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Quelle est la probabilité qu’un duo de DJ chinois diabolique, un shérif vétéran du Vietnam, un vieux bijoutier asiatique hystérique, une serveuse mexicaine sous bracelet électronique et deux sœurs indiennes recherchées par les flics rencontrent trois potes venus de San Francisco pour déterrer une bouteille de rhum enfouie sur la dune de Clam-Beach ? De plus, comment comprendre que ces trois compères se retrouvent mêlés, malgré eux, le temps d’un week-end, à la disparition d’une alliance en platine et diamants à 40 000 $ ? Cet ouvrage met en exergue des personnages authentiques qui, en seulement 48 heures, vont courir le risque de voir leur existence exploser comme du pop-corn sous le soleil écrasant de Californie. Suivons-les dans une aventure déroutante.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Auteur d’un recueil de nouvelles intitulé
Brèves nouvelles d’Amérique – Brief news from America paru en 2020 ,
Buron Scapla nous revient avec
Californium pop-corn, un astucieux mélange entre humour, poésie et critique de la société.
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Seitenzahl: 308
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Buron Scapla
Californium pop-corn
Roman
© Lys Bleu Éditions – Buron Scapla
ISBN :979-10-377-8285-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Matt, Ed et Rob rentrent chez eux en catastrophe après un week-end camping qui a tourné au fiasco…
MATT : Je suis à moitié allongé sur la banquette arrière de la Chevrolet de Rob et c’est lui qui conduit. Ed est assis à ses côtés sur le siège passager. On roule sur l’autoroute 101 en direction de San Francisco. J’ai un œil poché après une torgnole magistrale et je me demande bien comment l’expliquer à mon fils. On rentre d’un week-end camping à Clam-Beach et tous nos plans ont lamentablement foiré. Je sens déjà « lundigestion » de la reprise. Les kilomètres défilent, et j’adore le bruit que l’on fait quand on se tait. On regarde les paysages parader, en se partageant du pop-corn mou comme des boulettes de pain de mie. Quelle bande de losers ! Je pense à tous ceux qui racontent leurs aventures grandioses pendant qu’on se la boucle sur ce que l’on n’a pas vécu. C’est clair, les graines des uns ont germé pendant que les nôtres sont restées au sol, comme des fusées de feux d’artifice qui n’ont jamais décollé ! Et si on avait au moins la possibilité d’essayer à nouveau ? Rien qu’une dernière fois, avant d’abandonner ! On s’arrête à Redwood Valley pour refaire le plein, et en profiter pour pisser un coup. Je ressors de la station avec un pack de six Black Bart Beer. Clac ! Pschiiit ! Je m’assieds sur le capot en sirotant ma bière. Ed se pointe et s’en décapsule une à son tour. Rob nous rejoint avec un café et une bouteille d’eau. L’air suffocant nous cloue le bec. Ed nous « shoote » tous les trois en selfie. La photo est moche, mais l’amitié est belle ! On sourit un instant et on repart aussi sec.
ED:Je suis assis à l’avant dans la caisse de Rob. C’est lui qui conduit, tandis qu’on fuse sur Arrison Avenue, en plein milieu d’Humboldt. On vient chercher Matt avant de déguerpir vers San Francisco. On bifurque sur Russ Street et on patiente au feu tricolore, avant de s’engouffrer sur Dolbeer Street. Il fait une chaleur infernale malgré les fenêtres grandes ouvertes. Sur la route, on croise de monstrueux 4x4 de luxe climatisés aux vitres teintées dans lesquels tu roules à l’aise comme dans ton salon. La transpiration sort de ta vie, et tu peux mater incognito les petits culs des beaux quartiers sans aucun problème ! Nous aussi on connaît bien les Mercedes « Classe G » et les Cadillac « Escalade » ; mais sans fric, faut pas trop penser à ça, du coup on en parle même pas. On arrive en trombe devant l’hôpital Saint-Joseph, où Matt nous attend avec sa gueule toute cabossée.
Nous voilà maintenant sur la 101, à bouffer ensemble le reste d’une vieille boîte de pop-corn. J’ai l’impression d’ingurgiter des petits bouts de polystyrène, tout en restant muet aux kilomètres qui défilent. Je pense à ma fille Selena qui est à Mexico et qui me manque atrocement. Matt et Rob, eux, auront cette chance de retrouver leurs mômes quand on arrivera à San Francisco. Et si je traçais ensuite à Mexico ? Le meilleur moyen serait de prendre un bus jusqu’à Bakersfield puis d’enchaîner par le train. J’en aurais seulement pour 160 $, sans compter les repas. Quarante-quatre heures de trajet sans manger, c’est quand même pas infaisable ! On fait étape à Redwood Valley pour remplir le réservoir de la caisse et vider nos vessies. Pendant que Rob attend devant la machine à café à l’intérieur de la station, je ressors retrouver Matt qui picole une bière en plein cagnard, assis sur le capot de la Chevrolet. Tchic-Ploc ! J’en décapsule une avec mon briquet tout en regardant les camions mexicains tracer vers le Sud. Et si je faisais de l’auto-stop ? Pfff ! Encore une solution de misère ! Rob se pointe avec son café et de l’eau. Je nous fais un « selfriend » de merde, et on rigole avant de reprendre la route.
