Bien mal acquis - Martine Magnin - E-Book

Bien mal acquis E-Book

Martine Magnin

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Beschreibung

« Puisque vous êtes en train de visionner cette cassette, c’est que je suis déjà mort et que, à tort ou à raison, vous avez trouvé la caisse. Après avoir entendu ce que je vais vous dire, ce sera à vous de prendre des décisions en connaissance de cause. Quoi qu’il en soit, bon courage à vous. »

C’est par ces mots que s’ouvre Bien mal acquis… D’emblée, on a l’impression qu’on va avoir affaire à un polar, mais même si un fait divers est à l’origine de tout, l’affaire strictement policière passe rapidement au second plan.

Dans ce roman choral, quatre personnages nous racontent à tour de rôle leur histoire en lien avec ce drame. On est dans le sud de la France dans le Gard, en Camargue. Nous allons suivre ces personnages qui se débattent avec leur quotidien bouleversé. Heureusement, il y a le soleil, les senteurs et l’amitié.

Bien mal acquis est un roman puzzle, dans lequel les pièces s’imbriquent petit à petit. Un roman qui montre que tout le monde peut déraper mais que l’essentiel est d’éviter la sortie de route. Ce livre généreux plein de sensibilité, de suspense et d’humour se déguste avec un délice.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Martine Magnin est passionnée de philosophie, de psychologie et de sémantique.
Après une carrière dans la Communication et les Relations Presse, puis le commerce des Antiquités, je laisse s’exprimer mon goût pour l’écriture. L’humain est au cœur de mes préoccupations et de mes textes. Petite fille, fille, nièce, et sœur d’écrivains édités et reconnus chacun dans un secteur d’écriture très différent.
Mariée, mère, grand-mère, je partage ma vie entre Paris et le Gard, avec une nette préférence pour ce dernier.

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 « Bien mal acquis profite toujours à quelqu’un » - Paul Léautaud, artiste et écrivain

Raymond

« Puisque vous êtes en train de visionner cette cassette, c’est que je suis déjà mort et que, à tort ou à raison, vous avez trouvé cette maudite caisse. Après avoir entendu ce que je vais dire, ce sera à vous de prendre des décisions en connaissance de cause. Quoi qu’il en soit, bon courage à vous.

Je m’appelle Raymond, je suis garagiste et j’ai 46 ans.

Ma femme est décédée en juin, il y a six mois maintenant… (grésillements) 39 ans, elle s’est fait écraser par un chauffard devant la grille de notre garage alors qu’elle partait chercher nos petites-filles à l’école, comme tous les jours. On n’a jamais pu retrouver le coupable. Pourtant, la voiture a été filmée sur l’autoroute A9 quelques minutes plus tard au péage en direction de Barcelone, la plaque d’immatriculation était… (grésillements) n’a jamais été retracée. J’ai tout de suite senti que ce n’était pas un hasard, que quelque chose de tragique était déclenché et que c’était foutu. J’avais mis la main dans un panier rempli de scorpions, je ne m’en sortirais pas vivant.

Hier, mon chien Tarzan a été lâchement empoisonné. Un bon bougre de chien de garde qui ne gardait plus que son écuelle, une pauvre bête qui avait peur de son ombre, qui n’avait jamais mordu quiconque et qui avait presque quatorze ans. En le découvrant, j’ai pleuré comme un con. Le mec responsable de ça est vraiment un pauvre lâche.

Je sens que ça va être bientôt mon tour, j’ai reçu des lettres de menaces, des appels anonymes nuit et jour, je sens qu’on me surveille en permanence, je suis à bout. Je suis en sursis et je n’ai aucune porte de sortie. Aujourd’hui, cette nuit, demain, après… (grésillements), ils vont avoir ma peau. Je ne sais pas qui sont ces « ils », je ne sais pas comment « ils » vont s’y prendre, mais je sais « pourquoi » on me harcèle, et j’ai surtout peur pour mes enfants, mes filles adorées.

