Carroge - Tome 1 - Gilbert Laporte - E-Book

Carroge - Tome 1 E-Book

Gilbert Laporte

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Beschreibung

Une série de meurtres répondant à un rite religieux spécifique secouent la région parisienne tandis que de nombreux phénomènes étranges affolent l'Afrique et l'Amérique...

Au XIIIe siècle, des moines dissimulent d’étranges évangiles dans une crypte avant d’être exécutés par un mystérieux chevalier. De nos jours, Pierre Demange, historien spécialiste de la Bible, est sollicité par un ami prêtre pour traduire un texte écrit en ancien français, qui indiquerait l’emplacement des manuscrits. Dans le même temps, des phénomènes étranges ont lieu en Afrique et en Amérique latine. Alors que des photos et des vidéos d’apparitions sont diffusées sur Internet, des pasteurs évangélistes s’emparent du phénomène et alertent leurs fidèles sur l’arrivée imminente de la Bête de l’Apocalypse. En proche région parisienne, une série de crimes atroces est commise, avec pour première victime le prêtre ayant pris contact avec Pierre Demange. Toutes les personnes assassinées ont le signe « 666 » brûlé sur le front. Pour le lieutenant Martin Delpech, chacun de ces meurtres répond à un rite religieux spécifique. Mais les signes du diable peuvent être trompeurs...

Découvrez le premier tome de l'une des enquêtes du lieutenant Delpech qui tentera de démêler les signes du diable.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Passionné par le sujet de la création des évangiles comme il l’explique à la fin du livre, Gilbert Laporte se sert de ce sujet pour créer une intrigue originale et très bien ficelé, sur un thème qui a déjà été exploité plusieurs fois, autour de la psychologie du meurtrier, et de la cupidité notamment. Un très bon premier roman à l'écriture fluide mais aussi dynamique quand il le faut. A lire ! - Aucafélittérairedecéline, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Gilbert Laporte est né à Paris et vit dans le sud de la France. Il a effectué ses études supérieures à Nice et a été cadre dans de grandes entreprises. Il partage ses loisirs entre la lecture d'ouvrages historiques, le cinéma, la musique, les voyages et l’écriture.

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Couverture

 

 

 

 

 

 

Délivrez-nous de l’apparence du bien et du mal…

PrologueInferno ?

David Varenne n’était pas croyant.

C’est ce qui provoqua sa perte.

Sceptique par nature, cet intellectuel quadragénaire ne l’avait jamais été. Il ne vénérait aucun dieu et ne craignait pas le diable. Il était également intimement convaincu que jamais il n’irait au Purgatoire ou au Paradis et qu’il fallait donc jouir, dès à présent, des bienfaits et plaisirs de la vie terrestre sans se soucier du châtiment éternel.

Carpe diem.

Il ne rêvait pas du merveilleux jardin d’Éden aux fruits exquis, parcouru de fleuves de lait parfumé au miel et habité par de sublimes vierges alanguies dont les voiles ondulaient sous un soyeux zéphyr aux suaves senteurs de roses anciennes. Le châtiment des damnés écorchés hurlant leur agonie éternelle dans les flammes de la géhenne ou les âmes infâmes baignant dans les lacs de soufre du Tartare ne peuplaient pas ses cauchemars. Quant aux vaporeux anges aux ailes de lumière et aux diablotins puants dotés de sabots et de cornes de bouc, ils ne provoquaient chez lui que sarcasmes goguenards et plaisanteries douteuses.

Pour Varenne, l’ange déchu, le Prince des ténèbres, Satan, le démon, le malin, Belzébuth, Lucifer ou Méphistophélès, n’étaient que des noms qui servaient à dédouaner l’humanité de ses pulsions les plus inavouables et à faire peur aux femmes naïves pour que le genre masculin puisse mieux les asservir. Toute cette mythologie puérile n’était ainsi destinée qu’à promettre des récompenses ou menacer de punition les esprits naïfs.

Ce que David Varenne ignorait, c’était que la plus maléfique des créatures viendrait, en personne, à sa rencontre pour lui faire déguster les affres de l’enfer.

MAINTENANT.

