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Radié de la médecine et veuf, délaissant sa fille Marie, Léo se consume dans une déprime, qu'il noie inlassablement dans l'alcool. Une nouvelle fois isolé dans des pensées confuses, il erre, quand le destin met sur sa route une amie d'enfance. Eclaircir ses idées. Rassembler son courage. Sylvie s'évanouit brusquement sous ses yeux, étrangement happée dans l'habitacle opaque d'une limousine. Si sa résurgence le ramène vers la surface, l'enquête pour la retrouver libérera-t-elle enfin Léo de ses démons ?
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Seitenzahl: 264
Veröffentlichungsjahr: 2016
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A Sylvie
Qui y a toujours cru.
« Que Dieu me donne la force
d'accepter ce qui ne peut être changé,
le courage de changer
ce qui peut l'être,
et la sagesse
de distinguer l'un de l'autre. »
Marc Aurèle
Empereur romain.
161-180
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Chapitre 42
Chapitre 43
Chapitre 44
Chapitre 45
Chapitre 46
Chapitre 47
Chapitre 48
Chapitre 49
Chapitre 50
Chapitre 51
Chapitre 52
Chapitre 53
Chapitre 54
Chapitre 55
Chapitre 56
Chapitre 57
Chapitre 58
Chapitre 59
Chapitre 60
Chapitre 61
Chapitre 62
- « Papa Yéo et maman Zade, véné me voir dans le dodo en bois ! »
Léo émit un soupir.
Qui signifiait clairement : « vas-y, toi. »
Jade se tourna vers lui, soulevant partiellement la paupière droite, et constata que son homme n'avait aucune intention de se lever. Sans véritable conviction, elle tenta :
« C'est trop tôt Marie chérie. Faut encore faire ton dodo. »
Une voix gazouillante lui fit immédiatement écho : « No no non, Mahie veu pu domir. Vieeennns Maman. »
Jade ne se rendormirait pas.
Elle pensa à son voisin, qui avait assuré deux gardes de vingt-quatre heures d'affilée dans la semaine. La première était la sienne, l'autre, celle d'un confrère qu'il avait dû suppléer. Il était normal de le laisser dormir un peu plus. Néanmoins, débordante de mauvaise foi, elle lui adressa :
- « Ta fille chérie te demande. Fais pas semblant de pas l'entendre... »
- « Jaaade, s'te plaît... » supplia-t-il.
- « C'est booon, j'te taquinais. »
- « Et si tu continues, tu m'auras complètement réveillé. » marmona-t-il, plus persuasif.
La jeune maman se glissa hors de la couette, posa un baiser sur la joue de son époux en lui susurrant : « ça vaaa, t'as gagné », contourna le lit, et faufila sa silhouette nue et encore tiède hors de la chambre conjugale. Elle tira à elle la porte qu'elle ferma délicatement.
Quand elle pénétra, drapée d'un déshabillé de soie mauve, dans la chambre d'enfant, la frimousse de fillette s'illumina de mille feux.
- « Maaamaaan ! » s’exclama-t-elle de sa petite voie aiguë. Se trémoussant debout derrière les rehausses de son lit de bois blanc.
Jade dressa doucement son index, le positionna devant sa bouche, intimant à sa fille de ne pas réveiller son papa. Marie hocha la tête en signe d'acquiescement. Et plissa les yeux en souriant, prenant à cette occasion, le faciès d'une petite asiatique, pour confirmer qu'elle avait compris l'appel au silence. Elle n'eut toutefois pas la patience d'attendre que sa mère soit totalement à portée, au dessus de son matelas, pour lui sauter au cou. Avec l'élastique légèreté d'un singe capucin.
Telles une koala et son bébé marsupial, mère et fille prirent la direction de la cuisine, où, lovée au creux de sa mère, Marie avala son biberon chocolaté.
Cinq minutes plus tard, elle était installée à l'arrière de la voiture, dans son siège bébé. Pouce dans la bouche et une petite souris en toile parachute rose serrée contre sa joue. Du crochet par la boulangerie, sa conductrice de maman ressortit avec deux sachets, que la graisse des viennoiseries s'y trouvant avaient rendus presque diaphanes. Elle plongea la main dans la plus petite poche. En sortit un mini-pain au chocolat. Marie libéra sa bouche du doigt envahisseur, posa le doudou, qu'elle appelait sa « papeu », sur la banquette arrière, et croqua dans la pâte feuilletée.