ROB : Le soleil est presque au zénith quand Ed et moi arrivons sur le parking de l’hôpital Saint-Joseph d’Humboldt. Matt nous y attend en plein soleil. Je m’arrête à sa hauteur, et il ouvre la portière arrière droite de la Chevrolet pour s’installer sur la banquette, en poussant du pied le bazar de nos affaires de camping. L’intérieur de la caisse est un véritable capharnaüm. Il nous reste seulement trente minutes pour rejoindre l’autoroute 101 et se tirer de Clam-Beach avant midi. C’est l’heure de décamper ! C’est ce que m’a dit le shérif, il faut que l’on ait quitté le coin avant que le soleil soit au zénith.
Je reprends par Harrison Street en direction de Bucksport. Je regarde dans le rétroviseur et je vois la gueule de Matt. Il est complètement avachi sur la banquette arrière. Waouh ! Quel œil au beurre noir ! Je bifurque sur la bretelle d’entrée de l’autoroute en abaissant mon pare-soleil. On trace vers Laytonville California en picorant le fond d’une vieille boîte de pop-corn dégueulasse, un reste que Matt vient de trouver à ses pieds. On avance en silence, les fenêtres baissées en guise de climatisation. Les paysages s’effilochent, et je regarde les traînées blanches des avions qui lézardent le ciel exempt de nuages. Je pense à Claris et j’en ai le cœur dévalisé ! Personne ne rêve de vieillir seul et reclus ! De l’amour, des mots doux, de l’affection, du soutien, de l’écoute et du sexe, la belle vie quoi, moi aussi j’aimerais bien ! Passer des vacances en amoureux et finir les journées sur de somptueux couchers de soleil au bord de la plage, le bonheur de se sentir serein et confiant devant l’horizon de son existence, pas de doute ; moi aussi j’en ai envie. C’est quand même difficile d’oublier quelqu’un qui me faisait facilement oublier mes peines et mes tourments…
On vient de faire halte à Redwood Valley pour mettre du carburant et vidanger nos excès d’alcool. On se retrouve tous les trois assis sur le capot brûlant de la Chevrolet et Ed immortalise nos gueules en photo. J’aime comment le vin de l’amitié se valorise avec le temps. On ricane de nos tronches fatiguées et on repart illico.
Flash-back…
Trois amis, Rob, Matt et Ed quittent San Francisco pour un week-end camping à Clam-Beach.
ROB : On est dans ma Chevrolet Malibu, sur la U.S. Route 101 qui longe la côte pacifique des États-Unis d’Amérique, depuis Los Angeles jusqu’à Washington. Avec mes potes Ed et Matt, on va passer un week-end camping à Clam-Beach, à cinq cents kilomètres au nord de San Francisco. On a décidé de prendre du bon temps, car la vie est trop courte pour perdre de vue de s’amuser ! Ed et Matt descendent bière sur bière, et les kilomètres défilent aussi vite que mes mégots rougeoyants consument mes clopes. Ma climatisation est en panne, alors on roule vitres grandes ouvertes. Le bruit du vent s’engouffre par rafales successives, comme des cascades d’air chaud. Je les écoute déblatérer des conneries insignifiantes sur la vie, l’amour et tout le reste, mais ce boucan de courant d’air qui ne s’arrête pas les oblige à gueuler pour raconter leurs salades. Un vrai ramassis de bêtises qu’on balance lorsqu’on commence à être saoul. J’entends Matt qui explique à Ed que la vie est un « putain de hot-dog ». Il vocifère : « Tu vois Ed ! Un hot-dog ! Avec un début et une fin ! » Pfff ! Ed me regarde souffler d’exaspération, et me dit avec son air provocateur et son petit sourire à la con : « Et ouais mon pote ! Tu savais pas ? Les mecs, ça raconte de la merde ! » Et voilà que lui et Matt s’esclaffent d’un rire moqueur tandis que je ne réponds rien. Je roule vers Clam-Beach en pensant à notre apéro de ce soir. Rien de mieux qu’un « Sunset Drink », en regardant l’horizon. Avoir le cul dans le sable et savourer du rosé bien frais.
