Baldur’s Gate - Maxence Degrendel - E-Book

Baldur’s Gate E-Book

Maxence Degrendel

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Beschreibung

Partez à la découverte de l'histoire et des coulisses de la conception du jeu Baldur's Gate.

Depuis quelques années le studio Bioware est reconnu internationalement pour ces licences Mass Effect et Dragon Age mais le studio a fait ses premières armes sur une licence devenue culte pour un grand nombre de joueurs de RPG et de rôlistes : Baldur’s Gate. Cette série de RPG prend place dans l’univers de Dungeons & Dragons, et possède une grande notoriété auprès des fans inconditionnels de jeux de rôle qui y trouvent un parfait mélange entre jeu de rôle sur table et jeu vidéo. Les jeux de cette série sont tellement appréciés que Baldur’s Gate sorti en 1999, possède encore aujourd’hui des forums dédiés et de nouvelles extensions plus de seize ans après sa sortie !

Découvrez comment la série de RPG Baldur's Gate continue à séduire les joueurs du monde entier depuis plus de 16 ans !

EXTRAIT

Les caisses bien remplies, Interplay enchaîne avec de grands jeux tels que The Bard’s Tale II et III, Neuromancer ou encore le légendaire C-RPG post-apocalyptique Wasteland paru en 1988 et généralement considéré comme l’ancêtre de Fallout5. Les projets dans les cartons sont si nombreux que le studio décide d’externaliser le développement de certains de ses titres. RPM Racing par exemple, un jeu de course prévu pour la Super Nintendo, est confié à un studio naissant dont c’est la première commande : Silicon & Synapse. Si ce nom ne vous dit rien, sachez que ce studio sera rebaptisé Blizzard Entertainment par la suite et qu’il rencontrera le succès que nous lui connaissons aujourd’hui avec les séries Warcraft, Diablo ou encore Overwatch.
Toujours est-il qu’en 1995, Interplay reçoit régulièrement des démos de studios à la recherche d’un partenariat, puisqu’en plus de la partie développement, la société de Brian Fargo est devenue entre-temps éditrice de jeux. Des titres, passés aujourd’hui dans la postérité, comme Another World, en 1991, ou encore Alone in the Dark, en 1992, sont ainsi publiés. De ce fait, lorsque Blasteroids 3D du studio BioWare leur parvient par courrier, Interplay décèle le potentiel de la jeune équipe canadienne. Sans perdre de temps, ils convient Gregory Zeschuk et Raymond Muzyka dans leurs locaux afin de négocier un contrat pour Blasteroids 3D – dont le nom change un peu plus tard pour devenir celui que l’on connaît désormais, à savoir Shattered Steel.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Maxence Degrendel, dit « Avorpal », est un mage de glace, un bretteur de la cour de l’impératrice, un vampire de huitième génération, un navigateur stellaire. Bref, Maxence est un rôliste. Il fait ses premières armes sur HeroQuest puis sur l’indémodable Dungeons & Dragons avant de se prendre de passion pour Fading Suns et Agone. En parallèle, un autre compagnon de route s’est installé depuis longtemps dans son salon : le jeu vidéo. Tout y passe, du point’n click au beat them all, en passant par le jeu de combat. Mais c’est véritablement avec le RPG que Maxence se découvre un amour profond pour les histoires interactives. Écrivain à ses heures perdues, il a également travaillé pour des sites comme jeuxvideo.com, Ulyces ou encore IndieMag, tout en tenant une chaîne Youtube au nom d’Avorpal et dédiée à la découverte et à l’analyse du jeu vidéo.

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Ce livre est dédié aux artisans de l’imaginaire et aux héros qui les accompagnent dans leurs récits. Que vos voix puissent résonner à jamais dans les dédales du temps.

Baldur’s Gate. L’héritage du jeu de rôlede Maxence Degrendel est édité par Third Éditions 32 rue d’Alsace-Lorraine, 31000 Toulouse [email protected] www.thirdeditions.com

Nous suivre : @ThirdEditions –  Facebook.com/ThirdEditions Third Éditions

Tous droits réservés. Toute reproduction ou transmission, même partielle, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans l’autorisation écrite du détenteur des droits.

Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit constitue une contrefaçon passible de peines prévues par la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la protection des droits d’auteur.

Le logo Third Éditions est une marque déposée par Third Éditions, enregistré en France et dans les autres pays.

Directeurs éditoriaux : Nicolas Courcier et Mehdi El Kanafi Assistants d’édition : Damien Mecheri et Clovis Salvat Textes : Maxence Degrendel Relecture : Camille Guibbaud et Zoé Sofer Mise en pages : Bruno Provezza Couverture classique : Bruno Wagner Couverture « First Print » : Johann « Papayou » Blais Montage des couvertures : Frédéric Tomé

Cet ouvrage à visée didactique est un hommage rendu par Third Éditions à la grande série de jeux vidéo Baldur’s Gate.

L’auteur se propose de retracer un pan de l’histoire des jeux vidéo Baldur’s Gate dans ce recueil unique, qui décrypte les inspirations, le contexte et le contenu de ces volets à travers des réflexions et des analyses originales.

Baldur’s Gate est une marque déposée d’Atari. Tous droits réservés. Le visuel de la couverture est inspiré des jeux de la série Baldur’s Gate.

Édition française, copyright 2018, Third Éditions. Tous droits réservés

ISBN 978-2-37784-074-8

PRÉFACE

LA PORTE VERS L’AVENTURE

Il y a plus de cinquante ans, j’ai créé les Royaumes Oubliés. Ou plutôt, j’ai commencé à les créer, parce que je suis encore en train de les façonner chaque jour. C’est au printemps 1965 que j’ai pour la première fois écrit « Baldur’s Gâte » sur un bout de papier, dans le cadre d’une histoire de fantasy que j’étais en train de rédiger. Cela, presque dix ans avant la naissance de Dungeons & Dragons et une douzaine d’années avant la parution du premier jeu vidéo d’aventure textuelle. Oui, les Royaumes sont plus anciens que D&D. Je ne les ai pas conçus pour qu’ils puissent être joués dans Dungeons & Dragons ; ils n’étaient que le « monde de rêve » d’un garçon écrivant des aventures fantastiques pour son propre plaisir.

Je les ai nommés les « Royaumes Oubliés » parce que nous avions des légendes à propos de dragons, de wyvernes et de sorciers jetant des sorts, mais nous ne pouvions voir tout cela dans la vie de tous les jours en marchant dans la rue. J’ai alors imaginé qu’il y avait de nombreux mondes, remplis de ces choses fantastiques, reliés à la Terre par des portails magiques qui, autrefois, permettaient les voyages entre les mondes et que, de nos jours, ces portes étaient complètement « oubliées » – ou peut-être gardées par de sombres sectes tapies dans l’ombre.

Ce n’était pas vraiment une idée neuve. Un siècle auparavant, Williams Morris1 a introduit quelque chose que j’ai par la suite emprunté – comme l’a fait C.S. Lewis2 avant moi pour ses romans Narnia – pour mon multivers : les « bois au-delà du monde » – un concept provenant du roman The Wood Beyond the World3 – qui représentent, en l’occurrence, une vaste forêt de portes faisant office de « gare » entre les mondes.

