Big Foot - Edgar Wallace - E-Book

Big Foot E-Book

Edgar Wallace

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Beschreibung

Big-Foot : Pauvre Gordon Cardew ! Veuf, ancien notaire, il devrait profiter d’une retraite méritée ! Sa nouvelle passion, la criminologie, l’amène à fréquenter de brillants policiers comme Minter, dit Super, ou Lattimer, son adjoint. Sa secrétaire, Elfa Leigh, le seconde avec efficacité. Une jeune femme charmante pense Jim Ferraby, le jeune procureur.
Et Cardew possède une belle propriété, Barley Stack où son voisin, le richissime américain Stephan Elsen, est de bonne compagnie et sa gouvernante… Mais, voilà ! … sa gouvernante, justement ! Hannah Shaw, une femme corpulente dont la beauté… Hum. Quant à son caractère ! Pauvre… pauvre Cardew !
Voici que Cardew découvre un billet menaçant, signé Big-Foot. Puis sa soirée est interrompue par un visiteur armé qui chante une étrange chanson espagnole. Dès lors tout se gâte. Meurtres, agressions et imprévus vont perturber la tranquillité des falaises de Pawsey-Bay. Super aura besoin de toute sa subtilité pour prévenir de nouveaux meurtres. Mais, subtile, malgré ses empreintes énormes, Big-Foot l’est aussi… Un excellent Wallace !

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Copyright

First published in 1927

Copyright © 2022 Classica Libris

Chapitre 1

Ce fut à la suite d’une pure coïncidence que Super, par cette brillante matinée de printemps, s’arrêta devant Barley Stack, la propriété de Cardew. Dans ce moment-là, en effet, il ne savait rien de la tentative de cambriolage dont la maison de Stephen Elson avait été l’objet, ni de l’existence de Sullivan, le chemineau. Aussi bien ignorait-il que le paresseux complice de ce dernier errât nonchalamment parmi la douce campagne environnante, fredonnant dans un langage étrange et peu compréhensible de folles petites chansons dans lesquelles il était question d’amour.

Mais Barley Stack attirait Super comme lumière attire le papillon, ou mieux encore comme l’odeur de la bataille appelle le vieux cheval de guerre. Il aurait pourtant dû savoir que Cardew, à cette heure-là, était depuis longtemps parti pour la ville. Encore que retiré des affaires, il avait en effet gardé l’habitude de partir pour Londres à neuf heures précises du matin.

Quoi qu’il en fût, Super s’arrêta à Barley Stack.

Faute d’avoir avec Cardew une de ces conversations au cours desquelles les deux hommes échangeaient force taquineries plus ou moins acérées, il pensa qu’il y avait encore une certaine satisfaction – d’une sorte quelque peu singulière – à tirer d’une rencontre avec Hannah Staw. Cette personne, caractérisée notamment par un manque de subtilité assez frappant, détestait sincèrement le vieux superintendant[1] de police, allant jusqu’à éprouver, pour la nature de ses fonctions aussi bien que pour lui-même, un mépris dont jamais l’idée ne lui serait venue de le dissimuler.

Hannah se tenait sous le porche de l’habitation. C’était une femme de taille moyenne et de corpulence prononcée. Sa robe d’alpaga ne faisait pas valoir son genre de beauté. Et pourtant, elle était avenante, et presque agréable à voir. Son visage, quoique peu charmant, était régulier et ne portait pas de rides. Ses cheveux abondants, enfin, étaient restés noirs bien qu’elle eût passé la quarantaine.

– Beau temps, ce matin, murmura Super négligemment, tout en s’accotant contre sa vieille motocyclette. Et beau jardin ! jamais vu tant d’œillets et de narcisses à la fois ! Je parie que vous avez quelque chose d’épatant comme jardinier. Monsieur Cardew est là ?

– Non.