Si aujourd’hui je répondais positivement à leur… (grésillements), je sais avec certitude qu’ils me tueraient quand même. C’est trop tard. Je ne fais pas le poids, je n’ai sans doute jamais fait le poids. On ne s’improvise pas du jour au lendemain mafioso ou expert en banditisme, je ne connais pas les codes en usage et les techniques de base. C’est plus subtil qu’un moteur de bagnole et moi, je n’ai jamais été très malin.

Le jour où cette Porsche accidentée est arrivée sur notre dépanneuse, l’histoire était déjà écrite sur le marbre. Les papiers étaient faux, le conducteur, un total inconnu, était décédé dans la collision. À la fin de l’enquête, la gendarmerie a décidé de mettre la carcasse réquisitionnée à la casse et m’a demandé de m’en occuper. La voiture ayant été emboutie par l’arrière, j’ai voulu récupérer les deux ailes avant pour compenser mes frais de tractage. Les… (grésillements) ont commencé à ce moment-là. Il y a maintenant huit mois, mais je ne savais pas encore dans quel engrenage de folie j’étais entré.

Protégés par un cache plastique parfaitement discret et quasi invisible, les liasses de billets que vous voyez dans la caisse tapissaient soigneusement l’intérieur des deux ailes, une vraie fortune. J’ai entièrement désossé l’épave, mais il n’y avait rien d’autre.

J’au … (grésillements) dû prévenir la Police, je ne l’ai pas fait. Quand on trouve une telle somme, on perd la tête. Et ce jour-là, j’ai fait le mauvais choix et j’ai dérapé. Je n’ai jamais eu beaucoup d’argent et je découvrais un magot. Là, clairement je n’ai pas eu le bon réflexe, et j’ai perdu Mathilde. Mon amour à moi, mon seul ... (grésillements), puis même Tarzan, mon chien, maintenant ça va être ma peau.

Je n’ai rien dépensé, tout est là, j’attendais de savoir quoi décider. Cet argent était brûlant, maintenant il est maudit.  J’attendais d’avoir des informations sur le conducteur, je n’en ai jamais eu, et je n’ai pas pris la bonne décision. Je me le dis en boucle, j’ai déconné, et maintenant je ne peux plus faire marche arrière. Je n’ai pas voulu me faire trop repérer à la gendarmerie en posant des questions. J’ai préféré me faire oublier, attendre, jouer le mort. Et maintenant, c’est Mathilde, la femme de ma vie, qui est morte. Mes filles adorées sont déjà orphelines de mère, et bientôt ça va être mon tour. Et mes petites deviendront doublement orphelines. La seule incertitude concerne l’heure et les mo... (peut-être le mot « modalités », le grésillement est trop fort).

Faites ce que vous voulez de cette cassette et de ces sous. Si je me compte, et il faut bien maintenant que je le fasse, il y a déjà eu deux morts et je ne veux pas risquer la vie de mes enfants. Je vous conseille de ne pas jouer au justicier, ce n’est pas un jeu, et les dés sont pipés depuis le début. Ma dernière volonté est claire et définitive : laissez mes filles en dehors de tout ça, elles ont eu leur lot de soucis et de tristesse, cet argent ne représente pas une bonne chose pour elles. Elles… (incompréhensible) de malheur.

Désolé, je n’ai pas d’autres conseils à donner. J’ai été suffisamment nul moi-même… ».

Après un dernier grésillement, la vidéo s’arrête là.

Régis

L’enregistrement est de mauvaise qualité, un vrai travail de sagouin. On dirait un film ancien, l’image sombre est toute piquetée de taches neigeuses comme sur les écrans des vieilles télés et le son présente des absences et des grésillements fréquents. On y voit un homme d’âge moyen, l’air plutôt hagard, apparemment épuisé, avec une barbe brune ayant dépassé les « trois jours réglementaires ». Il est assis sur un tabouret, devant un genre d’établi, il tient une feuille à la main et regarde vers la caméra. Cette vidéo semble le fait d’un amateur, le son est médiocre, la voix est rauque et on comprend à peine les mots prononcés. J’ai retranscrit le plus exactement possible ce que j’ai entendu et j’ai dû me repasser la bande plusieurs fois de suite pour arriver à ce que ma transcription soit aussi fidèle et complète que possible.