L’univers des Royaumes comprend donc de nombreuses régions – les « royaumes » –, dont nous, dans le monde moderne, sur Terre, avons « oublié » l’existence. Pourtant, dans le passé, de nombreuses personnes s’y sont rendues et les croyances aux divinités ont voyagé elles aussi : ainsi est introduit le dieu nordique Baldur4. J’ai, dans un premier temps, décidé que les adorateurs de Baldur avaient quitté leur port, situé le long d’une rivière de l’un des royaumes, et pris le large, parcourant la vaste mer à la recherche de nouvelles terres. Et ils en trouvèrent. Une poignée de ces voyageurs étaient revenus avec des richesses et, pour remercier leur dieu de leur succès, ils avaient nommé la zone en développement autour de leurs quais « la Porte de Baldur », « Baldur’s Gate ». Plus tard, en réalisant que je ne voulais pas qu’il y ait un lien si prononcé avec le monde réel, j’ai transformé ce récit et imaginé le héros Balduran. Ce dernier, navigateur, créerait ainsi les fondements de la cité qui se ferait l’écho de son nom.

Les années passèrent et la Porte de Baldur devint une grande cité, très peuplée, se développant sur les rives nord de la rivière, protégée de la mer par un promontoire couronné par les châteaux de riches gouvernants, avec des routes commerciales partant de l’est et traversant le pays. Bien avant que D&D ne sorte, j’avais déjà cartographié divers lieux de mon monde fantastique, dessinant chaque bâtiment - des centaines de petits carrés noirs ! La Porte de Baldur était une immense cité – la conception de sa carte fut plus longue que d’ordinaire –, je savais que c’était un lieu important, une puissante zone portuaire et commerciale. Pourtant, à l’image de Padhiver5, ville qui sera aussi utilisée dans des jeux vidéo tels que Neverwinter Nights6, la Porte de Baldur n’a pas servi de terrain de jeu principal à de nombreuses histoires mais a plutôt fait office de rivale à la ville qui est devenue le centre d’intérêt de mes vieux récits – et par la suite de mes premières parties de Dungeons & Dragons –, Eauprofonde.

Pourquoi ? Eh bien, c’est la faute de Mirt. Mirt the Moneylender7, un marchand obèse des Royaumes, sur lequel j’ai commencé à écrire dès l’âge de cinq ans : un vieil homme penaud à la respiration sifflante et qui se traîne, chaussé de vieilles bottes en cuir. Trop vieux pour vaincre ses ennemis ou réussir à leur échapper, il a dû se montrer plus malin qu’eux : c’est-à-dire en les escroquant. La première fois que je me le suis imaginé, je l’ai visualisé dans une froide cité portuaire du nord. Mes plus vieux récits prenant place dans les Royaumes étaient basés sur Mirt et se terminaient toujours par la fuite d’une ville, avec un coup d’avance sur les autorités, ses rivaux, et sur les nouveaux ennemis qu’il s’était fait. Mirt poursuivait sa route en direction du sud, en longeant la côte, s’arrêtant de port en port. En 1966, j’avais déterminé le nom de cette côte, « la Côte des Épées ». À cette époque, Mirt était passé par Luskan, Padhiver, Leilon, Eauprofonde ; il revenait régulièrement à cette dernière après avoir visité d’autres lieux, dont la Porte de Baldur. Mirt appréciait Eauprofonde qui devint donc la cité la plus détaillée et la plus réaliste. Cependant, j’avais aussi des pages et des pages de textes à propos de la Porte de Baldur alors j’en ai partagé plusieurs au fil des années, notamment dans les suppléments L’Aventure dans les Royaumes Oubliés – publié en 1990 dans sa version originale, ce fut la première fois que le monde découvrit ma carte de la Porte de Baldur –, Volo’s Guide to the Sword Coast (1994) et Murder in Baldur’s Gate (2013), ouvrage collaboratif auquel j’ai participé en y apportant l’histoire de la cité.

J’ai imaginé la Porte de Baldur comme une ville dominée par de riches marchands spécialisés dans le parrainage et l’investissement, qui ne cessaient de s’enrichir tout en guidant et aidant les petits commerçants. Une cité dirigée par un conseil de quatre Grands-Ducs, mais qui abritait aussi - à l’image de n’importe quel lieu de richesse et de pouvoir - une marmite remplie de factions, d’intrigues et de cabales de marchands, où le véritable pouvoir ne cessait de basculer de main en main et de clan en clan. Là où la Porte de Baldur était le lieu où l’on pouvait vraiment se faire beaucoup d’argent, Eauprofonde, de son côté, était un carrefour tolérant où les nantis et les plus démunis se rejoignaient dans une recherche commune de la richesse. À Eauprofonde, les ouvriers et les commerçants pouvaient investir dans des marchandises partagées tandis qu’à la Porte de Baldur, des flottes entières de vaisseaux étaient achetées, vendues et louées quotidiennement.

La Porte était donc le lieu où les rois et les usurpateurs venaient engager de grandes armées de mercenaires. J’ai imaginé les Grands-Ducs comme étant plus sournois que la majorité des nobles : ils empêchèrent leur cité d’être saccagée en en faisant une terre d’accueil pour les plus grandes bandes de mercenaires, en les exonérant de taxes. C’est ainsi que le Poing Enflammé, une organisation de mercenaires, naquit ; sa présence dans la cité était dissuasive pour tous les envahisseurs potentiels - ou quiconque souhaitant remplacer les Grands-Ducs. Ainsi, la ville, si riche, attira tous ceux voulant faire de grands investissements, y compris les inventeurs. Ce flot continu de richesses pour les familles de la Porte de Baldur installa durablement la foi en Gond, le dieu forgeron. Par la force des choses, la Porte de Baldur devint le plus important centre d’échange commercial au monde – la « ville où tout est possible » - et, d’une certaine manière, elle l’est toujours. Des cabales de monstres métamorphosés cherchant à se cacher dans une société dominée par les humains, à des organisations de sorciers impitoyables, en passant par des conquérants potentiels essayant de rassembler des flottes de vaisseaux volants ou encore des pirates espionnant des rassemblements commerciaux afin de chercher les meilleures cibles à dérober, la Porte est aujourd’hui encore vivante et vibrante.

Pour une ville imaginaire, c’est une sacrée réussite.

Or, cela n’est pas dû à mon imagination, mais aux joueurs qui se sont aventurés à la Porte de Baldur ainsi qu’aux game designers, professionnels comme modders8, qui ont planifié le décor pour ces multiples histoires. J’ai pris grand plaisir à passer un peu de temps avec le dirigeant de Beamdog, Trent Oster - l’un des concepteurs principaux des jeux Baldur’s Gate –, et à rencontrer une partie de son équipe talentueuse ; je sais que la Porte de Baldur est - et a toujours été – entre de bonnes mains.

Et vous êtes de même entre de bonnes mains en lisant ces pages : un livre explorant la Porte et tous les jeux qui ont mis cette cité au cœur de leur histoire. Cet ouvrage me donne envie d’arpenter à nouveau les rues de la Porte de Baldur, d’en humer l’air marin salé, la fumée de cuisson et les odeurs de terre des enclos de caravanes. Tout ceci mélangé crée ce que Torm, l’irrépressible voleur et membre des Chevaliers de Myth Drannor, décrit comme « l’odeur de l’argent ».

Je ne suis pas d’accord avec lui. Je pense que la Porte de Baldur a l’odeur de l’aventure.

Ed Greenwood, auteur et créateur des Royaumes Oubliés.

1 (1834-1896) Ce romancier du XIXe siècle est considéré comme le premier auteur de fantasy moderne.

2 (1898-1963) Auteur des Chroniques de Narnia et ami de J.R.R. Tolkien.