– Il est sur les traces de quelque fameux criminel, je parie ! dit Super, en hochant la tête avec un air d’admiration respectueuse qui ne l’empêchait point de sourire du coin des lèvres. Probablement s’occupe-t-il du vol de la Boscombe Bank ? Dès que j’ai vu cela dans les journaux, j’ai dit à un de mes amis : « C’est un type comme Cardew qu’il faudrait pour tirer au clair cette histoire-là. La police n’y verra que du feu, elle ne trouvera pas le moindre indice, elle est fichue d’avance. »

– Monsieur Cardew est parti pour son bureau, comme vous le savez fort bien, Minter (Super était le surnom du superintendant), répondit sèchement Hannah. Il a mieux à faire que de s’occuper des affaires de la police. Nous autres, contribuables, nous payons pour que la police fasse son travail elle-même, n’est-ce pas ? Et en fait, à quoi sert-elle, cette bande de bonshommes ignorants, et mal élevés par-dessus le marché !

– On ne peut pas tout avoir, répondit Super avec mélancolie. Soyez raisonnable, madame Shaw…

– Mademoiselle Shaw ! corrigea impétueusement Hannah.

– Excusez ! c’est toujours à une demoiselle que je pense, quand je pense à vous… je disais justement l’autre jour à mon sergent : « Comment se fait-il que cette femme ne soit pas encore mariée ? Je n’y comprends rien ; elle est jeune, elle est…

– Je n’ai pas de temps à perdre, Minter…

– Monsieur Minter, rectifia gentiment Super.

– Si vous avez une commission pour Monsieur Cardew, je la ferais… sinon… j’ai beaucoup de travail.

– Pas de cambriolages ? questionna Super, comme elle s’éloignait.

– Non, répondit-elle brièvement. Et s’il y en avait nous ne vous enverrions pas chercher.

– Ça, je le parierais, déclara Super avec conviction. Et je parie encore que Monsieur Cardew n’aurait qu’à relever les traces du cambrioleur et à jeter un coup d’œil dans son livre de… d’anthro… enfin, peu importe ; et que le pauvre malfaiteur serait pincé avant ce soir.

Miss Hannah Shaw le foudroya des yeux.

– Si vous vous croyez intelligent, laissez-moi vous dire qu’il existe à Londres des gens auprès desquels vous êtes bien peu de chose, Minter. Si Monsieur Cardew allait voir le Chef de la Sûreté, et lui racontait le quart de ce que vous dites et faites, vous ne garderiez plus longtemps votre uniforme !

Super examina ses manchettes d’un air surpris.

– Qu’est-ce qu’il a, mon uniforme, s’étonna-t-il, tandis qu’elle lui fermait brutalement la porte au nez.

Super ne sourit pas, et ne sembla pas davantage ennuyé. Enfourchant sa motocyclette, il gagna la route.

Une demi-heure plus tard :

– Quand un homme a atteint les hauteurs sociales auxquelles vous me voyez… déclara Super en clignant de l’œil au jeune officier de police qui était assis en face de lui, il est prouvé qu’il possède un certain… hum… tempérament. Eh bien, aujourd’hui plus que jamais, j’ai du tempérament, mon garçon. Il y a un je ne sais quoi de printanier dans l’air et je parierais que j’ai entendu chanter un coucou dimanche dernier ! Or, lorsque les coucous chantent et que les primevères poussent, j’ai du tempérament. Par ailleurs, je viens justement d’avoir une conversation avec la belle de Barley Stack, et j’ai la tête farcie d’idées sentimentales. Vous me demandez de questionner ce chemineau ! Je vous réponds que j’irais plutôt cueillir des fleurs sur les bords de la rivière.

Super était grand, anguleux, et fort désordonné de sa personne. Son uniforme déjà vieux avant la guerre, avait été maintes fois nettoyé, réparé et retourné depuis lors. Son visage maigre et tanné, ses gros sourcils gris, broussailleux, lui conféraient une distinction qu’atténuait son accoutrement. Il faut dire que les allusions d’Hannah Shaw à ses vêtements faisaient sa joie.

Il y avait de nombreux superintendants de police, mais lorsque le nom de Super était prononcé dans les bureaux de Scotland Yard, tout le monde savait qu’il s’agissait du superintendant Patrick J. Minter.

