Collier de femme - Martine Magnin - E-Book

Collier de femme E-Book

Martine Magnin

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Beschreibung

Lecteur, lectrice, tu t’apprêtes à pénétrer dans l’univers de Martine Magnin… et des femmes.
Martine Magnin raffole des jolies choses, et pour cause, c’est une orfèvre des mots. Dans chacun de ses écrits, elle nous régale en assemblant des pans de sa vie ou des productions de son imagination, qu’elle a fertile. Martine aime les colliers, ces bijoux précieux ou de pacotille, brillants ou cabossés, signes extérieurs de richesse, de mystères, ou tenues d’apparat. Chaque perle, chaque breloque, comme chaque cicatrice, a une histoire. Et à la suite des déesses Parques fabriquant le destin des hommes, Martine tisse et retisse inlassablement ses propres souvenirs pour en faire des bijoux uniques.
Et voilà qu’après s’être attaquée au «Collier de nouilles» des mères, elle est venue glaner çà et là, pour notre plus grand plaisir, de quoi tisser un « Collier de femmes » !

À PROPOS DE L'AUTEURE

Martine Magnin est passionnée de philosophie, de psychologie et de sémantique.
Après une carrière dans la Communication et les Relations Presse, puis le commerce des Antiquités, je laisse s’exprimer mon goût pour l’écriture. L’humain est au cœur de mes préoccupations et de mes textes. Petite fille, fille, nièce, et sœur d’écrivains édités et reconnus chacun dans un secteur d’écriture très différent.
Mariée, mère, grand-mère, je partage ma vie entre Paris et le Gard, avec une nette préférence pour ce dernier.

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MARTINE MAGNIN

COLLIER DE FEMMES

Préface d’Anne-Catherine Sabas

Du même auteur

Les petites histoires de la mode, Jourdan, 2021

La mort sur son 31, Encre Rouge, 2020

À vos souhaits, KDP, 2020

Qu'importe le chemin, Fauves, 2020

À l'ombre des saules en pleurs, Fauves, 2020

Le confort de l'autruche, Fauves 2019

Bien mal acquis... Librediteur, 2019

« Cette histoire est vraie, parce que je l’ai inventée » - Boris Vian

« Les femmes sont toutes différentes. Fondamentalement, elles sont une combinaison de ce qui est pire et de ce qu'il y a de mieux au monde, magiques et terribles » - Charles Bukowski

« Après l’esprit de discernement, ce qu’il y a au monde de plus rare, ce sont les diamants et les perles. » - Jean de La Bruyère

Préface

« On se souvient d'une atmosphère parce que de jeunes filles y ont souri » - Marcel Proust

Lecteur, lectrice, tu t’apprêtes à pénétrer dans l’univers de Martine Magnin… et des femmes.

Martine Magnin raffole des jolies choses, et pour cause, c’est une orfèvre des mots. Dans chacun de ses écrits, elle nous régale en assemblant des pans de sa vie ou des productions de son imagination, qu’elle a fertile. Martine aime les colliers, ces bijoux précieux ou de pacotille, brillants ou cabossés, signes extérieurs de richesse, de mystères, ou tenues d’apparat. Chaque perle, chaque breloque, comme chaque cicatrice, a une histoire. Et à la suite des déesses Parques fabriquant le destin des hommes, Martine tisse et retisse inlassablement ses propres souvenirs pour en faire des bijoux uniques.

Et voilà qu’après s’être attaquée au « Collier de nouilles » des mères, elle est venue glaner çà et là, pour notre plus grand plaisir, de quoi tisser « Un collier de femmes » !

Je connais déjà certaines de ces figures si importantes. J’ai croisé Fanny dans d’autres récits. Cette femme qui, en plus de faire de si bonnes crêpes, sauve les petites filles du silence et des fauteuils de torture. Je connais aussi Margaret, la Reine Mère, « admirable et détestable à la fois ». J’en ai découvert quelques-unes encore, pas forcément fréquentables d’ailleurs, dans d’autres récits. Mais rassurez-vous, Martine ne vous oblige pas à aimer ces différentes figures ! Elle va plus loin : de manière toujours tendrement insolente, elle réussit à nous rendre supportables les pires d’entre elles. Il me semble que c’est un des talents majeurs de notre auteure, sorte de magicienne déterminée capable de transformer une sorcière en jolie femme, en veillant quand même à laisser dépasser un attribut démoniaque, pour notre sécurité.