3 William Morris, The Wood Beyond the World, The Kelmscott Press, 1894.

4 Dieu de la lumière, de la beauté et de l’amour, généralement orthographié « Baldr », parfois « Balder ».

5 Neverwinter dans la version originale.

6 NdA : « Neverwinter Nights » était le nom d’un journal publié dans Padhiver, au sein de mes histoires, mais aussi le nom des Royaumes dans le cadre de D&D, et ce, bien avant que le nom ne soit emprunté pour baptiser le jeu vidéo de BioWare.

7 Un money lender est un prêteur d’argent.

8 Un modder est une personne développant des mods pour des jeux vidéo, à savoir des modifications qui ajoutent du contenu ou qui transforment le contenu existant.

AVANT-PROPOS

D’APRÈS Vladimir Vernadsky et Pierre Teilhard de Chardin, la noosphère est un nuage englobant notre planète – à la manière de la couche d’ozone – et dans laquelle sont localisées la conscience et la capacité de l’humanité à penser et à créer. C’est donc en puisant dans cette noosphère que les nouvelles idées surgiraient dans notre cerveau. En partant de ce postulat, Baldur’s Gate existait bien avant de devenir la saga de jeux vidéo que nous connaissons. Son monde, peuplé de dragons, de Liches, de mages et d’un certain rôdeur escorté d’un hamster, n’attendait plus que d’être découvert, par le biais d’un portail initialement traversé par Ed Greenwood, Gary Gygax et bien d’autres auteurs. Il aura donc suffi à BioWare de s’engouffrer dans ce portail et d’en revenir les bras chargés de contes.

Plus concrètement, comment évoquer Baldur’s Gate sans faire le lien avec Dungeons & Dragons1, le jeu de rôle papier né en 1974 aux États-Unis, ou avec les Royaumes Oubliés ? En effet, cet univers façonné par Ed Greenwood offrira, dès sa première publication en 1987, un terrain de jeu fertile et littéralement infini aux joueurs de D&D. Ainsi, lorsqu’en 1996 l’éditeur Interplay donne son accord à BioWare pour développer un projet combinant ces deux licences, de nombreux auteurs se sont déjà chargés en amont de peaufiner le système de règles et d’enrichir le monde dans lequel le futur Baldur’s Gate prendra place. Pourtant, si la matière première est conséquente, le rôle des développeurs de chez BioWare est crucial puisqu’ils ont poli chaque facette de leur œuvre afin de donner naissance à un véritable bijou.

Lorsque l’on s’attarde sur les artisans de Baldur‘s Gate, ce ne sont pas seulement des programmeurs, des artistes ou des scénaristes que nous rencontrons, mais bel et bien des rôlistes, pour qui Dungeons & Dragons rime avec soirées entre amis, pizzas, feuilles de personnage, lancements de dés et ainsi de suite. C’est donc tout naturellement et sans surprise qu’un fragment du scénario et des personnages de Baldur’s Gate sont directement inspirés d’une campagne de D&D menée par James Ohlen, un des principaux game designers de la saga. Ainsi, l’histoire de Baldur’s Gate représente, en quelque sorte, un fantasme que tout rôliste enlace au moins une fois dans sa vie : transformer une belle escapade imaginaire entre amis en une histoire universelle et accessible au plus grand nombre.

À travers ce livre, nous souhaitions rendre hommage à Baldur’s Gate, cette série grandiose, qui a su retranscrire, dans le cadre interactif d’un jeu vidéo, et avec peut-être plus de talent qu’aucune autre œuvre publiée avant elle, l’univers si fascinant des Royaumes Oubliés.

1 Aussi connu en France sous le nom de Donjons et Dragons. Pour une question d’harmonie et parce que Black Book Editions, l’éditeur français actuel de la gamme Dungeons & Dragons, a choisi de conserver le titre anglais originel, nous ferons de même pour l’ensemble de l’ouvrage.

L’AUTEUR

Maxence Degrendel, dit « Avorpal », est un mage de glace, un bretteur de la cour de l’impératrice, un vampire de huitième génération, un navigateur stellaire. Bref, Maxence est un rôliste. Il fait ses premières armes sur HeroQuest puis sur l’indémodable Dungeons & Dragons avant de se prendre de passion pour Fading Suns et Agone. En parallèle, un autre compagnon de route s’est installé depuis longtemps dans son salon : le jeu vidéo. Tout y passe, du point’n click au beat them all, en passant par le jeu de combat. Mais c’est véritablement avec le RPG que Maxence se découvre un amour profond pour les histoires interactives. Écrivain à ses heures perdues, il a également travaillé pour des sites comme jeuxvideo.com, Ulyces ou encore IndieMag, tout en tenant une chaîne Youtube au nom d’Avorpal et dédiée à la découverte et à l’analyse du jeu vidéo.

CHAPITRE 1 : LE DESTIN CROISÉ DE BIOWARE ET D’INTERPLAY

SI vous avez déjà touché à un jeu de rôle sur table ou sous un format vidéoludique, vous savez probablement que le succès d’une épopée repose parfois sur un simple lancer de dés. Un échec critique1 conduira indéniablement à un désastre tandis qu’un bon résultat mènera à une grande victoire. Lorsque nous nous intéressons aux origines de la saga Baldur’s Gate, nous constatons que sans quelques rencontres fortuites et un bon coup de main du destin, la série que nous connaissons aujourd’hui n’aurait jamais vu le jour. Afin de comprendre comment Baldur’s Gate s’est glissé avec succès hors de l’imaginaire de ses talentueux auteurs pour atterrir dans les mains de millions de joueurs et joueuses, il faut se pencher sur les deux entités majeures de sa création.

D’un côté nous avons BioWare, cette formidable machine à produire des C-RPG2 de haute volée, qui, en l’espace d’une vingtaine d’années, a accouché d’œuvres majeures du jeu vidéo : Star Wars : Knights of the Old Republic, Mass Effect, Dragon Age et, bien entendu, Baldur’s Gate et Neverwinter Nights ; de l’autre côté se trouve Interplay Entertainment, le développeur et l’éditeur de jeux vidéo qui nous a servi The Bard’s Tale, Wasteland premier du nom, Fallout, Icewind Dale ou encore le fabuleux Planescape : Torment – d’excellentes références que tout passionné de RPG aura certainement pris soin de terminer au moins une fois dans sa vie. Voici donc l’histoire de BioWare et d’Interplay Entertainment, ou comment un simple lancer de dés a transformé à jamais le RPG occidental.

DOCTEURS DE JOUR, PROGRAMMEURS LA NUIT

Nous sommes à la fin des années 1980. Gregory P. Zeschuk et Raymond Muzyka sont deux étudiants en médecine de l’Université de l’Alberta, Canada. Plongés dans leurs études, ils entretiennent en parallèle une grande passion pour le jeu de rôle, aussi bien sur table avec leurs amis respectifs qu’en jeu vidéo face à l’écran de leur ordinateur. Bien qu’ils assistent conjointement à certains cours, Gregory et Raymond ne commencent réellement à se côtoyer qu’à partir du moment où ils découvrent leur amour partagé pour les C-RPG ainsi que pour Advanced Dungeons & Dragons, dont la deuxième édition est sortie un an plus tôt.

