Barbotage en eau trouble - Ansley Roland Moyez - E-Book

Barbotage en eau trouble E-Book

Ansley Roland Moyez

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Beschreibung

Une femme trahie et revancharde... Un privé ringard mais coriace... Un singe Bonobo bien trop curieux... Un pauvre type en perdition... Un riche industriel vaniteux et pervers... Rencontre fatidique ! identités bluffées ! Virée fracassante ! Un véritable guêpier !

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Visage collé au miroir d’une salle de bain luxueuse composée essentiellement de marbre de Carrare et de marbre noir de Wallonie, Hugues Heuriche, sourire sereinement affiché, se rasait une barbe naissante. Nu, il accusait idéalement son âge, la cinquantaine bien tassée… Ainsi s’offraient au détail d’imperceptibles flétrissures naissantes sous les biceps ou encore d’infimes ridules sous les yeux… On imaginait bien par ce regard attentif examinant certaines zones de ce corps, les prémices au vieillissement corporel qui s’imposaient doucement, de toute évidence, polluaient quelque peu sa sérénité, nonobstant il émanait de ce regard suffisant comme un refus d’acceptation de cette loi de la nature. Ainsi chacun de ses gestes semblait être accompagné par la marque d’une fierté absolue, une arrogance certaine, soulignée par de petits rictus ancrés au coin des lèvres espérant démontrer à ce vide ambiant toute une forme d’assurance, d’aisance et de triomphalisme.

Environnement luxueux. On pouvait aisément imaginer qu’Hugues Heuriche bénéficiait d’une réussite sociale exemplaire, d’une vie aisée, sans réelle limite. Ainsi pouvait-on présumer à quel point cet homme-là s’estimait !

Il s’aimait sans vergogne ! Lui. Lui seul !

Son prochain ? Ça, il n’en avait que faire, sauf si celui-ci semblait témoigner d’une utilité certaine.

Comblé et baignant dans cette belle extase permanente, il s'essuya le visage et le haut du corps avec une serviette-éponge de chez Ralf Lauren : condition exige… La douceur de cet agréable coton d’Egypte sembla lui apporter un plaisir rare, il s'admira encore, face à ce miroir, insistant par quelques grimaces ridicules mais amusantes, soutenues par quelques ultimes tapotements sur les dernières zones humides de son visage avec cette engageante serviette-éponge qu’il finit par jeter nonchalamment dans le lavabo.

Il sortit de sa salle de bain.

La démarche souple et élégante, il descendit le grand escalier fait d’un autre marbre rare, traversa le salon, et se dirigea vers la cuisine.

Une table. Un petit-déjeuner copieux dans une vaisselle d’un un style baroque de renommée internationale, Royal Albert, porcelaine anglaise à la cendre d’os.

Frida, l’employée de maison, qui venait de prendre son service avait tout juste eu le temps de préparer la table.

— 6h30 !... Vous êtes bien matinal aujourd’hui, Monsieur Heuriche !... s’osa-t-elle.

Il avala rapidement sa tasse de café, grimaça, grogna, excédé, levant les yeux au ciel,

— En tout cas, ce café est franchement dégueulasse, Frida ! Ronchonna-t-il, reposant sèchement la tasse sur sa soucoupe.

Il se dirigea aussitôt vers la buanderie.

Frida, hésitante, le suivait, à distance respectable, puis s’autorisa à le devancer afin d’accéder aux vêtements.

Il arracha pratiquement des mains, l'imperméable que lui tendait cette brave femme de ménage, mexicaine, toute disposée à servir… Elle accusait une bonne quarantaine d’années. Le visage affligé par quelques années passées, probablement difficiles. Le corps un peu boudiné par de sérieux et navrants dépôts de graisses répartis ici et là… - Ne sait-on jamais en cas de gros hiver, il faut prévoir. Bien qu’au Mexique l’hiver…- Probable constat porté sur elle par ce désagréable bonhomme qui observait le Burberrys gris qu’elle venait de lui proposer. Instantanément il lui redonna avec agressivité l’imperméable, le lui jetant, même, indifféremment à la figure.

— Non. Surtout pas celui-là ! Cette couleur !... Un véritable porte-poisse pour un lundi !

— Je suis confuse, Monsieur Heuriche… s’excusa la brave Frida.

— Refourguer-moi ça aux pauvres !… grognonnant sa mauvaise humeur, eux, ils l’ont déjà, la poisse !... il s’agaça encore un peu plus, …chaque matin, Frida, vous m’emmerdez avec cette confusion inhérente aux médiocres !... la tança-t-il, sans ménagement aucun, …J’eusse préféré que vous élaboriez dans ce cerveau ramolli une meilleure fusion parmi ces neurones desséchés afin de me préparer un bon, vrai, café !

— Je suppose que vous serez absent, pour le déjeuner, Monsieur ?... demanda-t-elle aussitôt, cherchant ainsi à recadrer le sens de la demande et d’estomper l’humiliation, tout en s’efforçant de rester stoïque.

— Vous, votre cuisine… Ah, j’évite ma pauvre Frida ! J’évite !

Elle se retourna modérément en se pinçant les lèvres, ferma les yeux, une simple réplique à ces propos venimeux et, elle se retrouverait virée sans ménagement. Que faire ? Sinon lancer un imperceptible mais rageur soupir et s’en aller, résignée, vers sa cuisine loin de cette ambiance électrique.

Heuriche, s’apprêtant à sortir, empruntant le couloir de l’entrée de la maison, croisa Anne-Constance, sa femme.

