Ces vies en faillite - Olivier Bailly - E-Book

Ces vies en faillite E-Book

Olivier Bailly

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Beschreibung

Aujourd'hui en Belgique, au moins 93 000 personnes sont surendettées. 93 000 vies en faillite. Et le chiffre ne fait qu'augmenter. La majorité d'entre elles vivent leur déchéance financière dans un silence honteux. Avec un Belge concerné sur cent, il y a pourtant beaucoup de chances pour que vous connaissiez un surendetté. Vos voisins, vos amis, peut-être votre famille. Personne n'est à l'abri.

Les surendettés sont-ils avant tout des flambeurs ? Non. Dans cet ouvrage, Olivier Bailly démontre que les causes du surendettement sont bien plus complexes. Au moyen d'interviews d'experts, de reportages en immersion dans des foyers surendettés et d'enquêtes «undercover» auprès des organismes prêteurs, il dépeint la réalité actuelle du surendettement en Belgique, reflet des dysfonctionnements de notre société.

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Couverture

Page de titre

ÀJuliette, ma grand-mère, qui à chacune de mes visites me demandait si je n’avais ni froid, ni faim, là-bas, dans mon appartement à Bruxelles. Je répondais que mon chauffage fonctionnait bien et que je mangeais à ma faim.

Elle semblait alors apaisée, se contentant de ces deux acquis pour me deviner heureux.

Remerciements

Avant tout merci aux personnes qui, surendettées, ont surmonté la crainte de dévoiler leur identité pour déposer leur histoire entre mes mains.

Merci à Lucie Devillé et à Alexia Verbraeken.

Merci à Fabien Lardinois, à Albert, Véronique, Didier, Benjamin et tous les proches de LST Noiseux. Merci à Denis Martens et à son équipe. Merci à Frédéric de Patoul pour le suivi des prêts, à Jacqueline pour le travail comptable, au Fonds pour le journalisme, à Béatrice Delvaux, Thierry Fiorilli et Dj Mout’ du journal Le Soir pour leur confiance, à Francine et Pierre, à Géraldine Henry, à Fanny Giltaire pour l’accompagnement dans ce travail.

Merci à ma famille d’être là.

Mad, Ulysse et Lily, merci pour tout. Et pour le reste aussi.

Les graphiques présents dans ce livre sont reproduits avec l’aimable autorisation de l’Observatoire du Crédit et de l’Endettement.

Ce livre a été largement nourri par de nombreux entretiens. Outre les discussions dans le cadre des réunions de Luttes Solidarités Travail, ont accepté de me rencontrer :

BEDORET Christophe (juge au tribunal du travail de Mons)

COUPLEUR Philippe (ex-surendetté, cofondateur de Dignitas aujourd’hui en liquidation)

DECHÈVRE Marc (ancien secrétaire général de l’UPC, service précontentieux et contentieux d’AXA Banque)

DEFOSSEZ Anne (directrice du GREPA)

DEPATOUL Fréderic (avocat)

DERMINE Marie-Paule (assistante sociale au CPAS de Namur)

DEVILLÉ Lucie (attachée-juriste, responsable du service Médiation de dettes au CPAS de Namur)

DUFRESNE Luc (responsable du département Informations micro-économiques de la Banque nationale de Belgique)

DÜMM Camille (chef de service à la Centrale des crédits à la Banque nationale de Belgique)

EVRARD Anne-Lise (Project Officer Financial Services à Test-Achats)

HARICHE Faouzia (présidente des hôpitaux publics Iris)

LECOCQ Philippe (vice-président au tribunal du travail de Mons)

MARTENS Denis (et Marie-Françoise Impe, Romain Duvivier, Didier Noël ‒ Observatoire du Crédit et de l’Endettement)

MEEL Frans (conseiller senior de l’UPC, spécialisé en crédits à la consommation)

MEIRSMAN Adriaan (ancien conseiller consommation au ministère du Climat et de l’Énergie, en charge de l’environnement, du développement durable et de la protection du consommateur)

ROOSEN Guy (Loan Director, Citibank)

SCHELLINCK Guy (Cards Director, Citibank)

SMEESTERS Guy (directeur de Fiducre)

VANBULCK Ivo (secrétaire général de l’UPC)

VAN DERVAEREN Étienne (président de l’Association Belge des sociétés de Recouvrement de créances)