– Interrogez vous-même ce vagabond, mon brave. Super éleva la main dans un geste de grand seigneur, puis : les affaires sérieuses regardent mon passé. Sentant venir le gâtisme, j’ai demandé à être relégué dans ce coin de campagne, où je peux élever des lapins et des poules, et contempler la nature dans sa splendeur et dans sa majesté.

La division « I » de la police anglaise comprend la partie de la grande banlieue de Londres qui est bordée par le Sussex. Elle est notoirement connue comme une division absolument tranquille, et ne connaît guère d’autres crimes que le vagabondage, le braconnage, et les incendies de meules de foin. La police de cette région est ironiquement appelée la « légion perdue » par les inspecteurs londoniens.

Super avait été transféré de Scotland-Yard à ce plaisant endroit quelque temps auparavant, non pas en signe de blâme – il était le principal des « fameux cinq » qui avaient arrêté la « bande russe » de Whitechapel – mais (mieux vaut dire toute la vérité) parce qu’il était difficilement supporté par les chefs de la sûreté londonienne. Il ne respectait personne, n’était poli avec personne, et contredisait tout le monde. Il se chamaillait avec tous, argumentait, et au besoin défiait. Au surplus, il avait presque toujours raison, ce qui bien entendu n’arrangeait rien. De plus, lorsqu’il avait été reconnu que c’étaient ses supérieurs qui s’étaient trompés et non pas lui, il mentionnait le fait vingt ou trente fois au cours d’une seule journée.

– Que gagnerais-je, poursuivit-il, à m’occuper de ce vagabond ? Une fâcheuse interruption dans le cours de mes études. Vous n’avez jamais entendu parler de Lombroso, je parie ? Ah ! Alors vous ignorez tout ce qui concerne le cerveau d’un criminel ? Les cerveaux ordinaires pèsent… j’ai oublié le poids, mais le cerveau du criminel est plus léger. Allez me chercher le cerveau de cet homme, et je vous dirai s’il avait l’intention de pénétrer dans Barley Stack ou non. Et le pied préhensible, donc ! Saviez-vous que cinq criminels sur cent out les pieds préhensibles ? Ignoriez-vous que les têtes oxycéphaliques sont de mode parmi les assassins ? Vous avez raté quelque chose. Allez m’examiner ce chemineau, et ne manquez pas de remarquer l’asymétrie de sa figure ! C’est un jeu d’enfant !

Le sergent Lattimer était trop intelligent pour interrompre son chef. Mais il crut enfin pouvoir parler.

– Chef, il ne s’agit pas d’un cambriolage ordinaire. D’après Sullivan – c’est le nom du chemineau – son complice ne voulait pas le laisser entrer dans la maison de Monsieur Elson pour y voler de l’argent. Il voulait autre chose…

– Il voulait connaître les exploits des ancêtres de la famille, sans doute, interrompit rêveusement Super, ou bien examiner l’extrait de naissance de l’héritier ? À moins qu’Elson, américain d’origine, n’ait ravi le rubis sacré qui constituait l’œil droit du dieu Hokum et que de sinistres Indiens l’aient suivi ici, attendant l’occasion de rentrer en possession du bijou ? Voilà une affaire pour Cardew. Peut-être la débrouillerez-vous tout seul, sergent ? Dans ce cas, vous aurez votre portrait dans les journaux, et vous épouserez une femme de chambre qui se trouvera être une fille de duc enlevée par les bohémiens lorsqu’elle était enfant. Allez-y !

Chapitre 2

Avec une patience admirable, le sergent avait continué d’écouter son chef. Il put enfin parler :

– J’ai arrêté Sullivan la nuit dernière, parce qu’il était couché dans le parc d’une propriété. Il a d’ailleurs presque avoué, à présent, qu’il avait l’intention de pénétrer chez Elson.