Beauté extraordinaire intensifiée d’une inéluctable élégance naturelle. De bon matin, elle rayonnait vêtue d’une longue chemise de nuit blanche ajustée de dentelles qui retombaient jusqu’au sol, telle une traîne…

Un visage de déesse, les traits d’une rare finesse ceux d’une femme approchant admirablement une quarantaine d’année… Magnifique visage, qui, pourtant en cet instant, affichait une rancœur affirmée.

Anne-Constance, curieusement, marchait avec difficulté, elle semblait même chercher à s’agripper aux meubles pour trouver l’assurance d’un certain équilibre.

De part et d’autre, aucune salutation, ni de signe de tendresse. Ce grand seigneur de mari fit mine d’être en retard.

— Comme d'habitude, dès que nous apparaissons, le voilà des plus pressés !... Monsieur s’est levé aux aurores ?... L’envie doit être pressante ?… maugréa-t-elle, l’asticotant d’emblée, affichant un peu plus un visage maussade.

Exaspérée, elle le suivait dans ses moindres déplacements. Bien qu’embarrassé par cette situation grotesque, il ne répondit pas.

— Impérieux appétits à satisfaire ?... Nous présumons ?... Cessez donc ces feintes grotesques, Hugues, chéri ! Nous imaginons fort bien qu’une entichée poule, puisse vous attendre !

— Et voilà, c'est reparti pour le chapitre de la femme blessée dans son orgueil !... souffla-t-il plus que blasé.

— Oseriez-vous nier l’évidence ?

Elle l’attrapa furieusement par la manche de sa veste, voulant le bloquer et le mitrailler d’un regard de procureur. Il la bouscula nerveusement. Elle manqua de s’étaler dans la penderie. Vexée, elle se redressa aussitôt. Au passage d’un corridor, sur un guéridon, elle empoigna sèchement un paquet de cigarettes. Rageuse, s'en alluma une, aspira longuement en fermant les yeux, s’efforçant de contenir son courroux.

— Ces échappées funambulesques nous ont suffisamment lassées, Monsieur Heuriche. Puisque la notion du vide ne semble pas vous atteindre… Nous agirons donc !

Elle jeta sèchement le briquet sur le guéridon tandis que lui cherchait un autre imperméable en s’énervant. Frida voulut l’aider. Il la vira sans ménagement tout en se tournant durement vers Anne-Constance,

— Quand voudrez-vous comprendre, Anne-Constance... Les peines à jouir, seulement bonnes à lécher les vitrines à longueur de journée, voyez-vous, ça me crispe !

— Oh, ça, oui, je préfère lécher les vitrines que lécher votre prétentieuse petite bite !

Frida, dans son coin, ne put s’empêcher de pouffer. Elle en arriva même innocemment à bénir le ciel d’entendre sa patronne fustiger ainsi ce prétentieux et odieux mari, néanmoins, elle s’activa à continuer ses tâches ménagères, calculant ses gestes, elle s’effaça discrètement vers le fond de la cuisine laissant le couple à son engueulade.

— …Et, si, par votre compagnie, votre infecte présence, nous en sommes rendues frigides, il n’en tient qu’à vous, pauvre chéri. Certes, un lapin n’aurait pas fait pas mieux !

Rendue furieuse, elle posa sèchement sa cigarette sur un cendrier en cristal de Baccarat et, dans la foulée, donna un bon coup de pied dans un somptueux et non moins ancien vase chinois de la dynastie Ming qui se fracassa au sol. Puis, exagérant une déambulation plutôt boitillante, elle fonça, acrimonieuse, vers l’odieux mari.

— Petit bonhomme ! Nous avons suffisamment supporté vos humiliations, vos menteries. Le réel… Parlons du réel… De votre avenir !... Vous savez ce qu’il prédit, en cet instant, le réel ? Ça veut dire, dehors !

Heuriche, gardant son sang-froid, avait enfin choisi un imper.

Frida hésitait, livrée à ces deux regards et esprits embués de hargne et de rage, devait-elle aller ramasser, dans l’immédiat, les morceaux éparpillés ici et là de ce rare et estimable vase Ming sur le parquet en chêne vernis de ce long couloir, ou bien, aller se faire rembarrer par ce sinistre sarcastique épouvantable mec, en voulant lui proposer un autre imperméable mieux assorti au tissu de son costume ?

— Dorénavant, pour vous, Monsieur Heuriche, cette maison restera close !... insista sa femme, en reprenant vivement sa cigarette dans ce cendrier laissant émaner une multitude de reflets saillants dus aux rayons de ce soleil matinal et à la qualité exemplaire de ce fin cristal.

Ayant tiré une longue taffe, furieuse, elle saisit un autre vase cristal Baccarat, qu’elle balança violemment dans la direction de l’infect mari qui l’évita de justesse, affichant sur sa face prétentieuse un air tout autant agacé qu’amusé.

Le vase éclaté laissa résonner dans la pièce un son limpide sublime, le cristal soufflé bouche dans toute son influence…

Trop surexcitée, Anne-Constance finit par perdre l’équilibre. Elle s’étala au sol. Il grimaça, voulut l’aider à se redresser. Hargneusement, elle le repoussa.

— Ah, vous ! Ne nous touchez, en aucun cas !... elle en suffoqua presque. Hargneuse, héla Frida en hurlant, …Frida ! Vous avez entendu ? Frida !... gueula-t-elle en se relevant en insistant avec une certaine difficulté afin que cet homme odieux ressente plus profondément trouble et embarras.

La pauvre Frida, très pragmatique, qui ne voulait certainement pas montrer qu’elle prenait parti pour l’un ou pour l’autre, se crut, cette fois-ci, obligée de montrer son nez dans le couloir du salon.

— Dorénavant dans cette maison, Monsieur Heuriche n’est plus en odeur de sainteté !… maugréa sa patronne.

