Ce n’est pas l’histoire des tours d’abandon qui m’intéresse, me dit-il, c’est la tienne !
Mais je n’ai pas d’histoire ! Mon histoire a commencé le jour où je t’ai connu !
Ne dis pas de bêtises, raconte-moi l’avant, jusqu’où remontent tes souvenirs !
Alors je raconte. Nous sommes assis face à face et Raf m’écoute intensément en me tenant les mains.
Je ne connais pas ma vraie date de naissance, je sais seulement qu’on m’a trouvée dans la boîte d’Anvers un 8 août. Je ne devais pas être née depuis bien longtemps… le 6 ou le 7 à tout casser… J’étais langée et enveloppée d’un châle en laine crochetée auquel on avait attaché un papier avec une épingle sur lequel était écrit : « Cette enfant est française ». Sans doute parce qu’on m’avait abandonnée en Belgique et qu’il fallait me laisser ma nationalité, à défaut d’autre chose.
La DASS française où Anvers m’a réexpédiée (à chacun ses problèmes) m’a appelée du nom du saint du jour, Dominique. Si on m’avait trouvée le 9, aurait-on osé m’appeler « Amour » ? Quant à mon patronyme, Guillaume, c’est le prénom du soignant qui m’a réceptionnée en France. Tout bêtement. La DASS n’a aucune imagination.
Pause. Je me mouche. Je me répète.
Tu sais, la boîte c’est encore plus sûr que l’accouchement sous X pour se débarrasser d’un enfant, il ne reste absolument aucune trace de son identité et, comme je te disais, ça va très vite pour trouver un nom et un prénom à un enfant abandonné. Sur les registres de la DASS je suis Dominique Guillaume. Bonne chance pour celui ou celle qui me rechercherait. Absolument aucun lien avec ce qui aurait dû être ma famille. On devait absolument effacer la tache que j’étais. C’est très dur de se dire qu’on est une erreur, une faute qui ne mérite que d’être jetée dans une boîte.
Ma gorge se serre. Moment de silence. Je me mouche.
J’étais un bébé souffreteux, qui se développait mal, pleurait beaucoup et mangeait peu ; je n’avais passé qu’une heure dans la boîte jusqu’à ce qu’on vienne m’y chercher, mais j’étais marquée, je suis devenue claustrophobe. Tu me diras que si c’est la seule séquelle qui me reste, ce n’est pas grave ! À trois mois j’étais adoptable, mais personne n’a voulu de moi, on peut comprendre, qui aurait adopté un bébé aussi malingre ? Je devins une enfant placée. Placée. Bien ou mal, c’était selon…
Ma gorge se resserre. Je me remouche.
J’ai connu onze familles d’accueil, oui, onze. Dans certaines, je ne faisais que passer, dans d’autres c’était à se demander comment ils avaient pu être accrédités pour accueillir des enfants ; je me souviens en particulier de ce couple à qui on avait confié six enfants de tous âges, qui laissait les plus jeunes dans leur chambre et qui avait la main très leste avec les autres pour se faire obéir. Quand je rentrais de l’école, j’aidais au ménage, à la lessive, à soigner les petits. Je n’étais bien qu’à l’école et j’ai rapidement appris à lire. La lecture m’a beaucoup aidée, mais, à partir de la sixième, quand j’ai eu des cours d’arts plastiques avec un professeur formidable, ce fut une révélation, c’est dessiner qui m’a tenu la tête hors de l’eau. J’utilisais tous les supports que je trouvais, même les sacs en papier des courses, je chipais des crayons de couleur là où il y en avait…
J’allais avoir douze ans quand Gaby et René m’ont accueillie et soignée, car je n’allais évidemment pas très bien. Un couple formidable qui avait consacré leur vie à élever des enfants abandonnés, de véritables héros. Comme ils n’étaient plus très jeunes, j’étais leur seule pupille. Ils furent ma chance.
J’avais ma chambre, des habits à la mode achetés rien que pour moi, du vrai papier à dessin et tout un matériel ; j’allais au collège comme toutes les filles normales et j’avais des copines. Je me suis enfin épanouie et j’étais une ado heureuse et même joyeuse. Ils m’ont gardée bien au-delà de mes dix-huit ans, jusqu’à ce que je trouve un job et un studio et que je me sente capable de voler de mes propres ailes, comme de vrais parents. Je les aime et ils m’aiment. Je les vois toujours, ils ont fait de moi celle que je suis même si j’avais un bon potentiel de résilience.