Jade engloutit un pain aux raisins miniature. Les fruits et la crème pâtissière se mêlaient aux arômes du café qu'elle avait bu avant de quitter le pavillon. Elle mordit dans un second, tandis que Marie mastiquait sa chocolatine.
Le break allemand reprit sa progression. Et s'arrêta une nouvelle fois. La fillette éprouvait une véritable fascination pour les trains, et ses parents ne loupaient jamais une occasion de satisfaire cet inextinguible plaisir.
Jade extirpa la petite de son nid, et la positionna autour de sa taille. Elle marcha jusqu'à l'aiguillage où se rejoignaient trois voies de chemin de fer. C'était l'endroit le plus propice pour voir passer le plus de convois en un temps record.
Et le premier ne se fit guère attendre.
La motrice, lancée à vive allure, fonçait droit sur elles. Avant d'amorcer une légère courbe à gauche. Son sifflet n'avait pas fini de résonner que « le monstre aux yeux lumineux » coupa l'horizon des deux femmes, dans un vacarme et un souffle impressionnants. Marie en ferma les yeux d'aise. Comme pour mieux se délecter. Simultanément, son petit corps se mit à trembler d'extase. Jade adorait la voir comme cela.
Une fois le calme revenu, elle demanda :
- « Il était comment ce monstre ? »
- « 'Ro bien, maman. Un aut' ? »
- « Si tu veux ma belle. Et après, on rentre déjeuner avec papa ? »
Le pouce reprenant son emplacement buccal était, chez la fillette, soit un signe de bien-être absolu, soit l'avant-coureur d'un somme. Il restait tout de même suffisamment de place pour laisser sortir un « voui, m'man. »
Six autres locomotives suivies de leur cortège de wagons plus tard, Jade et Marie prirent le chemin du retour. Pour une raison qu'elle ignorait, Jade fit un détour par la place du Foirail. Heureuse intuition, une montgolfière, dont le ballon n'était autre qu'une enseigne publicitaire de jambon blanc, y trônait, arrimée au sol par deux solides cordages. Un panneau indiquait : « Baptème de montgolfière, ce jour 28 juin 1997. A compter de 10H00 ».
La conductrice s'approcha de la zone, fit descendre sa vitre électrique, et demanda si un tour était possible, à cette heure-là. Après tout, on était pas si loin de l'heure d'ouverture.
- « Un tour non, pas à cette heure-là, ma p'tite dame. Mais, un panorama circulaire à une cinquantaine de mètres de sol, en statique, j'peux vous faire ça pour la p'tite... »
Jade se tourna et interrogea sa fille du regard.
Marie n'avait pas compris de quoi il s'agissait. Sa mère lui expliqua en quelques phrases choisies. Evidemment, la pitchoune fut enthousiaste.
Une couverture polaire de taille réduite sur les épaules, solidement agrippée à sa référente, Marie s'envola. L'exaltation initiale se transforma rapidement en crainte. Marie avait le vertige. Jade trouva les mots pour la rassurer. Bientôt, le regard éternellement rieur et charmeur de la petite reprit ses droits. Et place sur son faciès.
Le préposé à l'aérostat les laissa de longues minutes admirer la ville d'en haut.
Au moment de prendre congé, Jade tendit l'enfant vers le facétieux quinquagénaire, sur la joue duquel Marie posa un baiser mutin des plus appuyés. Lorsqu'elle se recula pour prononcer les cinq lettres de remerciement, l'homme remarqua ses yeux vairons, que sa chevelure blond nordique faisait ressortir plus encore.
- « Montre-moi tes yeux, ma beauté. » Et en s'adressant à Jade : « jamais vu un regard comme ça de ma vie ! »
- « C'est vrai que ça désarçonne un peu la première fois. Mais, on s'y fait vite. Pour vous dire, je n'y prête presque plus attention. Merci infiniment pour le tour. Soyez certain que vous avez fait deux heureuses, monsieur. »
- « Ravi que ça vous ait plu. Au r'voir Mesdames. »
Marie agita la main en direction de l'homme, avant de disparaître à l'arrière du véhicule.
- « Bon, cette fois, on y va pour de bon. Papa doit nous attendre, à présent. »
Quand Jade posa Marie au sol, celle-ci se mit instinctivement à trotter en direction de la chambre de ses parents. Elle revint quelques instants plus tard, sur la pointe des pieds, son doigt potelé barrant ses lèvres.
Léo dormait encore.