Mystérieuses, précieuses, capricieuses, elles se font amies d’un jour ou de toujours. Sœurs, amies, jumelles, passeuses, sauveuses…

J’avoue, j’ai un faible pour les femmes indispensables, sauveuses, initiatrices. Les pourvoyeuses de biscottes, les accompagnatrices des drames, celles qui, d’une parole ou d’un geste, ouvrent la cage dans laquelle nous suffoquons. Les chamanes, comme Wapiti, nous ouvrant l’accès à la mémoire du monde et de la nature. Mais, pour peu qu’elles s’en souviennent, toutes les femmes du monde ne sont-elles pas chamanes ?

Dans notre culture d’où les rituels accompagnant la puberté sont absents, n’est-il pas temps de nous souvenir que cette féminité vibrante doit être transmise comme un flambeau, un trésor inimitable ? Ce livre peut nous y aider, en nous invitant à rassembler en nous toutes les facettes de ce diamant à réveiller.

Accoucheuses, couveuses, porteuses de clés secrètes, détentrices du Graal, réparatrices des rythmes et des cœurs, les psys et les autres. Merci Simone.

Pudiques ou excentriques, toujours vraies dans leurs chatoiements, courageuses, dévouées, fidèles, collaboratrices, associées, capables de transformer le travail en aventure délicieuse…

Sauvages, instables, folles et passionnantes… sous la plume de Martine, la folie nous entraîne gaiement et nous libère du carcan dans lequel les femmes suffoquent. Et nous avec.  La femme serait-elle une porte ? Sans aucun doute, biologiquement déjà. Elle est la promesse d’une aventure. Parce que, comme le dit Antoine de Saint Exupéry : « Chaque femme contient un secret : un accent, un geste, un silence ».

Alors, femmes qui êtes empêtrées dans une féminité qu’on vous a balancée sans vous y préparer, qu’on a reniée ou maltraitée, lisez « Collier de femmes » et respirez enfin ! Mais vous, les hommes blessés ou meurtris par des femmes dangereuses, allez découvrir ce « Collier de femmes », et guérissez votre cœur, votre mémoire et votre vision.

Embarquez tous dans ce tourbillon de la vie, de l’émotion, de la vibrance. Faites-vous plaisir, réconciliez-vous avec vous-mêmes. Car ce livre est une invitation à l’acceptation, à la tolérance, à l’accueil inconditionnel de ce qui fonde notre humanité : sa diversité, sa complexité, son infinité de possibilités.

N’est-ce pas là, finalement, le secret de la vie ? Accepter de se laisser toucher par l’autre, de se laisser transformer, cœur et âme, par sa présence, son influence, que celle-ci soit douce ou exigeante ? Chiante comme elle sait l’être… la femme.

La femme-araignée, qu’on doit fuir pour enfin se trouver. Avec la femme, la passion n’est jamais loin, il faut l’avouer… Princesses ou reines en haillons, vipères comme papillons, elles frôlent l’âme, le cœur, le corps. Elles sont toutes belles. 

Et puisque Martine Magnin connaît le langage des couleurs, des parfums, des textures et des humeurs, elle nous entraîne, grande artiste, dans une exposition du plus aérien au plus intime. Son sens esthétique, mais aussi son extrême sensibilité aux choses de l’âme et de la cuisine vous surprendront : on sort de ce livre avec la certitude d’avoir été nourri (e), comme par une mère.

Anne-Catherine Sabas

Psychanalyste, auteure, formatrice

Pourquoi un collier de Femmes ?

Cette chaîne de vie n’a rien d’un ouvrage d’orfèvrerie parfait et homogène, ni même obligatoirement harmonieux, il est fait « maison », on y trouve des perles et des maillons ravissants, classiques, souples, réguliers et tout en rondeurs. D’autres baroques, audacieux et déconcertants, plus complexes, doubles ou même carrément bizarres, d’autres mal ajustés, qui désenchantent le charme de l’œuvre, entravent la fluidité de la chaîne et écorchent cruellement la peau. D’autres encore, partiellement fêlés ou tordus, craquent et se délitent dans le temps.