Voilà, tu sais tout. À 18 ans j’ai eu mon bac comme n’importe quelle fille et j’ai voulu être indépendante ; j’ai trouvé une place de vendeuse à la FNAC et dès que j’ai pu, j’ai loué un studio où je me suis installée tant bien que mal, mais j’étais libre. Libre surtout de croire en la vie et j’avais raison puisque je t’ai rencontré !
Long silence. Raf est assis en face de moi et son regard ne me lâche pas. Il m’écoute intensément et semble m’avoir suivie malgré mes propos un peu échevelés. « Tu n’as donc aucune famille ? ». Non, aucune. À part Gaby et René.
Quand je me tais, il me prend dans ses bras et me serre fort sans dire un mot. Il m’embrasse sur les yeux, sur le nez, sur le front. C’est pur et protecteur. Juste ce dont j’ai besoin.
Ce que je redoutais n’est pas arrivé, tu m’as gardée malgré mes origines inconnues… Mais après tout, je suis peut-être la fille d’une princesse de sang royal, qui sait ? Je peux tout imaginer et ça fait partie des histoires que je me raconte quand je m’invente une famille.
Quelques jours après, alors que nous venions de tout juste nous réveiller, tu m’annonces que tu dois me parler toi aussi.
Je ne t’ai pas dit toute la vérité pour ce qui me concerne, ce n’était pas nécessaire on était bien comme ça sans que tu en saches davantage sur moi… mais maintenant que tu m’as parlé, que nous sommes bien ensemble et que nous irons certainement plus loin, je dois aussi t’avouer certaines choses dont tu es loin de te douter…
Ne me dis pas que tu es un gosse abandonné toi aussi !
Non, ce n’est pas de cela qu’il s’agit, bien au contraire…
Au contraire ? Au contraire de quoi ?
Écoute-moi sans faire de commentaires, s’il te plaît.
Tu commences à me parler de ta famille. Tu as un frère aîné, Maxence marié à Clotilde et ils ont deux enfants. Toi tu vis encore avec ta mère. Ton père est mort depuis quelques années.
Tout ça me semble bien banal pour en faire un mystère.
Puis enfin tu arrives au gros morceau. Pas du même tonneau que le mien, mais quand même.
Ton grand-père était banquier et avait créé une banque privée qui gérait les grosses fortunes. Ton père en a hérité et qu’il a fait fructifier. À son décès, ta mère en est devenue le PDG et travaille avec ton frère. Après quatre ans d’études aux States, les mêmes que ton frère, tu les as rejoints.
Je n’y crois pas. Un banquier dans une famille de banquiers, c’est bien ma veine. Moi qui voulais toujours que nous partagions les frais… Mais au moins, il sait que je ne suis pas vénale. Il vit avec sa mère, travaille avec sa mère et son frère… si on se marie, je vais arriver dans cette dynastie comme un chien dans un jeu de quilles.
Raf est donc un pauvre petit garçon riche. Autrement dit, je suis dans un conte de fées. Et moi, je ne crois pas aux contes de fées. Je me sors de ses bras et du lit, m’enveloppe d’un drap comme si la nudité me gênait maintenant que je connais sa situation sociale. J’essaie de parler, mais aucun son ne sort de ma bouche.
Je parle enfin. Pragmatique, réaliste, je lui pose la question qui me brûle les lèvres depuis qu’on se connaît.
« Pourquoi tu ne t’es jamais marié ? À trente-deux ans, c’est étrange pour un homme comme toi, beau et riche ! Et pourquoi ce serait moi l’élue ? Qu’ai-je de plus qu’une autre ? »
Il se lève et se sert un grand verre d’eau qu’il boit d’un trait. L’instant est solennel. La question des questions est posée.
Il semble réfléchir intensément, car il sait que je ne lâcherai pas.
Je ne me suis jamais marié, mais j’ai vécu en couple pendant cinq années.
Et pourquoi ça s’est arrêté ?
Elle est morte dans un accident, un an avant notre rencontre.
Ah… Je suis désolée…
Tu n’as pas à l’être.
C’est le jour des grandes révélations. Sous le choc, je reste debout devant lui, les bras ballants, ne sachant ni que dire ni que faire. Je ne lui demande pas qui était cette femme, ça ne me regarde pas, c’était sa vie d’avant. Même si je meurs d’envie de le savoir. Je viens seulement me nicher dans ses bras qu’il referme sur moi. On ne parle plus. Il m’embrasse le front, il me berce.