- « Il a bien dormi, maintenant. Tu peux aller le réveiller, mon coeur. Avec plein de bisous. » autorisa Jade.
Marie fit valser ses chaussons sur le parquet, et repartit à l'assaut de la colline de quallofil. Elle se hissa sur le matelas, et rampa sous la couette. Entrouvrit les bras de son papa, au cœur desquels elle se blottit.
Enfin, elle le ventousa de tendres petits baisers.
Le fragment acalèphe du phare se teinta d'un blanc luminescent.
Léo amorçait sa reculade lorsque son regard se figea.
Comme aimanté.
Une silhouette féminine venait de traverser le miroir rectangle que formait le rétroviseur intérieur de l'habitacle. La sémillante quadra, qui marchait d'un pas aérien et dynamique, avait d'incontestables atours. Une nature à éveiller quelque convoitise mâle. Mais ce n'était pas cela. Il y avait autre chose. Plus magnétique. L'anse que formait son sourire éveillait en lui un souvenir, dont il ne put, sur l'instant, déterminer le millésime.
Jeudi 23 octobre 2010. 16H15.
Léo était ainsi.
Nanti depuis toujours, autant qu'il puisse s'en souvenir, d'une mémoire visuelle quasi infaillible. Il ne ratait, de facto, jamais un faciès connu. Oh, des minois, il en avait très probablement oubliés. Mais lorsqu'il posait les yeux sur un corps dont il avait croisé le visage suffisamment longtemps pour que se confectionne une image affinée, il opérait le rapprochement de façon systématique. La difficulté était de replacer l'estampe dans son contexte.
Là, le doute n'était permis.
Il connaissait cette bouche.
Le nez et les yeux qui allaient avec.
Mais, curieusement, pas l'anatomie qui les accompagnait. La silhouette qu'il venait de « scanner » lui était inconnue. Curieux. Probablement une femme qu'il avait rencontrée très jeune. Avec un corps en cours de formation. Forcément dissemblable. Les pièces du puzzle ne s'assemblaient pas.
La situation était binaire. Il n'avait que quelques secondes, tout au plus, pour prendre une décision. Comme bien souvent, il décida de suivre son intuition.
Embrayant sèchement, il mut des quelques décimètres vacants sa chignole, dans l'emplacement ad hoc. Tel un ressort libre bondit de son étui, il parvint à s'extraire de son siège. En se dirigeant vers l'horodateur, plongeant machinalement la main dans sa poche briquet, il en sortit la pièce de monnaie qu'il lui fallait. En l'insérant dans la fente d'horodateur, il se fit la réflexion intérieure que c'était exceptionnel. Un mini-miracle. Lorsque sa main fouillait un ensemble d'objets en aveugle, jamais ou presque celui opportunément désiré ne se trouvait être le premier saisi. Le bon truc au bon moment, c'était suffisamment rarissime pour que ça lui fasse tilt.
Ticket. Tableau de bord. Porte. Tour de clé.
Léo dut allonger notablement sa foulée, au point de rendre cette dernière presque sportive, pour ne pas perdre de vue la créature qui, déjà, tournait au coin de la rue.
Qui était-elle ? Pourquoi avait-il « bloqué » sur la congruence de son sourire ?
Il entama quelques pas de course pour éviter de se faire semer.
Tourna « rue des écoles » et stoppa net, au moment où la créature s'apprêtait à se retourner.
En rien décontenancé par cette manœuvre exécutée sans clignotant, il l'observa achever sa rotation, continuant d'avancer dans sa direction et, considérant que la meilleure défense restait bel et bien l'attaque, l'entreprit :
- « Inutile de me faire ces yeux-là, c'est sans effet sur moi. Je sais qu'j'ai pas à vous suivre, d'ailleurs j'allais cesser (menteur !). Si je me suis autorisé cela, c'est parce que je suis certain qu'on se connaît. J'oublie jamais un visage. Et le vôtre ne m'est pas vraiment pas inconnu ».
- « Ça ne vous autorise pas. Je ne vous connais pas moi. »
- « Prenez pas cet air rogue, je vous en prie. J'vous fiche mon billet du contraire ! Mais ça remonte un peu, parce qu'il y a que votre frimousse qui me parle. Et, excusez-moi d'être aussi franc, mais j'aurais pas oublié ce qu'il y a en dessous ! Donc, c'était forcément il y a un bail. Genre à l'école. Lycée Curie ? »
- « … »
La femme devint subitement aphone. Ses yeux marron clair s'illuminèrent. Et se teintèrent d'un éclat qui téléporta immédiatement Léo plus de vingt ans en arrière.