Mon coude appuyé à la portière, je sens le soleil puissant à travers le pare-brise. Je regarde au loin et j’aperçois déjà quelques vignes, comme des petites taches vertes sur les collines qui bordent l’autoroute. Il paraît que les milliardaires japonais et chinois tentent par tous les moyens d’acheter des hectares à prix d’or, tellement les quatre milliards d’Asiatiques raffolent du vin d’ici. Tout ça me donne envie de picoler ! À ce sujet, je compte bien faire un arrêt à la « Fieldbrook Winery », avant d’arriver au camping. La cave est seulement à quinze kilomètres de Clam-Beach et ne pas siroter du vin de Fieldbrook sur la plage de Clam-Beach, c’est comme aller à New York sans bouffer des bagels de chez « Ess-A-Bagel » à Manhattan. Bref ! Vivement qu’on arrive !
On vient de passer Laytonville, et nous voilà plus qu’à deux heures de route de Clam-Beach. Je me rappelle parfois de certains paysages, puisqu’il y a presque trois ans de ça, nous étions déjà sur cette même route, dans cette même caisse, pour aller camper et faire du surf au même endroit. Ed et Matt ingurgitent leurs bières et le bitume fond au soleil. Finalement, il n’y a pas grand-chose qui a changé pour nous, à part qu’il y a trois ans, j’avais la climatisation dans ma bagnole !
Je me souviens que c’était deux ans après ma séparation d’avec Kate, la maman des deux plus belles œuvres de mon existence. Je pense à Juliet, ma fille de seize ans, et à Joseph, mon garçon de douze ans. Mes deux amis sont eux aussi des papas séparés. Matt a un fils de dix-sept ans et Ed une fille de treize ans. Je regarde les reflets du soleil qui font des petits éclairs étincelants et furtifs sur les chromes des Pick-up que l’on croise et je pense à mes enfants. C’est dingue comme le temps passe vite ! Dire qu’il y a seulement trois ans de ça, je n’avais pas tous ces poils blancs dans ma barbe. Putain ! J’ai l’impression de n’avoir même pas fini de mûrir que je dois déjà vieillir.
Il y a trois ans, on avait enterré une bouteille de vieux rhum sur la dune des amoureux, juste à côté du camping de Clam-Beach. On s’était dit qu’on reviendrait la déterrer et la vider pour célébrer la fin de nos célibats post séparation. Au final, tout est aussi merdique qu’avant, mais il n’empêche qu’on y croit encore. On garde le moral en cherchant à se maintenir tant bien que mal. C’est ça, tant qu’on n’est pas couché ; c’est qu’on est toujours debout, à s’acharner à joindre les deux bouts ! Les nuits passent et on se retrouve seul à regarder les étoiles à 2 h du matin, seul à contempler les paysages, seul à avancer, seul dans le silence ! On s’ennuie au lieu d’aimer pour de vrai et du coup on reste muet. C’est d’ailleurs ce qu’on a fini par faire, tellement le vacarme du vent tambourine à l’intérieur de la voiture. J’ai hâte que l’on déterre notre bouteille de vieux rhum et que l’on se la sifflote jusqu’à la dernière goutte pour conjurer nos sorts de « lovser », comme lover et loser en un seul mot.
Matt et Ed continuent de s’enfiler des bières, à tel point que c’est l’unique raison de s’arrêter dans des stations-service. On traverse de temps en temps des zones industrielles qui longent l’autoroute. Ils s’amusent à lancer leurs canettes vides, en visant les poubelles au bord de la chaussée. Quel jeu de con ! Le pire, c’est que ces enfoirés savent bien que je suis parano des flics. Et là, c’est vraiment donner la matraque pour se faire battre ! Je ne dis rien tandis qu’ils rigolent en continuant de balancer leurs canettes vides.
Je pense à ma grand-mère. Elle est morte à cent ans, sans n’avoir jamais été saoule une seule fois dans sa vie. Véridique ! Même pas une seule seconde d’ivresse ! Putain ! Comment peut-on vivre aussi longtemps sans se bourrer la gueule une seule fois ? Waouh ! Toujours tout encaisser sans jamais lâcher prise. Quel courage !