Pourtant, tout au début, lorsqu’il avait repris progressivement connaissance, tout allait bien. Son cerveau était, certes, encore embrumé par la drogue qu’on lui avait injectée, mais il retrouvait peu à peu ses sensations. Une impression veloutée de bien-être et de détente avait parcouru tout son être.

45 battements par minute.

Son pouls battait lentement, très lentement. Il avait le sentiment paradisiaque de flotter à la surface d’un soyeux nuage irradiant une douce chaleur sur sa peau. C’était assez plaisant, bien qu’il eût ce goût amer dans la bouche et que ses membres lui semblassent engourdis, presque paralysés… Il chercha donc à comprendre ce qui se passait en se concentrant sur sa situation.

Varenne réalisa qu’il était allongé sur le dos et qu’il ne pouvait effectivement remuer ni ses bras ni ses jambes. Sa nuque était ankylosée et il dut faire un effort pour simplement ouvrir ses paupières. La lumière d’un plafonnier, juste au-dessus de lui, lacéra violemment ses yeux. Il les referma immédiatement en grimaçant, et attendit que ses pupilles s’habituent à l’éclairage. Il fit donc appel à ses autres sens pour analyser sa situation. L’atmosphère autour de lui était lourde et humide. L’air qu’il respirait était poisseux, presque gluant. Il y avait également cette odeur difficilement définissable, entêtante et âcre.

Pas âcre.

Non, plutôt…

ANIMALE.

Un peu dérouté par les événements, il tendit l’oreille. De très faibles bruits arrivaient jusqu’à lui, mais sans qu’il puisse vraiment les identifier.

58 battements par minute.

Que percevaient ses tympans ? On aurait dit que quelque chose glissait à côté de lui. Il y avait, de plus, des grattements, mais extrêmement ténus. Pris d’une légère inquiétude, il ouvrit progressivement ses paupières en cherchant à s’acclimater à la luminosité de la lampe qui lui parvenait au travers d’une vitre épaisse et sale.

71 battements par minute.

Il eut un sursaut de surprise, mais ses muscles, bloqués par l’effet de la drogue qui agissait sur son système neuromusculaire, ne suivirent pas sa réaction. Quelque chose remontait lentement, très lentement, sur sa jambe gauche, à l’intérieur de son pantalon. Du dégoût et de la frayeur l’envahirent. Il sentait qu’un petit animal avait pénétré sous son habit.

Pas un animal si petit que cela.

Il sentait la présence de plusieurs pattes. Cela ressemblait, en fait… à une énorme araignée.

83 battements par minute.

Les yeux de Varenne s’écarquillèrent brusquement à cette horrible idée. Il dut faire un effort pour soulever légèrement la tête et jeter un regard vers ses jambes. La vision qui l’assaillit le remplit d’épouvante et il voulut hurler sa peur, mais seul un gargouillis informe sortit de sa gorge ankylosée. Une deuxième et hideuse araignée rampait sournoisement sur sa chaussure gauche et s’apprêtait également à se réfugier dans son pantalon.

Ce n’est pas possible. Je fais un cauchemar !

CROIS-TU ? …

Il semblait pourtant bien s’agir d’une mygale de très belle taille, plus précisément une Atrax robustus femelle. Cette espèce, originaire d’Australie, dépassait les sept centimètres de diamètre et possédait des crochets à venin très robustes qui étaient capables de percer le cuir d’une chaussure de sport. Contrairement aux autres mygales, elle était dépourvue de poils, ce qui lui donnait l’aspect repoussant d’une squelettique main gantée de cuir brun clair aux reflets huileux. Quant à sa collègue, douillettement installée sous le pantalon en tergal beige, c’était un mâle de seulement cinq centimètres, mais dont le venin avait la particularité d’être quatre fois plus toxique que celui de sa compagne. Varenne tenta de se raisonner.

Heureusement que j’ai été drogué, pensa-t-il, sinon j’aurais bougé… et elles m’auraient mordu !

Il frissonna compulsivement.

Calme-toi, ce n’est pas forcément une espèce agressive. Elles veulent simplement se réfugier au chaud. Tu es dans l’incapacité de bouger. Elles ne te feront donc rien…

91 battements par minute.

Il cherchait des raisons pour se rassurer, mais il eut soudain un doute.

Si j’ai pu remuer les yeux et les paupières et soulever un peu la nuque, c’est que la substance qui me paralyse commence à ne plus faire effet !

