Les occis-morts - Laurent Léonard - E-Book

Les occis-morts E-Book

Laurent Leonard

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Beschreibung

Pour fêter une bonne nouvelle, Léo Talon organise une petite réception. L’événement est dignement arrosé, mais les réjouissances connaissent un insolite épilogue : la totalité des convives hospitalisée en urgence. Son petit ami faisant partie des victimes, Inès cherche à comprendre, et tente de faire la lumière sur ce qui, rapidement, est identifié comme un empoisonnement collectif. Faute de cadre juridique officiel, la lieutenant au caractère bien trempé, doit emprunter des voies peu conventionnelles, s’attachant, au passage, les services de Djwenisz, un homme de main polonais peu scrupuleux. L’improbable duo parviendra-t-il à ses fins ? Jusqu’où son enquête le mènera-t-il ?

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Veröffentlichungsjahr: 2017

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A Sylvie

Toujours fan

Et Céline

Toujours là

« Lorsque tu fais quelque chose,

sache que tu auras contre toi ceux

qui veulent faire la même chose,

ceux qui veulent le contraire,

et l'immense majorité de ceux

qui ne veulent rien faire. »

Voltaire

Sommaire

Préface

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

Chapitre 45

Chapitre 46

Chapitre 47

Chapitre 48

Chapitre 49

Chapitre 50

Chapitre 51

Chapitre 52

Chapitre 53

Chapitre 54

Chapitre 55

Chapitre 56

Chapitre 57

Chapitre 58

Chapitre 59

Préface

Le nez régulièrement dans la bouteille, sans boulot ni plus d'envie, Léo est à la limite de la rupture.

Viré de la médecine, suite à une intervention de chirurgie esthétique au cours de laquelle il a défiguré sa patiente, et ne parvenant pas à se remettre pas de l'assassinat inexpliqué de Jade, son épouse, il végète, se morfond. Comme une âme en peine. Venant même à négliger la seule chose qui le raccroche véritablement à l'existence : sa fille Marie.

La réapparition d'une amie d'enfance, va rallumer en lui la faible étincelle encore en vie.

Epaulé de Jules, son ami d'enfance, aidé de Benoît, son pote flic, mais également assisté de Marie, sa petite ado, auto-proclamée enquêtrice, il se lance à la recherche de Sylvie, la lycéenne dont il s'était jadis épris.

Dans sa quête, il découvre une femme bien différente de celle qu'il avait connue. Et sa fille, la très étrange Nila.

Si son accointance policière est loin de lui apporter l'aide escomptée, sa fille se révèle une investigatrice émérite, dont les efforts ne permettent toutefois pas de dérouler la pelote jusqu'au bout.

En demande de réponses, l'ex-médecin se tourne un vers certain Boun, caïd très influent, malgré sa détention. Ce dernier fait jouer ses relations, travailler ses hommes. Pour éclairer la lanterne de Léo... Lui éviter de faire, sur l'autel d'un souvenir de flirt idéalisé avec les années, une connerie. Et tenter de faire, enfin, la lumière sur le meurtre de feu Mme Talon.

Un vol de diamants. Authentique trésor.

Un dentiste. Joueur. Et coureur de jupons.

Des russes pas contents du tout.

Les yaccuzas, eux aussi, très contrariés.

Des gitans opportunistes. Prêts à tirer des pruneaux. Et les marrons du feu... De la guerre sino-slave.

Et Jade, au milieu de tout ça.

Cruelles et tragiques interférences.

Léo perce enfin le lourd secret.

Le revèle à sa fille.

En plus de la vérité, dont ils avaient tous deux besoin, et à la faveur de ce qu'on appellera pudiquement un petit coup de pouce du destin, il réintègre l'Ordre des médecins.

Une nouvelle vie peut commencer.