Frida, plus ou moins masquée entre deux portes du couloir, à proximité n’osait plus vraiment bouger. Elle opina du chef discrètement sans oser regarder un seul instant le patron blâmé.

Heuriche sans se préoccuper de la situation prit sa sacoche en croco, posa l’imper choisi sur une épaule et, s’empressa d’ouvrir la porte, puis, lui faisant face, en un effet provocateur,

— Vous vous égarez très chère ! Vous êtes toute détrempée de ce luxe qui vous fait tourbillonner l’esprit. Oublieriez-vous que, tout ce qui vous entoure ici m’appartient ?... Tout autant qu’à vous ! Alors si vous avez l’intention de guerroyer… la bataille risque fort, pour vous, de ressembler à celle d’Azincourt !... Oserai-je vous rappeler que la noblesse y perdit son latin !...

Cette raillerie pernicieuse accompagnée d’un sourire destructeur faisait référence à la noblesse d’Anne-Constance. Cette flèche était d’autant plus allusive car sa famille qui remontait à cette époque peu glorieuse était aujourd’hui en grande partie ruinée, cela depuis la dernière guerre, suite à la confiscation de leur château par l’armée allemande, puis par l’armée américaine qui n’avaient pas trouvé mieux que de niveler le sol sur l’ensemble du rez-de-chaussée avec un épais goudron, les gradés trouvant que les tomettes bien que datant du XVIe siècle, ne rendaient pas le sol assez lisse pour faire circuler leur détestable mobilier d’archivage métallique posé sur des roulettes couinantes. Après la guerre, la remise en état nécessaire du château avait coûté une fortune à ses parents qui avaient dû vendre une grande partie de leurs biens pour pouvoir subsister.

Anne-Constance se pinça la lèvre inférieure d’une dent haineuse et rancunière, furibonde, elle se retourna vivement pour ne pas affronter le regard malsain de son odieux époux.

Lui, sans se préoccuper d’une éventuelle réplique assassine, sortit en claquant la porte, se dirigea vers le garage grand ouvert.

Là, reposaient comme des sculptures flamboyantes, une Rolls Phantom bi-ton, grenat et crème, rare vestige des années 60, de la noble famille d’Anne-Constance que lui avait offert son père, un jour fort en sentiments. Garée non loin, une Mini Cooper hybride, flambant neuve, en un vert british triomphant, et sur sa droite, un peu plus loin, un formidable cabriolet anglais, une TVR Sagaris, très rare en France. Dernier monstre d’une marque qui avait plus ou moins périclité, qui n’en finissait pas d’essayer de se redresser de financiers en financiers… Extraordinaire auto. Des formes futuristes osées en une couleur orangée nacrée flashy qui variait selon les instances lumineuses.

Un sourire outrancier restait placardé sur le visage de cet homme prétentieux qui avait choisi ce constructeur automobile par pure défit, puisque rares étaient les acheteurs fortunés qui, se tournant invariablement vers des marques de réputation, en d’autres prestige, plus en vogue, snobaient la marque. Ici, en quelque sorte, il se sentait presque solidaire des constructeurs automobiles indépendants et un rien rebelle aux recommandations expressives qui orientaient le riche à moins d’ostentation. C’était l’une des rares pointes d’affections envers le monde environnant que pouvait montrer Hugues Heuriche. Certes, il possédait bien des choses, villas en bord de mer, en France et ailleurs de par le monde, chalet dans les Alpes, quelques œuvres d’art, pour faire genre, comme tous les nantis, et, des comptes bancaires, ici et là…

En réalité, avait-il une réelle passion ? Non aucune.

Sauf, peut-être, celles de se retrouver dans l’une de ses maisons et, cuisiner pour des invités, ou, parfois aussi, se retrouver en pleine mer sur son grand voilier et se faire peur par temps de grands vents. Par ailleurs il n’était pas très bon marin, il avait jusqu’à présent toujours fait appel à un skippeur pour naviguer correctement.

Pouvait-on imaginer réellement chez lui un loisir lié à une passion extrême ? Absolument en pas !

Que dire encore de ses réels penchants ? L’envie de charmer quelques femmes qui le tentaient un peu, soit pour la difficulté présente occasionnée, célébrité ou rayonnante employée, soit pour le fun, cependant il s’en lassait très vite de ces femmes-là. Pouvait-il réellement aimer ? Difficile à dire puisqu’il se méfiait autant de tous comme de toutes.

Son temps était donc voué, cyniquement, aux seuls désirs ou besoins immédiats.

Il s’installa dans l’auto. L’intérieur cuir luxueux et avantgardiste dans le même ton que la carrosserie resplendissait sous les rayons de ce soleil intrusif de fin Avril qui traversaient partiellement le garage. Il actionna la capote électrique afin de rendre l’auto en décapotable. La TVR démarra en un puissant rugissement de moteur V8 suralimenté.

Anne-Constance figée derrière les rideaux d'une porte-fenêtre du grand salon l'observa, pestant, enflammée d’exaspération. La rage lui fit tant serrer les poings qu’un sang limpide circulant ardemment les fit rougir excessivement. Tandis que sur son visage restant pâli par le ressentiment, une certaine contorsion engendrait un petit rictus sardonique qui semblait s’apparenter à une vieille intention de représailles.

Elle se déshabilla en toute hâte. Nue. Magnifiquement femme… Un corps élancé. Des jambes imperceptiblement galbées, tout en finesse, des fesses idéalement dessinées, juste redondance, rien de vulgaire, une chute de reins digne des plus belles illustrations d’héroïne de mangas, et des seins, dont la courbe aurait fait loucher et, indubitablement « manœuvrer », durant des heures, un groupe d’ados boutonneux…

Elle traversa le salon, entra dans sa chambre.