– Allez-y, mon garçon, et surtout observez ses oreilles, murmura Super en prenant un porte-plume sur la table. Avez-vous remarqué que les oreilles des criminels et des paranoïaques affectent toujours la forme de pare-brise ? J’ai lu ça dans le bouquin et le bouquin ne peut pas mentir. Le métier de détective n’est plus ce qu’il a été, sergent. Il nous faut maintenant des physiognomonistes, des chimistes. Savez-vous l’idée que je me fais du détective idéal ? Eh bien, imaginez un type assis devant un énorme microscope, dans un immense laboratoire, et qui après avoir examiné une goutte de la boue de Londres, découvre que les bijoux furent volés par un gaucher qui conduisait une Rolls-Royce dernier modèle, à carrosserie verte. Avez-vous déjà rencontré Jim Ferraby ?

– Monsieur Ferraby, le procureur ? questionna le sergent momentanément intéressé. Oui, monsieur, je l’ai vu le jour qu’il est venu vous voir ici.

Super hocha la tête ; ses mâchoires claquèrent l’une contre l’autre, puis ses lèvres s’entrouvrirent dans un rictus extraordinaire, pour montrer deux rangées de dents solides et blanches. Il souriait.

– Eh bien, Ferraby n’est pas un détective, déclara-t-il avec emphase ; Ferraby ne comprend que les faits. Si ce garçon était chargé d’éclaircir le mystère de la disparition du bracelet de… du rajah de Bongo, par exemple, et s’il découvrait que le bracelet en question fut engagé chez un prêteur par le grand-vizir dudit rajah, il arrêterait tout simplement le vizir. Or, ce n’est pas ainsi qu’agirait un vrai détective. Celui-ci, par induction et déduction, conclurait immédiatement que le bracelet fut perdu par le rajah lorsqu’il se précipita sur la jeune et ravissante sténodactylo, laquelle, bâillonnée et cachée derrière un panneau secret, est prête à être expédiée par avion à destination d’un palais de l’Himalaya, entièrement construit de lapis-lazuli. Cardew, au contraire, est un détective. Voilà l’exemple que vous devez toujours avoir présent à l’esprit, sergent !

Super dirigea la pointe du porte-plume vers son subordonné.

– Cet homme-là, comprenez-vous, étudie le Crime sous toutes les faces, sous tous les angles. C’est un psy… psycho… bref, voilà ce qu’il est. Les oreilles, les mâchoires prognathes, les figures asy… asymétriques, etc., n’ont pas de secret pour lui. Et je ne vous parle pas de la bibliothèque qu’il a à Barley Stack !

Lorsque Super avait commencé de parler de Gordon Cardew, « cet excellent amateur », il était bien difficile de lui faire changer de conversation. Le sergent soupira longuement, quoiqu’avec respect.

– Voudriez-vous interroger cet homme, Super ? Il a presque avoué être venu dans la région pour faire un cambriolage.

À la surprise de Lattimer, le superintendant hocha la tête affirmativement.

– Je vais l’interroger. Amenez-le.

Le sergent se leva rapidement et s’éloigna. Il revenait quelques minutes plus tard, précédé d’un énorme individu au visage patibulaire, au maintien gêné.

– Voici Sullivan, monsieur, annonça-t-il.

Super posa sa plume, retira son pince-nez et fixa le prisonnier.

– Qu’est-ce que cette histoire que vous nous racontez à propos d’un de vos collègues qui voulait vous empêcher d’entrer à Hill Brow, la propriété de Monsieur Elson ? questionna-t-il à brûle-pourpoint. Et si vous avez l’intention de mentir, mon garçon, servez-nous des mensonges plausibles !

– J’ai dit la vérité, chef, déclara l’homme, d’une voix rauque. Je veux bien crever tout de suite, s’il n’est pas vrai que cet imbécile m’a retenu lorsque je m’apprêtais à ouvrir la fenêtre. Et pourtant nous avions tout préparé. C’est lui qui m’avait donné les indications, et m’avait expliqué où l’Américain cachait son magot. Je veux bien crever à l’instant même si…

– Ce n’est pas vrai ; les chemineaux ne meurent jamais, coupa Super.

Puis, soudain :

– Sullivan ? Ça y est ! Je me rappelle ! Votre dernière condamnation a été de trois ans de prison, pour vol. Luke Mark Sullivan, je me rappelle vos prénoms !

Sullivan se gratta la tête d’un air embarrassé.

– Que savez-vous au juste de votre compagnon ? poursuivit Super.