VANHOYWEGHEN Laurent (conseiller au Cabinet du ministre chargé de la Consommation)

VERBRAEKEN Alexia (médiatrice de dettes au CPAS d’Etterbeek)

WÉRY Étienne (administrateur délégué des hôpitaux publics Iris)

Ainsi que les assistantes sociales, les personnes surendettées et toutes les autres personnes qui n’ont pas souhaité être mentionnées. Sans oublier les employés qui octroyaient des crédits à la consommation lors de mon passage, évidemment…

chapitre 1 Les vies en faillite

1.Les surendettés

En lisant ce livre, vous rencontrerez Martha, Fred et Sonia, Fatima ou encore Valérie. Ils sont tous surendettés. Aucun d’entre eux n’a souhaité donner son vrai prénom. Pour la plupart d’entre eux, seule la famille est au courant de leur faillite de vie. Et encore. Parce qu’il fallut se raccrocher à la branche généalogique comme aux derniers restes du radeau après le naufrage financier.

Le surendettement est une expérience difficilement explicable. Les réveils du matin s’ouvrent sur la peur. Celle du courrier dans la boîte aux lettres. Des mises en demeure, des rappels, des poursuites judiciaires. La peur d’entendre frapper à la porte. Peur de voir s’afficher sur le téléphone un numéro inconnu. Peur des autres. Martha, Fred et Sonia, Fatima et Valérie ont trébuché. Chacun à leur façon. Avec leurs erreurs, leurs responsabilités. Et puis les aléas de la vie. Ils ont été surpris par des montants démentiels à payer.

Ils sont épuisés, ou le seront bientôt, par des plans de paiement impayables, tellement étalés que l’horizon de vie n’est plus qu’un planning budgétaire. Ils parlent de 10 années entre parenthèses, du film de leur vie bloqué sur « pause ». De l’absence de projet.

Il est possible que vous connaissiez une personne surendettée. Ce peut être vous. En Belgique, plus de 93 000 ménages vivent aujourd’hui un règlement collectif de dettes (RCD). Lorsque quelqu’un est en règlement collectif de dettes, cela signifie qu’il s’est retrouvé dans l’incapacité structurelle de faire face à son endettement. Il ne s’agit pas d’une passe difficile ou d’une petite dette à apurer. Il s’agit de la dernière tentative pour s’en sortir.

Ces personnes ont demandé l’aide d’un médiateur et de la justice pour à la fois les protéger et les aider à rembourser leurs dettes.

93 000 ménages, c’est l’équivalent de la population d’une ville comme Charleroi. Cela représente aussi un ménage sur 52 en Belgique, les 25-34 ans et les 35-44 ans francophones fournissant le gros des troupes.

Le nombre de nouveaux venus ne cesse d’augmenter. S’ils étaient 11 853 nouveaux cas en 2006, ils étaient 12 900 en 2008 pour arriver à 17 864 en 2010. Soit une augmentation de près de 50 % en 4 ans ! Et 2011 confirme la tendance avec, de janvier à août, plus de 12 000 nouveaux dossiers, et un record de nouveaux avis de règlement collectif de dettes pour le seul mois de mars : 1 925 admissions.

Plus de surendettés, plus lourdement endettés aussi. Camille Dümm, chef de service à la Centrale des crédits de la Banque nationale : « Pour le premier trimestre 2011, on voit une augmentation des crédits défaillants de 2,4 %, à mettre en rapport avec 3,5 % au même trimestre 2010. On remarque que le montant des arriérés augmente plus vite que les crédits défaillants. Les endettés ne remboursent donc pas. »

Sur le terrain, tous ces chiffres désincarnés prennent une tournure inquiétante. Les services de médiation sont assiégés. Des listes d’attente de deux mois se mettent en place et certains d’entre eux, à Bruxelles notamment, ne prennent plus de rendez-vous tant qu’ils n’ont pas réduit leur liste d’attente.

À côté du règlement collectif de dettes qui est une médiation via la justice, il existe la médiation non judiciaire. Les services de médiation en Wallonie ont traité 10 931 cas en 2001. Sur cette décennie, ce chiffre n’a cessé de croître chaque année pour atteindre 18 751 dossiers en 2009. Ces personnes, non répertoriées dans les chiffres mentionnés ci-dessus, sont au minimum en situation d’endettement problématique. Ils font appel à un service public pour servir de médiateur, sans l’intervention d’un juge.

2.Les bientôt surendettés ?

