Aux délices d'Amsterdam - Intégrale - Emily Chain - E-Book

Aux délices d'Amsterdam - Intégrale E-Book

Emily Chain

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Beschreibung

Ils n'étaient pas faits pour se rencontrer, mais la magie de Noël en a décidé autrement...

Tess et Nolan n'étaient pas faits pour se rencontrer. Elle est une femme d'affaires, fragilisée par son ex, Tomás, qui l'a abandonnée à la veille de leur mariage. Il est confiseur, hanté par la mort de sa fiancée et de sa mère. Deux personnes aux passés tumultueux qui vont se croiser par hasard à Amsterdam à l'approche de Noël. Tout semble les opposer... Et pourtant, les artifices de Noël ne cessent de nous réserver des surprises ! Sauront-ils laisser leurs blessures de côté pour que la magie de Noël puisse opérer ?

Venez découvrir la nouvelle série So Romance sous un Amsterdam enneigé, des confiseries alléchantes... Et des rêves plein la tête.

EXTRAIT

Je reste assis sur le sol, à côté d’elle, un moment. Je la distrais en racontant une des pires chutes que j’ai eue dans ma jeunesse. Une vilaine bosse agrémentée d’une lacération au niveau des côtes. L’anecdote, que je sois tombé trois fois dans les pommes à l’évocation d’une aiguille pour me recoudre les bras, semble beaucoup l’amuser.
Au bout d’un moment, son nez se fronce et elle arrive enfin à articuler une phrase :
— Ça pue… Nous puons, précise-t-elle.
Je renifle et me rends compte de l’odeur ambiante qui nous entoure.
— Vous n’allez pas encore enlever votre t-shirt ? me taquine-t-elle. Je crois que je pourrais comprendre de travers ce genre de coïncidence, rajoute-t-elle dans un demi-sourire.
Je lui souris en faisant semblant de l’enlever. Elle se cache le visage de sa main telle une enfant. Son geste me fait sortir un rire dont je n’avais pas ressenti les effets depuis longtemps.
— Promis, j’arrête de me déshabiller. Mais nous allons tout de même devoir faire quelque chose pour l’odeur, ris-je.
Elle hoche la tête, en accord avec ça. D’une main, elle attrape le montant du canapé pour se relever. Je lui soutiens le dos, prêt à la maintenir au moindre signe de faiblesse.
— Je vais bien, m’assure-t-elle.
Je fais semblant de m’éloigner, toujours un œil sur elle. Elle apprécie ma marque de confiance et se relève en position assise. Toujours le visage pâle, elle attend un instant avant de se redresser complètement et se mettre debout. Les yeux brillants, elle m’observe sans animosité. Presque curieuse de me voir toujours là.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Âgée de 21 ans, Emily Chain écrit depuis toujours et dans des styles diversifiés : des récits fantastiques aux thrillers en passant bien sûr par la romance. Après la série L'Interne, elle revient chez So Romance pour mettre des étoiles dans nos yeux à l'approche de Noël.

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Couverture

Tome 1 : Noël sucré

Chapitre 1 Tess

L’heure de pointe oblige mon chauffeur à s’arrêter pour la dixième fois. L’envie de sauter du taxi pour parcourir les derniers mètres est tentante, mais personne ne fait ça. Surtout pas une prochaine vice-présidente. C’est tout du moins ce que j’espère devenir, dans les minutes qui arrivent. Soixante heures de travail acharné par semaine, qui pourraient se révéler enfin payantes. « Un travail rigoureux apporte toujours satisfaction », comme le dit mon père. Et pour la première fois de ma vie, je me sens en accord avec ses propos.

Sept ans après mon entrée dans l’une des plus grandes firmes des Pays-Bas, nouvellement implantée dans le secteur de la gestion et de l’audit, rechercher des capitaux, négocier, trouver la perle rare pour la faire fructifier, c’est mon domaine. Je ne vis que pour ça depuis toujours.

— Trois minutes, madame, m’informe le conducteur.

J’ai l’habitude de passer par ce service de taxis, mais je ne connais pas personnellement ce chauffeur. Consciencieuse, je note sur mon smartphone qu’il vient de me prévenir poliment de mon arrivée imminente. Les données, un élément fondamental pour le bon fonctionnement de notre société. J’active l’application, restée en sommeil dans un coin de mon téléphone personnel, pour noter mon chauffeur. Les yeux rivés sur les notes, inscrites sur le petit bijou de technologie me servant pour le travail, je tapote un commentaire sur l’autre appareil.

Arrivée en retard sur temps estimé (cause probable : forte circulation). Le chauffeur est agréable, peu causant comme je lui ai demandé. Conduite souple (possibilité de travailler sans être gênée par des coups brusques de freins.) Voiture très bien entretenue. (Bonne odeur sans être entêtante.)

Note globale : 4,5/5.

Une fois ma note écrite, je l’envoie directement à la centrale. Mes doigts verrouillent à peine les deux appareils, quand le chauffeur s’arrête devant un immeuble de plusieurs dizaines d’étages. Je glisse un billet un peu plus élevé que la course dans la main qu’il me tend, sans lui prêter un seul regard. Ce n’est pas être généreuse que de valoriser un travail bien fait. C’est une question de justice.

Avant que le chauffeur tente de me redonner la monnaie, je m’éclipse de l’habitacle. L’air frais d’un début de mois de décembre me provoque de légers frissons que j’ignore, en observant une nouvelle fois l’immense tour de verre qui me fait face. En sept ans, je n’ai jamais eu la moindre sensation de lassitude à l’admirer ainsi. Un géant de verre, solide, représentant l’entreprise prospère où j’ai la chance d’évoluer.

Je m’avance sur l’avancée de galets lisses qui donne un aspect encore plus majestueux au lieu. Mes talons claquent bruyamment sur le sol gris, mais je ne m’en formalise pas. Le brouhaha constant de la ville de Rotterdam annihile ma propre présence. C’est ce que j’aime ici. Me noyer dans cette ville, où commerce et finance marchent main dans la main. Originaire d’Amsterdam, je ne quitterai pour rien au monde cette ville plus dynamique et prospère. Aucun touriste ne vient perturber mes journées et, ici, aucune vue romantique de canaux ne me soulève le cœur.

— Madame Abspoel, me salue chaleureusement l’hôte d’accueil.

Il est récurrent de voir de nouvelles têtes à ce poste. À chaque fois, je m’enquiers du nom et autre menu détail concernant l’employé. Connaître son entourage et être agréable est important quand on travaille autant que moi. Ce bâtiment est devenu un foyer, surtout ces derniers mois…

— Maarten, réponds-je, dans un demi-sourire.

L’appeler par son prénom lui provoque la réaction escomptée. Il baisse les yeux sur son ordinateur, une moue joyeuse sur les lèvres. Je sors mon badge de la poche de mon trench et active le portique de sécurité. Après un scan rapide de ma puce électronique, les portes s’ouvrent pour me laisser accéder aux cages d’ascenseur.

— Tess ! s’exclame Henri Coulier.

J’ai eu l’occasion de travailler à de nombreuses reprises avec ce talentueux financier français. Mais lui comme moi, en travaillant trop, nous avions oublié les limites des collaborations professionnelles. Sortir au restaurant pour parler travail, manger sur le pouce en plein milieu de la nuit, toujours plongés dans des dossiers sans fin et s’endormir l’un contre l’autre d’épuisement. Il avait vu là une marque d’affection de ma part. Tandis que j’avais simplement oublié de baliser notre relation à ce qu’elle était, une simple histoire d’affaires. Par principe, je ne mélangeais pas le travail et les sentiments. Plus depuis que j’avais appris que l’amour n’est qu’une arme dans ce milieu.

— Henri, quel plaisir ! lancé-je sans plus de cérémonie.

Mon ton n’est pas joyeux. Froid et professionnel.

Une grande blonde, légèrement en retrait fronce les sourcils, en le voyant me serrer dans ses bras, dans une étreinte un peu trop prononcée à mon goût.

Intriguée, je force mon collègue à nous présenter.

— Tu es en charmante compagnie aujourd’hui, fais-je remarquer en ne quittant pas des yeux cette inconnue.

Avant même qu’il puisse esquisser une réponse, cette dernière s’avance vers moi la main tendue.

— Eugénie Mansfield.

Aucun accent ne suinte dans sa présentation, ce qui ne me permet pas de savoir d’où elle vient.