Après l’obtention de leur doctorat en 1992, les deux étudiants, qui se sont grandement rapprochés depuis, ont le temps de partager leur point de vue et leur admiration pour des œuvres majeures de l’imaginaire : des films, comme Star Wars, en passant par des livres, comme Le Seigneur des anneaux, ou encore des jeux vidéo, tels que Dungeon Master et The Bard’s Tale : Tales of the Unknown. Au fil de leurs conversations, ils envisagent de se tourner vers les possibilités qu’offre l’informatique pour créer et partager leurs propres univers. Le premier projet dans lequel ils se lancent ensemble a toutefois de quoi surprendre : il s’agit en effet d’un serious game, c’est-à-dire un jeu vidéo à vocation pédagogique, qui prend les atours d’un point’n click médical à destination de l’Université de l’Alberta. Leur intention est simple : soutenir de manière ludique les étudiants en médecine.

Alors que le développement de leur jeu progresse bien, Gregory et Raymond accueillent un premier comparse dans leur équipe. Augustine Yip, lui aussi médecin en devenir, leur prête désormais main-forte pour la partie graphique. Ensemble, ils achèvent leur tout premier jeu vidéo en 1994 qu’ils baptisent sobrement Acid Base Physiology Simulator. Ensuite, le trio s’attaque à un dernier titre éducatif nommé Gastroenterology Patient Simulator qui voit le jour en 1995. Bien que ces deux serious games leur permettent d’acquérir une certaine notoriété dans le milieu de la santé, les trois médecins ne sont pas tout à fait satisfaits. Ils souhaitent dorénavant se lancer dans un projet plus en adéquation avec leur penchant pour l’imaginaire et, à eux trois, ils ont acquis la certitude d’être capables de développer des jeux vidéo, alors pourquoi ne pas voir grand ?

L’inspiration ne leur manque pas mais un obstacle de taille subsiste néanmoins : ils ont besoin d’argent. Pour concrétiser leurs ambitions, ils souhaitent monter leur studio et embaucher du personnel. L’heure est donc venue pour nos trois médecins d’aller frapper à la porte des banques d’Edmonton dans l’espoir d’obtenir un financement.

NAISSANCE DE BIOWARE CORPORATION

Avant de démarcher les banques, Gregory, Raymond et Augustine planchent sur l’identité de leur studio de développement. Après moult échanges, ils parviennent à se mettre finalement d’accord sur un nom, un nom qui doit véhiculer une image à mi-chemin entre la vie – bio – et le produit – ware. L’association des deux segments donne ainsi « BioWare ». Afin de prouver tout le sérieux de leur projet, le trio envisage d’étoffer l’effectif de départ de leur futur studio. C’est à cette époque que Gregory rend visite à son cousin, Marcel Zeschuk. Ce dernier s’est depuis quelque temps associé aux frères Trent et Brent Oster pour monter une société de vente et de réparation informatique qu’ils gèrent la journée. Le soir, ils œuvrent sur le prototype d’un jeu vidéo en shareware3 : Blasteroids 3D. Leur objectif est de tester leurs aptitudes afin de déterminer s’ils ont les épaules pour réaliser un jeu en quelques mois. À ce stade, Blasteroids 3D s’avère déjà très prometteur aux yeux de Gregory qui leur suggère de rejoindre l’aventure BioWare pour transformer ce petit jeu en un véritable projet commercial.

À eux six, ils obtiennent un prêt bancaire et se lancent pour de bon dans le développement, malgré l’inquiétude de leurs proches et la quasi-inexistence du marché du jeu vidéo dans la ville d’Edmonton. L’entreprise est officiellement créée le 1er février 1995, porte le nom de BioWare Corporation et a pour premier logo deux mains gravées dans la pierre qui semblent manipuler de la matière numérique. Les six fondateurs recrutent immédiatement un premier noyau d’employés passablement qualifiés, voire pas qualifiés du tout. En effet, pour remettre les événements dans leur contexte, il faut comprendre qu’en 1995, la notion même de « créer un jeu vidéo » n’est pas monnaie courante dans la région et les spécialistes sont rares. De ce fait, entrer chez BioWare Corp. ne requiert que de la curiosité envers le milieu du jeu vidéo ou une simple recommandation de la part d’un employé.

Une fois l’équipe réunie, le tout jeune studio se met au travail afin d’étoffer Blasteroids 3D. Très vite, ils parviennent à achever une première démo et à l’envoyer aux dix principaux éditeurs de l’époque. Dans le lot se trouve d’ailleurs Electronic Arts qui refuse alors de collaborer avec BioWare – une anecdote amusante lorsque l’on sait que l’éditeur en question rachètera le studio en 2007. Parmi les éditeurs enthousiastes et prêts à signer, nos six directeurs jettent leur dévolu sur une société à la renommée déjà bien établie dans le milieu du jeu vidéo : Interplay Productions.

LA GENÈSE D’INTERPLAY

Revenons en arrière, en 1983 plus exactement. Brian Fargo, un programmeur passionné par le développement de jeux vidéo, réunit l’équipe avec laquelle il a déjà collaboré au sein de son précédent studio, Boone Corporation. Ensemble, ils fondent Interplay Productions à Beverly Hills, en Californie. Brian Fargo est désigné CEO4 tandis que Jay Patel, Rebecca Ann Heineman et Troy Worrell forment la première génération de développeurs en plus de leur statut de cofondateur. Ils enchaînent par la suite des contrats de sous-traitance pour le compte d’Activision afin de produire des jeux d’aventure textuels comme Mindshadow en 1984 ou Borrowed Time en 1985.

Après avoir obtenu une certaine stabilité financière, Interplay se lance dans son premier projet d’envergure qui marquera toute une génération de joueurs : The Bard’s Tale : Tales of the Unknown. Imaginé comme une trilogie, ce C-RPG tire ses origines d’un prototype bricolé par un ami de Brian Fargo, Michael Cranford. Une fois la démo prête, Interplay se tourne naturellement vers son partenaire du moment, Activision, pour éditer son jeu. Cependant, la firme de Santa Monica ne semble pas saisir l’intérêt ludique de l’exploration de donjons ainsi que du massacre de monstres. En conséquence, elle passe son tour. C’est finalement Electronic Arts qui flaire le bon coup et le commercialise en 1985. Le public découvre alors un C-RPG à la première personne prenant place à Skara Brae, une ville isolée du reste du monde par un puissant sortilège. Le système de combat, sans en être un décalque, s’inspire largement du système Advanced Dungeons & Dragons – une information importante à retenir pour la suite de ce récit.

À la surprise générale, The Bard’s Tale : Tales of the Unknown est un véritable carton avec plus de 400 000 ventes. Il devient ainsi le C-RPG le plus acheté de la décennie, damant le pion à la série Ultima et son quatrième épisode Quest of the Avatar, sorti lui aussi en 1985. Ce succès contribuera à bâtir l’excellente réputation qui auréolera le nom d’Interplay pendant plus de dix ans.

LE DÉBUT DU SUCCÈS

Les caisses bien remplies, Interplay enchaîne avec de grands jeux tels que The Bard’s Tale II et III, Neuromancer ou encore le légendaire C-RPG post-apocalyptique Wasteland paru en 1988 et généralement considéré comme l’ancêtre de Fallout5. Les projets dans les cartons sont si nombreux que le studio décide d’externaliser le développement de certains de ses titres. RPM Racing par exemple, un jeu de course prévu pour la Super Nintendo, est confié à un studio naissant dont c’est la première commande : Silicon & Synapse. Si ce nom ne vous dit rien, sachez que ce studio sera rebaptisé Blizzard Entertainment par la suite et qu’il rencontrera le succès que nous lui connaissons aujourd’hui avec les séries Warcraft, Diablo ou encore Overwatch.