- « Léo ?... »
Stop ! Arrêtez tout.
Ça, c'est ce qu'aurait fait Léo s'il avait été plus réactif.
La réalité fut toute autre : il n'a rien attendu patiemment. N'a jamais avancé en souriant.
Pris au dépourvu et faute de meilleur choix, il s'engouffra à la hâte dans une micro-librairie dont la porte était restée béante. Jeta machinalement un coup d’œil circulaire sur les rayonnages. Personne ne lui posa de question. Il était seul dans cette pièce réduite. Il se fustigea intérieurement d'avoir eu ce malencontreux réflexe, qui l'avait rendu captif. En ressortant dans la rue trop vite, la femme l'apercevrait sortir de l’échoppe, elle comprendrait qu'il la suivait. Et en restant à l'intérieur, il risquait de la laisser s'enfuir sans piste aucune.
- « Sac à papiers ! » s'exclama-t-il, à forte voix lorsqu'apparut, dans l'ersatz de couloir une petite binoclarde rousse, plus frisée qu'un mérinos.
- « Eh ! Qui utilise encore cette interjection ? »
- « Moi, Mademoiselle ! Pardonnez-moi. Je pestais contre mes mauvais réflexes. »
Passé ces présentations inaccoutumées, Léo sut qu'il fallait de nouveau agir vite. Et la seule solution digne de ce nom était de solliciter le concours du modèle nain de « Princesse Fiona ». Elle seule pouvait sortir de son bouclard, l'air de rien, et de lui dire si LA femme était encore dans les parages.
En quelques mots aussi bien sentis que convaincants, il persuada la commerçante de lui rendre ce petit service. Elle fit quelques pas pour se positionner sur le trottoir lui aussi mince. Décidément tout était petit dans le coin, la librairie, la libraire, son bureau, le trottoir... Sortit d'une petite boite métallique sagement rangée dans la poche de sa robe bouffante, une cigarette qu'elle incandesça d'une allumette ibérique frottée sur le crépis de l'immeuble. Le va-et-vient latéral qu'elle émit du chef fut explicite. Plus de nana ! Mince ! Où était-elle passée ? Léo se jeta littéralement dans la rue, observa l'entour, et n'y vit rien de notable. Il persista quelques secondes, en vain.
Après avoir remercié la mini-libraire auburn, il fit mouvement dans la direction qui était sienne au moment de s'engouffrer dans la boutique. Jeta un regard furtif mais appliqué dans les différentes vitrines qu'il remontait une à une. Rien.
Il mit un terme à ses recherches au bout de la rue.
Il ne s'était écoulé, de toutes les manières, que trop peu de temps pour que la passante ait pu lui fausser compagnie. Pourquoi d'ailleurs aurait-elle eu cette idée saugrenue ? Le suiveur n'avait pas été repéré. Elle était entrée dans une des boutiques proches, et allait bien en ressortir un jour. Léo s'attabla à la terrasse de la Brasserie du Carrefour, chaussa ses lunettes teintées, et commanda un demi. Il se fit prêter le fanzine du débit de boissons qu'il ouvrit dans le but d'en parcourir quelques lignes. Mais il n'y lut absolument rien. Pas même un gros titre. Incapable qu'il était de se concentrer.
Il saisit facilement pourquoi. Son ciboulot était en train de phosphorer à toute berzingue, de fouiller dans ses bases de données souvenirs, pour établir à qui appartenait ce sourire ; dont il ne faisait plus aucun doute qu'il s'était déjà adressé à lui.
Et la lumière lui revint.
C'était celui de Sylvie.
Sylvie, une lycéenne qu'il avait maladroitement draguée alors qu'il était, lui en terminale, elle en première. Sylvie, qui ne l'avait pas éconduit pour la bonne raison qu'il ne s'était pas clairement déclaré, s'autocensurant en pensant qu'il ne l'intéresserait pas.
Pourtant, un jour de juin, par une circonstance aussi fortuite que miraculeuse, il était tombé nez-à-nez avec sa muse du moment. Alors qu'il courait pour ne pas arriver en retard à la reprise des cours de 14h, il avait, au détour d'un angle de mur d'immeuble, littéralement chu sur elle. Au sens propre du terme. L'avait étreinte pour éviter qu'elle ne tombe lourdement, et tel un félidé livré au vide, avait donné le coup de rein nécessaire leur faire effectuer une vrille, et prendre le choc au sol à son compte, amortissant la chute de celle qu'il avait malencontreusement déséquilibrée.