Elle ressortit, quelques instants plus tard, vêtue d'un costume aux allures très chics et ajustées. Silhouette bien droite, elle traversa la maison, elle ne boitillait pratiquement plus.

Elle posa un pied sur un fauteuil du petit salon pour mieux nouer le lacet de l’un de ses souliers. Elle fit de même pour l’autre pied, on découvrit alors qu’elle portait une prothèse toute chromée.

Sous les reflets saillants de cette lumière printanière, magnifique prothèse en un design approprié, un effet de remodelage du pied tout en acier, l’ensemble soutenu par un ciselage artistique très pointu qui évoquait une allégorie à la Licorne, un idéal d’amour où la Licorne, au bord d’un petit lac, se livre à un être élu, qui, agenouillé se dépouille de tous ses atours, ors et bijoux. De fait, cette Licorne accepte, pour ce seul homme, de devenir « Femme » dans son excellence.

Cette prothèse s’enchâssait parfaitement au moignon de l’excheville droite. Si cela la désavantageait physiquement, cette jambe restait néanmoins resplendissante, immanquablement, définitivement irrésistible.

Frida, s’étonna un peu de la voir ainsi déjà préparée, vu l’heure : 7h30 du matin ? L’heure des travailleurs !... Elle l’accompagna jusqu’à la porte d’entrée et lui tendit avec infinies précautions, une béquille.

Anne-Constance la remercia subrepticement, puis elle sortit.

Quelques secondes plus tard, au volant de sa Mini Cooper propulsée par le moteur électrique, elle traversait en silence et à vive allure le petit parc de la villa.

Ce matin-là, Nicroiplu s’était levé bien plus tard qu’à son habitude. Le regard suspendu à cette immonde cuisine dont les murs étaient couverts d’un médiocre papier plastifié bon marché, en des couleurs passées ; unité harmonieuse imprégnée de dioxine, provenance d’une probable coutumière tambouille bien trop huilée.

Un homme, loin de se préoccuper de cette condition, de cette laideur environnante, qui, en définitive faisait simplement partie de ses humbles goûts. Était-il seulement capable de juger à ce niveau-là ?... Certainement pas. Bien que, comme tout être qui se respecte, il aspirait à un meilleur environnement, mais pour l’instant, il se cantonnait à ce symbole commode « ça me suffit ».

Il y avait juste quelques meubles, vulgaires éléments d’un style courant d’une époque révolue et sans intérêt artistique qui renvoyaient tout autant à une image poisseuse.

Il était là, figé, pas vraiment effondré, ni complètement résigné, mais certainement désemparé, affalé, coudes posés sur un coin de la table, la tête enfouie dans ses mains potelées, crispées, le regard torve rivé à cette vieille radio issue de cette même vieille époque, un poste transistor tout autant maculé de gras de porc et des vieilles salissures rebutantes.

7 H 30. La radio normalement lui fournissait les infos du matin, seulement, ce jour-là, il avait décidé de ne pas l’allumer ! Rien. Non rien ! Il ne voulait rien entendre.

Il avait tellement raison sur ce point. Écouter ces satanées stations racoleuses attachées inexorablement à tous les pouvoirs qui s’étaient succédé depuis cinquante ans, pouvoirs économiques, politiques, médiatiques s’employant à fournir leur panade habituelle destinée à rassurer le prolo qui se lève tôt le matin, propos soporifiques gavant la populace à coup de poncifs et de résultats sportifs relayés par des présentateurs patentés, véritables cerbères des élites en place…

- Elite : un mot que l’on devrait supprimer du dictionnaire, ou du moins le ramener à sa définition primitive. Ces mecs et ces nanas des élites ? Pourquoi pas des surhommes, pendant qu’on y est ?... Juste de quoi faire se retourner dans sa tombe ce cher Friedrich Nietzsche ! …Ah, rions un peu ! –

Certes, cet homme n’aurait jamais pu réellement penser ainsi, puisque son vocabulaire, sa culture et son entendement au monde étaient particulièrement limités toutefois son esprit rejoignait assurément et innocemment cette essence-là !

— Plus royalistes que le roi !... vociféra-t-il, tout excité, en pensant à ces chroniqueurs, média/sensibles, dits vertueux, qu’il écoutait chaque matin à la même heure…

Tout cela n’avait que trop duré ! Non. Cette fois-ci : Silence total !... Mutisme !

Nerveux, mal luné, il venait de prendre une décision importante, voilà ce que l’on pouvait lire maintenant dans ce regard rassis : Yves Nicroiplu, puisque tel était son patronyme, n’irait pas au travail aujourd’hui !

Silence total. Seule, la cafetière italienne couinait par son débit de vapeur mêlé au café corsé. L’odeur de décrépitude était progressivement surpassée par celle de l’arabica.

Un peu de satisfaction dans cette vie morne qu’il menait depuis… Depuis toujours… Sortir de ce décompte plutôt que croupir jusqu’à ce qu’il ne devienne plus qu’une piètre couenne glacée que l’on crame dans un caisson en sapin bon marché ! Fuir… Fuir loin de cette désespérance ! De cette décrépitude !

Non pas vraiment l’espoir !… Il n’y avait plus d’espoir depuis si longtemps, peut-être même depuis toujours. L’espoir ! C’était réservé aux autres. Lui... Niet !

Il n’avait jusqu’à présent fait que suivre un chemin tout tracé. La servitude assurée.

La servitude : force des rupins et des puissants sur tous les rabougris dont il faisait partie.

