Carroge - Tome 2 - Gilbert Laporte - E-Book

Carroge - Tome 2 E-Book

Gilbert Laporte

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Beschreibung

Une série de meurtres répondant à un rite religieux spécifique secouent la région parisienne tandis que de nombreux phénomènes étranges affolent l'Afrique et l'Amérique...

L’historien spécialiste de la Bible Pierre Demange fait appel à un ami détective privé aux méthodes douteuses pour l’aider dans ses recherches d’un manuscrit ancien et le protéger du psychopathe qui marque ses victimes sur le front avec le chiffre 666.
Le lieutenant Martin Delpech de la PJ du 36 quai des Orfèvres fait, quant à lui, son possible pour resserrer son étau sur l’assassin, mais il est persuadé qu’il frappera encore…

Découvrez le deuxième tome de l'une des enquêtes du lieutenant Delpech qui tentera de démêler les signes du diable.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Passionné par le sujet de la création des évangiles comme il l’explique à la fin du livre, Gilbert Laporte se sert de ce sujet pour créer une intrigue originale et très bien ficelé, sur un thème qui a déjà été exploité plusieurs fois, autour de la psychologie du meurtrier, et de la cupidité notamment. Un très bon premier roman à l'écriture fluide mais aussi dynamique quand il le faut. A lire ! - Aucafélittérairedecéline, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Gilbert Laporte est né à Paris et vit dans le sud de la France. Il a effectué ses études supérieures à Nice et a été cadre dans de grandes entreprises. Il partage ses loisirs entre la lecture d'ouvrages historiques, le cinéma, la musique, les voyages et l’écriture.

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Couverture

1 Ut queant laxis

Christian Laumier s’accouda à la rambarde avant du vieux bateau pour observer son entrée dans le petit port de pêche. La traversée du lac Atitlán, bordé par ses trois volcans, avait duré moins d’une heure depuis la ville de Panajachel. Elle avait été particulièrement agréable. Le ciel était limpide, l’eau couleur indigo et le soleil éclatant. Le vent dominant du lac, le Xocomil, avait commencé à souffler en tout début d’après-midi. Ainsi, il ne faisait pas trop chaud en cette belle journée sur ces hauts plateaux guatémaltèques.

Laumier caressa sa courte barbe d’un air songeur. Il ne comptait plus les kilomètres parcourus dans les contrées les plus éloignées du monde pour effectuer des reportages sur les sujets les plus brûlants de l’actualité. Son visage buriné accusait le poids des années plus qu’à la normale, particulièrement au niveau de son front qui était marqué par de profondes rides que les tracas de son divorce avaient accentuées.

Il émergea progressivement de ses pensées. La vieille embarcation ralentissait pour apponter dans un épais nuage noir de fuel. Le village de Santiago Atitlán était adossé à une colline à 2 500 mètres d’altitude et traversé de haut en bas par une ruelle rectiligne en pente raide. Il était couronné par une église de style vaguement baroque. De l’autre côté de la partie la plus étroite du lac se présentaient les flancs du volcan San Pedro.

Il profita des dernières manœuvres d’accostage pour prendre quelques images des monts qui entouraient l’étendue d’eau. À la droite de l’agglomération, il y avait de petits champs plantés d’un maigre maïs. Le terrain volcanique était en pente si raide qu’il se demanda comment les paysans pouvaient bien l’arroser, en assurer l’entretien et procéder à la récolte.

Il avait à peine débarqué, que deux Indiennes très âgées se précipitèrent sur lui afin de lui proposer de poser pour une photo payante. Elles étaient habillées en tenue locale avec leur curieux chapeau rond, appelé « tocoyal », qui était constitué d’une longue bande de tissu enroulée autour de la tête. Il les repoussa gentiment et commença son ascension dans la ruelle. Une cohorte de gamins sales le suivit un moment en riant, sous le regard indifférent de deux hommes assis sur le quai dans leur traditionnel pantalon court à rayures.