- 1 -

- « M. Talon. Téléphone pour vous. »

- « Merci Lucie... »

- « Talon, j'écoute... Oh, c'est toi Jade ? Du nouveau ?... Ah oui, je vois... C'est ennuyeux... Tu veux que je vienne t'aider ?... Sûre ?... Je peux là ?... Rien d'urgent sur le feu, alors si t'as besoin, c'est sans souci... Non ?... OK, sur le parking à ton arrivée... Disons dans une demi-heure... J'y serai. Mais t'es sûre que tu n'as pas besoin d'un coup de main ?... Très bien. A très vite alors... »

- « Ca se précise pour le bébé, c'est ça ? »

- « On peut rien vous cacher Lucie ! Jade vient de perdre les eaux. C'est une affaire d'heures à présent. »

Léo termina laborieusement ce qu'il était en train de faire au moment d'être interrompu. Il dut produire un sacré effort de concentration, déstabilisé qu'il était par l'arrivée imminente du bébé.

Jade et lui ne désiraient pas connaître le sexe de l'héritier. « A l'ancienne. La surprise de la naissance. »,avaient-ils rétorqué aux personnes qui les interrogeaient sur le genre de leur future progéniture.

La bientôt maman arriva sur le parking à l'heure prévue. Au prix de quelques savants déhanchements, elle parvint à s'extraire du siège passager où elle avait pris place, sa mère l'ayant prise en charge à son domicile, et véhiculée jusqu'ici.

Jade était radieuse.

Pas inquiète pour un sou.

Sa démarche quelque peu inhabituelle tira un sourire moqueur à son compagnon.

- « J'aimerais t'y voir toi, avec une serviette de bain, entre les cuisses ! Je sais ce que tu as dans la tête. Tu t'apprêtes à me balancer que j'suis née sur un camion-citerne, ou qu'il faut que je cesse dare-dare le rodéo... T'avais déjà raillé feue ta grand-mère qui avait cette démarche de poule arthrosée. Mmmoooqueur, va ! »

- « Tu lis dans mes pensées chérie. Reconnais quand même que ça prête à sourire... »

Jade lui tira la langue.

Léo saisit les sacs à main et de vêtements de sa chère et tendre, et la dirigea vers l'aile maternité.

Sur place, elle prit le temps d'échanger avec l'obstétricien de garde auprès de qui Léo l'avait recommandée. Si ce n'était pas indispensable et que la douleur s'avérait supportable, Jade ne voulait pas de péridurale. A l'ancienne, avait-elle persisté. Jusqu'au bout...

Celui qui pensait légitimement être le père lui avait pourtant fait l'article du confort et des délices de cette anesthésie locale, en vain. La génitrice était une authentique tête de chien, et avait décrété que si des milliers, des millions même !, de mères avaient donné la vie de cette façon, il n'y avait aucune raison qu'elle n'en soit pas capable. Au diable le progrès. Et le confort.

On installa Madame Talon, même si, officiellement elle ne l'était pas, puisque pas encore unie légalement à Monsieur, dans sa chambre. Prit l'énorme œuf de Pâques qui lui tenait lieu d'abdomen qu'on ceignit d'un large ruban, qui n'était ni rouge vif, ni doré ou argenté. C'était une lanière élastique, où étaient positionnées, équidistantes, quelques pastilles ventousées, capteurs reliés à une grosse machine posée sur un chariot à roulettes. Le monitoring émettait une sonnerie régulière, bip dont l'intensité variait selon l'ampleur de la vague de contractions.

Léo s'assura que son amie ne manquait de rien et décida d'aller tuer le temps en grillant une « sucette à cancer ». C'est ainsi que, petit, lorsque son père lui désignait, comme exemple à ne surtout pas suivre, les fumeurs occasionnels ou plus sérieusement addicts, il nommait la « vilaine chose » qu'ils tenaient, soit entre leur index et majeur jaunis, soit au bord de lèvres, qui masquaient une dentition fréquemment ternie par les goudrons et autres saloperies.

En allumant sa cibiche, Léo prit une profonde et délectable inhalation.

Pour autant, au fur et à mesure que le tube blanc et caramel rapetissait, le fumeur culpabilisa. L'envie d'arrêter était récurrente chez lui, mais pour l'instant pas assez puissamment désirée pour qu'il le décide enfin. La perspective plutôt imminente de l'arrivée du bébé changeait notablement la donne. Léo n'avait pas envie que le bambin garde de son enfance l'image d'un père une clope éternellement vissée au bec.