Craintif, il jeta un regard circulaire autour de lui pour essayer d’analyser sa situation. Il réalisa immédiatement qu’il était allongé dans une sorte de cage en verre…

Une cage de verre ?

… ressemblant à un aquarium…

Un vivarium !

La situation totalement absurde dans laquelle il se trouvait le terrifiait.

On m’a enfermé dans un vivarium ! Avec des mygales !

PAS SEULEMENT…

Il sentit quelque chose à partir de sa hanche droite qui traversait son ventre dans un glissement sinueux.

Oh, non ! Un serpent !

115 battements par minute.

La vipère, grise au dos zébré de noir et d’une longueur de 70 centimètres environ, s’arrêta un instant pour le regarder de ses inquiétants yeux ronds aux pupilles à fentes verticales. Se sentant menacée, elle prit la forme d’un S et ouvrit la gueule, découvrant ainsi ses redoutables crocs à venin. Puis, rassurée devant l’immobilité de l’homme, elle s’allongea à nouveau et poursuivit nonchalamment son chemin. Le reptile semblait prendre tout son temps pour avancer et il sembla à Varenne que cela durait une éternité.

Je deviens fou, ou quoi ???

Heureusement pour lui, il était encore dans l’incapacité physique de se mouvoir et la vision du serpent venimeux l’avait, de toute manière, pétrifié de terreur. Sa respiration s’accéléra cependant sous l’effet de la peur panique qu’il venait d’avoir.

Les araignées ont peur de la vipère ! C’est pour cela qu’elles se sont réfugiées sous mes vêtements.

Un autre glissement se fit sentir, cette fois-ci, le long de sa jambe droite.

Oh, non ! Il y a plusieurs serpents !

Il y en avait effectivement deux, et le deuxième était également de belles dimensions.

127 battements par minute.

Il se sentit soudainement très essoufflé, la poitrine oppressée, et une vive douleur remonta le long de son bras gauche, symptôme d’un possible arrêt cardiaque. Il grimaça. Malgré la souffrance, il ne fallait pas bouger, sous peine d’être cruellement mordu. Si c’était le cas, il n’aurait aucune chance de survivre. Les yeux de David Varenne s’embuèrent de larmes. Il commença à suer abondamment. De grosses gouttes de sueur malodorante perlaient sur son front et le long de ses tempes. Ce n’était pas la chaleur qui le faisait transpirer.

C’était la peur.

Comment en était-il arrivé là ? Il ne se souvenait pas.

Comment peut-on vivre une situation aussi irréelle et atroce ?

Il ne le comprenait pas.

Ce qui se passe actuellement n’existe pas ! C’est la drogue qu’on m’a injectée qui me fait délirer…

Tout cela va s’arrêter rapidement.

Je vais reprendre mes esprits. J’en suis sûr…

TON TOURMENT N’EST PAS ENCORE TERMINE.

135 battements par minute.

Bien qu’il soit fréquemment sujet à des crises de tachycardie, jamais il n’avait senti son cœur cogner aussi vite. Il eut une soudaine nausée suivie d’un brusque étourdissement. Il se dit que s’évanouir était peut-être une bonne solution, compte tenu des circonstances, mais il constata que sa main droite bougeait désormais. Il s’aperçut également qu’il pouvait remuer la nuque. Le produit qu’on lui avait administré pour le paralyser commençait à ne plus agir.

Ne bouge pas ! Surtout, ne bouge pas, ou tu es mort !

Il chercha à rassembler ses idées malgré son affolement qui tournait maintenant à la peur panique. La deuxième mygale se déplaçait encore. Il la percevait au travers du chatouillement ignoble de ses grosses pattes velues qu’il ressentait le long de son mollet. L’autre araignée demeurait quant à elle douillettement immobile sur le haut de l’intérieur de sa cuisse droite. La sentir si près de ses parties intimes le révulsait, mais il lui fallait rester calme. Il n’avait pas le choix s’il voulait vivre, pour lui et sa famille.

C’est ça ! Pense à ta femme et à tes enfants. Déconnecte ton esprit de l’atrocité de la situation actuelle qui ne peut pas être la réalité… Tout cela n’existe pas réellement…

155 battements par minute.