Il fit attention où il mettait les pieds en remontant la petite rue. Le sol de celle-ci était en terre battue, parcourue d’un ruissellement d’eau boueuse. De chaque côté, de minuscules boutiques proposaient des copies d’art maya à faible prix, ainsi que de nombreux tapis, étoffes chatoyantes, céramiques et masques de bonne qualité artisanale. Il prit le temps d’y jeter un coup d’œil et fut surpris de ne pas être agressé par les vendeurs comme dans beaucoup d’autres pays.

À un moment, il s’effaça pour laisser passer une curieuse procession. Un groupe d’hommes transportait une statue en bois recouverte de vêtements traditionnels. Le plus étonnant de cette scène religieuse pleine de dévotion résidait dans le fait qu’une cigarette avait été mise dans la bouche de la figurine. Intrigué, le journaliste interrogea un commerçant près de lui.

– Comment ? Vous ne connaissez pas Maximón ? s’offusqua le marchand, comme s’il s’agissait d’une évidence.

Au sommet de la colline, l’église occupait un côté de la place principale du village, où avait été installée une fête foraine avec une grande roue décorée de rubans de multicolores. Surmonté d’un préau avec une rambarde en fer, le lieu de culte était recouvert d’une peinture écaillée blanche et bleue et l’on y accédait par une série de marches taillées dans de la lave noire. Il décida de pénétrer à l’intérieur.

L’endroit était quasiment désert.

Une dizaine de statues de saints avaient été habillées de costumes traditionnels aux teintes vives, comme pour les reconvertir en anciennes divinités locales. Quelques cierges brûlaient dans un coin et une forte odeur d’encens parfumait l’air. La décoration était quasi inexistante. Assise par terre, une vieille femme à l’allure de chaman répandait de l’alcool sur les dalles du sol en psalmodiant des prières.

Lorsqu’il ressortit de l’église, il fut surpris par le contraste entre la pénombre et le silence qui régnaient à l’intérieur, et la luminosité et le brouhaha provenant de la place centrale.

C’était jour de marché.

L’animation était à son comble. Paysans et artisans venaient écouler leur production derrière des étals sommaires constitués de planches brutes, tôles ondulées et bâches en plastique. Certains étaient assis à même le sol, leurs quelques fruits et légumes posés sur la terre poussiéreuse. Laumier remarqua que ces produits étaient plus petits que ceux que l’on trouvait en Europe et étaient surtout tachés de maladies. Mais leur origine naturelle devait leur procurer des saveurs que n’avaient plus ceux qui sont vendus dans les supermarchés occidentaux.

Un peu plus loin, un marchand proposait ses beignets huileux à l’air appétissant, mais qu’il emballait ensuite dans du papier journal. Ce qui retint l’attention de Laumier, c’étaient les tissus pendus ou accrochés sur des présentoirs. Constituant un véritable kaléidoscope, les vêtements et couvertures resplendissaient de motifs d’oiseaux et de plantes aux couleurs chaudes et joyeuses.

Ayant traversé le marché, il se dirigea vers la terrasse ensoleillée d’un café internet. Il y avait de nombreux clients et il se dit que c’était certainement le meilleur endroit pour commencer ses investigations. Une table ébréchée et une chaise en bambou n’attendaient que lui. À peine fut-il assis, qu’un jeune serveur d’origine indienne vint prendre sa commande. Il lui demanda une bière dans un mauvais espagnol.

Lorsque sa consommation atterrit sur la table, il fut consterné par l’état de saleté du verre, qui manquait de transparence. Par précaution, il décida de boire au goulot de la bouteille.

Il avait tout juste entamé sa boisson qu’un homme de grande taille et de forte corpulence se dirigea directement sur lui en l’apostrophant en anglais.

– Hi ! Tout se passe bien ?

Surpris, Laumier détailla l’inconnu qui s’adressait à lui. Il avait la quarantaine et son accent était manifestement américain. Il était vêtu sans goût, d’un pantalon noir, de sandales épaisses en plastique et d’une chemise hawaïenne.

– Vous êtes touriste ? poursuivit-il.

Voyant l’air interloqué de Laumier, il ajouta, en appuyant sa main droite sur la poitrine, comme s’il voulait faire une confidence :

– Je suis pasteur dans ce village.