*

De retour dans la chambre, il fit un détour par le vestibule qui faisait office de salle de toilette pour s'y laver les mains. Réflexe professionnel. En sortant, il se pencha sur le lit médicalisé pour apposer un baiser sur le front de Jade.

- « Tu pues l'tabac ! » le gratifia-t-elle.

En temps normal, l'interpellé ne se serait pas « gratté » pour contre-attaquer d'un passing-shot verbal. Mais là, cette pique, un rien provocatrice, assénée juste après la réflexion introspective qu'il venait d'avoir, eut l'effet d'une bombe. Rarement réflexion avait atteint aussi efficacement sa cible. Le futur père se borna à un sourire gêné.

Mais n'en pensa pas moins.

Pendant ce temps, le monitoring couinait de plus en plus régulièrement, de salves sonores qui gagnaient en intensité. Les choses se précisaient.

C'était l'heure.

Aucun réveil n'avait sonné.

Aucun petit déjeuner fumant n'attendait dans la cuisine.

Pourtant, il fallait y aller à présent.

Le chauffeur de lit, plus communément appelé brancardier, était un expert. Il dirigeait le lit à roulettes avec un sens de la trajectoire que nombre de conducteurs auraient pu lui envier. Léo, qui suivait le cortège, en était baba. Il en avait pourtant vu des pousseurs de puciers, mais celui-ci avait un style tout à fait inhabituel. Il ne ralentissait pour ainsi dire jamais. Comme s'il était programmé à une allure définie dont il ne pouvait s'écarter. Pourtant, rien ne pressait vraiment.

Chemin faisant, Jade se mit à hurler.

Grosse contraction.

Léo tressaillit.

Le préposé au brancard, lui, n'esquissa pas le moindre mouvement réactionnel. Il aurait peut-être dû. Même s'il n'y avait aucun rapport entre la complainte et ce qui se tramait.

Sans que personne n'y prête réellement gare, un écrou roula sur le lino blanchâtre, coupant la ligne bleue médiane. Il n'avait pas encore atteint la plinthe qu'une vis se faisait la malle à son tour. Sans surprise, en vertu des lois de la physique et compte tenu de ce qui venait de se passer, la roue avant du lit gauche translatif tira tout droit, suivant son vecteur directeur.

L'embarcation amorça un changement de cap à droite.

De 90°.

Le plan, jusque là parfaitement horizontal du matelas, s'enfonça comme s'il venait d'essuyer une lame par tribord amure. Étonnamment, le capitaine du navire, resta quelques dixièmes de seconde, totalement imperméable à la tempête qui grondait.

Léo, lui, perçut instinctivement le danger. Pressentant qu'avec la force centrifuge, Jade était promise à la chute, il essaya d'anticiper sa trajectoire afin de servir de tampon.

Jade poussa un nouveau cri.

De peur, cette fois-ci.

Edmond Saint-Michel, le conducteur de lit, prit enfin conscience de la périlleuse incongruité de la situation. Sa gestuelle, jusqu'ici robotique, prit un tour moins linéairement apathique. Alors qu'il tentait de retenir la chute du plan vertical, apparurent, cachés par sa chevelure impouclée, des écouteurs qui obstruaient ses conduits auditifs.

Pas étonnant qu'il semblait dans son monde. Ça offrait une explication assez rationnelle à son attitude dilettante et peu concernée. Tout comme ça justifiait la curieuse manière qu'il avait de mouvoir la plate-forme roulante, dont il avait ponctuellement les manettes.

Sa couchette de pont gîtant dangereusement par bâbord, comme un marin l'aurait fait à ses haubans, Jade s'accrocha aux montants latéraux. Le brancardier ne put alentir suffisamment l'embarcation pour que cette dernière évite le choc promis avec le mur. C'est bien beau de pas décélérer dans les courbes...

Les remous de l'incident mécanique conjugués aux secousses du télescopage mural accouchèrent d'un lit cathédrale. Jade se retrouva quasiment debout, sauf qu'aucun de ses pieds n'était libre de ses mouvements, puisqu'empêchés par le drap qui les recouvrait encore. Elle allait choir de tout son poids. Et probablement en avant...

Le brancilote ne trouva aucun réflexe adapté pour atténuer une partie du mal que sa conduite « arythmée » (aux sons de sa playlist ?) avait généré.