Parmi les données recensées, un constat inquiétant est l’arriéré moyen des emprunteurs défaillants.

365 374 emprunteurs, soit un habitant de Belgique sur 30, se retrouvent en défaut de paiement pour un montant total d’arriérés se chiffrant à 2,42 milliards €1. Le nombre de défaillances est proportionnellement en baisse depuis 2003, excepté la crise de 2008 dont l’impact a duré 2 ans.

L’emprunteur défaillant est plus wallon et bruxellois que flamand. Et il est même plus carolo que wallon ! Un emprunteur sur 7 de Charleroi (13,09 %) ne rembourse pas son prêt à temps.

Attention cependant, une créance non payée peut provenir d’un contentieux, d’un oubli, voire d’une difficulté financière passagère. D’ailleurs, 60,1 % de ces « mauvais payeurs » ne comptabilisent qu’un seul défaut de paiement. Ces personnes ne sont pas forcément surendettées.

Quoique. Les emprunteurs défaillants doivent de plus en plus. En moyenne, chacun d’entre eux a un arriéré de 6 620 €. 6 620 € ! Cela signifie que plus de 350 000 personnes doivent aujourd’hui payer cash l’équivalent d’une voiture d’occasion ou d’une cuisine équipée. L’arriéré a sérieusement augmenté depuis 2008 et pour l’Observatoire du Crédit et de l’Endettement, cette donnée est un très mauvais présage : « L’évolution très rapide de l’arriéré nous amène à penser que les défauts de paiement relèvent de situations qui, dans l’ensemble, deviennent de plus en plus difficiles à gérer par les emprunteurs. Nous pouvons craindre qu’au cours des deux dernières années, des défauts de paiement “ponctuels” se soient transformés en difficultés financières à caractère plus “structurel”. » D’autant que le prêt hypothécaire, dernier prêt à ne pas être payé en cas de difficultés financières, voit ses arriérés moyens impayés augmenter de… 40,21 % entre 2008 et 2010.

Si le défaut de paiement d’un crédit n’est pas une preuve de surendettement, il peut donc en être la première étape.

3.Les surendettés ignorés

Il y a un chiffre gris du surendettement : ces individus non repris dans les RCD, qui s’arrangent avec leur entourage, leurs créanciers. Combien de personnes composent ce peuple désargenté de l’ombre ? Impossible à dire.

Elles se débrouillent tant bien que mal en dehors des circuits institutionnalisés. Certaines d’entre elles ne reviennent pas au CPAS par honte. D’autres ont tenté la médiation de dettes ou le RCD et ont été épuisées par la procédure.

Comme le mentionnait une assistante sociale au service de médiation de dettes de Mons, « le RCD, c’est la Rolls Royce du surendettement. Ceux qui ne sont pas dans le processus sont harcelés, continuent à payer des intérêts ». Le RCD protège en effet le surendetté. Il tient les créanciers à distance et offre une fin au surendettement, mais la Rolls a des sièges très inconfortables. Le RCD signifie entre 5 et 10 ans de privations considérables, voire plus. Impensable pour les personnes avec assuétudes, les dépressifs profonds ou les personnes avec un QI très bas, proches d’une administration de biens. Le RCD est trop contraignant pour eux.

4.Vos rencontres

4.1.Albert et les autres

Tout au long de ce livre, vous retrouverez les propos d’Albert, de Benjamin, de Véronique ou de Didier. Ils apportent de temps à autre leur réflexion sur la consommation ou l’endettement.

Ils sont « démunis », en « situation précaire », « paupérisés ». Eux se disent pauvres.

Ils parlent non pas au nom des pauvres mais en tant que pauvres, sans que le terme ait la connotation péjorative classique d’assistés, fainéants ou fraudeurs. Ils sont évidemment bien plus que l’étiquette de « pauvres », mais en même temps revendiquent ce statut parce qu’il est bon d’appeler un chat un chat. Et bon de l’entendre parfois crier sur les toits. Ils ne sont pas surendettés, même si nombre d’entre eux ont eu de lourdes dettes et maille à partir avec les huissiers et les sociétés de recouvrement.

Pour récolter leurs témoignages, j’ai participé à trois réunions de l’organisation Luttes Solidarités Travail (LST), qui lutte pour une plus grande justice sociale. Sa particularité et sa richesse résident dans le fait qu’elle ne parle pas à la place des pauvres. Ce sont eux qui constituent le mouvement et l’alimentent par leurs réflexions.