Désinhibé autant par son précieux réflexe que par les effets euphorisants des quelques bouffées du petit joint qu'il venait de partager avec un de ses potes, il avait posé ses lèvres sur celles de l'adolescente.
S'il avait pu arrêter le temps, nul doute qu'il ne s'en serait pas privé.
Il ne détenait pas ce pouvoir.
S'il avait été moins respectueux des règlements, particulièrement du scolaire, il aurait prolongé ce moment de félicité.
Mais, il manquait du plus élémentaire courage transgressif.
Bientôt, la cloche sonnait et chacun de rejoindre son cours respectif.
C'était l'antépénultième jour de l'année scolaire, et Léo ne trouva aucun moment propice pour reparler à sa néo-dulcinée. Tantôt, elle était flanquée de ses copines. Parfois, c'était lui qui n'était pas seul.
L'euphorie de la fin d'année. Les deux mois de vacances estivales conclurent le travail.
Après cette parenthèse enchantée, Léo ne recroisa jamais Sylvie.
Voila pourquoi, ce visage, et plus précisément son sourire, étaient restés à ce point indélébiles. Léo fouilla ses souvenirs d'adolescence pour tenter de trouver quelques détails intéressants. Il lui revint que Sylvie était une bizut dans l'établissement où il avait émigré, lui, en seconde, une paire d'années plus tôt, la faute à un parcours chaotique dans le précédent établissement qui l'avait, fort légitimement en regard de résultats bien insatisfaisants, proposé au redoublement. Pour éviter cet affront, ses parents, mère en tête, son père ayant du se faire violence, lui qui répugnait à l'idée d'envoyer son rejeton chez les curés, étaient allés frapper aux portes « du privé » où il avait été, malgré un dossier indigne d'éloges, accueilli. Il était parvenu tant bien que mal à surnager jusqu'au Baccalauréat qu'il abordait, malgré l'avertissement passé, totalement dilettante.
Sylvie était arrivée en début d'année scolaire.
N'étant pas ce qu'on appelle généralement une jolie fille, elle lui était passée quastivement inaperçue pendant quelques semaines. Silhouette passe-partout, un chouïa enveloppée ; le grand-père Talon aurait usé de son fameux « délicieusement entrelardée », mais il était d'une époque où on jouait du « elle est solide la payse » et où l'obésité légère était synonyme d'aisance financière, ce qui aujourd'hui était totalement suranné ; surmontée d'une poitrine conséquente pour son âge. Cheveux châtains ondulés. Rien de particulier concernant le portrait.
LE truc, c'était ses yeux. D'une teinte peu commune : marron clair. L'ensemble en aurait été presque banal, si on exceptait ce bandeau visuel, dont le ton chataigne irisait l'expression, et rendait son regard, quand Sylvie arborait une mine rieuse, proprement irrésistible. Irrésistible.
C'est cette singularité qui avait électrisé l'adoLéoscent.
*
Quelques semaines plus tôt, en fin d'après-midi, alors qu'il attendait la venue de son bus de ramassage, elle était venue s'asseoir à ses côtes. Faute de courage ou empesés de timidité, ils ne s'étaient pas adressés la parole.
Malgré cela, le lycéen avait succombé au sourire que sa voisine avait adressé en guise d'au revoir à sa copine de classe, qui remontait le trottoir d'en face.
Tombant raide dingue de cette jeune femme. Avant de tomber sur elle. Tout court.
*
Plus de vingt ans après, il en était intimement convaincu. Ce sourire était celui de Sylvie. Dont deux décennies de fonctionnement n'avaient, en rien, altéré l'exceptionnel éclat.
Il sirotait les dernières lampées de houblon liquide lorsqu'il la vit enfin surgir d'une lourde porte cochère. Elle avait assez peu changé. Quelques traits, légèrement plus creusés, conféraient à son visage mature une histoire. Il opérait sur elle un scan vertical détaillé lorsqu'une limousine sombre, cheminant à faible allure, se porta à sa hauteur. Il vit Sylvie échanger quelques mots avec le passager arrière. Puis la porte s'ouvrit et Sylvie fut happée d'une façon quelque peu singulière à l'intérieur. Comme précipitamment.