Léo abaissa son centre de gravité et glissa sur le flanc, accompagnant la trajectoire de l'engin chavirant, prêt à accueillir celle dont l’excommunion était imminente. Aussi, quand Jade fut bannie de sa place, elle atterrit, non sur le sol, mais sur le corps de son futur époux.

Le matelas vivant poussa un râle de douleur.

Pourtant, la future mère était un poids plume.

Quelques centièmes de seconde avant le contact des deux corps, Léo, saisissant la blouse médicale de l'alitée, était parvenu à lui faire effectuer un début de vrille, la faisant pivoter sur le flanc.

Toujours sous emprise (de quoi exactement ?), l'agent hospitalier ne fit guère plus de cas lorsque Jade, par deux nouvelles fois, fit bruyamment vibrer ses cordes vocales. Décidément sourd comme un pot l'Edmond !

Les trois êtres humains et le carrosse métallique finirent par s'immobiliser.

Léo y alla, lui aussi, de sa complainte.

Les deux lamelles chromées qui accueillaient l'axe de la roue gauche s'étaient intercalées, telles un foène, entre les métatarsiens de son pied droit, coincé entre le mur et la paillasse roulante.

- « Eh, Jimmy Hendrix ! Hurla-t-il. « Tu vas m'virer tes putains d'écouteurs rapido avant que j'te les arrache moi-même. Et que tes oreilles viennent avec ! »

Le chevelu s'exécuta dans l'instant.

- « Maintenant que tu m'entends fort et clair, fonce chercher du renfort. Au pas de charge ! Aussi vite que tu conduis les pageots. Mais, sans la sortie de route. Et magne-toi le fion. Avant que j'te le botte avec le pied qu'il me reste ! »

La tonalité des instructions de Léo ne supportait aucune répartie.

Edmond ripa à une vitesse que sa dégaine douteusement patibulaire rendait théoriquement inconcevable.

Entre-temps, Jade s'était mise à gémir.

- « Chéri. Le bébé... »

Léo n'en croyait pas ses mirettes. Une tête couverte de cheveux bruns s'annonçait sortante entre les jambes de sa mère.

- « Y a quelqu'un dans le coin qui pourrait venir aider ? » hurla Léo à gorge intégralement déployée.

Deux portes voisines s'ouvrirent d'un même élan. Des blouses vertes en sortirent. Deux de la première chambre, une de la seconde. De cette dernière, un quatuor composé de deux médecins, une infirmière et Edmond accoururent au chevet de la famille Talon, dont la cellule familiale était en passe de s'enchérir de 50%.

Toujours coincé par son pied, Léo était quand même à pied d’œuvre.

Au chevet de Jade. Sa position lui permettant de surveiller l'arrivée du bébé.

Haletant comme un chiot, la future maman bloqua sa respiration et poussa de toutes ses forces. La tête sortit lentement.

Les intervenants s'organisèrent pour rendre le travail moins inconfortable. Pendant que quatre agents soulevaient précautionneusement la femme, deux autres glissèrent le matelas entre elle et le sol. Le médecin prénommée Annie proposa à son bientôt collègue de lui ôter le corps étranger afin de se libérer de la gêne du lit. L'interne accepta à la seule condition de ne pas quitter l'endroit.

Une des infirmières posa un pansement bien serré sur la plaie au pied. Léo se mit à genoux et consentit à laisser intervenir l'obstétricien, alerté en urgence.

En moins de trois minutes, montre en main, le bébé était né.

Une fille.

D'un regard, le gynéco comprit que Léo était prêt.

Il tendit la paire de ciseaux à son confrère qui sectionna, sans coup férir, le cordon. Le dernier contact biologique qui reliait la maman à son enfant venait d'être sectionné.

Le médecin posa délicatement la petite sur la poitrine de sa mère. Et couvrit les deux corps d'un drap tiède, tout juste déplié par sa consœur.

Jade ferma longuement les yeux.

Comme pour mieux savourer.

Et sentir ce petit être contre elle.

Léo s'assit sur ses talons.

Malgré la douleur.

Un flot lacrymal lui embua la vision.