4.2.Le Flambeur, l’Accidenté, le Pauvre… et Fred

Vous allez également rencontrer Fred et Sonia, Valérie, Fatima, Martha. Ils sont tous surendettés. De nombreuses autres personnes ont également souhaité témoigner avant de se rétracter. Cette difficulté de se présenter aux yeux de tous, même « masqué », en tant que surendetté, en dit long sur les stéréotypes qui accompagnent l’étiquette. Immature, dépensier, fainéant, inconscient, etc.

Philippe Lecocq, vice-président au tribunal du travail de Mons, m’a soufflé une grille de lecture pour comprendre les surendettés, avec trois types de personnes surendettées.

Il y a d’abord les « dépensiers fous », ou les Flambeurs. Il cite une femme de 60 ans qui vit seule et gagne 1 800 €. Elle en est à son troisième règlement collectif de dettes. À peine sortie d’embarras, elle s’endette de 15 000 €, avec 3 cartes de crédit : sa banque, Carrefour et Cora. Elle a offert une voiture de 7 000 € à sa nièce. Il y a aussi ce fonctionnaire européen, au salaire de 12 000 € par mois et en règlement collectif de dettes…

Ensuite, il y a les Accidentés. « Je les avais sous-estimés et ils sont très durement frappés », reconnaît Philippe Lecocq. Cette catégorie comprend les accidentés de la route, du travail, mais aussi les malades, les séparés, les veufs, les fraîchement licenciés ou les chômeurs économiques.

« Ces personnes vont d’abord puiser dans leurs économies, puis sur les cartes de crédit et enfin via les ventes par correspondance. Le trou est creusé et les intérêts font le reste. On peut aussi être dans le rouge avec les frais de justice. Il y a l’indemnité de procédure, le paiement des frais adverses, les frais des huissiers de justice. »

Enfin, le troisième type de surendetté, le Pauvre, est incapable structurellement de faire face à ses dépenses. Pour Philippe Lecocq, trois charges de la vie courante ont explosé et conduisent au surendettement : les loyers, les soins de santé et le chauffage.

Comme toute tentative désespérée d’organiser le réel, cette approche a ses limites. Un accidenté peut avoir un côté Flambeur. Un Pauvre peut tenir le coup jusqu’à un accident. Le Pauvre Flambeur existe aussi, mais il est bien moins présent dans les dossiers de règlement collectif de dettes que dans l’imaginaire populaire.

Plutôt que d’avoir une seule et unique explication pour chaque surendettement, des facteurs économiques, sociologiques, humains s’additionnent et créent des situations intenables.

Au CPAS de Namur, l’équipe de médiation traite des dossiers de plus en plus complexes, avec plusieurs créances confrontées à des budgets de plus en plus serrés.

Dans les parcours décrits, vous constaterez que Martha, Valérie et Fatima sont des mamans isolées. Ce n’était pas une volonté de ma part de rendre les familles monoparentales aussi présentes. Les couples, excepté Fred et Sonia, et les hommes ont tous décliné la proposition de témoigner. Les familles monoparentales (7 fois sur 10 avec la maman) représentent 25 % des dossiers présents en médiation de dettes en Région wallonne (ce type de statistiques n’existe pas pour les RCD).

J’ai évoqué le triple profil de surendettés à Étienne Van der Vaeren, président de l’Association Belge des sociétés de Recouvrement de créances (ABR) et il m’a proposé une quatrième catégorie, ou plutôt un quatrième facteur encourageant le surendettement : une gestion trop désorganisée des frais quotidiens. « Il faut avoir une certaine éducation de l’administration, une gestion de la vie, même si cela n’amuse personne. » Et certainement pas Fred et Sonia.

« Qui dit étude dit travail

Qui dit taf te dit les thunes

Qui dit argent dit dépenses

Qui dit crédit dit créance

Qui dit dette te dit huissier »

Stromae, Alors on danse

Fred et Sonia

Ça faisait 2 ans que Fred bossait à la Défense nationale.