Il désigna un immeuble neuf, situé en bordure de la place, à l’opposé de la vieille église. Le bâtiment en béton, d’architecture moderne, jurait d’aspect avec les autres constructions du village. Il avait été fraîchement peint en blanc. Sur le fronton, une inscription en espagnol le nommait comme « La maison de Jésus-Sainte Marie ».

– Je peux m’asseoir ?

L’homme désigna la chaise à côté de lui. Laumier l’invita d’un signe de la main. Avoir un premier contact avec le pasteur du village était, après tout, une aubaine pour commencer ses investigations.

– Vous êtes touriste ? répéta-t-il.

– Je suis journaliste.

Il montra son matériel photo.

– Ah, bien, je vois. Vous êtes venu également au sujet des miracles ?

– Des miracles ?

Il feignit de ne pas être au courant.

– Oui, les signes lumineux accompagnés du chant des anges. Vous savez, tout le monde les a constatés et entendus ici. Vous pouvez interroger qui vous voulez, ils vous diront la vérité. Ces signes viennent de Dieu. Il n’y a pas de doute. Ils annoncent le retour de Jésus qui sera bientôt parmi nous. La fin des temps approche, l’Antéchrist va se manifester, mais la Bête sera vaincue par le Messie.

Il s’enthousiasmait et faisait de grands mouvements avec les bras tout en parlant d’une voix puissante. Puis il s’interrompit brusquement, voyant que son interlocuteur affichait une moue dubitative.

– Vous êtes français ?

Laumier acquiesça de la tête.

– Beaucoup de journalistes américains ou sud-américains sont venus, vous savez, mais pas encore de Français. Vous êtes le premier. Mais pourtant, vous les Français, vous ne croyez pas en Dieu, n’est-ce pas ?

– Si, mais peut-être pas aussi intensément que dans d’autres pays ; nous avons en effet une tradition plutôt laïque.

– Les Français, vous pensez tout savoir et vous voulez donner des leçons au monde entier. Bon, c’est vrai, pour l’Irak c’était bien vu, mais là vous avez tort de sous-estimer les événements.

– Que s’est-il passé exactement ?

Le pasteur se pencha en avant et baissa la voix comme pour faire une confidence.

– Eh bien, il était un peu plus de deux heures du matin, c’était début juillet dernier, tout le village a été réveillé par des chants.

– Quel genre de chants ?

– Comme un chœur de jeunes enfants. Ils chantaient une très belle mélodie.

– Il y avait des paroles ?

– Non, pas de paroles, juste des voix qui reprenaient une mélodie. C’était un chant étrange, que l’on n’a pas l’habitude d’écouter, et prononcé dans une langue inconnue.

– Elles provenaient d’où, ces voix ?

– De l’autre côté du lac.

Il allongea le bras en direction du volcan.

– On les entendait parfaitement, je vous le jure. Et puis il y avait les lumières.

– Quel genre de lumières ?

– Des lumières blanches qui montaient du sol et s’élevaient vers le ciel.

Laumier, un peu perplexe, fronça les sourcils.

– Vous ne me croyez pas, constata l’Américain.

– Ce n’est pas cela, mais c’est assez inhabituel, avouez-le.

– Je vous le répète, vous pouvez interroger qui vous voulez. Tout le monde vous en parlera. Presque tout le village est témoin et ce sont des gens simples et honnêtes ici. Pas le genre à inventer n’importe quoi pour se rendre intéressants.

Il changea de sujet.

– Vous avez visité l’ancienne église ?

Le journaliste acquiesça.

– Bel exemple de syncrétisme, dit le pasteur.

– De quoi… ?

– Syncrétisme. Mélange de religions, si vous voulez. On y trouve de nombreux symboles chrétiens et mayas entremêlés.

– Oui, j’avais remarqué, en particulier la chaire en bois sculpté représentant une divinité maya.

– Il s’agirait de Yum Kaax, le dieu du maïs, et d’un quetzal. Curieux, n’est-ce pas ? Les Indiens ont gardé leurs croyances ancestrales en Kukulkan – le Quetzalcoatl – tout en se convertissant au catholicisme.