Pourtant, Elsa en aime tous les éléments, leurs imperfections tout autant que leur bonne volonté, leur faiblesse, voire même leur lâcheté parfois pitoyable. Si tous ces maillons ou ses perles étaient identiques, ce collier en serait ennuyeux et d’une banalité mortelle. Autant ne pas porter de collier du tout. Dans le collier d’Elsa, on trouve avec bonheur de nombreuses perles rares qui illuminent le bijou de reflets précieux et changeants, des perles intimes ou venues de loin, perles sauvages, perles bossues, perles baroques, perles folles et même des pierres précieuses. Il n’y a en fait que les perles artificielles, cabochons cabotins, fantaisies superflues, véritables intrus toxiques qu’il faut savoir rapidement identifier et éviter, ces ersatz ne sont que dans le paraître, si vides à l’intérieur et si décevants à long terme. Heureusement, une fois repérées, et maîtrisées, elles perdent de leur nuisance et Elsa s’en débarrasse sans regret. Il y a aussi des maillons faibles, fatigués, usés, et heureusement d’autres, plus forts prêts à prendre le relais. Ainsi, le collier de vie d’Elsa est solide, les femmes n’ont pas économisé leur présence et chaque perle représente une femme précieuse de sa vie.

C’est une évidence, des hommes aussi ont été là dans la vie d’Elsa, l’un après l’autre, parfois plusieurs en même temps et parfois absents. Certains furent brillants et positifs, certains inutiles, d’autres carrément nuisibles. Le premier d’entre eux, le père, est parti très vite en catimini, pour revenir en héros quelques années plus tard, le second homme fut une saleté de prédateur sadique, un malfaisant sans scrupule, le suivant un farfelu sympathique, mais peu rassurant, le premier amoureux se suicida, le suivant ne pensait qu’à lui et à sa carrière, celui d’après tenta avec un succès notable de parfaire le travail de détérioration entamé par le prédateur de sa jeunesse. Beaucoup d’hommes l’ont défaite, peu l’ont aidée à se restaurer, à se sentir bien ou à se construire, le dernier accompagne Elsa parfaitement. Ouf, il était temps ! Et puis bien sûr il y a ses fils, mais les garçons, on le sait, ont souvent en tête leurs propres envies, leur rythme à eux, et leur intérêt pour leur mère reste souvent en pointillé et en surface. Ce qui n’empêche pas leur mère de les protéger, de les aimer et de les encourager avec constance et générosité.

Heureusement, pendant ces temps-là, les filles et les femmes étaient présentes, pour lui proposer leur soutien, pour guider ses débuts, pour réguler ses péripéties, pour la suivre et cheminer avec elle.

Oui, heureusement les femmes étaient là, et heureusement, elles sont encore là. La femme est l’avenir de la femme. Alléluia !

Comme autant de repères, et donc plus encore que les hommes, cette multitude de femmes a construit et accompagné la progression d’Elsa et sécurisé l’escalade délicate et nécessaire à ses progrès, forte, tonique, rassurante, ouvrant des voies, proposant des ancrages indispensables et des points d’appui sûrs, ou au contraire avec autorité ou violence, en interdisant ou en bloquant certaines de ses pérégrinations.

Il faut de tout pour naviguer, le vent debout, le vent arrière, et même des vents contraires et des bourrasques de vent.

Si Elsa regarde en arrière, elle voit à ses côtés une longue file de femmes, sœurs, amies, consœurs, complices, voisines, copines, passantes, collègues, mères, tantes, filles, belles-sœurs… La liste est longue des femmes qui ont entouré ou entourent encore sa vie. Elles sont la source de son oxygène, de ses élans, de ses progrès, elles lui sont vitales. Paradoxalement, les maillons faibles, fragiles ou cassés n’ont pas eu qu’un rôle d’obstacle ou d’empêchement, au contraire, ils ont eu, sans le vouloir, une influence positive et décisive sur son chemin en la forçant à lutter, à concentrer ses efforts et à réagir devant les difficultés de la vie. Certains d’entre eux ont même eu des influences majeures et bénéfiques.