Même maladroit et pas entièrement compréhensible, ce témoignage me perturbe au plus haut point. Et pourtant peu de choses réussissent à me perturber en général. Cette confession éclaire l’origine de ma trouvaille, mais je me sens dérouté et même paniqué. Fallait bien que ça tombe sur moi un truc pareil. Cette vidéo de ce Raymond doit donc être le dernier message de l’ancien garagiste décédé dans l’incendie. Et cet incendie a toutes les chances d’être d’origine douteuse, voire criminelle. Je suis également sous le choc de la vue de ces liasses de billets. Déjà, quand je vois cent, ou même seulement dix billets de 500 euros, j’ai le cœur qui s’enthousiasme et les yeux qui pétillent… Surtout maintenant que tout le monde nous paye avec une carte bancaire.

Alors toutes ces liasses neuves de billets violets de 500 euros, je délire... 10000 euros pour chaque liasse et il y en a plus de cent comme ça ! Je me pince, j’ai des bouffées de chaleur comme une bonne femme sur le retour, le cœur qui fait des bonds comme sur un trampoline. J’ai la sueur qui descend en rigoles sous mon T-shirt et mes mains tremblent comme celles d’un mec en manque. Il me faudrait le flegme des habitués des casinos ou des auteurs de hold-up ! Je ne sais pas si je dois m’estimer content ou catastrophé par cette trouvaille. Dur, dur. C’est « panique à     bord ». Heureusement que je suis seul, je me sens presque ridicule.  Un Crésus improvisé … Respire profondément, me dis-je…

Je me souviens très bien de cet événement dramatique. L’incendie de ce garage avait été traité à l’époque plusieurs jours de suite sur le Midi Libre, tout d’abord à la Une, puis à la page régionale de la commune de Marguerittes, puis oublié… comme le reste, chassé par un autre fait divers. Je sais juste que, malgré l’arrivée rapide des pompiers, le propriétaire avait été intoxiqué par les fumées et brûlé au énième degré. Il était décédé à l’hôpital au service des grands brûlés après quelques jours de coma. Je crois me rappeler que les journalistes avaient précisé que la victime venait juste de perdre sa femme. Sinistre série ! Je le connaissais de nom ce Raymond Cornille, je crois même qu’on l’appelait « Raymond, le roi des camions », car il avait un vrai talent pour réparer les gros-culs et que rien ne lui faisait peur, mais je n’avais jamais eu l’occasion de travailler avec lui, ni même de lui parler. Pourtant, nous n’étions géographiquement pas loin l’un de l’autre, une dizaine de kilomètres à peine, mais nous ne nous sommes jamais rencontrés. Et même si nous sommes concurrents, nous autres garagistes nous nous sentons solidaires en cas de gros pépin. C’était vraiment une triste histoire et ça nous avait sincèrement touchés.

Acte de malveillance, négligence humaine ou incident technique ? Après avoir brièvement envisagé la thèse de l’incendie criminel, je crois que le rapport d’enquête de la police scientifique avait conclu à la probabilité d’un accident dû à un défaut de l’installation électrique plus que vétuste du garage et ils avaient rapidement clos le dossier. Démarré a priori près du tableau, le feu se serait rapidement propagé à tout le garage. C’était il y a un an au moins, je n’ai plus tous les détails en tête. Ça s’est passé en plein été et donc pour nous en pleine période de surchauffe de travail. Cette histoire n’était donc pas vraiment fortuite ! C’est vrai que les installations des garagistes sont souvent en piteux état et bricolées un peu n’importe comment. Ça fait partie de notre ADN. Et j’ai encore le souvenir que Coco, ma femme et fidèle collaboratrice, en avait profité pour me faire une nouvelle fois la leçon et m’obliger à vérifier encore l’installation de notre garage. Elle avait même acheté de nouveaux panneaux Interdiction de Fumer pour tenter, en vain, d’impressionner les fumeurs rebelles. Je lui laisse ses illusions, il ne lui en reste déjà pas beaucoup !