Quelque chose clochait. Léo tira immédiatement un stylo de sa poche, et griffonna le numéro de la plaque d'immatriculation sur la nappe en papier, dont il déchira à la hâte l'angle écrit. Dans un souci de discrétion, il monta le journal à ses yeux pendant que la berline passait à hauteur.
Sans désemparer, Léo tenta de joindre son pote flic afin d'obtenir les renseignements sur le véhicule. Mais tomba sur la boite vocale.
« Salut Ben, c'est Léo. Rien de grave. J'aurais juste besoin d'un petit renseignement. Quand tu seras dispo, sois gentil de me rappeler. Bye. »
Une fois la communication achevée, Léo tenta de se remémorer ce qu'il était en train de faire avant que Sylvie ne fasse son apparition. Quelques longues secondes furent nécessaires pour y parvenir. Il était en route pour le collège, où il devait récupérer sa fille. Bien qu'en retard, il lui restait encore une chance de l'y trouver. Mais, ce ne serait pas gratuit. Il allait encore essuyer les critiques, peut-être même les foudres, une nouvelle fois et parfaitement fondées, de Marie. A moins que cette dernière, un peu plus irritée que d'habitude, n'ait pris les trottoirs en pointe jusqu'à l'arrêt de bus. Et soit rentrée pedibus jambis.
Léo se mit à trottiner.
Au coin de la rue Léon Blum, il jeta un regard furtif sur le perron du collège. Personne sur les cinq marches en hémicycle. Pas plus de présence devant l'imposante double-porte en chêne peint. Il accéléra un peu plus encore.
Une fois devant l'entrée, il pressa la touche incurvée de l'interphone, et simultanément, la lourde porte se mua sous l'action d'un robuste groom pneumatique. La jeune secrétaire fit le tour de son poste de travail pour venir à lui. Elle connaissait parfaitement la question qui allait jaillir et s'adressa à son interlocuteur avant même que ses cordes vocales n'aient eu le temps d'émettre la moindre vibration.
- « Quand je suis sortie voir, il ne restait plus qu'elle et Angélique. Elles sont parties ensemble. »
Puis, d'une colère soudaine et froide...
- « Mais, bon sang, qu'est-ce vous avez encore bien pu fiche ? C'est quand même dingue de jamais pouvoir être à l'heure quand on travaille pas ! »
C'était rien de dire que Léo trouvait cette jeune femme impertinente. Vulgaire (pour la 1ère fois) et bien insolente. Pourtant, elle ne lui assénait qu'une bonne, et forcément désagréable vérité. Depuis qu'il avait été radié, qu'il était sans activité professionnelle, il avait toute latitude quant à la gestion de son temps libre. Il ne devrait plus être en retard.
Malgré ça, la chose arrivait plus que régulièrement.
Occupé à mille choses, Léo trouvait moyen de laisser vagabonder son esprit à un point tel qu'il oubliait régulièrement d'aller chercher son enfant au collège. Quand son esprit se recommutait sur le sujet, c'était trop tard.
Et c'est Marie qui trinquait.
Léo retourna à sa voiture.
Il mit quelques longues et poussives minutes avant d'enfin la trouver. Dans sa précipitation à suivre l'inconnue, il n'avait pas pris le temps d'enregistrer où il avait fait station. Au prix d'une lomboflexion dont il avait acquis le secret, il se glissa dans son coupé et prit la direction de son logis. Ralenti par quelques bouchons en approche des halles qu'il opta de contourner. Avant de remiser son engin au garage, il aperçut son pote Jules, accoudé au zinc de l'estaminet en bas de l'immeuble. Bien que fréquenté par une clientèle pas franchement captivante, il arrivait néanmoins que notre ami y fasse halte. Quand lui prenait l'envie. Que ses idées étaient confuses. Noires. Ou les deux.
Le 300 SL précautionneusement rangé, Léo pris la direction du troquet.
Le dernier garage qu'il avait trouvé pour sa voiture ; le premier était trop juste et obligeait à mille précautions pour garer -sans l'égratigner- l'allemande de collection ; la porte du second nettement plus vaste était de piètre qualité et n'aurait, le cas échéant, pas résisté à quelque prince de l'effraction ; et quand le troisième possédait ses deux qualités, il s'était révélé, en définitive, bien trop loin de la demeure de Léo, qui avait, quelques soirs où les nuages étaient larmoyants, pris quelques bonnes rincées à parcourir les 400 bons mètres qui le séparaient de son appartement ; était si proche de chez lui que quelques secondes lui suffisaient à regagner ses pénates.