– Je suppose que l’on peut dire la même chose de toutes les religions, y compris pour les catholiques.

– Par exemple ?

– Par exemple, pendant l’Antiquité, les prêtres égyptiens agitaient une coupe d’encens pendant les processions. Ou bien alors, dans le sacrifice du Christ, le vin comme symbole du sang, ou la résurrection, et plein d’autres choses que l’on peut retrouver dans la mythologie grecque ou romaine.

Le pasteur s’agita sur son siège. Il avait une réponse toute faite sur le sujet.

– Bien sûr, on peut toujours trouver des racines à une coutume, mais la religion chrétienne est unique en son genre sur un aspect fondamental.

– Quel aspect ?

– L’Amour, c’est évident. L’Amour de Dieu, et Dieu est Amour ! déclama le pasteur.

Le terrain était glissant et la discussion risquait d’entrer dans la polémique. Laumier acquiesça de la tête et décida de changer de sujet.

– Il a l’air récent, votre temple ?

– Oui, il date d’il y a un an.

– Ce sont des gens du village qui l’ont construit ?

– Non, pas vraiment, la main-d’œuvre ici n’est pas assez qualifiée, nous avons dû faire venir essentiellement des ouvriers de Panajachel, la ville la plus proche. Ce sont les dons de nos fidèles américains qui l’ont financée. Vous savez, ici, le peuple trop pauvre.

– Vous avez beaucoup de fidèles dans ce village ?

– Oh, de plus en plus, bien qu’il y ait désormais plusieurs temples évangéliques. Mais nous, nous sommes proches des gens et leur parlons avec le cœur, c’est pour cela qu’il y a foule chez nous. L’église traditionnelle, quant à elle, ne fait pas grand-chose pour eux. Et puis, avec le miracle qui s’est produit, ça va devenir un lieu de pèlerinage ici.

Ses yeux brillaient, il avait évoqué l’Église catholique avec dédain. Laumier poursuivit :

– Votre mission est donc toute nouvelle ? Je n’en avais jamais entendu parler en Europe.

– Nous existons depuis trois-quatre ans, mais nous nous développons beaucoup. Notre message concerne beaucoup de gens et nous avons énormément de fidèles aux States…

Un puissant son d’orgue l’interrompit, comme si une touche du clavier était restée coincée sur la note DO. Il provenait du temple. Tout le monde sur la place avait tourné les yeux dans cette direction.

– Que se passe-t-il ?

– Je ne sais pas, répondit le pasteur, l’air stupéfait.

– Quelqu’un joue de l’orgue ?

Il secoua négativement la tête.

– Non, ça n’est pas possible…

– Pourquoi ?

Il sortit un trousseau de clés de sa poche.

– Parce que j’ai fermé à clé en partant et qu’il n’y a personne à l’intérieur.

Le son de l’orgue continuait à envahir la place. Petit à petit, et par curiosité, des personnes convergèrent en direction du bâtiment blanc. Le pasteur attrapa le journaliste par le bras.

– Venez avec moi !

Ils coururent jusqu’au temple en traversant la foule qui commençait à s’agiter. Le pasteur chercha frénétiquement la bonne clé et actionna fébrilement la serrure. Ils avaient à peine pénétré dans l’immeuble que le son s’arrêta brutalement.

La grande salle de culte était vide. Au fond, sur une estrade, trônait un orgue solitaire. Les deux hommes s’en approchèrent. Le cœur de Laumier battait nerveusement. Son esprit cartésien de journaliste était mis à mal. L’orgue électronique n’était pas allumé.

– Vous permettez ? demanda-t-il au pasteur en désignant l’instrument de musique.

– Faites, je vous en prie.

Laumier actionna l’interrupteur principal et un petit bourdonnement de démarrage se fit entendre. Il pianota la touche DO. C’était bien le même son que tout à l’heure. Le volume était réglé beaucoup plus bas, mais c’était bien identique.

Pour la première fois de sa vie, il se dit qu’il se déroulait quelque chose qui dépassait son entendement.