Il aurait dû, depuis longtemps, avoir cette force de se fumer la gueule avec un colt, ou bien, de se la faire labourer, cette putain de tronche, sous un train !... Imperturbable ferraille qui vous broie les os et fait de votre viande un pitoyable résiné que vous espéreriez vipérin à l’adresse de ceux que vous détestiez !…

Oui, comme tant d’homme, il était bien lâche ! Trop lâche face à cette vie de merde qu’il menait depuis qu’il était né !

— Saloperie de boulot ! Marmotta-t-il entre ses dents.

Il pensa à ces quarante années passées dans la même entreprise. Toujours à l’heure. Exemplaire, le mec ! Minable planton. Bon à tout faire !...

La servitude. La servitude !...

— Aujourd’hui que dalle !... brailla-t-il, en assumant un tic nerveux. Il se leva d’un coup, balança sèchement la cafetière italienne encore fumante dans l’évier.

— Allez tous vous faire foutre !

Tandis que le café se déversait doucement dans l’évier, Nicroiplu se servait un grand verre à moutarde d’un gros rouge qui tache, l’une de ces piquettes qui vous met lentement l’estomac en vrac, et vous nettoie de la vie en quelques années… Il l’avala cul sec.

Il ouvrit l’armoire de la chambre à coucher, et, mine satisfaite, sortit un costume presque neuf, reposant sous un emballage plastique qui n’avait pas été ouvert depuis des lustres.

Il finit par sourire. Un sourire froid.

Sourire de sacrifié !

Hugues Heuriche, au volant de sa TVR, suivait la route de banlieue en écoutant les infos…

Tout à coup, sur l'asphalte, au beau milieu de la route, il aperçut un petit paquet qui attira curieusement son attention. Il pila net, descendit de son auto pour aller ramasser l’objet.

Un portefeuille. Il examina le contenu, des papiers d’identités : René Pépin, courtier en assurance. Il y avait aussi quelques billets. Il se mit à réfléchir un instant. Il regarda de part et d’autre de la route. Personne. Il décida de garder ce portefeuille. Pour quelles raisons ? Il n’en savait trop rien… Il remonta dans voiture.

Il suivait à nouveau la route. Pensif, il chercha sur son ordinateur de bord un morceau de musique branchée, la qualité de l’autoradio lui offrait un son parfait. Il explora sur le net le nom de ce type qui venait de perdre ses papiers. Il ne trouva rien de très intéressant, René Pépin, un Français moyen, aucune indication qui méritait de se donner la peine de s’attarder…

L’auto prit la direction de Paris.

Anne-Constance, foulard noir enveloppant ses cheveux, une paire de lunettes noires cachant ses yeux, figurait presque une véritable illustration des années 60. Au volant de sa Mini flambant neuve, elle semblait préoccupée, nerveuse elle écrasa une nouvelle cigarette à peine entamée dans le cendrier.

Bien que rivé à la route, son regard fuyait vers un ailleurs, imaginant ce qu’elle pourrait bien faire endurer à son ignominieux mari. Cette fois-ci rien ne l’arrêterait. Ce salopard allait payer pour tout ce qu’il lui avait fait subir, en premier lieu, les humiliations endurées par ses excursions sexuelles. Si elle n’avait que faire de ce genre de pérégrinations et procès d’adultères, c’est le principe par lui-même qui la picotait outrageusement. Elle, qui, durant des années, avait fulminé au zénith comme mannequin, cover-girl… Courtisée, adulée, elle vivait dans une constante extase, sachant pertinemment qu’à cette époque des dizaines, des centaines, des milliers de mecs devaient rêver, idéaliser sur elle, bavant sur les couvertures des magazines, se paluchant en détaillant son corps…

Elle aurait pu en choisir des hommes, mais par poignées entières… Si elle l’avait désiré réellement. Elle avait finalement posé son dévolu sur cet aventurier dans les affaires qui lui paraissait être brillant et malin. Elle avait même investi une grande partie de ses économies dans son business, c’était probablement grâce à cela que cette crapule avait fait fructifier son propre patrimoine. Heureusement, à ce jour, elle possédait suffisamment de parts pour s’émanciper de ce tordu. Mais toutes ces années gâchées, ça, elle ne risquait pas de rattraper le temps perdu.

Cet homme qui ne la regardait même plus ! Elle rageait d’autant plus… Comment ce salopard avait-il réussi à l’apprivoiser ? Elle, issue d’une famille noble qui, avait, certes, perdu sa puissance financière au début du siècle précédent. Mais enfin tout de même, n’y avait-il pas la notoriété ?

Mais comment avait-elle pu tomber amoureuse de ce fanfaron. Cet ignoble mec ?... Elle pensa, en cet instant, qu’en fait, elle aurait dû écouter sa mère offusquée de la voir choisir cet intrigant, considéré, médiocre et prétentieux ! - Ô oui maman ! Comme vous étiez lucide ! …Ah, qu’il paie enfin tous ces affronts !... marmotta-t-elle.

Deux ans déjà qu’elle avait perdu ce pied lors de cet épouvantable accident provoqué par ce pourri !

Immonde mec qui avait voulu parader en conduisant comme un malade, sur une route des Alpes, l’un de ces monstres italiens, une Lamborghini de collection, une Urraco !... Appellation qu’elle ne pourrait désormais oublier, monstrueux bolide qui lui avait volé son pied !... De si beaux pieds !

Un virage mal négocié. Une voiture en face. Un rocher !...

Une vie ruinée !...

La cause… Un abruti d’homme, en l’occurrence son mari, qui se croyait toujours au-dessus de tout !