On traverse Arcata. On n’est plus qu’à une bonne heure de route de Clam-Beach. Je vois déjà le panneau McKinleyville. C’est là-bas qu’on va faire les courses. C’est juste à dix minutes de bagnole de Clam-Beach. Je pense à Claris que j’ai rencontrée à McKinley. J’aimerais beaucoup la retrouver. Je pense souvent à elle. Elle était en train de se séparer de son connard de Mike, lorsque je l’ai rencontrée, il y a trois ans. C’était son mari et le père de son petit garçon. Le fameux Mike Lip ! Le beau gosse de Clam-Beach et capitaine de l’équipe de football américain de Humboldt State University. Lui, le « number one » des moniteurs de surf de la région, ou plutôt le numéro un des surfeurs d’entrecuisses, avec en prime l’alcool mauvais. Triste chose ! Elle en a souffert, Claris. J’ai vu tout l’arc-en-ciel de la trahison et de la déception amoureuse dans ses yeux. Il y avait toutes les couleurs du mensonge et de la désillusion mélangées.
Je conduis en pilote automatique après plus de quatre heures de route. J’ai les yeux qui divaguent à l’horizon. À ma gauche, j’entrevois l’enseigne de Stars Hamburgers à côté de celle du Northtown Coffee. N’en déplaise à Matt, moi je pense que la Vie est plutôt comme un burger : un gros sandwich où tout ce que l’on vit s’empile couche après couche avec le temps. Le truc, c’est que l’on n’a pas tous les mêmes ingrédients à mettre dedans. Il y en a dont le réfrigérateur est bien rempli, pendant que beaucoup d’autres résistent devant leurs placards vides ! Heureusement qu’un peu d’amour et de gaieté rendent la merde un peu moins indigeste !
Il y a longtemps que je ne crois plus aux recettes prémâchées du bonheur. La seule chose dont je me souviens de mes cours de philo, c’est cette citation de Spinoza qui traîne dans ma tête : « Si vous voulez que la vie vous sourit, apportez-lui d’abord votre bonne humeur ». Je ne sais pas pour les autres, mais avec moi, j’ai remarqué que ça marche plus facilement quand je picole ! In Vino Felicitas !
ED : Je viens de finir ma bière. Il fait une chaleur pas possible. À croire qu’aux États-Unis, le soleil aussi se doit d’être plus puissant que partout ailleurs. Toutes les vitres de la caisse sont complètement abaissées. J’ai l’impression d’avoir dix sèche-cheveux qui me balancent leur souffle d’air chaud et sec en pleine gueule. Même les anciens bus mexicains sont mille fois plus confort que la Chevrolet de Rob.
J’avais treize ans lorsque mes parents m’ont trimbalé du Mexique en Amérique. C’était en janvier 1986. Un aller simple pour les États-Unis. C’était comme un rêve pour moi ! La plus belle surprise de ma vie ! Cinquante-deux heures de voyage de Mexico à Los Angeles : la route du paradis dans un bus comme un avion qui roule, avec la climatisation et même des prises casque à chaque place, pour écouter les derniers tubes latinos, ainsi que les radios d’informations.
Je m’en souviens bien, parce qu’en arrivant vers San Diego en pleine nuit, on fut tous stupéfaits d’apprendre que la navette spatiale américaine Challenger venait de se crasher à quatorze kilomètres au-dessus de nos têtes. Là, je compris que j’allais bientôt devenir comme ces étrangers de l’espace, et que j’allais devoir m’adapter pour ne pas finir désintégré comme l’équipage de Challenger. Cinquante-deux heures pour finir immigré ! Deux mille neuf cents kilomètres pour devenir un simple « chicano ». Au petit matin, juste avant d’arriver à Los Angeles, je fus pris d’un gros coup de fringale, et l’odeur de la soupe de tortilla me manquait déjà !
On longe la zone industrielle de Mad River, à la sortie d’Arcata. Je scrute les abords de la voie. Là-bas, juste derrière le large encart qui indique le Blondie Food and Drink, je vois un container poubelle avec son capot de métal glissé vers l’arrière comme une bouche grande ouverte. Personne ne dit rien dans la bagnole et je pense à ma fille Selena que je n’ai plus vue depuis que j’ai planté mon resto il y a trois mois, après que mon chef cuistot s’est fait descendre le premier mai dernier. Il était l’une des huit victimes de la fusillade de La Jolla, près de l’Université de San Diego. Cet orfèvre du tacos bossait pour moi pendant cette « birthday party » au bord d’une piscine privée. « L’hélicoptère de la police survolait les lieux quand le tueur continuait de recharger son arme et de tirer sur des invités » a précisé la cheffe de la police. « L’assaillant a finalement été neutralisé et abattu lors d’un échange de coups de feu avec trois policiers » a-t-elle encore indiqué. Privé de ses talents de chef tacos, j’ai commencé à perdre tous mes clients et j’ai paumé plus de 30 000 $ en moins de deux mois ! Impossible de payer la pension alimentaire pour Selena. Sa mère, Velinda, l’a emmenée avec elle au Mexique. Elle me manque terriblement, même si elle me dit que tout va bien quand je l’ai au téléphone. Il faut à tout prix que je la récupère. Aussi simplement que je vais balancer cette canette vide dans ce putain de container poubelle. Bingo ! En plein dans le mille ! Eh ben voilà ! Je vous l’avais dit, non ?