— Tess…

— Je sais qui vous êtes, me coupe-t-elle avant de se détourner de moi pour rentrer dans l’ascenseur qui vient d’ouvrir ses portes.

La main d’Henri se pose contre mes hanches pour m’inciter à monter à la suite de l’inconnue. Son contact me hérisse le poil avant que je l’entende chuchoter :

— Pose pas de questions et monte.

Vexée d’être reléguée de la sorte, je m’apprête à lui répondre quand le nom de Mansfield me revient en mémoire. Il appartient à l’un de nos nouveaux actionnaires. Et si j’en crois Katlheen, ma secrétaire, cette famille n’est pas que fortunée.

Rouge de honte de ne pas avoir fait le lien immédiatement, je monte dans l’ascenseur en évitant le regard de cette blonde, à qui mon avenir dans cette entreprise appartient. Henri me suit de près, toujours trop proche de mon corps.

— Vous êtes ensemble, nous interroge-t-elle, tandis que l’ascenseur monte les premiers étages.

Hébétée, j’observe Henri et cette femme à tour de rôle. Ma première pensée est : en quoi cela vous regarde ? La deuxième : bien sûr que non, vous rigolez ? Ni l’une ni l’autre ne franchit mes lèvres avant que la réponse fuse de la part de mon collègue.

— Jamais mélanger travail et sentiment, Eugénie, voyons. Nous ne sommes pas des bleus. Encore moins Tess.

Le voir me défendre me touche. Notre dernière conversation remonte à plusieurs mois, tandis qu’il voulait qu’on démarre quelque chose en dehors de ces murs. Ma réponse froide et sèche à cette époque ne reflète en rien sa réponse d’aujourd’hui.

— Tant mieux, sinon ce qui suit aurait été compromis, déclare-t-elle, un sourire satisfait sur le visage.

Je n’ai jamais été très patiente en temps normal. C’est ce qui me pousse à l’excellence dans mon métier. Je déniche des pépites avec un large potentiel, je fais pression sur le propriétaire qui cède rapidement, avant même de se rendre compte de la vraie valeur de ce qu’il possède. Simple comme bonjour. Mais attendre de savoir les plans d’une blonde inconnue, ayant le pouvoir de me virer sur-le-champ, m’angoisse plus que de raison.

Le reste du trajet en ascenseur est pesant. Henri semble tout aussi tendu que moi, pendant qu’Eugénie tapote tranquillement sur son téléphone portable d’un air distrait. Le mien vibre plusieurs fois, mais je n’y accorde pas d’intérêt, trop tendue pour répondre à qui que ce soit.

— Après vous, nous invite Henri élégamment, en se plaquant contre la paroi de l’ascenseur pour nous laisser passer devant lui.

Si la situation avait été autre, j’aurais cru qu’il tentait un jeu de séduction avec cette blonde. À cet instant, j’aurais pu moi-même séduire cette femme, si cela pouvait m’assurer une place. Sauf que nous étions bien trop tendus pour faire quoi que ce soit.

« Tant mieux, sinon ce qui suit aurait été compromis. » La phrase tourne en boucle dans mon esprit. Qu’est-ce qui allait suivre ? Qu’aurait-on pu compromettre ? Je m’interroge encore quand le costume bleu cobalt de Bill Maas, mon chef et ami, se dégage d’une troupe d’hommes et de femmes sur leur trente-et-un. Mon tailleur simple, enfilé le matin sans autre cérémonie, me met mal à l’aise. Lors de mes jours de bureau où aucun rendez-vous n’est programmé, je ne prends pas la peine de me maquiller et mes cheveux ne sont retenus que par un simple élastique dans une queue de cheval plutôt décontractée. Mon entretien de ce matin ne devait être qu’en présence de Bill et au pire d’un ou deux de la comptabilité et des ressources humaines, rien avoir avec les pointures qui se présentent devant moi. Le premier à s’avancer est un homme au visage charmant, d’une cinquantaine d’années, les cheveux gris coupés très courts. Son costume fumé est en accord parfait avec ce qu’il dégage. Le seul point de couleur est dans ses yeux, d’un bleu céruléen.

— Jack Rius, représentant d’Altorium.

Son sourire communicateur n’arrive pas à me faire oublier qui il est. Le nom d’un des groupes majoritaires de notre entreprise augmente mon palpitant, tandis qu’une femme au tailleur vert amande, d’une quarantaine d’années vient prendre sa place.

— Eléonor Merber, RDH, se présente-t-elle dans un grand sourire. Responsable Développement Holding, rajoute-t-elle dans un murmure face à mon manque de réaction.

Je hoche la tête, sans penser à me présenter personnellement. Une chose me dit qu’ils savent tous parfaitement qui je suis.

— Nick J. Niels, ravi de vous rencontrer enfin, déclare l’un des plus jeunes de l’assemblée avant de prendre ma main pour y déposer un baiser.

Mes joues s’embrasent au moment où je tente de récupérer ma main. Le contact de ses lèvres chaudes sur ma peau me ramène des mois en arrière. Je secoue la tête pour chasser ces pensées et écouter les présentations des autres personnes présentes.

— Nous allons prendre place en salle de réunion, si vous le voulez bien.

La voix de Bill, emprunte d’une autorité naturelle, pousse tout le monde à l’intérieur de l’immense salle aux baies vitrées. J’ai toujours aimé cette pièce lors de nos réunions d’affaires ou de nos audits poussés jusqu’à très tard le soir. Mais aujourd’hui, elle me paraît menaçante.

Les actionnaires prennent place à l’autre bout de la table. À leur manière de faire, ils ont déjà eu une réunion avant celle-ci et ne semblent pas réfléchir à leur place. Plusieurs classeurs déjà éparpillés devant eux me donnent raison.

Henri s’assied à la droite de Bill, tandis que j’opte pour la chaise à sa gauche, quand Eugénie Mansfield pose sa main sur le dos de cette dernière.

— Ne vous asseyez pas, m’intime-t-elle, en s’installant aux côtés de mon patron.

Un peu perdue, je me retrouve debout, seule, pendant que le regard des actionnaires se pose un à un sur moi. Mal à l’aise, je me recule un peu de la table pour reprendre une contenance. Vais-je être virée ? Dans mes pires cauchemars, cela commençait plus ou moins comme ceci.

Je m’apprête à prendre la parole quand la porte de la salle s’ouvre sur mon assistante. Un bref soulagement apparaît sur mes traits, avant de voir qu’elle évite mon regard. Est-elle au courant de mon licenciement ? Une pointe de tristesse me gèle la poitrine. Kathleen fait partie des meilleures assistantes que j’ai pu avoir, nous étions assez proches pour nous sentir concernées quand l’une de nous deux avait un problème. C’est, tout du moins, ce que j’avais cru jusqu’ici.

— Voici les affaires de madame Abspoel, déclare-t-elle en posant un carton sur la petite table.

Des larmes remontent jusqu’à mes yeux sans que je puisse les contrôler. Ma mâchoire se sert pour m’empêcher de craquer devant cette assemblée. Mon assistante sort sans un mot ni un regard pour moi.

— Bon, si nous commencions tout de suite par le sujet qui nous intéresse tous.

J’arrête de respirer quand les actionnaires me lancent des sourires que j’interprète comme sadiques. L’homme nommé Nick J. Niels se redresse. Il racle sa gorge de manière théâtrale et plante son regard dans le mien. Je ne me démonte pas, trop fière pour les laisser me ridiculiser.

— Madame Abspoel, Tess, n’est-ce pas ? commence-t-il en faisant mine d’observer le dossier qui est devant lui.

À sa manière de se tenir, je sais qu’il connaît précisément chaque détail de mon cas. Son dossier ne lui sert que dans son rôle.

— Madame Abspoel, lui réponds-je sans émotion.

Ma réponse lui tire un sourire amusé. Ses doigts glissent sur le premier papier de la liste. Malgré moi, j’ai envie de savoir ce qu’il y a d’inscrit. Peut-être n’est-ce que son reçu de petit-déjeuner ou sa liste de courses. Ou, cela retrace des erreurs commises par moi ces dernières années et qui les autorisent à me licencier sans sommation. Selon moi, je suis l’une des négociatrices les plus prolifiques de l’entreprise, mais on peut toujours se planter.