Ô comme elle le détestait cet homme ! Comment pourrait-elle espérer aujourd’hui séduire normalement, comme avant ?…

Séduire, en fait, n’étant pas la question essentielle, elle savait fort bien depuis sa plus tendre jeunesse que les hommes restaient captivés par sa beauté, néanmoins, elle se sentait flétrie, à l’image d’une fleur dont les pétales inéxorablement se ramolissent d’heure en heure… Ah, ce pied manquant l’obsédait en permanence, de détails en détails, elle qui adorait la boutique Louboutin de la rue Jean-Jacques Rousseau... Désormais, elle devait se cacher pour commander une paire d’escarpins. Quel malheur ! Quelle tristesse !

Cette fois-ci, elle était déterminée à apposer contre ce mur, ce mur des lamentations qu’était devenue sa vie, une vengeance appropriée à tous les affronts et à cette ruine, que son Hugues chéri de mari avait engendré.

Ce salaud allait payer tout cela très cher. La ruine ! Voilà ce qu’elle désirait désormais pour lui. La ruine totale !

Costume neuf, mais plutôt ringard, chaussures noires parfaitement cirées d’un même style, Nicroiplu marchait sur la place de la gare. Pris par l’effet d’habitude voilà qu’il pressait le pas comme il avait l’habitude de le faire tous les matins de la semaine. Agacé et perturbé, il s’arrêta net.

D’autres usagers, regards vides de sens, le dépassaient avec empressement. On s'affolait ici et là. On se mettait à courir, absorbé par ce symbole du temps qui passe...

La silhouette de Nicroiplu se reflétait sur la vitre d’un panneau publicitaire. Il s'examina de bas en haut, essaya de se contenter de ce qu’il voulait paraître. Alors qu’il s’approchait du hall d’entrée de la station, son visage se crispa. Il regarda vers le sol goudronné vers sa chaussure droite toute luisante, il venait d'écraser un énorme étron d’un probable gros clébard qui s’était lâché… Il se mit à râler, tendant ses deux mains vers le ciel, courant en sautant à cloche pied vers la première touffe d'herbe qu’il pût trouver à sa proximité où seul le bitume et le béton dominaient dans ce secteur urbain de La Défense à Paris.

S’aidant des restes d’une vieille coque en plastique de Smartphone qui traînait dans le caniveau, il s’appliqua à gratter le morceau d’étron collé à la semelle de sa chaussure. Il grognait tout bas, son agacement. Un groupe de quatre jeunes filles passa, à l’instant. Les filles remarquèrent sa situation désopilante, en toute taquinerie, elles se mirent à pouffer de rire. Il leur adressa une grimace de circonstance, tout en écumant de rage.

Sur l’écran de la gare, le train de 9h17 était annoncé.

Lourd fracas de ferraille, crissement des mâchoires d’acier des freins s’abatant imperturbablement sur les roues débridées...

Quelques attardés couraient, croisant Nicroiplu en souriant ou en s’amusant puisque le singeant, avant de rejoindre leur train.

— Foncez ! Foncez ! Bandes d’esclaves ! Moi, c’est fini !...

J’ai trop donné… bougonna-t-il en se redressant.

Le train de 9h17 s’en allait doucement.

Ayant remis plus ou moins au propre sa chaussure, il se redressa et s’avança vers le hall d’entrée.

Sur les baies vitrées, le reflet de sa silhouette l’agaça un peu plus encore. Il entra dans cette station grommelant, sans éprouver de gêne, aucune, son insatisfaction.

Le wagon était bondé de voyageurs qui partaient pour la majorité d’entre eux à leur travail. Papotages, commérages, indifférence…

Nicroiplu avait pris place près d'une vitre sale, dépôts adipeux divers, gras de pores sur poussières, derrière laquelle défilait un paysage à la fois morne et ultramoderne de la banlieue nord parisienne.

Face à lui, un voyageur étalait l’un de ces médiocres journaux distribués gratuitement dans les stations.

Quotidien voué à une propagande pernicieuse vantant invariablement et astucieusement les mérites de quelques dirigeants politiques, gérants de la capitale. Gratitude et honneur pour des pseudos gestionnaires ou maîtres à penser ! Ambiance de lèche-cul patenté ! Petits profiteurs du système espérant faire exhibition d’une contenance altruiste dont ils n’ont que faire en réalité !

Nicroiplu resta obnubilé par une photo de cover-girl sur le journal grand ouvert qui s’offrait à son regard.

Une vision parcourut son esprit. La photo s'anima. La cover-girl prit les apparences de Sonia, l’une des cadres dans l’entreprise pour laquelle il travaillait, une femme, qui, empruntait à cet instant un air coquin. Elle avait toujours eu cette tendance à le martyriser en lui donnant une masse de travail, tâches ingrates à réaliser… Elle se mit à le fixer, intensément et vicieusement. Oui, lui, essentiellement lui.

Il sursauta quelque peu, d’autant plus que la photo s’animait en une suite d’autres clichés, véritable cascade où elle apparaissait plus ou moins nue en des attitudes grossières ou symboliques, dans l’esprit des couvertures de revues érotiques.

Tout cela engendra un effet visuel animé, deux collègues du bureau la rejoignirent. Ils semblaient, tous trois, le fixer d’un regard provoquant en se moquant de ce fauteuil vide qui symbolisait son absence. De même, le chef de service passant par-là, détailla tout cela avec dédain.

Nicroiplu... Retard ?... s’afficha sur un carton noir, tel qu’on pouvait le voir au début du cinéma muet… La considération semblait bien ironique.

Il se donna deux claques sèches sur la tempe droite pour extirper ces images, toutefois les trois employés restaient bien présents dans son hallucination, jouant leur jeu, baissant la tête devant ce petit chef, ils se remirent aussitôt au travail, tandis que Sonia éclata d’un rire moqueur. Tous enchaînèrent, se moquant de l’absence de Nicroiplu.