Fluide d'intense bonheur le submergeant.

Il pivota sur le côté et serra Jade contre lui.

Quelques larmes perlèrent également sur les joues des personnels hospitaliers venus prêter main-forte.

L'obstétricien récupéra le nouveau-né qu'il drapa dans une serviette éponge douillette. Il demanda aux parents le prénom de l'héritière. « Marie ». D'une main et d'un œil jaugeurs, il se risqua à :

- « 49 cms et 3 kilos. Maximum ! 5 pour cent d'erreur... J'vous parie 50 balles... Tain, on est vendredi 13, faut qu'j'aille faire une grille. Avant Noël, ça peut pas louper... Allez, j'vous laisse.. 50 billets, hein ? »

Jade quitta le plancher des vaches.

Pour prendre de l'altitude.

D'un gros mètre.

On la disposa délicatement sur un lit en état de roulage.

Edmond s'aventura à poser ses mains sur les poignées de manœuvre.

Le lit se mut de quelques dizaines de centimètres avant que Jade ne saisisse le manège. Elle se redressa comme un serpent, fit volte-face, lança un regard plus que belliqueux à celui qui venait de perdre tous les points de son perlit de conduire.

- « Non, mais vous doutez vraiment de rien, vous ! Otez immédiatement vos sales pattes de mon embarcation. Docteur, je vous serais très obligée... »

Mme Vercère, le second médecin, opina du chef.

*

Léo revint de la radio en boitant. Un pansement, encore plus volumineux que l'initial, lui cerclait le pied. Pas de fracture, un petit miracle.

En regagnant la maternité, il s'arrêta devant le secrétariat et demanda le numéro de chambre de Jade.

Nanti du renseignement, claudiquant, il continua son chemin. Fit une nouvelle halte à la salle de soins néo-nat' où une sage-femme finissait d'emmitoufler Marie.

Au pied de la couveuse on lisait : « Marie Talon. 13/12/1996 à 9h35. »

Elle informa l'interne que le bébé allait rejoindre la chambre maternelle dans quelques heures, après un petit passage en couveuse.

Et ajouta que le médecin accoucheur avait gagné son pari. Quarante-huit centimètres pour deux kilos, neuf-cent cinquante, ajouta-t-elle, un sourire vissé sur les lèvres.

- « J'me rappelle pas avoir parié. »

Annonça très tranquillement Léo.

- 2 -

- « De la viande saoule, Dieu sait que j'en ai vue, et qu'j'en verrai encore. Mais une bringue de cette magnitude, Richter en serait resté pantois ! »

S'exclama, coite, la petite infirmière eurasienne.

- « Richter. Mais aussi Gutenberg et Kanomori, ses aides de camp, chère Emma ! Dans les déflagrations orgiaques de cette ampleur, il est bien rare de ne pas trouver UN ou DEUX invités, en général des filles, qui boivent pas. Ou si peu. Mais là, y a aucun rescapé du tsunami alcoolique. L'ouragan spiritueux a tout balayé tout sur son passage. »

Puis, d'un regard périphérique évaluateur :

- « C'est apocalyptique ! »

Renchérit le médecin.

Plus miséricordieux, le solide brancardier qui complétait l'équipage médical, prit , à son tour, la parole :

- « Mais du coup, qui a bien pu nous téléphoner ? »

- « Moi ! »

Tonna une voix de l'intérieur de l'habitation.

- « Et j'suis pas contre un p'tit coup de pogne ! »

La nurse interrogea du regard son référent, qui acquiesça.

Elle le devantra dans le cabinet médical.

Avant de lui emboîter le pas (qu'elle avait minuscule), le docteur Paldire pria le second mâle de procéder à un sérieux et détaillé « tour du propriétaire » afin de lui faire un point précis des victimes à médicaliser.

L'infirmière et le médecin confluèrent dans le hall où un homme, entre bouche-à-bouche et massage cardiaque, génufléchi sur une femme allongée à même le carrelage, ne ménageait pas sa peine.

Un bref examen visuel « à la volée » des silhouettes gisant dans le bâtiment prolongea le constigeant constat extérieur, corroborant, s'il en était encore besoin, l'ampleur de la nouba.