Il ne réussit malheureusement pas à discipliner son cœur qui cognait de plus en plus fort contre sa poitrine. Il avait l’impression qu’il assénait des coups de boutoir irréguliers et violents, comme s’il voulait s’échapper en crevant sa cage thoracique. Son corps ne supportait plus ce que ses yeux apercevaient. Dans sa vie, rien n’avait égalé un tel sentiment de répulsion et de terreur pure, qu’il était de plus obligé de subir sans moyens de défense ou de fuite. Il fut subitement pris de frissons incontrôlables.

Ton cœur est fragile. Retrouve ton calme… Il le faut, sinon…

Il fut interrompu dans ses pensées par une voix grave et masculine qui retentit de l’autre côté de la vitre.

– Nunc est tremundum.

Il eut un moment de perplexité.

Du latin ? Putain, c’est quoi ce délire ?

Quelqu’un avait parlé en latin… Il en était sûr. C’était absurde, mais peu importe, il y avait quelqu’un à proximité et il pouvait désormais appeler à l’aide.

Mais comment sans effrayer ces saloperies de bêtes ?

Effectivement, comment faire lorsqu’on est bloqué dans une telle situation ?

Réfléchir, réfléchir vite…

Un brusque doute l’assaillit.

Qui te dit que ce type va t’aider ? Ne serait-ce pas plutôt lui qui te fait subir cette épreuve ignoble ?

Il fit appel à ses connaissances lointaines du latin. Se souvenir… Pas facile après toutes ces années et surtout dans un tel état d’affolement…

« Nunc est »… C’est maintenant… Mais « tremundum », c’est quoi déjà ?

TREMBLER.

Ce mec est dingue, complètement dingue ! C’est ahurissant !

Il croyait alors avoir atteint le comble de l’horreur, mais il se trompait. Bien que sa vue commençât à se brouiller sous l’effet de l’accélération cardiaque, il eut la vision d’une silhouette de haute taille et vêtue d’une blouse bleue qui s’approchait sur sa droite. Elle était déformée par l’épaisseur de la vitre du vivarium et il ne pouvait pas distinguer les traits de l’individu, dissimulés par un masque de chirurgien.

– Nunc est tremundum… [C’est maintenant qu’il faut trembler…]

Une petite trappe s’ouvrit juste au-dessus de sa tête.

– … ad nauseam [… jusqu’à la nausée].

Une main gantée de latex apparut, tenant un bocal en verre semblable à un gros pot de confiture. Il vit avec dégoût et horreur au travers du fond du récipient que celui-ci contenait une masse grouillante de scorpions noirs et brun clair qui se battaient sauvagement entre eux, à vingt centimètres à peine de son visage. Il pouvait nettement distinguer leurs aiguillons et leurs pinces. Il y avait là des Androctonus d’Afrique de sept à huit centimètres et des Centruroides d’Amérique centrale, encore plus longs d’un à deux centimètres.

Il s’agissait des espèces les plus dangereuses pour l’homme.

Varenne réussit à remuer les lèvres pour supplier en pleurant :

– Non ! Pas ça ! Par pitié !

Tu hallucines. Ce n’est pas possible, tout ceci est purement imaginaire !

Il laissa échapper un hurlement hystérique, un cri rauque et primal qui fut vite étouffé par le vomi épais qui jaillit instantanément de sa bouche.

169 battements par minute.

Il n’entendit même pas l’homme prononcer d’une voix solennelle :

– In cauda venenum [Dans la queue, le venin]. Aeternum vale, memento quia pulvis es [Adieu pour l’éternité, souviens-toi que tu es poussière].

La main bascula le récipient en verre d’un geste sec et une cascade de scorpions en furie se déversa sur sa face. Il ferma les paupières, rentra sa tête entre ses épaules et pinça ses lèvres de peur qu’un des insectes ne lui entre dans la bouche. Il réussit à lever les deux mains pour se protéger le visage, mais il était trop tard.

Une cinquantaine d’arachnides étaient déjà en train de couvrir sa figure et le haut de son torse.

190 battements par minute.

Varenne avait atteint la limite du soutenable. Il craqua nerveusement devant tant d’atrocité alors que, malheureusement pour lui, la drogue avait désormais totalement fini d’engourdir son corps. Il hurla et s’agita soudainement comme pris d’une folie furieuse, frappant les parois en verre de ses poings et remuant frénétiquement les jambes comme un épileptique en pleine crise.