Mon garage actuel fut d’abord celui de mon père dès 1950. Presque 70 ans !  Il fait malheureusement l’objet d’un avis juridique d’expulsion, le tracé du nouveau rond-point sur la D66 empiétant sur notre terrain. Deux années de démarches et le soutien, chèrement facturé, d’un avocat teigneux n’ont servi à rien. Les autres entreprises concernées dans notre périmètre ont déjà presque toutes plié bagage. La somme proposée en dédommagement est à peu près correcte, mais… Remoulins est MA ville natale, nous y avons notre maison qui jouxte le garage, un jardin superbement fleuri qui faisait la fierté de ma mère, nos habitudes quotidiennes, nos souvenirs, nos amis de toujours et nous y sommes heureux.

Le Garage La Caisse représente toute ma jeunesse, j’en connais chaque recoin, la clientèle locale me fait confiance et notre activité de dépannage sur l’A9, toute proche, est rentable, même si le travail est parfois dur, surtout en été. J’ai déjà cherché, c’est difficile de trouver un terrain disponible aussi bien situé que le nôtre à un prix acceptable.  Eh oui, inutile de le cacher, je m’appelle Régis La Caisse, en deux mots, je sais… pour un garage, La Caisse est un nom qui prête à sourire. Toute ma jeunesse, mes délicats copains me surnommaient La Fesse, j’en souffre encore, mais ça m’a vacciné contre la raillerie idiote. Et ma Coco m’a rendu aussi plus fort en acceptant de se marier avec moi, de porter mon nom, de m’offrir un fils exceptionnel et de travailler fidèlement avec moi. Ma Coco, c’est une perle.

C’est une annonce inhabituelle sur Le Bon Coin qui m’a fait de l’œil. « Suite à un incendie, vente d’un ancien local de garage (690 m2) assorti d’un appartement de fonction, situé à Marguerittes (Gard), cour de 800 m2 devant le bâtiment - proche de la sortie Est de Nîmes de l’A9 (prix à débattre) ».  J’adore la mention prix à débattre, c’est un art que je possède bien. Ce mot me fait toujours sourire.

Avant de téléphoner, j’ai préféré aller tout seul faire un tour de repérage sur place, je voyais très bien où pouvait se situer ce local. Le bilan que j’ai fait ce jour-là est ambigu. Comme je le pensais l’emplacement était parfait, très visible et très pratique, mais c’est vrai que ce qui restait du local n’était ni séduisant, ni flambant neuf (jeu de mots facile), et pour cause… L’impression générale était tristounette : la longue façade portait encore les traces sinistres des langues de feu, des cendres et des jets d’eau des pompiers. Entre incendie et inondation, un vrai désastre ! Vraiment pas engageant comme affaire. Sur le devant du bâtiment, les mauvaises herbes et même quelques fleurs sauvages ont réussi à pousser à travers l’ancienne croûte d’asphalte. Les panneaux « À Vendre » au nom de deux agences locales avaient triste mine, comme s’ils n’y croyaient pas eux-mêmes. Les ouvertures de l’atelier et les fenêtres du premier étage avaient été condamnées par de vulgaires planches maladroitement clouées. Ce bâtiment sinistré, brûlé, puis noyé sous les lances à eau, a connu des jours plus glorieux. Tel que, il n’était ni gai ni tentant, et encore je n’ai rien pu voir de l’état intérieur, mais je me doutais bien que ça ne devait pas être très brillant non plus.

Même s’il était difficile d’apprécier son potentiel actuel j’ai essayé de dresser un bilan objectif : le terrain n’est pas immense, mais sa situation géographique correspond exactement à mes critères de recherche puisque la proximité de l’autoroute est une nécessité primordiale pour notre travail de dépannage et sa visibilité est même meilleure que celle de notre établissement actuel.