Ne sachant trop bien que Marie lui ferait la gueule, au moins une bonne partie de la soirée, la petite avait du tempérament, Léo décida d'entrer saluer Jules avant de rejoindre son bercail. Comme pour se faire absoudre, il se fendit d'un sms : « Je sais, je suis nul. Je salue vite fait l'ami Julius, et j'arrive. ».
Jules, c'était un ancien pote.
De beuverie.
Mais pas que.
C'était aussi, même si la chose restait anecdotique, son plus fidèle partenaire de piscine. Où ils se rendaient deux fois la semaine. Normalement mercredi et vendredi soirs.
Enfant, Jules avait pratiqué assidûment ce sport, y compris en compétition. Adolescent, scruter les lignes de carreaux en céramique pour gagner quelques malheureux centièmes avait fini par lui paraître si dérisoire, qu'il avait opté pour des occupations beaucoup plus logiques à cet âge.
Léo, lui, y avait été initié encore plus tôt.
Par son père.
Une référence dans cet exercice.
Mais, très vite, il s'était éloigné des odeurs chlorées, leur préférant quelques baignades sauvages estivales dans les cours ou retenues d'eau croisés durant ses vacances. Léo savait donc nager, et se sentait parfaitement à son aise dans l'élément liquide. Mais avait, faute de pratique, perdu tout rythme et efficacité. En dépit ce long passage à vide, il rampait sur l'eau très correctement. Mieux que son ami même. Doté d'un sens aigu de l'observation, doublé d'une faculté certaine de mimétisme, il avait pour lui de parvenir, dans un temps -somme toute assez limité- et de façon très cohérente, à reproduire ce qu'il voyait exécuter devant ses yeux. Cette faculté lui avait permis de s'essayer à moult activités. Et, pour certaines, de sérieusement se lancer dans leur apprentissage. Mais avant de persévérer dans ces dernières, et pour éviter d'être pollué par des gestes parasites et énergivores, il lui arrivait de retourner aux fondamentaux, en l'espèce, la ré-acquisition des techniques de base.
Pour la nage, les conseils qui, enfant, lui avaient été paternellement prodigués, avaient opéré une lente mais sérieuse résurgence, reconstituant les rudiments du socle pédagogique. La suite n'avait été que mise en application d'un medley plagiaire de ce qui composait le bassin où Jules et Léo avaient leurs habitudes.
Jules trouvait évidemment injuste que Léo se débrouille aussi bien sans s'être « goinfré » des heures et des kilomètres d'éducatifs et de foncier. Mais, c'était ainsi. Il faisait avec. Et aimait partager une bonne heure de glisse aquatique avec Léo.
Après quelques longueurs, les deux hommes s'immobilisaient dans le petit bain, s'étirant consciencieusement dans l'eau, profitant du spectacle des baigneurs... Et des naïades ! Là, ils en profitaient pour observer et évaluer les silhouettes féminines qui entraient ou sortaient du parallélépipède d'eau. Sur ce point aussi, leurs jugements étaient proches. Leur complicité évidente.
La priorité chez eux était la chute de rein. Le cul quoi ! Et sur ce sujet, leur sévérité était impardonnable. Ils ne supportaient pas la moindre stéatopygie. Fusse-t-elle légère. Il pouvaient faire preuve d'une légère mansuétude quant au visage, une relative tolérance s'agissant de la poitrine, mais lorsque les fessiers étaient passés au crible, c'était tolérance zéro !
*
Petit, Léo aimait à passer de longues minutes en immersion. Nanti de lunettes qu'il trouvait tout bonnement magiques par le spectacle qu'elles offraient, il s'émerveillait du silence subaquatique. Malgré la pression comprimant ses tympans, l'un d'eux plus particulièrement puisqu'ayant été meurtri et définitivement fragilisé par une gifle reçue un peu trop fort, et un peu trop décalée de sa cible puisque c'est le pavillon auditif, au lieu de la joue, qui avait été destinataire de l'offrande courroucée d'une monitrice de colo que Léo avait passablement provoquée, il se pâmait du spectacle qu'offrait le prisme transparent. Les ondulations des nageurs, les rais de lumière qui perçaient les hublots de l'édifice, et ce silence si particulier avaient sur lui un effet hypnotique. A tel point que par moments, ayant inconsciemment retardé au maximum la durée de sa délectation visuelle, il refaisait surface le visage plus qu'incarnat. Pourpre.