— Vous avez un parcours atypique, continue-t-il en ne relevant que rarement les yeux vers moi.

Je déglutis. Mon curriculum est sans bavure, sauf une tache indélébile, deux ans auparavant. L’erreur de ma carrière. Celle qui m’a obligée à travailler dix fois plus pour être au même niveau que les autres. Une faiblesse. Un fourvoiement qui se nomme l’amour.

— Cependant, votre parcours est impressionnant. Surtout depuis onze mois. Quel travail !

Il paraît presque impressionné. Il est bon dans ce qu’il fait, c’est indéniable. Je commence à me détendre alors qu’il ne fait que débiter son rôle.

— Mais êtes-vous un bon élément ? Votre environnement peut-il exploiter complètement vos capacités ?

Il laisse sa question en suspens et j’hésite à répondre. Au moment où mes lèvres sèches se séparent pour lui apporter un semblant de réponse, il reprend :

— Je n’en suis pas sûr. C’est un euphémisme d’ailleurs, puisque nous sommes tous persuadés que vous n’êtes pas à votre place ici.

Voilà, il l’a dit. Je n’ai plus rien à faire ici. Je suis virée. Au bout de sept longues années acharnées, des mois à me reconstruire grâce à ce travail, on me jette sans plus de cérémonie.

Dans ce genre de situation, il y a ceux qui hurlent, qui pleurent ou qui courent. Moi, je suis l’autre pourcentage, celui qui sort des codes. Au lieu de m’écrouler, je monte un peu plus.

— Effectivement. Je ne suis pas à ma place ici. Mon talent pour dénicher les jeunes entreprises florissantes est indéniable. Vous le trouverez au niveau de votre page trois, entre les recettes de cuisine et votre bilan comptable. Je ne suis pas une novice. Quand je veux quelque chose, je l’obtiens. Ici, à Rotterdam, il n’y a plus rien à remporter. La magie de la nouveauté ne se trouve pas ici et…

— Justement, me coupe Eugénie en se levant. Vous n’avez plus rien à faire à Rotterdam.

Me virer passe encore, me chasser d’une ville par contre… Je m’apprête à rétorquer une petite insulte de ma collection, quand Bill se lève à son tour.

— Assez fait durer le suspense, mes amis ! s’exclame-t-il, un sourire sur les lèvres.

Il contourne la table pour se rapprocher de moi. La situation est irréelle. Son regard bienveillant et son sourire amical ne collent pas avec mon licenciement. Je sens un étourdissement pointer le bout de son nez, quand il me prend dans ses bras.

— Vous devenez la nouvelle vice-présidente de Maas & Abspoel Holding, basé à Amsterdam.

Sa voix me paraît lointaine. Un voile de douceur m’englobe, tandis que je m’éloigne petit à petit des visages flous qui se penchent au-dessus de moi.

Chapitre 2 Nolan

Le bruit de la minuterie du four me tire de mes pensées. Je secoue la tête un peu perplexe sur l’heure. Pour un dernier jour, je ne suis pas très présent… Lucas s’avance vers moi d’un air enjoué. Ce côté français rieur me manquera, il faut bien l’avouer. Ses boucles brunes indomptables qui sortent de sa charlotte et ses blagues foireuses dès le début de notre service.

— Tu rêves, Nolan ? me lance-t-il en prenant deux énormes tablettes de chocolat noir sur le comptoir.

Lucas est un as des préparations à base de chocolat. Si son père n’était pas l’un des plus grands chocolatiers de Paris, je lui aurais demandé de partir avec moi. Sauf qu’il a déjà à l’esprit de reprendre l’entreprise familiale après son père. Il lui faut juste endurer encore quelques années les ordres d’hommes tels qu’Alexandrov Mickael. Un des grands noms dans notre métier, implacable et extraordinaire.

En trois ans ici, j’ai tellement appris sur les différentes techniques de glaçage, cuisson, ganache… La liste est longue et les remerciements absents. Depuis qu’Alexandrov a connaissance de mon départ, il m’évite. Tout le monde ici n’est que de passage pour revenir dans son pays d’origine. Néanmoins, cet homme accepte difficilement qu’on le quitte.

— Prêt à t’enfuir ? me chuchote Lucas, comme s’il lisait dans mes pensées.

Son accent donne à son anglais une touche plus chaleureuse, que toutes les femmes de Varsovie semblent apprécier.

— Oui. Le pays me manque…

La lueur qui passe dans les yeux de mon collègue me fait comprendre qu’il ressent la même chose. Il secoue les tablettes devant lui pour expliquer sa fuite, même si je sais qu’il évite simplement cette conversation depuis des semaines.

Se faire des amis dans le milieu de la pâtisserie-confiserie n’est pas évident. Voire impossible en temps normal. Sauf pour Lucas et moi. Nous étions devenus comme des frères l’un pour l’autre. Moi, l’orphelin sans famille, lui, le fils unique d’un homme trop occupé à réussir pour être un bon père.

Trois jours après son arrivée à Varsovie, nous étions déjà en train de nous épancher sur nos vies, une bière polonaise entre les doigts.

— Pas de vodka, s’étonna la serveuse dans un anglais approximatif.

— Non, levure, c’est bon.

L’anglais très scolaire de Lucas avait fini de sceller notre amitié.

Maintenant que je repars aux Pays-Bas, l’idée de ne plus avoir les soirées picole et l’humour incompréhensible de mon ami me pèse. Si mon rêve ne m’attendait pas là-bas, j’aurais peut-être demandé à Mickael de rester encore quelques mois… Sauf qu’ici, je ne fais pas entièrement ce que j’aime. Malgré mon admiration pour le travail de Lucas, le chocolat n’est pas mon sujet de prédilection. Seul le sucre et ce qu’il regorge me permettent de briller.

Je m’active sur ma dernière fournée quand la voix de Mélodie se fait entendre dans la boutique accolée à la cuisine.

— Dites-moi qu’il est encore là, pleurniche-t-elle.

— Il est déjà parti depuis une semaine, lui rabâche Martha, de la même voix lassée que les autres jours.

Lucas apparaît à ce moment-là en montrant le chiffre six de ses doigts.

— Elle a le record, elle, je crois ? s’amuse-t-il en tentant de se remémorer les dernières filles ayant cherché à le revoir après une nuit de folie passée dans son lit.

Je secoue la tête, sans faire de commentaire. Je n’ai pas grand-chose à lui dire, l’amour et moi, cela ne fait pas bon ménage. Les deux seules femmes que j’ai aimées m’ont été arrachées le même jour. Le souvenir du doux visage de ma mère me compresse l’estomac, avant que celui de ma première copine, Ellie, ne finisse de m’achever.

Des larmes invisibles coulent sur mes joues, tandis que la blessure se rouvre. Le rire de Lucas annihile légèrement cette sensation oppressante que leur souvenir me procure, mais pas assez pour les oublier.

— Je leur enverrai peut-être un faire-part de mariage, tu ne crois pas ?

C’est ce qu’il y a de tordu chez Lucas. Il connaît déjà la femme de sa vie. Une adorable Parisienne de bonne famille, éperdument amoureuse de lui depuis le primaire. Un amour sans accroc… Si on ne compte pas les dizaines de femmes qui passent dans le lit de mon ami, ici, en Pologne.

— Si tu veux éviter qu’elles parlent à ta Chloé le jour du mariage, évite, répliqué-je en m’appliquant à verser la ganache au miel sur les derniers gâteaux prêts à se retrouver dans la vitrine.

Le visage de mon ami s’assombrit quand la voix de Mélodie arrive jusqu’à nous.

— Il s’en mordra les doigts quand je m’amuserai de mon côté, lâche-t-elle, acide.

Voyant que quelque chose préoccupe mon ami, je termine rapidement la pose de la ganache avant de me retourner vers lui. Les bras croisés sur la poitrine, il semble réfléchir.

— Que se passe-t-il ? demandé-je.

— Si elle faisait comme moi ? Elle a peut-être rencontré quelqu’un d’autre… Et elle ne m’aime plus !

Honnêtement, je n’ai pas attendu cette conversation pour y penser de mon côté. Il paraît évident que cette Chloé se rend compte des agissements de son futur époux et la moindre des choses est de lui renvoyer l’ascenseur. Néanmoins, les femmes ne pensent pas comme les hommes.