Ce fut la curée.

La première vipère planta ses crocs dans son avant-bras et la seconde dans sa cuisse. Il ne sentit même pas les morsures des mygales devant l’avalanche de piqûres des dards de scorpions qui lui lardaient désormais le cou, les lèvres et également les yeux. Les toxines se répandaient rapidement dans ses veines. Jamais il n’aurait imaginé mourir de façon aussi répugnante et dans un tel tourment.

L’individu qui l’avait condamné d’une manière atroce restait, quant à lui, de marbre devant ses hurlements de damné. Il observait tranquillement ses réactions avec un œil froid mêlé de simple curiosité.

Sa souffrance est nécessaire, mais est-elle suffisante ?

Comme beaucoup de gens, David Varenne détestait plus que tout les animaux et insectes ignobles qui rampaient et grouillaient sur le sol. Il avait une très forte phobie des aranéides, reptiles sifflants, vers gluants, larves humides, cancrelats écœurants et autres acariens hideux et un individu inhumain lui faisait en ce moment même cruellement vivre la plus effroyable de ses hantises, et goûter un aperçu de l’enfer, du royaume d’Hadès, du Shéol, de la géhenne sur terre, sans même lui laisser traverser les limbes.

Il n’était pas croyant, il ne l’avait jamais été, mais il connaissait désormais les pires tourments et celui qui lui faisait subir de telles atrocités avait un esprit des plus démoniaques. Il ne saurait pourtant jamais quelle était la part exacte du délire et celle du réel dans ce qu’il voyait. Sa souffrance était, quant à elle, malheureusement authentique. Une douleur insoutenable, inimaginable.

Ses yeux gorgés de sang commençaient à prendre un aspect complètement vitreux, tandis que des filets de bave mousseuse suintaient des commissures de ses lèvres. L’ensemble de son corps était secoué de violents spasmes.

Heureusement pour lui, sa vie s’acheva avant que le venin n’ait eu le temps de boursoufler ses chairs et de le faire agoniser de manière atroce. C’est la peur qui eut finalement raison de son muscle cardiaque. Il eut un dernier spasme qui souleva brutalement sa cage thoracique.

La mort fut une délivrance.

Au-dessus de sa tombe en verre, son bourreau afficha un regard satisfait.

Son œuvre avait bien été réalisée.

DÉLIVREZ-NOUS DU MAL.

0 battement par minute.

AMEN.

1 Carroge

Crrrrrrr…

Un léger craquement se produisit.

Claire Demange n’y prêta pas attention. L’ancienne demeure de famille de son mari émettait naturellement des bruits variés, notamment les soirs d’été, lorsque la charpente en sapin se refroidissait. Lors de ces instants, on croyait entendre les gémissements d’une centenaire se plaignant des rhumatismes de son corps trop usé.

La jeune femme était inquiète. Il était 23 h 15 et son conjoint, qui n’était toujours pas rentré, n’avait pas donné de ses nouvelles depuis plusieurs heures. Elle ne comprenait pas les raisons de ce retard, d’autant que Pierre était quelqu’un de très prévisible, en tout temps à l’heure et fidèle à ses habitudes. Pas du tout le genre d’homme à traîner avant de revenir au foyer. C’était quelqu’un qui ne se sentait bien que chez lui et appréciait la douce présence de sa femme à ses côtés.

Elle avait essayé plusieurs fois de le contacter sur son portable qui était sur messagerie.

Ne te tracasse pas. Il a dû oublier de l’allumer ce matin, cet étourdi… pensa-t-elle pour se rassurer.

Claire n’avait pas eu le cœur à se préparer un repas en l’attendant et se contentait de grignoter un morceau de fromage, en surfant sur Internet d’un air soucieux. En raison de la chaleur caniculaire de ce mois de juillet, elle s’était vêtue d’un T-shirt à la coupe large et d’un short rose vif qui révélait ses longues jambes à la peau laiteuse. Quant à ses pieds, beaucoup trop grands à son goût, ils étaient chaussés d’une paire de tongs épaisses et confortables, qu’elle faisait claquer sur ses talons pour tromper son inquiétude. D’un geste précis, elle noua ses fins cheveux blonds sur sa nuque humide, s’éventa nerveusement à l’aide d’un cahier, puis plissa les paupières sur ses yeux verts en étouffant un bâillement. Elle avait très mal dormi la veille en raison de la température élevée qui avait régné pendant la nuit et la fatigue commençait à se faire sérieusement sentir.