Emma invita le requérant à lui confier sa patiente.

Alors que le praticien lui proposait de répondre à quelques brèves questions, elle prit le relais.

- « C'est mon boss qui m'a phoné pour m'dire d'abouler mon museau par ici. Que ça s'agaçait un peu, et que j'pourrais êt'utile si les esprits continuaient d'se chauffer. Pendant que j'lui d'mandais si fallait prévoir des renforts, en cas d'empire, il a perdu sa langue. Muet comme une carte ! »

Le Docteur ouvrit des yeux médusés, se demandant si c'était du lard ou du cochon. Pour autant, il ne pipa pas mot.

Denis embraya :

- « Mais son bigo marchait encore car j'entendais les bruits du dehors. Pas tranquille, j'ai sauté dans ma tire et rappliqué fissa. J'suis là d'puis à peine dix minutes. Sacrée chouille, non ? La blonde là (en désignant la patiente qu'il avait ventilatoirement assistée durant de longues minutes), c'est elle qui m'a accueilli. Paraissait en forme la frangine, jusqu'à ce qu'elle s'effondre, comme un vulgaire château en Espagne. »

- « Un château de cartes. Ou de sable, vous voulez dire ? »

Coupa instinctivement, joueur malgré une situation qui ne s'y prêtait pas de prime abord, l'urgentiste.

- « P'têt bien ouais. C'est vous l'intello qu'a été à l'école, pas mézigue ! Bref, elle a pété un fusible sans prévenir miss Hélium. Disjonctée net, maman ! C'est con quand même. Une pouliche avec des mesures comak, on s'attendrait à ce qu'elle soit solide... »

Apparemment, le Doc s'amusait beaucoup des erreurs de langage de son interlocuteur. La répartie à la surface du puits de chargeur, prête à être propulsée violemment hors du canon, il esquissa un sourire mutin. Mais, ce dernier se biffa net contre le faciès marmoréen de la soignante. Qui n'était visiblement pas dans le même état d'esprit. Il béait son clapet pour rectifier « les mensurations » quand il capta le regard désapprobateur d'Emma, qui lui conjuimait de n'en rien faire.

Denis n'y avait vu que du feu. Nullement décontenancé par la première reprise de volée qu'il était aller chercher au fond de ses filets, il jugea futé d'ajouter : « Malgré quelques mornifles -j'ai quand même gaffé de pas l'abîmer-, elle restait « aux abonnés absents ». Respirait plus la gerce. Electroencéphalopode plat.

Le toubib se mordit la lèvre inférieure pour contenir un ricanement.

- « Ni une, j'ai été obligé de lui palper un peu les roberts, et lui rouler quelques gamelles maison en vous attendant. » Et, devant les yeux noirs de la soignante, d'ajouter :

- « C'est booonnn ! J'décooonnne. »

Malgré les excuses, et agacée par ce dialogue de sourds pour dîner de cons, l'infirmière intervint :

- « Patron, je crois que c'est Armelle. De la nuit. »

- « Vous plaisantez ? »

L'homme de l'art fit quelques pas de crabe avant de confirmer :

- « Vaaaache ! C'est bien elle ! Qu'est-ce qu'elle fiche là ? »

Un coup de sirène se fit entendre à l'extérieur de la grille.

Max, qui les attendait, pour la bonne raison que c'était lui qui les avait requis, avança jusqu'au portail pour leur ouvrir.

Deux équipes médicales arrivaient simultanément.

Et il faudrait bien tout.

Une fois Armelle sous assistance respiratoire, on la transféra à l'hôpital Nord ; le binôme primo-intervenant ayant jugé que, eu égard aux circonstances pour le moins graveleuses, et au teint majoritairement zinzolin des noceurs, il serait peu judicieux de la faire admettre, avec la troupe comateuse, au centre hospitalier où elle œuvrait.

Les trois médecins se repartirent les check-up, et sollicitèrent des véhicules sanitaires légers supplémentaires afin de pouvoir transbahuter tous ces ivrognes jusqu'à une zone médicalisée, où ils pourraient dégriser en toute sécurité...

24 novembre 2010.

L'état général de leurs ouailles les préoccupait.