On pense à ce dicton de Nietzsche, usé et tout aussi contestable, Tout ce qui ne tue pas, rend plus fort.

Peu importe en fait la personne d’Elsa, ce sont elles, ces différentes femmes, les vrais cadeaux de sa vie. Ensemble elles l’ont enracinée, constituée, accompagnée, et Elsa se sent aujourd’hui profondément redevable du temps et de l’attention qu’elles lui ont offerts, chacune à leur façon.

Comme le dit un sage proverbe africain "Il faut tout un village pour élever un enfant"

C'est vrai pour tout le monde ; on se construit par soi-même, mais aussi par et avec les rencontres, notamment du même sexe ; pour Elsa elles ont servi de modèle, ou de référence, ou d'épouvantail...

Ce livre est dédié à leur présence, à leur personnalité et à leurs différences. Grâce à elles, il se dessine peu à peu la silhouette et le chemin d’Elsa.

La Conteuse – Une importante perle oblongue, en sombre bois d’ébène, ciselée de motifs ethniques traditionnels.

Tous les soirs, avant qu’elle ne s’endorme, Violette contait à sa petite-fille Elsa la magie de sa jeunesse à Madagascar, une île de l’océan indien, qu’elle appelait avec un regard toujours rêveur La Grande Île. En effet, fille du dernier gouverneur français de l’île, Violette née à la fin du 19e siècle avait eu une enfance hors normes. Première anecdote folle : pour ses deux ans, ses parents, le gouverneur et son épouse revinrent en congé en France sur un grand bateau blanc, et une vache avait été embarquée à bord pour son usage exclusif en lui garantissant son lait quotidien. Elle racontait aussi devant une petite Elsa sidérée, que pour la préserver des dangers ou des poussières de la brousse, elle ne se déplaçait en dehors de leur palais qu’assise dans un siège à porteur tenu par deux esclaves, l’engin étant appelé alors en malgache un Fitakon. Elsa trouvait cette méthode de déplacement aussi invraisemblable que drôle.

Pour preuves, Violette sortit d’un coffret quelques jolis portraits sépia, qu’elle appelait des daguerréotypes, et sur lesquels Elsa découvrit sa grand-mère au temps où elle était une ravissante et très jeune petite fille, avec de longs cheveux bouclés ornés de rubans, portant de ravissantes robes de soie brodées ou garnies de dentelles et de fines bottines pointues lacées jusqu’aux chevilles et d’autres où on la voyait avec une robe de bal en mousseline prête à danser ses premiers quadrilles. De si jolies tenues qu’Elsa n’avait jamais ni portées ni même vues dans la réalité. Sa grand-mère lui fit même une démonstration de quelques pas de ces danses de salon, les mains sur les hanches et en marquant la cadence avec ses pieds ! Elsa était époustouflée. Elle découvrit aussi que sa grand-mère jouait déjà du piano à six ans, un savoir impensable pour la petite montmartroise d’alors et qu’elle parlait couramment anglais à dix ans. Résultat d’une éducation distinguée parfaitement appliquée dans une époque d’un exotisme fou. Elsa riait devant ces souvenirs d’un autre monde !

Cette grand-mère avait donc un passé aristocratique original totalement invraisemblable, à l’extrême opposé de leur vie montmartroise d’alors, très simple et monotone. La vie quotidienne d’Elsa, petite-fille de quatre ans, était très modeste, chaque sou dépensé par sa mère ou sa grand-mère était compté, et les caprices ou folies étaient fort rares. L’enfance de Violette paraissait follement féérique et originale, peuplée de sièges à porteur ridicules, d’esclaves noirs dévoués, de bateaux immenses, de vache personnelle, mais aussi de sorciers inquiétants, d’animaux surprenants, de fruits inconnus et savoureux, de forêts magiques et de rivages sauvages.

Toutes les histoires que sa grand-mère lui contait construisaient un univers enchanteur dont Elsa se régalait sans fin et qui peuplaient ses rêves de magie et sa réalité de toutes les aventures possibles. Au-delà de la butte Montmartre, se dévoilait donc un monde immense et plein d’aventures. Quand elle eut six ans, elle participa, en tant que mini-assistante émerveillée, à la réalisation des livres de Contes et Légendes que Violette écrivait et illustrait à l’encre de Chine pour un grand éditeur parisien. Elle donnait son avis avec sérieux, rinçait les pinceaux, tendait la gomme ou le grattoir… Elle était comblée par cette haute responsabilité.