Pour chercher une réponse à l’absence inexpliquée de son mari, elle décida d’ouvrir la boîte mail de celui-ci. Claire était un peu honteuse de fouiller dans les courriels de son époux, mais elle était tout autant furieuse de ne pas avoir reçu d’appel téléphonique ou de message de sa part pour la prévenir de son retard. D’un geste nerveux, elle dissimula une mèche rebelle derrière son oreille droite.

– Zut, il a mis un mot de passe, marmonna-t-elle entre ses dents.

Elle fit une première tentative d’accès avec le prénom « Pierre », mais sans résultat. Puis elle tapa « Pierrot » au clavier. Cela ne marchait pas non plus. Elle entra ensuite la date de naissance de son mari dans le champ de saisie. La boîte de réception s’ouvrit.

– Bingo ! clama-t-elle en serrant les poings en signe de victoire. Trop facile, mon chéri !

Claire était informaticienne et cela la fit sourire. Pierre était un intellectuel passionné d’histoire qui n’était pas très sensibilisé à la sécurité des ordinateurs. Fort heureusement, il n’avait pas d’abonnement internet pour son compte bancaire, car c’était elle qui s’occupait la plupart du temps des aspects pratiques du ménage. Elle cliqua sur le courriel. Il émanait d’un certain François Montaigu, un prêtre, semblait-il. Le contenu du message se révéla être totalement énigmatique pour elle :

« Pierre, passez me rendre visite dès que vous le pourrez. Il faut que nous reparlions du sujet qui nous préoccupe. J’ai de nouveaux éléments très intéressants à vous fournir. Je sais qu’avec vous ils seront en de bonnes mains et que vous en ferez un usage approprié. Je me sens cependant surveillé. Il est donc plus que temps que nous diffusions l’information, bien qu’il m’en coûte, comme vous pouvez l’imaginer. Bien amicalement. Que Dieu vous garde. François. »

Ce message la laissa perplexe. Elle n’avait jamais entendu parler de ce François. Le terme « surveillé » ajouta à son inquiétude. Dans quelle aventure son mari s’était-il encore fourré, naïf comme il était ?

Crrrrrrr…

Elle ignora de nouveau le bruit plaintif qui semblait pourtant s’approcher d’elle et se cala sur son siège pour mieux réfléchir. Pierre était historien spécialiste de textes religieux anciens, mais il n’était pas croyant. Claire en déduit donc qu’il avait dû rencontrer ce François Montaigu dans le cadre de ses recherches. Elle consulta les dossiers de réception et d’envoi de la boîte mail et vit que le prêtre et l’historien avaient déjà échangé plusieurs messages. Les discussions portaient effectivement sur les Évangiles, Pierre émettant des critiques auxquelles son interlocuteur répondait d’une manière très ouverte pour un religieux. Certains courriels récents portaient un même intitulé : « Re : carroge ».

Ces messages ne comportaient en général que quelques mots, dont la signification n’était pas évidente. Claire, de plus en plus intriguée, remonta au premier mail reçu de la liste. Dans celui-ci, il était simplement indiqué :

« J’ai réussi à déchiffrer un premier mot : « carroge ». Il revient souvent, je pense que c’est important, voire la clé de l’énigme. »

Saisie par la curiosité, elle ouvrit son explorateur internet et tapa le mot « carroge » dans un moteur de recherche.

« Deux cent dix résultats » afficha l’outil. Ces données n’étaient cependant pas probantes. La plupart des réponses étaient écrites en langues étrangères. Claire réduisit la recherche aux pages en français, mais les quarante-six résultats apparaissant ensuite ne la renseignèrent pas non plus. Le moteur proposait l’orthographe « carrouge ». Elle fit une tentative, mais les liens aboutissaient essentiellement sur des sites concernant une ville suisse et un château situé en Basse-Normandie. Sachant que son mari était seulement passionné d’analyse de textes anciens, elle saisit dans la fenêtre de recherche les mots « carroge étymologie ».