— Elle t’aime, arrête de t’inquiéter. Pense à son anniversaire, sa fête, la Noël, le Nouvel An et la Saint-Valentin… Le reste attendra ton retour.

Je ne pense pas vraiment chacun de mes mots, mais après avoir tenté inexorablement d’arrêter ses agissements avec toute la jeune population de Varsovie, je tente une autre méthode.

Il me regarde d’un air pensif, avant de m’adresser un beau sourire niais.

— Je ne sais pas pourquoi t’entendre dire des choses pareilles me rassure, tu n’y connais rien à l’amour, toi. Mais bon… Je suppose que c’est pour ça que tu vas me manquer, soupire-t-il en enlevant son tablier. Allez, dernière tournée de bars, en souvenir des derniers mois !

Il ne sait pas pour Ellie. Comme personne. Mes blessures sont enterrées depuis bien longtemps sans possibilité de remonter complètement à la surface, juste assez pour me faire souffrir.

L’horloge indique 18 heures, la débauche. Aujourd’hui, elle paraît avoir un autre goût, plus amer. Une pointe de peur s’immisce aussi. Martha vient me retrouver dans les vestiaires, les yeux gonflés.

— Tu vas me manquer, mon petit, toi et ton talent, c’est certain. Que vais-je dire à la mère Strauss ? Et aux autres ?

Je lui souris, reconnaissant pour ces derniers mois en sa compagnie. C’est elle qui a insisté pour que je crée mes propres confiseries et le succès qu’elles engrangent augmente considérablement le chiffre d’affaires de la boutique. Même Mickael a dû se rendre à l’évidence que sa femme avait eu une bonne idée en m’offrant ma chance.

— Dommage que tu ne sois pas là pour pierwszy dzień Bożego Narodzenia… soupire-t-elle.

Les fêtes de Noël… Des semaines que j’entends ça. Comme si le monde s’arrêtait à cette période, pour entamer quelque chose de plus… Peut-être suis-je seul, c’est pour ça que je n’ai plus cet enthousiasme débordant pour cette partie de l’année. Mais revenir à Amsterdam changera ça, j’en suis persuadé.

— Noël avec le talent de Lucas pour les chocolats… Tu n’as aucune raison de t’en faire Martha ! la rassuré-je en la serrant une dernière fois dans mes bras.

L’odeur sucrée qui se dégage de ses cheveux me pince le cœur d’une pointe de nostalgie. En la côtoyant chaque jour, je me suis habitué à sa présence. Je retrouve un peu de ma mère en elle. Un bonbon rempli de douceur.

Partir et laisser derrière moi des personnes que j’ai appris à aimer offre un air de déjà-vu.

Le billet d’avion dans la main, appuyé contre l’un des immenses poteaux du hall de l’aéroport, je me revois partir d’Amsterdam, des années auparavant. Meurtri, seul et résigné. Aucun avenir, aucun souhait, si ce n’est oublier.

Vol en direction d’Amsterdam, porte d’embarquement numéro 4

La voix de l’hôtesse invisible indique la porte la plus proche d’où je me trouve. La compagnie, Lot Polish Airlines, s’affiche à côté des détails du vol. 2h10 de vol m’attendent avant de poser le pied chez moi.

Des années que je n’y suis pas retourné et pourtant, dès mon arrivée, les choses sérieuses commenceront. Le notaire a déjà tout prévu. Il ne manque plus que ma présence dans cette ville magique.

Cinq minutes avant 20h, l’avion décolle de Varsovie. La lumière de la ville polonaise m’offre un dernier regard sur les mois passés ici, avant de m’enfoncer entre les nuages.

J’ai à peine le temps de poser ma tête sur le côté qu’une hôtesse m’interroge sur ce que je souhaite prendre. Ayant perdu mes habitudes néerlandaises, je lui réponds dans un anglais impeccable, qui l’induit en erreur sur ma nationalité. S’ensuit une liste des mets typiques de chez nous que je me dois, selon elle, de goûter en atterrissant.

Elle s’éloigne de moi après un moment sans que j’aie pu la contredire. Cette parenthèse ne m’octroie qu’une légère sieste avant que l’avion n’entame sa descente. Les yeux gonflés par le demi-sommeil et une humeur moins joyeuse que je ne l’aurais souhaité pour un retour au bercail, je franchis les dernières marches de la passerelle.

Chapitre 3 Tess

L’air frais de la cabine, venant d’un système de climatisation inutile pour un mois de décembre, m’offre des frissons désagréables. Heureuse de porter un des derniers pulls en cachemire de la dernière collection de Marc Jacobs, je me glisse dans les rainures du siège pour éviter d’attraper froid en vol. Mon expression fermée montre à l’équipage que je ne souhaite en aucun cas être dérangée durant ce court vol transitoire.

De Rotterdam à Amsterdam, je n’ai pas le temps de penser à autre chose que les dernières heures écoulées qui me paraissent surréalistes. Par réflexe, je tapote nerveusement mon téléphone, sans pouvoir en enlever le mode avion, surveillée par une hôtesse au chignon noir impeccable. L’envie de lire les dizaines de félicitations sûrement reçues, par mes collègues et clients, me donne, un instant, un air béat.

Cette sensation de félicité ne dure qu’un instant, avant que je prenne conscience de ce qui m’attend. Avoir presque un mois de vacances devant moi m’effraie. Un repos forcé comme a voulu me l’expliquer Bill. Ma perte de connaissance n’ayant que renforcé l’impression d’urgence de cette pause. Me reposer, le seul moyen de donner le meilleur de moi-même à l’ouverture de ma propre filiale, selon lui.

Mon nom associé à celui d’un des plus grands négociateurs du pays. Cette idée a beau me réjouir, je m’interroge sur ce que je vais bien pouvoir faire durant un si long mois. L’idée de rester à Rotterdam pour cette pause forcée s’est logée dans mon esprit dans un premier temps. Avant qu’une culpabilité inconnue m’oblige à prendre un vol pour Amsterdam, ville de mon enfance, où mes parents tiennent un charmant Bed and breakfast, au cœur de la ville. Un lieu accueillant que je ne m’autorise à visiter qu’une fois l’an, pour les fêtes de fin d’année.

Noël n’est que dans quelques semaines, je prévois donc de faire un court séjour avant les fêtes et ne pas y retourner, prétextant un travail urgent, chez moi. Katlheen trouvera une charmante destination pour que je puisse passer les fêtes, au soleil, dans une détente totale. C’est ce que Bill souhaite pour moi et je ne suis pas totalement contre l’idée, après quelques heures de réflexion. Les derniers chiffres de mon secteur prouvent que je ne me suis pas reposée depuis un siècle. Il est temps d’accepter de souffler sans avoir peur de sombrer.

Je suis bien plus forte maintenant, qu’il y a vingt-quatre mois.

Une brise glaciale vient me frotter le nez, quand la voix d’une hôtesse nous prévient de l’arrivée imminente, à destination de l’aéroport d’Amsterdam. Sa manière de traduire sa phrase en trois langues me fait oublier la tranquillité de Rotterdam. Ici, les touristes grouillent en tous sens. Un simple bâtiment municipal devient l’attraction de la journée. Des familles entières posant devant, sans comprendre les indications en fer forgé sur la porte.

Lorsqu’elle entame sa traduction française, elle accroche sur le dernier mot. Elle s’excuse rapidement, en s’y reprenant une nouvelle fois. Les touristes francophones saluent son effort, d’une salve d’applaudissements. Je ne peux m’empêcher de lever les yeux au ciel. Féliciter un travail bien fait, oui. Féliciter une erreur, non. Même reprise. Dans la négociation, l’erreur est impardonnable. Un mot dit de travers et les relations se ternissent, pouvant jusqu’à faire louper un gros contrat.

Un enfant se chamaille avec son frère au moment où l’indicateur pour le port de la ceinture s’enclenche. Je soupire, persuadée que prendre un vol après 20 heures m’aurait épargné ce genre de désagrément. Un homme, en costume gris sombre, semble penser la même chose que moi, quand il lance un regard noir aux deux gamins. Le silence revient dans l’avion, entamant une descente presque agréable.