Agacé au possible, il décolla son regard de la photo de ce minable journal, celle-ci avait repris naturellement sa forme initiale, une jolie nana bien foutue vantant la mode d’une enseigne de fringues se rapprochant plus des serpillières qu’à l’art vestimentaire lui-même.

— Retard ? Certainement pas. Marmotta férocement Nicroiplu, …Jamais de retard !… Dans ta gueule !... finit-il par hurler, en accentuant particulièrement chaque mot, sans se préoccuper du monde qui l’entourait, écarquillant les yeux comme un véritable névrosé.

Quelques voyageurs osèrent à peine se retourner vers lui pour juger son excitation.

Nicroiplu traversa une grande avenue du cinquième arrondissement, s’engagea suivant le trottoir d’une autre rue.

— Vie de merde !... gueula-t-il hargneusement, fier de clamer tout haut son arrogance.

D’autres passants le croisèrent, certains ne prêtant aucune attention au personnage, d’autres s’étonnant ou s’osant à caqueter leur surprise, leur répugnance et leur mépris.

L'œil malin, mine fatiguée, pas rasé, ArsèneArsène Jfarfouille, un black d’origine Béninoise, vêtu d'une robe de chambre en éponge rose râpée, auréolée de marc de café ; revolver à la main, s’approcha doucement de la porte d’un placard.

— Inutile de jouer au plus fin avec moi !…

Pas de réponse.

Il s’interrogea, l’air soupçonneux, regarda ailleurs vers les autres pièces, le petit appartement était du genre peu entretenu, un désordre invraisemblable.

Très vite il s’énerva de ne pas trouver ce qu’il cherchait. Il tapa sèchement du plat de la main contre le mur ; une trace de plus sur cette peinture vieillissante naguère proche du ton crème. Il s’avança près de la porte du placard, y colla son oreille. Il se mit à imiter, curieusement et plutôt mal, la voix d’Humphrey Bogart,

— «If you need me, just whistle !»

Il attendit quelques secondes, s’exaspéra encore, soupira…

— Ah, nul, tu es ! Nul tu resteras ! Le port de l’angoisse ! Bogart, quoi ! Sac à puces !... Aucune culture !... Bon. Tu as cinq secondes pour sortir de ta planque !

Il se mit à compter à haute voix. Arrivé à cinq, rien ne se passa. Aucun bruit. Il releva son arme, secoua la tête de dépit tout en cherchant ailleurs vers la cuisine.

— Tu amplifies tes dettes Socrate !

Il s’écarta de la porte, baissa son arme, alla s’asseoir sur le lit et attendit patiemment…

— Bon, je vais rester cool... faut faire un «Switch», vieux ! Rouler «regular» ! On repart sur des bases saines, ok ?

La porte du placard s'ouvrit alors. Un Bonobo, l’air chétif, mâchouillant tranquillement sa friandise, sortit en tenant ce qui restait d’un paquet de figues.

Furibond, ArsèneArsène bondit, referma la porte du placard, tenta de lui piquer le paquet. Le singe esquiva et s’enfuit dans le fond de la pièce puis grimpa tout en haut d’une bibliothèque bon marché.

— Il a bouffé toutes les figues ?... Ah l’enfoiré !

Le Bonobo finit tranquillement de grignoter sa dernière figue et le regarda empruntant un air doucet.

— Je te rappellerais quand même que nous vivons en communauté !

Il s'approcha du singe et le chopa fermement. L’autre se laissa faire tout en se délectant du reste de sa friandise.

— La communauté, Socrate ! Cela ne te tracasse pas trop ? Alors, dès que j'ai le dos tourné, tu te gobichonnes tout ce qu'il y a dans la carrée. Et moi, qu'est-ce que je bouffe, hein ?... Des couvercles de yaourts, peut-être ? C’est dans ta brousse que je devrais te renvoyer, tiens !

Socrate s’échappa des bras de son maître et, se mit à tourner en rond, puis, lui faisant face avec comme une certaine intention de le narguer, il péta un grand coup.

Dans cette piètre résidence au Sud-Est de Paris en bas de l’immeuble à l'aspect vieillot de ce cher Jfarfouille, Anne-Constance garait sa Mini Cooper.

Elle grimaça en considérant l’ensemble de la résidence. - Nous avons vu bien pire que cela ! - Pensa telle comme pour s’encourager en descendant de sa voiture. Elle marcha, quasiment sans difficulté tout en tenant d’une main aisée sa béquille stylée, curieusement sa démarche paraissait presque naturelle, elle ne semblait pas en avoir réellement besoin, contrairement à ce qu’elle avait laissé entrevoir le matin même.

Elle alla jusqu’au numéro 13 de l’immeuble, s'arrêta, et, considéra une plaque commerciale : - ArsèneArsène Jfarfouille, Détective Privé, 3e étage porte Droite -

Elle sonna sur l’interphone, la porte s’ouvrit instantanément. Elle entra dans le hall de l'immeuble et monta l’escalier.

Arrivant à l'étage, elle se positionna devant la porte de l’appartement, s’aidant de sa béquille, elle se donnait ainsi une plausible allure d’une handicapée.

Elle s'apprêtait à sonner quand une discussion animée derrière la porte de cet appartement lui fit prêter l'oreille.

— Liberté… OK ! Fraternité… Bon, ça, tu ne pigerais pas. Mais pour ce qu’il s’agit d’égalité, alors là, avec toi, on n’est pas près de s’en rapprocher !