Toujours est-il qu’en 1995, Interplay reçoit régulièrement des démos de studios à la recherche d’un partenariat, puisqu’en plus de la partie développement, la société de Brian Fargo est devenue entre-temps éditrice de jeux. Des titres, passés aujourd’hui dans la postérité, comme Another World, en 1991, ou encore Alone in the Dark, en 1992, sont ainsi publiés. De ce fait, lorsque Blasteroids 3D du studio BioWare leur parvient par courrier, Interplay décèle le potentiel de la jeune équipe canadienne. Sans perdre de temps, ils convient Gregory Zeschuk et Raymond Muzyka dans leurs locaux afin de négocier un contrat pour Blasteroids 3D – dont le nom change un peu plus tard pour devenir celui que l’on connaît désormais, à savoir Shattered Steel.

UN PREMIER JEU AU SUCCÈS MITIGÉ

Gregory et Raymond se rendent alors tous frais payés en Californie. Si Brian Fargo est absent, ils ont tout de même l’occasion de rencontrer Feargus Urquhart, l’un des futurs papas de Fallout, qui se révélera plus tard un précieux allié de BioWare. Pour l’heure, Feargus s’intéresse de près à l’idée de jeu de Zeschuk et Muzyka, un concept mêlant science-fiction et mechas. À leur retour, des étoiles plein les yeux et un contrat d’édition avec Interplay dans la poche, BioWare démarre sérieusement la production de Shattered Steel. Pour cela, les six fondateurs et leur dizaine d’employés s’installent dans de nouveaux locaux, à la limite de l’insalubrité mais suffisamment spacieux pour leurs besoins. Courant 1995, un épisode particulièrement marquant des premiers mois de l’histoire de BioWare va remettre en question le fonctionnement du studio.

En effet, trois des six fondateurs décident de quitter l’aventure : Brent et Trent Oster fondent Pyrotek Game Studios de leur côté tandis que Marcel Zeschuk s’oriente vers l’agriculture. Les frères Oster emportent avec eux Shattered Steel, puisque le projet leur appartient toujours, avant de déposer le bilan moins d’un an plus tard. Trent Oster retrouve alors sa place chez BioWare mais perd ses parts et son statut de directeur. Malgré cet imprévu, le développement de Shattered Steel se poursuit de plus belle puisque le studio en récupère les droits grâce au retour de son détenteur légal.

1996 est l’année de parution de Shattered Steel. Si le jeu se révèle techniquement solide et reçoit de très bonnes critiques de la presse, il ne connaît qu’un modeste succès commercial en raison d’un sérieux concurrent : Mech Warrior 2, sorti l’année précédente, dont le standalone6 nommé Mercenaries vient éclipser une bonne partie de la visibilité de BioWare. Malgré tout, les ventes sont suffisamment honorables pour qu’un Shattered Steel 2 soit envisagé. Sa sortie est programmée pour 1998 avant d’être purement et simplement annulée par Interplay. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette décision radicale, comme un trop grand nombre de jeux en production sur la même période et des licences économiquement moins risquées en stock. C’est notamment le cas pour MDK.

Dans ce jeu d’action de Shiny Entertainment, paru en 1997 sur PC et sur PlayStation, qui connaît un grand succès critique et commercial, le joueur incarne un sniper faisant face à une invasion extraterrestre. Interplay, en tant qu’éditeur, possède les droits de la licence et décide de produire un second épisode dans la foulée qu’ils confient à leur studio de confiance, BioWare. Pour sa part, Shattered Steel 2 n’est désormais plus une priorité et se retrouve définitivement rayé des futurs plans d’Interplay. Probablement déçus de ne pas pouvoir donner de suite à leur premier bébé, les employés de BioWare se focalisent sur ce MDK 2 entre 1998 et 2000.

Mais bien avant cela, à partir de la sortie du premier Shattered Steel en 1996, Gregory Zeschuk, Raymond Muzyka et Augustine Yip réunissent une équipe de développeurs afin de poser les bases d’un nouveau jeu. L’objectif est de produire une démo solide afin de convaincre Interplay ou un autre éditeur de le financer. Son nom de code en interne ? Battleground : Infinity. Sans en avoir conscience, BioWare est sur le point de bouleverser le paysage du RPG occidental.

1 Dans le domaine du jeu de rôle, un échec critique correspond à un jet de dés au résultat particulièrement mauvais, pouvant entraîner de graves conséquences. L’inverse, c’est-à-dire un jet de dés exceptionnellement bon, s’appelle la réussite critique.

2 Pour « Computer Role-Playing Game », littéralement « jeux de rôle sur ordinateur ». Le terme est aussi employé pour désigner, de manière générale, les RPG produits en Occident, par opposition aux J-RPG (Japanese Role-Playing Game) qui, eux, ont surtout fleuri sur consoles de salon.

3 Un shareware est un logiciel pouvant être utilisé gratuitement, mais pendant une durée ou un nombre de fois limités.

4Chief Executive Officer, directeur général, P.-D.G.

5 Cf. Erwan Lafleuriel, Fallout. Histoire d’une mutation, Third Éditions, 2017.

6 Contrairement à une extension, un standalone fonctionne seul sans avoir besoin d’acheter un autre jeu.

CHAPITRE 2 : LA CRÉATION DE LA SAGA BALDUR’S GATE

BALDUR’S GATE

Battleground : Infinity. Rares sont les joueurs de Baldur’s Gate à avoir entendu parler de ce prototype bricolé dans les locaux de BioWare autour de 1996. La raison est simple : excepté des bribes de son moteur de jeu – nommé plus tard Infinity Engine pour le clin d’œil -, peu d’éléments de la démo seront conservés par la suite. À ce stade du développement, qui n’en est qu’à ses balbutiements, BioWare entend narrer une grande guerre opposant les dieux des mythologies grecque, égyptienne, nordique, aztèque, etc. Bien que nous soyons encore loin des Royaumes Oubliés, l’univers dans lequel Baldur’s Gate prendra place, la thématique de l’affrontement entre divinités est déjà au centre de l’esquisse du scénario.

Par ailleurs, la volonté de proposer une véritable expérience multijoueur en ligne est fortement présente, au point que Raymond Muzyka, dans une interview donnée au magazine PC Gamer en 2012, décrit Battleground : Infinity – ou tout du moins son intention de design – comme un « MMORPG1 selon notre définition moderne ». Nous le savons aujourd’hui, Baldur’s Gate restera avant tout un jeu solo, mais c’est Neverwinter Nights, un autre RPG de BioWare, qui héritera des ambitions multijoueur de Battleground : Infinity. Puisque découvrir les balbutiements d’un jeu vidéo est toujours captivant, voyons de quoi ce prototype est fait.

La guerre des dieux

Il faudra attendre 2014 pour que le grand public puisse apercevoir pour la première fois cette ébauche de Baldur’s Gate. C’est en effet lors de la sixième « Masterclass jeux vidéo » qui se déroulera à la Cité des sciences et de l’industrie de Paris que Gregory Zeschuk y révélera une minute de gameplay à l’audience, dont voici une description. Le prototype démarre sur un Viking en vue de haut qui traverse une plaine verdoyante. Outre le son du vent, nous entendons O Fortuna de Carl Orff en accompagnement musical. Si les graphismes sont nécessairement épurés pour une démo, ils suggèrent assez bien ce que les artistes de BioWare, comme John Gallagher ou encore Elben Schafers et Kelly Goodine, ont réalisé par la suite sur Baldur’s Gate.