De cette jeunesse choyée et de son éducation « convenable », il restait à Violette des manies originales. L’hiver elle ne sortait jamais sans un manchon en fourrure noire attaché à son cou par un cordonnet de soie, elle y cachait ses mains rhumatisantes et sa petite bourse et pour prendre l’autobus ou le métro, elle glissait chaque fois son ticket dans le creux de sa paume, sous ses fins gants en peau. Autre consigne à respecter : une femme bien née ne déambule jamais dans les rues avec un sac en papier de commerçants, elle se fait livrer. Hormis pour les courses alimentaires, et encore, c’est alors Elsa qui se coltinait le cabas !

Les apparences étaient sauves.

Avec Violette, la petite fille découvrait qu’au-delà de Montmartre le monde était infini, la terre ronde, les océans immenses, les peuples différents, les coutumes singulières, qu’il y avait des chasseurs courageux, de vieux sorciers perfides, de belles princesses, des oiseaux bavards, des crocodiles affamés et des singes rigolards. Entre rêve et réalité, grâce à sa grand-mère, les premières années d’Elsa furent aussi simples que féériques. Elsa n’était pas enfermée dans un banal deux-pièces, Violette lui ouvrait en grand les portes de la planète et lui donnait sa première clé vers l’ailleurs, un passe-partout vers l’imaginaire. 

***

« Tous les grands conteurs sont de formidables menteurs » - Stewart O’Nan

« Dans les romans, l'amour c'est merveilleux, parce que là, le héros a toujours toutes les qualités dont rêvait l'héroïne. Tandis que dans la vie !... Quelle déception ! »  - Simone Bussières

La Gardienne – Le premier maillon d’or vers la liberté, sans lui le collier ne se serait pas construit, il se serait brisé avant même d’exister et il continue toujours à maintenir les perles solidaires entre-elles.

Garder des enfants était l’une de ses missions et aussi son vrai plaisir. Après la guerre, beaucoup de petits Parisiens avaient les joues grises et un grand besoin de soleil, de calme et de tendresse. À l’époque le bouche-à-oreille ne s’appelait pas encore Facebook, et la chaîne naturelle d’informations fonctionnait à merveille. Un simple échange de lettres conclut l’affaire. De Cannes, Fanny confirma qu’elle allait volontiers se charger d’Elsa, la petite montmartroise, qui n’était pas en forme, respirait mal, dormait mal et qui mangeait trop peu. Il fut convenu que la petite fille prendrait seule le train à Paris pour une longue traversée de la France, et que sa mère la confierait à l’un de ses voisins de compartiment.

Quand elle alla chercher la petite à la gare de Cannes, Elsa avait un peu plus de six ans, des genoux cagneux, quelques dents absentes, un poids de plumes, et un regard triste sous une frange légère. C’était une petite fille réservée, secrète, presque mutique, et très obéissante. Six mois plus tard, Elsa avait des joues rondes couleur d’abricots ensoleillés, des yeux en étoiles, des genoux ronds et la rigolade chronique. Fanny était passée par là.

Fanny et son sourire, son accent chantant, sa patience, sa délicatesse, sa tendresse innée, ses gâteries permanentes et ses délices culinaires. En même temps, le soleil de Provence était présent apportant sa gaieté de vivre, ses fruits juteux, sa luminosité et sa chaleur bienfaisante. La méditerranée s’en était mêlé aussi, avec le bleu de ses eaux généreuses, ses vagues frangées d’écume, son sable d’ocre et ses jeux de plage. La vie était douce et savoureuse.

Le Paris gris et humide semblait très loin, les soucis aussi, et c’était bien.

Elsa se régalait. Elle jouait, chantonnait, et dessinait beaucoup. Pour faire plaisir à Fanny, elle lui dessina sa chambre parisienne qui faisait aussi fonction de salle à manger, son lit recouvert d’une couverture à carreaux vert et bleu, la table ronde et les chaises, le haut lampadaire, la bibliothèque chargée de livres, la cheminée… et le gros fauteuil en cuir.