Rob conduit sans rien dire, et le silence de Matt m’offre des vacances. Je m’en fous pas mal de philosopher à coup d’allégories sur la vie. Je veux seulement retrouver ma fille. ça me fait doucement rigoler de l’entendre comparer l’existence à un hot-dog ! Tout ce que je sais, c’est que ces foutus snacks du genre tacos, hot-dogs, hamburgers, pizzas, et tous ces autres trucs estampillés « street food », sont d’abord des plats d’immigrés, des plats de la rue, rien d’autre que de la bouffe d’immigré pour des immigrés ! Ma grand-mère de Manzanillo me disait toujours : « Si tu ne sais pas quoi faire de tes mains, fais donc des tacos ! » C’est pour ça que je me suis lancé dans le tacos, pour faire du fric et offrir une belle vie à ma fille. Autre chose qu’elle me disait aussi : « Emporte la mouche de feu, mais remets-la où tu l’as prise. » J’ai longtemps cru qu’elle me parlait des lucioles que je capturais à la tombée de la nuit, dans les jardins de Punta Agua, pour les relâcher en cachette dans ma chambre quand j’allais me coucher.
Aujourd’hui, j’ai enfin compris à travers mon histoire avec Velinda ce que ma grand-mère voulait me dire. En effet, j’ai rencontré la mère de Selena à Mexico au cours de l’été 2002. Je l’ai convaincue d’amener son petit cul lumineux jusqu’à San Francisco et on s’est mariés dans la foulée. Selena est née deux ans plus tard, au moment où j’ai commencé à travailler comme un dingue pour monter mon affaire de tacos. Velinda a demandé le divorce en 2006. Selena avait à peine deux ans, et je ne la voyais plus que la moitié des vacances. J’aurais tellement mieux fait d’écouter ma grand-mère, en ce qui concerne les mouches de feu !
On arrive à McKinleyville. J’ai des souvenirs de notre précédent week-end camping à Clam-Beach en 2014. Selena venait d’avoir seulement dix ans, et je l’avais laissée chez ma mère à San José, à cinquante bornes au sud de San Francisco. À cette époque Velinda s’était remariée avec un jeune riche mexicano de L.A ; depuis qu’elle roulait en Jaguar XF, elle ne me cherchait plus de noises. Le mec en question s’appelait Enrique, mais Matt et Rob le surnommaient Carlos en rapport avec Carlos Slim, le mexicain qui était l’homme le plus riche du monde en 2013, avant que Bill Gates ne le détrône l’année suivante. Mais comme toutes les lucioles de trente ans, l’éclat brillant de la lanterne de ses petites fesses s’est estompé ; et le jeune Enrique a fini par se trouver une mouche dorée de son âge. Divorcée pour la deuxième fois en huit ans, Velinda s’est retrouvée seule, sans la moindre pension de son businessman de L.A, et forcée de retourner vivre chez ses parents à Mexico. Pour moi, ce fut le début des vraies emmerdes avec elle car depuis, elle me réclame sans cesse du fric !
Nous ne sommes plus qu’à quelques kilomètres de Clam-Beach et je regarde la petite piste d’Hammond Trail, qui longe l’océan et la dune des amoureux le long de l’autoroute. Je repense à cette bouteille de vieux rhum qu’on a enterrée sur la dune avec Matt et Rob. Je suis pressé que l’on déterre notre trésor et qu’on enfouisse nos problemos ! J’espère que ça va m’aider à trouver une solution pour récupérer Selena, même si je ne suis pas certain qu’une bouteille suffira. Effectivement, comme l’affirme le capitaine Jack Sparrow dans « Pirates des Caraïbes » : « Si le rhum ne peut pas régler le problème, c’est qu’il n’y a pas assez de rhum ! »
MATT : Rob vient de sortir de l’autoroute et on roule sur Clam-Beach Avenue en direction de Fieldbrook. On va acheter du vin avant de revenir installer nos tentes et préparer la soirée. Rob conduit doucement. Fini le brouhaha du vent dans la bagnole. Ed et Rob ne disent rien, ils ont l’air paumés dans leurs pensées. On passe devant le Clam-Beach Tavern Pub et je pense à Ninella qui bosse là. J’avais flirté avec elle lorsqu’on était venu pour la première fois se faire un week-end camping en 2014.