L’arrivée sur le sol amstellodamois ne m’enchante guère plus. Une fine pluie accompagne mes premiers pas sur ma terre natale, depuis des mois. L’air bougon, que j’ai depuis ma montée dans l’avion, ne s’atténue pas au moment de commander un taxi, via l’application de mon téléphone. La batterie clignote dangereusement, jusqu’à s’éteindre, m’obligeant à chercher une prise électrique dans le hall des arrivées. Après une recherche dénuée de patience, je m’approche d’un des points d’informations, pour demander où je pourrais trouver une prise pour mon chargeur de téléphone. Une hôtesse, charmante, mais incompétente, me demande d’attendre.

Impatiente, je tapote le comptoir, tandis qu’une de ses supérieures vient me renseigner :

— Il n’y a aucune prise disponible actuellement dans cette aile, pour cause de travaux. Vous en trouverez de l’autre côté, au niveau du hall des arrivées étrangères.

Sa réponse professionnelle, complète et rapide me convient parfaitement. Je lui glisse un sourire, agrémenté d’un remerciement pour son service et m’éloigne dans la direction indiquée.

Le plus souvent, mon voyage annuel se fait en train. Quelques fois en voiture, lorsque je n’y allais pas seule. Une époque révolue, depuis des mois. L’aéroport ne m’est donc aucunement familier. Lentement, j’observe les pancartes de direction pour ne pas me tromper de hall.

Un panneau « Hall d’arrivées - Vols extérieurs » m’indique l’endroit à suivre. Ma petite valisette, ne contenant que le minimum pour survivre ici quelques jours, roule derrière moi. Ne prendre que l’essentiel est une autre technique pour m’aider à quitter le cocon familial plus rapidement. Ma mère, une sublime blonde de soixante-six ans, est l’opposée de moi. Et quand il est question de famille et de fêtes de Noël, il n’est pas simple d’y échapper sans avoir prévu une ribambelle de stratagèmes futés.

— Regarde le panneau, papa, le Polish Airlines a atterri, s’exclame une jeune femme en sautillant d’impatience.

À voir le bambin qu’elle tient dans les bras, habillé d’un body « PAPA EST LÀ », l’heureux père semble être très attendu. Insensible aux retrouvailles potentielles d’une inconnue et de son amoureux, je me détourne des portes menant au tarmac, pour trouver la fameuse prise m’assurant une communication avec l’extérieur.

Un homme est affalé sur l’un des canapés, où se trouve en dessous une rangée de plusieurs prises. Sans un bruit, j’enclenche mon embout dans la première et m’éloigne, autant que mon fil de chargeur me le permet, de cet inconnu au sommeil lourd.

Ma jambe tremble d’impatience, pendant que le logo de la marque de mon bijou de technologie apparaît, pour me signifier qu’il se rallume. Mes yeux se perdent sur la foule qui sort de plusieurs portes de débarquement. Des familles s’enlacent, des couples s’embrassent et une personne, par-ci par-là, s’éloigne seule à la recherche comme moi, d’un moyen de locomotion rapide.

La dernière fois que je suis venue dans un hall d’aéroport, ma vie était en lambeaux. Mon cœur saignait abondamment sous le coup d’une trahison inattendue. Ma fierté volait en éclats à chaque message révolté de mes clients. Mon carnet d’adresses s’était égrené aussi vite que la vie que j’avais construite avec l’homme que je prenais pour celui d’une vie.

Ce souvenir imprimé en moi s’éloigne de mon esprit quand un bruit familier attire mon œil vers l’écran de mon smartphone. Après avoir composé mon code de sécurité, fameux sésame, il s’ouvre sur une dizaine de mails et textos récents.

Le mode avion n’a, semble-t-il, pas été apprécié de tous.

Je les ignore pour lancer mon application pour trouver rapidement un chauffeur. Hésitante, je consulte rapidement la liste de mes appels manqués, avant d’enregistrer l’adresse de destination. J’ai appelé Aurore, mon amie d’enfance, ce matin pour lui demander de m’héberger une nuit. Le temps que je trouve une stratégie de planning, face aux questions incessantes de ma mère, qui débuteront au moment où je franchirai les portes de leur maison d’hôtes.

Au téléphone, l’idée ne la dérangeait pas et elle a accepté avec plaisir. Mais son mari ne me porte pas réellement dans son cœur, depuis mon dernier passage à Amsterdam. Un dîner de préparation que je ne suis pas prête d’oublier. Personne, présent ce soir-là, n’en est capable malheureusement.

Soulagée de voir qu’elle n’a apparemment pas changé d’avis en m’appelant en catastrophe pour annuler, à renfort d’excuses béton, je valide la réponse rapide d’un chauffeur. Son temps d’arrivée est de moins de cinq minutes, ce qui me donne peu de temps pour sortir de ce hall et atteindre les parkings extérieurs. Sans perdre une seconde, je débranche mon câble et fourre le téléphone avec le fil encore connecté dans mon sac à main, posé sur ma petite valise.

Les chaussures à talons, que j’ai la mauvaise idée de porter, claquent sur le sol immaculé de l’aéroport. Me mélangeant au brouhaha ambiant, comme à la foule compacte devant les portes de l’aéroport, je me faufile tant bien que mal vers l’extérieur. L’air frais me happe instantanément. Le pull que je porte suffit à peine à ne pas me faire grelotter. Je regrette de n’avoir pas emporté avec moi une de ses adorables parkas, offertes par Kathleen à chaque début d’hiver.

Une pointe de nostalgie s’empare de moi, en imaginant le visage de mon assistante qui m’ignorait lors de la réunion pour ne pas fondre en larmes. Apprendre que je change de poste ne veut dire qu’une chose pour elle : notre collaboration s’arrête ici. Même si l’envie de lui proposer de me suivre à Amsterdam est tentante, je ne peux pas lui faire ça. Sachant pertinemment que son petit copain Justin, dont elle est éperdument amoureuse, vient à peine d’ouvrir son restaurant en plein centre de Rotterdam. Un projet fou et ambitieux, qu’elle soutient à cent pour cent. Retrouver une assistante compétente ne sera pas simple, mais Bill me laisse le temps de m’organiser à ma guise. Il m’a assuré que Kathleen pourrait continuer un temps à travailler à distance pour moi, histoire de trouver une ou un remplaçant de son niveau.

Je ressasse la logistique qui m’attend pour le mois à venir, quand une voiture, noire et rutilante, s’arrête à ma hauteur. À regarder les plaques du véhicule, elles correspondent à celles indiquées sur l’application. Mon chauffeur de la soirée sort du véhicule en me demandant si j’ai besoin d’aide pour ma valise. Un geste prévenant et tout de même vexant quant à la taille de cette dernière. Se rendant compte de sa demande maladroite, il m’adresse un large sourire qui me suffit à oublier sa proposition. Je m’installe à l’arrière avec ma valise, d’une taille ridicule comparée aux autres, trônant sur le bord du trottoir avec leurs propriétaires frigorifiés et impatients d’obtenir une voiture.

Le chauffeur rentre aussi et démarre sans perdre de temps. Le GPS sur son téléphone indique l’adresse d’Aurore, une charmante maisonnette à trois kilomètres du centre-ville. Excentrée et parfaite pour élever une ribambelle d’enfants, aux visages angéliques et aux QI surdéveloppés. Une vision casanière et élitiste, correspondant parfaitement à mon amie d’enfance et son compagnon, neurochirurgien et professeur d’université. « Aider l’évolution des générations futures est un privilège indescriptible », m’avait-il dit lorsque je lui avais fait remarquer que c’était rare de voir un neurochirurgien préférer faire des heures supplémentaires en amphithéâtre plutôt que rentrer chez lui, auprès de sa compagne.

Aurore avait coupé court à la conversation, connaissant nos deux caractères conflictuels. C’est en priant pour que son cher et tendre Frederek ne soit pas chez eux, durant mon très court séjour dans leur maison, que le chauffeur arrête sa voiture devant une jolie maison à la façade rouge brique.

— Vous voici arrivée, déclare-t-il en déclenchant son application.

Je lui souris, peu pressée de sortir sur le trottoir. Sans vouloir me jeter dehors, il tâtonne son volant en me fixant dans le rétroviseur. Je soupire en enclenchant la poignée de la portière. Le courant d’air glacial qui s’immisce dans l’habitacle me pousse à me dépêcher. Mes bottines à talons hauts heurtent le bord du trottoir quand je fais passer la valise sur mes genoux. Je la dépose sur le béton avant de me hisser hors du siège.

Mes mollets touchent un instant le bord glacé de la carlingue de véhicule, me provoquant des frissons jusque dans le dos.