2 Le sauveur

Pierre Demange conduisait nerveusement en ruminant colère et frustration. Il avait dû refaire la queue à la gendarmerie et le même gendarme l’avait pris de haut lorsqu’il avait déclaré avoir retrouvé sa voiture. Il avait également eu droit à un sermon paternaliste, un rappel de l’article 441-6 du code pénal sur les faux et la punition des déclarations mensongères, etc., etc.

… et casse-moi bien les pieds, je n’ai pas assez de problèmes comme ça…

Enfin, il n’était plus très loin de chez lui. Il était presque arrivé même. Il allait pouvoir retrouver le réconfort de sa douce femme et le confort de sa grande maison où il trouvait l’isolement qui lui convenait si bien.

Il actionna le portail automatique et s’engagea dans l’allée gravillonnée. Il fut surpris de voir son épouse assise dans le gazon, son vélo aux sacoches pleines des commissions adossé à un arbre. Elle se releva en apercevant la voiture et s’épousseta les fesses en s’assurant qu’elle n’avait pas taché son short. Pierre s’arrêta à sa hauteur.

– Que fais-tu là ? questionna-t-il par la fenêtre ouverte.

Claire s’approcha du véhicule.

– Descends ! commanda-t-elle nerveusement.

Elle était tellement stressée qu’elle n’avait même pas réagi au fait que son mari avait retrouvé la voiture.

– Qu’est-ce qui se passe ? questionna-t-il d’un air inquiet.

– On a fracturé la porte principale.

– Ah, bon ? On nous a volé quelque chose ?

– J’en sais rien, j’ai eu peur d’entrer. Il y a peut-être toujours quelqu’un à l’intérieur… J’en étais sûr et tu n’as pas voulu me croire…

Elle avait lancé ce reproche d’un œil courroucé. Son époux, l’air agacé, ne sembla pas y faire attention, à moins qu’il n’ait pas eu envie d’entrer dans une polémique dont il savait d’avance qu’il ne sortirait pas gagnant.

– Bon sang ! C’est pas vrai ! C’est décidément la semaine des tuiles !

Claire suivit son mari, qui se dirigeait d’un pas énervé vers l’entrée après s’être armé du cric de la voiture. Ils gravirent les trois marches extérieures du pavillon et s’arrêtèrent sur le perron en pierre. Ils tendirent l’oreille, mais tout paraissait calme.

La porte était entrouverte, la serrure défoncée et le bord du bois abîmé par ce qui semblait être des traces de pied-de-biche. Pierre Demange poussa prudemment le battant du bout des doigts de la main gauche, sa main droite tenant fermement le cric.

La porte s’ouvrit lentement, découvrant un couloir vide.

Ils visitèrent successivement la cuisine, la salle de bains, les chambres, la salle à manger, le salon et terminèrent leur inspection par le bureau.

– Mais c’est quoi, ce souk ! s’exclama rageusement Pierre Demange en voyant la pièce en désordre.

Des livres de la bibliothèque avaient été renversés par terre, les tiroirs du bureau étaient ouverts après avoir été manifestement fouillés, et de nombreuses feuilles de papier jonchaient le sol.

– On nous a piqué l’ordinateur portable, en plus ! ajouta-t-il.

– Ils n’ont apparemment rien volé d’autre, la chaîne hi-fi, le lecteur DVD et la télé sont toujours dans le salon, constata Claire.

– Là, j’en ai vraiment ras le bol ! maugréa Pierre. Je vais me faire un whisky pour me détendre, sinon je disjoncte.

– Bonne idée. Je te suis. Au point où l’on en est, autant se soûler.

Ils s’affalèrent sur leur canapé, après s’être servi une bonne rasade d’alcool.

– Je comprends que dalle à ce qui nous arrive, s’interrogea l’historien d’un air accablé, après avoir expliqué à sa femme comment il avait retrouvé leur véhicule. Le summum étant quand même mon enlèvement, avec la bagnole qui est remise presque au même endroit.

– C’est parce qu’ils n’en voulaient ni à toi ni à ta voiture, affirma son épouse.

– Qu’est-ce que tu dis ?