La réponse lui suggérait d’essayer « carouge étymologie ». Elle cliqua sur le lien, mais les résultats ne lui apportèrent toujours pas d’éclaircissement. Frustrée de tourner en rond, elle tapota nerveusement des ongles sur le bas du clavier et tenta un dernier essai avec « carroge origine du nom ». Là encore, les résultats furent décevants.

Crrrrrrr…

Un nouveau craquement s’était fait entendre, cette fois-ci vraiment très proche du bureau. Claire le perçut vaguement, mais elle était encore trop absorbée par ses recherches pour s’en préoccuper. Toujours soucieuse du sort de son époux, elle fit une nouvelle vérification de son téléphone portable posé sur le meuble de l’ordinateur. Aucun message n’avait été reçu. Elle se mordilla la lèvre inférieure d’exaspération. L’attente était frustrante. Elle se dit que, lorsqu’il reviendrait, il aurait une bonne réprimande suivie d’une soupe à la grimace.

Ça, mon vieux, tu vas y avoir droit !

Claire était furieuse, mais l’anxiété grandissait cependant en elle. Son regard préoccupé se dirigea sur une feuille de papier qui était posée près du portable. Des mots y avaient été griffonnés par son mari. Elle y reconnut l’énigmatique mot « carroge » ainsi que d’autres qui ne l’éclairèrent pas plus : « bone, cachier, craon… ».

Un sévère bâillement la sortit brutalement de sa réflexion. Il était plus que temps d’aller au lit. Il se faisait très tard et son époux paraissait bien parti pour découcher…

Il ne me tromperait pas, au moins ?

Cette hypothèse ne l’effleura cependant qu’un court instant. Elle secoua la tête négativement en souriant à cette idée. Son mari était extrêmement timide et avait mis un temps infini à lui déclarer sa flamme, malgré toutes les avances qu’elle lui avait faites et qu’il ne semblait pas comprendre. Il avait presque fallu qu’elle le viole lors de leur première relation intime. Ce souvenir la fit pouffer. Elle hocha doucement la tête.

Pas vraiment son genre de courir la gueuse. Entre un manuscrit ancien et une belle fille, il préférerait la lecture…

Claire monta d’un pied lourd à l’étage du pavillon et elle fit une étape à la salle de bains où elle enfila une chemise de nuit blanche après s’être rapidement passé une crème de nuit sur le visage. Elle soupira à la vue de la pâleur de son teint et de sa poitrine menue qui la complexait tant. Elle finit par tirer la langue à son image dans le miroir et se jeta dans son lit. La fraîcheur des draps était agréable et elle changeait de position dès que l’emplacement se réchauffait sous l’effet de la chaleur de son corps. Malgré la nuit, il faisait encore très lourd et sa peau était constamment moite. Le sommeil serait difficile à trouver.

Soucieuse par nature, elle avait laissé la fenêtre ouverte, mais s’était assurée que les volets étaient bien fermés. La maison était très isolée et située à la lisière d’une forêt, ce qui renforçait son sentiment d’insécurité. Le bruit du vent dans les branches et les cris des animaux la nuit l’effrayaient, même lorsqu’elle sentait la présence apaisante de son époux allongé à côté d’elle. Elle serra affectueusement son oreiller entre ses bras comme s’il s’agissait de son mari. La chaleur et l’inquiétude l’empêchaient toutefois de s’assoupir dans cette maison qui lui paraissait désormais beaucoup trop grande. Elle se tournait et retournait dans le lit dans l’espoir de trouver une meilleure position de sommeil, mais en vain. N’arrivant pas à s’endormir, elle se souvint qu’elle n’avait pas clos la porte de la chambre et, sentant que cela nuirait à sa détente, s’apprêta à se relever pour la fermer.

Crrrrrrr…

C’est alors que se fit entendre à nouveau le craquement, avec un son désormais plus sourd. Il ne provenait pas de la toiture, mais du parquet du rez-de-chaussée. La jeune femme frissonna de peur.

On dirait que quelqu’un marche dans l’habitation !!!

Elle tenta de se rassurer.

Ce n’est peut-être qu’une fausse impression ou bien Pierre qui vient de rentrer ?