Frigorifiée et seule, je regarde la voiture s’éloigner. Un bip de notification me fait baisser les yeux sur mon smartphone, toujours dans ma main.

Notez votre course

Pour la première fois, je repousse l’évaluation pour me retourner vers la maison qui me fait face. Prenant mon courage à deux mains, je m’avance dans la cour dallée avec goût. Typiquement, la maison parfaite pour une famille sortie d’un conte de Noël.

Une lumière rouge attire mon attention au-dessus de la porte d’entrée en bois exotique. Le visage joufflu d’un père Noël en plastique m’observe, un sourire niais collé sur les lèvres, sa petite main mécanique bougeant au rythme de la brise fraîche venant du Nord.

Mes cheveux attachés en un chignon lâche s’échappent de l’élastique pour venir se loger sur mon visage. D’une main, je les coince à l’arrière d’une oreille. J’ignore les ronds de houx sur la porte quand j’appuie sur le carillon électronique installé sur le côté. Je ne m’extasie pas face à la beauté de l’homme qui m’ouvre. Cachant tant bien que mal ma déception, je le salue d’un signe de tête sobre. Il me le renvoie, avant de reculer pour me laisser entrer. Je le remercie entre mes dents serrées et m’avance vers le salon de mon amie.

Le hall crème détonne avec les couleurs parme et verte qui décorent la pièce principale. Un immense sapin trône en son centre, brillant de boules pailletées. Aurore m’accueille avec un large sourire, laissant le magazine féminin qu’elle dévorait assidûment sur la table basse en chêne blanc. À l’opposé de son compagnon, elle paraît heureuse de me voir.

— Ma chérie, s’exclame-t-elle en me prenant dans les bras. Quel bonheur de te voir ici !

Ignorant le lever de sourcils de son cher et tendre, elle m’invite à m’asseoir sur l’immense canapé blanc qui domine la pièce. Sa décoration, chic et travaillée, me fait retourner à une enfance depuis longtemps révolue. Aux odeurs de pains d’épices dans la maison de mes parents, décorée par ma sœur et moi. Mes yeux brillants de nostalgie sur ces instants d’innocence, je remercie mon amie de m’héberger une nuit.

— Tu rigoles, j’espère ? J’aimerais tellement que tu restes plus, n’est-ce pas, Fred’ ?

Elle interpelle son homme, le visage rayonnant. Il bougonne une réponse avant de s’éloigner. La mauvaise humeur de son compagnon ne semble pas pouvoir altérer la sienne. Elle sautille sur le canapé, impatiente de me raconter les derniers détails de sa vie. Sa main virevolte à droite et à gauche de mon visage, avant que je ne comprenne la signification de cette explosion de joie. Un diamant, aussi gros que mon pouce, trône sur l’annulaire de sa main gauche. Sa bague de fiançailles scintille autant que les boules de son sapin de Noël.

— Je vais devenir Madame DE KUYPER, déclare-t-elle.

Je lui lance un vague sourire, un peu déstabilisée d’apprendre la nouvelle de cette manière. Le mariage est la dernière conversation que j’ai envie d’avoir en ce moment. Mon retour à Amsterdam est suffisamment éprouvant comme ça.

— Quand ? soufflé-je.

Elle se gratte la tête, mal à l’aise. À l’évidence, ce geste lui est familier dernièrement, au vu de l’énorme plaque rouge qui se dessine au bord de son cuir chevelu.

— Nous allons faire un mariage, simple et rapide, me dit-elle.

Je hausse les sourcils, n’ayant pas l’habitude de voir mon amie faire les choses discrètement et bâclées. Depuis toujours, elle organise sa vie comme une horloge. Même sa rencontre avec Frederek était préméditée...

— Il viendra avec son frère, Tess. Tu l’occuperas quelques minutes le temps qu’on fasse connaissance et qu’il tombe amoureux de moi, m’avait-elle briefée avant notre arrivée à la soirée étudiante, marquant le début de leur relation.

Pas une seconde, elle n’avait douté. Son organisation lui servant de parachute doré. Contrairement à moi qui avais perdu des plumes, à jouer sans filet.

Je fronce les sourcils face à cette nouvelle qui ne lui ressemble pas. Aurore m’adresse un sourire de connivence, appuyé par un clin d’œil, avant de poser son index droit sur ses lèvres. Elle m’attrape une main en même temps pour l’amener vers elle. Au moment de toucher son ventre, je recule de quelques centimètres par réflexe, avant de voir qu’elle insiste.

— Personne ne doit savoir avant le mariage. Tu connais la famille de Frederek, chuchote-t-elle.

Mes doigts posés sur le petit ventre arrondi de mon amie, je comprends mieux cet engagement précipité. Bien qu’ils se fréquentent depuis le début de l’université, Aurore n’a jamais rêvé de mariage. Son objectif était de faire fleurir son entreprise de cosmétique, pas d’élever une ménagerie avant trente-cinq ans.

C’est du moins ce que je pensais, avant de voir ses yeux brûlés d’amour pour la légère bosse qui se devine sous sa longue robe-pull en laine.

Pour ce qui est de Frederek, il a repris récemment une partie de l’entreprise familiale. D’une famille noble, les codes sont extrêmement importants. Un enfant hors mariage dans le clan des de Kuyper est intolérable. Cela va sans dire.

— De combien ?

Ma question me paraît appropriée, sans être indiscrète.

— Seulement quelques semaines. C’est pour ça que nous n’aurons pas le temps d’organiser un somptueux mariage. Il a annoncé à ses parents que nous rêvions de fonder une famille après l’achat de cette maison, qui s’y prête heureusement. Ils ont trouvé cela précipité, ont tenté de l’en dissuader. Puis, comprenant que c’était sa décision, Marie-Hélène a pris les rênes de l’organisation. Nous nous marions le dix-neuf décembre.

Le délai incroyablement court me laisse pantoise. Les yeux de mon amie me fixent, tandis que rien ne veut sortir de ma bouche. Des fiançailles, un bébé en route, un mariage dans moins d’un mois… Les informations se bousculent difficilement dans mon esprit quand son futur époux brise le silence de son retour.

— Tomás aimerait venir dîner, déclare-t-il.

Aurore réagit plus rapidement que moi à l’annonce de leur potentiel invité. Elle fusille son fiancé, qui ignore son regard noir pour se planter dans les miens. Incapable de le regarder, j’observe mes mains tremblantes, retombées sur mes genoux.

La tête me tourne depuis qu’il a prononcé son prénom. Ma bouche s’ouvre à la recherche d’un brin d’oxygène. Je sens ma peau rougir, des frissons me parcourir, tandis que je perds, pour la deuxième fois de la journée, connaissance.

Chapitre 4 Nolan

L’avion n’ayant aucune minute de retard, la foule sort joyeusement du hall d’arrivée pour rejoindre leur famille. Un militaire, assis non loin de moi dans l’avion, se rue sur un vieil homme, sûrement son père, sa femme et un jeune bambin arborant fièrement un body ridiculement touchant, signifiant que son père revenait.

En temps normal, cette scène, dans le mois de Noël, m’aurait ému, mais les souvenirs liés à cet aéroport sont trop douloureux. Petit, mon grand-père répétait sans cesse : un aéroport est le lieu des sentiments. Le regret de voir quelqu’un partir sans savoir le retenir ou celui de ne pas s’envoler avec, la tristesse d’un départ sans connaître la date des retrouvailles, la joie de l’évasion et de l’aventure, la peur de l’inconnu et d’oublier d’où l’on vient... Et la colère de se sentir obligé de partir sans se retourner.

La mêlasse, qui me soulève le cœur, représente bien les paroles de mon grand-père. Dans cet aéroport, j’ai eu des bons, d’excellents souvenirs. Dans les bras de personnes que j’aimais profondément. Des baisers échangés et des rires nerveux partagés. Quelques larmes de tristesse. Mais la dernière fois que mes pieds ont foulé ce sol, il n’y avait que peur et colère, accompagnées d’un lourd sentiment d’abandon.

Incapable de voir ce qui m’entourait, j’avais pris le premier avion sans me soucier de la direction. Un automate brisé, prenant une destination de dernière chance.