– Ils ne souhaitaient pas t’enlever ni te voler, de toute évidence.

– Mais alors pourquoi ?

– Ils cherchaient quelque chose.

– Mais quoi ?

Claire s’exaspéra devant son absence d’esprit pratique.

– J’en sais rien, moi. C’est toi le mieux placé pour en connaître les raisons. Il peut s’agir d’un document en ta possession ou quelque chose de compromettant.

Elle fronça ses blonds sourcils.

– Ce ne serait pas à cause de ton prochain livre ?

– Humm, non. Je ne crois pas. Il n’y a pas de secrets d’État dedans, ni quoi que ce soit qui puisse mettre quelqu’un en cause.

– Et les messages du prêtre ?

– Pourquoi tu penses à lui plus spécialement ?

– Eh bien, il se disait en danger dans ses courriels. Il t’a parlé de quelque chose de particulier ?

Il haussa les épaules en faisant une moue interrogative.

– On devait faire des recherches ensemble, comme je te l’ai dit tout à l’heure. Il avait évoqué un ancien document que je devais l’aider à traduire, mais je ne suis pas un spécialiste de l’ancien français. J’en possède quelques notions, c’est tout…

– Et il parlait de quoi, ce document ?

– Il ne me l’a pas précisé. Pour lui, en tout cas, c’était très important. C’était un recueil qu’il avait récupéré à la mort de son père. Ce dernier lui aurait dit que cela pouvait mettre en cause les fondements de la religion chrétienne.

– C’est tout ?

– Oui, c’est tout. J’en sais pas plus.

– Je suis sûre que c’est lié à ça, affirma Claire.

Pierre, soudainement pris d’une grande lassitude, plongea son regard dans le fond de son verre.

– Tu as probablement vu juste. De toute manière, je ne vois pas d’autre raison.

Elle eut comme une intuition fulgurante.

– C’est un coup du Vatican ! s’exclama-t-elle en attrapant le bras de son mari.

Pierre, manquant de renverser son verre, la dévisagea d’un air abasourdi.

– Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ?

– L’Église est derrière tout cela. À tous les coups.

Il leva les yeux au ciel avec un sourire moqueur.

– Là, tu y vas un peu fort !

– Mais qui d’autre aurait intérêt à vouloir des documents qui peuvent mettre en danger l’Église ? Et puis tu m’as dit que l’un de tes agresseurs avait l’air d’être un Italien.

Il réfléchit un instant en se grattant nerveusement la nuque.

– Remarque, à la réflexion, ton idée n’est pas si saugrenue.

– C’est évident, c’est pour ça qu’ils ont fouillé dans la voiture et qu’ils ont pris l’ordinateur portable. Ils ont laissé l’imprimante et la chaîne hi-fi. C’est de l’info qu’ils cherchaient.

– Oui, et ils ont réussi. Mais ça n’explique pas le fait que je retrouve ma bagnole au même endroit.

– À mon avis, ils sont arrivés comme toi par le train et ils ont repris le même moyen de transport au retour. C’est tout.

Il eut un air ahuri.

– C’est vrai… Je suis bête. Je n’y avais même pas songé.

Claire contempla son verre vide d’un air pensif.

– Alors, qu’est-ce qu’on fait pour la maison ?

– Comment ça ?

Elle leva les yeux au ciel et l’imita, l’air ahuri.

– Comment ça ? … Comment ça ? … Il y a des fois, on dirait que tu le fais exprès. On ne va pas rester les bras ballants en attendant qu’il nous arrive quelque chose ! Au fait, qu’en pense la gendarmerie, de ta plainte ?

– Oh, tu sais, ils ne m’ont pas vraiment cru, d’autant que j’y suis allé un quart d’heure plus tard pour dire que j’avais retrouvé notre véhicule.

Elle balaya l’argument de la main.

– De toute manière, il faut déposer une plainte pour le cambriolage.

– Ah, non ! Je n’y retourne pas. Vas-y si tu veux.

– Bon, OK, mais occupe-toi de réparer la porte. On ne peut pas rester comme ça.

Il ramassa les verres pour les porter dans l’évier et s’arrêta en chemin.