Celui de deux adolescentes en particulier.

- 3 -

- « Léo, tu devrais v'nir mater. Y a un joli p'tit lot en salle d'attente. Ca peut pas manger d'pain de voir ce qui l'amène... »

- « Pas l'temps Hervé. J'ai encore un patient à suturer. Une bonne quinzaine de points à lui faire, au skater. Ça fait une plombe qu'il poireaute, le pauvre ! »

- « Ben, il est plus à 10 minutes près ton « Tony Hawk » ! Il avait qu'à pas s'croûter, c'nigaud !

- « Tony quoi ? »

- « Laisse béton. »

- « T'as vraiment aucune morale. Et j'parle pas de ta conscience. Inexistante. Ta minette, j'la verrai à l'issue d'la couture. Et si elle a mis les adja, c'est qu'on devait pas s'rencontrer. »

- « T'es bien sûr ?... Putain, tu fais chier, Léo. Reléguer un plan cul après un patient, mais t'es fin fou, c'te fois-ci ! Tu fais honte à la profession, tu t'en rends compte ?Qu'est-ce qu'on va devenir avec des gonzes comme toi ?»

- « Toi, j'sais pas. Mais moi, médecin, j'te l'garantis. Allez, trêve de palabres, j'y cours. T'as qu'à aller lui conter fleurette toi à la p'tite. »

- « Tain, j'en ai déjà trois sur le feu, et un de ces quatre, j'vais finir par éjaculer en poudre, mec. Alors, j'passe mon tour. Même si j'dois bien avouer que c'est parfaitement mon type de gerce. J'la garde dans le viseur pour ton retour amigo. Magne ! »

Léo haussa les épaules en se dirigeant vers le box où l'aide-soignante venait d'installer le patient blessé à la jambe gauche. A portée de voix, il se présenta à l'homme à qui la jeune hospitalière désinfectait, pour la énième (si l'on considérait la remarque que lui faisait l'homme alité) reprise, la plaie.

Le regard sur l'horloge à clapets, indiquant mercredi 3 novembre 1993, 18H37, l'interne se passa les mains sous l'eau pour la trentième fois de la journée. Il saisit l'aiguille du chas duquel pendait un fil nylon sombre. Avant de commencer de refermer la blessure, Léo expliqua à son patient comment il allait procéder, et, dans une interrogation négative qui n'attendait qu'une réponse, le convainquit de l'inutilité d'une anesthésie locale.

Quelques instants plus tard, une virile poignée de mains scellait l'intervention et séparait les deux hommes. Celui en bermuda trop large et baskets délacées quittait les urgences en boitillant.

*

La salle d'attente s'étant vidée de sa substantifique moelle, Léo se lova dans un des fauteuils en moleskine bleu mat de la salle de restauration et alluma une cigarette. Il mit le téléviseur sous tension et zappa comme un spectateur peu concerné.

Pour écraser sa cigarette dans le cendrier, qu'il plaçait systématiquement sur le rebord de la fenêtre, il se redressa et ouvrit la baie translucide. Il reployait le filtre sur lui-même, égrugeant le cône de cendres incandescentes restant, quand son regard se porta sur une femme brune, flanquée un type en blouse blanche. « Pour quelqu'un qui passait son tour... », prononça doucement Léo.

Une mini-braise, épargnée par l'étouffement programmé, lui brûla l'épiderme du pouce.

Faire deux choses à la fois...

L'homme en blouse blanche quitta la pièce et arpenta le couloir à la recherche d'une occupation. Aucun patient en souffrance, il entama un tour des chambres pour deviser avec quelques malades.

Quelques minutes plus tard.

- « Il est où l'père la vertu ? » crut-il entendre vociférer dans le couloir

- « Dans ton... » Il s'interrompit pour ne pas céder à la vulgarité. Prit congé, en s'excusant, de l'aïeul avec lequel il venait de refaire un petit bout de monde, et sortit dans le couloir.

L'interne Verlaine brandissait un rectangle de papier, manuellement déchiré sur lequel avaient été griffonnés une dizaine de chiffres, dont on pouvait deviner qu'ils constituent les coordonnées téléphoniques de la femme en question...