Je m’avance dans la foule en évitant de croiser le regard larmoyant des retrouvailles. Deux femmes semblent se trouver dans la même situation que moi, une arrivée seule, sans comité d’accueil. La première, une rousse d’une tête de plus que moi, arrête qui veut bien l’aider, dans un russe fluide. Par chance, un homme d’une cinquantaine d’années la comprend et lui indique la direction des hôtesses. Un immense sourire illumine son visage, au moment où je passe près d’elle. La deuxième est une femme d’à peu près soixante ans. Un air bougon sur le visage, elle compose un numéro sur son téléphone, pour le porter tout de suite à son oreille. Avant de l’entendre se plaindre à la personne qui était sans aucun doute son comité d’accueil, je m’éclipse du hall. Je me dirige vers le tapis de récupération des bagages, sereinement. Je ne suis pas pressé par le temps. Les clefs de mon chez-moi tintent dans ma poche.

L’immense valise grise, contenant l’intégralité de mes effets personnels des vingt-six dernières années, passe dans les premières. Je l’attrape aisément et me dirige vers la sortie. L’air frais de l’extérieur ne me surprend pas. Je remonte la fermeture éclair de mon blouson épais et hèle un taxi non loin. Ma voix forte m’obtient en quelques secondes une voiture, que je propose de partager avec deux Anglaises frigorifiées et timides. Elles s’échangent un regard surpris avant d’accepter.

Le chauffeur ouvre son coffre, pour que j’y mette ma valise. En faisant honneur à l’éducation inculquée par ma mère, je tends les bras vers les bagages des deux jeunes femmes. Elles acceptent volontiers mon aide pour loger leurs deux valises, heureusement pour nous, de tailles moyennes comparées à la mienne.

Ensuite, nous nous installons silencieusement à l’arrière, un peu mal à l’aise. Pour briser cette ambiance pesante, j’indique en premier ma destination. Elles s’observent un instant avant de garder le silence, préférant sûrement ne pas donner leur adresse de résidence à un inconnu, ce qui me paraît plus que raisonnable de leur part.

— Vous restez longtemps à Amsterdam ? m’enquiers-je en anglais.

La plus souriante des deux me répond ne pas savoir encore, attendant de voir si le lieu est ce qu’elles souhaitent pour passer les fêtes de fin d’année. Mon sourire s’illumine au moment où je leur réponds qu’il n’y a pas meilleur endroit au monde pour fêter Noël.

Pour la première fois, je ressens la nostalgie et le manque cruel de cette ville dans ma vie. Rougissante, la plus timide me demande mon nom.

— Nolan, confiseur et amoureux de Noël à Amsterdam, réponds-je, dans un sourire charmant.

Elles papillonnent toutes deux des cils avant que la situation ne me rattrape. Mon sourire se fige. Je me revois avec elle, dans un taxi semblable, à nous chamailler sur l’importance de Noël dans ma vie. Sur mes traditions ridicules et son pull-over vert émeraude en accord avec notre futur sapin. Je la vois, le sourire aux lèvres, et j’en oublie les deux Anglaises. Assez pour me sentir désorienté quand l’une d’elles se racle la gorge pour me ramener à la réalité. Une larme solitaire coule sur ma joue. Je me reprends et m’excuse, en me rapprochant de la fenêtre de mon côté. Je les ignore le reste du trajet, m’interdisant de refouler de vieux souvenirs pour mes premiers instants ici.

Le chauffeur me prévient qu’il ne peut pas m’amener juste devant chez moi, à cause de travaux d’évacuation. Je le remercie pour sa course, la paie au prix global et sort de la voiture sans un regard pour les deux jeunes femmes.

Avant de gêner la circulation, déjà compliquée par les travaux, je me dépêche de récupérer ma valise d’une main. L’extirper du coffre bien rempli est plus aisé que je ne l’aurai cru. Son poids me paraît bien léger en comparaison à ce qui pèse dans mon cœur.

Suis-je revenu trop tard ? C’est la question que je me pose quand j’entre dans ma nouvelle rue. Le notaire m’a explicitement détaillé mon nouveau chez-moi. Devenir acquéreur sans voir le bien est une chose nouvelle pour moi. Cela m’apporte le petit piquant dont j’ai besoin en cet instant.

J’observe les devantures des maisons de ville qui arpentent la rue dans laquelle je viens de m’engouffrer. Les numéros défilent avant que je ne m’arrête devant l’auvent du numéro 31.

À l’image des autres maisons du quartier, elle est assez étroite et sur trois étages. Une immense fenêtre agrémente le premier étage, comme dans mon souhait. Je glisse ma main, glacée par le froid de l’hiver, dans ma poche de blouson pour en sortir les trois clefs envoyées par courrier il y a plusieurs semaines, grâce aux bons soins de mon notaire.

La plus grande des trois me semble être celle de la porte d’entrée. Je m’avance, en soulevant les roues de ma valise, pour monter les escaliers jusqu’au seuil. Nerveux, je dois m’y prendre à deux fois avant de réussir à enfoncer la clef dans la serrure, pour la déverrouiller.

Un clic résonne, m’invitant à pousser la porte. Une odeur de cannelle se répand autour de moi. Je souris à l’idée que Gustave, mon consciencieux notaire de famille, ait pensé à faire nettoyer la maison avant ma venue.

Le vestibule moderne me conforte dans l’idée que ce lieu ne peut être qu’agréable. Je dépose mon blouson sur le portemanteau, glisse les mains dans mes poches pour en vider leur contenu, dans le panier posé à cet effet sur un meuble d’angle, et me dirige vers le reste de la maison. Un immense escalier me fait face. Je le contourne pour me retrouver dans un salon donnant sur une cuisine fermée de doubles portes.

« Une cuisine fermée lorsque tu créeras et ouverte quand tu recevras », m’avait-il dit. Recevoir… Sauf pour lui et son adorable épouse, je ne me vois pas m’affairer ici, pour une personne inconnue.

J’oublie cette idée pour découvrir ma pièce favorite. Les battants menant à la cuisine se décalent, sans un bruit, pour laisser place à un joyau. Un plan de travail en marbre, une cuisinière rutilante, un réfrigérateur haut de gamme et trois fours superposés sur une colonne de bois blanc.

Satisfait de la cuisine, déjà impressionnante en photo, je m’arrête sur un élément rajouté. Un sourire s’étale sur mon visage face à la jolie attention qui m’attend sur le plan en marbre. Ingrid, épouse de mon notaire et surtout vieille amie de ma famille, m’a laissé un panier de douceurs.

Pour te sentir chez toi, je sais que tu as besoin de créer. Voici quelques ingrédients qui t’y aideront.

Son écriture fluide, faite d’encre noire, brille sur le papier nacré déposé dans son présent. Son attention touchante me ravit quand je découvre le contenu du panier en osier : cannelle, miel, sucre cassonade, différents fruits, amandes, noisettes… Pressé de retrouver mes habitudes, je sors de la pièce pour déballer mes affaires au plus vite.

Selon les indications de Gustave au téléphone, la chambre que j’ai décidé d’occuper est au premier étage. Je monte les marches difficilement avec ma valise imposante dans les bras. À bout de souffle, j’atteins le premier palier. Soulagé de ne pas être tombé sous le charme d’une pièce de l’étage suivant, je pousse la première porte. Je souris en voyant que ce n’est que la salle de bain. De bon cœur, je recule et tente la deuxième porte. L’espace de cette chambre est intéressant, mais ce n’est pas encore celle que j’ai vue en photo. Je la referme pour tenter ma chance sur la prochaine pièce.

Sur le palier, j’observe la dernière porte, aussi excité qu’apeuré d’être déçu. Cette chambre représente bien plus que je ne veux l’admettre. Au moment où j’en franchis le seuil, les émotions provoquées par les photos me reviennent.

L’immense fenêtre avancée sur la route me ramène des années en arrière. Des flocons tombant dans la rue. Moi, enfant, émerveillé par ce changement soudain de saison. Par l’odeur réconfortante du feu de cheminée et des confiseries distribuées à la sauvette dans la rue.

Le parfum des fêtes de fin d’année m’envahit et je ressens presque l’odeur de mon chez-moi, celui que j’ai quitté précipitamment, il y a longtemps. Sentant mes yeux s’humidifier, j’avale ma salive et soulève ma valise pour m’affairer à ranger. Le bois craquelle sous mes pieds, donnant au lieu un charme ancien réconfortant.