L’annonce ayant dû traîner déjà longtemps avant d’atterrir sur Le Bon Coin, on pouvait légitimement espérer obtenir ce local pour un prix intéressant. On peut compter sur moi pour débattre, et même en faire rabattre, j’ai le commerce dans le sang comme prétend ma Coco. Moi, j’ajouterais ET la mécanique. Les négociations et les réparations sont mes seuls talents. Mon épouse assure que je suis né, avec un couteau suisse dans la poche gauche et un porte-monnaie dans la droite. Elle ne précise rien en ce qui concerne mon cerveau… mais elle sait aussi que j’ai un grand cœur et qu’elle en est la principale locataire. Voilà, c’était mon quart d’heure poétique.

A contrario, sans être très superstitieux, je n’étais pas tenté par l’achat d’une affaire maraboutée. Je tiens à ma peau et à ma bonne étoile, et il fallait aussi que ma belle Coco soit d’accord. Nous travaillons ensemble depuis vingt ans, son avis est indispensable et précieux. J’ai hésité à lui en parler, partagé entre un impalpable sentiment de doute et l’opportunité d’une bonne négociation. En clair, j’étais aussi bouleversé qu’excité par cette opportunité.

J’ai donc décidé de téléphoner à l’agence immobilière pour en savoir plus. J’ai appris par le courtier que ce local était effectivement proposé à la vente depuis presque un an. Le vendeur me confia même qu’un seul acheteur sérieux s’était fait connaître. Il avait même visité plus qu’en détail les installations et avait hésité plus d’un mois. Cet acheteur potentiel n’était pas du métier, ceci explique peut-être cela. Il est difficile d’apprécier ce genre d’installation si on n’est pas vraiment garagiste, tenta-t-il de justifier. On ne s’improvise pas mécano ! Par ailleurs, ajouta-t-il d’un ton fataliste, c’est toujours délicat de vendre un bien sinistré, avec en plus une victime. C’est vrai, il a raison, un suicidé, ça peut faire peur, mais si c’était un simple accident, alors… ça m’impressionnait moins. En plus, le vendeur avait l’air lui-même aussi déprimé que ce bâtiment sinistré et sinistre. L’ensemble de ces constatations a réveillé mon côté sauveteur ou urgentiste. J’aime sauver les choses et les gens, c’est dans mon karma, dit toujours ma femme. Si j’avais pu mener des études, j’aurais fait un bon toubib prétend-elle. Le Samu, c’est moi.

Nous avons pris rendez-vous dès le lendemain pour visiter ensemble les lieux. Et ma Coco m’a accompagné. Elle a l’œil aiguisé et un flair redoutable, ma puce. Et on ne décide rien sans l’accord de l’autre et c’est comme ça dans notre couple depuis 24 ans. Corine a le cœur sélectif et l’instinct affûté, elle est née comme ça, avec des antennes redoutables. Ces intuitions nous ont maintes fois permis d’éviter des conneries.

Même avec de la bonne volonté, le local professionnel et l’étage d’habitation étaient totalement hors service et presque irrécupérables. Seuls les murs et les piliers porteurs restaient intacts, et encore, faudrait vérifier… Les sanitaires avaient été descellés, cassés, les miroirs, les placards et les portes arrachés, même les cloisons en brique ou en « Placo » avaient été brisées… C’était incompréhensible. Ça ne pouvait être le résultat d’un simple incendie. On aurait dit plutôt un carnage volontaire, un saccage systématique exécuté par des vandales déchaînés et déterminés. Dans un sursaut de professionnalisme, l’agent immobilier a avancé l’hypothèse fumeuse que des squatters seraient venus s’installer et se seraient ainsi vengés de devoir quitter les lieux. C’était possible, mais ça ne changeait rien au désastre. À ce moment-là, j’ai senti le prix de vente dégringoler vers des abîmes, et ça m’arrangeait drôlement. En clair, je pourrais ne payer que le prix du terrain, car le bâtiment ne valait plus un clou, foi de garagiste !