*
Léo pénétra dans le rade sans que Jules ne l'ait reconnu. Il passa derrière les deux ivrognes qui occupaient, tous les soirs, l'angle du zinc et tapota sur l'épaule de Jules, qui en tressaillit.
- « Hello Tim ».
Tim, c'était le second prénom de Jules. Un caprice délirant de sa mère. En l'honneur de son père, un gitan natif des States. Lorsqu'il était d'humeur badine, ce soir il ne l'était pourtant pas franchement, Léo prenait un malin plaisir à taquiner son vieux pote en l'appelant de la sorte, sachant pertinemment que Jules goûtait fort peu ce prénom yankee, même second. Du reste, son grand-père n'avait même pas soufflé sa première bougie sur le continent ricain. Mais c'était ainsi.
- « Ah c'est toi, toubib ? »
De la même façon, Léo n'appréciait guère qu'on l'affuble de ce sobriquet. Jules le savait parfaitement. Mais, comme à sa connaissance, personne d'autre que Léo ne s'adressait à lui ainsi, Jules rétorquait invariablement par cet argot affectueux. Qui curieusement, coupait toutes velléités à Léo de continuer dans cette voie.
- « J'étais ailleurs. Dans mes pensées. Je t'ai même pas entendu rentrer. Qu'est-ce que tu fous ici à cette heure-là ? Et Marie ? »
- « Probablement à la maison. Je suis pas sûr, je l'ai encore loupée à l'école. Punaise, j'suis vraiment un nul. Comment veux-tu qu'elle grandisse correctement avec un père inconsistant comme moi ? »
- « Dis pas ça mec. T'es loin d'être un naze. Ces derniers temps, c'est vrai que t'es un peu à l'ouest. Mais tu vas revenir parmi nous très vite. Comme toujours. »
- « Y faudrait. Parce que je plane pire qu'un toxicomane en ce moment. La tête complètement à l'envers ! Et comme j'arrive pas à dormir... Gégé, tu me sers un nectar de houblon. Et sois gentil d'en faire de même pour l'ami Jules, s'te plaît.»
« Un singe en hiver ».
Jules dut traîner son arsouille d'ami jusqu'à l'ascenseur à grille translative chantante. L'y fourrer un peu brutalement. Au 3ème étage, le porter jusqu'au canapé. Lui ôter ses pompes élimées, poser ses binocles inutilement positionnées en serre-tête sur la table centrale, recouvrir la dépouille éthylique d'un plaid en patchwork partiellement décousu, et surtout allumer LA lampe au dessus du pucier de son alcoolyte.
Au repartir, dépassant discrètement de la porte de sa chambre, il croisa l'hémisphère gauche du minois de Marie. Ne sachant déterminer dans l'expression de son regard sombre si elle lui était reconnaissante d'avoir rapatrié, entier mais plein, son paternel jusqu'à son logis, ou si elle lui reprochait d'avoir vidé tous ces verres avec lui.
Jules chassa cette inutile interrogation de son esprit, estimant, malgré des idées, lui aussi sacrément brouillonnes, avoir accompli, sinon sa B.A, au moins son devoir d'ami, en ramenant son pote, sain et sauf, jusqu'à demeure.
Il sortit de l'immeuble.
Il faisait, malgré l'heure tardive, encore lourd.
On se serait cru dans l'antichambre de la communion.
A l'envers, le regard de Léo devinait un verre à pied, aux dessins pellucides, rempli d'eau aux deux tiers. Il était recouvert d'une lamelle de papier pliée où semblaient être calligraphiées quelques lignes manuscrites. Sur cette feuille, une hostie inhabituelle. Beaucoup moins large et bien plus épaisse. Pas besoin de s'approcher pour établir que cette rondelle n'avait pas été confectionnée par une des dix-sept sœurs cloîtrées du monastère de la Visitation de Lourdes, fabriquant officiel de « Corps du Christ ». Une chopine lyonnaise également pleine d'H2O, sur le goulot de laquelle pendait une serviette, avoisinait tout cela. Pas d'orgue. Ni d'encens.
Léo tendit le bras et éteignit la lampe.
Il se déplia, non sans mal, et se dirigea vers la table. Saisit la page rabattue sur elle-même, autorisa le palet de paracétamol à exécuter son ultique plongeon, et déplia la missive :