Avant, il enchaînait les petits boulots, dans le bâtiment notamment. En noir évidemment. La Défense l’a « stabilisé », comme il dit. Alors il a fait sa « première erreur ». « Je voulais une voiture comme tous les jeunes. Je n’en avais jamais eue avant. » Fred est un gamin des cités, bringuebalé au gré de la carrière de son père, un brin autoritaire, un brin alcoolo. Un brin très absent. À 16 ans, il aurait été bon que Fred soit canalisé. Mais bon, faut pas exagérer non plus, son enfance, ce n’était pas Les Misérables. Sa maman a fait en sorte qu’il ne manque de rien. « Et je n’ai pas été en prison, hein ! C’était juste une question d’encadrement… »

Fred emprunte 300 000 francs belges pour une voiture qui au final ne vaut rien. « Il y avait un problème de châssis. La voiture était maquillée. J’aurais pu faire appel à un avocat mais sans certitude de gagner, et comment payer ses honoraires ? »

Dépité et après des heures de mécanique infructueuses, il revend l’arnaque 100 000 francs, retourne chez Citibank et demande un deuxième emprunt de 260 000 francs. Pour une deuxième voiture.

Fred a 22 ans. Il devient endetté et ne quittera plus jamais ce statut : « Depuis que je travaille, j’ai toujours payé des crédits. »

Sonia habitait le même quartier. Sa maman est mère au foyer, elle a arrêté de travailler quand sa fille est née. Son papa, un immigré corse, travaille sur un chantier naval.

Fred et Sonia se connaissent de vue depuis qu’ils sont tout petits mais c’est en 2004, dans une boîte à Marche-en-Famenne, qu’ils « sympathisent ». Et plus parce qu’affinités.

Lui a déjà vécu une histoire d’amour qui a accouché de Théo. Sonia a un peu traîné. Elle termine ses humanités et suit des cours du soir, une formation du FOREM. Elle a 26 ans.

Le nouveau couple vit d’abord un an chez la maman de Fred. La belle vie. Les fringues, les amis, les sorties. Mais pas de dépenses démentielles. Pas d’écran plasma criard, pas de PC tous les 2 ans, pas de nouvelle voiture.

S’ensuit l’histoire mille fois écrite du jeune couple : ils se mettent en ménage. Un appartement une chambre. Elle est réservée à Théo. Fred et Sonia dorment dans le salon.

Pour acheter quelques meubles, ils reprennent un crédit. Ils travaillent tous les deux.

Et continue l’histoire mille fois écrite du jeune couple : un bébé. Amandine. Ils déménagent, achètent des meubles. « Et comme on n’avait pas d’argent de côté… »

À force de faire des regroupements, le salaire de Fred devient insuffisant comme garantie. Il faut signer à deux. Le couple doit alors 560 000 francs. Sonia est enceinte quand le couple fait son premier regroupement de crédits. Ensemble. Unis jusqu’au bout.

Avec les 1 300 € de salaire de Fred et les 1 510 € de Sonia, et même avec les 120 € d’allocations, les remboursements deviennent de plus en plus difficiles. « On avait aussi un découvert sur notre compte à vue. On ne l’avait pas demandé mais Citibank nous avait dit qu’on pouvait laisser ça comme ça, que cela ne nous coûterait rien mais qu’en cas de besoin, c’était pratique. » Fred enchaîne : « Le problème c’est que vous faites un crédit, vous êtes bon payeur, et 12 mois plus tard on vous en repropose un. Avec toute cette publicité, cela devient difficile à refuser. À un moment, les factures s’accumulent. Les taxes, l’hôpital, tout devient négocié en plan de paiement. »

Sonia n’avait jamais été en négatif sur son compte à vue, mais en 2008, avec les impayés qui s’accumulent, elle demande de pouvoir aller jusqu’à -250 €, histoire de purger une facture. Impossible, lui signale sa banque, Fortis, il faut un minimum de 2 500 €. « Au départ, je ne voulais pas. Mais bon, on se serre la ceinture toute l’année, on nous propose un peu d’argent. Alors c’est tentant. On se rhabille un peu. »

Le 15 juin 2010, alors que le budget de Fred et Sonia est déjà sérieusement dans le rouge, Fred reçoit un courrier de Citibank. « Vous avez des projets ? Nous avons la solution. » La banque lui propose un prêt à tempérament à des « conditions exceptionnelles : 2 mois de délai ». Cela tombe bien, juste le temps de laisser passer les vacances d’été.