Ma Coco était catastrophée par l’état de ruine des locaux et l’énormité des travaux à entreprendre, et pourtant je l’avais préparée au pire. Elle semblait anéantie. J’ai bien cru qu’elle allait me dire de jeter l’éponge, mais l’emplacement stratégique lui plaisait aussi, et elle a convenu que ce serait, à terme, une bonne occasion si j’en obtenais un bon prix. Banco donc, si Coco le dit, on y va ! Le prix a été ajusté à notre offre et pourtant j’avais vraiment proposé un chiffre au ras des culasses. Nous avons signé la promesse de vente et mené les procédures d’achat tambour battant, tant administratives que financières. En deux mois, la négociation était bouclée et nous étions propriétaires de ce domaine paradisiaque, non sans avoir ressenti quelques angoisses et crispations d’estomac sur la réalisation des travaux, les finances et les mauvaises surprises possibles. 

Avant d’entreprendre les travaux de réhabilitation nécessaires, j’ai pris mon courage à deux mains, et j’ai tout mis à nu. Un boulot de dingue. Résultat : onze bennes de déchets divers irrécupérables et souvent à demi consumés, vieux bidons, pneus, archives souillées, mobiliers en berne, casiers tordus, vitres cassées, pièces détachées, carcasses de véhicules… Une vraie bouillie d’immondices peu ragoûtantes baignant dans un épais liquide gras et sale. J’ai travaillé comme un fou. Mes apprentis m’ont un peu aidé, mais j’ai fait moi-même le plus gros du travail à la pelleteuse et à la main. Pendant ce temps-là, la Coco assurait seule la gestion quotidienne du garage avec les mécanos et la petite standardiste. Heureusement que c’était une période creuse avec peu de dépannages, avant le rush de l’été.

Pendant deux mois, je suis passé tous les matins au garage juste pour faire le point des réparations en cours avec ma douce et vérifier la livraison des commandes de pièces, avant de repartir pour ma journée de chantier sur notre prochain bâtiment, à 8 km de là. Des journées de quatorze heures en moyenne. J’ai trimé comme un malade, j’étais crevé, cassé, ratatiné, mais c’était une bonne fatigue et malgré tout j’avais vraiment la pêche.

Pendant ces deux mois, Coco a contacté de son côté plusieurs entreprises du département pour avoir des devis et comparer les offres par poste de dépenses. Elle a réalisé un boulot d’orfèvre, et c’était nécessaire. Il s’agissait d’un assez gros chantier et il fallait éplucher tous les chiffrages des prestations en détail et vérifier les plannings possibles, tout en sachant par ailleurs que les délais ne sont jamais respectés et les devis toujours rallongés... Les entreprises du bâtiment sont pires que les garagistes, c’est connu, mais Coco s’est défoncée sur notre projet pour peser chaque proposition. Nous devions absolument être capables de déménager notre activité pour la rentrée prochaine, c’était le terme que l’administration nous avait fixé.

L’entreprise qui réussira à tromper la jolie Corine n’est pas encore née. C’est une redoutable comptable ma femme, et elle a des yeux de lynx et une machine à calculer dans le cervelet ! Après différents rendez-vous, notre banque nous a accordé les prêts nécessaires à un taux correct. Ça va être tout de même sévère à gérer pendant les cinq prochaines années et on ne pourra pas se permettre beaucoup de fantaisies.