Tous les gens du coin l’appellent Nikita, parce qu’elle a buté un flic alcoolo et maltraitant qui n’était autre que son beau-père, le flic avec qui sa mère s’était maquée après la mort accidentelle de son père biologique. Cet enfoiré bastonnait sa mère et son petit frère handicapé à chaque fois qu’il rentrait bourré. Et un soir, ce fut le soir de trop ! Tandis qu’il tabassait son petit frère, Ninella a pris l’arme de service du flic et Boum, elle a tiré ! Elle n’est jamais allée en taule, mais depuis, elle se trimballe avec un bracelet électronique à la cheville. Quand je l’avais rencontrée pour la première fois à la plage de Clam-Beach, j’avais même cru qu’il s’agissait d’un de ces bracelets lestés qu’utilisent les joggeurs. Le rêve de Ninella, c’est de se barrer de Clam-Beach avec son petit frère, de disparaître d’ici pour renaître ailleurs, de changer de peau plutôt que d’embellir ses tatouages de merde !
Clac ! Pschiiit ! Je m’ouvre une canette de Miller Draft. Robe blonde limpide, mousse blanche, arôme malté, un brin sucré ; mais avec l’amertume du houblon en arrière-plan… Ce n’est pas moi qui dis ça, c’est juste ce que je lis sur le carton du pack de bières. Ed et Rob me disent que Ninella est complètement dingue. Moi aussi j’ai vécu cette même perte, mon père est mort d’un cancer quand j’avais dix-neuf ans et c’est peut-être pour ça que j’arrive plus facilement à comprendre la rage qui coule dans ses veines. C’est fou mais chaque année, je rêve encore que mon père s’invite à mon anniversaire.
Il est presque 17 h. Le soleil est toujours aussi puissant et brûlant qu’un souffle d’explosion atomique. On est sur Fieldbrook Road, et un énorme panneau d’affichage publicitaire indique le Blue Lake Casino Hotel sur le côté gauche. Rob fixe la route sans dire un mot. Ed regarde l’encart géant et dit avec un petit sourire ironique : « On est vraiment des losers les gars ! » Il se retourne en rigolant, sa casquette des Warriors de Golden State vissée sur son crâne tondu à ras, en ajoutant d’un air dérisoire : « Savez quoi les mecs ? C’est pas des week-ends camping et surf à Clam-Beach qu’on devrait s’offrir los amigos ! Ce sont des week-ends putes et casino à Las Vegas ! »
On passe devant le Chumayo Spa qui propose des « Fresh-Air-Shower » à 30 $ la demi-heure. Ça fait presque cinq heures qu’on roule et j’ai le dos en compote. Le skate, ça ravage les lombaires avec les hématomes et les bosses au quotidien. Mention spéciale aux coups de planche sur les malléoles et les tibias. Pas grand-chose à faire, à part des étirements qui soulagent un peu le dos. Ça me fait d’ailleurs penser que je dois mettre de la vaseline sur les roulements des roues et aussi resserrer les trucks. Mais où est ce putain de tube ? Merde ! La vaseline est devenue toute liquide à cause de la chaleur. Tu m’étonnes, même le goudron commence à fondre par endroits. Je prendrais bien un bon coup de froid dans un bain de brume glacée au Chumayo Spa, au lieu de continuer à siroter ma bière tiède dans cette étuve roulante.
On est à quelques kilomètres de la Fieldbrook Winery, où Rob compte s’arrêter avant de rejoindre le camping. Il ne jure que par le vin rosé pour se saouler la gueule. Je viens d’envoyer un SMS à Ninella pour la prévenir de notre arrivée sur Clam-Beach. J’aimerais bien passer la nuit avec elle, même si Ed et Rob la trouvent complètement givrée. Moi, je me rappelle que mon prof de l’Art Institute sur Chestnut Street à San Francisco, Gale Richmond, disait toujours : « C’est en mélangeant deux couleurs de merde que Van Gogh a su reproduire le plus exactement possible les teintes du réel. » Rrr-Rrr ! Rrr-Rrr ! Mon tél. vibre deux fois. Waouh ! C’est un SMS de Ninella ! Elle m’écrit qu’elle termine son service au Clam-Beach Tavern vers 2 h du matin et je lui réponds de passer boire une bière au camping, après la fermeture du pub.
On se gare sur le parking de Fieldbrook Winery. Rob entre dans la boutique et en ressort avec deux cartons de six bouteilles de rosé. Je vois dans son sourire qu’il s’imagine déjà en train de s’en déboucher une, en regardant le coucher du soleil sur la plage. Il adore faire ça jusqu’à la nuit tombée. Après, on passera à l’opération déterrage de la bouteille de vieux rhum, enfouie sur la dune des amoureux. Je vais en boire à la santé de mon fils, de mon père et de mon sexe ! Hummm ! J’espère que Ninella sera en forme.