Et brutalement Elsa pleura, pleura, pleura.

⸺ Pourquoi tu pleures ma Poupette lui demanda Fanny.

⸺ Parce que le fauteuil… lui répondit Elsa

Et elle pleurait, pleurait, pleurait…

⸺ …Parce que je me cache derrière le fauteuil quand le Monsieur arrive.

Alors Fanny fit une pile de crêpes dorées accompagnées de confiture de fraises et de jus d’orange. Et Elsa raconta un peu, puis se moucha, puis sourit à nouveau.

Les choses horribles étaient dites, pour la première fois, et les crêpes étaient vraiment délicieuses.

Un autre jour une gentille dame vint prendre le goûter avec Fanny et Elsa.

Elles discutèrent encore de cette affaire de fauteuil. La dame marqua des choses sur son grand carnet et repartit. Et on n’en parla plus.

La vie était douce avec Fanny, le ciel était bleu, les pêches et les melons juteux, les tomates biscornues et charnues… Elles allaient ensemble dans la garrigue chercher du thym frais et du romarin. Elsa s’amusait beaucoup et se sentait bien.

Puis après, plein de jolis jours ensoleillés après, au moment où elle aidait Fanny à essuyer la vaisselle, des policiers en uniforme vinrent chercher Elsa, sans aucune explication. Ils avaient pour mission de la ramener à Paris dans leur petite voiture pie et de la déposer le matin suivant devant le palais de justice aux mains d’autres agents de police. Juste le temps de boucler sa petite valise et de faire un baiser à une Fanny bouleversée qui essuyait ses larmes avec sa main tout en essayant de lui faire un dernier gâté.

Ce départ était d’une violence difficilement supportable, et Elsa tremblait tout en tentant de ne pas pleurer.

Paris. Le temps était gris et il faisait froid. Elsa ne savait pas à quoi pouvait servir un palais de justice, ni un procès, ni un juge. Elle ne savait pas non plus pourquoi elle était là, ni ce qu’on attendait d’elle. À tout hasard, elle se sentit coupable. Impressionnée par la solennité des lieux, le silence et les inconnus. Dans une grande salle sombre, elle hocha juste la tête, pendant qu’un grand monsieur en robe noire relisait ses notes où il citait ses propres mots.

Elle avait sept ans.

Elle ne revit plus jamais le Monsieur qui lui faisait peur.

Elle ne revit jamais non plus Fanny qu’elle aimait tant.

Personne ne lui expliqua ni le pourquoi ni le comment de ces événements.

Sa mère et sa grand-mère lui faisaient simplement la tête.

On changea le fauteuil de place et la vie parisienne reprit calmement.

Aujourd’hui, de nombreuses années après, Elsa dit un énorme merci à Fanny pour son intervention essentielle et certainement difficile. Grâce à cette petite femme attentive, la petite Elsa avait trouvé une écoute, un respect délicat et un soutien solide qui lui avaient permis de vider la poche de ses angoisses et de reprendre goût à la vie. Quelqu’un enfin, une Fanny courageuse, avait pris position pour la protéger d’un adulte malfaisant. Et l’on imagine facilement que ce n’est pas évident pour une gardienne d’enfants de dénoncer de tels faits et que ce n’est pas toujours commode de se mêler de ce qui est caché.

La chape de silence et de ténèbres s’était levée et la justice était passée.

Elsa était sauvée, elle pouvait grandir. Maintenant, à elle de s’en remettre toute seule. Ce n’était pas facile. Sans autres armes disponibles, elle préféra l’oubli et mit trente longues années à accepter de se souvenir des moments sombres. De nos jours, on appelle cette parenthèse de mémoire une amnésie post-traumatique. À l’époque, on faisait peu de cas du confort et du réconfort des enfants, on appelait son silence, son humeur maussade et son manque d’appétit, un caprice.

Les enfants, vous savez, ont beaucoup d’imagination…

***

« L'enfance est une tige fragile qui a besoin d'appui. Les impressions de l'enfance s'effacent difficilement, aussi faut-il tâcher qu'elles soient bonnes. » - La Rochefoucauld

La Polissonne