Jfarfouille continuait à engueuler le singe…

L’ongle parfaitement soigné, vernis d’un rouge sang, mettait en valeur l’index de cette élancée main féminine qui hésitait à appuyer, puisqu’en cet instant, la ravissante femme se demandait si elle ne faisait pas une erreur en choisissant ce détective-là, qui ronchonnait à tout va. Un manque de discrétion qui la taquinait vivement.

Parmi tous les professionnels du genre, elle avait choisi ce privé indépendant. Faire appel à une agence aurait été trop hasardeux. Bien qu’ici ?… Elle espérait que ce privé ne serait pas trop curieux et, encore moins bavard quand il s’apercevrait que sa cliente faisait partie du clan fermé des industriels français. Elle avait misé sur le fait qu’un privé indépendant n’aurait aucun intérêt à trop parler de ses affaires, discrétion et secrets professionnels exigent, ici, pas de collègues. D’autant plus qu’il débutait, la clientèle devait être difficile à trouver.

Elle se décida, appuya fermement sur l’interrupteur.

Toujours excité contre Socrate, Jfarfouille le coursait à travers l’appartement. La sonnerie de la porte d'entrée retentit, plusieurs fois.

— Quelle heure est-il ?... inquiet, il regarda sa montre, Merde ! Mon rencard ! Tu es en train de faire foirer mon rencard !

Il fonça vers l’interrupteur de la porte d’entrée de l’immeuble, débloqua la porte tout en se déshabillant, à toute hâte, fonça vers un placard rempli de vêtements chiffonnés. Ne trouvant pas ce qu'il voulait, il paniqua et balança le tout en boule dans le placard. Ça débordait de linge plus ou moins crade. Il renifla d’autres fringues, grimaça, balança le jean derrière le lit, inspecta le placard… Écœuré, il se boucha le nez.

— Oh, le con !… Il a chié dans le placard !... il poussa vivement du pied la porte, qui refusait de se refermer, l’amoncellement de fringues empêchait la fermeture. Pas le temps de ranger. Il abandonna. Bloqua une chaise contre la poignée de porte. Il fonça vers la salle de bain, en ressortit aussi vite. Ne trouvant pas ce qu'il cherchait, il s’orienta vers une autre pièce, revint aussitôt avec une chemise et un pantalon. Il les sentit et grimaça plus encore, les jeta aussitôt dans la pièce avoisinante.

L’ongle soigné de la belle tapotait d’impatience à côté du bouton de la sonnette. Elle appuya encore fermement.

La sonnerie de la porte d’entrée s’emballa.

Il gigotait tant et plus, empressé et fort enquiquiné

— Si à cause de toi, je loupe de la maille !...

Il se tourna vers Socrate, le menaçant du poing.

Socrate répondit par une sale grimace, mais décidément curieux, il l’accompagna jusqu’à la porte d’entrée.

— Qu’est-ce qu’il m’arrive à paniquer comme ça ? C’est probablement une vioque qui a perdu son dog…

Du coup, loin d’être impressionné, il enfila son peignoir rose dégueulasse et il ouvrit la porte d’entrée.

Surprit restant bouche bée face à cette magnifique et digne femme, il avala un jet de salive.

— Bon’your, nadame !... bafouilla-t-il comme un niais. Il tenta de se reprendre cherchant à sauver un air de dignité…

Anne-Constance le dévisageant des pieds à la tête, se présenta froidement

— Veuillez m’excuser… Nous nous sommes trompées d’étage. Nous semble-t-il...

Elle pensa fuir tout de suite. Incroyable. Ce type devait être un fraudeur qui se faisait passer pour un détective privé… Elle s’apprêta à descendre. Mais elle eut un moment d’hésitation, comme un appel à se retourner…

— Je crois bien que c’est moi que vous cherchez !

— Monsieur Jfarfouille ! Arsène...

— ArsèneArsène ! Oui !... Faute administrative, mes parents ont décidé de conserver... (Mièvre sourire de cordialité).

— Anne-Constance Heuriche. Rendez-vous : 9h45. Fronçant les sourcils, elle regarda sa montre indiquant 9h50.

Très confus, il s’écarta promptement afin qu’elle puisse entrer dans l’appartement. Elle lorgna sur le désordre, attendit, tenant sa béquille en équilibre, jouant expressivement de difficulté pour marcher…

— Excusez ce désordre, je viens, juste de terminer une enquête ; c’est à la fois mon lieu de vie et mes bureaux…

Il indiqua maladroitement l’accès au bureau, shoota au passage dans d’autres vieux Jeans dégueulasses dont les émanations de vieille sueur séchée tracassaient ses narines et allait inévitablement contaminer celles de la bourgeoise à l’allure plutôt austère et froide qui le suivait en grimaçant.

Socrate, accompagnait la belle dame, en lorgnant sérieusement sur son physique. Jfarfouille lui donna un petit coup de pied afin qu'il déguerpisse. Le singe revint aussitôt à la charge. La jolie femme observait, stoïque.

— C'est fou ce que ces petits vertébrés peuvent faire comme dégâts !... Ça s’agrippe à tout ce qui se présente. Ça ne pense qu’à se pendouiller ici et là… dit-il en un ton mielleux, vieil enthousiasme enrôleur, cherchant à décrisper l’ambiance.

— Ce n’est pas inintéressant. Mais, cela ne nous intéresse absolument pas !... souligna-t-elle froidement sans porter intérêt à toute vie qui l’entourait.

Elle entra dans le bureau sombre, mimant toujours une certaine difficulté à avancer, alla directement s'asseoir dans un fauteuil à peine éclairé par un fin rai de lumière.

Jfarfouille, à quatre pattes, cherchait la prise de courant, avançant à tâtons dans le noir.

— Ah, il a encore débranché la prise… il gloussa un peu, en guise de recherche expressive, …Là ! Ça y est !