La lumière du soleil est encore aussi vive que des flashs de photographes et on fait un dernier stop au Speedy Taco Truck, à l’angle de Reasor Road. Ed aurait préféré un Buckets Mix de KFC sur Fortuna Boulevard, mais Rob est pressé d’arriver au camping pour déguster son rosé. Moi, ça m’arrange, et je choisis des burritos à la viande hachée car je ne peux rien avaler qui ressemble à un bout d’animal ! Ni cuisse de poulet, ni morceau avec un os, ni crevette tout entière avec la tête ; et surtout pas de machins crus comme les huîtres ou les sashimis. Beurrrk ! C’est vraiment dégueulasse ! Tous ces machins sont à gerber !
Rob est sorti de la bagnole pour appeler ses gosses pendant qu’Ed rapplique avec la commande. Il ouvre la portière et s’installe. Il est tout sourire d’avoir parlé en espagnol avec la serveuse. Il réajuste sa casquette et s’approche pour me dire : « T’sais quoi mon pote ! Tu vois là-bas ? La nana qui prépare les tacos ! Eh ben, elle s’appelle Andréa, elle vient de Mexico ! »
Cinq minutes et Rob se pointe vers la caisse. Il s’installe au volant et démarre la bagnole. On repart sur Clam-Beach Avenue. On repasse devant le Clam-Beach Tavern Pub et le Strawberry Creek Motel juste à côté. Clac ! Pschiiit ! Je m’ouvre une bière et je balance ma canette vide par la fenêtre puis je regarde ma planche de skate qui traîne à mes pieds. À peine deux bonnes gorgées que j’entends le bruit d’une sirène de flics. Rob ne dit pas un mot, ralentit et se gare sur le côté. Un flic arrive à notre hauteur et nous demande nos pièces d’identité, ainsi que les papiers d’assurance de la bagnole. L’officier nous rappelle qu’il est interdit de jeter ou déverser des ordures, des déchets, ou toutes autres déjections sur la voie publique. Il me verbalise sur-le-champ, et je paie par carte.
Rob redémarre en direction du camping, et on se tait comme des enfants que l’on vient de punir. Nous arrivons enfin au camping Clam-Beach County Park. Chacun de nous installe sa tente. J’aperçois un énorme camping-car Winnebago à quelques mètres de mon emplacement, à côté des douches et des sanitaires.
Il y a aussi une toute petite tente, tellement miniature que j’ai peur d’en voir sortir un nain. Beurrrk ! C’est la plus épouvantable de mes phobies ! Quelle horreur ! Je ne parle pas des sept nains avec leurs pioches. Non ! Je pense à de vrais nains, comme Gary Coleman, alias Arnold dans la série « Arnold et Willy ». Rien à voir avec le fait qu’il soit « noir », ça je m’en tape ! Ce n’est pas ça qui me fait peur ! C’est surtout que les nains ressemblent tous à des bonsaïs en chair et en os. Brrr !
Yang Cheng, l’un des frères jumeaux milliardaires de San Francisco, se marie ce samedi au Blue Lake Casino Hotel. Une noce en grande pompe avec la fille d’un autre Chinois de Fieldbrook qui a fait fortune dans la bière.
YUMI : Je regarde le chauffeur assis au volant de la limousine Lincoln garée juste devant la bijouterie Golden Lotus de mes parents. J’y bosse tous les étés comme vendeuse et présentatrice de bijoux depuis ma majorité. J’entends mon père qui me parle sans l’écouter, en continuant de jeter de furtifs coups d’œil vers le chauffeur dont j’aime beaucoup la virilité. Ça fait trois fois que mon père m’explique ce que je dois faire ! J’ai rendez-vous avec Monsieur Cheng au Blue Lake Casino Hotel pour lui remettre la vraie bague de mariage en platine et diamants, contre une copie en argent et faux diamants. J’ai la tête ailleurs, et je regarde le soleil qui brille sur la carrosserie noire de la Lincoln et la lumière qui éclaire le visage du chauffeur. Sa peau est lisse et ambrée comme du sirop d’agave. Je le trouve terriblement sexuel. Mon père me gueule dessus : « Arrête regarder Lui ! Jùn juste chauffeur !» Jùn ? Hummm ! I love it ! « Pense sergent Johnson ! Lui, fils shérif ! Regarde Xi fille Zhang ! Xi mariage avec Monsieur Cheng très riche ! » poursuit alors mon père.