Un peu plus tard, le héros s’adresse à un personnage qui semble l’attendre. Assorti d’un portrait de dieu égyptien, ce dernier proclame : « Je suis Anubis2... Un jour, toi et moi, nous nous ferons face sur Battleground : Infinity. » Notre Viking poursuit sa route en longeant une barrière électrique jusqu’à parvenir à un lac dans lequel se baigne un autre dieu. Ce dernier semble plus amical et dit au héros : « Je suis Mímir3. Ma sagesse te guidera à travers Battleground : Infinity. » Le portrait qui s’affiche cette fois est celui de... Gregory Zeschuk, affublé d’une barbe et de cheveux blancs pour l’occasion. Difficile de ne pas sourire quand on sait que, par la suite, BioWare conservera cette habitude d’intégrer des portraits de personnages inspirés d’employés et de proches dans Baldur’s Gate.

Les premières fondations de Baldur’s Gate

C’est pendant le développement de Shattered Steel puis du prototype de Battleground : Infinity qu’une bonne partie des têtes pensantes du futur Baldur’s Gate est recrutée par BioWare. C’est le cas de James Ohlen. Comme tant d’autres, Ohlen s’est retrouvé embarqué dans l’aventure un peu par hasard. Jeune propriétaire d’une boutique de comics, il est sur le point de reprendre ses études après avoir vendu son fonds de commerce. C’est à cette époque qu’il apprend, via une petite annonce dans un journal local, qu’un jeune studio recherche des talents variés afin de développer des jeux vidéo. Certain d’avoir l’expérience nécessaire grâce à ses nombreuses années de pratique du jeu de rôle où il occupe bien souvent la place de meneur4, il postule avec succès. Après avoir brièvement participé à Shattered Steel, il se consacre à Battleground : Infinity puis à Baldur’s Gate pour lequel il s’occupe du design, de l’écriture et même de la programmation. Par la suite, il contribuera à de nombreux autres projets comme Neverwinter Nights, Dragon Age ou encore Star Wars : The Old Republic. En juin 2018, après vingt-deux ans passés chez BioWare, Ohlen démissionnera de ses fonctions pour prendre une pause vis-à-vis de l’industrie du jeu vidéo et se consacrer à l’écriture d’ouvrages de jeux de rôle papier.

Un autre élément important de l’équipe de Baldur’s Gate est recruté à la même période : John Gallagher. Après avoir étudié l’art pendant un an, John oriente ses études vers un métier plus lucratif qu’illustrateur de comics, comme il l’envisageait dans un premier temps. Il rejoint alors l’Université de Mount Royal à Calgary, dans la province canadienne de l’Alberta, afin d’étudier l’art télévisuel avec une spécialité dans l’écriture et la production de spots publicitaires. Son diplôme en poche, Gallagher quitte Calgary pour emménager à Edmonton. Il y trouve rapidement un travail à temps partiel pour la chaîne de télévision CBC. Il se consacre alors à Rough Cuts, une émission culturelle dédiée à la danse, aux arts, aux nouvelles technologies ou encore à la musique.

En mai 1995, par un ami, John entend parler d’un petit studio de développement de jeux vidéo qui travaillerait sur un premier projet nommé Shattered Steel. Il s’agit bien évidemment de BioWare. Gallagher propose au producteur de Rough Cuts de leur consacrer quelques minutes de la prochaine émission, ce qui est accepté. Afin de préparer le terrain, le jeune homme rencontre Gregory, Raymond et Augustine. Le courant passe bien entre eux et au fil de la conversation, John évoque son parcours, notamment sa passion pour l’illustration. Les trois fondateurs cherchent justement à mettre la main sur de nouveaux talents pour développer leurs futurs jeux. Sans détour, ils lui demandent son portfolio, ce qu’il s’empresse de leur apporter dès le lendemain. BioWare est conquis et lui offre un poste de directeur artistique sur leur projet naissant. Son travail consiste alors à dessiner à la main tous les assets5 graphiques du jeu comme les objets, les personnages ou encore l’environnement et de s’assurer de la cohérence du tout. Un travail titanesque lorsque l’on sait qu’il faudra notamment plus de 10 000 décors en résolution 640 x 480.

Grâce à une équipe certes inexpérimentée mais solidement encadrée par Raymond Muzyka, James Ohlen ou encore le programmeur Scott Greig, la démo de Battleground : Infinity – celle-là même que dévoilera Zeschuk en 2014 à Paris – est finalement achevée. Il s’agit désormais de convaincre Interplay... qui refuse net le projet. Outre le fait qu’un trop grand nombre de jeux soient actuellement en production, Interplay juge que ce prototype manque de personnalité : coup dur pour les concepteurs qui cherchent néanmoins un autre éditeur afin de le financer. C’est alors qu’un allié providentiel, qui avait déjà épaulé BioWare par le passé, vient à leur rescousse. Il s’agit de Feargus Urquhart, le producteur rencontré dans les locaux d’Interplay lors de la signature de Shattered Steel.

L’atout Feargus Urquhart

Tout comme Zeschuk et Muzyka, Feargus Urquhart s’éprend très tôt du jeu de rôle et de son infinité d’univers. Adepte d’Advanced Dungeons & Dragons mais aussi de Paranoïa ou de RuneQuest, c’est un jeune homme trop timide pour prendre la place de meneur. Il préfère conserver un rôle de joueur pour se délecter des aventures que ses amis écrivent pour lui. Par ailleurs, partagé entre ses études en bio-ingénierie et son travail de livreur de pizzas, il prend malgré tout le temps de se consacrer à une autre passion : le jeu vidéo. Il est d’ailleurs particulièrement fan de deux C-RPG populaires, The Bard’s Tale : Tales of the Unknown et Wasteland.

Quelques années plus tard – nous sommes en 1991 –, un camarade de Feargus lui annonce qu’il a été engagé au service client d’Interplay. Lorsque l’ami en question lui propose un poste de testeur pour la période estivale à venir, Urquhart accepte immédiatement sans se douter un seul instant que ce petit job lui ouvrira la porte d’une longue carrière dans le jeu vidéo. Après trois ans passés à ce poste, il est nommé producteur et encadre le développement de divers titres édités par Interplay, comme Blackthorne ou The Lost Vikings II de Blizzard Entertainment. En 1996, Urquhart devient le responsable de la toute nouvelle division d’Interplay consacrée aux RPG : baptisée DragonPlay à sa création, elle devient par la suite Black Isle Studios.

En voyant tourner le prototype de Battleground : Infinity, Urquhart se dit qu’une carte est à jouer. Depuis quelque temps, Interplay a en effet acquis les droits d’adaptation de la licence Advanced Dungeons & Dragons auprès de son éditeur, TSR. Feargus propose alors d’oublier cette histoire de dieux mythologiques et de repartir sur de nouvelles bases en utilisant le système de règles d’AD&D, tout en exploitant l’un des univers les plus populaires jamais imaginés pour ce jeu de rôle : les Royaumes Oubliés6. Bien évidemment, en tant que grands admirateurs de la licence, Zeschuk et Muzyka acceptent la proposition, à condition qu’ils puissent conserver leurs intentions quant à l’expérience de jeu, comme la vue du dessus par exemple – qui se transformera ceci dit en perspective isométrique par la suite.

Feargus contribue ainsi largement à donner au projet Battleground : Infinity une direction plus concrète, ce qui va finalement convaincre Interplay de l’éditer. Renommé une première fois Iron Throne – un terme tiré d’une organisation de voleurs et d’assassins que l’on croise à la Porte de Baldur – c’est Urquhart qui lui donnera son nom définitif en suggérant Baldur’s Gate.