– J’ai une idée. Je vais appeler Mathieu.

– Qui ça ?

– Mathieu Carrel. Un ancien pote de lycée. On se voyait encore de temps en temps à la fac, mais lui avait choisi de faire du droit.

– En quoi peut-il nous aider ?

– Il a monté une affaire de police privée, qui marchait pas mal aux dernières nouvelles. Je suis sûr qu’il pourra nous conseiller.

– Je l’ai déjà vu ?

– Non. Je t’en avais vaguement parlé, mais sans plus. Depuis que nous sommes ensemble, j’ai un peu coupé les ponts.

– Pourquoi ?

– Oh, je pense que quand tu le verras, telle que je te connais, tu vas le détester.

3 La colère de Pluton

Naples, le paradis.

Sa douceur de vivre, le soleil, la mer, Capri et ses grottes marines aux multiples couleurs d’azur, la côte amalfitaine et ses blancs villages solidement agrippés sur des falaises abruptes.

Naples, l’enfer.

Le Vésuve.

Monstre endormi d’un œil qui attend toujours son heure. Par le passé, il avait déjà balayé d’un souffle brûlant les impertinents qui occupaient ses flancs et enfoui sous ses crachats leurs frêles habitations. Aujourd’hui, tel un géant hypocrite, il restait prêt à vomir la mort de sa gueule béante sur l’inconsciente population qui résidait à ses pieds.

On raconte par ailleurs que Dieu pleura, en reconnaissant dans le golfe de Naples un lambeau du ciel arraché par Lucifer et, là où ses larmes tombèrent, surgirent les vignes qui donnèrent le délicieux vin Lacrima Christi.

Le paradis et l’enfer.

Graziella et Roberto allaient en faire l’expérience…

Le jeune Roberto avait emmené sa nouvelle fiancée pour une balade sur les pentes du Vésuve à la nuit tombée. Il avait reçu un scooter bleu flambant neuf en cadeau pour ses dix-huit ans, qu’il avait garé le long de la route en lacets, à côté d’un muret en pierres sèches. Le jeune couple s’était assis en contrebas face à la baie de Naples, qui commençait à s’illuminer au fur et à mesure que s’estompaient les feux rougeoyants de l’astre du jour. En ville, il régnait une chaleur étouffante, mais ici un vent frais caressait les pentes en soirée. La banlieue où ils habitaient était banale et parsemée de bâtiments tristes aux peintures délavées par le soleil. De nuit, elle apparaissait cependant sous leur regard tel un amas d’étoiles scintillantes parcourues par les phares automobiles qui ressemblaient, d’en haut, à d’infatigables lucioles.

Le jeune homme avait passé un bras protecteur autour de l’épaule de Graziella et, sentant qu’elle se pelotonnait contre lui, se disait que c’était le bon moment pour essayer de l’embrasser. Il pencha sa tête en direction du visage de cette belle brune pulpeuse et pleine de vie. Leurs lèvres se touchèrent et rapidement leur baiser se fit plus profond et langoureux.

Au bout d’un moment, Roberto fit une tentative, à l’aide de son bras libre, pour lui caresser un sein. Elle le repoussa mollement de la main et il se sentit donc d’autant plus encouragé à être entreprenant. Il avait une envie folle de cette poitrine généreuse et ferme qu’elle n’hésitait pas à mettre en avant du haut de ses dix-sept ans. Le premier jour où il l’avait rencontrée, il avait immédiatement flashé sur la beauté sensuelle de cette jeune fille, déjà si femme avec ses décolletés provocateurs et ses robes moulantes.

N’y tenant plus, il fit une deuxième tentative. Celle-ci fut la bonne. Tout en lui caressant le sein gauche, il sentit le désir monter en lui. Il fallait absolument qu’elle se donne à lui, dès ce soir.

Mais Graziella le repoussa brusquement.

– Tu as entendu ? dit-elle, effrayée.

– Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? interrogea-t-il en maudissant intérieurement ces femmes qui arrivent à rester les pieds sur terre dans les moments les plus intimes.

– Il y a des bruits sur la gauche… Sous les arbres.