J’avais presque fini de mettre les locaux à nu. Toujours sur place et en dernière corvée, j’ai vidé avec un certain dégoût la deuxième fosse encore pleine d’eau croupie, grasse et pleine de détritus dégoûtants. La pompe se bouchait toutes les deux minutes. Comme un égoutier, j’ai dû racler le fond à la pelle. Et, au fond de la fosse, j’ai découvert un truc étrange, dans un de ses angles : une vieille boîte à outils métallique qui paraissait bloquée. J’ai passé un coup de jet, elle était rouillée, à demi ouverte et presque vide et semblait collée au sol. Je n’ai pas du tout compris la nécessité de sceller ce genre de boîte à la chape du sol. En général les mécanos baladent leur boîte avec eux, selon leur poste de travail et chacun d’eux veille jalousement sur la sienne. Elle n’avait rien à faire à cet endroit, surtout fixée ainsi, et il me fallait l’enlever pour pouvoir tout nettoyer au karcher. J’ai lutté un bon moment pour la détacher ne voyant pas comment elle adhérait à la fosse, puis j’ai découvert que son fond était tout simplement vissé. Sous la boîte à outils il y avait une espèce de trappe, en métal elle aussi, qui donnait accès à un coffre totalement encastré dans le sol. De plus en plus étonné, j’ai réussi à forcer le couvercle avec un pied de biche. Ce truc commençait nettement à m’énerver. Et dedans, il y avait cette fichue cassette dans un étui étanche et protégé dans un double sac plastique bien scellé, des liasses neuves de billets de 500 euros. Plein de liasses, un choc invraisemblable !

Je me souviens m’être mis à trembler, les yeux me sortaient de la tête, mon cœur cognait comme un fou et je n’arrivais plus à réfléchir. Dans un réflexe infantile, j’ai nerveusement refermé l’ensemble et je suis remonté en hâte ; comme si j’avais rencontré le diable, pour boire une bière ou deux. J’étais persuadé que si je retournais dans la fosse, tout aurait disparu, comme dans un mirage. Ce genre de truc n’existe pas dans la vraie vie, j’avais dû rêver. Je pensais délirer de fatigue. Je suis revenu. La caisse et son contenu étaient toujours là, mystérieux et presque menaçants. J’étais très mal à l’aise. J’ai décidé de rapporter la cassette à la maison et de la visionner discrètement avant le retour de ma femme. J’étais oppressé et je respirais mal. Je me sentais déjà coupable, mais sans savoir de quoi.

En repensant à ce que m’avait expliqué le mec de l’agence, je donnerais ma main à couper que le fameux pseudo acheteur, celui qui avait longtemps hésité à acheter ce garage dévasté cherchait précisément cette cache et qu’il n’avait pas trouvé le butin espéré. Et je pense même que les supposés squatters qui avaient bizarrement démonté presque totalement le bâtiment, les carrelages, les sanitaires et les cloisons, poursuivaient la même mission pour son compte. Cela semble logique, et je me sens de plus en plus mal.

Le dilemme est maintenant posé : un trophée généreux, contestable et inquiétant, deux morts plus que suspectes, trois même si on compte l’empoisonnement du pauvre clébard, et un local angoissant à remettre en état. Que faire, que décider ?

À coup sûr, il s’agit du butin que ces inconnus recherchaient ou recherchent peut-être encore et je ne suis pas tellement plus avancé que feu Monsieur Raymond (quel humour !). D’où viennent ces liasses, à qui appartient cet argent qui ne doit pas être si propre que ça. Les fouineurs sont-ils toujours sur le coup ? Si oui, qui sont-ils, où sont-ils, me surveillent-ils moi aussi en ce moment ? Je n’ai jamais été aussi angoissé et indécis. Je n’ai rien d’un Sherlock Holmes, je ressemblerais plutôt à l’Inspecteur La Bavure. Garder cet argent est un pari, un pari dangereux, mais un pari séduisant ! Je ne suis pas joueur d’habitude, mais… En clair, rien ne prouve que j’aie trouvé la cache. Donc : silence, discrétion et contrôle de soi. C’est tout moi !

Je ris jaune.