Quand on se quitte, c’est pour plusieurs jours, Raf a un déplacement professionnel.
C’est exactement ce qu’il me faut, la solitude, le calme, ne plus parler, réfléchir, encore réfléchir. Ma décision engagera deux vies.
La première question à me poser n’est-elle pas de savoir si moi j’en ai envie d’aller plus loin ? Parce que s’il parle de projets d’avenir, c’est qu’il y a du mariage dans l’air. Pour une fille comme moi, un mariage avec Raf est inespéré, il faut bien l’admettre. Mais la richesse me fait peur, je ne suis pas faite pour ce monde-là, je ne saurai pas faire, je n’ai aucun code qui me le permettrait, même si tout s’apprend. Je n’aurais plus cette liberté que me donne ma condition de célibataire.
Je veux faire l’École des Beaux-Arts pour apprendre à vraiment peindre. Le pourrais-je encore si j’épouse Raf ?
Et si ne pas l’épouser équivalait à le perdre ? Voilà une question autrement importante. Perdre Raf ? Non ! Je ne veux pas te perdre !
« Dominique Guillaume, veux-tu me faire l’honneur de m’épouser ? »
C’est comme ça qu’il a fait sa demande. À peine rentré de son déplacement professionnel.
Une carte glissée dans une botte de roses rouges qu’il m’a fait livrer. Tellement énorme que j’ai dû lui trouver une place spéciale dans mon studio et déplacer mon bonsaï et mon chevalet. Pas de vase assez grand pour les roses, le seau de ménage en fait office, mais manque singulièrement d’élégance ; les roses compensent ; je pleure, je ris, je ne sais plus où j’en suis.
Mais je sais déjà que je lui dirai Oui. Même si ça m’embête qu’il soit riche.
On sonne. C’est lui. Je suis déjà dans ses bras.
Les six étages grimpés quatre à quatre l’ont essoufflé, mais nous nous retrouvons vite déshabillés par nos mains impatientes.
Après cette belle demande en mariage, le moment redouté arrive, tu veux me présenter à ta mère, c’est normal et je dois m’y résoudre le sourire aux lèvres alors qu’à l’intérieur je panique.
C’est chez elle, enfin chez eux, puisque Raphaël vit avec elle, que cela se passera. Pour prendre le thé, un jour en fin d’après-midi. Tu me dis qu’il serait préférable que je mette une robe. J’y avais déjà pensé, mais je n’en ai pas. On va l’acheter ensemble ? me proposes-tu.
Tu m’emmènes dans une boutique avenue Montaigne où je n’ai évidemment jamais mis les pieds, juste passé devant la vitrine où même une paire de gants équivalait à un mois de mon salaire. Après avoir demandé pour quelle occasion était destinée cette robe (évidemment, on ne lui dit pas que c’est pour une présentation officielle à la future belle-mère et la robe devient une robe d’après-midi chic, débrouille-toi avec ça), la vendeuse satisfaite du renseignement se met en quatre pour me trouver quelque chose après m’avoir examinée une nouvelle fois des pieds à la tête. Je me sens mal.
« Madame est très fine et tous nos modèles peuvent lui convenir », dit-elle obséquieusement alors que je sais parfaitement qu’elle a regardé mes baskets, mon jeans et mon T-shirt non griffé avec dédain, limite dégoûtée.
Avant d’aller chercher quelques robes, elle nous installe dans des fauteuils où l’on vient nous apporter des orangeades et des macarons de chez Ladurée. Elle revient avec un portique chargé de robes diverses et variées. Longues, courtes, mi-longues. Je regarde Raphaël avec des yeux d’enfant perdu. Il adore, je le sais, c’est là qu’il se sent fort et puissant.
« Choisis, toi » je lui chuchote. Il se lève, regarde les robes en écartant les cintres et finalement en sort une et me la montre. Pas le temps de lui dire oui ou non que la vendeuse se met à glousser « Très bon choix, monsieur ! on dirait ce modèle fait pour votre épouse ! » D’une, je ne suis pas son épouse et de deux… j’ai pas envie de lui dire ce que je pense. Mais c’est vrai qu’elle est pas mal. Coupe droite, juste au-dessus du genou, Prince de Galles gris-bleu marquée à la taille par un liseré en cuir noir, manches courtes, encolure bateau soulignée du même liseré de cuir. Sobre et chic. Pas exactement le genre qui convient à une fille de vingt ans, mais efficace niveau allure. Je l’essaie.