Sullivan n’en savait pas long. Il avait connu cet homme dans le Devonshire, et avait quelque peu entendu parler de lui par différents chevaliers de la route.

– Il est complètement fou, chef, et tout le monde le dit. Il traverse les pays en chantant pour lui-même. Il est toujours seul, et il parle drôlement, comme s’il avait de l’instruction. Et puis il parle quelquefois dans des langues qu’on ne comprend pas.

Super se renversa dans sa chaise.

– Vous ne pourriez pas inventer cela. D’ailleurs, le poids de votre cervelle… et dites-moi, où loge-t-il ?

– Oh, partout… mais je crois qu’il a un coin, près de la mer, où il se tient de préférence. Il m’a souvent demandé – car nous avons vécu une semaine ensemble – si j’aimais les bateaux. Il me disait qu’il passait des journées entières à regarder les bateaux, et à se demander lesquels d’entre eux sombreraient ou non. Je vous dis qu’il est fou ! Et après que nous avions décidé de cambrioler un petit peu cette maison, savez-vous ce qu’il a fait ? Il s’est mis à tourner autour de moi comme un chien enragé, et à me dire : « Va-t’en ! va-t’en ! tes mains ne sont pas assez propres pour accomplir… » Je ne me rappelle plus le reste très bien, mais il s’agissait de justice… c’est un fou.

Le superintendant fixa longtemps son regard sur le chemineau décontenancé.

– Vous en mentez de par votre gorge ! s’exclama-t-il enfin. Et il vous est impossible de dire la vérité, car vous avez des yeux singuliers. Remettez-le dans sa cage, sergent. Nous le ferons pendre !

Sullivan fut reconduit dans sa cellule. Le sergent avait presque terminé son déjeuner, que Super n’avait pas encore bougé de sa chaise. Il demeurait immobile, silencieux, et tenant le porte-plume dans sa main. Il se leva enfin, fit une sorte de grimace, retira les pantoufles qu’il mettait toujours aux heures de bureau, et mit ses chaussures en grognant.

Lattimer en était à la tarte aux pommes lorsque le vieux policier entra dans le mess des sergents.

– Savez-vous quelque chose sur cet Américain, cet Elson ? demanda-t-il. Restez assis, sergent et mangez votre tarte.

– Non, chef… excepté qu’il est très riche, à ce qu’on dit…

– Cette déduction coïncide avec les miennes, constata Super. Quand un homme vit dans une grande et belle villa, qu’il possède quatre automobiles et vingt domestiques, on peut en inférer qu’il a de l’argent… et là-dessus, je vais lui faire une petite visite.

Super avait une motocyclette qui ne manquait pas d’allure, étant à une motocyclette normale ce qu’une cahute en branchages est à Buckingham-Palace. Chaque année, au printemps, Super la démontait entièrement, et, sous les yeux écarquillés du sergent Lattimer, la remontait de telle façon qu’elle offrît une apparence complètement nouvelle. Ceci n’était probablement qu’une illusion, due au changements de coloris que le vieux policier infligeait annuellement à sa machine. Elle avait successivement passé du bleu-ciel au tango et du vert-épinard au vermillon. Le plus curieux était que cette motocyclette se révélait excellente, et, par la grâce d’un incompréhensible miracle, capable de fournir des vitesses impressionnantes.

Il suffit à Super de quelques minutes pour arriver à Hill Brow. Laissant sa moto contre un arbre, il se dirigea lentement vers la somptueuse villa de Stephen Elson.

Le vestibule était désert, mais il entendit deux voix, l’une féminine et l’autre masculine. Elles semblaient venir d’une pièce qui donnait sur le vestibule, et dont la porte était entr’ouverte. Une main apparut, dont les doigts se posèrent sur le bord de cette porte, mais ne l’ouvrirent pas encore. Super avançait son index vers la sonnette de la porte d’entrée, lorsque…

– Le mariage, ou rien du tout, Steve[2] ! Il y a bien trop longtemps que j’attends la réalisation de ces promesses. Les promesses, j’en suis fatiguée ! Quant à de l’argent, que voulez-vous que j’en fasse ? Ne suis-je pas aussi riche que vous ?…

À ce moment la porte s’ouvrit, et Super aperçut la personne qui venait de parler. Encore qu’il ne la vît que de dos, le superintendant reconnût Hannah Shaw.