Ça fait vingt ans que mes parents sont arrivés aux États-Unis, mais jamais une seule phrase correcte depuis le temps. C’est quand même pourtant pas si difficile ! Ils ont quitté la Chine au moment de la crise économique asiatique de 1997. J’avais sept ans lorsqu’on s’est installés à McKinleyville. Ils ont de suite investi dans la bijouterie. Pour eux, il n’y a rien de plus important que l’argent. L’or en papier ! Pour moi, il n’y a rien de plus important que d’exister.
La pendule au-dessus de la caisse indique 17 h 56 lorsque ma mère rentre dans la bijouterie. Je tourne la tête pour lui sourire et j’en profite pour regarder Jùn. Je m’en fiche pas mal qu’il soit seulement chauffeur. Il est beau et terriblement sexy ! J’en ai marre que mon père me parle du sergent Johnson, tout ça parce que j’étais amoureuse de lui quand j’avais douze ans. Johnson faisait croire à tout le monde que j’étais son flirt mais il ne m’a jamais embrassée ne serait-ce qu’une seule fois. Si mes parents savaient combien j’en ai plus rien à faire de cette histoire !
Ma mère s’approche de moi pour me parler de Xi, la future mariée, pendant que mon père va au coffre pour chercher l’alliance en platine et diamants à 40 000 $. Moi, je ne veux pas entendre parler d’elle ! Tout ça parce que c’est la fille de Zhang Jing, un cousin de mon père. Je sais bien que mon père est jaloux de Zhang, tant de sa réussite financière que de l’admiration flagrante que lui voue ma mère. Zhang transforme la bière en or, c’est le plus gros importateur de Tsingtao de la côte ouest. Ma mère me dit des choses que je n’écoute qu’à moitié. Je regarde Jùn du coin de l’œil et j’aime son côté mâle et vigoureux !
17 h 57. Ma mère continue de blablater dans sa syntaxe « petit nègre » Anglaise avec l’accent chinois. Je regarde discrètement la Lincoln garée juste devant l’entrée de la bijouterie et j’observe Jùn qui attend avec sa vitre baissée. Il regarde son téléphone et arbore un magnifique visage sérieux, tout aiguisé de détermination. Mes yeux reviennent sur l’épaule de ma mère, et je me souviens de ce que disait ma grand-mère de Qingdao : « Travaille pour l’argent et marie-toi pour l’amour. » Moi, ce que je vois, c’est que ma mère n’a ni l’un ni l’autre. Je suis certaine qu’elle s’est mariée avec mon père pour le fric mais l’effondrement des prix de l’or de 2012 a causé son malheur ! Maintenant, je la trouve aigre comme une soupe de méduse à 300 $ qu’elle ne peut même plus s’offrir au Nouvel An chinois.
17 h 58. Mon père revient du coffre avec la vraie bague dans sa petite boîte rouge. Il me répète encore une fois ce que je dois faire : « Toi donner vraie bague Monsieur Cheng ! Et toi ramène ici fausse bague demain matin ! Toi gentille Monsieur Cheng ! » Je glisse la petite boîte rouge dans mon sac en hochant la tête pour confirmer. J’esquisse un sourire à ma mère et je tourne les talons.
18 h pile ! Je sors de la bijouterie et je monte à l’arrière de la Lincoln. Je mets ma ceinture et je pose mon sac à main à côté de moi. Il est ouvert et je vois la vraie bague à 40 000 $ ainsi que mon prisme de présentation holographique. Ça ressemble à une petite pyramide tronquée en plastique transparent. Ça se pose sur l’écran d’un Smartphone pour regarder des présentations de bijoux, avec des images qui tournent en trois dimensions. Ça fait un peu gadget, mais les clients apprécient. Il y a plein de tutoriels vidéo sur YouTube pour en fabriquer soi-même, en utilisant d’anciennes boîtes de CD. Les prismes utilisés à la bijouterie nous sont envoyés par nos fournisseurs. Jùn démarre la limousine et je mets mes lunettes de soleil.
On roule vers le Blue Lake Casino Hotel et j’ai la tête dirigée vers la fenêtre comme si je regardais dehors, alors qu’en vérité, je profite des verres foncés de mes lunettes pour contempler le visage de Jùn dans le rétroviseur. J’aime son allure sérieuse et légère à la fois. Je voudrais caresser la douceur de ses joues et goûter la saveur de ses lèvres. Comme j’aimerais qu’il me serre fort dans ses bras musclés ! On roule à l’approche de Clam-Beach Avenue quand il donne un coup de frein brutal qui me fait sursauter ! Fuck ! Mon sac se renverse, et la petite boîte rouge avec la bague dégringole à mes pieds.