Je suis évidemment assez tenté de garder ce cadeau, c’est humain. Je réfléchis, je tergiverse. Tout compte fait, il faut relativiser, enfin j’essaie. Ce n’est pas si énorme, de quoi acheter une très belle maison, pas la peine de tuer et de brûler pour si peu. Si je suis sobre, et si on ne change rien à notre train de vie, nous pouvons diluer lentement dans nos dépenses environ quatre ou cinq billets par mois. Ce n’est pas si mal. En comptant bien, ça nous ferait une cinquantaine d’années de bonus, du beurre dans les épinards ou de la graisse dans les rouages, jusqu’à la fin de notre vie, rien de plus. Bon d’accord, un peu de crème fraîche tout de même, mais je ne serais ni Rockefeller ni Crésus pour autant. Je me vois plutôt un peu comme un Picsou ravi avec son petit tas de pièces d’or. Un vrai bonus aussi pour que notre fils Lucien finisse les études de son choix sans souci. Et Dieu sait si son école de commerce de Montpellier coûte la peau des fesses. Ce serait bien appréciable de réussir à jouer l’opération discrètement.

Par contre, je n’ai pas envie de finir en méchoui, ni que ma femme ou mon fils… Cet argent porte-t-il encore la poisse ou non ? Je suis dans la panade, clairement dans la merde, excusez l’expression, mais c’est assez conforme à ce que je ressens. Pour parler franchement, je veux bien un peu d’oseille, mais pas de pruneaux. Désolé, c’est de l’humour de garagiste. Je m’enferre.

C’est bon, mon cœur se calme, je dois tenter de relativiser, pas la peine d’aller au Panama ou aux Îles Caïman pour si peu. Il y a plein de gens qui en ont autant sur leur compte et qui n’en font pas une syncope loin de là. Il faut simplement que je me dise que c’est simplement le prix d’une maison luxueuse, pas plus, voilà !

Avec une piscine, d’accord !

Mais je me dis aussi que ce fric n’est pas pour moi et du coup, je ne sais plus quoi penser ni quoi décider. Mon cerveau fait le yoyo. Je me cassais moins la tête avant d’avoir trouvé cet argent. Si j’ai bien compris, le Raymond de la vidéo, le mec veuf qui est mort dans l’incendie, avait des enfants, des petites filles. L’argent serait plutôt pour elles, mais d’après ce qu’il dit, je ne suis pas sûr que ce soit son souhait. Il craint plus que tout de mettre ses propres gamines en danger. Et je me vois mal jouer les bons samaritains et que ça reste suffisamment discret. Tenez, je passais par là, voilà quelques centaines de milliers d’euros, non, ne me remerciez pas, c’est normal… Cet argent a déjà provoqué des victimes. Et voilà, je recommence à m’énerver !

Pour le moment, je remets le fric où il était et je revisse la caisse à outils par-dessus, la planque est bonne tant que le garage n’entre pas en fonction. Il faut que je réfléchisse et que je ne dépense aucun de ces billets. Ils sont peut-être marqués, comme on voit dans les films, ou même faux. Comment savoir ?  Il faut que je réussisse à en parler à Coco, sans qu’elle s’énerve ni qu’on se dispute. Je n’ai jamais rien fait dans son dos, je ne vais pas commencer maintenant. Je suis curieux de voir sa réaction, elle va avoir une syncope.

Hortense

Voilà, ça ne suffit pas toujours l’amour, l’affection, le sens du devoir…

Je pensais que j’y arriverais facilement, naturellement, parce que ça ressemblait à ce que je suis profondément, je suis généreuse, mais j’ai surestimé mes capacités. Je suis à sec. Plus de fuel, plus de réserve, les circuits sont coupés, mes batteries sont à plat, comme disait mon beau-frère Raymond.

Mathilde, ma douce, mon double, il faut que tu m’aides. Regarde-moi, je prends l’eau de tous côtés, je suffoque, je tremble, je suis en train de me noyer. Tends-moi la main et respire à ma place ! Tu vois bien que je ne tiens pas le coup.

Ma crise de découragement, je n’en parlerai bien sûr à personne d’autre qu’à toi, ça fait partie des choses à taire, à oublier, à cacher au fond des poches sous les mouchoirs. J’ai vraiment honte de craquer et je ne l’avouerai jamais.