C’est ce que je pensais, elle est parfaite, aucune retouche à prévoir, reglousse la vendeuse. Raphaël approuve.
Tu veux en essayer une autre ? me demande-t-il.
Non, j’aime beaucoup celle-ci, lui réponds-je avec distinction alors qu’en moi je hurle « Ah non ! Pas une autre ! Que ce supplice s’arrête ! Sortons vite ! »
Raphaël se dirige vers ce qui ressemble à un comptoir chiquissime, parle avec la vendeuse qui continue à glousser en lui demandant où livrer l’achat. Il répond qu’on l’emporte et elle l’accompagne dans un autre endroit de la boutique où il sort sa carte bancaire qui brille sous les spots. Moi j’attends dans le fauteuil où je me suis reposée comme si je n’étais pas concernée. Il revient avec un énorme carton magnifique griffé du nom du couturier qui a fait ma robe. C’est la première fois qu’une telle chose m’arrive. Je le garderai ce carton, pour ranger les trucs qui traînent dans mon studio.
Je le regarde avec reconnaissance et émotion ; il vient de me faire un cadeau que je considère royal. Je me sens molle. J’ai peur, ça va trop vite tout ça !
Le Grand Jour arrive. Je vais LA rencontrer. J’ai mal aux pieds dans mes nouvelles chaussures (des escarpins noirs à très hauts talons et à semelles rouges aussi vertigineux que leur prix). Je vérifie le contenu de mon sac, un sac de grand faiseur comme il se doit, mais je ne sais plus lequel, tout y est, mouchoirs jetables, trousse de maquillage pour retouches rapides en cas de larmes. Ma robe me va impec, c’est vrai.
Ah oui, j’ai fait aussi raccourcir mes cheveux, une coupe au carré longueur épaules et frange jusqu’aux sourcils, c’est stylé. J’aime assez. Raphaël arrive. Il m’examine et semble satisfait. « Tu es belle », me murmure-t-il à l’oreille. « Ta frange met tes yeux en valeur ». Mes souffrances ne sont donc pas vaines. Allons-y. Après tout, elle ne va pas me manger. Je m’accroche à son bras. À cause des chaussures. C’est ce que je dis parce qu’en fait je titube de frousse. Et on se dirige vers l’endroit où aura lieu mon examen de passage.
L’immeuble est cossu, haussmannien, rien que la porte d’entrée doit valoir son pesant d’or. Raphaël me regarde du coin de l’œil ; je crois que je vais m’évanouir ; il me rassure « tout va bien se passer, ne t’en fais pas, tu es superbe ». Il sonne en même temps qu’il ouvre la porte avec sa clé. L’appartement est comme je l’imaginais, moulures au plafond, parquet massif à chevrons, des tapis partout, des cheminées en marbre ; je dois reconnaître que, de ce que j’en vois, l’ensemble forme un tout harmonieux, élégant, baigné de lumières douces comme j’aime, les tableaux qui ornent les murs sont superbes et j’aurais bien envie d’aller les voir de plus près, mais Raf me mène jusqu’à une pièce où nous attend Madame Mère. Je défaille, mais le bras de Raf est solide.
Me voilà en face d’elle, car elle m’attend debout. Très grande, mince, les cheveux de neige aux reflets bleus impeccablement coiffés, tailleur-pantalon noir sur un chemisier de soie ivoire, rang de perles, escarpins vernis. La classe. Et un regard laser. Elle me tend la main : « Dominique, je suppose ? Mon fils m’a beaucoup parlé de vous. Venez, installons-nous ici, nous serons mieux ».
« Ici » n’est rien moins qu’un jardin d’hiver foisonnant de plantes et de fleurs. Je suis sous le charme. J’adore les fleurs. « C’est inattendu n’est-ce pas ce jardin en plein Paris ? C’est le privilège des vieilles familles comme la nôtre d’avoir su protéger ce genre d’endroit des promoteurs immobiliers qui l’auraient volontiers rasé pour plus de rentabilité ! » commente-t-elle.
On s’assoit tous les trois autour d’une table de jardin comme il convient dans cet endroit, dans des fauteuils en rotin rendus confortables par des coussins colorés. « Mon fils m’a dit que vous peignez ? Vous avez déjà exposé ? Et en plus vous travaillez dans la musique, je crois ? »
J’acquiesce en opinant de la tête, la gorge coincée. Elle n’a pas utilisé le terme de « vendeuse », c’est signe de grande délicatesse, je trouve.