Ce dernier prêt leur est refusé. L’ordinateur affiche un feu rouge au couple trop endetté. « Il a suffi d’un appel à Bruxelles, d’expliquer que nous étions bons et fidèles clients et le prêt a été débloqué. »

Les retards de paiement se multiplient et le cortège qui accompagne les impayés déboule : huissiers, sociétés de recouvrement, courriers de rappel, mises en demeure, demandes de saisie sur salaire. Fred et Sonia sont fichés à la Banque nationale.

Ils empruntent de l’argent à un copain ou demandent une aide aux parents. Mais leurs vieux ne sont pas des gens aisés.

Et sans parents qui vous renflouent, difficile de se sortir de l’impasse. Le papa de Sonia n’a pas acheté de maison en Belgique. À quoi bon, disait-il, je retournerai en Corse. Lors de sa prépension, à 59 ans, il a encaissé la diminution de revenus et n’a pas rejoint ses terres corses. Sans doute ne les rejoindra-t-il jamais. Il gagne 1 200 € après 35 années de travail. Avec un loyer et un crédit voiture, lui-même ne s’en sort pas. À 63 ans, il est retourné travailler. Alors aider financièrement sa famille, tu penses…

Au bout du compte, de regroupements de crédits en factures impayées, Fred et Sonia doivent 43 000 €. Pour ces dettes, ils remboursent 766 € par mois. Un loyer supplémentaire. Sans rien avoir acquis.

« On ne s’est pas surendettés suite à un événement précis. C’est la somme de petites choses, une somme de quotidiens et à un moment donné, ce n’est plus possible. On s’enfonce, on plonge dans le mécanisme des crédits. Quand tu as trop de crédits, tu vas à la banque, on remet les compteurs à zéro mais on ne pense pas à la facture qui arrivera dans deux mois. »

Fred sait qu’ils doivent apprendre à mieux gérer. « Maintenant, nous en sommes conscients. Le fait qu’on ne puisse pas acheter des chaussures à nos enfants quand ils en ont besoin, cela nous a marqué. La priorité aussi, c’est les courses. Mais quand on a tout payé, il nous reste 500 € le 3, 4 ou 5 du mois. Et je dois déjà compter 200 € pour mes trajets professionnels… Et payer la garderie. »

Il en vient à demander des certificats au médecin parce qu’il ne parvient plus à payer l’essence pour aller au boulot. Le couple retire Amandine des repas chauds à 80 €.

Pour la pension alimentaire de Théo, Fred a souvent du retard. Son ex-compagne est compréhensive. Ils discutent, parfois s’engueulent, mais le bien-être du gamin reste la priorité. À la réunion des parents de l’école, Fred et son ex sont là, côte à côte.

Sonia et Fred recevaient des amis deux fois par mois. Maintenant, c’est une fois par trimestre. Quand ils visitent la marraine de la petite, c’est avec une bouteille de vin à 3 € en main. Pas plus. Sonia vit mal ces privations. Elle frôle le bras d’Amandine, petite princesse rose. Elle couve d’un regard tendre Théo, qui arbore une vareuse à la gloire du Real de Madrid. C’est quand même un peu son gamin aussi.

« À la Saint-Nicolas, la Noël, je n’ai pas envie de perdre la face par rapport à la famille. Même s’il reste peu, mes enfants et mon filleul auront leur cadeau. Fred pourrait faire l’impasse. Pas moi. Là, on a une semaine de congés. Les enfants ont droit à une sortie tout de même. Si on avait un jardin, ce serait différent, on penserait moins à faire des activités. À écouter Fred, on ne ferait rien. »

« Fred ‒ Se promener dans les bois, c’est faire quelque chose.

Sonia ‒ Mais sinon tout est payant.

Fred ‒ Mais c’est aussi parce que tu leur donnes le goût des choses payantes. Se promener, faire une cabane dans les bois, ce n’est pas ton optique de vie, il faut le dire.

Sonia ‒ Parce que toi, c’est ton optique de vie ?

Fred ‒ Pas tous les jours… (rires) »

Personne n’est au courant de leur situation. Excepté les parents. Leur annoncer la situation fut difficile pour Sonia. « Ils savaient qu’on avait de petites difficultés, ma maman ne comprenait pas qu’on n’arrive pas à joindre les deux bouts. » Fred n’a jamais rien caché à sa mère, mais elle ignorait à quel point ils étaient dans le rouge. « Je lui demandais 50 € en fin de mois, ou un peu de viande pour les enfants. On a vécu comme ça facilement pendant deux ans. »

Aux proches, ils se racontent dans la dèche, sans plus, « ce n’est pas tous les mois facile non plus pour nos amis ». Ils ratent un mariage parce qu’ils n’ont rien à se mettre. Officiellement, Fred travaille. Des amis proposent de partir en vacances ensemble. Ils esquivent. Les amis vont en France et eux une semaine à la côte chez un collègue.