- « Heureusement que t'étais pas intéressé, Hervé... »

- « Je ne le suis pas ! C'est pour toi que j'y suis allé. Elle allait partir avant que tu reviennes. Du coup, j'suis allé faire l'entremetteur. »

- « Ah ouais ? »

- « Sur la tête des canards ! Son phone, j'm'en tamponne. Non non, c'est pas un jeu de mots. D'ailleurs, comme tu fais ton bégueule, regarde ce que j'en fais ». Et il déchira le morceau de papier en deux. Avant de continuer à émietter les moitiés, Hervé adressa un regard interrogatif à son interlocuteur qui ne bougea pas un cil. Quelques secondes plus tard, ce que l'interne roux brandissait comme un trophée, était réduit à l'état de confettis.

- « Dommage, t'avais un ticket mec ! »

- « Comme tu dis. Mais comme disait mon grand-père : « Une de perdue... »

- « Le mien aussi disait ça. Mais l'adjectif « perdu » implique qu'il y ait eu relation avant. Or, là... »

- « J'te l'accorde. Je retire donc « une de perdue ». Ca te va comme ça ? »

- « Bof, si on veut ! En tout cas, c'est pas avec une attitude aussi dilettante que que tu risques de retrouver les 10 promises. »

- « Qu'est que j'ferai de 10 ? Une serait déjà bien. »

- « Exact. Et elle était à quelques mètres de toi. Parce que, crois-moi, j'suis sérieux là, la p'tite, elle t'avait bien retapissé. Elle en pinçait pour toi, ami. Et quand je lui ai dit que t'étais un grand timide, doublé d'un toubib consciencieux, elle a eu l'air de te kiffer un peu plus encore. »

- « Heureusement, j'suis une mère pour toi. J'savais qu'tu l'appellerai pas sans avoir eu de contact avec elle, alors j'lui ai filé ton dix chiffres. »

- « T'as pas fait ça, abruti ? Si elle voulait me revoir, elle savait où me trouver. J'ai horreur de ça. On sait ce qu'elle a dans la tête cette nana ? Si elle est pas nette, c'est qui se farcira ses délires, c'est toi ? Toi, on sait c'que t'as dans le citron, du pudding ! Dès que ça sent le cul, tout s'éteint là haut pour toi. Si jamais elle me les brise, tu banqueras les frais de changement de numéro, Dumalin. »

- « Si tu veux Léo. C'est bon, tu vas pas nous en faire tout un from'ton. Elle est p'têt très bien c'te meuf. Autant, tu m'remercieras dans quelques jours. »

- « On verra ça. Croise les doigts pour que ce soit pas une emmerdeuse. »

C'est rien de dire que Léo était chagriné par les révélations de son binôme. Lui qui s'était mis sur liste rouge en raison des affres d'une précédente liaison. Une femme, du reste pas esthastique, à qui il avait cédé pour éviter de la blesser en l'éconduisant. Fallait croire que la gentillesse ne payait pas. Elle l'avait harcelé au téléphone de son domicile, avant de venir carillonner à son interphone, d'abord le soir, puis au beau milieu de la nuit.

Ca avait duré des semaines, excédant, au passage, le voisinage de l'immeuble. L'étudiant en médecine avait songé à se venger, s'était ravisé. Sachant pertinemment que ce genre de personnage n'attend qu'une seule chose : qu'on s'intéresse à lui. Et la vengeance, offrant cette opportunité, risquait fort de produire l'effet inverse de celui désiré.

Il avait donc choisi de feindre l'indifférence, malgré la pression, sans cesse plus pressante des colocataires, qui rendait son inertie mutique plus que délicate.

Un gros trimestre avait été nécessaire avec que la démente ne finisse par les lui lâcher.

Aussi, l'idée qu'une nouvelle femme, dont il ne connaissait absolument rien, possède son numéro de téléphone ne le ravissait guère.

L'interne boucla sa vacation en prenant soin d'éviter son collègue de promotion. Histoire de lui faire payer sa coupable hardiesse.

En rentrant chez lui au petit matin, il passa sous la douche.

Avant de s'effondrer sur son pieu, son œil fut attiré par la petite lumière clignotante sur le guéridon. Il avait deux messages.

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