Je me demande si Raphaël lui a dit que j’étais de la DASS, mais comme elle ne demande pas de nouvelles de ma famille, je suppose que oui. Elle possède un art consommé de la conversation. Nous buvons un thé qui nous est servi par une dame stylée d’un certain âge et qu’elle appelle Marguerite. Raf s’est levé pour l’embrasser quand elle est entrée dans la pièce. « C’est Marguerite qui a pris soin de nos deux fils pendant que je travaillais auprès de mon mari ; leur Nounou en quelque sorte, elle fait partie de la famille maintenant », explique Madame Mère.
Nous parlons de fleurs, l’endroit s’y prête et je lui donne même des conseils pour certaines d’entre elles qui ne me semblent pas en très bonne santé. « Les hydrangeas ont trop de soleil, ils aiment l’ombre, il vaudrait mieux les mettre le long du mur nord », je lui suggère. On se lève pour s’en approcher et elle semble intéressée par ce que je dis. Je lui parle de mon bonsaï, elle rêve d’en avoir aussi. Je la conseillerai. Je lance un regard vers Raf, il est aux anges et gonfle ses lèvres en forme de bisou dans ma direction.
Puis Raf sonne l’heure du départ ; nous nous levons, je vais vers elle et elle m’embrasse sur la joue. Je la remercie de son accueil.
Le sourire qu’elle m’offre alors est bienveillant, mais son regard me scrute encore.
Je me sens libérée d’un énorme poids. Dans l’ascenseur quand Raf me déclare « Eh bien tu vois, ce n’était pas si terrible finalement ! ».
La rencontre avec sa mère m’a impressionnée, au point que j’ai besoin d’avoir une conversation de fond avec lui. Et elle ne tarde pas.
Maintenant Raf, dis-moi franchement, pourquoi tu veux m’épouser ? Tu viens d’une grande famille, tu es riche et moi je n’ai rien, rien du tout, je vais détonner dans ton milieu ! On va me prendre pour une coureuse de dot !
Quelle question ! Pourquoi je veux t’épouser ? Mais parce que je t’aime ! Je veux que tu sois ma femme !
Maintenant, avec ce que je sais de toi, ce n’est plus une raison suffisante. Les princes n’épousent pas les bergères. On n’a pas besoin de se marier, on est très bien comme ça.
Je veux t’épouser. Je veux que tu m’appartiennes. Redis-moi oui s’il te plaît ! On ne va pas recommencer toutes les cinq minutes !
Même si son « je veux que tu m’appartiennes » me dérange, je lui dis « Oui, mais à condition que nous fassions un contrat de mariage, je ne veux pas qu’on puisse dire que je t’épouse pour ton argent. »
Raf éclate de rire pour toute réponse en me serrant très fort dans ses bras où je me perds.
« Je me perds » est exactement ce qu’il convenait d’écrire.
Quelques jours après, tu m’as présentée à ton frère aîné, Maxence et à sa femme Clotilde. C’est dans un café que nous nous sommes donné rendez-vous, c’est moins formel. « Je vous présente Dominique », leur avais-tu dit avec un grand sourire.
Nous voilà assis tous les quatre autour d’une table à ne pas savoir trop quoi nous dire. Son frère Maxence se lance.
Raphaël nous a souvent parlé de vous…
En bien j’espère ? lui réponds-je stupidement.
Bien évidemment et je suis ravi de faire votre connaissance !
Maxence a un ton convaincu, mais bonjour la conversation. C’est Raf qui vient à son secours.
Dominique est férue de musique, elle m’a trouvé des disques incroyables !
Vous êtes musicologue ? demande Maxence.
— Non, vendeuse à la FNAC, j’ai appris sur le tas, lui réponds-je toujours aussi peu inspirée.
Un ange passe.
Vous êtes au rayon de la musique classique ? renchérit Clotilde comme pour me donner du galon.
Pas seulement, il faut toucher un peu à tout à la FNAC, je m’y connais aussi un peu en jazz américain.
Comme c’est intéressant ! Alors j’aurai des tas de conseils à vous demander, semble se réjouir Clotilde.
Quand vous voulez, ce sera avec plaisir.
Un ange repasse.
Clotilde se lance à nouveau :
Vous vous connaissez depuis longtemps ?