Aujourd’hui, ils vivent au jour le jour. À la moindre tuile, ils savent qu’ils ne pourront pas assumer. Pourtant, ils sont plus unis que jamais.

La vie est chère, mais ils en ont bien profité. Ils n’ont pas géré. Ils n’ont pas eu de coup de pouce non plus. Là où d’autres auraient pu compter sur un salut familial, une ultime remise à flots ou simplement une épargne pour débuter dans la vie, Fred et Sonia n’ont pas eu la chance d’être aidés financièrement. « On a démarré de rien. »

Ce ne sera pas la même chose pour Théo et Amandine. Ils épargnent à présent. 50 € par mois. Pour la suite, on verra. L’étape classique suivante du jeune couple, à savoir la maison, est réduite à néant.

Le 31 mars, Fred et Sonia introduisent une demande d’admissibilité en règlement collectif de dettes. Elle est acceptée.

1  La source est la Banque nationale de Belgique. Elle ne compte que les prêts hypothécaires et les crédits à la consommation. Ces chiffres ne prennent pas en compte les dettes de téléphonie, les factures d’eau, d’électricité…

chapitre 2 Qui surendette ?

Qui surendette ? La question est provocatrice et, comme la plupart des formules qui claquent dans l’oreille, elle est fausse. Personne ne prête de l’argent ou ne rend un service à quelqu’un avec la volonté de le surendetter.

La question est plutôt : « Quels types de dettes trouve-t-on dans les dossiers des personnes surendettées ? » (mais comme titre, avouez que ce n’était pas très accrocheur).

Deux types de dettes peuvent être identifiés.

D’abord, les dettes de services. Vous avez reçu un service et vous devez vous acquitter de la facture. Ensuite les prêts. De l’argent vous a été prêté, soit pour acquérir un bien (vente à tempérament), soit pour vous mettre une réserve d’argent à disposition (prêt à tempérament ou ouverture de crédit). Ce sont les crédits à la consommation, à savoir tous les crédits sauf le prêt hypothécaire.

Ces crédits sont présents et défaillants dans 67,9 % des règlements collectifs admis et dans 70,4 % des dossiers traités par les services de médiation de dettes en Wallonie.

Comment les obtient-on ? Suivez le guide.

1.Des crédits pour consommer

Envie de vacances ? Un projet à réaliser ? Une voiture, un scooter, un vélo, une trottinette, des baskets ? Le phénomène de l’achat à crédit a explosé ces deux dernières décennies. Là où ma mère s’étranglait quand elle devait 3 francs au boucher, notre génération a intégré l’achat avec paiement différé.

En 10 ans, le marché des ouvertures de crédits et prêts à tempérament a connu une progression de 65 %.

Aujourd’hui, vous pouvez acheter vos vêtements, vos vacances et même vos biens alimentaires à crédit. Des cartes vous sont proposées chez des intermédiaires de crédit, mais aussi dans les magasins et dans la rue. Elles sont banalisées. Pendant les soldes 2010, période de « bonnes affaires » impulsives par excellence, plus d’un acheteur sur 4 a eu recours aux crédits à la consommation. Plus d’un sur 4 là où il n’y en avait qu’un sur 10 en 2006 ! Une vendeuse de Namur évoque même une personne ayant acheté à crédit des chaussures à 10 €1.

Votre prêteur peut avoir différents visages. Il pourra être une institution financière (votre banque ou une société de crédit) ou un intermédiaire de crédit (un agent délégué d’une institution financière, un courtier ou un vendeur).

Différents produits financiers existent.

1.1.L’ouverture de crédit

C’est le prêt vendu à coups d’arguments massues du genre « ça peut toujours servir » et quand il sert, c’est mauvais signe. L’ouverture de crédit est au prêt ce que l’amanite phalloïde est au champignon : le produit toxique par excellence. Elle vous met à disposition une réserve financière, souvent pour une durée indéterminée. Ainsi, si vous avez 4 000 € en ouverture de crédit, votre compte n’est pas gratifié de la somme. Il est à zéro et peut descendre jusqu’à -4 000.