La formation de l’équipe derrière Baldur’s Gate

Un terrain d’entente est trouvé entre Interplay et BioWare, le développement de Baldur’s Gate peut donc réellement commencer, avec une sortie programmée pour le milieu de l’année 1997. Encadrés par Urquhart, au poste de directeur de production du côté de Black Isle Studios, et par Muzyka du côté de BioWare, les développeurs affectés à Baldur’s Gate se mettent au travail. Cette fois, plus question d’avancer à tâtons puisqu’ils disposent d’une quantité phénoménale de matière première grâce à la licence Advanced Dungeons & Dragons. De plus, l’opportunité d’utiliser les règles et l’univers d’un jeu de rôle très populaire leur permet de s’aligner facilement sur un marché déjà existant, ce qui diminue le risque d’un échec commercial. Toutefois, ce qui s’avère être un avantage au premier abord se transforme en un incroyable défi à relever.

Advanced Dungeons & Dragons est en effet un jeu de rôle à l’occidentale, avec tout ce que cela implique en termes de game design. La liberté des joueurs, aussi bien dans leurs actes que dans l’interprétation de leurs personnages, est cruciale. Il n’est donc pas question pour BioWare de proposer une expérience en ligne droite qui sera vécue de la même manière par tous les joueurs. Par ailleurs, l’univers des Royaumes Oubliés étant immensément riche et détaillé, il appartient aux scénaristes, James Ohlen, Lukas Kristjanson, Rob Bartel et Matt Horvath, d’écrire une histoire et des dialogues qui combleront aussi bien les connaisseurs de la licence que les néophytes.

En l’espace de quelques mois, et afin de répondre à ce cahier des charges ambitieux, BioWare embauche à tour de bras. Bientôt, ce sont plus de 70 employés qui participent activement à la conception de Baldur’s Gate. Comme pour Shattered Steel, les trois docteurs ne sont pas exigeants sur les qualifications de leurs nouveaux employés tant qu’ils font preuve de suffisamment d’enthousiasme pour apprendre sur le tas. Résultat : la plupart d’entre eux n’ont aucune expérience dans la conception d’un jeu vidéo. L’un des artistes engagés à l’occasion n’a même jamais allumé un ordinateur de sa vie. Il apprendra en quelques semaines à s’en servir et deviendra un technical artist particulièrement efficace dans la conception de modèles 3D.

Des inspirations variées

Peu à peu, malgré l’inexpérience de ses créateurs, Baldur’s Gate commence à prendre forme. Afin de simuler efficacement le système de règles d’AD&D pour les combats, BioWare lorgne du côté des autres C-RPG de l’époque. Si des jeux comme la série The Bard’s Tale, Wizardry ou Realms of Arkania sont largement étudiés, une œuvre moins populaire et pourtant novatrice pour son époque donne des idées à James Ohlen et à son équipe de game designers. Il s’agit de Darklands, un jeu de rôle sorti sur PC en 1992 et dont le scénario se déroule au cœur du Saint-Empire romain germanique du XVe siècle. Développé par MicroProse (Civilization), Darklands propose un système de combat stratégique en vue isométrique. À tout moment, le joueur peut mettre l’action en pause afin de donner des ordres à ses personnages comme attaquer ou se déplacer. Séduits par ce concept, les designers s’inspirent de Darklands pour mettre en scène les combats de Baldur’s Gate tout en insufflant une bonne dose de dynamisme. Cette mécanique de gameplay, c’est le fameux système de pause active qui restera pendant longtemps la marque de fabrique de BioWare. On le retrouvera par la suite sous une forme ou une autre dans de nombreux titres du studio, de Neverwinter Nights à Dragon Age en passant par Mass Effect. Nous reviendrons sur les particularités de ce système dans le chapitre 9 consacré à l’analyse du gameplay.

Dans un tout autre registre et selon les dires de Ray Muzyka à PC Gamer en 2012, Jagged Alliance est une autre série à citer comme source d’inspiration majeure pour Baldur’s Gate. Créé par Sir-Tech - la société développant Wizardry et éditant également Realms of Arkania aux États-Unis –, Jagged Alliance est un jeu de stratégie au tour par tour, dans lequel une escouade de mercenaires recrutée et contrôlée par le joueur doit libérer l’île de Metavira de l’influence du docteur Santino. L’une des originalités de Jagged Alliance tient dans l’écriture des personnages jouables. En effet, ces derniers disposent tous d’une personnalité avec des traits de caractère très différents. Par exemple, Skitz est un homme sanguinaire qui cherche à tuer le plus grand nombre d’ennemis possible : il quittera le groupe si on ne lui en donne pas la possibilité. Mieux encore, si le joueur décide de l’intégrer dans la même escouade que Sparky, Skitz finira par l’assassiner car il ne supporte pas sa « voix agaçante ».

Cette impression que les alliés du joueur ne sont pas de simples pions à commander mais de véritables personnages guidés par leurs motivations, c’est exactement ce que l’équipe à l’œuvre derrière Baldur’s Gate cherche à obtenir. Pour cela, les scénaristes implantent des dialogues qui se lancent ponctuellement entre les héros et les compagnons présents dans le groupe, ainsi que des quêtes personnelles à résoudre. C’est notamment le cas de Xzar et Montaron, deux personnages qui ne rejoindront définitivement le joueur qu’à la condition que ce dernier se rende aux mines de Nashkel. Le cas échéant, et puisqu’il y a une limite de temps à ne pas dépasser, ils finiront par s’en aller définitivement.

Au sujet des personnages, un grand nombre d’entre eux sont issus d’une campagne d’Advanced Dungeons & Dragons écrite par James Ohlen à partir de 1993. À l’époque, le rôliste recherche de nouveaux acolytes. Pour ce faire, il dépose une annonce à la bibliothèque d’Edmonton et dans quelques boutiques de la ville. En quelques jours, il reçoit de très nombreux appels et c’est sans difficulté qu’il forme un groupe. Lors de la phase de création des personnages, certains noms bien connus des fans de Baldur’s Gate émergent comme Sarevok, Edwin ou Xan. Lorsque Cameron Tofer, un futur programmeur engagé par BioWare, rejoint la campagne d’Ohlen sur le tard, il crée un rôdeur nommé Minsc. « Je passais beaucoup de temps sur Civilization et je jouais souvent les Russes. Minsc a donc été baptisé selon la ville du même nom », raconte Tofer sur le blog de Beamdog. Comme son personnage est plus faible que les autres en raison de son arrivée tardive et de son retard en expérience, il finit régulièrement entre la vie et la mort et Cameron doit bien souvent se contenter d’incarner le compagnon de Minsc, le hamster Bouh.

Un développement difficile

Inévitablement, du fait de leur manque d’expérience, les employés affectés à Baldur’s Gate commettent de multiples erreurs qui, couplées aux limitations techniques de l’époque, entraînent un retard conséquent. Comme nous l’explique John Gallagher : « Nous construisions l’avion dans lequel nous volions7. » Autrement dit, la nécessité pour les employés fraîchement recrutés par BioWare de se former à la création d’un jeu vidéo aussi ambitieux tout en progressant dans les techniques de développement est, comme nous pouvons l’imaginer, aussi enrichissante qu’épuisante. Prévu pour le milieu de l’année 1997, Baldur’s Gate est finalement repoussé à fin 1998.