Il contempla cette silhouette une seconde. Puis il s’éloigna sans bruit et sauta légèrement par-dessus la balustrade du perron. Hannah n’avait pas même vu son ombre.

Afin d’être sûr que sa présence à Hill Brow passerait insoupçonnée, Super mena sa moto à la main durant près de deux kilomètres.

Chapitre 3

Jim Ferraby, après avoir traversé Temple-Gardens du pas d’un homme qui ne déteste pas de se promener, considéra une dernière fois et non sans plaisir l’argent mouvant et brumeux de la Tamise, puis pénétra dans un vaste immeuble, en gravit l’escalier sombre, et s’arrêta devant la grande porte noire de son bureau.

Il insérait la clef dans la serrure lorsque la porte opposée à la sienne, de l’autre côté du palier, s’ouvrit. Il se retourna, et sourit à la jeune fille qui venait d’apparaître.

– Bonjour, mademoiselle Leigh, dit-il gaiement.

Elle fit un petit signe de la tête.

– Bonjour, monsieur Ferraby.

Sa voix était belle, étrangement douce et caressante. C’était la voix d’Elfa Leigh qui tout d’abord avait attiré l’attention de Ferraby vers la jeune secrétaire du vieux Cardew. Il ne manqua pas cette fois encore d’en éprouver tout le charme, quoique bien inconsciemment. Pas plus qu’à cette musique, en effet, il ne se croyait particulièrement sensible au regard lointain de ces immenses yeux gris, ni à la touchante beauté de ce visage.

– Alors, monsieur Ferraby, je suppose que votre réquisitoire a porté ses fruits, et que ce pauvre homme est en prison maintenant ?

– Tout au contraire, mademoiselle, répondit-il calmement. J’ai tout lieu de croire que Sullivan, actuellement, doit être en train de déguster un bock… à ma santé.

La jeune fille était visiblement stupéfaite.

– Oh, excusez-moi… mais à quoi faut-il donc attribuer cet… échec ? Monsieur Cardew disait que l’homme serait certainement condamné…

– Il aurait dû l’être, en effet, mais c’est mon réquisitoire qui l’a sauvé… La vérité, mademoiselle, c’est que je dois avoir une mentalité de criminel !… Figurez-vous que tout en parlant pour accabler cet homme, je pensais à lui. Malgré moi, je lui cherchais et lui trouvais des excuses… je m’imaginais à sa place, et je construisais, je découvrais les phrases qu’il aurait dû dire, les explications qu’il aurait dû donner. Insensiblement, j’en parvins à le défendre, ou peu s’en fallut-il… c’est vous dire, n’est-ce pas, que mon premier réquisitoire aura sans doute été le dernier. Vous pensez bien que le juge me le fit comprendre.

Comme la jeune fille riait doucement au récit, d’ailleurs plein de bonne humeur, du procureur, un pas ferme se fit entendre dans l’escalier. Se penchant par-dessus la rampé. Jim aperçut le fond étincelant du haute-forme de Cardew.

Cardew était un homme à la figure grave, ponctuée de petits yeux noirs à l’expression sympathique, abrités par des sourcils imposants. Il se distinguait par l’impeccabilité de sa mise et par le ton quelque peu pédantesque de ses propos.

Son parapluie sous le bras, les mains croisées derrière le dos, il arrivait sur le palier, l’air légèrement soucieux.

– Hullo, Ferraby ! s’exclama-t-il en apercevant le jeune homme, votre homme est acquitté, me dit-on ?

– Les mauvaises nouvelles vont vite, grogna Jim. Oui monsieur, c’est exact.

– Entrez donc chez moi, Ferraby.

Jim suivit l’ancien notaire dans le luxueux bureau où il ne s’occupait plus que de ses affaires personnelles, qu’on savait fort importantes.

La porte refermée, les deux hommes assis et les cigares allumés :