Le rangement m’occupe un moment. Réfléchissant à l’organisation de ma chambre et des bibelots ramenés de Pologne. La figurine d’une femme légèrement vêtue, souvenir de Lucas, trouve sa place en haut de la cheminée en granit présente dans la chambre. Je pose à côté un cadre, où trônent trois visages que je n’ose pas encore regarder.

Une fois ce rangement fait, je m’écroule sur le lit, exténué par mon départ de Pologne et mon arrivée ici. L’heure avancée dans la nuit ne m’aide pourtant pas à trouver facilement le sommeil. Ce n’est qu’après quatre heures du matin que mes yeux acceptent enfin de se fermer, pour m’entraîner dans le silence régnant de ce quartier résidentiel. Mon corps se détend, sous la couette chaude prise dans l’un des placards, pour me plonger dans une nuit sans rêve, typique des dernières années.

Chapitre 5 Tess

Des cris provenant du salon me réveillent. Une texture soyeuse me recouvre le corps. Mes yeux papillonnent pour découvrir la chambre d’amis, décorée avec goût par Aurore. Un édredon fait maison est posé au bout du lit dans lequel je suis allongée. Je me redresse en constatant que je ne porte plus mes chaussures.

Le haut de mon crâne me lance. Je grimace en posant une main sur mon front brûlant. Définitivement, aujourd’hui n’est pas mon jour.

Je soupire et tends l’oreille pour comprendre d’où vient le bruit. Une conversation étouffée mais animée me parvient d’en bas. Je sors de la chambre pour me retrouver sur un palier à l’étage. Doucement, sans vouloir me faire remarquer, je m’avance vers la balustrade de l’escalier. Le tapis qui recouvre le bois étouffe mes pas. La silhouette d’Aurore, debout au centre du salon, se reflète dans un des miroirs de l’entrée. Ne pouvant pas voir ses expressions, je décide de m’asseoir. L’angle me permet de distinguer clairement la scène. Frederek est devant elle, le visage fermé.

— Tu étais obligé ? Je ne la vois jamais ! Un seul soir, c’était trop demander ? s’exclame sa fiancée.

Elle désigne plusieurs fois la porte et je me tends. Tomás est-il déjà là ? Est-il en route ? Ne vient-il pas ? Je tente de me rassurer sur la possibilité que cette discussion ne soit qu’une altération de mon esprit trop fatigué.

Un faible espoir que Frederek brise en répondant :

— Excuse-moi, chérie, mais ce ne sont pas des enfants. Ils peuvent rester dans la même pièce sans s’étriper, non ?

Je déglutis en posant ma tête sur les rebords frais de l’escalier en bois. Ce n’était donc pas un cauchemar. Tomás arrive sûrement. La bile me monte à cette simple possibilité. Les maux de tête s’intensifient et je me relève pour m’enfermer dans la chambre. Les jambes tremblantes, je parviens difficilement à atteindre le lit avant de m’écrouler, en pleine crise d’angoisse.

Vingt-quatre mois que j’évite cette situation. Je me reconstruis petit à petit, en évitant de penser à cet homme. Aux années de travail qu’il a ruinées et à la douleur encore vive qu’il a causée.

L’idée de fuir maintenant est tentante, mais que ferais-je s’il se trouvait sur le pas de la porte au moment de partir ? Rirait-il à ma manière lâche et enfantine de résoudre le problème ? Ou serait-il indifférent ? Cette dernière possibilité me brise encore un peu plus le cœur.

— Je ne suis pas prête, soufflé-je pour moi-même.

Ma sœur m’a dit que le revoir sans avoir une autre personne dans ma vie serait un véritable suicide sentimental.

Pour une fois, elle n’a pas tort.

Je me redresse, bien décidée à ne pas le laisser, une seconde fois, tout dévaster sur son passage. Mes yeux larmoyants qui se reflètent dans le miroir m’incitent à lutter contre cette pourriture.

— Trop de larmes ont coulé, cocotte !

Ma voix tremblante est loin d’être très convaincante, mais suffisante pour m’aider à me lever du lit pour fermer à clef la porte de la chambre. J’attrape une feuille du bloc-notes vierge posée sur la commode de la chambre et rédige un rapide mot pour Aurore, qui, la connaissant, ne va pas tarder à monter pour prendre de mes nouvelles.

Le voyage m’a épuisée. J’ai eu une superbe promotion et j’ai ordre de me reposer avant, je pense que je vais commencer tout de suite.

Le stylo bic neuf d’Aurore dans la main, je réfléchis à la suite de mon message. Je grimace en écrivant la dernière phrase, fausse et hypocrite.

Si Tomás passe, dis-lui que je prendrais un café avec plaisir un de ces quatre.

Je relis mon mot, soupire et le glisse sous la porte. Je n’attends pas d’entendre les pas de mon amie sur le palier pour me glisser dans le lit.

Le chauffage de la chambre me permet de m’endormir rapidement, sans distinguer le moindre bruit venant de l’étage inférieur.

*

— Tess ! TESS ! hurle une voix proche de moi.

Je me redresse avec un mal de crâne terrible. Des cadavres de bouteilles m’entourent. Le visage enfantin de Tomás est penché au-dessus de moi. Son haleine chaude me donne envie de l’embrasser, mais je me retiens. Le souvenir des derniers jours m’empoigne l’estomac et l’envie de le frapper revient. Mes yeux lui lancent des éclairs, tandis qu’il explose de rire.

— Tu étais bien moins drôle quand tu sortais avec moi, décrète-t-il en s’asseyant à mes côtés.

J’ai dû mal à me souvenir de l’endroit où nous sommes. Mes derniers souvenirs concernent le mariage de répétition. Mon mariage… La bile me monte à la gorge quand l’homme à côté de moi pose sa tête sur mon épaule.

— Tu m’avais manqué, Tessie, glisse-t-il, la bouche pâteuse.

Ma gorge se serre. Il m’a aussi tellement manqué. Il me manque encore, là, à cet instant. Mais il a détruit ma vie. C’est l’alcool qui me fait penser que je pourrais lui pardonner.

Dans un instant de faiblesse, je me laisse aller contre son crâne. Appuyés comme deux ivrognes, nous nous endormons la tête l’une contre l’autre.

*

Ensommeillée, j’ouvre les yeux vers six heures du matin. Je déverrouille par réflexe mon téléphone avant de me souvenir que je suis en vacances. Je grogne un coup avant de me retourner dans le lit pour compléter ma nuit de sommeil. Laissant choir mon téléphone allumé sur le matelas.

Après avoir tourné de droite à gauche durant plusieurs minutes, je dois me rendre à l’évidence que faire une grasse matinée n’est pas chose aisée, lorsqu’on a perdu l’habitude de se reposer depuis aussi longtemps que moi. Les souvenirs de mon cauchemar s’atténuent petit à petit. Seul le dégoût de Tomás sur mon épaule ne me quitte pas.

Je me redresse et décide de consulter mes emails sans abandonner la chaleur des draps.

50 nouveaux mails.

Je lève les yeux au ciel et consulte ceux qui me paraissent urgents. Deux de mes clients semblent s’inquiéter de mon changement de poste. Un autre ne croît pas à mes vacances et un quatrième vient se plaindre du travail bâclé de mon successeur, à peine quelques heures après l’annonce officielle du changement.

J’entreprends de répondre au dernier en premier. Je lui assure que mon successeur, dont il n’a pas encore pu voir l’étendue des capacités, est parfaitement à la hauteur de sa merveilleuse entreprise. Je lui souhaite une bonne fusion, suivant l’affaire depuis des mois, et passe aux mails suivants.

Les réponses me prennent plus d’une heure quand un nouvel email me laisse pantoise.

Nous avons accès à votre boîte mail professionnelle, Tess. On a dit un mois de vacances. Le boulot n’est pas une option dans ce genre de pause.

Bonnes fêtes de fin d’année et à l’année prochaine.

2 janvier dans notre entreprise.

Bill Maas

Le corps du mail m’oblige à fermer, malgré moi, l’application des courriers électroniques.

Je fixe mon téléphone sans savoir quoi faire d’autre. Il m’apprend qu’il n’est même pas huit heures. Je pousse un soupir. Mes pieds touchent le sol froid et se recroquevillent, regrettant déjà la chaleur du lit. Des frissons parcourent ma peau dévêtue et je m’empresse de reprendre mes vêtements de la veille, n’ayant pas accès à ma valise, sûrement restée dans le hall.