L’une des principales difficultés rencontrées par l’équipe, et qui expliquent ce délai, est que l’ensemble du développement évolue de manière complètement parallèle. D’un côté, une partie de l’effectif conçoit le moteur maison de BioWare, l’Infinity Engine. De l’autre côté, le reste des effectifs travaille sur le jeu en ayant pour contrainte de s’adapter continuellement aux modifications de leurs outils. C’est d’ailleurs la raison qui explique que la grande majorité des graphismes doivent être refaits non pas une ni deux, mais bien trois fois, ce qui représentera une perte de temps colossale.

De même, alors que l’Infinity Engine se voit doté d’une capacité plus importante du nombre d’images à afficher par seconde8, les conséquences de ces améliorations se révèlent désastreuses vis-à-vis du travail déjà abattu – bien qu’elles soient bénéfiques pour les performances graphiques du jeu. En effet, une hausse du nombre de fps signifie qu’il est nécessaire d’augmenter le nombre d’illustrations afin d’obtenir un rendu plus fluide des animations. Puisque les animations en question ont déjà été réalisées en amont à une époque où l’Infinity Engine était moins puissant, celles-ci ne sont plus assez détaillées. Les artistes doivent donc tout reprendre à zéro afin de se conformer aux nouvelles exigences du moteur.

Par ailleurs, compte tenu des ambitions graphiques de Baldur’s Gate, la technologie employée est très limitée. Comme elle le relate à IGN, Marcia Tofer, une artiste assignée à la création des textures, la seule ville de la Porte de Baldur nécessite 1 296 scènes dont la résolution est de 23 040 X 12 280 pixels. Pour effectuer le rendu9 d’une seule zone sur un ordinateur, il faut donc entre 22 et 40 heures ! Ces divers contretemps et difficultés techniques mettent à mal le moral de l’équipe. Durant les six derniers mois de développement, plus personne dans les bureaux de BioWare ne compte ses heures. Dans la salle de réunion, une immense carte de la Porte de Baldur, la plus grande cité du jeu, couvre l’un des murs du sol au plafond. John Gallagher nous dira plus tard : « Pour beaucoup d’entre nous, cette carte est devenue un symbole de notre dévotion envers ce jeu et de l’amour, du soin et de l’attention que nous lui avons tous donnés. » En dépit de cette formidable volonté d’achever leur projet, nous imaginons très bien, comme c’est malheureusement souvent le cas dans l’industrie du jeu vidéo, les conditions extrêmement difficiles de fin de développement que les employés ont subies.

Le nouvel objectif de BioWare est désormais de sortir Baldur‘s Gate pour la fête de Thanksgiving qui a lieu fin novembre 1998. La raison de cet empressement est simple : il s’agit d’une célébration traditionnelle aux États-Unis10, suivie dès le lendemain par le fameux Black Friday11. Pour des millions d’Américains, c’est l’événement de fin d’année à ne pas rater, au point que nombre d’entre eux posent un jour de congé afin d’en profiter. Pour s’assurer une importante visibilité, il est donc crucial pour Interplay et BioWare que Baldur’s Gate soit en vente à cette période. Est-ce à cause de toute cette pression que, dans le jeu final, une série de blagues faisant référence aux développeurs et aux producteurs se déclenche lorsque nous inspectons les tombes situées au centre de la ville de Nashkel ? Sur le mausolée notamment, une épitaphe signée par un certain Ray apparaît : « Bon sang, ce jeu va finir par me tuer. »

Chris Parker, un des producteurs de Baldur’s Gate chez Black Isle Studios, nous partage ses souvenirs concernant cette période de crunch12 exténuante : « Nous avions déjà tout donné, nos batteries étaient vides et les discours de motivation ne fonctionnaient plus. Les sentiments de fierté et d’accomplissement ont été remplacés par l’envie d’en finir13. »

Le départ pour une autre vie

Un nouvel événement vient ébranler les fondations de BioWare en 1998. Après le départ, trois ans plus tôt, de la moitié des directeurs d’origine, c’est au tour d’Augustine Yip de quitter le navire pour de bon. En effet, à ce stade, le studio commence à prendre une place toujours plus importante dans le quotidien des trois docteurs. Ce qui n’était pour eux qu’un simple hobby devient de plus en plus chronophage sachant qu’en parallèle, et pour des raisons financières, ils n’ont jamais cessé d’exercer la médecine. Il faut dire que malgré le contrat signé avec Interplay, qui prévoit entre autres des paiements réguliers pendant le développement de Shattered Steel, les revenus engrangés par BioWare entre 1995 et 1998 sont à peine suffisants pour rémunérer ses nombreux employés. Gregory, Raymond et Augustine n’ont donc pas d’autre choix que de mener une double vie épuisante, aussi bien sur le plan physique que moral, afin de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Si, au fil des années, Zeschuk et Muzyka s’éloignent de la médecine pour se consacrer entièrement à BioWare, Yip, lui, aspire à une autre vie.

Ce dernier supporte de moins en moins bien son quotidien, comme il l’expliquera dans une interview donnée en mars 2017 sur le site Internet du Royal College of Psychiatrists : « Développer des jeux nous accaparait 18 heures par jour sans possibilité de faire du sport. Notre alimentation était désastreuse, principalement à base de pizzas et de sodas à chaque repas. Et nous étions enfermés dans des bureaux sans fenêtre avec cinquante autres geeks à jouer à des jeux vidéo et à parler de jeux vidéo toute la journée. [...] Je savais que je ne pourrais pas continuer à faire cela très longtemps14. »

Par ailleurs, et c’est certainement ce qui a largement pesé dans la balance quant à son départ de BioWare, sa femme Monica et lui attendaient leur premier enfant. À l’époque, ils prennent donc la décision de quitter Edmonton et de fonder leur foyer dans une autre région. Cette séparation n’est pas sans conséquence pour Gregory et Raymond qui laissent partir leur plus ancien camarade, celui avec qui tout a commencé. Les deux docteurs savent bien qu’ils ne seraient jamais allés aussi loin sans Yip. D’un autre côté, ils doivent se tourner vers l’avenir pour continuer à porter BioWare aussi loin que possible... cet avenir immédiat s’appelait alors Baldur’s Gate.

Noël sous le signe du RPG

Malgré tous ses efforts, BioWare ne parvient pas à boucler le développement de Baldur’s Gate pour le Black Friday. La déception est réelle car il se peut que le studio canadien ait raté une véritable opportunité de vendre correctement son jeu. Cela dit, pas question d’abandonner pour autant, la fin du développement est à portée de main. Lorsque la version gold15 est finalement prête au milieu du mois de décembre, le soulagement est réel pour les développeurs, qui n’aspirent qu’à un peu de repos. Cependant, une alerte lancée par le département assurance qualité change la donne. Chris Parker nous raconte : « Ils ont trouvé deux bugs. Bien qu’aucun des deux ne remette en cause le fonctionnement du jeu, ils avaient l’air assez grave. Nous aurions pu probablement en laisser passer un, mais les deux, c’était trop. »

Parker est inquiet. En septembre de la même année, Black Isle Studios a publié Fallout 2, un excellent C-RPG certes, mais criblé d’un grand nombre de bugs qui, dans certains cas, empêchaient tout simplement le joueur de poursuivre sa partie. Bien que Fallout 2 se soit très bien vendu, Interplay est dans le collimateur de la presse : ils ne peuvent donc pas se permettre de livrer Baldur’s Gate en l’état, malgré le feu vert initial. Chris Parker et Feargus Urquhart ont alors une longue conversation. Doivent-ils arrêter le processus de pressage16